I. Heureux
sacrement que celui de notre baptême! quel effet ne produit-il pas? il efface la
tache de nos péchés passés, il nous rend enfants de Dieu, et nous ouvre l'entrée
à la vie éternelle. Un traité sur cette matière ne sera pas sans doute inutile,
soit pour instruire nos catéchumènes, soit pour convaincre ces fidèles indolents
qui, se contentant simplement de croire, sans se mettre en peine de considérer
ce que l'Ecriture et la tradition nous enseignent, négligent par cette ignorance
affectée d'apprendre les fondements sur quoi la foi qu'ils professent est
appuyée. Il est arrivé depuis peu qu'une femme, ou plutôt une vipère des plus
venimeuses de la secte hérétique des caïniens, a séduit par sa mauvaise doctrine
un assez grand nombre de personnes. Elle attaque surtout le baptême, en quoi
elle agit selon son naturel et son caractère. Vipères, aspics et autres
semblables serpents fuient ordinairement l'eau, et ne cherchent que les lieux
secs et arides. Pour nous qui sommes comme des poissons
conduits par Jésus-Christ notre chef, nous naissons dans l'eau, et nous ne
pouvons autrement conserver notre vie qu'en demeurant dans cette eau. Mais
Quintille, ce serpent horriblement monstrueux, qui n'avait pas même le droit
d'enseigner, a su trouver un moyen infaillible de faire périr ces poissons, en
les mettant hors de l'eau.
II. Voyez, je
vous prie, quelle est l'adresse des esprits pervers, et combien elle est
puissante pour ébranler la loi ou pour empêcher de la recevoir dans toute sa
plénitude
! Ils sapent cette vertu par ses fondements, en tâchant de détruire ce qui en
fait comme le caractère essentiel. Rien ne leur paraît plus étrange ni plus
incroyable, que de voir d'une part la matière très simple dont Dieu veut se
servir dans ses ouvrages divins, et de l'autre les magnifiques effets qu'il y
attache. Tel est notre baptême ; tout y paraît simple, nul appareil, nulle
pompe, nulle magnificence. Ainsi parce qu'un homme est simplement plongé dans
l'eau et lavé dans le temps qu'on prononce quelque peu de paroles, on veut
d'autant moins se persuader que cet homme puisse par ce moyen obtenir la vie
éternelle, qu'il ne paraît sortir de ce bain ni plus pur ni plus net. Parmi les
idolâtres au contraire, il paraît peut-être quelque chose de mieux concerté :
appareil, pompe, dépense, voilà ce qui frappe et qui inspire du respect et de la
vénération pour leurs mystères et pour les fêtes de leurs idoles. Malheureuse
incrédulité, qui refuse de reconnaître en Dieu ses propriétés principales,
savoir, la simplicité et la puissance! Quoi, répondra quelqu'un, n'est-il pas
étrange qu'avec un peu d'eau la mort puisse être détruite ? Et c'est pour cela
même qu'il faut d'autant plus le croire que l'effet est plus merveilleux; car
quels doivent être les ouvrages de Dieu, que des ouvrages au-dessus de toute
conception? Pour nous, nous les admirons ; mais c'est parce que nous croyons.
Les esprits forts les admirent aussi, mais sans croire. Ils regardent les choses
simples comme des choses inutiles, et les magnifiques comme impossibles. Si vous
êtes dans cette fausse opinion, l'oracle divin suffit pour vous détromper. Dieu
a choisi des hommes simples selon le monde, pour confondre la sagesse du monde :
et ce qui est très-difficile aux hommes est très-facile à Dieu. En effet, si
Dieu est très-sage et très-puissant, comme tout le monde en convient, il doit
avoir employé pour la matière de ses ouvrages ce qui nous semble opposé à la
sagesse et à la puissance, c'est-à-dire ce qui nous paraît folie ou
impossibilité. Jamais les choses ne paraissent avec plus d'éclat que quand elles
sont opposées à leurs contraires.
III.
Quelque impression que doive faire sur nous ce divin oracle, qui doit être pour
nous un principe invincible, examinons cependant plus au long s'il est ridicule
ou imposible que l'homme soit régénéré de l'eau. Pour être moins surpris que
cette matière ait pu être élevée à une si haute dignité, il est bon de
considérer cet élément jusque dans son origine. Elle est noble cette origine,
elle est illustre dès le commencement du monde ; car l'eau est parmi les
éléments celui qui, avant que l'univers eût reçu toute sa perfection, demeurait
comme caché dans la puissance de Dieu. "Au commencement, dit l'Écriture sainte,
Dieu créa le ciel et la terre. La terre était invisible et sans ornement; les
ténèbres étaient sur l'abîme, et l'esprit de Dieu était porté sur les eaux."
Voilà d'abord, ô hommes ! de quoi révérer la substance de l'eau par
l'ancienneté de son usage, et de quoi respecter ensuite sa dignité; elle était
le siège de l'esprit divin et plus privilégiée alors que les autres éléments.
Tout n'était qu'un chaos affreux, les étoiles ne rendaient point encore de
lumière ; tout était informe ; la mer était lugubre, la terre sans ornement, les
cieux sans beauté. L'eau, la seule eau toujours matière parfaite, toujours
excellente, toujours pure, servait de trône à l'esprit de Dieu. Ajoutez que
quand Dieu fit ensuite l'arrangement des différentes parties de l'univers, il le
fit par moyen des eaux ; car pour suspendre au milieu du monde le firmament, il
sépara les eaux d'avec les eaux. Pour suspendre la terre, il fit une semblable
séparation. Le monde étant enfin arrangé dans toutes ses parties par la
disposition de ses divers éléments, comme il devait être habité, ce fut aux eaux
en premier lieu qu'il commanda de produire des âmes vivantes. C'est donc l'eau
qui la première produisit ce qui a vie, afin qu'on ne soit pas surpris que dans
le baptême l'eau puisse donner la vie éternelle à notre âme. Dans la formation
même de l'homme, Dieu employa l'eau pour achever ce sublime ouvrage. La terre
est à la vérité la matière dont l'homme fut fait; mais cette terre n'eût pas été
assez disposée pour cet ouvrage, si elle n'avait été
humide
et détrempée. C'est le limon qui, ayant été tempéré de l'humide et du sec dès le
quatrième jour de la création du monde, fut employé par le Créateur pour former
l'homme.
