CHAPITRE V

PRODIGES ET MIRACLES OPÉRÉS PAR LE SEIGNEUR APRES LA MORT DE NOTRE SAINTE, TANT AVANT QU’APRES SA SÉPULTURE. — JE NE PARLE QUE DE CEUX QUE J’AI PU CONNAITRE, CAR IL S’EN EST FAIT BEAUCOUP D’AUTRES DONT ON N’A PAS GARDE LE SOUVENIR.

Notre vierge avait donc achevé le cours de son pèlerinage et obtenu sa récompense; mais même alors la Vertu divine qui l’avait toujours accompagnée en cette vie voulut encore manifester aux infidèles les mérites de la sainte. Ainsi que nous en avons dit un mot tout à’ l’heure, personne n’avait appelé ou fait appeler la foule auprès de la défunte; plusieurs même cherchaient à cacher cette mort, et cependant presque tout le peuple de Rome accourut à l’église où étaient déposés les restes de la bienheureuse, en attendant l’inhumation; tous baisaient religieusement ses pieds et ses mains et se recommandaient à ses prières. Il y eut un tel concours de peuple qu’on dut placer le saint corps, comme je l’ai dit, à l’intérieur des grilles de fer de la chapelle du bienheureux Dominique. Beaucoup de personnes, confiantes en la sainte intercession de Catherine, commencèrent alors à amener des malades et des infirmes, et à demander au Seigneur leur guérison par les mérites de notre vierge. Elles ne furent pas trompées dans leur attente ; et je dois, en conséquence, rapporter ici les faits que j’ai trouvés consignés par écrit, et raconter ceux que j’ai moi-même pleinement constatés. Il y avait alors à Rome une Soeur du Tiers-Ordre du bienheureux François, appelée Dominique. Elle était originaire de Bergame, en Lombardie, et souffrait au bras d’une infirmité très grave et déjà très ancienne. Dès six mois avant la mort de Catherine, elle ne pouvait plus se servir de son bras, qui était sans force et comme desséché; Cette femme vint à l’église de la Minerve pendant que les restes de la bienheureuse y étaient exposés. Ne pouvant en approcher, à cause de la foule, elle tendit à quelqu’un son voile, en demandant qu’on le fît toucher au corps de la vierge et qu’on le lui rendît. Elle le plaça alors sur son bras et fut de suite guérie. Elle se mit aussitôt à crier au milieu de tout ce peuple et à dire : " Voici que, par les mérites de cette vierge, je suis guérie d’un mal incurable qui m’avait enlevé complètement l’usage d’un bras. " A cette nouvelle, il se fit un grand tumulte parmi le peuple, et beaucoup de personnes amenèrent leurs malades pour qu’ils pussent toucher au moins la frange des vêtements de Catherine. On amena en particulier un petit enfant de quatre ans, dont une maladie avait contracté les nerfs du cou. Il tenait la tête tout à fait inclinée sur l’épaule et ne pouvait absolument pas la relever. On l’apporta vers le saint corps, on fit toucher l’endroit malade à la vierge, dont on passa le voile autour du cou de l’enfant. Celui-ci se trouva immédiatement mieux, redressa peu à peu la tête et en peu de temps fut parfaitement guéri.

Aussi, pendant trois jours, fut-il impossible de procéder aux funérailles à cause des miracles et des prodiges qui se faisaient par l’intercession de Catherine et attiraient un concours de peuple toujours aussi considérable. Un Maître en sacrée Théologie voulut alors prêcher devant cette foule les louanges de la bienheureuse. Il monta pour cela à l’ambon; mais il lui fut impossible d’apaiser le tumulte et d’obtenir qu’on l’écoutât. C’est alors qu’il dit cette parole que beaucoup ont entendue : " Cette sainte n’a pas besoin de nos prédications, elle se prêche et se fait connaître suffisamment elle-même. " Puis il descendit sans avoir fini, sans avoir pu commencer son sermon. Les miracles allaient toujours croissant et se multipliant.

Un Romain, nommé Lucius de Cannarola, souffrait d’un mal que nul remède n’avait pu soulager, et avait perdu l’os de la hanche, presque entièrement, et tout le tibia. Même en s’appuyant sur un bâton, il pouvait à peine faire quelques pas. La renommée des prodiges que le Très-Haut opérait à l’intercession de Catherine étant arrivée jusqu’à lui, il se traîna à grand’peine jusqu’à l’église de la Minerve. Il fallut le secours d’un bras étranger pour l’amener jusqu’au lieu où reposait le corps de la vierge, dont il prit la main avec grande dévotion pour la placer sur la jambe malade. Il sentit aussitôt dans ses membres une vertu mystérieuse qui les secouait, et, avant de s’être retiré, il était pleinement guéri. Toutes les personnes présentes constatèrent le prodige et bénirent le Dieu tout-puissant, qui est toujours admirable dans ses saints.

