

3
Le Saint Abandon
(suite et fin)
3-8-5-Les
consolations et les aridités
"Tantôt Dieu prodigue les consolations sensibles et les suavités spirituelles;
tantôt il ne les donne qu'avec mesure; puis il retire la douceur, et l'âme se
trouve vide. Le sentiment reste froid, l'imagination volage, l'intelligence
inactive, et souvent l'ennui, le dégoût, envahissent les profondeurs de la
volonté… Où sont maintenant cet enivrement de l'âme, la sérénité du cœur, la
paix et la joie sans le Saint-Esprit?
Comment faut-il accueillir les consolations et les aridités? En tenant les yeux
fixés sur notre fin. C'est un point où beaucoup d'âmes font fausse route; afin
de ne pas nous égarer... Certes, nous tendons à la perfection de la vie
spirituelle, qui se caractérise par la perfection de la charité; et l'amour se
prouve par les œuvres. Il est parfait quand il a pris assez de force et
d'empire, pour nous établir dans un même vouloir et non-vouloir avec Dieu, par
conséquent dans la volonté prompte et généreuse d'accomplir toutes ses volontés
signifiées, de nous abandonner à toutes les dispositions de sa Providence. Cela
dénote un amour sincère, actif, énergique, qui se donne à Dieu sans réserve et
se livre tout entier à la grâce. Mais si 'la vraie dévotion consiste à être
fermement résolu de ne faire et de ne vouloir que ce que Dieu veut', les
consolations ne sont donc pas la dévotion, ni les aridités l'indévotion. Voilà,
suivant saint François de Sales et saint Alphonse, la vraie dévotion, le
véritable amour de Dieu…. Mais la dévotion réside essentiellement dans la
volonté, et non pas dans le sentiment… Les consolations et les aridités, bien
sanctifiées, sont une voie qui mène aussi à la fin… Il suit de tout cela qu'il
ne faut pas donner aux consolations et aux aridités une importance exagérée...
La
dévotion sensible, et surtout les suavités spirituelles sont des grâces très
précieuses: elles nous inspirent l'horreur et le dégoût pour les joies de la
terre qui sont l'amorce du vice; elles nous donnent le désir et la force de
marcher, de courir, de voler, dans la voie de la prière et de la vertu… Oui,
c'est vrai, la moindre consolation de dévotion vaut mieux de toute façon que les
plus excellentes récréations du monde. C'est le soleil de la vie… La facilité
que surajoutent les faveurs célestes n'est pas à dédaigner, vînt-elle des
consolations sensibles… 'Les hommes spirituels, dit Suarez, ne doivent pas
mépriser la dévotion qu'on éprouve dans l'appétit sensitif; elle n'est pas
propre aux seuls commençants, car elle peut venir même d'une contemplation très
parfaite et très élevée; et elle aide et dispose à jouir de la contemplation
plus facilement et plus constamment.'
Mais le revers peut arriver si l'on s'y attache et si l'on s'en repaît avec une
sorte de gourmandise spirituelle… ou si notre volonté devient tiède. Quant aux
aridités, notons d'abord, avec Saint Alphonse, 'qu'elles peuvent être
volontaires ou involontaires. Elles sont volontaires dans leur cause, quand on
laisse l'esprit se dissiper, le cœur s'attacher, la volonté suivre ses caprices;
et que l'on commet par là même beaucoup de fautes, sans faire effort pour s'en
corriger. Ce n'est plus une simple aridité de sentiment, c'est la tiédeur de
volonté.
Par
contre, l'aridité involontaire est celle d'une âme qui s’efforce de marcher
dans la voie de la perfection, qui se tient en garde contre les péchés
délibérés, pratique l'oraison', se montre fidèle à tous ses devoirs . C'est de
celle-ci que nous voulons parler… Les aridités spirituelles et les désolations
sensibles sont plus encore un creuset où l'âme se purifie. En effet, souvent
l'âme se croit riche de vertus; elle est donc trop peu vide d'elle-même pour
être bien remplie de Dieu. Son état plaît fort à la nature… Un autre mal, plus
subtil et plus dangereux encore, c'est l'orgueil spirituel. Lorsque Dieu comble
une âme de ses consolations, il arrive aisément qu'elle se croie bien plus
avancée qu'elle ne l'est; la vaine complaisance et la présomption l'envahissent,
elle méprise les autres et les juge avec sévérité. À force de sentir son
impuissance et sa misère, l'âme finira bien par comprendre qu'elle ne peut rien
sans Dieu et qu'elle vaut peu de chose même après tant de grâces. Elle se fera
toute petite devant la Majesté trois fois sainte, et priera avec plus
d'humilité… C'est donc maintenant qu'elle fera des progrès assurés dans les
vertus solides, pures et parfaites...
Les
grandes épreuves préparent les grandes grâces; elles ne vont pas les unes sans
les autres…. Mais, là encore, il y a le revers: les aridités spirituelles et les
désolations sensibles laissent à la place la souffrance et la difficulté… la
crainte, la défiance, amoncellent des nuages. Généralement, Dieu commence par
les consolations pour gagner les cœurs et soutenir la faiblesse. Lorsque l'âme a
grandi et qu'elle peut supporter un traitement plus énergique, Il envoie surtout
la souffrance: nous avons tant besoin de mourir à nous-mêmes! Saint François de
Sales en conclut que 'les plus grands serviteurs de Dieu sont sujets à ces
secousses, et que les moindres ne doivent pas s'étonner s'il leur en arrive
quelques-unes.
Résumons ce que nous venons de dire, et tirons la conclusion pratique. Le but
que nous avons à poursuivre est ce parfait amour, qui nous unit étroitement à
Dieu par un même vouloir et non-vouloir.
Consolations et aridités sont des moyens providentiels… Dès lors, le parti le
plus sage est de supprimer les causes volontaires de sécheresse, de nous faire
indifférents par vertu, et de nous abandonner à la Providence… Ce délaissement
de soi-même comprend l'abandon au bon plaisir de Dieu en toutes tentations,
aridités, sécheresses, aversions et répugnances; en toutes ces choses on voit le
bon plaisir de Dieu, quand elles n'arrivent pas par notre faute et qu'il ni y a
pas de péchés. Il nous conseille, à plusieurs reprises, de nous remettre
pleinement et parfaitement au soin de la divine Providence, comme un enfant
s'abandonne entre les mains de sa nourrice, ou comme le très saint Enfant-Jésus
dans les bras de sa douce Mère, et, ajoute saint François de Sales: Il faut
avoir une grande détermination de n'abandonner jamais l'oraison, pour aucune
difficulté… Soyons résolus de souffrir la peine des continuelles distractions,
sécheresse et dégoût… Notre-Seigneur se plaît que nous lui racontions le mal
qu'il nous envoie; on peut donc dire à Dieu: non ma volonté, mais la vôtre.'
En
général, saint François de Sales prêchait à tous une extrême indifférence
parmi les variétés spirituelles. Évidemment, comme il le dit lui-même, il avait
des désirs ardents pour le salut des âmes et pour son avancement dans la vertu,
parce que telle est la volonté de Dieu signifiée; ces choses même, il les
voulait selon toute la volonté de Dieu, mais pas davantage et pas autrement.
La
doctrine de saint Alphonse donne absolument la même note. En voici le résumé:
– Quand Dieu nous console par des visites pleines d'amour et nous fait sentir la
présence de sa grâce, il ne convient pas de rejeter ses faveurs, comme l'ont
prétendu quelques faux mystiques; elles sont plus précieuses que les richesses
et les honneurs du monde. Il faut les recevoir avec de grandes actions de
grâces, mais n'en pas savourer la douceur avec une sorte de gourmandise
spirituelle, et ne pas croire que Dieu nous favorise parce que nous nous
conduisons mieux que les autres… Ces faveurs sont de purs effets de la bonté de
Dieu; il nous les accorde pour nous disposer à faire les sacrifices qu'il
demande, et peut-être à souffrir avec patience les épreuves qu'il va envoyer.
