Saint Thomas
Becket, étant né en 1118, fut mis à mort en 1170. Sa vie entière
s'écoule au XIIe siècle, dont elle représente assez fidèlement le
caractère agité et brutal. Champion et victime des libertés de l'Eglise
contre l'envahissement du pouvoir royal, Thomas Becket n'a pas
soulevé moins de haines après sa mort que pendant les luttes de sa
vie agitée. Ce qui fait l'intérêt philosophique de son existence et
de sa mémoire, c'est d'avoir été moins celle d'un homme que celle
d'un principe. A ce titre, il prend une place au premier rang dans
l'histoire du christianisme, à côté de saint Athanase, de saint
Grégoire VII et de quelques autres hommes qui furent, par-dessus
tout, des volontés.
Nous nous
bornerons au récit de l'assassinat de l'archevêque de Cantorbéry
d'après les sources contemporaines.
MARTYRE DE SAINT THOMAS BECKET
Dans la matinée
du 29 décembre, l'archevêque entendit la messe dans la cathédrale,
vénéra les reliques et les
tombeaux des saints ; ensuite il se
rendit au chapitre, où il s'entretint avec quelques religieux et fit
appeler le frère Thomas de Maidstone.
Pendant ce temps
quatre barons avec leur suite vinrent de Saltwood à Cantorbéry. Ils
s'étaient fait suivre de tous les hommes d'armes disponibles dans
les environs. Dans la ville même, les gens du roi convoquèrent la
milice, qui ne bougea pas ; ce que voyant, ils lui interdirent de
prendre les armes. L'archevêque n'y prenait garde, il se fit servir
à dîner. Il s'était levé de table lorsque, le palais épiscopal
cerné, les gens du roi y pénétrèrent. Mais lui se trouvait dans son
appartement avec Jean de Salisbury, Edouard Grim, Guillaume
Fitzstephen, Robert de Merton. Il était environ trois heures après
midi.
Les quatre barons
mirent un homme à eux à la porte du palais qu'on ferma, ils
entrèrent dans la grande salle où le sénéchal de l'archevêque,
Guillaume Fitznigel, les aborda et les guida jusqu'aux appartements
où le sénéchal pénétra seul et annonça la présence de quatre barons
demandant à parler à l'archevêque. Celui-ci donna ordre de les
introduire. Ils s'avancèrent. C'étaient Renaud Fitzurse, Guillaume
de Tracy, Hugues de Morville et Richard Le Breton. Renaud Fitzurse
marchait en tête avec ses complices sur ses talons. On les salua,
ils grommelèrent quelques mots inintelligibles, se placèrent en face
de l'archevêque et s'assirent sur le plancher; un archer les imita,
mais un peu en arrière.
L'archevêque
s'adressa à Guillaume de Tracy, l'appelant par son nom, et lui
souhaita le bonjour. Les quatre se regardèrent et ne répondirent
rien. Enfin Renaud Fitzurse dit : « Dieu t'aide ! » Il ajouta après
une pause : « Par ordre du roi, nous avons à t'entretenir ;
préfères-tu que ce soit en public ? Dis-le. — Comme il vous plaira,
dit l'archevêque. — Non, choisis. »
L'archevêque pria
son entourage de s'éloigner, et Renaud Fitzurse prit la parole, mais
il fut interrompu presque aussitôt : « Ceci ne doit point demeurer
secret », dit l'archevêque, qui appela le chambellan Osbern, à qui
il ordonna de faire entrer tous les familiers. On a su depuis que
pendant cet incident les barons avaient songé à éventrer
l'archevêque avec le manche de la croix métropolitaine qui se
trouvait à leur portée.
Les clercs et les
moines étaient rentrés, Fitzurse commença :
« Le roi a fait
la paix avec toi et, oubliant le passé, t'a autorisé, sur ta
demande, à remonter sur ton siège. Tu as ajouté l'insulte à tes
crimes passés, tu as violé la paix conclue, et tu t'es conduit avec
insolence à l'égard de ton maître. Tu as condamné ceux qui ont
collaboré au couronnement de l'héritier du trône, tu as jeté
l'anathème sur les officiers royaux associés au labeur du
gouvernement ; il est clair que si tu en avais les moyens, tu
arracherais au jeune roi sa couronne. Tes intrigues sont aujourd'hui
bien connues de tous, ainsi que les efforts tentés pour réaliser tes
desseins. Nous sommes envoyés pour te sommer de venir te justifier.
