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“Et ils s'étonnaient de sa
doctrine”
Saint Jérôme a écrit que
« saint Marc a disposé dans sa pensée le plan des événements de
l'Evangile, sans suivre l'ordre des faits, et en s'attachant seulement à
celui des mystères. Voilà pourquoi, le jour du sabbat, il mentionne son
premier miracle, opéré par Jésus : “Et ils entrèrent à Capharnaüm” ».
Théophylacte, quant à lui, il explique qu’« Ils [Jésus et ses disciples]
venaient de Nazareth. Or, c'est au jour du sabbat où les scribes
s'assemblaient, que Jésus entre dans la synagogue pour enseigner : “Et
aussitôt, étant entré le jour du sabbat, dans la synagogue, il les
instruisait”. En effet, la loi ordonnait aux Juifs de solenniser le jour
du sabbat, afin qu'ils pussent se réunir pour étudier la loi en commun.
Or, Jésus-Christ les enseignait non en les flattant, à la manière des
pharisiens, mais en les reprenant. “Et ils s'éton-naient de sa
doctrine” ; “car ils les enseignait avec autorité, et non point comme
les scribes”. II enseignait aussi avec autorité, en ce sens qu'il
ramenait au bien les hom-mes égarés, et qu'il menaçait du supplice ceux
qui refusaient de croire à sa parole. » Saint Bède le Vénérable explique
de son côté que « les scribes enseignaient au peuple ce qui est écrit
dans Moïse et les prophètes ; mais Jésus, en sa qualité de Dieu
souve-rain et de Maître de Moïse lui-même, ou ajoutait à la loi les
éclaircissements qu'il jugeait nécessaires, ou bien l'enseignait au
peuple avec tel changement qu'il lui plai-sait d'y introduire, comme nous
le voyons dans saint Matthieu : “II a été dit aux an-ciens, et moi je
vous dis”, etc. » (Mt 5)
Le même Bède dit encore :
« C'est par l'envie du démon que la mort est entrée dans le inonde
(Sg 2) ; c'est donc contre cet auteur de la mort, que Jésus dut
mettre d'abord en usage le remède du salut : “Il y avait dans leur
synagogue un homme possédé de l'esprit impur”. » Saint Kean Chrysostome,
commentant le même texte évangélique explique : « Le nom d'esprit
s'applique à l'ange, à l'air, à l'âme et aussi à l'Esprit saint. Aussi
dans la crainte que cette ressemblance de nom ne donnât lieu à l'erreur,
l'Evangéliste ajoute la qualification d'impur : ce nom lui est donné à
cause de son impiété et de son éloignement de Dieu et parce qu'il prend
part à toutes les œuvres immondes et perverses. »
Dans son livre Cité de Dieu
(9,20), saint Augustin nous dit : « L'humilité du Dieu qui est apparu
sous la forme de l'esclave, est si puissante contre l'orgueil des
démons, qu'ils sont forcés de le reconnaître et de le confesser
publiquement devant le Seigneur revêtu de l'infirmité de notre chair :
“Et il s'écria : Qu'y a-t-il de commun entre vous et nous, Jésus de
Nazareth ?” Il est évident par ces paroles qu'ils avaient la science
sans avoir la charité, car ils redoutaient le châtiment qu'il venait
leur infliger et n'aimaient pas en lui la justice qu'il apportait à la
terre. » Et saint Bède ajoute encore cette expli-cation : « Car les
démons, voyant Notre-Seigneur sur la terre, croyaient qu'il allait les
juger immédiatement. » Saint Jean Chrysostome ajoute encore cet argument
per-tinent : « Ou bien, voici le sens de ces paroles : En purifiant l’âme
humaine, et en y faisant naître des pensées divines, vous ne nous
laissez plus d'asile dans le cœur des hommes. » Théophylacte ajoute
encore cette précision : « Car sortir de l'homme, c'é-tait pour le démon
une ruine certaine, parce qu'en effet, les démons étant essen-tiellement
cruels, ils regardent comme une sorte de supplice de ne pas tourmenter
les hommes. Il ajoute : “Je sais que vous êtes le saint de Dieu”. »
Saint Jean Chrysostome affine cette même idée, en disant :
« Comme s'il disait : Je considère attentivement votre avènement; car il
n'avait pas une connaissance claire et certaine de la venue de Dieu en
ce monde. II l'appelle saint, non pas un saint comme beaucoup d'autres
parce que chaque prophète aussi était saint, mais il le proclame saint
d'une manière spéciale. L'article qui se trouve dans le grec indique
qu'il est le saint par excellence, mais la crainte qu'il éprouve fait
qu'il le reconnaît pour le souverain Maître de toutes choses. » « Il ne
se fit connaître aux démons — ajoute saint Augustin dans livre cité