– Dans la désolation spirituelle, il faut se résigner… mais il faut imiter
l'amoureuse résignation de Jésus et celle des Saints… Reconnaissez que vous avez
mérité de ne plus goûter aucune joie. Pratiquez surtout la résignation…
Soumettons-nous avec humilité à la volonté divine
et disons: Ô mon Dieu, faites que je vous aime, faites que j'accomplisse
votre volonté dans tout le cours de ma vie, et puis disposez de moi comme il
vous plaît Ne nous sera-t-il point permis, au moins, de désirer, de demander
même avec instance, les consolations divines, ou la cessation des désolations?
Nous le pouvons; nous n'y sommes pas obligés…
Pour nous, le vrai mal, le fond même de tous nos maux, c'est l'orgueil et la
sensualité; les désolations en sont le châtiment miséricordieux, le remède
providentiel… Mieux vaudra prier, pour qu'il rende notre volonté plus soumise,
et que le remède opère son effet.
3-8-6-
Les ténèbres de l'esprit
Dom
Vital pose la question:
Peut-être avons-nous assez parlé des peines intérieures? Mais, comme elles sont
la plus fatigante des épreuves, on ne sera jamais trop bien armé pour en
soutenir le choc. Au risque de nous répéter, nous en considérerons brièvement
les formes les plus crucifiantes: les ténèbres de l'esprit, l'insensibilité du
cœur, l'impuissance de la volonté, et partant la pauvreté spirituelle... Ces
peines viennent parfois de l'épuisement physique; le remède sera de rendre au
corps un peu de vigueur. Elles peuvent avoir pour causes la tiédeur de la
volonté et l'habitude du péché. Ces deux fléaux ont le triste secret d'enlever
progressivement la lumière, la délicatesse, la force et l'abondance, et
d'acheminer vers l'aveuglement, l'endurcissement, la torpeur et la misère. Les
peines dont nous parlons peuvent être involontaires. L'âme est restée vraiment
généreuse. Parce qu'elle n'est plus soulevée par la dévotion sensible, il lui
semble qu'elle est sans force et sans, vie. Elle n'a pas l'impression de trouver
Dieu
Les
ténèbres
Le
Seigneur ne veut pas que nous ayons toujours des consolations. Il se cache
quelquefois; aussi faut-il s'attendre à des temps d'obscurité. On peut en venir
à concevoir de cruelles inquiétudes au sujet même de son salut éternel… Âme de
bonne volonté, pourquoi ces craintes? Au fond de ses amoureuses rigueurs, ne
voyez-vous pas la tendresse passionnée de Dieu, saintement jalouse de vous
posséder sans partage? Qu'il châtie vos moindres infidélités ou qu'il entasse
épreuves sur épreuves, c'est toujours son cœur qui gouverne sa main. Mais il a
pour vous cette dilection sage et forte qui préfère l'éternité au temps, le ciel
à la terre; il entend vous mener le plus loin possible dans les voies de la
sainteté. Ses rigueurs sont donc la preuve de son amour. Elles sont aussi la
marque de sa confiance. Lorsque vous étiez faible encore, il vous attirait par
des caresses et prenait mille précautions. Mais vous ne seriez pas morte à
vous-même, parmi tant de douceurs et de ménagements. Il cesse d'y recourir,
maintenant que vous avez pris de la force. Il vous prive de ses consolations,
pour vous tirer hors de la grossièreté des sens, et vous unir à lui d'une
manière bien plus excellente, bien plus intime et bien plus solide, par la pure
foi et le pur esprit. Pour que cette purification soit complète, il faut qu'aux
privations se joignent les souffrances, au moins intérieures, les tentations,
les angoisses, les impuissances, qui vont quelquefois jusqu'à une sorte
d'agonie. Tout cela sert merveilleusement à délivrer l'âme de son amour propre…
Après cette observation générale, on peut résumer les principales épreuves de ce
genre:
– Il y a d'abord l'incertitude sur la valeur de nos
prières,
– Il y a l'incertitude sur la valeur de nos actes de
vertu.
– Il y a aussi l'incertitude de la victoire dans les
tentations.
La volonté cependant n'a pas
changé; l'expérience le montrera bientôt...
Sommes-nous encore dans la grâce de Dieu? Sachez que nul ne perd Dieu sans le
savoir indubitablement… Dieu nous maintient dans une humble défiance de
nous-mêmes, dans un zèle toujours en éveil; il affirme son souverain domaine et
nous rappelle notre absolue dépendance… La vraie manière d'assurer l'avenir,
c'est de sanctifier le présent… Pour nous, ne pensons qu'à prier avec confiance,
à faire notre devoir assidûment, à vivre ainsi dans l'humilité, le renoncement,
l'obéissance et le saint amour. Ne cessons pas d'implorer la grâce de la
persévérance finale, et demandons-la, par l'entremise de notre Mère du Ciel; une
âme dévote à Marie ne saurait périr éternellement.
L'insensibilité
'Il
est triste, dit le Père de Lombez, de remplir les plus religieux devoirs avec un
cœur froid et un esprit dissipé. Cet état, continue-t-il, est bien mortifiant.
Dès lors, évitons l'inquiétude, et ne courons pas le risque d'être bientôt
changé en poison par notre subtil amour-propre… La partie supérieure veut Dieu,
et il est content d'elle: c'est que nos actes, pour être agréables à Dieu, n'ont
aucunement besoin des émotions. L'essentiel est que la contrition change la
volonté, et non pas qu'elle fasse couler des larmes, que le saint amour unisse
fortement notre vouloir à celui de Dieu… L'épreuve se renforce, quand à la
privation du sentiment pieux se surajoutent les dégoûts, les répugnances, les
révoltes intérieures… Les révoltes ne sont que dans la partie inférieure; la
soumission continue de régner dans la partie supérieure.'
Loin d'être une marque de l'éloignement de Dieu, ces dégoûts sont une plus
grande grâce que nous ne pensons, puisque, en nous pénétrant de notre faiblesse
et de notre perversité, ils nous portent à ne rien attendre que de la divine
bonté."
L'impuissance de la volonté
"Dieu demande les œuvres, il n'exige pas le sentiment…
Notons cependant qu'il y a peut-être une autre source d'illusion: on avait formé
de grands projets, rêvé des vertus extraordinaires, caressé un idéal un peu
chimérique, et l'on n'arrive pas à son but. On y perd quelques vains espoirs et
un peu de son orgueil: loin de s'en attrister, on devrait bénir Dieu qui nous
conserve dans l'humilité et nous ramène à la réalité… C'est surtout du côté des
actes intérieurs et de l'oraison que l'impuissance peut se déclarer. Là encore
elle n'est que relative. Il faut crier vers Dieu: Seigneur, conduisez-moi par
telle voie qu'il vous plaît; faites que j'accomplisse votre volonté; je ne veux
pas autre chose...
Il
faudra nous tenir fermes à notre devoir, ne pas négliger l'oraison, mais
supporter courageusement l'épreuve. Peut-être Dieu veut-il nous faire passer des
voies communes aux voies mystiques. Alors il nous fera supprimer peu à peu les
actes discursifs, méthodiques, compliqués et variés, pour nous acheminer vers
une oraison de simple regard avec des actes plus courts et moins variés, ou dans
un silence plein d'amour… Oh! que j'aime ces oraisons, durant lesquelles vous
vous tenez devant Dieu comme une bête, insensible à tout, et accablée sous le
poids de toutes sortes de tentations!... Soyez fidèle; en l'acceptant, vous
trouverez un exercice très méritoire de patience, de soumission, d'humilité
intérieure… Il n'est pas de sacrifices que Dieu accepte plus volontiers que
cette entière donation d'un cœur brisé et anéanti; c'est vraiment l'holocauste
d'agréable odeur."
