Notre vierge avait donc
achevé le cours de son pèlerinage et obtenu sa récompense; mais même
alors la Vertu divine qui l’avait toujours accompagnée en
cette
vie voulut encore manifester aux infidèles les mérites de la sainte.
Ainsi que nous en avons dit un mot tout à’ l’heure, personne n’avait
appelé ou fait appeler la foule auprès de la défunte; plusieurs même
cherchaient à cacher cette mort, et cependant presque tout le peuple de
Rome accourut à l’église où étaient déposés les restes de la
bienheureuse, en attendant l’inhumation; tous baisaient religieusement
ses pieds et ses mains et se recommandaient à ses prières. Il y eut un
tel concours de peuple qu’on dut placer le saint corps, comme je l’ai
dit, à l’intérieur des grilles de fer de la chapelle du bienheureux
Dominique. Beaucoup de personnes, confiantes en la sainte intercession
de Catherine, commencèrent alors à amener des malades et des infirmes,
et à demander au Seigneur leur guérison par les mérites de notre vierge.
Elles ne furent pas trompées dans leur attente ; et je dois, en
conséquence, rapporter ici les faits que j’ai trouvés consignés par
écrit, et raconter ceux que j’ai moi-même pleinement constatés. Il y
avait alors à Rome une Soeur du Tiers-Ordre du bienheureux François,
appelée Dominique. Elle était originaire de Bergame, en Lombardie, et
souffrait au bras d’une infirmité très grave et déjà très ancienne. Dès
six mois avant la mort de Catherine, elle ne pouvait plus se servir de
son bras, qui était sans force et comme desséché; Cette femme vint à
l’église de la Minerve pendant que les restes de la bienheureuse y
étaient exposés. Ne pouvant en approcher, à cause de la foule, elle
tendit à quelqu’un son voile, en demandant qu’on le fît toucher au corps
de la vierge et qu’on le lui rendît. Elle le plaça alors sur son bras et
fut de suite guérie. Elle se mit aussitôt à crier au milieu de tout ce
peuple et à dire : " Voici que, par les mérites de cette vierge, je suis
guérie d’un mal incurable qui m’avait enlevé complètement l’usage d’un
bras. " A cette nouvelle, il se fit un grand tumulte parmi le peuple, et
beaucoup de personnes amenèrent leurs malades pour qu’ils pussent
toucher au moins la frange des vêtements de Catherine. On amena en
particulier un petit enfant de quatre ans, dont une maladie avait
contracté les nerfs du cou. Il tenait la tête tout à fait inclinée sur
l’épaule et ne pouvait absolument pas la relever. On l’apporta vers le
saint corps, on fit toucher l’endroit malade à la vierge, dont on passa
le voile autour du cou de l’enfant. Celui-ci se trouva immédiatement
mieux, redressa peu à peu la tête et en peu de temps fut parfaitement
guéri.
Aussi, pendant trois jours,
fut-il impossible de procéder aux funérailles à cause des miracles et
des prodiges qui se faisaient par l’intercession de Catherine et
attiraient un concours de peuple toujours aussi considérable. Un Maître
en sacrée Théologie voulut alors prêcher devant cette foule les louanges
de la bienheureuse. Il monta pour cela à l’ambon; mais il lui fut
impossible d’apaiser le tumulte et d’obtenir qu’on l’écoutât. C’est
alors qu’il dit cette parole que beaucoup ont entendue : " Cette
sainte n’a pas besoin de nos prédications, elle se prêche et se fait
connaître suffisamment elle-même. " Puis il descendit sans avoir
fini, sans avoir pu commencer son sermon. Les miracles allaient toujours
croissant et se multipliant.
Un Romain, nommé Lucius de
Cannarola, souffrait d’un mal que nul remède n’avait pu soulager, et
avait perdu l’os de la hanche, presque entièrement, et tout le tibia.
Même en s’appuyant sur un bâton, il pouvait à peine faire quelques pas.
La renommée des prodiges que le Très-Haut opérait à l’intercession de
Catherine étant arrivée jusqu’à lui, il se traîna à grand’peine jusqu’à
l’église de la Minerve. Il fallut le secours d’un bras étranger pour
l’amener jusqu’au lieu où reposait le corps de la vierge, dont il prit
la main avec grande dévotion pour la placer sur la jambe malade. Il
sentit aussitôt dans ses membres une vertu mystérieuse qui les secouait,
et, avant de s’être retiré, il était pleinement guéri. Toutes les
personnes présentes constatèrent le prodige et bénirent le Dieu
tout-puissant, qui est toujours admirable dans ses saints.
