CHAPITRE XI

CATHERINE REMPORTE SUR LES TENTATIONS UN ADMIRABLE TRIOMPHE, GRACE A DE NOUVEAUX ENSEIGNEMENTS DU SAUVEUR. —  FAMILIARITE INOUIE DE LA SAINTE AVEC LE SEIGNEUR JESUS.

Le Roi de paix ayant élevé pour la garde de Jérusalem la tour du Liban dans la direction de Damas,le roi de Babylone, roi d'orgueil et ennemi de la paix, en frémit; aussitôt il mobilise contre elle son armée et s'efforce de la démolir. Mais le premier Roi, auteur et défenseur de la paix, a prévu cette attaque et pris ses mesures pour la repousser. Il environne sa tour d'admirables et inexpugnables murailles. Contre ces murailles, les traits de l'ennemi non seulement viennent se briser, mais, renvoyés d'une façon merveilleuse, ils s'en vont frapper et abattre ceux qui les ont lancés. Et voici maintenant ce que je voulais vous dire sous cette figure. L'antique serpent, comprenant que notre jeune sainte allait s'élever aux grands sommets des vertus parfaites, craignit, ainsi qu'il arriva, de la voir, non seulement se sauver elle-même, mais devenir cause de salut pour un grand nombre d'âmes et défendre, tant par ses mérites que par sa doctrine, la sainte cité de l'Eglise catholique. Alors il employa toutes les ressources de sa malice à la séduire par mille artifices. Mais, dans sa grande miséricorde, le Seigneur ne laissa à l'ennemi libre champ que pour embellir la couronne de son épouse. Il munit Catherine d'armes spirituelles si puissantes qu'elle gagna plus à la guerre qu'à la paix. Il lui inspira la pensée de demander à Dieu l'esprit de force, ce qu'elle fit sans relâche, jour et nuit. Puis, ce même Dieu très clément qui l'avait inspirée, voulant ensuite exaucer sa longue prière, lui donna les instructions suivantes :

" Ma fille, lui dit-il, si tu veux acquérir la vertu de force, il te faut m'imiter. Je pourrais, par ma vertu divine, annihiler les puissances de l’air ( Le démon, Eph 2,2) ou prendre n’importe quel moyen pour en triompher, et cependant, dans le but de vous donner en exemple les actes de mon humanité, j'ai voulu vaincre par la voie de la croix, et pratiquer ce que ma parole vous enseignait. Voulez-vous être forts pour vaincre toute puissance ennemie, recevez la croix comme un soulagement pour votre cœur. Ainsi l'ai-je reçue ; mon Apôtre en témoigne, ce fut grande joie pour moi de courir à une croix Si ignominieuse et si dure (Hb 12,2 ). Choisissez les peines et les afflictions, non seulement pour les porter patiemment, mais pour les embrasser comme une consolation; et elles sont vraiment des consolations, car plus vous en souffrez pour moi, plus vous me devenez semblables. Mais si, par vos souffrances, vous conformez votre vie à la mienne, il s'ensuivra nécessairement, selon la doctrine de mon Apôtre, que vous devrez recevoir aussi même grâce et même gloire (Rm 8,17). Reçois donc, ma fille, hm cause de moi, comme amer, ce qui est doux, et comme doux, ce qui est amer; et ne doute point qu'après cela tu ne sois forte en toutes circonstances. Ces paroles ne tombèrent pas dans une oreille inattentive. Dès ce moment Catherine arrêta fortement en son âme la résolution de mettre sa jouissance dans les tribulations. Ainsi qu'elle me l'a secrètement confessé, cette résolution était telle que rien d'extérieur ne la reposait en cette vie, comme les afflictions et les souffrances. Elle avouait que, sans cela, elle eût souffert bien impatiemment d'être retenue dans son corps. Mais, pour l'avantage de supporter ces afflictions, elle acceptait volontiers de ne recevoir que plus tard la couronne céleste, sachant qu'à cette couronne ses peines ajoutaient chaque jour de nouveaux fleurons.