La
pauvreté spirituelle
"Des ténèbres, de l'insensibilité, de l'impuissance, peut-il sortir autre chose
que la pauvreté spirituelle? En réalité cette dure épreuve est la source d'une
grande richesse, solidement fondée sur l'obéissance et l'humilité, et bien
gardée contre les ravages de l'amour-propre… Dieu nous gouverne à sa manière, et
nous avions conçu la chose autrement; c'est de là que vient notre trouble; et,
pour le dissiper, il importe, de mieux comprendre les vues de Dieu et d'y entrer
pleinement… Il faut donc porter bien haut nos désirs d'avancement spirituel.
Encore doivent-ils s'appuyer sur Dieu seul, et se régler sur son bon plaisir… et
nous tenir en garde contre les inspirations de l'amour-propre.
Heureusement, Dieu nous vient en aide, au moyen de ces peines dont nous parlons.
Il nous prête par elles un double secours, également nécessaire et précieux: il
seconde notre désir d'avancement, en nous soutenant puissamment de sa grâce
invisible; il nous préserve des ravages de l'amour-propre, en nous laissant
fortement l'impression de notre pauvreté… et nous place sous la sauvegarde de
l'humilité… C'est cette connaissance toujours plus claire de leur néant qui
augmente l'humilité de$ Saints; mais cette humilité selon Dieu est constamment
joyeuse et paisible.
S'agit-il des moyens de sanctification? Confions-nous en Dieu: il saura bien
choisir, pour les âmes fidèles, non pas les plus glorieux ni les plus conformes
à leur attente, mais ceux qui peuvent le mieux assurer leur avancement, surtout
les affermir dans le détachement et l'humilité. Que voudrions-nous de plus?...
Ce n'est alors qu'une pauvreté apparente; au fond, c'est être bien riche que
d'être précisément ce que Dieu veut. Quant à l'avenir, il ne vous reste plus
qu'à vous efforcer d'aimer la sainte abjection, le mépris et l'horreur de
vous-mêmes, qui naissent de ce vif sentiment de votre pauvreté."
Le
scrupule
"Le
scrupule n'est pas la délicatesse de conscience, il en est seulement la
contrefaçon... Le scrupule est fondé sur l'ignorance, l’erreur, ou un écart de
jugement; c'est le fruit d'un esprit troublé: il exagère les obligations et les
fautes, il en voit même où il n'y en a pas. Par contre, il lui arrive assez
souvent de méconnaître celles qui sont réelles; on peut être scrupuleux sur un
point jusqu'au ridicule, et large par ailleurs jusqu'à la malédification. Le
scrupule est le fléau de la paix intérieure...
Les
scrupuleux craignent Dieu, mais cette crainte fait leur supplice; ils l'aiment,
mais cet amour n'est point pour eux une consolation; ils le servent, mais ils le
servent en esclaves; ils sont accablés sous le poids de son joug, qui fait le
soulagement et le repos du reste de ses enfants... Le scrupule est un des pires
fléaux de la vie spirituelle, à des degrés divers cependant. Et d'abord, il
empêche la prière. Tel, qui a la manie des retours sur lui-même, examine,
examine encore, examine toujours; et, pendant ce temps-là, il n'adore pas, il ne
remercie pas; a-t-il pensé même à faire un acte de contrition, à demander la
grâce de se corriger? Il est trop occupé de soi pour avoir le loisir de parler à
Dieu... Est-ce une vraie vertu, cette humilité qui bannit la confiance et
dégénère en pusillanimité?... Non, non, le scrupule n'est pas la preuve de
l'amour ardent, d'une conscience délicate. Est-ce un subtil amour-propre, un
égoïsme spirituel, trop occupé de soi-même et pas assez de Dieu? Est-ce une
bonne volonté sincère, mais qui s'égare? En tout cas, c'est une vraie maladie
qui menace la vie spirituelle dans son existence, et qui en gêne terriblement
l'exercice.
Et Dom
Vital d'affirmer encore: "Le scrupule, si l'on y cède, est donc, avec du plus
ou du moins, un vrai fléau de la vie spirituelle."
Alors,
que faire? Les grands maîtres spirituels donnent la marche à suivre pour s'en
débarrasser: "Tout d'abord supprimer les causes volontaires et surtout
pratiquer l'obéissance aveugle... C'est une chose difficile: il priera donc avec
instance, pour implorer la grâce de ne pas tenir à ses idées, mais d'obéir
envers et contre son propre sentiment... Le scrupule, en effet, a des
causes très diverses, mais il a souvent pour cause un tempérament mélancolique,
un naturel craintif et soupçonneux, la faiblesse de tête, ou certains états de
santé... Mais Dieu le permet, il veut même parfois s'en servir comme d'un moyen
passager de sanctification... Il nous faudra combattre et patienter;
puissions-nous le faire avec un abandon plein de confiance. Dom Vital
conclut avec saint Alphonse: 'Pour terminer, dit saint Alphonse, je répète:
Obéissez; obéissez; et, de grâce, cessez de considérer Dieu comme un cruel
tyran. Sans doute il hait le péché; mais il ne peut haïr une âme qui déteste et
pleure sincèrement ses fautes.' Tu me cherches, disait-il à sainte Marguerite
de Cortone; mais moi, sache-le bien, je te cherche encore plus que tu ne me
cherches; et tes craintes t'empêchent d'avancer dans l'amour divin'...'
Encore une fois, obéissez en tout à votre confesseur, ayez foi en l'obéissance.
Dans toutes vos oraisons, demandez donc la grâce; la grande grâce d'obéir, et
soyez sûrs qu'en obéissant, certainement vous vous sauverez, certainement vous
vous sanctifierez."
3-8-7-
Les craintes diverses
"Rappelons tout d'abord que le
droit à la paix se mesure sur la bonne volonté et que, pour avoir une paix
profonde, on doit tenir sa volonté pleinement soumise à celle de Dieu, et
prendre ses garanties par la prière et la vigilance.
1°
Dieu ne trouble jamais une âme qui veut sincèrement aller à lui. Il l'avertit,
il la reprend même avec force, mais il ne la trouble point; elle voit sa faute,
elle s'en repent, elle la répare, le tout paisiblement. Si cette âme est
troublée, son trouble vient donc toujours ou d'elle-même, ou du démon.
2°
Toute pensée, toute crainte qui est vague, générale, sans objet fixe et
déterminé, ne vient point de Dieu ni de la conscience, mais de l'imagination…
Faisons donc taire nos craintes, et remettons-nous de tout à sa divine
Providence… Certes, il y a la crainte
du démon, mais Dieu est avec l'âme qui veille et qui prie.
Parfois, Dieu permet de petites chutes pour notre plus grand bien...
Le divin Esprit nous fait comprendre la nécessité des
tentations. Elles sont comparées à la fournaise, où l'argile acquiert sa fermeté
et l'or son éclat... Il est vrai que les tentations ne viennent jamais de Dieu,
mais n'est-ce pas toujours lui qui les permet pour notre bien?... Et lors même
qu'il vous arriverait de tomber dans quelques fautes, le dommage qu'elles vous
causeront sera facile à réparer. Il ne faut pas confondre la tentation avec la
faute.
