3
Bernard de
Clairvaux
[1] (1090-1153)
Le Cœur de Jésus,
c’est le Cœur du Père
Le Père chérit le Fils d’un amour
tout particulier: souverain. Il aime son égal ; éternel, son coéternel ; unique,
son Fils unique.
Celui qui deviendra Saint
Bernard de Clairvaux est
né en 1090, à Fontaine-les-Dijon, d’une famille noble, riche et puissante. Il
fait des études très poussées pour l’époque. Il pourrait être chevalier, ou
maître des écoles
urbaines. Mais Bernard veut trouver Dieu dans le silence.
L’abbaye bénédictine de Cluny est trop riche et trop puissante. Bernard
recherche un monastère pauvre qui applique la règle bénédictine dans sa pureté
primitive. Avec son oncle, ses cinq frères et plusieurs amis, en 1112, Bernard
se présente à Cîteaux, jeune abbaye cistercienne où les règles monastiques sont
appliquées dans toute leur rigueur. Trois ans plus tard, l’abbé de Cîteaux
demande à Bernard, âgé de vingt cinq ans, de partir avec douze autres moines,
pour créer une nouvelle abbaye à Clairvaux. Il est alors ordonné prêtre et
investi de sa charge d’abbé par l’évêque de Châlons-sur-Marne.
Bernard avait choisi la vie
cistercienne pour trouver Dieu dans la solitude. En fait il sera constamment
obligé de quitter sa chère solitude pour intervenir dans les nombreuses affaires
de son époque: schisme entre Innocent II et Anaclet, Concile de Sens en 1140, et
les nombreux prêches pour lancer les croisades ou lutter contre les hérétiques,
dont les Cathares. Sans compter ses interventions auprès des politiques: Comte
de Champagne, Louis VI et Louis VII, ou l’arbitrage des conflits entre
Clunisiens et Cisterciens, etc... Vers la fin de sa vie il interviendra en
faveur des juifs allemands victimes de pogroms. Les juifs, très sensibles à
l’intervention de Bernard lui en seront longuement reconnaissants.
Cette vie débordante d’activités ne
l’empêcha pas de laisser une œuvre écrite considérable dont de nombreux
ouvrages mystiques, les plus connus étant le traité de l’Amour de Dieu et le
Commentaire du Cantique des cantiques. Ce poème d’amour permit à
Bernard de Clairvaux de présenter, et d’expliquer, en quatre vingt six sermons, la
rencontre entre Dieu et l’homme.
Saint Bernard revint à Clairvaux en
1148, après l’échec de la croisade voulue par le roi Louis VII. Sa santé,
longtemps mise à rude épreuve, était de plus en plus mauvaise. Il a connu
l’expérience de l’extase et est prêt à rejoindre l’Époux, ce qu’il fera le 20
août 1153, à l’âge de soixante trois ans.
La raison pour laquelle on aime
Dieu, c’est Dieu lui-même, et la mesure d’aimer Dieu, c’est de l’aimer sans
mesure.
Pour découvrir l’Amour de Dieu
contenu dans son Cœur, tel que l’a découvert Saint Bernard, nous nous
inspirerons d’abord de son Traité de l’Amour de Dieu, puis nous puiserons
largement dans les Sermons consacrés au Cantique des cantiques.
Le traité de l’Amour de Dieu traite
de considérations d’ordre général sur l’amour de Dieu pour les hommes, et sur la
nécessité, pour les hommes, d’aimer Dieu en retour. Comme son nom l’indique, le
Traité de l’Amour de Dieu ne traite que de l’Amour de Dieu, considéré dans ses
manifestations extérieures, car le moment n’était pas encore venu de parler
explicitement du Cœur de Dieu, et plus particulièrement du Cœur de Jésus. Seules
quelques phrases disséminées dans l’ouvrage permettent de détecter la richesse
du Cœur de Dieu.
Saint Bernard a rédigé quatre vingt
six sermons sur le Cantique des cantiques. L’ensemble constitue un énorme
ouvrage qui, à propos des mots ou des idées abordées dans ce chant d’amour,
traite de nombreux sujets liés, d’abord à la vie monastique et à la vie
mystique, mais également à la vie chrétienne, à l’Évangile, à la vie de tous les
jours ou à la vie spirituelle, en fonction des besoins ou des circonstances.
Pourtant le fil conducteur c’est essentiellement l’Amour du Père pour le Fils,
et l’Amour du Fils pour le Père. “Le Père et Moi, nous sommes UN,” avait dit
Jésus.
