Cette illustre
vierge était fille unique du proconsul Léocadius et de Suzanne, Bile
de Manilius Armillus et nièce de Lucius Capreolus. Après la mort de
son père, Valérie, retirée dans un château construit aux portes de
Limoges, grandissait sous l'aile de sa mère; et, dans cette vie
presque entièrement éloignée du monde, l'une et l'autre, par leurs
bienfaisantes libéralités et par leurs bons offices, se rendaient
chères à tous leurs voisins, qui les entouraient de vénération et
d'amour. La mort de Léocadius avait fait un vide immense,
irréparable dans cette famille; mais les grands biens dont elle
jouissait lui conservaient la considération et la confiance
générale.
Sur ces
entrefaites, en même temps que l'empereur Claude Tibère confiait à
Julius Silanus le gouvernement de la province d'Aquitaine, l'apôtre
saint Pierre, venu à Rome depuis deux ans seulement, envoyait
Martial, un des soixante-douze disciples de Notre-Seigneur, dans les
Gaules, pour y prêcher la foi de l'Evangile. Il lui assigna la ville
de Limoges comme le centre de ses travaux apostoliques, et lui donna
pour compagnons de voyage et comme ses coadjuteurs, Alpinien et
Austriclinien. Etant arrivés dans cette ville, ils reçurent
l'hospitalité d'une dame, nommée Radegonde, dont l'habitation était
voisine du château. Dès le lendemain de son arrivée, le bienheureux
Martial commença à prêcher publiquement l'Evangile, et sa
prédication fut suivie d'innombrables miracles. Il y avait en ce
temps-là dans le château un pauvre frénétique étroitement lié de
fortes chaînes et que personne n'osait aborder, à cause des violents
excès auxquels il se laissait emporter quand il était plus tourmenté
par le mal. Le serviteur de Dieu, ayant entendu un bruit
extraordinaire dans le château, en demanda la cause, et, l'ayant
apprise, il alla faire une visite à Suzanne, qui, instruite de tous
les prodiges opérés par le bienheureux Martial, le supplia de guérir
ce malade comme il avait guéri les autres. A quoi il répondit « Si
vous croyez, vous verrez la gloire de Dieu n. Emu d'une tendre
compassion pour cet infortuné, il fit sur lui le signe de la croix
ses chaînes se brisèrent aussitôt, et il fut entièrement guéri.
Emerveillées de la puissante efficacité du signe de la croix, et
profondément touchées du miracle, Suzanne et Valérie pressèrent de
questions le bienheureux Martial, et lui fournirent ainsi l'occasion
de leur découvrir les mystères de la foi et de leur développer les
ravissantes beautés de la morale évangélique. Comme la grâce de
l’Esprit-Saint agissait puissamment dans ces âmes heureusement
préparées, le saint apôtre du Limousin n'eut pas beaucoup de peine à
leur persuader d'embrasser le christianisme. Suzanne et sa fille se
jetèrent à ses pieds, lui demandant de les baptiser. Le bienheureux
Martial leur octroya cette faveur, et, pendant qu'il priait le
Seigneur pour elles, toutes les deux furent remplies de
l'Esprit-Saint. Six cents serviteurs de la maison de Suzanne,
affranchis ou esclaves, reçurent également le baptême, et cette
opulente maison fut inondée des plus brillants rayons de la foi
chrétienne. Peu de temps après, Suzanne passa à une vie meilleure.
Cette épreuve si douloureuse pour le cœur de Valérie, n'ébranla ni
sa foi ni sa constance, et, sans hésiter un seul instant, elle
résolut de s'avancer de plus en plus dans les voies de la perfection
chrétienne. Elle fit don à saint Martial de riches présents, de
nombreux bénéfices, de beaucoup de vignes et de terres. Elle déposa
aussi entre ses mains une grande partie de l'or, de l'argent et des
pierres précieuses qu'elle avait trouvées dans le trésor de sa
maison. De plus, elle lui donna un grand nombre de serfs, afin que,
lorsque cet homme de Dieu passerait du temps à l'éternité, ces
serfs, devenus de fervents serviteurs du Très-Haut, s'occupassent,
au lieu même de sa sépulture, de louer le Seigneur et d'honorer la
mémoire du saint apôtre. S'attachant ensuite à ses pas, elle profita
merveilleusement des leçons de sagesse qu'il voulut bien lui donner,
et elle pénétra bientôt dans les plus hauts secrets de la vie
chrétienne. Elle écoutait avec une indicible satisfaction les
enseignements élevés de son saint maître, s'instruisait solidement
de tous les mystères de la foi, et gravait profondément en son cœur
les maximes de l'Evangile. Elle ne se contenta pas de porter le joug
des préceptes, elle se crut encore appelée à la pratique des
conseils évangéliques. Ses progrès dans la vertu furent rapides; et
tout en elle révélait une âme enrichie des dons célestes, et
appartenant désormais plus au divin séjour qu'à la terre. L'ordre le
plus parfait régnait dans la maison de Valérie, devenue l'asile du
saint Apôtre, dont elle était la fille spirituelle. Là se
réunissaient en foule ceux qui venaient de toutes parts demander à
saint Martial la guérison de leurs maladies ou la grâce du baptême.