Quand la tentation n'est pas forte, on sent bien que, loin d'y donner son
consentement, on le refuse; il n'en est pas de même lorsque Dieu permet que la
tentation devienne violente; alors, à cause des grandes agitations involontaires
dans la partie inférieure, la supérieure a bien de la peine à discerner ses
propres mouvements, et elle demeure dans de grandes craintes et perplexités
d'avoir consenti. Il n'en faut pas davantage pour jeter les bonnes âmes dans des
peines et des remords effroyables, que Dieu permet pour éprouver leur fidélité.
La
crainte d'être peut-être dans l'inimitié de Dieu est une peine extrêmement dure
pour les âmes aimantes. Mais il arrive que Dieu veut les y maintenir pour les
purifier en les crucifiant."
3-8-8-Les
différents aspects de la contemplation mystique
Dom
Vital poursuit ses enseignements sur l'oraison et la contemplation mystiques. Il
écrit: "La contemplation sera toujours une oraison de simple regard amoureux
sur Dieu et sur les choses de Dieu. Son essence tient tout entière dans ces deux
mots: elle regarde et elle aime. Mais il y a d'abord une époque de transition,
où tantôt l'on médite et tantôt l'on contemple. Il y a aussi la contemplation
active et la passive: dans la première, tout se passe comme si l'âme quittait le
discours et simplifiait ses affections par son libre choix; dans la seconde,
elle constate avec évidence que la lumière et l'amour ne viennent pas de ses
efforts; elle les reçoit, c'est Dieu qui les verse. Or, il les répand comme il
veut: il donnera plus de lumière que d'amour, et l'oraison sera chérubique; il
infusera plus d'amour que de lumière, et l'oraison sera séraphique...
Arrêtons-nous à considérer de plus près
quelques aspects de la contemplation mystique: la contemplation sera
quelquefois savoureuse, elle sera bien plus souvent aride ou sans grande
consolation... Ou bien, l'amour et la joie vont à un tel excès que l'âme ne peut
plus les contenir; éperdue d'amour et de bonheur, ivre de Dieu, elle éclate en
pieux transports, elle s'abandonne aux élans de sa tendresse, à l'impétuosité de
son cœur; elle déborde en un flot de sentiments ardents, de paroles délirantes,
de saintes folies; mais c'est le secret du Roi qu'elle essaie de cacher à tout
regard indiscret. Or ce n'est pas une fois en passant que Dieu s'abaisse vers
notre petitesse et nous élève à ces divines privautés. C'est à maintes et
maintes reprises, et longtemps à la fois, qu'il prend cette âme dans ses bras,
qu'il la caresse sur ses genoux, qu'il la presse sur son cœur, comme un enfant
d'amour... Mais, surtout, qu'elle n'oublie jamais de chercher le Dieu des
consolations plutôt que les consolations de Dieu, et de s'enfoncer dans le
sentiment de sa misère à mesure que Dieu l'élève par sa miséricorde. Rarement,
l'action mystique atteindra ce maximum d'intensité; le plus souvent, elle
demeurera moyenne ou faible; et l'oraison se passera dans un état qui n'est ni
la consolation ni la sécheresse, ou même dans une monotone et désolante aridité.
Pourquoi ces continuelles variations? Parce que l'âme n'est pas encore purifiée
à fond, ni suffisamment dégagée des sens... Peut-être l'orgueil et le besoin de
jouir y trouveraient-ils leur aliment le plus délicat, et le vieil homme
n'achèverait pas de mourir. Mais Dieu va le réduire par la diète, au besoin par
la famine. Il ôte à cette âme si chère ses méditations accoutumées, l'abondance
des pensées, la variété des affections, la douceur des caresses, divines. Il lui
donne, en échange, un peu de contemplation, mais une contemplation aride et
purifiante, où il verse la lumière et l'amour goutte à goutte, avec une
crucifiante parcimonie... Il en verse assez pour que l'âme se tourne vers Dieu,
qu'elle le cherche et ne se plaise qu'auprès de lui. Il en verse trop peu pour
qu'elle le trouve dans un délicieux sentiment de possession. C'est une vraie
contemplation mystique, mais elle se passe dans une recherche anxieuse, un
besoin douloureux, une faim inassouvie. Et, pour qu'elle achève de mourir à
soi-même, il lui réserve la nuit de l'esprt, beaucoup plus pénible encore...
L'âme, alors, devient petite à ses propres yeux... elle apprend à s'en passer,
pour servir le bon Maître avec désintéressement... Il y a donc là une mine d'or
à exploiter, pour la purification de l'âme et le progrès des vertus, pourvu
qu'on persévère avec courage dans la prière, et qu'on ne se laisse pas
déconcerter par l'épreuve.
En
conséquence, n'est-il pas plus sage de remettre le choix entre les mains de
Dieu, et de nous tenir prêts à faire notre devoir, en acceptant d'avance sa
décision, quelle qu'elle soit? Les saints eux-mêmes n'ont pas tous marché par la
même voie d'oraison; mais tous ont pratiqué cet abandon filial, et suivi
docilement l'action de la grâce... Sainte Jeanne de Chantal avait une oraison
passive de simple remise en Dieu, de total abandon, un 'fiat voluntas tua'
indiscontinué... C'est une bonne oraison, que de se tenir en la volonté de Dieu
et en son bon plaisir. Notre-Seigneur dit un jour à la bienheureuse
Marguerite-Marie: 'Sache, ma fille, que l'oraison de soumission et de sacrifice
m'est plus agréable que la contemplation'.
Ce qui
précède s'applique surtout à la contemplation obscure et générale. Il y en a
une autre qui est distincte et particulière, et qui s'exerce spécialement dans
les visions, révélations, paroles intérieures, etc. C'est là surtout qu'il faut
pratiquer la sainte indifférence, en désirant même que Dieu nous conduise par
une autre voie. Ces sortes de faveurs ne supposent pas la sainteté... Beaucoup
de saints, ne semblent pas avoir été favorisés de ces grâces. Cependant, de nos
jours encore, Dieu les a prodiguées à Gemma Galgani et à nombre d'autres, comme:
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, Sœur Elisabeth de la Trinité, Sœur Céline de la
Présentation... On aurait donc tort de rejeter toutes les grâces de ce genre par
système et de parti pris; en supposant que le Saint-Esprit voulût nous conduire
à la sainteté par là, ce serait lui fermer la voie.
Mais s'il y a de ces faveurs qui sont bonnes et excellentes parce qu'elles
viennent de Dieu, Il y a des phénomènes analogues qui seraient nuisibles, comme
étant un artifice du démon ou un jeu de l'imagination... la moindre porte
ouverte suffit au démon pour nous tendre mille pièges... Qui ne sait avec quelle
insistance saint Jean de la Croix porte ses lecteurs à se défier des visions,
révélations et paroles intérieures, à y résister, à s'en dépouiller?... Mais il
faut se garder de trop contraindre et d'inquiéter ces personnes... Cependant, il
ne convient pas de demander cette voie ni de la désirer. Sainte Thérèse complète
cette pensée en portant l'âme au saint abandon: Il y a une étrange témérité à
vouloir soi-même choisir son chemin sans savoir s'il est le plus sûr, au lieu de
s'abandonner à la conduite de Notre-Seigneur qui nous connaît mieux que nous ne
nous connaissons... Soyez donc prudents:
ne méprisez pas les prophéties; examinez bien toutes choses, gardez
(seulement) ce qui est bon."
3-8-9- Le
"laisser faire Dieu" dans les voies mystiques
Dom
Vital, discrètement, corrige de nouveau le problème du quiétisme: "'Laisser
faire Dieu' est une expression très en faveur de nos jours. Cependant
cette formule ne répond pas à tous nos devoirs, ni en l'une, ni en l'autre. Ce
n'est donc pas un pur 'laisser faire Dieu'.