Avec Saint Bernard, nous
contemplerons longuement l’Amour de Dieu pour nous, en nous attardant cependant
davantage sur tout ce qui nous fera découvrir les richesses insondables de Dieu
enfermées dans son Cœur, son Cœur de Dieu.
Il a été dit ci-dessus: “Cœur de
Dieu” car, le plus souvent, Saint Bernard parle de Dieu dans son aspect général,
sans faire de distinction entre le Cœur de Jésus, le Fils, et le Cœur du Père.
Dieu, il faut L’aimer, et “la raison pour laquelle on aime Dieu, c’est Dieu
Lui-même; et la mesure de cet amour, c’est de L’aimer sans mesure.” Quant à
l’amour de Dieu, c’est le sujet le plus doux à méditer, le moins périlleux à
traiter, et pour les auditeurs, le plus utile.”
“La raison pour laquelle on aime Dieu, c’est Dieu Lui-même ; et la mesure de cet
amour, c’est de L’aimer sans mesure. Quant à l’amour de Dieu, c’est le sujet le
plus doux à méditer, le moins périlleux à traiter, et pour les auditeurs, le
plus utile.”
Ces deux phrases sont particulièrement claires et sans équivoque: “Étant donné ce
qu’est Dieu, que pouvait-Il nous donner de meilleur que Lui-même ?... Il nous a
aimés le premier: Il est donc digne d’être aimé en retour, surtout si l’on
comprend bien qui est Celui qui aime, qui sont ceux qu’Il aime et combien Il les
aime... Dieu nous prévient par sa bonté, se fait aimer en retour par sa justice,
et rien n’est plus doux que de l’attendre. Dieu a aimé ses ennemis (c’est-à-dire
nous tous) et les a aimés gratuitement... et Dieu a de quoi confondre
l’ingratitude des infidèles en invoquant le nombre infini de ses bienfaits dont
l’homme fait un constant usage: les aliments, la lumière, l’air, etc.”
Et les fidèles ? “Eux, savent quel immense besoin ils ont de Jésus, et de Jésus
crucifié... ils sont confus de ne pas offrir au moins, en retour d’un si grand
amour et de tant de bonté, le peu qu’ils ont... L’Église sent la morsure de
l’aiguillon d’amour lorsqu’elle s’écrie: “Je suis blessée d’amour,” et encore
“Soutenez-moi avec des fleurs, environnez-moi de fruits, car l’amour me fait
languir.” L’Église, en effet, sait que le Christ, mort pour expier nos péchés,
est ressuscité pour nous justifier... Sa mort témoigne de sa miséricorde.
L’Église “voit le Fils unique du Père portant sa Croix; elle voit le Dieu de
majesté couvert de plaies et souillé de crachats, l’auteur de la Vie et de la
Gloire cloué au bois, percé d’un coup de lance, saturé d’opprobres, et qui donne
enfin pour ses amis son âme tant aimée. Elle voit tout cela, et le glaive de
l’Amour lui transperce le cœur si profondément qu’elle s’écrie: soutenez-moi
avec des fleurs, environnez-moi de fruits car je me meurs d’amour...”
Dieu s’est donné à nous et Il sera Lui-même notre récompense: “Il est la
nourriture servie aux âmes saintes, la victime livrée pour le rachat des âmes
captives. Le Seigneur est bon pour quiconque est en quête de Lui, et le sera
bien davantage pour celui qui Le trouve. Mais il y a ceci d’admirable que nul ne
peut Le chercher qui ne L’ait d’abord trouvé.”
Dieu s’est donné à nous et Il sera Lui-même notre récompense: “Il est la
nourriture servie aux âmes saintes, la victime livrée pour le rachat des âmes
captives. Le Seigneur est bon pour quiconque est en quête de Lui, et le sera
bien davantage pour celui qui Le trouve. Mais il y a ceci d’admirable que nul ne
peut Le chercher qui ne L’ait d’abord trouvé.” Dieu s’est donné à nous. Il nous
aime et Il veut que nous, qui l’aimons, nous l’aimions d’un amour pur et
désintéressé, en pensant à Jésus-Christ: “Celui qui aime Jésus ne cherche pas son
avantage, mais celui de Jésus-Christ, comme Jésus-Christ n’a pas songé à ses
intérêts, mais aux nôtres, ou plutôt à nous-mêmes.”