S'il était
nécessaire de descendre dans un plus long détail des principales prérogatives de
l'eau, que ne pourrais-je pas dire de sa vertu et sa fécondité? Quels bienfaits,
quelle fertilité, quels secours le monde n'en reçoit-il pas? Mais je craindrais
qu'on ne m'accusât de faire plutôt un panégyrique de l'eau que d'expliquer la
matière du baptême. Cependant par là je montrerais plus sensiblement que si Dieu
fait servir l'eau à tant de choses et à tant d'ouvrages, il n'est pas hors de
vraisemblance qu'il l'ait aussi employée dans les sacrements pour nous procurer
une vie surnaturelle qui durera éternellement dans les cieux.
IV. Il suffit
d'avoir rapporté ce que nous venons de dire pour y découvrir comme une espèce de
préjugé en faveur du baptême, et un signe qui en était la figure dès le
commencement du monde. L'esprit de Dieu, qui était porté sur les eaux, nous
indiquait alors qu'il procurerait une régénération spirituelle aux baptisés ;
car ce qui est saint ne pouvait être porté que sur une chose sainte ; ou bien ce
qui portait empruntait la sanctification de ce qui était porté. Et comme toute
matière inférieure participe aux qualités de celle qui est dessus, de même la
substance corporelle participe à la vertu de la substance spirituelle, d'autant
plus que celle-ci peut aisément, à cause de sa subtilité, pénétrer et animer
celle-là. Ainsi la nature des eaux, sanctifiée par l'Esprit saint, a reçu le
pouvoir de sanctifier l'homme dans le sacrement.
Quelqu'un me
dira, est-ce que nous sommes aujourd'hui baptisés dans ces mêmes eaux qui furent
au commencement du monde? Je réponds : elles ne sont pas à la vérité entièrement
les mêmes, elles y ont néanmoins le même rapport que plusieurs espèces ont à un
seul genre ; or les attributs du genre conviennent aux espèces. Aussi est-il
égal d'être baptisé dans la mer ou dans un
étang,
dans un fleuve ou dans une fontaine; dans un lac ou dans un bassin. Il n'y a sur
ce point nulle différence entre ceux que Jean a baptisés dans le Jourdain et
ceux que Pierre a baptisés dans le Tibre. L'eunuque que le diacre Philippe
baptisa de l'eau qui se rencontra par hasard en chemin n'en acquit ni plus ni
moins de grâce. Toute sorte d'eau a donc, par son ancienne prérogative d'avoir
porté le Saint-Esprit, le pouvoir et la disposition à devenir le sacrement de la
sanctification, au même temps que Dieu est invoqué pour cet effet ; car aussitôt
le Saint-Esprit descend, et s'arrêtant sur les eaux, les sanctifie par sa
présence ; les eaux ainsi sanctifiées deviennent, pour ainsi parler, empreintes
d'une vertu de sanctifier elles-mêmes. D'ailleurs elles ont un rapport spécial
aux desseins de Dieu dans l'action du baptême. Nous sommes souillés par nos
péchés comme par autant de honteuses taches : les eaux sont propres à purifier.
Mais comme les péchés ne paraissent pas sur la chair, car personne ne porte à
l'extérieur la marque de l'idolâtrie, de l'adultère, de la fraude, ils impriment
leur tache dans l'âme, qui est la principale cause du péché. C'est l'esprit qui
commande, et la chair ne fait qu'obéir. Cependant la faute est commune à tous
les deux : à l'esprit, parce qu'il commande, et à la chair, parce qu'elle obéit.
Ainsi les eaux ayant reçu pour ainsi dire une vertu médicinale par la descente
de l'Esprit du Seigneur, l'âme y est lavée par le moyen du corps, et la chair y
est purifiée par le moyen de l'esprit.
V. Les gentils
eux-mêmes, tout éloignés qu'ils sont de la connaissance des choses spirituelles,
attribuent à leurs idoles un pouvoir également efficace, quoiqu'ils se trompent
dans l'usage des eaux vides de toute vertu. Ils ont coutume d'initier par une
espèce de baptême leurs néophytes à certains mystères de la déesse Isis, ou du
dieu Mithra. Ils honorent même leurs dieux par des ablutions solennelles qu'ils
font de leurs simulacres. De plus, s'agit-il de faire des lustrations
expiatoires, vous voyez leurs prêtres porter de l'eau de toutes parts :
bourgades, maisons, temples, villes entières, tout est arrosé. Il est certain
encore qu'aux jeux Apollinaires et Éleusiniens, ceux qui les célèbrent se font
plonger dans l'eau ; cérémonie qu'ils se croient obligés de pratiquer pour être
régénérés et pour obtenir l'impunité de leurs crimes. De même parmi les anciens,
si quelqu'un s'était souillé d'un homicide, il nettoyait cette tache par une eau
lustrale. Si ces aveugles gentils sont persuadés que l'eau par sa vertu
naturelle peut effacer leurs crimes, combien sera-t-il plus vrai de dire qu'elle
peut produire le même effet par l'autorité d'un Dieu qui est le créateur des
éléments et de toutes leurs propriétés? S'ils croient que la religion donne à
l'eau une vertu salutaire, quelle plus sainte religion que celle qui honore le
Dieu vivant? Le connaître, ce vrai Dieu, c'est en même temps connaître les
artifices du démon, toujours prêt à contrefaire les ouvrages de Dieu. En effet,
il a un baptême qu'il fait recevoir aux siens. Mais quel rapport? c'est l'impur
qui purifie, c'est l'esclave qui affranchit, c'est le condamné qui absout.
N'est-ce pas détruire son propre ouvrage que d'effacer des péchés que lui-même
il inspire? Tout ce que je viens d'expliquer n'est que pour convaincre ceux qui,
rejetant la lumière de la foi, nient que Dieu puisse faire des choses dont ils
attribuent néanmoins le pouvoir au rival de Dieu.