Parlons d'abord que de l'oraison, et prenons pour exemple la méditation. Dieu
travaille en nous et avec nous; mais il s'accommode à notre manière humaine
d'opérer, et il demeure caché... Les conditions changent quand on entre dans les
voies mystiques. Dieu prend alors,
quand il lui plaît, l'initiative et la conduite de notre oraison... Il lie
l'imagination, la mémoire et l'entendement, pour empêcher les considérations
développées, les affections méthodiques et discursives, variées et compliquées,
et pour nous former peu à peu à une simple attention amoureuse. Il produit
lui-même la lumière et l'amour; il les verse à flots, avec mesure ou goutte à
goutte; il les renforce ou les diminue, comme il veut... Il leur donne pour
objet ses divins attributs, la Passion, l'Enfance de Notre-Seigneur, ou tel
autre sujet qu'il lui plaît. Il provoque en nous un silence admiratif, des
transports amoureux, des colloques paisibles; ou même il nous réduit à la
pénible aridité.
En
un mot, la quiétude est un mélange de passif et d'actif, ou, comme parle sainte
Thérèse, 'le naturel s'y trouve mêlé à ce qui est surnaturel'; et, par suite, il
y aura lieu tout à la fois au 'laisser faire Dieu' et à notre activité
personnelle... Ce 'laisser faire Dieu', est-il besoin de le dire? n'est pas
l'état purement passif d'un champ qui reçoit, avec une égale inertie, la rosée
du ciel ou les rayons du soleil. C'est l'attitude d'une âme, intelligente et
libre, qui, comprenant le bienfait divin, se présente tout entière pour le
recevoir et n'en rien perdre.
Quand une âme est entre les mains de Dieu, le meilleur moyen d'abréger les
épreuves est de se soumettre sans plaintes, sans récriminations, sans
inquiétude. Bien loin de nous tenir purement passifs, faisons confiance à Dieu,
notre meilleur ami, notre Père infiniment sage et bon... Cette dernière
réflexion nous amène â dire que, comme les âmes peuvent être mues divinement
dans l'oraison, elles peuvent l'être aussi dans l'action... Dans la voie
commune, la grâce demeure secrète, même pour celui qui la reçoit. Elle nous
laisse l'initiative, le choix dans les choses libres, la délibération, la
détermination, l'exécution. Au fond, c'est bien du Saint-Esprit que tout
procède, rien de surnaturel n'étant possible sans qu'il nous en suggère la
pensée, et qu'il nous aide à le vouloir et à le faire. Mais il se cache, et
s'adapte à nos procédés naturels, en sorte que tout paraît venir de nos
efforts...
Au
contraire, dans l'action mystique, comme dans l'oraison mystique, l'action de
Dieu se fait sentir et devient pour ainsi dire manifeste... Quand une âme est
fréquemment favorisée de ces influences mystiques, on traduit cela en disant
qu'elle est sous la conduite du Saint-Esprit. La glorieuse Mère de Dieu n'eut
jamais dans l'esprit le souvenir d'aucune créature propre à la distraire, de
Dieu et à la diriger dans sa conduite. Tous ses mouvements furent toujours
produits par le Saint-Esprit...
'Y
a-t-il ou y a-t-il eu un très petit nombre d'âmes d'élite mues par Dieu. de
cette manière à chaque instant'? Bossuet 'laisse la chose au jugement de Dieu,
et, sans avouer de pareils états, il dit seulement, dans la pratique, qu'il n'y
a rien de si dangereux ni de si sujet à illusion, que de conduire les âmes comme
si elles y étaient arrivées, et qu'en tout cas ce n'est point dans ces
préventions que consiste la perfection du christianisme'... À
l'occasion de ces états passifs, Bossuet signale
deux excès opposés: celui des Quiétistes qui rendaient cette passivité
perpétuelle, fort commune, et nécessaire du moins pour la perfection, et celui
qui consiste à prendre pour des rêveries suspectes tous 'ces états où certaines
âmes d'élite reçoivent passivement des impressions divines, si hautes et si
inconnues, qu'on en peut à peine comprendre l'admirable simplicité.'
'Il
n'est pas permis à un chrétien, dit Bossuet, sous prétexte d'oraison passive ou
autre extraordinaire, d'attendre dans la conduite de la vie, tant au spirituel
qu'au temporel, que Dieu le détermine à chaque action par voie et inspiration
particulière; et le contraire induit à tenter Dieu, à illusion et à
nonchalance'.
Dom
Vital poursuit: Mais, en ces matières si délicates, il faut craindre les
illusions. Notre vie mystique devra donc être soumise à un sérieux contrôle,
d'après les règles du discernement des esprits. Il faut imiter sainte Thérèse:
ce qu'elle a toujours désiré le plus a été d'acquérir des vertus... Comme il est
difficile d'être bon juge en sa propre cause, c'est le cas, ou jamais, de
recourir à un directeur expérimenté."
3-8-10-Les
âmes victimes
Dom
Vital aborde maintenant un sujet délicat: en effet, certaines âmes décident
d'aller encore plus loin dans l'abandon et de faire l’offrande d'elles-mêmes
comme victimes: c'est ce qu'on appelle le vœu de victime… Dom Vital écrit: "Le
fondement de cette offrande est la Communion des Saints, spécialement la
réversibilité des satisfactions du juste au profit du coupable. C'est aussi le
mystère de la Rédemption par la souffrance." Et il donne les précisions
suivantes:
"S'il en faut croire les révélations privées, Notre-Seigneur a besoin de
victimes, et de victimes fortes; il cherche des âmes qui, par leurs souffrances
et leurs tribulations, expient pour les pécheurs et, les ingrats...
Pie
IX suggérait à un Supérieur général d'Ordre d'inviter les âmes généreuses à
s'offrir à Dieu en victimes d'expiation. Léon XIII, dans l'Encyclique adressée à
la France en 1884, exhorte “ ceux surtout qui vivent dans les monastères à
s'efforcer d'apaiser la colère de Dieu, par une humble prière, la pénitence
volontaire, et l'offrande d'eux-mêmes”. Pie X a loué hautement 'l'Association
Sacerdotale'; il a vu avec bonheur que 'beaucoup de ses membres s'offrent à Dieu
secrètement, pour être immolés comme des victimes d'expiation, spécialement pour
les âmes consacrées, dans ces temps malheureux où l'expiation est si
nécessaire;' il a enrichi de nombreuses indulgences 'ce grand office de la
piété chrétienne.' C'est, en effet, une très haute façon d'exercer le saint
amour de Dieu et du prochain.
La
vraie place d'une victime, c'est au Calvaire avec Jésus et non pas dans les
douceurs de l'amour... Les âmes consolatrices, les âmes réparatrices sont
victimes avec la grande Victime du Calvaire... Heureux cent fois celui qui livre
tout! Mais qu'il compte sur de grands travaux et sur des immolations
singulières. La preuve de ce fait éclate à chaque page dans la vie des âmes
victimes.
Nous
avons vu, à plusieurs reprises, que le Saint Abandon était la conformité de sa
volonté propre au bon plaisir divin, "mais une conformité née de l'amour et
portée à un degré élevé." À peine "la volonté de Dieu s'est-elle
manifestée, par l'évènement, que l'âme-victime acquiesce avec amour; ce n'est
pas une machine qui se laisse mouvoir, elle déploie tout ce qu'elle a
d'intelligence et de volonté, pour s'adapter et s'uniformer au bon plaisir divin
et pour en tirer plein profit."
Important
L'âme
dit à Dieu: "La seule chose que je veux, c'est de vous laisser me conduire à
votre gré et d'acquiescer avec amour à votre bon plaisir." Et Dom Vital
ajoute: "Cette oblation, si elle n'est pas encore 1'offrande en victime, s'en
rapproche beaucoup; ce n'est plus l'abandon de saint François de Sales. On ne
peut la permettre qu'avec prudence."
