PROLOGUE

David, le fils d’Isaïe, l’homme établi pour être l’oint du Dieu de Jacob, l’incomparable psalmiste d’Israël, comme l’appelle le livre des Rois (2 R 23), David a dit au psaume (101, 5-19), où il chante l’entrée au monde du premier-né de Dieu " Que ceci soit écrit pour les générations de l’avenir, et le peuple alors créé louera le Seigneur. " Et le saint homme Job, voulant prophétiser la sainte résurrection, s’écriait : " Qui donc me donnera d’écrire mes paroles? qui donc me donnera qu’elles soient tracées sur un livre, avec un stylet de fer, et sur une lame de plomb, ou sculptées avec un ciseau sur la pierre (Jb 29, 34-24)? " La signification de ces paroles des saintes Ecritures est, pour toute intelligence, facile à saisir. Les choses qui sont à l’honneur et à la louange du Nom divin, à l’utilité vraie et commune de tous les hommes, ne doivent pas seulement être révélées et racontées aux lieux et aux temps qui en sont les témoins ; mais, pour qu’elles soient connues de tous, dans le présent et dans l’avenir, on doit les confier à l’écriture. "Puisqu’à la génération qui passe, une autre génération succède (Eccl 1,4) ", comme dit Salomon, ce serait chose indigne qu’une seule génération connût ce qui est le salut de toutes, et qu’un court espace de temps limitât la louange des œuvres de la divine Sagesse, qui doivent être perpétuellement chantées. Voilà pourquoi Moïse a écrit les premières œuvres de la création et les actions de ses pères des premiers comme des derniers jusqu’au temps où il vivait. Voilà pourquoi Samuel, Esdras et les autres prophètes ont écrit leurs histoires sacrées et confié soigneusement à l’écriture leurs prophéties. Voilà pourquoi les saints Evangélistes, eux aussi, les premiers en dignité parmi les historiens sacrés, ont non seulement prêché, mais ont mérité d’écrire l’Evangile. Voilà pourquoi une grande voix a dit à l’un d’entre eux (Ap 1,11): "Ce que tu vois, écris-le dans un livre. "

C’est pour cela que moi aussi, Frère Raymond de Capoue, appelé Des Vignes dans le siècle, humble maître et serviteur de l’Ordre des Frères Prêcheurs, au spectacle des merveilles que j’ai vues et entendues, j’ai dû raisonnablement et nécessairement céder au mouvement qui me pressait. J’ai dû consigner par écrit ce que j’ai prêché de vive voix, les actes de cette sainte vierge nommée Catherine, née dans la cité de Sienne, en Toscane. De cette façon, non seulement le siècle présent, mais aussi les siècles à venir, connaîtront les admirables prodiges que la grandeur inénarrable du Seigneur a opérés dans cette vierge alors si pleine de grâce, et aujourd’hui, sans aucun doute, si éclatante de gloire. Les fidèles loueront Dieu dans ses saints et ses merveilles, et ils le béniront selon la multitude de ses grandeurs (Ps 150, 1-2). En même temps, enflammés d’une souveraine charité, ils iront à lui de toutes leurs forces, mettront à le servir exclusivement tout leur cœur, aussi bien que leur activité extérieure et persévéreront jusqu’à la fin dans ce service, avec une inébranlable constance.

Et maintenant, je le jure à quiconque me lira, et j’en prends à témoin Celui qui est la vérité même, qui ne trompe point et n’est point trompé, je n’ai inséré dans ce livre aucune fiction, aucune invention, aucune erreur substantielle, autant du moins que ma faiblesse a pu s’en rendre compte. Afin d’assurer plus de créance à mes affirmations, je dirai, dans chaque chapitre, où et comment j’ai appris ce que je raconte. Chacun pourra donc voir où’ j’ai puisé le breuvage que, dans cet écrit, je sers aux âmes.

Pour tout faire au nom béni de la sainte Trinité, et rendre en même temps l’usage de ce livre plus facile, je l’ai partagé en trois parties. La première traitera de la naissance, de l’enfance et de l’adolescence de notre sainte, jusqu’au jour de ses fiançailles avec le Seigneur inclusivement; la seconde, de ses rapports avec les hommes, depuis ses fiançailles jusqu’à son trépas; la troisième parlera de sa mort, des quelques jours qui l’ont précédée et des miracles qui arrivèrent à ce moment et après son décès. J’en rapporterai quelques-uns seulement, non pas tous ; autrement il me faudrait un trop gros volume pour un récit qui ne pourrait alors s’arrêter à notre temps. Je donnerai ensuite le livre de sa divine doctrine, c’est-à-dire de ses dialogues, puis vingt et une de ses oraisons. Ainsi, avec la grâce de Dieu, sera terminée toute cette oeuvre à la louange de la très sainte Trinité, à qui revient tout honneur et toute gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Première partie