Une jeune fille du nom de Ratozola avait une horrible maladie, la lèpre au visage; le nez et la lèvre supérieure étaient déjà rongés par un chancre affreux et fétide. Au bruit de la renommée, elle vint, elle aussi, à la Minerve, et s’efforça d’approcher du saint corps. Elle fut plusieurs fois repoussée par ceux qui se trouvaient autour; mais, à force d’instances importunes, elle put enfin arriver jusqu’à lui. Avide d’obtenir une grâce qu’elle désirait de tout son cœur, elle fit toucher son mal, non seulement aux pieds et aux mains de la vierge, mais encore à son visage. Que dire de plus? Elle sentit bientôt sa lèpre diminuer et fut en peu de temps si parfaitement guérie qu’il ne lui resta pas sur la figure la moindre cicatrice.

Un Romain, nommé Cyprio, avait eu de son épouse, appelée Lella, une fille, prise de phtisie dès son enfance et qu’aucun remède n’avait pu guérir. Les parents, ayant entendu parler des miracles qui se faisaient par l’intercession de la bienheureuse, lui recommandèrent dévotement l’enfant, auquel ils firent toucher un voile et un Pater Noster qui avaient été déposés sur le saint corps. O merveille! leur fille, dont ils n’espéraient plus le rétablissement, eut à peine touché ces objets qu’elle fut parfaitement guérie et retrouva sa première santé.

Toujours avant les funérailles, un citoyen de Rome, du nom d’Antonio Lelli ‘Petri, employé à l’église Saint-Pierre, apprit par la renommée les miracles obtenus par les mérites de Catherine. Un excès de travail lui avait occasionné une maladie qui l’avait mis dans l’impossibilité de marcher. Les médecins et tous les remèdes naturels n’avaient pu le guérir, pas même le soulager. Il se recommanda donc à la sainte, dont il entendait raconter les merveilles, et lui promit d’accomplir un voeu si elle lui obtenait la guérison : O merveille! à peine avait-il fait ce voeu qu’il fut complètement délivré du mal dont il souffrait. Il ne sentit plus ses pesanteurs habituelles, et put marcher agilement et librement comme avant sa maladie. Il vint alors prés des reliques de sa libératrice, accomplit son vœu et raconta la grâce qu’il avait reçue.

Une pieuse dame, nommé Paula, était, à l’époque de la mort de Catherine, gravement affligée, depuis quatre mois, de douleurs d’entrailles et de goutte. Elle avait été très liée avec notre sainte et lui avait même donné l’hospitalité en la recevant dans sa maison avec toute sa suite. Cette dame souffrait d’autant plus que ses deux maladies demandaient des remèdes contraires, l’une exigeant. des émollients, l’autre des astringents; aussi fut-elle plusieurs fois près de mourir. A la mort de son amie, elle demanda très instamment quelque objet qui eût touché le corps de la bienheureuse. On lui en apporta vers le soir le lendemain matin, elle se leva guérie du lit qu’elle n’avait pas quitté depuis quatre mois, et elle marchait aussi librement qu’avant sa maladie. C’est elle-même qui me l’a raconté à mon retour à Rome. Tous ces prodiges et d’autres encore, dont on a négligé de consigner par écrit le souvenir, ont été accordés par le Seigneur, à l’intercession de son épouse, avant que le corps de celle-ci n’eût été enseveli, c’est-à-dire pendant les trois jours du délai qu’imposa le concours du peuple, dont nous avons parlé.

Mais, après les funérailles, la Vertu divine ne cessa point d’opérer ces guérisons de malades; elle parut même encore plus active. Un Romain, nommé Jean Véri ou Néri, avait un petit enfant qui ne pouvait pas marcher ni se tenir debout sur ses pieds. A la nouvelle de tous ces prodiges, il fit un voeu à Dieu et à la sainte vierge Catherine pour la guérison de son fils. On conduisit l’enfant au tombeau de la vierge; à peine eut-il été placé sur ce tombeau qu’il se dressa et se mit à marcher comme s’il n’avait jamais souffert.