Voici,
selon Dom Vital, les différences entre l'offrande et l'abandon: Le simple
abandon, pour toutes les choses qui dépendent de la Providence et non pas de
nous, se tient dans une sainte indifférence, et il attend le bon plaisir de
Dieu… L'abandon ne renferme ni orgueil, ni témérité, ni illusion; il est plein
de prudence et d'humilité… Au contraire, la prudence et l'humilité veulent qu'on
ne s'offre pas en victime, et surtout qu'on ne demande point la souffrance, à
moins d'un appel divin dûment constaté."
S'adressant aux religieux Dom Vital ajoute: "Quant au saint abandon, toute
âme intérieure a mille occasions de le mettre en pratique, un religieux en aura
souvent besoin dans la vie de communauté." Toutefois il ne
craint pas de préciser: "Lorsque le Saint-Esprit lui-même attire une âme à
s'offrir en victime, pourvu qu'elle agisse avec la permission et sous le
contrôle des représentants de Dieu, et qu'elle demeure avant tout zélée pour ses
devoirs journaliers, on ne peut lui objecter ni la témérité ni l'illusion,
puisqu'elle obéit à un appel divin. Elle doit s'attendre à de terribles
épreuves. Elle en aura le mérite, et Dieu sera avec elle."
3-9-Excellence
du Saint Abandon
"Ce
qui fait l'excellence du saint abandon,
écrit Dom Vital, c'est l'incomparable efficacité qu'il possède, pour ôter les
obstacles à la grâce, pour faire pratiquer dans la perfection les plus hautes
vertus, et pour établir le règne absolu de Dieu sur nos volontés... Nous
parlons ici de la conformité parfaite, confiante et filiale, que produit le
saint amour...
La
plus haute école qui existe dans le monde, c'est celle où l'on enseigne la
science d'un parfait abandon de soi-même; c'est-à-dire où l'on apprend à l'homme
à se renoncer tellement que, dans toutes les circonstances où le bon plaisir
divin se manifeste, l'homme ne s'applique qu'à demeurer toujours calme et égal,
en se renonçant dans la mesure possible à l'infirmité humaine. Il doit arriver à
ne voir que la gloire et l'honneur de Dieu, à être vis-à-vis de Dieu comme
l'aimable Jésus a été vis-à-vis de son Père céleste...
Nous savons, en principe, que le mal consiste dans la recherche désordonnée de
nous-mêmes, et, par conséquent, dans l'orgueil et la sensualité qui en résument
les formes si variées. Mais le mal une fois connu, il nous arrive aussi de ne
pas savoir y porter remède...
Finalement, avec l'orgueil, le grand mal est le jugement propre et la volonté
propre; il n'y a péché ni imperfection qui ne vienne de cette source
empoisonnée... Le bienheureux Suso priait: 'Ah! Seigneur, montrez-moi mes peines
à l'avance, afin que je les connaisse'... Et Dieu de lui répondre: 'Non, il est
préférable que tu ne saches rien'. En effet, il veut nous tenir dans la
disposition constante d'incliner notre jugement, d'immoler notre volonté... Dieu
ne fait rien au hasard; comme un vrai Sauveur, comme un médecin aussi ferme que
sage et discret, il porte le fer et le feu, tantôt ici, tantôt là, partout où
son œil exercé voit des fautes à expier, des défauts à corriger, un point faible
à fortifier...
Voilà pourquoi certaines âmes se trouvent réduites à être presque
continuellement ce qu'elles n'auraient pas voulu être, tantôt dans de profondes
ténèbres au moment de l'oraison... C'est donc le saint abandon qui achèvera de
purifier notre âme et de la détacher, on aurait vite fait de bannir le saint
abandon. Alors celui-ci vient joindre son action puissante à celle de
l'obéissance; il répond d'ailleurs à nos besoins plus personnels. Il amène ainsi
notre pénitence à sa dernière perfection... car il y a des choses qu'on
n'apprend guère sans avoir passé maintes et maintes fois par l'épreuve, par
l'abandon de tout ce que nous sommes et de tous nos intérêts au bon plaisir
divin. N'est-ce pas avoir une foi bien grande en la justice, en la sainteté de
Dieu, qu'il nous suffise, en tout ce qui nous arrive, d'un simple souvenir que
telle est sa volonté, pour qu'au même moment nous disions Amen sur tous ses
décrets ?...
Pas
de plus grande et de plus vive foi que de croire que Dieu fait toujours
admirablement nos affaires, lorsqu'il semble nous détruire et nous anéantir,
lorsqu'il renverse nos meilleurs desseins, qu'il nous expose à la calomnie,
qu'il obscurcit toutes nos lumières dans l'oraison, qu'il dessèche nos
sensibilités et nos ferveurs par les aridités et les sécheresses... Il détruit
l'attache à nos joies par les tristesses, à l'estime par les humiliations et les
mépris, aux goûts et aux sensibilités par les aridités et les sécheresses, aux
lumières dans l'oraison par les obscurités et les ténèbres; il travaille à
ruiner le trop grand empressement pour la perfection par des insuccès
crucifiants, la trop grande activité par les impuissances où il nous réduit
parfois, la propre volonté jusque dans l'affaire du salut par les incertitudes
où il nous met sur ce sujet. S'il y a une voie où l'on exerce une foi vive, une
confiance à toute épreuve, c'est donc bien celle de l'abandon à la divine
volonté...
C'est donc le saint abandon qui achève de faire le vide en notre âme. L'amour
divin s'y précipite à mesure; et, ne trouvant plus d'obstacle, il la remplit, il
la gouverne, il la transforme, il y règne en Maître. Non seulement, le saint
abandon prépare les voies à l'amour divin, il est lui-même l'acte d'amour le
plus parfait qu'une âme puisse produire envers Dieu, il vaut plus que mille
jeûnes et disciplines...
'Vous ayant donné ma volonté, je n'ai plus rien à vous offrir'. Ainsi parlait
saint Alphonse. Ne peut-on pas dire que
l'amour des saints est entièrement dégagé de tout propre intérêt, puisqu'ils
se mettent en état de victimes, consentant que Dieu les détruise à tout moment,
et qu'il fasse un sacrifice continuel de leur volonté à la sienne?...
L'abandonnement est la vertu des vertus; c'est la crème de la charité, l'odeur
de l'humilité, le mérite, ce semble, de la patience, et le fruit de la
persévérance: grande est cette vertu, et seule digne d'être pratiquée des plus
chers enfants de Dieu... Cette union ici-bas, c'est bien l'union de l'esprit par
la foi, l'union du cœur par l'amour; c'est surtout l'union de la volonté par la
conformité à la volonté divine... Nos volontés n'ont de perfection et de
sainteté que par leur conformité à celle de Dieu.
La
Très Sainte Vierge n'a été la plus parfaite entre tous les Saints que parce
qu'elle a été toujours plus parfaitement unie à la volonté de Dieu. Si donc nous
voulons gravir les sommets de la vie intérieure, la meilleure route est celle du
saint abandon; nulle autre ne saurait nous conduire aussi vite ni aussi loin...