N'est-ce pas
aussi une opinion vulgaire, sans recourir même à aucun sacrement, qu'il y a des
esprits immondes répandus sur les eaux? comme si c'était pour imiter la manière
dont l'Esprit divin était porté sur elles au commencement du monde. C'est ce que
l'on raconte de tant de sombres fontaines, de ruisseaux affreux, de piscines
dans les bains, de cuves dans les maisons, de puits, de citernes, que l'on
assure engloutir ou étouffer les hommes, sans doute par la force du malin esprit
; car on appelle suffoqués, lymphatiques, hydrophobes, ceux ou que les eaux ont
fait mourir, ou qu'elles ont rendus
furieux
et hypocondriaques. Pourquoi rapportons-nous ces choses? afin qu'il paraisse
moins incroyable que l'ange du Seigneur préside aux eaux et qu'il les agite pour
le salut des hommes, puisque le mauvais ange se sert du même élément pour leur
perte. S'il paraît étrange que l'ange intervienne à cet effet admirable des
eaux, l'exemple de ce qui arrivait autrefois suffit pour lever tout scrupule. Un
ange descendait du ciel et remuait l'eau de la piscine probatique qu'on appelait
en hébreu Bethsaïda. Les malades attendaient cette agitation pour
recouvrer leur santé ; le premier qui descendait dans ces eaux ainsi agitées
était infailliblement guéri. Ce remède corporel était une figure du remède
spirituel que nous recevons, comme il arrive assez ordinairement que les choses
matérielles nous élèvent à la connaissance des choses spirituelles.
La grâce de
Dieu s'étant répandue ensuite plus abondamment sur les hommes, les eaux ont reçu
une plus grande vertu et l'ange un plus grand pouvoir. Ce qui guérissait
autrefois les corps guérit aujourd'hui les âmes; ce qui procurait une santé
temporelle nous procure le salut éternel; et ce qui autrefois ne délivrait qu'un
seul homme chaque année en délivre aujourd'hui une infinité en effaçant le péché
; car dans le baptême la coulpe est remise, et la peine l'est aussi. C'est ainsi
que l'homme rentre dans l'amitié de Dieu, en devenant semblable à ce premier
homme qui fut autrefois créé à l'image de Dieu. L'image se reporte à l'original,
qui regarde l'éternité. C'est alors que l'homme recouvre cet Esprit saint qu'il
avait reçu au commencement par le souffle de Dieu, mais qu'il perdit ensuite par
sa désobéissance.
Je ne veux pas
dire que les eaux nous donnent le Saint-Esprit; mais l'eau, à laquelle l'ange
préside, nous purifiant de nos crimes, nous prépare à le recevoir cet Esprit
saint. Nous avons encore de ceci une figure qui avait précédé le
baptême-sacrement. Car comme Jean fut le précurseur du Seigneur en lui préparant
ses voies, de même
l'ange
préposé au baptême dirige les voies au Saint-Esprit par le moyen de l'eau qui
lave et qui efface le péché : mais avec la profession de foi que nous faisons,
et qui est scellée du sceau du Père et du Fils et du Saint-Esprit, que nous
prenons tous trois à témoin. Car si un témoignage est établi sur la parole de
trois témoins, combien plus notre espérance est-elle solidement établie sur le
nombre des trois personnes divines, puisque nous avons ainsi pour garants de
notre salut les mêmes qui sont cautions de notre foi? Notre profession de foi et
la promesse du salut étant donc engagées sur les trois divines personnes qui en
répondent, il faut nécessairement qu'on fasse mention de l'Eglise ; car là où se
trouvent le Père, le Fils et le Saint-Esprit, là se trouve aussi l'Église, qui
est le corps mystique des trois personnes divines.
VI. Au sortir
du bain salutaire on fait sur nous une onction sainte, suivant l'ancienne
cérémonie où l'on avait coutume de prendre de l'huile renfermée dans une fiole
pour en oindre ceux que l'on consacrait au sacerdoce. C'est ainsi qu'Aaron fut
sacré par son frère Moïse. C'est de même aussi que Jésus est appelé Christ, du
mot chrême, qui marque l'onction par laquelle Dieu le Père l'a
rempli de son esprit saint ; suivant ce qui est rapporté dans les Actes : "Ils
se sont véritablement assemblés en cette ville contre votre saint Fils, que vous
avez oint." Ainsi l'onction que nous recevons se fait à la vérité sur la chair ;
mais son effet se répand dans l'âme. De même l'action du baptême est extérieure,
puisqu'il n'y a que le corps qui soit plongé dans l'eau : mais l'effet en est
tout spirituel, puisque nous sommes purifiés de nos péchés.
VII. Après
cela on nous impose les mains en invoquant et attirant sur nous le Saint-Esprit
par la prière qui accompagne cette sainte cérémonie. Nous avons une figure
authentique de ceci dans l'Ancien Testament. Le patriarche Jacob ayant fait
venir deux de ses petits-fils, Ephrem et Manassès, tous deux enfants de Joseph,
les bénit en mettant et croisant ses mains sur leurs têtes.
On peut dire qu'en croisant ainsi ses mains, il représenta par avance la forme
de Jésus-Christ en croix : ce fut comme un présage de la bénédiction que nous
devons recevoir ensuite par Jésus-Christ.
VIII. C'est
donc alors que l'Esprit très saint descend volontiers du sein du Père sur les
corps ainsi purifiés et bénis : il se repose sur les eaux du baptême, comme s'il
reconnaissait son ancien trône. Il descendit de même sur notre Seigneur sous la
figure d'une colombe. Il voulait nous faire ainsi connaître son caractère par la
simplicité et l'innocence de cet oiseau aimable et doux : car on assure que les
colombes n'ont point de fiel. C'est pour cela que Jésus-Christ dit à ses
disciples : « Soyez simples comme les colombes.
» Ainsi après le déluge, qui lava les iniquités des hommes, la colombe, sortie
de l'arche10
et revenue ensuite avec une branche d'olivier, annonça la paix au monde en
faisant entendre que la colère de Dieu était apaisée (on sait que parmi les
gentils l'olivier est aussi le symbole de la paix) ; de même aussitôt que notre
terre, c'est-à dire notre corps terrestre, a été lavé de ses anciens péchés dans
les eaux salutaires du baptême, le Saint-Esprit, cette céleste colombe, vole sur
nous en nous apportant la paix de Dieu. Elle descend du ciel, comme elle sortit
jadis de l'arche, qui était là figure de l'Eglise. Mais le monde s'est souillé
ensuite de nouveaux crimes, et c'est pour cela qu'il doit être purifié de
nouveau par le feu, aussi bien que l'homme, qui retombe dans de nouveaux péchés
après son baptême. Ce que je dis ici en passant, les pécheurs doivent l'écouter
comme un avis salutaire que je leur donne.