Un certain Jean de Tozo avait aux yeux un horrible mal ; des vers lui sortaient d’un oeil. Il offrit un voeu à la bienheureuse Catherine, vierge de Sienne, et fut aussitôt pleinement guéri. Il vint au tombeau de la sainte, raconta la grâce qu’il avait obtenue et déposa un ex-voto en cire comme on le fait d’habitude. Une pèlerine allemande, dont les témoins qui ont rapporté ce fait ont oublié d’écrire le nom, avait les yeux si gravement atteints et depuis si longtemps qu’elle avait perdu la vue presque complètement et n’espérait plus la recouvrer. Elle se recommanda pieusement à la sainte, lui fit un voeu et, en peu de temps, retrouva la vue sans le secours d’aucun remède. Quand elle vint au tombeau de sa bienfaitrice, elle voyait aussi clair qu’avant sa maladie. Une dame romaine, appelée Maria, souffrait de si violents maux de tête que, malgré les nombreux remèdes de toutes sortes qu’elle avait employés, elle avait perdu complètement un oeil. Aussi triste que honteuse de cette infirmité, elle ne voulait plus sortir de sa maison ni paraître en public. Elle entendit parler, elle aussi, des miracles de Catherine, qu’elle invoqua pieusement, en lui faisant un vœu. La nuit suivante, la sainte apparut à la servante de cette daine et lui tînt ce langage : "Dis à Maria, ta maîtresse, qu’elle n’emploie plus aucun remède, mais qu’elle aille chaque matin entendre l’office divin et elle sera guérie. " La servante transmit cet ordre à sa maîtresse, qui le suivit et se rendit à l’office. Bientôt ses douleurs cessèrent, elle commença à se servir de son oeil malade. En continuant d’assister à l’office, elle recouvra tout à fait la vue et sa première santé. Je vous prie de noter ici, lecteur, la façon d’agir de notre vierge. Elle a imité son Époux ou, pour employer un langage plus exact, c’est l’Epoux éternel qui s’est imité lui-même dans cette oeuvre. Elle ne s’est pas contentée, en effet, de guérir le corps de celle qui l’invoquait, mais elle a voulu en même temps donner un remède à son âme. Elle aurait pu, comme dans les .cas précédents, guérir l’aveugle aussitôt après sa prière et son voeu, tuais elle avait résolu d’accorder à la suppliante plus que celle-ci ne demandait. C’était bien ainsi qu’agissait habituellement le Sauveur. Il ne guérissait pas le corps sans l’âme, il remettait les péchés à celui qui venait lui demander la santé et lui disait: "Aie confiance, mon fils, tes péchés te seront remis (Mt 9,2). "

Un jeune homme, nommé Jacques, fils du Romain Pierre Nicolai, était gravement malade et retenu au lit depuis plusieurs mois. Aucun remède n’avait pu le soulager, et il était à toute extrémité. Comme on désespérait de sa vie, une femme pieuse nommée Cecchola Cartheria, le voua à la bienheureuse vierge Catherine. Il reprit aussitôt ses forces, commença d’aller mieux et fut très vite rétabli. Une Romaine, appelée Cécile Petrucci, était elle aussi affligée d’une maladie qui l’avait réduite à la dernière extrémité malgré les remèdes des médecins, qui n’espéraient plus la sauver et jugeaient à la nature du mal qu’elle devait certainement en mourir. Elle se recommanda dévotement à notre sainte et sentit aussitôt un secours mystérieux qui lui apportait la santé. Depuis cet instant, son état s’améliora et en peu de jours, elle fut complètement guérie.

Une pieuse et noble dame appelée Jeanne d’Hilperini, avait intimement connu la sainte, pendant que celle-ci vivait encore en ce monde. A la vue de tous ces miracles, elle eut plus de confiance encore en la sainteté de son amie et conseillait à tous les malades qu’elle visitait, de se recommander dévotement à la sainte vierge Catherine de Sienne, ce qui fut pour plusieurs une cause de guérison. Un jour, un des fils de cette noble dame, encore tout jeune, marchant ou courant sans précaution sur la terrasse de la maison, se précipita en bas de cette terrasse sous les yeux de sa mère sans que rien pût le retenir. A cette vue, la mère crut que l’enfant allait se tuer dans cette chute, ou du moins s’estropier pour toujours, et cette crainte était bien justifiée. Elle s’écria alors d’une voix forte : " Sainte Catherine de Sienne, je vous recommande mon fils. " O miracle! l’élévation de la terrasse et la façon dont ce faible enfant était tombé faisaient naturellement prévoir la mort instantanée du malheureux. Cependant l’enfant ne se fit aucun mal, ni peu ni beaucoup; il était aussi dispos après sa chute qu’auparavant. Sa mère, descendue en toute hâte, l’ayant ainsi trouvé sain et sauf, en rendit d’humbles et pieuses actions de grâces au Dieu tout-puissant et à son épouse Catherine, dont elle louait partout la sainteté.