Une jeune fille du nom de
Ratozola avait une horrible maladie, la lèpre au visage; le nez et la
lèvre supérieure étaient déjà rongés par un chancre affreux et fétide.
Au bruit de la renommée, elle vint, elle aussi, à la Minerve, et
s’efforça d’approcher du saint corps. Elle fut plusieurs fois repoussée
par ceux qui se trouvaient autour; mais, à force d’instances importunes,
elle put enfin arriver jusqu’à lui. Avide d’obtenir une grâce qu’elle
désirait de tout son cœur, elle fit toucher son mal, non seulement aux
pieds et aux mains de la vierge, mais encore à son visage. Que dire de
plus? Elle sentit bientôt sa lèpre diminuer et fut en peu de temps si
parfaitement guérie qu’il ne lui resta pas sur la figure la moindre
cicatrice.
Un Romain, nommé Cyprio,
avait eu de son épouse, appelée Lella, une fille, prise de phtisie dès
son enfance et qu’aucun remède n’avait pu guérir. Les parents, ayant
entendu parler des miracles qui se faisaient par l’intercession de la
bienheureuse, lui recommandèrent dévotement l’enfant, auquel ils firent
toucher un voile et un Pater Noster qui avaient été déposés sur
le saint corps. O merveille! leur fille, dont ils n’espéraient plus le
rétablissement, eut à peine touché ces objets qu’elle fut parfaitement
guérie et retrouva sa première santé.
Toujours avant les
funérailles, un citoyen de Rome, du nom d’Antonio Lelli ‘Petri, employé
à l’église Saint-Pierre, apprit par la renommée les miracles obtenus par
les mérites de Catherine. Un excès de travail lui avait occasionné une
maladie qui l’avait mis dans l’impossibilité de marcher. Les médecins et
tous les remèdes naturels n’avaient pu le guérir, pas même le soulager.
Il se recommanda donc à la sainte, dont il entendait raconter les
merveilles, et lui promit d’accomplir un voeu si elle lui obtenait la
guérison : O merveille! à peine avait-il fait ce voeu qu’il fut
complètement délivré du mal dont il souffrait. Il ne sentit plus ses
pesanteurs habituelles, et put marcher agilement et librement comme
avant sa maladie. Il vint alors prés des reliques de sa libératrice,
accomplit son vœu et raconta la grâce qu’il avait reçue.
Une pieuse dame, nommé
Paula, était, à l’époque de la mort de Catherine, gravement affligée,
depuis quatre mois, de douleurs d’entrailles et de goutte. Elle avait
été très liée avec notre sainte et lui avait même donné l’hospitalité en
la recevant dans sa maison avec toute sa suite. Cette dame souffrait
d’autant plus que ses deux maladies demandaient des remèdes contraires,
l’une exigeant. des émollients, l’autre des astringents; aussi fut-elle
plusieurs fois près de mourir. A la mort de son amie, elle demanda très
instamment quelque objet qui eût touché le corps de la bienheureuse. On
lui en apporta vers le soir le lendemain matin, elle se leva guérie du
lit qu’elle n’avait pas quitté depuis quatre mois, et elle marchait
aussi librement qu’avant sa maladie. C’est elle-même qui me l’a raconté
à mon retour à Rome. Tous ces prodiges et d’autres encore, dont on a
négligé de consigner par écrit le souvenir, ont été accordés par le
Seigneur, à l’intercession de son épouse, avant que le corps de celle-ci
n’eût été enseveli, c’est-à-dire pendant les trois jours du délai
qu’imposa le concours du peuple, dont nous avons parlé.
Mais, après les funérailles,
la Vertu divine ne cessa point d’opérer ces guérisons de malades; elle
parut même encore plus active. Un Romain, nommé Jean Véri ou Néri, avait
un petit enfant qui ne pouvait pas marcher ni se tenir debout sur ses
pieds. A la nouvelle de tous ces prodiges, il fit un voeu à Dieu et à la
sainte vierge Catherine pour la guérison de son fils. On conduisit
l’enfant au tombeau de la vierge; à peine eut-il été placé sur ce
tombeau qu’il se dressa et se mit à marcher comme s’il n’avait jamais
souffert.