IX. Voyez donc
combien d'avantages du côté de la nature, combien de privilèges du côté de la
grâce, combien de cérémonies solennelles, combien de témoignages et de figures
ont annoncé de tout temps le sacrement et la vertu admirable de l'eau. En
premier lieu lorsque le peuple d'Israël sortit de la captivité d'Egypte,
comment
évita-t-il les poursuites de Pharaon? Ce fut en traversant les eaux de la mer
Rouge : mais les mêmes eaux engloutirent ce roi avec toute son armée. Quelle
figure plus manifeste du sacrement de baptême? Les nations sont délivrées
de l'esclave du siècle ; et le démon, cet ancien tyran, perd son orgueilleux
pouvoir dans les eaux. En second lieu, l'eau, d'amère qu'elle était, redevient
douce dès que Moïse la touche avec une branche de bois. Le bois de cette branche
représentait la croix, à laquelle Jésus-Christ a été attaché pour convertir, par
sa vertu divine, en des eaux salutaires des eaux autrefois insipides et
empoisonnées : ces eaux salutaires sont les eaux du baptême. Elles étaient
encore figurées par l'eau que Moïse fit miraculeusement sortir de la pierre, et
qui accompagnait le peuple d'Israël. Or, si cette pierre était Jésus-Christ, il
est hors de doute que les eaux du baptême sont bénies en Jésus-Christ.
Pour nous
confirmer davantage dans la foi du baptême, considérons encore l'estime spéciale
que Dieu et son Fils font de l'eau. Il semble que cet élément accompagne
toujours Jésus-Christ. D'abord il est baptisé lui-même dans les eaux du
Jourdain. Les premiers essais qu'il fait de son souverain pouvoir, c'est
lorsqu'il change l'eau en vin aux noces de Cana. Lorsqu'il enseigne les peuples,
il invite tous ceux qui ont soif à venir boire de cette eau éternelle, qui n'est
autre que lui. Autre part il déclare qu'un verre d'eau donné pour l'amour de lui
est une œuvre de charité qui ne sera point sans récompense. Il se délasse aux
eaux du puits de Jacob ; il marche sur les eaux ; il traverse souvent le lac
Génézareth ; il verse de l'eau dans un bassin pour laver les pieds de ses
disciples. Enfin, le témoignage du baptême persévère jusqu'à la passion. Lorsque
cet Homme-Dieu est condamné à la mort, l'eau intervient à cette condamnation, et
c'est quand Pilate se lave les mains en abandonnant Jésus-Christ à la fureur des
Juifs. Enfin, lorsqu'il est blessé après sa mort, il sort de l'eau de son côté.
X. Jusqu'ici
nous avons parlé, autant que notre capacité médiocre l'a pu permettre, de tout
ce qui peut servir de fondement à la sainteté du baptême. Je vais maintenant
poursuivre, le moins mal que je pourrai, ce qui reste à expliquer touchant la
nature de ce sacrement. Voici d'abord des questions à quoi il faut répondre. La
première fut proposée par le Seigneur lui-même aux pharisiens, à l'occasion du
baptême que Jean prêchait. Le baptême de Jean, leur demanda-t-il, était-il
céleste, ou terrestre? Ils n'eurent garde de rien répondre : ils étaient
embarrassés parce qu'ils ne voulaient pas croire ce qu'il fallait. Pour nous,
nous pouvons décider, selon les règles de notre foi, que le baptême de Jean
était divin, en ce que Dieu l'avait commandé; mais sans y avoir attaché aucune
vertu surnaturelle. Car l'Ecriture nous apprend que Dieu avait à la vérité
envoyé Jean pour baptiser ; mais quant à la nature de ce baptême, il n'y avait
rien que d'humain. Par lui-même il ne produisait point la grâce ; disposait
seulement l'homme à la recevoir par le moyen de la pénitence qui est au pouvoir
de l'homme. Les pharisiens, et les docteurs de la loi, n'ayant pas voulu croire,
ne firent point aussi pénitence. S'il est donc vrai que cette pénitence était
seulement quelque chose d'humain, il faut nécessairement que le baptême fût de
même condition. Autrement, s'il eût été céleste, il aurait donné le Saint-Esprit
et la rémission des péchés; mais il n'y a que Dieu qui remette les péchés, et
qui donne le Saint-Esprit. D'aillieurs le Seigneur déclarait lui-même qu'avant
qu'il fût retourné à son Père, le Saint-Esprit ne descendrait point. Or ce que
le maître ne donnait point encore, pensez-vous que le serviteur pût le donner?
Nous trouvons
en effet dans les Actes des Apôtres que ceux qui avaient reçu le baptême de Jean
n'avaient pas reçu le Saint-Esprit, dont ils n'avaient pas même entendu
parler.
Par conséquent ce qui ne produisait pas des effets célestes n'était point
céleste. Puisque d'ailleurs ce que Jean avait reçu de céleste, c'est-à-dire
l'esprit de prophétie, vint tellement à lui manquer, après que toute la
plénitude du Saint-Esprit fut passée dans le Seigneur, que ne connaissant
presque plus celui dont il avait annoncé l'avènement prochain, il lui envoya
demander s'il était véritablement le Messie qui devait venir. Ce baptême de la
pénitence ne faisait donc que disposer à la rémission et à la sanctification
qu'on devait obtenir ensuite par Jésus-Christ; car quoique Jean prêchât le
baptême de la pénitence pour la rémission des péchés, cela ne doit néanmoins
s'entendre que d'une rémission future. La pénitence précède, la rémission ne
vient qu'après, et c'est ce qui s'appelle préparer la voie. Or celui qui prépare
n'est pas le même que celui qui achève; il dispose seulement, afin qu'un autre
mette la dernière main. Jean avoue lui-même que ce qu'il faisait n'était point
céleste; cela n'appartenait qu'à Jésus-Christ. « Celui qui vient de terre,
disait-il, parle un langage terrestre ; mais celui qui vient d'en haut est
au-dessus de tous. » Enfin il déclare que pour lui il ne donne qu'un baptême de
pénitence ; mais qu'il viendrait bientôt un autre plus grand que lui, qui
baptiserait dans le Saint-Esprit et dans le feu; c'est-à-dire que comme les
vrais fidèles sont purifiés par le baptême d'eau pour leur sanctification, de
même les hypocrites et les infidèles recevront un baptême de feu pour leur
condamnation.