Sainte Valérie voulait que les étrangers y fussent généreusement
hébergés et les plus pauvres d'entre eux étaient l'objet d'un soin
tout particulier de la part de notre illustre vierge, qui voulait
leur rendre elle-même les services les plus humbles, les plus
abjects et les plus révoltants aux yeux du monde. Ses vertus, en lui
conciliant l'estime et le respect des habitants de la cité,
ajoutaient au prestige de son rang et lui donnaient une influence et
un pouvoir devant lequel s'inclinaient les hommes les plus
considérables et les dépositaires mêmes de l'autorité. Les enfants
du paganisme, subjugués déjà par l'éclat de sa naissance, rendaient
hommage à ses précieuses qualités et lui montraient, en toute
occasion, une déférence sans bornes. Il semblait que la dignité du
proconsulat dont son père avait été investi, étendît encore sur elle
un de ses brillants reflets.
Valérie était
assidue aux prédications de saint Martial, et elle recueillait en
son cœur, avec une sainte avidité, les paroles de salut et de vie,
pour en faire la nourriture de son âme. Remplie de l'Esprit de Dieu,
elle passait les jours et les nuits en oraison, s'adonnait aux
jeûnes, aux saintes veilles et à toutes les œuvres de miséricorde,
préludant ainsi, sans le savoir, aux rudes combats qu'elle aurait à
soutenir un jour, pour la gloire de Dieu, contre le monde et
l'enfer. Dieu ayant répandu dans son âme les plus vives lumières de
sa grâce, elle comprit le néant et la vanité des plaisirs et des
richesses périssables de ce monde, et quoique, depuis longtemps,
elle pût se considérer comme la fiancée du nouveau proconsul, elle
résolut de renoncer à toutes les grandeurs et à l'honneur de cette
alliance, pour n'avoir d'autre époux que le Roi du ciel et de la
terre, notre Sauveur Jésus-Christ. Elle alla donc trouver saint
Martial, se prosterna à ses pieds, et prononça devant lui !e vœu de
virginité, promettant au Seigneur de lui demeurer invinciblement
unie.
Dieu agréa et
bénit ce sacrifice d'agréable odeur, et il enrichit le cœur de cette
pieuse vierge de ses dons les plus admirables et Valérie devint dès
lors une des gloires les plus pures de cette Eglise naissante. Le
saint apôtre, dont elle suivait tous les conseils avec une humble
docilité, prêchant un jour à tous les fidèles assemblés, leur
expliquait la réponse de notre divin Maître à un jeune homme qui,
s'approchant de sa personne sacrée, lui avait dit « Bon maître, que
ferai-je de bon pour avoir la vie éternelle? » Jésus lui répondit «
Pourquoi m'interroges-tu sur ce qui est bon ? Dieu seul est bon mais
si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements u. «
Lesquels? » demanda-t-il. Jésus répondit « Tu ne tueras point; tu ne
commettras point d'adultère tu ne déroberas point tu ne rendras
point de faux témoignage ; honore ton père et ta mère, et aime ton
prochain comme toi-même ». Le jeune homme lui dit « J'ai observé
tout cela dès ma jeunesse, que me manque-t-il encore ? » Jésus lui
dit ci Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as, et donne-le
aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel viens ensuite et
suis-moi ». Ces paroles pénétrèrent Valérie jusqu'au fond de l'âme,
et tout embrasée d'amour pour le divin Epoux dont elle avait fait
choix, elle souhaita ardemment d'arriver à cette haute perfection,
fruit précieux de la sainte pauvreté. Aussi, dès ce moment, elle se
mit à distribuer aux pauvres tout ce qui lui restait de plus
précieux, ses diamants, son or, son argent, ses plus beaux
vêtements, et elle se dépouilla des esclaves et des vastes domaines
que depuis longtemps, de concert avec sa pieuse mère, elle avait
donnés à saint Martial, pour subvenir aux besoins de l'Eglise et y
fonder d'utiles institutions.