— Dieu m'est
témoin que je n'ai jamais songé à arracher au fils du roi sa
couronne, ni à amoindrir sa puissance ; je souhaite plutôt lui
procurer trois couronnes et des royaumes étendus. C'est sans aucune
raison que le roi s'irrite de me voir escorté de mes gens dans les
villes et à la campagne ; ma présence après sept années d'absence
leur était un sujet de réconfort. Dès que le roi en manifestera le
désir, je l'irai trouver, déterminé à lui donner satisfaction sur
les points où je serai trouvé coupable, mais on m'a communiqué la
défense de mettre le pied dans les villes du roi. Quant aux évêques
frappés, c'est le pape en personne qui les a frappés.
— C'est toi qui
les as liés, c'est à toi de les absoudre, crièrent les barons.
— C'est par moi,
je le reconnais, que cela s'est fait; mais je ne puis casser les
décisions du pape. Qu'ils l'aillent trouver. En ce qui me concerne,
j'ai fait des avances à mes suffragants de Londres et de Salisbury,
leur proposant de lever l'anathème et la suspense s'ils demandaient
miséricorde et, munis de garanties, se soumettaient aux tribunaux
ecclésiastiques ; j'ai été repoussé. Je suis prêt à renouveler mes
propositions. Le couronnement du nouveau roi est un fait accompli,
la dignité du prince est sauve ; mais le pape a frappé l'offense à
lui faite par le prélat qui a imposé la couronne en usurpant la
charge qui nous appartient en terre placée sous notre juridiction.
Tout ceci s'est passé, au reste, du consentement du roi. Je ne
cherche pas pour me venger à détrôner le nouveau roi. »
Les barons se
firent menaçants ; l'archevêque continua : « Je m'étonne de vos
menaces. Vous savez que le roi m'a reçu le jour de Sainte-Madeleine,
lorsque nous avons conclu la paix. Plusieurs d'entre vous y étaient
présents et consentants : c'est pourvu d'in sauf-conduit que je suis
rentré sur les terres du roi. » Jean de Salisbury l'interrompit : «
Seigneur, veillez sur vos paroles en pareille matière. — Non pas !
Ils demandent des choses que je ne dois et ne puis souffrir. — De
qui tiens-tu ton archevêché ? demanda Renaud Fitzurse. — Le
spirituel, je le tiens de Dieu et du pape ; le temporel, du
roi. — Tu ne tiens donc pas tout du roi ? — Non pas ; je dois rendre
à Dieu ce qui est à Dieu et au roi ce qui est au roi. » Renaud et
les siens grincèrent des dents.
« Ordre du roi,
dirent-ils, tu as à sortir toi et les tiens des terres de son
obéissance ; dès ce moment la paix est rompue à ton égard et à
l'égard de tous les tiens.
— Assez de
menaces. Je mets ma confiance dans le Roi du ciel qui a souffert sur
la croix pour les siens ; dès ce jour il ne sera au pouvoir de
personne de mettre la mer entre mon Eglise et moi. Je ne suis pas
venu pour m'enfuir, celui qui me cherchera me trouvera ici. Une
pareille conduite ne sied pas au roi ; les offenses que ses gens ont
prodiguées aux miens et à moi-même devraient lui suffire, les
menaces sont de trop.
— Le roi le veut
ainsi, dirent-ils, et c'est pour le mieux à l'égard de celui qui, au
lieu de déférer la cause au roi, suivant une impulsion de colère, a
chassé honteusement de l'église les gens du roi.
— Quiconque, dit
l'archevêque, osera violer les droits du Saint-Siège et la sainte
Eglise et ne fera pas pénitence, quel qu'il soit, je ne l'épargnerai
pas et ne tarderai pas à le frapper des sentences ecclésiastiques. »
Les barons firent
quelques pas en avant et dirent : « Tu viens de dire telles choses
qui pourront te coûter la tête.