Une femme nommée Bona Giovanni, qui gagnait sa vie au service des autres et principalement au blanchissage du linge, lavait un jour, sur les bords du Tibre, une de ces couvertures de lit tissées moitié lin moitié soie, qu’on appelle vulgairement courte-pointe. Elle avait laissé imprudemment la plus grande partie de cette courte-pointe flotter au cours du fleuve; le poids de la partie qui flottait ainsi entraîna celle que la laveuse tenait à la main; et toute la couverture s’échappa ainsi des mains de la pauvre femme et s’en alla au cours de l’eau. A cette vue, Bona, qui était très pauvre et savait bien ne pas pouvoir payer cet objet, s’il se perdait, voulut le ressaisir ; mais, s’étant pour cela beaucoup trop penchée en avant, elle fut emportée elle-même par le courant, loin de la terre. Tout secours humain lui manquant, il ne lui restait plus que celui de Dieu. Tandis qu’elle pensait à y recourir, elle se souvint des signes et miracles opérés en ces jours-là à Rome par notre sainte vierge, et l’invoqua en disant: " O sainte vierge Catherine de. Sienne! secourez-moi dans un si grand péril! Ce secours lui fut accordé sans retard. Elle se sentit immédiatement soulevée sur les eaux, comme si le courant se fût arrêté. Elle remonta d’elle-même, avec toute la couverture, le cours de l’eau et revint à terre, sans aucune aide humaine. C’est alors qu’elle se rendit bien compte du danger auquel elle venait d’échapper sans savoir comment, si ce n’est qu’elle reconnaissait manifestement avoir été miraculeusement assistée par la sainte et délivrée par son intercession.

Tous ces prodiges et bien d’autres encore, témoignage rendu par le Dieu tout-puissant à la sainteté de la vierge son épouse, ont eu lieu avant mon retour à Rome. J’y revins enfin, mais, avec la charge écrasante pour moi, de Maître Général de l’Ordre des Frères-Prêcheurs. C’est alors que mes Frères, puis les Soeurs et tous les enfants spirituels de Catherine, me racontèrent ce que je viens d’écrire. Mais, depuis cette époque, il s’est produit un autre fait miraculeux dont j’ai été en partie témoin et qu’il ne m’est absolument pas permis de passer sous silence.

J’étais donc à Rome et j’avais fait la translation du saint corps de notre vierge, au jour même qu’elle avait prédit, plusieurs années auparavant, comme nous le verrons plus loin. Me trouvant indisposé, je dus faire venir un médecin voisin du couvent de mes Frères. Ce médecin est un de mes bons amis et s’appelle Maître Jacques de Sainte-Marie de la Rotonde. Au cours de la visite où il m’apporta les soins de son art, il me parla d’un jeune homme de la ville, nommé Nicolas et par abréviation Cola, fils de l’épouse de Cincie Tancancini, citoyen bien connu de la même ville et beau-père du jeune homme. Cet adolescent était très gravement atteint de ce mal de gorge, que les médecins appellent esquinancie. Une guérison naturelle ne paraissait plus possible et on en désespérait absolument. J’appris d’ailleurs, par d’autres personnes encore, que ce jeune homme était à l’article de la mort et qu’on attendait son dernier soupir. Mais Alexia, cette compagne de notre sainte dont, j’ai déjà si souvent fait mention, entendit parler de ce malade. Se rappelant que Cincio avec toute sa famille, avait toujours montré beaucoup de dévouement et d’amitié pour Catherine, elle se rendit on hâte auprès de l’agonisant portant avec elle une dent de la vierge, qu’elle s’était réservée comme un grand trésor. Elle trouva le malade à bout de forces, car le gosier s’obstruait, fermé peu à peu par l’abcès qui allait l’étouffer. Alexia plaça la dent sur la gorge. Il se fit aussitôt un grand bruit, comme celui de la chute d’une pierre, et l’abcès creva. Le malade, relevant la tête, se mit à rendre par la bouche une grande quantité de pus. Il fut en très peu de temps complètement guéri et rendit grâce à Dieu et à notre vierge, qui, par la vertu d’une de ses dents, l’avait arraché aux dents de la mort. Ce prodige fit l’admiration de tous, mais surtout des médecins, qui connaissaient mieux les forces de la nature et l’état désespéré du malade. Nicolas ou Cola le racontait lui-même publiquement à tout le monde. Un jour même, qu’annonçant au peuple la parole de Dieu, je parlais des merveilles que le Seigneur avait opérées par son épouse et en particulier de ce miracle, le miraculé se leva lui-même du milieu du peuple et s’écria à haute voix : " Mon Père, vous dites vrai; je suis celui pour lequel la sainte a fait ce prodige. "