L’Époux céleste prend plaisir aux dons de l’Église, à ses fleurs et à ses fruits
et : “séduit par ces doux parfums, entre fréquemment et avec joie dans le lit
nuptial d’un cœur qu’il trouve rempli de ces fruits et jonché de ces fleurs. Il
accourt avec empressement et réside avec délices en un lieu où la grâce de sa
Passion et la Gloire de sa Résurrection sont l’objet d’une constante
méditation.”
Le Cœur de Jésus et le
Cœur du Père
Le Fils est dans le Père comme le
Père est dans le Fils :
leur unité est donc sans faille, et ils sont vraiment
deux en un...
Entre le Père et le Fils, la
nature, l’essence, la volonté, ne sont pas simplement accordées :
elles ne font
qu’un.
La fraîcheur nouvelle des fleurs et
des fruits offerts par l’Église réjouissent “le Père dans son Fils, auteur de
ces miracles et Il s’écrie: voici que l’odeur de mon Fils est semblable à celle
d’un champ fertile.” Dieu nous a aimés d’un Amour infini et gratuit.
“C’est
l’immensité qui aime, et l’éternité, et la charité suréminente de la science.
C’est Dieu qui aime, Lui dont la grandeur n’a pas de fin, dont la sagesse est
sans limite, dont la paix surpasse toute intelligence.”
[3]
“Qu’Il me baise d’un baiser de sa
bouche.” est-il dit dès le début du Cantique des cantiques. Ce baiser, c’est le
Verbe qui le reçoit du Père : “Un seul a reçu le baiser par lequel la plénitude
divine fut corporellement insinuée dans la chair. Heureux baiser, baiser qui fut
le plus généreux des dons, puisque ce n’est pas une bouche qui se posa sur une
autre bouche, mais Dieu Lui-même qui s’unit à l’homme... C’est la paix conclue
entre la terre et le Ciel. Car Il est notre paix, Lui qui a réuni toutes choses
en une... Les plaintes de nos ancêtres exigeaient le saint baiser, c’est-à-dire
la mystérieuse Incarnation du Verbe.” (2e Sermon)
L’Amour du Père et du Fils, nous le
trouvons dans l’Évangile de Saint Matthieu (XI, 27) “Nul ne connaît le Fils
sinon le Père; et nul ne connaît le Père sinon le Fils ou celui à qui le Fils
l’aura révélé.” Car, dit Saint Bernard, “le Père chérit le Fils d’un amour tout
particulier: souverain, Il aime son égal; éternel, son coéternel; unique, son
Fils unique. Mais Il est aimé par son Fils d’un amour qui n’est pas moindre,
puisque le Fils meurt par amour du Père ainsi qu’Il l’atteste Lui-même: afin que
le monde sache que J’aime mon Père... (Jean XIV, 31) Cette connaissance mutuelle
du Père et du Fils, cet amour réciproque, n’est pas autre chose que le baiser le
plus doux, mais aussi le plus secret... C’est pourquoi le Père baisant le Fils,
lui communique, dans leur plénitude, les mystères de sa divinité et lui insuffle
la douceur de son amour... Mais à cet embrassement éternel et d’une
extraordinaire félicité, aucune créature ne peut assister.” (8e
Sermon)
“Il n’est qu’un seul témoin de tant
d’amour mutuel et d’une si parfaite connaissance, c’est le Saint-Esprit qui
procède de l’un et de l’autre... On ne connaît ni le Père sans le Fils, ni le
Fils sans le Père... La connaissance du Saint-Esprit est évidemment nécessaire;
mais quand on connaît parfaitement le Père et le Fils, comment ignorerait-on la
bonté de l’un et de l’autre, cette bonté qui est justement le Saint-Esprit... la
bonne volonté du Père envoyant son Fils, et la bonne volonté du Fils qui lui
obéit, cette générosité du Père et du Fils, cet amour, cette bonté de l’un et
de l’autre, c’est le Saint-Esprit lui-même.” (8e Sermon)
Par ailleurs Jésus affirme, parlant
de la vie éternelle : “La vie éternelle, c’est de Te connaître, Toi qui es le
vrai Dieu, et de connaître Jésus-Christ que Tu as envoyé.” Ceux qui connaissent
le Père et le Fils et suivent l’Agneau portent gravés sur leurs fronts son Nom
et le Nom de son Père: “le Fils se révèle à qui Il veut, et de même, Il révèle
le Père. Mais Il le fait par un baiser, c’est-à-dire par le Saint-Esprit.” (8e
Sermon)
Le 8ème Sermon est d’une
extraordinaire richesse concernant la connaissance de l’Amour qui lie le Père et
le Fils. “C’est là, dit Saint Bernard, le baiser pris de bouche à bouche...