Un certain Jean de Tozo
avait aux yeux un horrible mal ; des vers lui sortaient d’un oeil. Il
offrit un voeu à la bienheureuse Catherine, vierge de Sienne, et fut
aussitôt pleinement guéri. Il vint au tombeau de la sainte, raconta la
grâce qu’il avait obtenue et déposa un ex-voto en cire comme on le fait
d’habitude. Une pèlerine allemande, dont les témoins qui ont rapporté ce
fait ont oublié d’écrire le nom, avait les yeux si gravement atteints et
depuis si longtemps qu’elle avait perdu la vue presque complètement et
n’espérait plus la recouvrer. Elle se recommanda pieusement à la sainte,
lui fit un voeu et, en peu de temps, retrouva la vue sans le secours
d’aucun remède. Quand elle vint au tombeau de sa bienfaitrice, elle
voyait aussi clair qu’avant sa maladie. Une dame romaine, appelée Maria,
souffrait de si violents maux de tête que, malgré les nombreux remèdes
de toutes sortes qu’elle avait employés, elle avait perdu complètement
un oeil. Aussi triste que honteuse de cette infirmité, elle ne voulait
plus sortir de sa maison ni paraître en public. Elle entendit parler,
elle aussi, des miracles de Catherine, qu’elle invoqua pieusement, en
lui faisant un vœu. La nuit suivante, la sainte apparut à la servante de
cette daine et lui tînt ce langage : "Dis à Maria, ta maîtresse, qu’elle
n’emploie plus aucun remède, mais qu’elle aille chaque matin entendre
l’office divin et elle sera guérie. " La servante transmit cet ordre à
sa maîtresse, qui le suivit et se rendit à l’office. Bientôt ses
douleurs cessèrent, elle commença à se servir de son oeil malade. En
continuant d’assister à l’office, elle recouvra tout à fait la vue et sa
première santé. Je vous prie de noter ici, lecteur, la façon d’agir de
notre vierge. Elle a imité son Époux ou, pour employer un langage plus
exact, c’est l’Epoux éternel qui s’est imité lui-même dans cette oeuvre.
Elle ne s’est pas contentée, en effet, de guérir le corps de celle qui
l’invoquait, mais elle a voulu en même temps donner un remède à son âme.
Elle aurait pu, comme dans les .cas précédents, guérir l’aveugle
aussitôt après sa prière et son voeu, tuais elle avait résolu d’accorder
à la suppliante plus que celle-ci ne demandait. C’était bien ainsi
qu’agissait habituellement le Sauveur. Il ne guérissait pas le corps
sans l’âme, il remettait les péchés à celui qui venait lui demander la
santé et lui disait: "Aie confiance, mon fils, tes péchés te seront
remis (Mt 9,2). "
Un jeune homme, nommé
Jacques, fils du Romain Pierre Nicolai, était gravement malade et retenu
au lit depuis plusieurs mois. Aucun remède n’avait pu le soulager, et il
était à toute extrémité. Comme on désespérait de sa vie, une femme
pieuse nommée Cecchola Cartheria, le voua à la bienheureuse vierge
Catherine. Il reprit aussitôt ses forces, commença d’aller mieux et fut
très vite rétabli. Une Romaine, appelée Cécile Petrucci, était elle
aussi affligée d’une maladie qui l’avait réduite à la dernière extrémité
malgré les remèdes des médecins, qui n’espéraient plus la sauver et
jugeaient à la nature du mal qu’elle devait certainement en mourir. Elle
se recommanda dévotement à notre sainte et sentit aussitôt un secours
mystérieux qui lui apportait la santé. Depuis cet instant, son état
s’améliora et en peu de jours, elle fut complètement guérie.
Une pieuse et noble dame
appelée Jeanne d’Hilperini, avait intimement connu la sainte, pendant
que celle-ci vivait encore en ce monde. A la vue de tous ces miracles,
elle eut plus de confiance encore en la sainteté de son amie et
conseillait à tous les malades qu’elle visitait, de se recommander
dévotement à la sainte vierge Catherine de Sienne, ce qui fut pour
plusieurs une cause de guérison. Un jour, un des fils de cette noble
dame, encore tout jeune, marchant ou courant sans précaution sur la
terrasse de la maison, se précipita en bas de cette terrasse sous les
yeux de sa mère sans que rien pût le retenir. A cette vue, la mère crut
que l’enfant allait se tuer dans cette chute, ou du moins s’estropier
pour toujours, et cette crainte était bien justifiée. Elle s’écria alors
d’une voix forte : " Sainte Catherine de Sienne, je vous recommande mon
fils. " O miracle! l’élévation de la terrasse et la façon dont ce faible
enfant était tombé faisaient naturellement prévoir la mort instantanée
du malheureux. Cependant l’enfant ne se fit aucun mal, ni peu ni
beaucoup; il était aussi dispos après sa chute qu’auparavant. Sa mère,
descendue en toute hâte, l’ayant ainsi trouvé sain et sauf, en rendit
d’humbles et pieuses actions de grâces au Dieu tout-puissant et à son
épouse Catherine, dont elle louait partout la sainteté.