Le Roi du ciel et de la terre ayant ainsi armé sa tour avec cet enseignement tout plein de force, il ouvrit la voie aux ennemis et leur permit d'approcher et d'essayer comment ils pourraient forcer l'entrée de cette tour. Leurs odieux bataillons arrivent aussitôt, ils s'efforcent de l’entourer de tous côtés, afin de la priver de tout secours et de saper de toutes parts ses fondements. Ils commencent par les tentations de la chair non seulement ils envoient à la sainte des imaginations impures qui la troublent à l'intérieur, des illusions et songes qui agitent son sommeil, mais ils recourent à des visions manifestes, ils prennent pour cela des corps aériens, ils remplissent de fantômes lascifs les yeux et les oreilles de Catherine, ils les lui servent sous mille et mille formes diverses. La plume a horreur de rapporter de tels combats ; mais te récit de la victoire sera pour les âmes pures d'un charme incomparable.

Catherine s'en prend alors très courageusement à elle-même, c'est-à-dire à sa chair et à son sang, elle macère sa chair avec une chaîne de fer, elle répand son sang. Elle prolonge tellement ses veilles accoutumées du elle en vient à se priver presque complètement de sommeil. Ses ennemis ne cessent pas pour autant la lutte commencée; ils prennent, comme je l'ai dit, des corps aériens, ils multiplient les images et les apparitions fantastiques, ils se pressent en foule sous les yeux de Catherine, ils la plaignent, ils lui donnent conseil et lui disent tout d'abord : " Pauvre fille! pourquoi tant t'affliger inutilement? Que gagneras-tu aux tourments d'une si grande pénitence? Penses-tu pouvoir persévérer dans ces pratiques? Jamais tu ne pourras continuer, à moins que tu ne veuilles te tuer toi-même, être homicide de ton propre corps. Mieux vaut pour toi renoncer à cette sottise, avant que tu ne sois complètement anéantie. Tu es encore à l'âge où l'on peut goûter les joies du monde. Tu es jeune, ton corps retrouvera bien vite sa vigueur. Vis comme les autres femmes et donne le jour à des fils qui augmentent le nombre des hommes. Tu désires plaire à Dieu? Mais n'y a-t-il pas aussi des saintes qui se sont mariées? Vois Sara, Rebecca, Lia, Rachel ! Pourquoi as-tu choisi cette vie singulière où tu ne pourras jamais persévérer.