L’existence du Fils dans le Père et du Père dans le Fils, tel est le baiser de
la bouche.”
Saint Bernard va plus loin :
“Quelle
âme, parmi vous, a entendu parfois, dans le secret de sa conscience, l’Esprit du
Fils appelant: Abba, Père ? Cette âme-là, qu’elle ose se dire aimée de l’amour
paternel, puisqu’elle est touchée du même Esprit que le Fils... Dans l’esprit du
Fils, elle peut se considérer comme la fille du Père, comme l’épouse ou la soeur
du Fils...”
En effet, comme il est dit dans le
Cantique des cantiques : “Je suis venu de mon jardin, ma sœur, mon épouse.”
“Elle
est sa sœur puisqu’ils ont le même Père ; son épouse puisqu’ils sont du même
Esprit.” (8e Sermon)
Le Cœur de Jésus, c’est le Cœur du
Père, contenu dans le baiser: “Le Père donne et le Fils reçoit le baiser, ce
baiser qui est le Saint-Esprit lui-même, c’est-à-dire celui qui est entre le
Père et le Fils la paix inaltérable, le ciment solide, l’amour indivis, l’unité
inséparable... Cette révélation qui se fait par le Saint-Esprit ne nous
communique pas seulement la lumière de la connaissance, elle nous donne en même
temps le feu de l’amour.” (8e Sermon)
“Le Fils est dans le Père comme le
Père est dans le Fils : leur unité est donc sans faille, et ils sont vraiment
deux en un... Entre le Père et le Fils, la nature, l’essence, la volonté, ne
sont pas simplement accordées: elles ne font qu’un. Leur nature est identique à
leur être, et leur volonté est leur essence même ou leur nature... Leur unité
n’est pas obtenue, elle est native. D’une manière non seulement ineffable, mais
incompréhensible, le Père et le Fils sont l’un en l’autre, chacun contenant
l’autre et contenu par lui... ils se contiennent mutuellement, sans
participation... Oui, le Père est dans le Fils où il s’est toujours plu à
résider; et le Fils est dans le Père par qui il ne cesse d’être engendré, sans
jamais en être séparé... Le Père et le Fils ne font qu’un parce que leur essence
est la même... Ils ne font qu’un seul Dieu, ou un seul Seigneur... Il n’existe
qu’une essence, qu’une volonté.” (71e
Sermon)
On le voit, dans ses œuvres
mystiques, Saint Bernard insiste beaucoup sur l’unicité et l’égalité du Père et
du Fils: ils sont un seul et même Dieu. Curieusement Sainte Trinité est peu
souvent nommée. Pourtant l’Esprit-Saint, qui est l’Amour du Père et du Fils, est
constamment présent, mais implicitement, d’une manière voilée. Ce n’est
qu’incidemment qu’il est nommé: “L’Esprit de l’Époux insuffla aux esprits des
hommes un je ne sais quoi qui les prépara à recevoir l’Évangile de paix.” (78e
Sermon)
Ou encore, à propos de la Vierge
Marie : “Marie fut trouvée enceinte par le fait du Saint-esprit. Je pense que
sur ce point il y a une ressemblance entre l’épouse du Seigneur (celle du
Cantique) et sa Mère. Si l’épouse n’avait été trouvée enceinte du fait du
Saint-Esprit, elle n’eût pas osé s’enquérir aussi familièrement de Celui dont il
est l’Esprit.” (78e Sermon)
La grâce et la miséricorde de Dieu
sont sur les saints : “Dieu le Père a donné à son Fils le pouvoir de juger, non
parce qu’il est son Fils, mais parce qu’il est le Fils de l’homme. Vrai Père des
miséricordes, il a voulu que les hommes fussent jugés par un homme... La nature
du Seigneur exclut toute infériorité, tandis que l’abaissement s’explique: il
s’est abaissé parce qu’il l’a voulu, et pour répondre à nos besoins, par
compassion...” (73e Sermon) Mais l’Époux, le Verbe, assis à la droite
du Père, est l’égal du Père, puisque de condition divine: “C’est là que doit
résider le Fils unique, désormais à l’abri de tous les outrages. Il ne sera pas
au-dessous du Père, mais à ses côtés... Car le Fils n’est ni inférieur au Père,
ni venu après lui.... Le Fils glorifie le Père comme le Père glorifie le Fils...