Aux signes et aux merveilles que nous venons de raconter en détail, sachez, lecteur, qu’il faudrait en ajouter beaucoup d’autres dont on n’a pas gardé par écrit le souvenir. La preuve en est dans le grand nombre d’ex-voto ou d’images en cire, déposés sur le tombeau de Catherine, rien que pendant le temps de ma présence à Rome. Mais ces images n’y sont jamais restées bien longtemps à cause de la cupidité sans frein, pour ne pas dire de la malice sacrilège de rôdeurs, romains ou étrangers, je ne sais, car la ville est toujours pleine de ces étrangers. Toutes les images de cire ainsi apportées furent donc peu à peu soustraites par des voleurs, qui certainement ont déjà reçu, ou recevront bientôt leur châtiment. Mais je dois aussi avouer ma faute devant Dieu, les anges et tous les fidèles. Beaucoup de personnes sont venues me trouver, pour me dire les grâces merveilleuses qu’elles avaient obtenues par les mérites de notre sainte. Ma négligence plus que celle d’aucun autre a laissé ces faits s’ensevelir dans l’oubli, car je ne me suis pas assez inquiété de les consigner par écrit. J’avais bien une fois désigné un notaire pour ce travail, mais il ne s’en est pas occupé.

En réparation de cette faute, je ne dois pas omettre de relater ici un fait dont j’ai bon souvenir et qui s’est passé au temps où la reine Jeanne avait envoyé contre Rome Rinaldo des Ursins pour prendre ou chasser le pape Urbain, ou, ce qui était plus abominable encore, pour le tuer. Les Romains défendirent avec habileté et courage leur Pontife et, à cette occasion, plusieurs d’entre eux, surtout parmi les gens du peuple, furent faits prisonniers par les ennemis. Les uns furent attachés aux arbres et abandonnés à une mort cruelle, d’autres emmenés au camp des schismatiques, qui les gardaient étroitement enchaînés avec des garrots de fer, dans l’espoir d’en obtenir une rançon. Or certains de ces prisonniers, rendus à la liberté, m’ont raconté qu’aussitôt après avoir invoqué Catherine ils avaient été délivrés de leurs chaînes sans autre secours que celui de Dieu et avaient pu revenir sains et saufs à la ville. L’un d’eux m’assura qu’immédiatement après sa prière à la sainte, il avait vu tomber les chaînes avec lesquelles les ennemis l’avaient attaché à un arbre, et qu’il était rentré à Rome en continuant d’invoquer sa libératrice, sans rencontrer personne qui l’arrêtat. Il racontait ce fait avec grande dévotion et ajoutait que plusieurs autres avaient obtenu la même grâce, par les mérites de la vierge Catherine.

Les prodiges que je viens de rapporter ne sont pas les seuls qu’on m’ait racontés ; je me rappelle en avoir appris bien d’autres et de beaucoup de personnes; mais mon souvenir vieilli n’a pu en conserver tous les détails. Je prie maintenant le lecteur de ne pas se laisser décourager par la longueur de cet ouvrage et la rudesse du style, mais de vouloir bien accueillir, avec esprit de piété, les fleurs et les fruits pour le bien de son âme et de fuir comme la peste l’indifférence des tièdes et la méchanceté des mauvais critiques. D’ailleurs je terminerais ici ce travail, si je n’avais à parler de la patience de Catherine. L’Église militante accorde à cette vertu de patience, dans ses saints, plus de considération qu’à leurs prodiges; et c’est bien ce qu’enseigne le bienheureux Grégoire, quand il met la vertu de patience au-dessus des miracles. Je dois donc consacrer à ce sujet un chapitre spécial; Catherine elle-même le demande et m’en obtiendra la grâce de son Epoux éternel, qui vit et règne avec l’Esprit-Saint, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

   

pour toute suggestion ou demande d'informations