XI. Quelqu'un
dira peut-être : le Seigneur est venu sans qu'il ait néanmoins baptisé ; car
nous lisons, « ce n'était pas cependant Jésus qui baptisait, c'étaient seulement
ses disciples. » Il semble pourtant qu'il avait été prédit par Jean que Jésus
baptiserait lui-même de ses propres mains. Je réponds que les paroles de Jean
doivent être étendues selon une manière de parler assez commune.
On dit,
par exemple, l'empereur a publié un édit ; le gouverneur a fait souffrir la
flagellation à un tel. Est-ce que l'empereur publie lui-même ? est-ce que
le gouverneur donne lui-même les coups ? Le maître est toujours censé
agir, lorsque ses gens exécutent ses ordres. C'est de la même sorte qu'il faut
expliquer ces paroles : Il vous baptisera, c'est-à-dire, vous serez baptisés ou
par lui ou en lui. Quelques autres seront encore surpris que Jésus-Christ ne
baptisât pas lui-même ; mais quel aurait pu être son baptême? Eût-ce été celui
de la pénitence? Qu'aurait-il eu affaire de précurseur? Eût-ce été un
baptême pour la rémission des péchés? mais il ne lui en coûterait qu'un
mot pour les remettre. Eût-ce été un baptême administré en son propre nom?
il prenait trop de soin de se cacher sous le voile de l'humilité. Enfin,
aurait-il baptisé dans le Saint-Esprit? lorsque cet Esprit n'était pas encore
descendu du Père; ou au nom de l'Église? quand les apôtres n'avait pas
encore commencé de la former. C'étaient donc les apôtres qui baptisaient en
qualité de ministres de Jésus, ainsi que son précurseur l'avait fait auparavant;
et ils ne conféraient que le baptême de Jean ; on ne doit pas s'imaginer qu'ils
en donnassent un autre ; car il n'y en a point d'autre que celui que
Jésus-Christ institua ensuite , et qui ne pouvait encore alors être administré
par les disciples, puisque le Seigneur n'était point parvenu au plus haut degré
de sa gloire, et qu'il n'avait pas encore établi l'efficacité du baptême sur sa
passion et sur sa résurrection. Or notre mort ne devait être détruite que par sa
passion, et notre vie rétablie que par sa résurrection.
XII. Nous ne
pouvons ignorer d'ailleurs que nul ne saurait être sauvé sans le baptême ; c'est
le Seigneur qui nous le déclare lui-même par ces paroles : "Nul ne peut obtenir
la vie, s'il ne renaît de l'eau. » Là dessus, certains esprits pointilleux ou
téméraires proposent cette question : S'il est certain que sans le baptême il
n'y a point de salut, comment est-ce que les apôtres ont pu être sauvés ? car
nous ne
trouvons point qu'ils aient été baptisés dans le Seigneur, excepté saint Paul.
De plus, si le seul Paul entre les apôtres a reçu le baptême de Jésus-Christ, il
faut ou que ceux qui n'ont pas reçu ce baptême soient condamnés pour vérifier
l'oracle du Sauveur, ou que cet oracle soit faux, s'ils ont été sauvés sans le
baptême. Dieu m'est témoin que j'ai entendu des gens raisonner de la sorte, et
que je l'affirme, afin qu'on ne me croie pas assez bizarre pour imaginer ou
supposer de gaieté de cœur des difficultés, pour satisfaire une démangeaison
d'écrire, et pour avoir le stérile plaisir d'exciter des scrupules dans les
autres.
Je m'en vais
donc répondre le mieux qu'il me sera possible à ceux qui nient que les apôtres
aient été baptisés. Je dis d'abord: s'il est vrai, comme il paraît
incontestable, que les apôtres avaient reçu le baptême humain de Jean, ils
souhaitaient sans doute de recevoir le céleste baptême de Jésus-Christ, puisque
ce divin Sauveur avait déclaré qu'il n'y a qu'un baptême, lorsqu'il dit à
Pierre, qui se refusait de se laisser laver les pieds : « Celui qui est une fois
sorti du bain » n'a pas besoin d'y rentrer une seconde. Certainement il n'aurait
point parlé de la sorte à un homme qui n'aurait pas été baptisé; et c'est une
nouvelle preuve contre ceux qui prétendent que les apôtres reçurent le baptême
de Jean, afin de pouvoir rejeter le baptême de Jésus-Christ. Est-il croyable que
la voie du Seigneur, c'est-à-dire le baptême de Jean, n'ait pas été préparée à
ceux qui étaient eux-mêmes destinés à montrer la voie du Seigneur à tout
l'univers ? Jésus-Christ, tout impeccable qu'il était a voulu néanmoins être
baptisé, et des pécheurs n'auront pas besoin de l'être ?
Cependant,
répliquera-t-on, n'est-il pas vrai que plusieurs n'ont pas été baptisés ? J'en
conviens, mais ce ne sont pas assurément les disciples de Jésus-Christ : ce sont
tout au plus les ennemis de la foi, entre autres les scribes et les pharisiens ;
d'où je tire cette
conséquence,
que si les adversaires de Jésus-Christ n'ont pas voulu recevoir le baptême, ses
amis l'ont véritablement reçu, pour ne pas imiter la folle sagesse de ses
ennemis. Depuis surtout que Jésus-Christ leur maître eût rendu un si glorieux
témoignage de Jean par ces paroles : « Entre les enfants des femmes, il n'en a
pas paru de plus grand que Jean Baptiste.
Quelques
autres disent que les apôtres furent suffisamment baptisés, lorsque étant dans
la barque ils furent couverts des flots de la mer ; que Pierre lui-même fut
assez plongé lorsqu'il marcha sur les eaux du lac de Génézareth. Pour moi, je
pense au contraire qu'il y a bien de la différence entre être couvert d'eau par
la violence d'une tempête, et être lavé par un acte de religion. Cette barque au
reste n'était qu'une figure de l'Église, qui est agitée dans la mer de ce monde
par des tourmentes continuelles ; c'est-à-dire par les tentations et les
persécutions : tandis que le Seigneur semble dormir tranquillement, jusqu'à ce
que, éveillé enfin par les prières des saints, il apaise les flots du siècle et
calme la crainte des siens.