— Êtes-vous venus
pour m'assassiner ? J'ai remis ma cause au Juge suprême, aussi je ne
crains pas vos menaces et vos épées ne seront pas si promptes à me
frapper que mon âme à m'y résoudre. Cherchez qui vous craigne ;
quant à moi, je soutiendrai le corps à corps dans le combat du
Seigneur. Une première fois, timide, j'ai délaissé mon Eglise, mais
sur le conseil et l'ordre du pape j'y suis revenu, je ne m'en
éloignerai plus. Si on me laisse accomplir en paix ma charge, ce
sera tant mieux ; sinon, à la volonté de Dieu. Au surplus, je
m'étonne grandement de l'audace qui vous pousse à venir menacer
l'archevêque jusque chez lui. »
Les barons se
dirigèrent vers la sortie ; mais Renaud Fitzurse cria d'une voix de
brute : « Ordre du roi, on vous fait savoir, clercs ou moines, de
vous assurer de cet homme et de l'empêcher de fuir jusqu'à ce que le
roi ait décidé sur son sort. » Ils s'éloignèrent, l'archevêque les
suivit jusque sur le seuil de la porte : « Vous me retrouverez ici !
Ici ! » et mit la main sur son crâne, semblant indiquer la place où
il serait frappé. Les barons s'éloignent et s'emparent du sénéchal
Guillaume Fitznigel, accouru de sa chambre : « Viens avec nous »,
lui disent-ils. Fitznigel s'adresse à l'archevêque : « Seigneur,
voyez ce qu'ils me font. — Je vois, dit-il. C'est le droit de la
force et l'heure de la puissance des ténèbres. » Et il demande qu'on
relâche le prisonnier. Ils s'obstinent et s'éloignent, emmenant un
autre officier de l'archevêque, Rodolphe Morin, traversent la cour
par le milieu et vont rejoindre leurs gens, auxquels ils crient avec
un air féroce : « Aux armes ! aux armes !» Pendant ce temps, tout
leur monde s'était réuni dans une maison spacieuse appartenant à un
nommé Gilebert et sise près de la porte de l'archevêché. Ces gens,
entendant le signal, sortent d'un bond, franchissent le seuil de la
demeure épiscopale refermée aussitôt, et vocifèrent : « Les gens du
roi ! les gens du roi ! les gens du roi ! » Des camarades, craignant
qu'au premier bruit on ne barricadât la porte de l'archevêché,
étaient à l'intérieur et, ayant enlevé le portier, occupaient la
place, empêchant l'entrée et la sortie. Devant la porte fermée se
trouvait Guillaume Fitznigel, sénéchal et soldat de l'archevêque,
maintenant son adversaire, Simon de Croisil, de l'abbaye voisine de
Saint-Augustin. Regnaut s'arme dans la cour et contraint l'écuyer de
l'archevêque, Robert Tibia, à l'aider. Regnaut emporte la hache d'un
menuisier dont il avait réclamé le secours.
Pendant ce temps,
l'archevêque était revenu s'asseoir à la même place et encourageait
son entourage à ne pas craindre la mort ; il parut impassible à un
témoin oculaire, et lui, qu'on cherchait pour le faire mourir, avait
l'apparence d'un homme convoqué à une fête. L'entourage commentait
les paroles des barons et les réponses de l'archevêque. Chacun
donnait son avis. On disait : « Soyons bien tranquilles, ils étaient
ivres, des ivrognes seuls pouvaient parler comme ils ont fait. Voici
Christmas, le roi a fait sa paix avec nous. » D'autres redoutaient
que des menaces on passât aux violences et relevaient des indices
inquiétants. Jean de Salisbury dit à l'archevêque : « Il est
vraiment fâcheux que vous n'en fassiez jamais qu'à votre tête. — Que
souhaitiez-vous que je fisse ? — Eh ! que vous convoquiez vos
conseillers quand ces gens entrèrent. Ils veulent votre mort, mais
il n'y a guère moyen de vous faire entendre raison. — J'ai pris
conseil, ma conduite est toute tracée. — Dieu veuille que le conseil
soit sage. — Jean, ne, devons-nous pas tous mourir ? La crainte de
la mort ne doit pas nous écarter de la voie droite. — Parfait, mais
nous sommes pécheurs, nous autres, et point préparés à la mort. Vous
êtes seul dans votre cas, ici. » L'archevêque dit : « Que la volonté
de Dieu se fasse. »
Pendant ces
entretiens nous entendîmes dans la direction de la cathédrale des
cris lamentables où se mêlaient les voix de femmes, de vieillards,
d'hommes et de jeunes gens, témoignant leur pitié à notre égard, car
ils nous regardaient comme dévoués à la mort. Les serviteurs
échelaient les escaliers à la course, s'engouffraient dans l'église,
traversaient le préau en courant, fuyant les hommes d'armes. Osbert,
Algar et quelques autres familiers de l'archevêque, voyant ceux-ci
envahir les locaux, poussent la porte et mettent le verrou. Robert
de Broch enfonce une cloison à coups de hache, pénètre dans la
demeure, ouvre la porte aux assassins et frappe ou blesse ceux qui
l'avaient barricadée. Les clercs qui se trouvaient auprès de
l'archevêque entendaient tout. Ainsi s'accomplissait le mot de
l'archevêque : « Des jours ne sont pas éloignés où on aimera mieux
vivre partout qu'en Angleterre. » La terreur était générale,
l'archevêque était calme.