A tous ces discours notre vierge n'opposait qu'une prière continue, et posait une garde à sa bouche pendant tout le temps que le Pécheur se dressait contre elle (Ps 28,12). Elle ne répondait rien, sauf lorsque ces visions lui suggéraient qu'elle ne persévérerait pas, afin de lui faire tout abandonner. Alors elle disait simplement: " Je mets ma confiance en Notre-Seigneur Jésus-Christ et non pas en moi. " Le tentateur ne put obtenir d'elle aucune autre réponse, mais elle demeurait toujours constante dans sa prière. Elle nous donnait à nous qui vivions avec elle cette règle générale, qu'au moment des tentations, nous ne devons jamais nous mettre à discuter avec l'ennemi. Il ne cherche, disait-elle, qu'à nous faire accepter une discussion, car il a confiance dans la grande subtilité de sa malice, et il pense nous vaincre par ses raisons sophistiques. De même qu'une femme chaste ne doit rien répondre à celui qui lui propose l'adultère, mais le fuir autant que possible, ainsi l'âme qu'un chaste amour unit au Christ ne doit jamais répondre à l'ennemi qui la tente, mais elle doit recourir à son Epoux dans la prière et placer en lui toute la confiance dont est capable une âme remplie de foi, car c'est la foi qui nous fait triompher de toutes les tentations. Voilà donc comment l'épouse du Seigneur savait combattre Sisara et lui perforer les tempes avec le clou d'une prière vivifiée par la foi ( Juges 4, 20-21). L'ennemi s'en aperçut, et laissant là les paroles de persuasion, il eut recours à un autre genre d'attaque. Il formait des images d'hommes et de femmes qui présentaient à la vue et aux oreilles de la sainte de honteuses unions, des actes hideux, des paroles obscènes. Leurs troupes abominables couraient autour de la vierge et la provoquaient au péché honteux par leurs hurlements et leurs cris. O mon Dieu! quel ne fut pas alors le tourment de cette âme ! il lui fallait voir et entendre ce qu'elle avait le plus en horreur. A cette affliction s'en ajoutait une autre. L'Époux, qui avait coutume de la visiter si souvent, et de lui prodiguer miséricordieusement ses consolations, paraissait pour lors s'être éloigné, et semblait ne plus lui offrir aucun secours ni visiblement ou invisiblement. De là, sans aucun doute, un débordement de tristesse dans l'âme de la sainte, qui s'appliquait néanmoins, tout entière et sans relâche, à la mortification de la chair et à la prière. Instruite par l'Esprit du Seigneur, elle avait trouvé, pour déjouer les embûches de l’ennemi, une sage pratique, qu'elle a enseignée dans la suite à bien d'autres personnes. Il arrive en effet, souvent, disait-elle, qu'une âme éprise de Dieu sent la ferveur de son esprit tomber. Cela peut venir, ou d'une providence spéciale de Dieu, ou de quelque faute, ou des derniers stratagèmes de l'ennemi. Et cette âme descend quelquefois presque jusqu'à la froideur. Certains imprudents, se voyant ainsi privés de leurs consolations accoutumées, abandonnent leurs exercices habituels de prière, de méditation, de lecture, de pénitence. De ce fait, ils s'affaiblissent davantage encore, et si l'on peut parler ainsi, ils font la joie de l'ennemi, qui ne cherche qu'à abandonner aux soldats du Christ les armes de leur victoire. L'athlète prudent du Christ, quel que soit le degré de refroidissement intérieur, qu'il croit sentir en lui-même, doit donc continuer toujours ses exercices spirituels, et ne pas les quitter ou les diminuer pour cette cause, mais ami contraire les multiplier.

Voilà ce que le Seigneur apprit à notre vierge, et ce qu'elle mit en pratique. Dans cette sainte haine pour elle-même que nous avons plus haut décrite, elle se disait : " O la plus vile des créatures! es-tu vraiment digne de quelque consolation? Ne te souviens-tu pas de tes péchés? Quel sentiment as-tu de toi-même, malheureuse? Si tu échappes à la damnation éternelle, cela ne suffit-il pas, quand même il te faudrait pendant toute ta vie souffrir ces peines et ces ténèbres spirituelles? Pourquoi tomber à cause de cela dans la paresse et la tristesse? Si tu peux éviter les peines éternelles, tu es sûre d'avoir toute l'éternité pour te consoler avec le Christ. Est-ce pour les consolations de cette vie que tu as choisi de le servir? N'est-ce pas pour jouir de Lui dans l'éternité? Relève-toi donc! n'abandonne rien de tes pratiques ordinaires, au contraire, ajoute toujours quelque chose aux louanges que tu adresses habituellement au Seigneur. Avec ces traits d'humilité; notre sainte frappait et transperçait le roi de l'orgueilleuse Babylone, tout en s'assurant à elle-même le secours réconfortant des paroles de la sagesse. Cependant, ainsi qu'elle me l'a confessé, la multitude des démons qu'il lui semblait voir dans sa chambre était si grande, il y avait tant d'excitation au mal dans leurs mauvaises suggestions, qu'elle fuyait volontiers cette chambre, du moins pour un certain temps. Elle restait alors à l'église plus longtemps que de coutume. Les persécutions de l'enfer la poursuivaient jusque-là, mais elles y étaient plus tolérables. Si cela lui eût été permis, elle eût imité saint Jérôme, et se fût enfuie à travers les vallées et les collines afin de pouvoir s'épargner la vue de démons si abominables, et de leurs actes monstrueux. Chaque fois en effet qu'elle revenait à sa cellule, elle retrouvait ces mêmes démons, avec leurs paroles et leurs actions honteuses. Leur multitude était telle qu'on eût dit un essaim de mouches importunes, qui remplissait tout l'appartement. Catherine, se réfugiant alors dans la prière, criait vers le Seigneur, jusqu'à ce que l'infernale tentation s'adoucit quelque peu. Après plusieurs jours d'un pareil tourment, notre sainte s'étant prosternée pour prier, en revenant de l'église, fut illuminée d'un rayon de l'Esprit-Saint. Son intelligence s'ouvrit, et elle se rappela comment, peu de temps auparavant, elle avait demandé au Seigneur le don de force, et comment le Seigneur lui avait appris à l'obtenir. Elle comprit aussitôt le mystère de ces tentations, et, toute réjouie intérieurement, elle prit la ferme résolution de supporter toutes ces peines d'un cœur joyeux, aussi longtemps que tel serait le bon plaisir de sou Epoux. C'est alors qu'un de ces démons, peut-être plus audacieux et plus mauvais que les autres, tint à notre sainte ce langage : " Malheureuse, que vas-tu faire? Passeras-tu toute ta vie dans ce misérable état? Nous ne cesserons pas jusqu'à la mort de te persécuter, tant que tu n'auras pas consenti à nos suggestions." Catherine, se souvenant de l'enseignement reçu, lui répondit avec une pleine assurance: " J'ai choisi les peines pour mon repos et ma consolation; ce n'est donc pas pour moi une difficulté; bien plus, ce m'est un plaisir de supporter, au nom du Sauveur, ces peines et d'autres encore, aussi longtemps que le voudra sa Majesté. " A ces paroles, toute la troupe des démons ainsi confondus s'évanouit, une grande lumière, descendant d'en-haut, illumina toute la chambre et, au milieu de cette lumière, apparut le Seigneur Jésus-Christ crucifié, tel qu'au jour où, tout couvert de son propre sang, il pénétra, grâce à la vertu de ce sang, dans les saints tabernacles (Hb 9,12). Du haut de sa croix, il appela notre vierge et lui dit : " Ma fille, Catherine, vois-tu combien j'ai souffert pour toi? Ne trouve donc pas trop lourd d'avoir à souffrir pour Moi."