Enfin, que les
apôtres aient été baptisés d'une manière ou d'une autre, ou qu'ils aient vécu
jusqu'à la fin sans baptême ; il suffit de savoir que c'est nous en particulier
que regarde cet oracle de Jésus-Christ qui nous fait entendre dans la personne
de Pierre qu'il n'y a qu'un baptême. Du reste, c'est témérité que de vouloir
nous ériger en juges du salut des apôtres. Comme si la grâce de leur vocation et
le privilège d'avoir été ensuite les amis inséparables de Jésus-Christ
n'auraient pas pu leur tenir lieu de baptême ; d'autant plus qu'ils étaient les
disciples chéris de celui qui promettait le salut à tous ceux qui croyaient en
lui: « Votre foi, disait-il, vous a guéri. » Et ailleurs "Vos péchés vous sont
remis," disait-il à un autre qui avait la foi, mais qui sans doute n'avait pas
reçu encore le baptême. Si cette grâce de rémission a manqué aux apôtres, je ne
comprends pas comment la foi des autres aura été plus efficace que la leur. L'un
abandonne son bureau des fermes au premier mot que lui dit le Sauveur ; l'autre
renonce à son père, à sa barque et au métier qui le faisait vivre,enfin cet
autre, qui ne retourna pas même ensevelir son père obéit à la voix de
Jésus-Christ avant même qu'il lui eût entendu dire : "Celui qui me préfère son
père ou sa mère n'est pas digne de moi."
XIII.
Quelques-uns, également audacieux et impies, proposent encore plusieurs
questions. Si la foi, disent-ils, suffit, le baptême n'est donc pas nécessaire.
Or Abraham devint agréable à Dieu sans autre sacrement que celui de la foi. Je
réponds: les lois postérieures prévalent à celles qui ont précédé. Supposons
qu'on ait pu être sauvé par la foi seule, avant la passion et la résurrection de
Jésus-Christ; mais quand on nous a imposé une nouvelle obligation de croire en
sa nativité, en sa passion et en sa résurrection, il a été ajouté en même temps
un nouveau sacrement. C'est le baptême, qui est comme le sceau de notre foi, et
comme un ornement dont est revêtue cette vertu, laquelle était autrefois une foi
nue, et ne pouvait rien sans l'observation de la loi. Or la nécessité du baptême
a été imposée, et la forme en a été prescrite. "Allez, dit le Seigneur aux
apôtres, enseignez toutes les nations , baptisez-les au nom du Père, et du Fils,
et du Saint-Esprit." Cette loi est clairement confirmée pat-cet autre arrêt
définitif : « Nul ne peut entrer dans le royaume des cieux s'il ne renaît de
l'eau et du Saint-Esprit. » Paroles qui nous marquent indubitablement la
nécessité du baptême. Depuis cet oracle, tous ceux qui commencèrent d'entrer au
nombre des fidèles furent baptisés. Dès que Paul eut cru, il reçut le baptême.
Le Seigneur le lui avait recommandé dans le temps qu'il le rendit aveugle. «
Levez-vous, lui dit-il, entrez dans Damas et là on vous apprendra ce que vous
devez faire.»
c'est-à-dire
que vous devez recevoir le baptême. C'était la seule chose qui manquait à Paul ;
car du reste il avait assez appris et suffisamment cru que Jésus de Nazareth
était le fils de Dieu.
XIV. A propos
de l'apôtre saint Paul, on propose de nouvelles difficultés sur ce qu'il dit: «
Le Seigneur ne m'a pas envoyé pour baptiser. » Peut-on s'imaginer que l'Apôtre
parlant de la sorte prétendit détruire le baptême ? et ne baptisa-t-il
pas lui-même Caïus, Crispus et toute la famille d'Êtienne? D'ailleurs, quand
Jésus-Christ n'aurait pas envoyé Paul pour baptiser, ne savons-nous pas qu'il
avait commandé aux autres apôtres de le faire? Enfin saint Paul n'écrivait de la
sorte aux Corinthiens que par rapport à ce qui se passait alors parmi eux. On
lui avait appris qu'ils en étaient venus à des schismes et à des divisions : "Je
suis à Paul," disait l'un ; "je suis à Apollo," disait l'autre. C'est pour cela
que cet apôtre, amateur de la paix, pour ne point paraître partisan des uns
plutôt que des autres, dit qu'il n'a point été envoyé pour baptiser, mais pour
prêcher ; car il faut commencer par prêcher et ensuite baptiser. Or, celui qui a
eu le pouvoir de prêcher a pu aussi baptiser.
XV. Je ne sais
si l'on attaque le baptême par d'autres sophismes également frivoles. Quoi qu'il
en soit, je vais reprendre ce que j'avais omis ci-devant, pour ne pas laisser
les principales questions indécises. Il n'y a qu'un seul baptême ; comme nous
l'apprenons par l'Évangile de Jésus-Christ et par les épîtres de l'Apôtre : « Un
seul Dieu, un seul baptême, une seule Église. » Cet unique et véritable baptême
se trouve seulement parmi nous; mais pour ce qui regarde les hérétiques, il faut
examiner ce qu'on doit observer avec eux : la chose est de notre compétence. Or
les hérétiques n'ont point de part à notre discipline ; dès qu'ils sont séparés
de notre communion, nous devons les regarder comme des étrangers. Je ne dois
point reconnaître en eux ce qui n'appartient qu'à moi, parce qu'ils n'ont pas
le même Dieu et le même Christ que nous; par conséquent l'unité du baptême n'est
point chez eux, puisque leur baptême n'est pas le même que le nôtre. Ne l'ayant
donc pas tel qu'il faut, c'est comme s'ils n'en avaient aucun ; ainsi ils ne
peuvent le donner, puisqu'ils ne l'ont point. Mais nous avons déjà traité cette
matière fort au long dans le livre que nous avons écrit en grec là dessus. Nous
ne recevons donc qu'une fois le baptême; nos péchés n'y sont lavés qu'une fois,
pour nous faire comprendre que nous ne devons point les commettre de nouveau. Le
peuple juif se lave tous les jours, parce que tous les jours il contracte
quelque souillure. Pour prévenir le besoin d'une semblable purification, il nous
a été déclaré qu'il n'y a qu'un seul baptême. Heureuse eau, qui lave une fois,
qui est si salutaire aux pécheurs et qui met ceux qu'elle a une fois lavés en
état de ne plus contracter de nouvelles taches !