3-10-Les fruits du Saint Abandon
3-10-1-La
paix et la joie
Dans
les livres saints Notre Seigneur se fait appeler 'le Dieu de la paix'. Dom Vital
donne des précisions: "Notre doux Sauveur, à peine né, fait chanter par ses
anges: 'Gloire à Dieu au plus haut des Cieux, et paix sur la terre aux hommes de
bonne Volonté'. Maintes fois quand il se présente à ses disciples après sa
résurrection, il les salue de ce touchant souhait: 'La paix soit avec vous.' La
véritable paix est donc pour les hommes de bonne volonté. Pourtant, le
Père Grou dit: 'La paix des âmes dévotes, mais qui ne sont pas pleinement
abandonnées à Dieu, est bien faible, bien chancelante, bien troublée, soit par
le scrupule de la conscience, soit par la terreur des jugements de Dieu, soit
par les divers accidents de la vie. Quand est-ce donc qu'une paix intime,
solide, et pour ainsi dire inaltérable, prend racine dans une âme? Du moment
qu'elle se donne tout à fait à Dieu… à mesure que l'âme se détache de toutes
choses et s'attache à la seule volonté de Dieu… C'est une première récompense de
nos travaux, une force qui nous soutient dans l'épreuve, un indice de notre état
d'avancement...' Vraiment, le comble de la paix et le comble de la
'perfection vont de pair et sont inséparables. Dieu ne permet rien que pour le
plus grand bien de notre âme; et tant que nous demeurons unis, par la foi, la
confiance et l'amour, à la seule volonté divine, il n'y a personne au monde qui
puisse nous nuire'…
Il
y aura donc deux sortes de paix: l'une sensible, douce et savoureuse; celle-là
ne dépend pas de nous; d'ailleurs elle n'est pas nécessaire, elle offre même une
secrète pâture à l’amour-propre. Il y en a une autre qui est presque insensible;
elle réside au plus intime de l'âme, en la fine pointe de l'esprit. D'ordinaire,
elle est sèche et sans goût, on peut l'avoir même au milieu des pires
tribulations. Purement spirituelle, elle est moins sujette aux recherches de
l'amour-propre, et laisse le champ plus libre à l'action de la grâce… Tant que
notre volonté lui demeure fidèle, il est près de nous, amoureusement occupé de
nous guérir et de nous rendre meilleurs; pendant qu'il nous détache et nous
humilie, il nous soutient de sa force invisible, il nous aidera jusqu'au bout,
si nous voulons prier et lutter.
En
toutes les épreuves, comme tentations, maladies, sécheresses, contrariétés,
humiliations, mépris, persécutions, etc... le grand moyen de conserver la paix,
c'est une humble et amoureuse soumission au bon plaisir de Dieu. 'Oh! que je
souhaiterais, dit le Père de Caussade, que vous eussiez plus de confiance en
Dieu, plus d'abandon à sa sage et divine Providence!' Il faut aspirer à ce
filial abandon, le demander à Dieu, et en faire des actes. Tâchons, même d'en
venir jusqu'à aimer nos croix, puisque c'est Dieu qui nous les a taillées, et
qui les taille encore chaque jour. Laissons-le faire: lui seul connaît ce qui
convient à chacun. Si nous demeurons ainsi fermes, soumis et humiliés sous
toutes les croix de Dieu, nous y trouverons enfin (s'il juge bon) le repos de
nos âmes. C'est alors que nous goûterons une paix inébranlable, lorsque, par
notre docilité, nous aurons mérité que Dieu nous fasse sentir l'onction toute
divine attachée à la croix, depuis que Jésus-Christ y est mort pour nous. Il
faut ne vouloir précisément que ce que Dieu veut, à toute heure, pour toutes
choses: voilà le plus sûr, le plus court, et l'unique chemin de la perfection.
Tout le reste est suspect d'illusion, d’orgueil et d'amour-propre.
Le
saint abandon apporte non seulement une paix profonde, et aussi la joie
intérieure, qui est le vrai bonheur ici-bas. L'abandon produit la paix, une paix
profonde, parfaite, et (pour ainsi dire) imperturbable... Le trouble vient
uniquement de la volonté propre et de l'opposition qu'elle fait à Dieu. C'est
elle qui cause tant d'agitations et d'inquiétudes; l'abandon les rend
impossibles... Nous ne pouvons fuir la tribulation, la croix nous poursuivra;
partout. Mais le saint abandon nous apprend la grande science de la vie et l'art
d'être heureux en ce monde, qui consiste à savoir souffrir...
Voulez-vous un secret pour être constamment joyeux? Je dis un secret; car tout
le monde veut la joie, et combien peu la trouvent! Eh bien! le meilleur secret
pour y parvenir et s’y maintenir, un secret vraiment infaillible, c'est le Saint
abandon... Il se fait, en l'âme abandonnée, je ne sais quelle effusion de cette
joie divine; car le fond de son abandon, c'est justement l'approbation aimante
qu'elle donne à tout ce que Dieu fait et veut, et la complaisance qu'elle prend
en tous ses bons plaisirs... La croix est le don que Dieu fait à ses amis. Il
faut demander l'amour des croix, alors elles deviennent douces.
Et Dom Vital de confier: J'en ai fait l'expérience
pendant quatre ou cinq ans. J'ai été bien calomnié, bien contredit, bien
bousculé. Oh! j'avais des croix, j'en avais presque plus que je n'en pouvais
porter! Je me mis à demander l'amour des croix; alors je fus heureux. Je me dis:
Vraiment, il n'y a de bonheur que là! Il ne faut jamais regarder d'où viennent
les croix: elles viennent de Dieu...
Dom
Vital cite maintenant le fameux Dialogue du théologien et du mendiant de Tauler.
Un théologien souhaitait une bonne journée à un mendiant. Le mendiant lui
répondit: "Je ne me souviens pas d'avoir jamais eu un mauvais jour. Que Dieu
vous rende heureux, reprend le Maître. Et le pauvre de lui repartir: Mais je
n'ai jamais été malheureux. Dieu vous bénisse, répliqua le théologien; mais
parlez plus clairement, car je ne comprends pas ce que vous dites. Je le ferai
volontiers, dit le pauvre. Vous m'avez souhaité d'avoir un bon jour, je vous ai
répondu que je ne me souviens pas d’en avoir jamais eu un mauvais; en effet,
quand la faim me presse, je loue Dieu; si je souffre du froid, si la grêle, la
neige ou la pluie tombent, si le temps est au calme ou à la tempête, je loue
Dieu; lorsque je suis dans le besoin, dans les rebuts et les mépris, je loue
Dieu encore; et, par suite, il ne m'arrive jamais un mauvais jour. Vous m'avez
souhaité ensuite une bonne et heureuse vie, et je vous ai répondu que je n'avais
jamais été malheureux; et cela est vrai, parce que je sais vivre avec Dieu, et
je suis certain que tout ce qu'il fait ne peut être que très bon. C'est
pourquoi, quelque chose que je reçoive de Dieu, ou qu'Il permette que je reçoive
d'ailleurs, prospérité ou adversité, douceur ou amertume, je le regarde comme
une heureuse fortune, et je l'accepte avec joie de sa main. Du reste, je suis
bien décidé à ne m'attacher qu'à la seule volonté de Dieu, et j'ai tellement
fondu ma volonté dans la sienne, que tout ce qu'il veut, je le veux aussi. En
conséquence, je n'ai jamais été malheureux..."
3-10-2-La
crainte de Dieu
Dom
Vital n'hésite pas à écrire: "Nous commettons, hélas! des fautes trop
réelles. Il arrive, que Dieu lui-même imprime dans nos âmes un très vif
sentiment de nos péchés, de nos misères, de son infinie sainteté, de ses justes
jugements... Et cependant le Dieu saint et jaloux la plonge et la replonge dans
le bain de l'amour repentant, pour qu'elle s'y lave et s'y guérisse encore; il
faut être si pur pour entrer dans l'intimité du divin Maître! Mais pourtant, il
reste des tendances défectueuses qu'on ne voyait pas... Tristes restes de
l'amour-propre, mal d'autant plus funeste qu'il est très habile à se dissimuler,
et même à se faire aimer...