Le Fils a reçu de son Père une gloire sans pareille, même au Ciel...” (76e
Sermon)
Parlant à l’Époux, Saint Bernard
interprète les sentiments de l’épouse bien-aimée: “Elle a raison de vouloir être
entraînée, car personne ne vient à ton Père si Lui-même ne l’attire. Or, ceux
que ton Père attire, tu les attires aussi, car les œuvres que fait le Père, le
Fils les fait pareillement.” (21e Sermon)
Le Cœur du Père
Une remarque s’impose : dans tout ce
qui suit, présenté par Saint Bernard, “le Père et le Fils sont constamment
mêlés, voire confondus. Véritablement, ils ne font qu’UN”.

Commençons par la prière que Saint
Bernard adresse au Seigneur : “Tu es bon, Seigneur, pour l’âme qui est en quête
de toi. Tu viens à elle, tu l’étreins, tu te comportes en Époux, Toi qui es
pourtant son Seigneur, notre Dieu, béni dans les siècles des siècles.” (69e
Sermon)
L’Amour de Dieu pour nous est
extraordinaire : “Il nous a aimés lorsque nous n’existions pas encore, et, de
plus il nous a aimés lorsque nous Lui résistions... Nous avons été réconciliés
avec Dieu par le sang de son Fils...” (20e Sermon) Car,
“le Pasteur de
toute créature s’est anéanti pour nous. Il est devenu “le Bien-Aimé de l’épouse
à cause de la ressemblance de leur condition, mais aussi à cause de sa vérité,
de sa justice, de sa bonté... Il a accompli les promesses, remis les péchés et
condamné les démons.” (70e Sermon) Et encore:
“La Parole de Dieu est
Vérité; elle est l’Époux lui-même... et l’Époux reçoit, dans son corps qui est
l’Église, les pécheurs repentants, et, pour se les incorporer, il s’est fait
pécheur sans commettre le péché, afin que fût détruit le corps du péché.” (71e
Sermon)
Dieu aime chaque âme
individuellement : “Le Verbe a tant de bonté, le Père du Verbe tant de
bienveillance pour une âme à la fois sensible au bien et intérieurement ordonnée
(ce qui est déjà en soi un présent du Père et une opération de Verbe), qu’après
l’avoir prévenue et préparée ils la favorisent de leur présence. Non contents de
venir la visiter, ils établissent en elle leur demeure... ils s’offrent sans
réserve. La venue du Verbe dans une âme, c’est l’initiation à la sagesse; et la
venue du Père, c’est l’éveil de l’amour de la sagesse, si bien que la venue du
Père se reconnaît à l’infusion de l’amour... L’amour de l’âme est réellement
créé par l’Amour divin, et l’attention que l’Époux lui prête devance l’attention
qu’elle rend à l’Époux... Sans amour, toute science ne serait qu’enflure; et
sans science, l’amour serait égarement.” (69e Sermon)
Aussi ne convient-il pas que l’épouse
cède à l’orgueil, sinon le Père ne tarderait pas à l’humilier. “Car le Père aime
son Fils, et lorsqu’il voit l’orgueil dresser une âme contre la science du
Verbe, il s’empresse, ou de la ramener à la modestie, ou d’abattre sa jactance
en la frappant... Car tout orgueil est brisé par le Père qui soutient la cause
de son Fils... Nul n’est semblable à Dieu, sinon celui qui est la splendide
image de son essence, le Fils du Très-Haut, qui peut seul, sans abus, se dire
l’égal de Dieu. Il ne fait qu’un avec le Père, il est assis à sa droite et non
sous ses pieds.” (69e Sermon)
“Pour moi, dit Saint Bernard,
je
souhaite que sa douceur et non sa souveraine vengeance m’apprenne l’humilité...