Puis il prit une autre forme pour s'approcher davantage de la sainte et la consoler. Il lui parlait doucement du triomphe qu'elle venait d'obtenir dans ce combat. Catherine, imitant Antoine, lui dit alors : " Et où étiez vous, mon Seigneur, quand mon cœur était tourmenté par tant de turpitudes? - J'étais dans ton coeur, répondit le Seigneur. Elle reprit : "Seigneur, je ne doute nullement de votre vérité et ne veux manquer en rien au respect dû à votre Majesté; mais comment puis-je croire que vous habitiez dans mon cœur alors qu'il n'était rempli que de pensées immondes et honteuses? - Ces pensées et tentations apportaient-elles à ton coeur joie ou tristesse, plaisir ou chagrin? - Une tristesse et un chagrin sans bornes. - Et qui donc causait en toi cette tristesse, si ce n'est moi, qui me tenais caché au milieu de ton coeur. Sans ma présence, ces pensées auraient pénétré dans ta volonté, tu y aurais pris plaisir. Mais, parce que j'étais là, elles déplaisaient à ton âme, tu voulais alors chasser loin de toi ces imaginations, comme d'odieuses suggestions, et comme tu ne le pouvais pas au gré de tes désirs, de là ta tristesse et ton chagrin. C'est moi qui faisais tout cela et qui défendais contre les ennemis ton cœur tout entier. Je me cachais à l'intérieur et je te laissais dans le trouble à l'extérieur, autant que cela pouvait être utile à ton salut. Le temps que j'avais fixé pour ce combat étant écoulé' j'ai laissé ma lumière rayonner jusqu'au dehors, aussitôt les ténèbres de l'enfer se sont évanouies et enfuies, car elles ne peuvent habiter avec la lumière ( 2 Co 4,14). N'est-ce pas un rayon de ma lumière qui t'a appris tout à l'heure que ces peines étaient bonnes pour te faire acquérir la force et que tu devais les supporter de bon cœur tant que cela me plairait? Tu t'es alors offerte à porter de tout coeur ces mêmes peines et aussitôt elles se sont évanouies d'elles-mêmes par la seule manifestation de ma présence; car mon plaisir n'est pas dans les souffrances des justes, mais dans leur volonté de porter courageusement ces souffrances. Et, pour te faire entendre plus parfaitement et plus aimablement ce que je viens de dire, je te donnerai l'exemple de mon corps. Quand mon corps souffrait si cruellement et mourait sur la croix, et quand ensuite il gisait inanimé dans le sépulcre, qui donc eût pensé que ce corps avait toujours en lui une vie latente, dont rien ne pouvait le séparer. Certes, ni les étrangers et les méchants, ni même mes Apôtres, ne pouvaient croire pareille chose. Tous avaient perdu la foi et l'espérance. Et cependant, bien qu'en toute vérité mon corps ne vécût plus de la vie qu'il recevait de l'âme, il gardait cependant son union à cette vie sans limites, qui fait vivre tous les vivants. C'est grâce à la vertu de cette vie qu'au temps fixé par l'éternel décret il fut réuni à son âme et reçut une énergie vitale et des facultés bien supérieures à celles de son premier état; car il jouit dès lors de l'immortalité, de l'impassibilité et des autres dons, qu'il n'avait pas reçus tout d'abord. Cette vie de la nature divine, unie à mon corps, se cacha donc quand elle le voulut, et quand elle le voulut aussi, elle fit éclater sa vertu. Mais je vous ai créés à mon image et à ma ressemblance; bien plus, en prenant votre nature, je me suis fait semblable à vous. En conséquence, je ne cesse plus de travailler à vous rendre semblables à moi, autant que vous en êtes capables, et je m’efforce de renouveler en vos âmes, alors qu'elles marchent vers le ciel, tout ce qui s'est passé dans mon corps. Ainsi donc, ma fille, parce que tu as fidèlement combattu, non par ta propre vertu, mais par la mienne, tu as mérité une augmentation de grâce; c'est pourquoi, désormais, je t'apparaîtrai plus fréquemment et plus familièrement."