Pauvre
volontaire, Valérie suivit avec plus de perfection la voie des
vierges; et, aux yeux du monde, elle ne perdit rien de sa dignité et
de l'influence que lui assurait son illustre origine. « Qu'on ne
méprise plus ta pauvreté », s'écrie Bossuet, « et qu'on ne la traite
plus de roturière. II est vrai qu'elle était de la lie du peuple,
mais le Roi de gloire l'ayant épousée, il l'a ennoblie par cette
alliance, et ensuite il accorde aux pauvres tous les privilèges d-e
son empire.
Ce grand
sacrifice était à peine consommé, lorsqu'arriva à Limoges le
proconsul Julianus Silanus, le fiancé de Valérie. Il était investi
des plus grands pouvoirs, et avait le gouvernement de toute la
contrée du Rhône à l'Océan jusqu'aux Pyrénées. Instruit à l'avance
de la conversion de Valérie au christianisme, de ses prodigieuses
largesses et de sa résolution de vivre dans l'état de virginité, il
voulut dissimuler le plus possible son indignation et son dépit; il
l'envoya chercher et lui commanda de comparaître devant lui. Valérie
se hâta d'obéir, et, avec un maintien grave et plein de modestie,
elle se mit à ses genoux et attendit humblement qu'il lui plût de
l'interroger. A sa vue, Silanus ne put contenir sa colère, et, d'une
voix altérée et hautaine, il lui demanda s'il était vrai qu'elle eût
donné sa foi à un autre époux et quel était l'audacieux mortel qui
avait osé courir sur ses brisées et lui ravir le cœur et l'amour de
sa fiancée. Valérie prenant alors la parole avec une modestie tout
angélique, lui répondit qu'elle s'estimerait la plus malheureuse et
la plus indigne des créatures, si jamais elle avait eu la pensée de
lui préférer quelqu'autre que ce fût; mais que, obéissant à une
divine inspiration, elle avait donné son cœur et son amour au Roi du
ciel et de la terre, dont elle était devenue l'épouse en s'unissant
à lui par le vœu de virginité. Elle ajouta que non-seulement elle ne
voyait en cela rien qui pût l'offenser, mais qu'il devait même s'en
trouver for), honoré, puisqu'en réalité elle ne mettait au-dessus de
lui, dans son estime, que le Créateur du ciel et de la terre, le
Rédempteur des hommes, mort sur la croix pour les faire régner avec
lui dans le ciel. « C'est à l'apôtre de ces heureuses contrées, à
Martial, disciple de Jésus-Christ, dit-elle, que je suis redevable
de cet insigne honneur. Comme moi, soyez docile à sa voix, apprenez
à connaître le vrai Dieu, soyez chrétien, soyons vierges tous les
deux, et nous demeurerons éternellement unis dans les liens de la
céleste dilection ». Outré de colère, navré de douleur et de honte,
Silanus coupa court à cet entretien, et, sans plus rien entendre, il
la condamna à la peine capitale, et chargea Hortarius, son écuyer,
de veiller à l'exécution de la sentence.
La généreuse
détermination de Valérie renversait en un instant les rêves de
fortune de Silanus; il était frustré dans ses plus légitimes
espérances, et sans doute se sentait profondément blessé dans son
orgueil. Mais, comme la plupart des, grands de Rome, il était aussi
plein de haine pour la religion du Galiléen, et au foyer de sa
famille toute patricienne il avait, à coup sûr, puisé le mépris des
chrétiens, dont l'invincible courage au milieu des plus cruelles
tortures était considéré comme une vraie folie par les idolâtres.