Une femme nommée Bona
Giovanni, qui gagnait sa vie au service des autres et principalement au
blanchissage du linge, lavait un jour, sur les bords du Tibre, une de
ces couvertures de lit tissées moitié lin moitié soie, qu’on appelle
vulgairement courte-pointe. Elle avait laissé imprudemment la plus
grande partie de cette courte-pointe flotter au cours du fleuve; le
poids de la partie qui flottait ainsi entraîna celle que la laveuse
tenait à la main; et toute la couverture s’échappa ainsi des mains de la
pauvre femme et s’en alla au cours de l’eau. A cette vue, Bona, qui
était très pauvre et savait bien ne pas pouvoir payer cet objet, s’il se
perdait, voulut le ressaisir ; mais, s’étant pour cela beaucoup trop
penchée en avant, elle fut emportée elle-même par le courant, loin de la
terre. Tout secours humain lui manquant, il ne lui restait plus que
celui de Dieu. Tandis qu’elle pensait à y recourir, elle se souvint des
signes et miracles opérés en ces jours-là à Rome par notre sainte
vierge, et l’invoqua en disant: " O sainte vierge Catherine de. Sienne!
secourez-moi dans un si grand péril! Ce secours lui fut accordé sans
retard. Elle se sentit immédiatement soulevée sur les eaux, comme si le
courant se fût arrêté. Elle remonta d’elle-même, avec toute la
couverture, le cours de l’eau et revint à terre, sans aucune aide
humaine. C’est alors qu’elle se rendit bien compte du danger auquel elle
venait d’échapper sans savoir comment, si ce n’est qu’elle reconnaissait
manifestement avoir été miraculeusement assistée par la sainte et
délivrée par son intercession.
Tous ces prodiges et bien
d’autres encore, témoignage rendu par le Dieu tout-puissant à la
sainteté de la vierge son épouse, ont eu lieu avant mon retour à Rome.
J’y revins enfin, mais, avec la charge écrasante pour moi, de Maître
Général de l’Ordre des Frères-Prêcheurs. C’est alors que mes Frères,
puis les Soeurs et tous les enfants spirituels de Catherine, me
racontèrent ce que je viens d’écrire. Mais, depuis cette époque, il
s’est produit un autre fait miraculeux dont j’ai été en partie témoin et
qu’il ne m’est absolument pas permis de passer sous silence.
J’étais donc à Rome et
j’avais fait la translation du saint corps de notre vierge, au jour même
qu’elle avait prédit, plusieurs années auparavant, comme nous le verrons
plus loin. Me trouvant indisposé, je dus faire venir un médecin voisin
du couvent de mes Frères. Ce médecin est un de mes bons amis et
s’appelle Maître Jacques de Sainte-Marie de la Rotonde. Au cours de la
visite où il m’apporta les soins de son art, il me parla d’un jeune
homme de la ville, nommé Nicolas et par abréviation Cola, fils de
l’épouse de Cincie Tancancini, citoyen bien connu de la même ville et
beau-père du jeune homme. Cet adolescent était très gravement atteint de
ce mal de gorge, que les médecins appellent esquinancie. Une guérison
naturelle ne paraissait plus possible et on en désespérait absolument.