XVI. Il est
vrai que nous avons un second baptême , qui est le baptême de sang, mais qui est
aussi unique. C'est de ce baptême que parlait Jésus-Christ lorsqu'il disait :
"J'ai à être baptisé d'un baptême,"
quoiqu'il eût été déjà baptisé, car il était venu par l'eau et le sang,
comme écrit saint Jean, afin qu'il fût lavé par l'eau et glorifié par le sang.
C'est pour cela aussi que voulant nous appeler par l'eau et faire des élus par
le sang, il fit rejaillir de la plaie de son côté ces deux baptêmes ; parce que
ceux qui devaient croire en son sang devaient être purifiés par l'eau, et ceux
qui seraient purifiés par l'eau devaient aussi boire son sang. C'est enfin ce
baptême qui supplée au défaut du baptême d'eau, et qui en répare le défaut quand
on a eu le malheur de perdre l'effet du baptême.
XVII. Pour
finir ce petit traité il reste à parler de la discipline qu'il faut observer
dans l'administration du baptême. Le droit d'administrer ce sacrement appartient
d'abord au grand-prêtre, qui est l'évêque. Les prêtres et les
diacres le
peuvent aussi conférer ; mais non sans permission de l'évêque, pour respecter
l'Église dans son chef et pour y maintenir la paix par cette subordination. Du
reste les laïques ont aussi quelquefois le pouvoir d'administrer le baptême.
Ainsi lorsqu'il ne se trouve ni évêque, ni prêtre, ni diacre, nul ne doit
receler le don du Seigneur. Par conséquent le baptême étant un des biens que
Dieu distribue aux hommes sans exception, tous peuvent aussi le communiquer.
Cependant les laïques doivent toujours se souvenir de la modestie et du respect
qu'ils doivent exactement garder envers leurs supérieurs, en qui réside
principalement ce pouvoir. Qu'ils prennent donc garde de ne pas s'attribuer un
office qui n'appartient qu'à l'évêque. L'émulation est la mère des schismes. Le
très saint apôtre a dit que "tout était permis; mais que tout n'était pas
expédient". Qu'il suffise donc à un laïque d'user de ce pouvoir dans les cas
seulement de nécessité, c'est-à-dire lorsqu'il y sera obligé, eu égard aux
circonstances du lieu, du temps et de la personne; car alors la conjoncture du
péril où se trouve l'un excuse suffisamment l'office secourable de l'autre. On
se rendrait autrement coupable de la perte d'une âme, si on refusait de lui
accorder ce qu'on a pu lui donner.
Au reste,
l'insolence de certaines femmes qui ont usurpé le droit d'enseigner les
portera-t-elle à s'arroger encore celui de baptiser ? J'ai de la peine à le
croire, à moins qu'il ne paraisse quelque nouveau monstre aussi hardi que le
premier. Que si quelques-unes de ces femmes téméraires, qui lisent sans aucun
discernement les écrits de saint Paul, osent justifier leur prétention par
l'exemple de Thècle, à laquelle, dit-on, cet apôtre donna le pouvoir d'enseigner
et de baptiser, qu'elles sachent que le livre duquel elles s'autorisent n'est
point de saint Paul, mais d'un prêtre d'Asie, qui le composa sous le nom de
saint Paul, quoique tissu de ses propres rêveries. Ce prêtre, ayant été ensuite
convaincu par sa confession même qu'il
avait composé
cet ouvrage, fut chassé et déposé. En effet, y a-t-il la moindre apparence que
saint Paul accorde aux femmes le pouvoir d'enseigner et de baptiser, lui qui
leur donne à peine la permission de se faire instruire publiquement? "Que les
femmes se taisent, dit-il; et si elles ont quelque difficulté, qu'elles
consultent en particulier leurs maris."
XVIII. Du
reste ceux qui sont obligés par office d'administrer le baptême n'ignorent pas
qu'il ne faut point le conférer sans de grandes précautions. Ces paroles, «
donnez à quiconque vous demande, » ont leur restriction, comme le devoir de
faire l'aumône. Ou plutôt il faut se souvenir de ces autres paroles : « Ne
donnez point aux chiens ce qui est saint, et ne jetez point vos perles devant
les pourceaux. » Et ailleurs: "N'imposez pas facilement les mains, de peur que
vous ne vous chargiez de la faute d'autrui." Philippe, dites-vous,
conféra d'abord le baptême à l'eunuque : mais faisons réflexion qu'il intervint
en cela un ordre exprès et manifeste du Seigneur ; car l'esprit saint avait
commandé à Philippe de prendre un certain chemin ; et l'eunuque lui-même, pour
ne pas perdre le temps, était occupé de la lecture sainte des prophètes, sans
penser alors à demander le baptême. Il pensait seulement à aller faire sa prière
dans le temple de Jérusalem, et en chemin faisant il lisait les saintes
Écritures. C'est dans des dispositions si religieuses que le diacre Philippe
devait trouver celui vers lequel Dieu l'avait envoyé. Il reçoit ordre de se
joindre au char du ministre de la reine de Candace ; il trouve en lui un
commencement de foi, au moyen de la lecture des livres divins. L'eunuque se rend
aux instructions du nouvel apôtre ; le Seigneur se découvre à lui ; sa foi se
ranime et ne peut souffrir de retard : l'eau se trouve à propos. Dès que le
baptême est fait, l'envoyé de Dieu pour baptiser est aussitôt enlevé
miraculeusement. Paul fut aussi baptisé sans délai j'en conviens ; mais Jude
son
hôte avait appris d'abord que Paul était destiné pour être un vaisseau
d'élection. La bonté spéciale de Dieu se fait distinguer par certains
privilèges. Au reste, eu égard à l'état, à la disposition et à l'âge, il est
plus expédient de différer le baptême que de le donner d'abord surtout aux
petits enfants; car pourquoi, s'il n'y a pas de nécessité pressante, exposer les
parrains à un très grand péril ? Ceux-ci peuvent mourir, par conséquent ils ne
peuvent acquitter leurs promesses ; s'ils vivent, le mauvais naturel des enfants
peut tromper leurs espérances.