« Seigneur, allez
dans l'église, lui disent les moines. — Dieu m'en garde, soyez sans
crainte; la plupart des moines sont poltrons plus que de raison. »
Mais ceux-ci n'en
sont pas convaincus. On veut l'entraîner de force. On lui remontre
qu'il est temps de se rendre à vêpres qui sont commencées. Il
ordonne qu'on porte devant lui la croix archiépiscopale, un clerc la
prend et on se met en marche. Les moines se sont emparés de
l'archevêque, ils le portent sans égards pour ses résistances. La
porte qui débouchait dans le cloître des moines était depuis très
longtemps abandonnée, fermée, la clef égarée. Un clerc entreprend de
forcer la serrure, qui cède comme une matière molle. On s'extasie,
on passe. Deux cellériers du monastère avaient eu à l'instant même
la bonne idée de tirer le, verrou de la porte à tout hasard.
Dès qu'on a mis
le pied dans le cloître, l'archevêque se dégage de: ses sauveurs. On
voulait barricader la porte qu'on venait de franchir, il s'y oppose
et fait marcher son escorte devant lui, On se dirige lentement vers
l'église, jetant de temps. à autre un regard à la dérobée pour
s'assurer si les assassins suivent et peut-être pour voir si quelque
retardataire ne s'emploie pas à fermer la, porte.
Dès le seuil de
l'église on se heurte à un groupe de moines. Ils ont quitté le
choeur sans, chanter vêpres, persuadés que l'archevêque est
assassiné depuis que deux des enfants du monastère se sont
précipités dans le choeur, muets de terreur, et se sont blottis sous
les stalles. Rencontrant l'archevêque, ils crient, ils pleurent
d'émotion, de, joie ; mais celui-ci les renvoie chanter l'office.
Ils ne bougent pas. « Tant que vous me fermerez le chemin, dit-il,
je ne passerai pas. » Ils s'écartent. A ce moment, l'archevêque voit
que les moines veulent barricader la, perte. « L'église n'est pas un
château fort ; sans autre défense qu'elle-même, elle suffit à
défendre les siens. Nous triompherons bien plus en supportant qu'en
combattant. » Il se dirigea vers, la place d'où il avait coutume
d'assister à la messe et aux heures il avait déjà monté quatre
marches quand, à la porte même du cloître qu'on venait de dépasser,
apparaît Renaud Fitzurse, portant la cuirasse et l'épée nue à la
main, et criant : « A moi, les gens du roi ! »
Presque aussitôt,
ses trois compagnons se montrent encuirassés et casqués, d'autres
suivent sans cuirasse, mais en armes, puis les miliciens de
Cantorbéry qu'ils avaient contraints de les escorter. Tout le monde
avait fui pour se cacher sous les autels ou dans les angles, cinq
hommes restaient seuls avec l'archevêque : Henri d'Auxerre,
Guillaume Fitzstephen, Edouard Grim et le chanoine Robert ;
Guillaume de Cantorbéry debout sur les degrés. Les moyens de se
dérober ne manquaient pas, ils se présentaient d'eux-mêmes sans
qu'on les cherchât. La nuit tombait, la crypte était voisine avec
ses recoins obscurs, les escaliers vis-à-vis du transept
conduisaient dans les combles, mais l'archevêque repoussa tous ces
moyens ; voyant les ennemis, il dit : « Je vais à leur rencontre. »
Le petit groupe le suivit, on fit quelques pas. Les envahisseurs
pénétraient dans l'église ; les uns disaient aux moines : « Soyez
sans crainte » ; d'autres criaient : « Où est le traître ? — Où est
Thomas Becket, traître au roi et au royaume ? » Point de réponse. «
Où est l'archevêque ? — Me voilà ; je ne suis pas traître, mais
prêtre, et je m'étonne de vous voir pénétrer en armes dans l'église.