Pour échapper à sa fureur, je chercherai refuge dans son Amour qui est une
flamme douce et qui expie avec efficacité. Car la charité est une puissance
expiatrice... La charité appartient éminemment au Père, et c’est pourquoi il ne
s’appelle pas seulement le Père du Verbe, mais aussi le Père des miséricordes :
il est dans son essence de compatir et de pardonner... Si je sens s’insinuer en
moi comme une secrète ondée d’amour et une piété à la fois humble et délicieuse,
si en même temps l’amour de la vérité découverte m’inspire irrésistiblement
l’horreur et le mépris de la vanité pour m’interdire de tirer orgueil de mon
savoir,.. je comprendrai qu’on agit paternellement avec moi et je n’hésiterai
pas à dire que le Père est présent... Et si je persévère dans la mesure de mes
forces à répondre à ces grâces...alors le Père et le Verbe s’établiront à
demeure en moi, l’un pour nourrir mon âme, l’autre pour instruire mon esprit...”
(69e Sermon)
Alors qu’il pleurait la mort de son
frère, Saint Bernard eut des paroles sublimes sur le Cœur du Père : “Que Dieu
est bon d’avoir voulu être le Père des hommes ! Et que les hommes sont heureux
d’être les fils et les héritiers de Dieu! Car, étant ses enfants, ils ont part à
son héritage. Ainsi chantait celui que nous pleurons, et j’avoue qu’il
transforme presque mon deuil en allégresse...” Pourtant, pleurer n’est pas un
mal, mais le signe de notre condition et de notre foi débile. Le Seigneur aussi
a pleuré. “Si je pleure sous le coup reçu, dit St Bernard, je n’accuse pas pour
autant la main d’où il est parti ; j’implore sa pitié et je cherche à fléchir sa
sévérité.” (26e Sermon)
L’âme qui souffre se tourne vers le
Seigneur : “Tournée vers le Seigneur elle sera consolée parce qu’Il est le Père
des miséricordes et le Dieu de toute consolation... Ce n’est pas une médiocre
expérience que de voir Dieu bon et accessible à nos prières, comme Il l’est en
vérité dans sa grande compassion toujours prêt à renoncer à sa colère. Car sa
nature est la bonté ; Il a en propre la pitié et le pardon.” (36e
Sermon) Dieu n’est ni dur et implacable, mais seulement miséricorde, ni violent
et terrible, mais adorable. (38e Sermon)
Le Cœur de Jésus
Jésus et le Père
“Quelle infinie douceur de voir
homme le Créateur de l’homme !... En acceptant la mort, Il a obéi à son Père.
C’est un ami tendre, un bon conseiller, un auxiliateur puissant. Pour nous
réconcilier avec son Père, Il a subi et subjugué la mort, versant son sang pour
prix de notre rachat... A l’amour Il joignit... la patience pour apaiser le Père
que nous avions offensé... Pour n’être pas vaincus par l’adversité, prenons
notre appui en Jésus-Christ qui est la force de Dieu... Le Dieu invisible voulut
être vu dans la chair et prit visage humain pour parler aux hommes... Le Christ
est pour nous sagesse, justice, sanctification et rédemption,” (20e
Sermon) “et, dans sa prière, Il demandera que tous soient unis comme Lui-même et
son Père ne font qu’un.” (29e Sermon)
Parlant des âmes qui, grâce à
l’espérance ont retrouvé la joie, Saint Bernard s’écrie: “Comment ne verrait-on
pas Dieu dès qu’on voit et qu’on sent à quel point elle est douce ? Le Seigneur
Jésus paraît bien doux à celui qui reçoit de Lui non seulement la rémission de
ses fautes, mais encore le don de sainteté...” (37e Sermon)
Car “le Cœur de l’Époux, c’est le
Cœur de son Père: Soyez miséricordieux comme mon Père est miséricordieux” (62e
Sermon) Et personne ne vient au Père si l’Époux ne l’attire: “Ceux que ton Père
attire, tu les attires aussi, car les œuvres que fait le Père, le Fils les fait
pareillement...” (21e Sermon)
Le Verbe de Dieu, qui est Dieu même
est aussi l’Époux de l’âme... “Procédant du Père, doux et bon, Il ne dédaigne pas
d’être appelé et d’être, en effet, l’Époux de l’âme en quête de lui, alors qu’Il
est le Dieu souverain béni dans les siècles des siècles.” (74e
Sermon) “Il est vraiment Époux, aimant et aimable. Je dis qu’il est le véritable
Époux, comme sa chair est vraie nourriture, et son sang vrai breuvage. Tout ce
qu’Il est, Il l’est en vérité, puisque Lui-même n’est autre chose que la
vérité.” (75e Sermon)
La parole de Dieu est une flèche plus
pénétrante qu’une épée à double tranchant. “Et c’est une autre flèche de choix
que l’Amour du Christ, qui ne se borna pas à atteindre l’âme de Marie mais la
perça de part en part... elle la transperça aussi pour parvenir jusqu’à nous,
afin que nous eussions tous notre part de cette plénitude, et qu’elle-même
devint la Mère de la Charité dont le Père est le Dieu d’Amour.” (29e
Sermon)
L’obéissance de Jésus
Le Père aime Celui qui obéit et donne
avec joie. Et qui plus que Jésus a obéit au Père, avec joie, pour notre salut ?