Il est vrai
que notre Seigneur a dit au sujet des enfants : "Ne les empêchez pas de venir à
moi." Qu'ils viennent donc lorsqu'ils seront plus avancés en âge ; qu'ils
viennent lorsqu'ils seront en état d'être instruits, afin qu'ils connaissent
leurs engagements. Qu'ils commencent par savoir Jésus-Christ, avant que de
devenir chrétiens. Pourquoi tant presser de recourir à la rémission des péchés
un âge encore innocent? Les hommes du siècle en usent avec plus de précaution ;
ils n'osent confier l'administration des biens terrestres à des enfants auxquels
cependant on se hâte de distribuer les biens du ciel. Que les enfants apprennent
donc à demander le salut, afin qu'il paraisse qu'on n'accorde qu'à ceux qui
demandent. Il n'y a pas moins de raison de différer les adultes qui ne sont
point encore mariés, parce que dans cette situation ils sont trop exposés à des
tentations violentes : les garçons et les filles, à cause de la maturité de leur
âge, et les veuves, à cause de leur dissipation au dehors. Qu'ils attendent donc
les uns et les autres jusqu'à ce qu'ils soient mariés, ou qu'ils soient bien
affermis dans la continence. Si l'on comprend bien les obligations importantes
que l'on contracte par le baptême, on craindra plus de le recevoir que de le
différer. La foi parfaite n'a rien à craindre pour le salut.
XIX. Le jour
solennel du baptême est le jour de Pâques, lorsque le temps de la passion de
notre Seigneur,
dans laquelle
nous sommes baptisés, est accompli. On peut même regarder comme une figure du
baptême l'ordre que Jésus-Christ donna à ses disciples pour la préparation de la
Pâque. "Vous trouverez, leur dit-il, un homme portant une cruche d'eau." Il leur
indiqua l'eau, pour marque du lieu où ils devaient célébrer la Pâque. Un autre
jour solennel du baptême est la Pentecôte, lorsqu'il s'est passé un assez long
intervalle de temps pour disposer et instruire ceux qui doivent être baptisés.
C'est durant cet intervalle que Jésus manifesta souvent sa résurrection à ses
disciples, qu'il leur promit le Saint-Esprit, et qu'il les assura de revenir une
seconde fois, lorsque étant monté aux cieux les anges dirent aux apôtres : "Vous
le verrez revenir comme vous l'avez vu remonter dans le ciel".
On ne peut douter que cette promesse n'ait été accomplie le jour de la
Pentecôte. D'ailleurs, quand le prophète Jérémie dit : « Je les rassemblerai des
extrémités de la terre » au jour de la fête, il parle sans doute de la Pâque et
de la Pentecôte, l'une et l'autre étant spécialement la grande fête. Du reste,
tout jour est le jour du Seigneur ; tout temps, toute heure est propre à
conférer le baptême. Quelque égard qu'il faille avoir à la solennité, peu
importe pour la grâce du sacrement.
XX. Ceux qui
aspirent au baptême doivent s'y disposer par de fréquentes prières, par des
jeûnes, par des génuflexions, par des veilles, et par la confession de tous
leurs péchés passés, afin qu'ils représentent aussi le baptême de Jean Baptiste.
« En confessant leurs péchés, dit l'Écriture, ils recevaient de lui le baptême.
» Pour nous, nous avons un très-grand avantage de ne pas confesser publiquement
comme eux nos iniquités et nos désordres. Par la mortification de l'esprit et du
corps, nous satisfaisons pour nos fautes passées, et en même temps nous nous
prémunissons contre les tentations à venir. "Veillez et priez, dit le Seigneur,
afin que vous ne tombiez pas dans la tentation." La cause, si je ne me trompe,
pourquoi les apôtres y tombèrent, c'est parce qu'ils se laissèrent aller au
sommeil; d'où il arriva qu'ils abandonnèrent leur maître dès qu'ils le virent
arrêté par ses ennemis. Celui-là même qui eut d'abord le courage de le suivre et
de mettre l'épée à la main pour le secourir eut ensuite la faiblesse de le
renier. Il avait été dit auparavant que nul ne peut acquérir le royaume des
cieux, s'il n'a été prouvé par la tentation. Le Seigneur lui-même voulut bien
après son baptême être tenté en différentes manières, au bout de son jeûne de
quarante jours.
Si cela est,
dira quelqu'un, nous devons aussi jeûner après le baptême plutôt qu'auparavant.
Et qui est-ce qui le défend, si ce n'est l'obligation où se trouvent les
nouveaux baptisés de passer le temps pascal au milieu de la joie spirituelle et
des solennelles actions de grâces dues à Dieu, qui les a fait heureusement
entrer dans la voie du salut? D'ailleurs le Seigneur, ce semble, nous reproche
notre intempérance dans la personne des Israélites. Ce peuple, après avoir
miraculeusement traversé la mer, après avoir été conduit dans le désert, et y
avoir été nourri durant quarante ans d'une viande céleste, pensait plutôt à sa
bouche qu'il ne se souvenait de Dieu. De plus, Jésus-Christ s'étant retiré dans
le désert après son baptême, après y avoir accompli son jeûne de quarante jours,
nous fait assez clairement entendre que l'homme ne se nourrit pas seulement de
pain mais de la parole de Dieu ; et que l'abstinence est un moyen assuré de
rendre inutiles les tentations de la gourmandise et de l'intempérance.
C'est
pourquoi, heureux néophytes que la grâce de Dieu a appelés et entendus avec tant
de bonté, dès que vous commencez à sortir de ce bain sacré où vous recevez une
nouvelle régénération, et à être unis avec vos frères dans le sein de l'Eglise
votre mère, demandez au Père céleste, demandez au Seigneur des biens sacrés, des
grâces surnaturelles, des dons du Saint-Esprit. "Demandez, dit Jésus-Christ, et
vous recevrez." Vous avez cherché
jusqu'à cette
heure, et vous avez trouvé ; vous avez heurté, et l'on vous a ouvert. La grâce
que je vous demande à mon tour, c'est que, dans vos prières, vous vous souveniez
de Tertullien le pécheur.
http://jesusmarie.free.fr/ |