Que voulez-vous ? — Nous voulons ta mort, tu ne dois pas vivre plus
longtemps. — J'accepte la mort au nom de Dieu, je recommande mon âme
et mon Eglise à Dieu, à la Vierge et aux saints patrons de cette
église. Dieu me garde de fuir vos épées ; mais, de par Dieu, je vous
défends de toucher à mes gens. »
Un homme frappa
l'archevêque sur l'épaule du plat de son épée: «Fuis, ou tu es mort.
» Mais il ne bougea pas, tendit le cou et se recommanda à Dieu, aux
saints évêques martyrs, à saint Denys, à saint Elphége. On cria : «
Tu es prisonnier, viens avec nous », et on mit la main sur lui pour
l'entraîner ; mais par crainte du peuple qui remplissait l'église,
on y renonça. L'archevêque répondit : « Je n'irai pas, faites ici ce
que vous voulez faire, ce qu'on vous a ordonné de faire », et il
résistait de son mieux ; quelques moines l'aidaient, ainsi qu'Edouard
Grim.
Il se trouvait
alors à main droite, sous la colonne, entre l'autel de la Vierge et
celui de Saint-Benoît. On le relança : « Absous, rends à la
communion ceux que tu as excommuniés, et rétablis dans leurs charges
les suspens. Je n'en ferai rien. — Tu mourras, pour ta peine. — J'y
suis prêt afin de gagner par mon sang la liberté et la paix de l'Eglise
; mais je vous défends de toucher à mes gens, clercs ou laïques. »
On se jette sur lui, on l'empoigne, on le tire afin de l'emmener
hors de l'église pour le tuer, mais l'archevêque a embrassé la
colonne. Renaud Fitzurse veut l'en détacher : « Maq…
!
lui crie l'archevêque en le repoussant, tu ne me toucheras pas, tu
es mon féal, tu te conduis en fou. » Et d'un coup de poing il
l'envoie trébucher en arrière. Renaud revient fou de rage,
brandissant l'épée sur la tête de l'archevêque. « Je ne suis pas ton
féal contre la foi que je dois au roi. » L'archevêque, voyant que
l'instant de la mort approche, incline la tête, joint les mains et
les élève dans l'attitude de la prière. Le sang coulait de sa tête,
il s'en aperçut en y passant la main : « Mon Dieu, dit-il, je remets
mon âme entre vos mains. » Un second coup sur le crâne le jeta à
terre ; déjà à genoux, se sentant tomber contre l'autel de
Saint-Benoît, il songea à étendre son vêtement afin d'être couvert
jusqu'aux pieds. Il tomba sur le côté droit en murmurant : « Je suis
prêt à mourir pour le nom de Jésus et la défense de l'Église. » Le
crâne était fracassé, Richard Le Breton s'approche et frappe un coup
terrible. L'épée se brise sur le pavé et sur le crâne : « Attrape
cela pour l'amour de Guillaume, frère du roi. » La calotte du crâne
s'était détachée, retenue seulement par un lambeau de peau sur le
front. L'archevêque gisait dans une mare de sang. Hugues Mauclerc,
sous-diacre, s'approcha, posa son pied sur le cou et de la pointe de
son épée fit jaillir la cervelle sur le pavé : « En route, barons,
dit-il, il ne ressuscitera pas. »
J'aurai
d'ailleurs occasion de citer, à propos d'un missionnaire français en
Chine, le mot de Cambronne. Je ne doute pas que plusieurs n'en
soient scandalisés ; mais c'est le cas de se rappeler la parole de
Jésus : « Lorsqu'on vous conduira devant les juges, ne préparez pas
vos réponses. Le Saint-Esprit vous les inspirera sur l'heure », et
on peut faire grâce de quelque délicatesse à des témoins qui se font
égorger. D'ailleurs, ce qui est dit est dit ; l'omettre n'est pas le
modifier ni le supprimer.
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