ci-dessus — que dans la mesure qu'il voulut, et il ne le voulut que dans
la mesure qui était nécessaire. Toutefois il ne se manifesta pas à eux
comme aux anges qui jouissent de sa vue comme Verbe, et participent à
son éternelle félicité, mais il devait se mani-fester aux démons pour les
faire trembler, puisqu'il venait délivrer les hommes de l'empire
tyrannique de ces esprits mauvais. Il s'est donc fait connaître aux
démons non pas comme étant la vie éternelle, mais par certains effets
sensibles de sa toute-puissance qui ne pouvaient échapper aux regards de
la nature angélique plus pénétrants même dans les esprits mauvais que
les vaux de la faiblesse humaine. »
Saint Jean Chrysostome
complète cette idée en disant : « Mais l'éternelle vérité ne voulait pas
des témoignages des esprits impurs : “Et Jésus les menaça en leur
disant”, etc. Jésus nous donne ici un enseignement salutaire, c'est de
ne jamais ajouter foi aux démons quand bien même ils nous annonceraient
la vérité. “Et l'esprit le déchirant”, etc. Comme cet homme venait de
dire des paroles sages et sensées, dans la crainte qu'on s'imaginât
qu'il parlait, non sous l'inspiration du démon, mais de son propre cœur,
Jésus-Christ permit que cet infortuné fût déchiré par le démon afin
qu'il fût manifeste que c'était lui aussi qui parlait par sa bouche. »
Théophylacte ajoute que « ce fut aussi pour que les témoins de ce
prodige comprissent de quel affreux malheur était délivré cet homme, et
qu'ils missent en Jésus par suite de ce miracle. » Et saint Bède
d’argumenter : « Il y a, ce semble, une sorte de contradiction entre ces
paroles : “Et le déchirant”, ou comme portent certains exemplaires, le
courbant, et ces autres : “II sortit sans lui avoir fait aucun mal”,
selon saint Luc. Mais cet Évan-géliste dit aussi que “le démon ayant jeté
violemment cet homme au milieu de l'as-semblée sortit de son corps, sans
lui avoir fait aucun mal”. II faut donc comprendre que ces paroles de
saint Marc : “Et le tourmentant, ou le déchirant”, reviennent à
celles-ci de saint Luc : “Et l'ayant jeté violemment au milieu de tout
le peuple”. Et alors ce que saint Luc ajoute : “Il ne lui fit aucun
mal”, signifie que cette agitation violente, cette secousse imprimée aux
membres de cet homme n'épuisa pas ses forces et que le démon sortit sans
lui couper ou lui arracher quelque membre, comme il arrive quelquefois
en pareille circonstance. Or, les témoins de ce prodige admirent la
nouveauté de la doctrine du divin Maître, et ce qu'ils voient les
détermine à appro-fondir ce qu'ils entendent. “Et tous étaient dans
l’étonnement”, etc. Car le but des miracles était de faire croire d'une
foi plus certaine à l'Évangile du royaume de Dieu. Voilà pourquoi les
apôtres qui promettaient des joies célestes aux habitants de ce monde,
faisaient éclater à leurs yeux ici-bas, des œuvres célestes et toutes
divines. Tout d'abord, d'après le témoignage de l'Evangéliste,
Jésus-Christ enseignait les hommes avec autorité ; et maintenant le
peuple lui-même lui rend ce témoignage qu'il commande avec autorité aux
esprits immondes, et qu'ils lui obéissent. “Et sa re-nommée se répandit”,
etc. Car ce que les hommes admirent le plus, ils s'empressent de le
divulguer, parce que la bouche parle de l'abondance du cœur. »
Et pour terminer, saint Jérôme
nous apporte son approche personnelle sur ce passage de l’Évangile de
Marc : « Capharnaüm dans le sens mystique signifie ville de la
con-solation, le mot sabbat signifie repos. Cet homme possédé
de l'esprit immonde, c'est le genre humain en qui l'impureté a régné
depuis Adam jusqu'à Moïse. Car les hom-mes ont péché sans la loi, et ils
périront sans la loi (Rm 2). Cet esprit impur qui con-naissait le
saint de Dieu, reçoit l’ordre de se taire, parce qu'il est des hommes
qui, connaissant Dieu, ne l'ont pas glorifié comme Dieu, mais ont mieux
aimé servir et adorer la créature plutôt que le Créateur (Rm 1).
L'esprit immonde déchirant cet homme sortit de son corps. À l'approche
du salut, la tentation se fait sentir. Pharaon abandonné par le peuple
d'Israël, le poursuit à outrance (Ex 14) Le démon méprisé,
cherche à produire du scandale. » Amen.
D’après saint Thomas d’Aquin,
la “Chaîne d'Or”, Sur l’Évangile de saint Marc. |