Ainsi finit cette vision; mais notre sainte en demeura si remplie de suavité et de douceur qu'il serait ridicule de penser que la parole ou la plume pussent décrire parfaitement un pareil état. Le cœur de la vierge trouvait en particulier un charme incomparable à la parole du Seigneur qui l'avait appelée sa fille, et lui avait dit " Ma fille, Catherine. " Aussi, quand elle eut rapporté cette vision à son confesseur, le pria-t-elle de lui continuer cette même appellation, afin que toujours ce même charme se renouvelât en son coeur.

Depuis ce moment, le très saint Époux de Catherine se mit à vivre si familièrement avec elle que tout homme, ignorant ce qui précède, trouverait notre récit incroyable ou ridicule. Mais l'âme qui a goûté combien la suavité (Ps 23,9) et la bénignité du Seigneur dépassent toute conception humaine, non seulement ne trouvera dans ces faits aucune impossibilité ; mais elle y verra une grande ressemblance et une réelle convenance. Le Seigneur apparaissait donc très souvent à notre sainte, il restait avec elle plus longtemps que de coutume, il amenait avec Lui quelquefois sa très glorieuse Mère, d'autres fois le bienheureux Dominique, parfois même l'un et l'autre, ou bien encore Marie-Madeleine, Jean l'Evangéliste, l'Apôtre Paul, et quelques autres saints, ensemble ou séparément, selon qu'il Lui plaisait. Mais le plus souvent il venait seul et s'entretenait avec Catherine, comme un ami avec son ami le plus intime. Souvent même, elle me l'a confessé secrètement et en rougissant, le Seigneur se promenait avec elle dans la chambre, ils disaient ensemble les psaumes, comme l'auraient fait deux religieux ou deux clercs récitant l'office. O témoignage de familiarité étonnante, merveilleuse et vraiment inouïe pour notre temps ! Et cependant, lecteur, cela ne doit pas vous paraître incroyable, si vous voulez bien considérer ce que nous avons déjà dit et ce que nous allons dire, et si, en même temps, vous réfléchissez attentivement à l'abîme de la divine

