CHAPITRE V

CATHERINE TRIOMPHE DE SES PERSECUTEURS GRACE A L’APPARITION D’UNE COLOMBE A SON PÈRE ET A UNE VISION DU BIENHEUREUX DOMINIQUE.

Pendant cette persécution, il arriva qu’un jour la servante du Christ priait avec plus de ferveur encore, dans la chambre de son plus jeune frère, dont nous avons parlé. La porte était restée ouverte, car notre sainte avait reçu de ses parents défense absolue de s’enfermer. Jacques entra dans cette chambre pour y chercher, en l’absence de son lus, quelque chose dont il avait besoin. Une fois entré, il examina avec soin tout l’appartement, probablement pour trouver ce qu’il cherchait. Il vit alors sa fille, fille de Dieu plus que de lui, priant à genoux dans un coin. Une petite colombe blanche comme neige se reposait sur la tête de Catherine. A l’entrée du père, la colombe, volant un peu plus haut, parut s’enfuir par la fenêtre de la chambre. A cette vue, il demanda à sa fille quelle était cette colombe, qui venait de prendre son vol et de s’enfuir . Catherine répondit qu’elle n’avait vu dans la chambre ni colombe, ni oiseau quelconque. Jacques n’en fut que plus étonné et il conservait et méditait toutes cet choses en son cœur.

Au reste, en ce temps-là, croissait chaque jour dam l’âme de la vierge un désir qui datait de son enfance ainsi que nous l’avons dit plus haut, mais qui reparaissait tout renouvelé pour la sauvegarde de son vœu. C’était le désir de recevoir et de revêtir l’habit de l’Ordre des Frères Prêcheurs, dont le bienheureux Dominique fut le chef, le fondateur et le père. Jour et nuit, sans se lasser, Catherine envoyait sa prière frapper aux oreilles de Dieu, pour que le Seigneur daignât accomplir son désir. Ainsi que nous en avons dit un mot plus haut, elle avait une grande dévotion à saint Dominique, dont elle admirait le zèle incomparable et souverainement fécond pour le salut des âmes. Le Seigneur, dont l’excellence est au-dessus de tout, voyant comment sa jeune guerrière avait sagement et courageusement combattu dans la lice, et quelle ferveur elle mettait à lui plaire, ne voulut pas la priver plus longtemps de l’objet de ses désirs. Pour la mieux assurer de leur accomplissement, il la consola par la vision suivante.

La servante du Christ eut un songe pendant lequel il lui sembla voir plusieurs saints patriarches et fondateurs de différents Ordres, et, parmi eux, le bienheureux Dominique. Elle le reconnut facilement, à ce qu’il portait dans ses mains un lys éblouissant de blancheur, d’une incomparable beauté, qui, nouveau buisson de Moïse, paraissait brûler sans se consumer. Tous ces saints, et chacun d’eux, l’engagèrent à choisir, pour augmenter ses mérites, une de leurs religions, où elle pût donner au Seigneur un service mieux agréé. Dirigeant alors ses regards et ses pas vers le bienheureux Dominique, elle vit le saint Patriarche venir aussitôt à sa rencontre, ayant dans une main l’habit des Soeurs dites de la Pénitence du bienheureux Dominique, qui étaient assez nombreuses à Sienne. Il s’approcha d’elle et la consola par les paroles suivantes : " Très douce fille! aie bon courage! ne crains aucun obstacle, car, très certainement, tu revêtiras cet habit que tu désires. "

A ces paroles, grande fut son allégresse; pleurant de joie, elle rendit grâces au Très-Haut et au glorieux athlète de Dieu, Dominique, qui lui avait donné si parfaite consolation. Ses larmes la réveillèrent et la rappelèrent à l’usage de ses sens.