“Le Seigneur de toutes les vertus connaissait la vertu d’obéissance, et
pourtant, selon l’Apôtre, ses souffrances lui apprirent à obéir. De même Il
apprit la miséricorde, bien que la miséricorde du Seigneur soit éternelle... Il
devint ce qu’Il était, Il apprit ce qu’Il savait et Il cherche en nous ces
fenêtres et ces ouvertures à travers lesquelles Il peut mieux scruter nos
misères.” (56e Sermon)
“Il nous a aimés avec tendresse, se revêtant
de notre chair; avec prudence, nous gardant du péché ; avec courage, endurant la
mort.... Il a obéi à son Père. Il nous a aimés avec toute la sagesse de
l’esprit...” (20e Sermon)
“Il s’est assujetti à ceux qui habitent un
corps d’argile et surpassé en humilité l’humble condition d’homme. À l’âge de
douze ans, à Nazareth, Il obéit à Marie et à Joseph; au bord du Jourdain, Il
s’incline sous les mains de Jean.” (53e Sermon)
Jésus n’est pas venu pour être servi,
mais pour servir: “personne n’a jamais rien fait de pareil; et sa fidèle
obéissance a surpassé tout ce qu’ont pu accomplir ceux qui, avant Lui, ont
assumé un service. Serviteur parfait, Il a offert sa chair pour nourriture, son
sang pour breuvage, sa vie pour prix du rachat. Serviteur à l’esprit alerte, à
la charité fervente, à la compassion généreuse... Il est celui que Dieu a oint
plus que tous ses compagnons de l’huile de joie.” (54e Sermon)
Saint Bernard profite de ce qu’il
présente le modèle d’obéissance que fut Jésus pour mettre ses moines en garde :
“Ne croyez pas que par amour de votre propre tranquillité vous ayez le droit de
manquer à aucun acte d’obéissance ou d’être infidèles aux traditions de vos
prédécesseurs... insoumis, vous n’obtiendrez rien de Celui qui aima tant
l’obéissance qu’Il mourut plutôt que d’y manquer... Et que veux-tu que nous
fassions ? direz-vous. Mais que d’abord vous débarrassiez votre conscience de
tout levain de colère et de dispute, de murmure et d’envie ; que vous chassiez
bien vite de vos cœurs tout ce qui, vous le savez bien, est contraire à la paix
entre les frères ou à l’obéissance envers vos supérieurs.” (46e
Sermon)
La mansuétude et la miséricorde du Cœur de Jésus
L’Époux du Cantique c’est le Seigneur
Jésus, et “l’Époux a deux mamelles correspondant à deux aspects de sa mansuétude
naturelle: la patience avec laquelle il attend le pécheur, et la clémence qu’il
témoigne au pénitent. C’est comme une double suavité qui coule du sein de notre
Seigneur Jésus.” (9e Sermon)
“Il est vrai qu’aucun homme n’est
capable de se rappeler tous les bienfaits que la miséricorde de Dieu ne cesse de
dispenser aux mortels... Mais que le principal de ces bienfaits, c’est-à-dire
l’œuvre de notre rédemption ne quitte jamais la mémoire des hommes rachetés...
Car Dieu s’est anéanti Lui-même jusqu’à la chair, à la mort et à la croix... Il
a pris sur Lui la plus lourde peine, afin que l’homme Lui fût redevable du plus
grand amour... Il est manifeste que Dieu a payé pour l’homme un prix énorme:
maître, Il s’est fait esclave; riche, Il est devenu pauvre; Verbe, Il s’est fait
chair; et Fils de Dieu, Il n’a pas dédaigné d’être le fils de l’homme.
Souvenez-vous que, si vous avez été faits de rien, vous n’avez pas été rachetés
de rien.” (11e Sermon)
L’Amour de l’Époux pour l’épouse. Qui est
l’Époux ? Qui est l’épouse ?
D’abord, il convient de préciser: qui
est l’épouse, et qui est cet Époux ?