Bonté. Chaque saint reçoit en effet un don particulier, dont la possession lui assure une joie toute spéciale. De cette façon ce n'est pas seulement dans tous les saints, mais dans chacun d'eux qu'apparaît la sublimité de la souveraine Magnificence. Le Prophète nous l'a dit : " Selon la mesure de votre sublimité, vous avez multiplié les fils des hommes (Secundum altitudinem tuam multiplicasti filios hominum. Ps. 11,9 Multiplier, c'est augmenter le nombre d'individus distincts. Il est donc naturel que Dieu, multipliant lui-même les saints, imprime le sceau de sa puissance infinie dans le caractère distinctif de chacun de ses saints.) " C'est donc selon la mesure de sa propre sublimité que le Seigneur multiplie les fils des hommes. Or les sens nous disent que chaque homme se distingue des autres par quelque caractère particulier. Chaque saint doit donc se distinguer de tous les autres par quelque grâce spéciale. Rien donc d'étonnant, si l'on raconte d'un saint des merveilles qu'on n'a jamais trouvées chez les autres.

Et puisque nous parlons ici de la psalmodie, je dois vous dire, lecteur, que cette vierge savait lire, sans l'avoir appris d'aucun homme de ce monde. Je dis qu'elle savait lire, et non pas parler latin, mais simplement lire et prononcer les syllabes. Elle me raconta à ce sujet, que, voulant réciter les louanges divines et les heures canoniques, elle avait résolu d'apprendre à lire. S'étant fait écrire un alphabet, elle l'étudiait avec le secours d'une compagne. Après avoir travaillé pendant plusieurs semaines sans parvenir à l'apprendre, elle imagina d'avoir recours à la grâce de Dieu, pour éviter cette perte de temps. Un matin, elle se prosterna en prière devant le Seigneur et lui dit : "S'il vous plaît, Seigneur, que je sache lire, afin de pouvoir chanter les Psaumes et vos louanges dans les Heures canoniques, daignez m'enseigner ce que je ne puis apprendre de moi-même, sinon, que votre volonté soit faite, car je suis disposée à rester bien volontiers dans mon ignorance et à employer de meilleur cœur encore à d'autres pieuses méditations le temps que vous m'accordez. " O merveille! et signe manifeste de la vertu divine! Avant que notre sainte se fût relevée de sa prière, elle avait été si bien instruite par Dieu, qu'une fois debout, elle put déchiffrer tous les caractères, aussi rapidement et aussi bien que l'homme le plus instruit. J'en fis moi-même l'expérience, et ce qui m'étonna le plus, c'est que tout en lisant très rapidement, elle n'était pas capable d'épeler, quand on le lui demandait. Bien plus, elle connaissait à peine les lettres. Dieu l'avait ainsi voulu, je crois, pour que le miracle fût plus manifeste. Après avoir reçu cette grâce, elle se procura des livres contenant l'office divin et commença à lire les psaumes, les hymnes et autres pièces qui constituent l'office canonique. Parmi les prières qu'elle récitait ainsi, elle nota tout particulièrement et retint jusqu'à la mort le verset qui commence chaque Heure : Deus in adjutorium meum intende, Domine ad adjuvandum me festina. Cette invocation, traduite en langue vulgaire, revenait souvent sur ses lèvres. Plus tard, son âme s'élevait à une contemplation de plus en plus parfaite, ses prières vocales cessèrent peu à peu. A la fin, ses extases devinrent si fréquentes qu'elle pouvait à peine réciter l'oraison dominicale, sans que son esprit fût ravi hors des sens. Avec la grâce de Dieu, nous exposerons cela plus loin. Pour le moment, finissons ce chapitre et passons au suivant, où nous terminerons cette première partie, si toutefois le Seigneur veut bien nous accorder une grâce plus puissante encore.

J'ai puisé tout ce que ce chapitre contient dans les confidences faites par la sainte à ses confesseurs, et dans ses lettres, lettres où, suivant l'exemple d'autres écrivains, elle raconte, comme étant arrivés à une personne étrangère, les faits de sa vie personnelle.

   

pour toute suggestion ou demande d'informations