Aussi Silanus obéit-il à ce double sentiment de mépris et de haine,
en prononçant contre Valérie une sentence de mort. Justement fière
du sort qui lui était réservé, Valérie, dont Famé sainte surabondait
de contentement et de joie, allait au supplice le sourire sur les
lèvres, comme si elle fût allée à une partie de plaisir. Jamais on
ne la vit plus satisfaite l'assurance de son regard, la fermeté de
sa démarche, sa parole toujours calme et mesurée, étaient une preuve
convaincante du bonheur qu'elle ressentait en elle-même, et
montraient combien elle s'estimait heureuse de prouver au céleste
Epoux l'amour dont elle était consumée pour-lui, en répandant son
sang pour la gloire de son nom. Chemin faisant, elle dit à Hortarius
qui la conduisait au supplice « Quelle erreur est la vôtre Insensé,
vous croyez me conduire à la mort, et je cours à la vie mais vous,
vous mourrez cette nuit. Que deviendront vos trésors et vos
richesses? » Puis, étant arrivée au lieu de l'exécution, elle éleva
ses mains vers le ciel, et s'adressant à Jésus-Christ, elle lui dit
« Mon Sauveur Jésus, mon Seigneur et mon Maître, vous avez daigné
m'appeler par votre grâce à la connaissance de votre saint nom, et
votre serviteur, le bienheureux Martial, m'a fait connaître vos
ineffables bontés et les desseins miséricordieux de votre tendresse
sur moi, votre pauvve et indigne servante. Pour reconnaître cette
immense faveur, j'ai dédaigné les alliances de la terre, et je me
suis unie à vous par un lien sacré, par un vœu irrévocable; car je
ne voulais pas qu'aucune puissance au monde pût me priver de vos
noces et de votre lit nuptial. C'est donc pour vous, et parce que je
ne veux pas être séparée de votre foi et de votre amour, que je vais
mourir; envoyez à mon secours les Anges du ciel, pour me protéger et
me défendre contre les dangereuses entreprises du démon, et faites
que je vous sois éternellement unie dans la sainte Jérusalem.
Comme elle
achevait de prier, on entendit une voix d'en haut lui répondre « Ne
crains rien, Valérie, les Anges te contemplent avec ravissement, ils
envient ton bonheur, et ils s'apprêtent à te recevoir dans les
splendeurs éternelles de Sion ».
A ces paroles, le
visage de Valérie s'illumina d'un brillant rayon, et un
reflet
lumineux
des joies
célestes sembla s'abaisser sur elle. Puis la glorieuse vierge ayant
élevé ses regards vers le ciel, s'écria « Mon Dieu, mon Père, je
remets mon esprit entre vos mains o. Ayant dit ces mots, elle courba
la tête, et le bourreau la lui trancha d'un seul coup. Au même
instant, tous les spectateurs de cette scène émouvante, chrétiens ou
païens, virent sortir du corps de sainte Valérie son âme toute
éblouissante de lumière comme le soleil, et les Anges la
transportèrent au ciel dans un globe de feu, en faisant retentir les
airs de chants harmonieux et de ravissantes mélodies.
Cependant, alors
que le bourreau contemplait avec une secrète satisfaction l'oeuvre
de destruction et de mort qu'il venait de consommer, il fut surpris,
et tout le peuple avec lui, de voir le corps de la bienheureuse
martyre se lever de terre, prendre sa tête avec ses deux mains, et,
comme s'il était encore plein de vigueur et de vie, s'avancer d'un
pas assuré à travers la ville et se diriger vers le lieu où était
alors saint Martial. Le bienheureux apôtre était allé, dès le matin,
à la basilique de Saint-Etienne, et il y offrait l'adorable
sacrifice, afin d'obtenir à sa chère Philothée Valérie, la force et
le courage dont elle avait besoin pour consommer généreusement son
immolation et conquérir les palmes glorieuses du martyre.
S'approchant de l'autel où saint Martial offrait la Victime du monde
au Père éternel, elle déposa doucement sa tête à ses pieds et son
corps s'étendit sur le parvis sacré. Des gouttes de sang tombées du
chef de sainte Valérie s'incrustèrent en quelque sorte dans le
marbre de l'autel, disent plusieurs chroniqueurs.
Sainte Valérie ne
se borna point à mettre sa tête aux pieds de saint Martial; elle
voulut aussi laisser en ce lieu une marque indélébile et irrécusable
de son esprit d'obéissance et de son martyre, en imprimant les
traces profondes de ses pieds sur un marbre qui, retrouvé dans le
xi" siècle, fut mis à découvert et exposé à la vénération des
fidèles. Cette pierre précieuse, soigneusement conservée pendant
plusieurs siècles, était visitée, touchée, religieusement baisée par
de nombreux pèlerins désireux de participer aux mérites et à la
puissante intercession de la glorieuse servante de Dieu.
Les Petits
boullandistes : Vies des
Saints ; Tome 18. Paris 1866. |