“Lui, c’est notre Dieu ; elle, si je puis
dire, c’est nous-mêmes parmi l’immense foule des captifs dont Il connaît
l’existence. Soyons heureux ! C’est notre titre de gloire : nous sommes ceux à
qui Dieu prête attention...” (68e Sermon)
Dieu prête attention à l’épouse!
“elle, cette brebis égarée dont le Bon pasteur s’est montré plus soucieux que
même des célestes cohortes, puisqu’Il les laissa exposées au péril pour
descendre à sa recherche...” Et Dieu prend soin de l’épouse. En effet,
“les
yeux du Seigneur se posent sur les justes. Or l’épouse n’est autre que
l’assemblée de tous les justes., la génération qui est en quête du Seigneur, en
quête de la vue de l’Époux...” (68e Sermon)
L’Époux est le Verbe de Dieu, sa
Parole, et l’Époux aime ardemment l’épouse. Jésus, le Christ Sauveur “juste et
bon, Rédempteur et juge, parce qu’Il aime les hommes, veut que tous soient
sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.” (55e Sermon)
Quand l’épouse, ici il s’agit de
l’âme, a été infidèle, repentante elle veut revenir vers l’Époux, mais pour ce
faire, elle doit d‘abord le chercher. “L’âme cherche le Verbe pour se soumettre
à ses réprimandes, pour en recevoir la lumière des connaissances et un appui
pour ses vertus ; elle désire être réformée par sa sagesse, conformée à sa
beauté, s’unir à Lui pour être féconde, tirer une joie de sa présence. C’est
pour toutes ces raisons ensemble que l’âme cherche le Verbe... Nos tristesses
sont multiples, notre âme a des besoins divers, et nos motifs d’angoisse sont
innombrables. Mais le Verbe est encore plus riche de biens, car il est la
Sagesse qui l’emporte sur tout... Le Verbe est force, le Verbe est Sagesse.” (85e
Sermon)
L’Époux ne repousse pas l’âme qui le
cherche, même si, auparavant, lui, l’Époux l’a longuement cherchée tandis
qu’elle le méprisait. “Le Verbe est indulgent, et ses propos sont pleins de
bonté ; ils me parlent de son désir et d’une affection qui ne saurait Lui rester
cachée. Car Il pénètre les secrets de Dieu et sait qu’on y trouve des pensées de
paix et non d’affliction. J’ai trop fait l’expérience de sa clémence et je
connais trop bien son coeur pacifique pour hésiter à me mettre en quête de Lui.”
(84e Sermon)
L’Amour est un feu
L’Amour de Jésus est un feu: “L’Époux
est pressé de pénétrer en nous. Car ce n’est pas nous, c’est Lui qui nous a
aimés le premier. Et si, de plus, vous sentez déjà la brûlure de sa parole, si
son feu ravage votre conscience au souvenir de vos fautes, souvenez-vous que
l’Écriture dit que le feu le précèdera, et soyez sûrs qu’il n’est plus bien
loin. Car le Seigneur est tout proche de ceux qui ont le cœur troublé.... Le
feu de Dieu consume sans causer de brûlure douloureuse; il brûle doucement, il
ravage agréablement. C’est vraiment un feu destructeur, mais dont l’action
dévorante s’exerce sur les vices en comblant de douceur. Dans cette force qui
vous transforme et dans cet amour qui vous enflamme, sachez voir les signes de
la présence de Dieu... La transformation opérée par la main du Très-Haut ne peut
se produire que dans la ferveur spirituelle et la charité sincère.” (57e
Sermon)
Une fois que le regard du Seigneur
s’est posé sur nous, sa voix “se fait entendre qui insinue très doucement dans
l’âme la volonté divine, et qui n’est autre que l’amour même ; car l’amour n’est
jamais las de nous redire les décrets de Dieu, dans l’espoir de nous y rendre
conformes...” (57e Sermon)
[4] Extraits
des Sermons sur le Cantique des cantiques - Saint Bernard a rédigé
quatre vingt six sermons sur le Cantique des cantiques. L’ensemble
constitue un énorme ouvrage qui, à propos des mots ou des idées abordées
dans ce chant d’amour, traite de nombreux sujets liés, d’abord à la vie
monastique et à la vie mystique, mais également à la vie chrétienne, à
l’Évangile, à la vie de tous les jours ou à la vie spirituelle, en
fonction des besoins ou des circonstances.
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