Tout à la fois consolée et fortifiée par cette vision, l’âme de la vierge puisa dans sa confiance au Seigneur une telle audace que, le même jour, elle réunit ses parents et ses frères et leur tint hardiment ce langage " Depuis longtemps vous parlez et vous négociez, comme vous dites, pour me livrer en mariage à un homme corruptible et mortel, et moi j’ai pour ce projet une cordiale horreur. Déjà je vous en ai donné bien des signes, que vous avez pu facilement comprendre; cependant, à cause du respect que, par l’ordre de Dieu, je dois avoir pour mes parents, je n’ai pas encore jusqu’ici parlé clairement. Mais maintenant ce n’est plus le temps de me taire davantage; je vais donc en toute franchise et simplicité vous ouvrir mon cœur et vous dire une résolution qui n’est pas nouvelle, mais que j’ai conçue et en même temps arrêtée dès mon enfance. Sachez donc que, dès mes premières années, j’ai fait vœu de virginité; et ce n’est pas là un enfantillage, mais un vœu fait après longue délibération, et pour de graves motifs, au Sauveur, mon Seigneur Jésus-Christ, et à sa très glorieuse Mère. Je leur ai promis, qu’en dehors du Seigneur lui-même, je n’accepterais jamais aucun autre époux. Et maintenant que, par la grâce de ce même Seigneur, je suis arrivée à une connaissance et à un âge plus parfaits, apprenez combien ce propos est fermement arrêté dans mon âme. Les pierres pourraient plus tôt être amollies que mon cœur arraché à cette sainte résolution. A lutter contre elle, plus vous multiplierez vos efforts, plus vous perdrez votre temps. C’est pourquoi je vous conseille de rompre complètement toute négociation au sujet de mes noces, car je n’entends faire d’aucune façon votre volonté sur ce point; je dois obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Si donc, dans ces conditions, vous voulez me garder dans votre maison et m’y traiter comme votre servante, je suis toute disposée à vous servir joyeusement, comme je saurai et comme je pourrai. Mais si, à cause de mon refus, vous décidez de me chasser de votre foyer, sachez encore que cela ne fera dévier en rien mon cœur de sa résolution. J’ai un Epoux si riche et si puissant qu’il ne permettra pas que je manque de quelque chose et me procurera certainement ce qui me sera nécessaire. "

A ces paroles, tous ceux qui les entendaient fondent en larmes, et au milieu de tant de sanglots et de soupirs, personne ne peut répondre. Tous ne pensaient qu’à la sainte résolution de la vierge à laquelle ils n’osaient plus contredire. Ils contemplaient cette jeune fille jusque-là silencieuse et timide qui, si hardiment et si sagement, venait d’ouvrir son âme dans des paroles toutes de prudence. Ils voyaient manifestement qu’elle était prête à quitter la maison paternelle plutôt qu’à rompre son vœu; dès lors plus aucun espoir de la marier jamais. Aussi, dans l’émotion de leur cœur, aimaient-ils mieux pleurer que répondre.

Cependant, après quelques instants, les larmes cessèrent; le père, qui aimait tendrement Catherine et craignait Dieu plus encore, se rappelant la colombe qu’il avait vue, et plusieurs autres actes de sa fille dont son admiration avait gardé le souvenir, lui fit, dit-on, cette réponse : " Loin de nous, très douce fille, la pensée de nous opposer en aucune manière à la divine Volonté, d’où procède ta sainte résolution. Une longue expérience nous a appris, et nous savons manifestement maintenant, que ce n’est pas une légèreté de jeunesse, mais la divine Charité qui t’a inspirée. Accomplis librement ton vœu. Fais ce qui te plaira, et ce que l’Esprit-Saint t’apprendra. Nous ne voulons plus désormais te détourner de tes saintes œuvres, ni mettre le moindre obstacle à tes pratiques de vertu. Mais intercède continuellement pour nous, afin que nous devenions dignes de l’Epoux que tu as choisi dans un âge si tendre, sous l’inspiration de sa grâce. "

Puis, se tournant vers sa femme et ses fils, il leur dit : " Que personne désormais ne moleste ma très douce fille, que personne n’ose en rien la gêner, laissez-la servir librement son Époux, et prier sans cesse pour nous. Nous ne trouverons jamais d’alliance comparable à celle-là, et nous n’aurons pas à nous plaindre, si, au lieu d’un homme mortel, nous recevons un Homme-Dieu, immortel. " Après cela, malgré les gémissements des assistants, et surtout de Lapa, qui avait pour sa fille une affection trop charnelle, notre sainte, exultant dans le Seigneur, rendit grâces à son très victorieux Epoux, qui venait de la conduire au triomphe. Elle remercia ses parents le plus humblement qu’elle put, et se disposa de tout son cœur à user de la permission si avantageuse qui venait de lui être concédée.

Finissons ici ce chapitre et sachez, lecteur, que je n’ai pas appris du père même de Catherine la vision de la colombe, Il était déjà dans l’autre monde, quand je connus pour la première fois la sainte. Mais plusieurs parents de la vierge, habitant sa maison, m’ont dit avoir entendu Jacques lui-même la raconter. Ils disaient même que cette vision s’était souvent répétée. Aussi Jacques avait-il sa fille en grand respect, ne permettant pas qu’on la troublât d’aucune façon. Je n’ai pas été aussi loin dans mes affirmations, afin d’éloigner davantage de mes dires toute erreur, autant que je le puis. La sainte a raconté au confesseur qui m’a précédé aussi bien qu’à moi la vision du bienheureux Dominique. Quant aux paroles adressées à ses parents et à ses frères, elle me les a rapportées et exposées tout au long et en ordre, alors que je lui demandais ce qu’elle avait fait au milieu de ces persécutions.

   

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