J’appris d’ailleurs, par d’autres personnes encore, que ce jeune homme
était à l’article de la mort et qu’on attendait son dernier soupir. Mais
Alexia, cette compagne de notre sainte dont, j’ai déjà si souvent fait
mention, entendit parler de ce malade. Se rappelant que Cincio avec
toute sa famille, avait toujours montré beaucoup de dévouement et
d’amitié pour Catherine, elle se rendit on hâte auprès de l’agonisant
portant avec elle une dent de la vierge, qu’elle s’était réservée comme
un grand trésor. Elle trouva le malade à bout de forces, car le gosier
s’obstruait, fermé peu à peu par l’abcès qui allait l’étouffer. Alexia
plaça la dent sur la gorge. Il se fit aussitôt un grand bruit, comme
celui de la chute d’une pierre, et l’abcès creva. Le malade, relevant la
tête, se mit à rendre par la bouche une grande quantité de pus. Il fut
en très peu de temps complètement guéri et rendit grâce à Dieu et à
notre vierge, qui, par la vertu d’une de ses dents, l’avait arraché aux
dents de la mort. Ce prodige fit l’admiration de tous, mais surtout des
médecins, qui connaissaient mieux les forces de la nature et l’état
désespéré du malade. Nicolas ou Cola le racontait lui-même publiquement
à tout le monde. Un jour même, qu’annonçant au peuple la parole de Dieu,
je parlais des merveilles que le Seigneur avait opérées par son épouse
et en particulier de ce miracle, le miraculé se leva lui-même du milieu
du peuple et s’écria à haute voix : " Mon Père, vous dites vrai; je suis
celui pour lequel la sainte a fait ce prodige. "
Aux signes et aux merveilles
que nous venons de raconter en détail, sachez, lecteur, qu’il faudrait
en ajouter beaucoup d’autres dont on n’a pas gardé par écrit le
souvenir. La preuve en est dans le grand nombre d’ex-voto ou d’images en
cire, déposés sur le tombeau de Catherine, rien que pendant le temps de
ma présence à Rome. Mais ces images n’y sont jamais restées bien
longtemps à cause de la cupidité sans frein, pour ne pas dire de la
malice sacrilège de rôdeurs, romains ou étrangers, je ne sais,
car la ville est toujours pleine de ces étrangers. Toutes les images de
cire ainsi apportées furent donc peu à peu soustraites par des voleurs,
qui certainement ont déjà reçu, ou recevront bientôt leur châtiment.
Mais je dois aussi avouer ma faute devant Dieu, les anges et tous les
fidèles. Beaucoup de personnes sont venues me trouver, pour me dire les
grâces merveilleuses qu’elles avaient obtenues par les mérites de notre
sainte. Ma négligence plus que celle d’aucun autre a laissé ces faits
s’ensevelir dans l’oubli, car je ne me suis pas assez inquiété de les
consigner par écrit. J’avais bien une fois désigné un notaire pour ce
travail, mais il ne s’en est pas occupé.
En réparation de cette
faute, je ne dois pas omettre de relater ici un fait dont j’ai bon
souvenir et qui s’est passé au temps où la reine Jeanne avait envoyé
contre Rome Rinaldo des Ursins pour prendre ou chasser le pape Urbain,
ou, ce qui était plus abominable encore, pour le tuer. Les Romains
défendirent avec habileté et courage leur Pontife et, à cette occasion,
plusieurs d’entre eux, surtout parmi les gens du peuple, furent faits
prisonniers par les ennemis. Les uns furent attachés aux arbres et
abandonnés à une mort cruelle, d’autres emmenés au camp des
schismatiques, qui les gardaient étroitement enchaînés avec des garrots
de fer, dans l’espoir d’en obtenir une rançon. Or certains de ces
prisonniers, rendus à la liberté, m’ont raconté qu’aussitôt après avoir
invoqué Catherine ils avaient été délivrés de leurs chaînes sans autre
secours que celui de Dieu et avaient pu revenir sains et saufs à la
ville. L’un d’eux m’assura qu’immédiatement après sa prière à la sainte,
il avait vu tomber les chaînes avec lesquelles les ennemis l’avaient
attaché à un arbre, et qu’il était rentré à Rome en continuant
d’invoquer sa libératrice, sans rencontrer personne qui l’arrêtat. Il
racontait ce fait avec grande dévotion et ajoutait que plusieurs autres
avaient obtenu la même grâce, par les mérites de la vierge Catherine.
Les prodiges que je viens de
rapporter ne sont pas les seuls qu’on m’ait racontés ; je me rappelle en
avoir appris bien d’autres et de beaucoup de personnes; mais mon
souvenir vieilli n’a pu en conserver tous les détails. Je prie
maintenant le lecteur de ne pas se laisser décourager par la longueur de
cet ouvrage et la rudesse du style, mais de vouloir bien accueillir,
avec esprit de piété, les fleurs et les fruits pour le bien de son âme
et de fuir comme la peste l’indifférence des tièdes et la méchanceté des
mauvais critiques. D’ailleurs je terminerais ici ce travail, si je
n’avais à parler de la patience de Catherine. L’Église militante accorde
à cette vertu de patience, dans ses saints, plus de considération qu’à
leurs prodiges; et c’est bien ce qu’enseigne le bienheureux Grégoire,
quand il met la vertu de patience au-dessus des miracles. Je dois donc
consacrer à ce sujet un chapitre spécial; Catherine elle-même le demande
et m’en obtiendra la grâce de son Epoux éternel, qui vit et règne avec
l’Esprit-Saint, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.