Famille, Enfance et Vie Cachée de Catherine

CHAPITRE PREMIER

PARENTS DE CATHERINE ET LEUR CONDITION

Il y avait, dans la cité de Sienne, en Toscane, un homme appelé Jacques. L’usage du pays avait donné à son père le surnom vulgaire de Benencasa. C’était un homme droit, n’admettant pas le dol et la fraude, craignant Dieu et évitant le mal. Ayant perdu ses parents, il prit dans sa ville une épouse nommée Lapa. Cette femme n’avait rien de la malice des hommes de notre temps, et cependant elle s’entendait assez bien à gouverner sa maison et sa famille. Ces époux, tout à fait unis dans la simplicité de leur coeur, étaient, bien que plébéiens, relativement à l’aise pour leur condition; et les familles du peuple, dont ils sortaient, jouissaient d’une certaine considération. Le Seigneur bénit Lapa, la rendit merveilleusement féconde, et en fit vraiment pour son mari cette vigne abondante, suspendue aux flancs de la maison de Jacob. Chaque année elle concevait et enfantait à ce nouveau Jacob (Ps. 127,3 - Le même mot latin Jacobu, signifie Jacques et Jacob.), un fils ou une fille et souvent des jumeaux.

Jacques a droit à des louanges spéciales, et ce serait, me semble-t-il une injustice de les passer sous silence, puisqu’il est déjà arrivé, comme on le croit pieusement, au port de l’éternelle félicité. Ainsi que me l’a rapporté Lapa, il était si égal de caractère et si modéré dans son langage que jamais une parole déplacée ne sortait de sa bouche, quelque occasion qu’il eût de trouble et d’ennui. Bien plus, quand il voyait les autres membres de la famille se laisser aller, dans leur mauvaise humeur, à des paroles amères, il se hâtait de les consoler avec un visage souriant et leur disait : " Allons, pour votre bien, du calme, point de ces paroles inconvenantes. " Une fois, un de ses concitoyens, m’a dit encore Lapa, voulait le forcer méchamment et contre toute justice à lui solder une somme considérable, absolument indue. Ce méchant homme, grâce à l’influence de ses amis et à ses calomnies, avait tellement circonvenu et tracassé notre honnête Jacques qu’il l’avait presque complètement ruiné. Cependant jamais Jacques ne put souffrir qu’en sa présence on parlât mal de son calomniateur, ou qu’on prononçât contre lui quelque malédiction. Quand Lapa se le permettait, il la reprenait et lui disait doucement: " Laisse cet homme, et tu t’en trouveras bien, laisse-le; Dieu lui montrera son erreur et sera notre défenseur. " Les événements justifièrent cette parole peu de temps après. La vérité se fit jour presque miraculeusement, et le châtiment apprit au persécuteur quelle était l’erreur de ses injustes poursuites.

Lapa, en me faisant ce récit, m’en a assuré l’absolue vérité, et j’accepte en toute confiance son témoignage. Tous ceux qui la connaissent savent Sa simplicité, simplicité telle que cette octogénaire ne saurait jamais, quand même elle le voudrait, inventer de pareilles suppositions. Au reste, tous ceux qui ont connu Jacques sont d’accord pour témoigner que c’était un homme simple, droit et évitant le mal.

Enfin la modestie du langage était telle dans ce père de famille que tous les siens, et, en particulier, les femmes élevées à son école ne pouvaient dire ou entendre quelque parole indécente et déshonnête. Une de ses filles, appelée Bonaventura, dont nous parlerons plus loin, avait épousé un jeune homme nommé Nicolas, de la même ville. Celui-ci, orphelin, fréquentait les jeunes gens de son âge; leur langue, sans retenue, proférait souvent des paroles déshonnêtes, et il parlait comme eux. Bonaventura en conçut une telle tristesse qu’elle fut prise d’une maladie de langueur. Chaque jour elle maigrissait et s’affaiblissait à vue d’œil. Au bout de quelque temps, son mari lui demanda la cause de ce mal ; elle lui répondit gravement : " Dans la maison de mon père, je n’ai pas été habituée à entendre des paroles comme celles que j’entends chaque jour; ce n’est pas ainsi que mes parents m’ont élevée. Soyez sûr que, si cette indécence de langage ne disparaît pas de votre maison, vous me verrez bientôt mourir. " Cette réponse remplit d’admiration Nicolas; il apprécia mieux encore la vertu des parents de Bonaventura et de leur fille son épouse, et il défendit à ses compagnons de tenir désormais devant elle de pareils propos. Cette défense fut observée. La modestie et l’honnêteté de la maison de Jacques corrigèrent ainsi l’immodestie et l’indécence de la maison de son gendre Nicolas.

Le métier de Jacques était de fondre et composer les couleurs avec lesquelles on teint le drap et la laine, de là le nom de teinturier que lui et ses fils portaient dans ce pays. N’est-il pas bien merveilleux que la fille d’un teinturier devint l’épouse du Seigneur, maître des cieux? Voilà pourtant ce qu’avec la grâce de ce même Seigneur le reste de cette histoire vous montrera.

Tout ce que j’ai rapporté dans ce chapitre est connu de presque toute la ville ou de sa plus grande partie. J’ai appris le reste soit de notre sainte vierge elle-même, soit de Lapa sa mère, soit de plusieurs religieux et séculiers, voisins, connaissances ou parents de Jacques.

   

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