Alors,
Dieu va nous soumettre il un régime de souffrances et d'humiliations
intérieures, choisies et dosées avec une sagesse impeccable. Il emploiera
largement les obscurités de l'esprit, l'insensibilité du. cœur, les impuissances
de la volonté, et même, au besoin, les tentations les plus humiliantes... On
commence enfin à se connaître, et à connaître Dieu. L'âme éprouve le besoin de
se jeter, tremblante et pleine de repentir, aux pieds du Dieu trois fois saint,
avec quelle franchise elle reconnaît ses fautes... Ce travail mystérieux de la
Providence est donc un purgatoire anticipé, douloureux mais souverainement
salutaire.
Dieu veut aussi nous élever à la plus haute humilité. Sublimité de vertu rare et
infiniment désirable! Notre bienheureux Père saint Benoît nous assure qu'elle
nous mènerait vite à ce parfait amour qui bannit la crainte, à ce bienheureux
état où, toutes les vertus nous étant devenues familières, on les pratique comme
naturellement dans la joie du Saint-Esprit. Mais il y a douze degrés à gravir...
Voilà pourquoi les Saints, dans la consommation de leur vertu, se croyaient
l'opprobre des hommes, la balayure du monde, des instruments propres à gâter
l'œuvre de Dieu, des pécheurs capables d'attirer les fléaux du Ciel... On se
fait tout petit, comme d'instinct, sous le regard de Dieu; on sent le besoin de
ne s'appuyer que sur son infinie bonté; de se jeter à corps perdu dans l'abîme
de sa miséricorde qui surpasse de si loin l'abîme de nos misères. C'est le
triomphe de l'humilité... Dieu veut, en effet, nous conduire à cette confiance
parfaitement pure, et pour ainsi dire héroïque. C'est une surabondance de foi,
de confiance et d'amour, qu'il faut alors pour dire à Dieu malgré nos alarmes:
Tout ce que j'ai de plus cher, c'est à vous seul que je le confie.
Jamais abandon ne procura à Dieu plus d'honneur et de joie. Au fond, le manque
de confiance, et le découragement qu'il inspire, sont le grand obstacle aux
desseins de Dieu; ils sont même l'unique danger, mais un danger redoutable, car
ils pourraient nous précipiter dans l'abîme du désespoir. Ces grandes épreuves
nous conservent la paix de l'âme, le calme de l'esprit, la force de la
volonté... Nous veillerons, avec un soin jaloux, à nous tenir fermement établis
dans la confiance et l'abandon, soit que Dieu répande en nous ces pieux
sentiments, soit qu'il nous laisse, avec sa grâce, le soin de les produire et de
les conserver. Nous serons d'autant plus riches que nous nous croirons plus
pauvres,
Le
Père de Caussade ajoute ailleurs: 'Vous tremblez pour votre état, et moi j'en
bénis Dieu pour vous. Je ne vous souhaite qu'un seul changement: c'est qu'à
votre anéantissement se joignent la paix, la soumission, la confiance et
l'abandon. Après cela, je ne craindrai rien pour vous.'"
3-10-3-Les
progrès dans la contemplation et dans la vertu
Ne
sommes-nous pas fondés à penser que nos communications avec Dieu, en s'élevant,
nous apporteraient un surcroît de lumière et de force, qu'elles resserreraient
l'union d'amour, et rendraient plus parfait l'exercice des vertus? Mais ce désir
a besoin d'être tempéré par un filial abandon. Ce désir a besoin d'être tempéré
par un filial abandon... Dieu reste le Maître, il nous laisse ignorer ses
intentions, ou plutôt il les cache avec soin...
Par ailleurs, ce désir doit être humble et vigilant. Saint François de
Sales nous dit: 'Soyons donc attentifs, Théotime, à notre avancement en
l'amour que nous devons à Dieu; car celui qu'il nous porte ne nous manquera
jamais'.
Cette doctrine est très encourageante; mais elle nous montre bien nos
responsabilités... La foi s'éclairera, toutes les vertus grandiront; on
profitera spécialement dans l'amour, la confiance et l'abandon. Que faut-il de
plus?...
C'est à ses fruits, et non pas à ses fleurs, qu'il faut juger l'amour; les
œuvres en sont la preuve, elles en donnent la vraie mesure. L'amour solide et
profond est celui qui unit fortement notre volonté à celle de Dieu; il est
parfait, quand il nous amène à n'avoir plus qu'un même vouloir et non-vouloir
avec Dieu, ce qui suppose le détachement de toutes choses et la mort à soi-même.
Ce qui importe, c'est l'union active,
c'est-à-dire la parfaite conformité à la volonté de Dieu, en laquelle, consiste
la vraie union de l'âme avec Dieu... Nous devons uniquement désirer et
uniquement demander que Dieu fasse en nous sa volonté. Voilà toute la
sainteté...
Dès
lors, on demandera la parfaite conformité, le saint abandon, et lui seul, d'une
manière absolue. Quant au choix des voies et moyens, il appartient à Dieu de le
faire à son gré. Cependant, il est très permis de désirer les oraisons mystiques
et d'en demander le progrès, si tel est le bon plaisir divin... Mais, ce n'est
que l'un des chemins, et non pas le terme. Notre vrai trésor est une humilité
profonde, une grande mortification, et une obéissance qui, voyant Dieu même dans
le Supérieur, se soumet à tout ce qu'il commande…
Sainte Thérèse, saint Philippe et saint Alphonse connaissaient, par une longue
expérience personnelle, le prix inestimable de l'union pleine et de l'extase.
Mais ils voulaient mettre en garde contre les illusions possibles; et la plus
funeste, assurément, serait de prendre ces sortes de faveurs pour la sainteté
même; elles sont des grâces très précieuses, quand elles viennent de Dieu."
3-10-4-L'intimité
avec Dieu
Dom
Vital écrit: "Le premier fruit de l'abandon, fruit aussi nourrissant que
savoureux, c'est une délicieuse intimité avec Dieu, dans une confiance pleine
d'humilité. Dieu n'est-il pas notre Père des Cieux et la bonté même?... Le Verbe
incarné a daigné nous aimer plus que sa vie... Oui, vraiment, Dieu est Amour.
Quand il est avec ses enfants, il oublie volontiers sa grandeur et notre
petitesse, il n'y a plus que le Père, et il se fait tout petit avec les plus
petits, parce qu'il les aime... Des paroles plus douces que le miel s'échappent
des deux cœurs; l'un et l'autre se jettent des regards d'une douceur infinie,
signes de leur commune tendresse.
Et ceux que Dieu aime, il les traite en amis, non pas
en serviteurs. L'âme sent qu'elle aime Dieu et qu'elle l'aime avec ardeur; dès
lors, elle ne doute pas qu'elle n'en soit aussi fortement aimée. Son unique
application n'est-elle pas de chercher sans cesse et de tout son cœur les moyens
de plaire à Dieu?... Mais pour qui cette délicieuse intimité? Pour l'âme aimante
et soumise. 'J'aime ceux qui m'aiment', nous dit la divine Sagesse. 'Quiconque
fera la volonté de mon Père qui est aux Cieux, celui-là est mon frère, et ma
sœur et ma mère'. L'obéissance et l'abandon nous donnent, en effet, un air de
famille avec Celui qui s'est fait obéissant jusqu'à la 'mort, et à la mort de la
croix. Sa très sainte Mère fui ressemble et lui est chère au premier chef, non
seulement parce que ses entrailles l'ont porté, mais bien plus encore parce que,
mieux que personne, elle a: écouté la divine parole et l'a mise en pratique...
Qui
ne serait ému, en lisant les délicieuses visites que le Très Saint Enfant-Jésus
aurait faites à une humble religieuse, avec un ravissant abandon? À cette
paternelle affection de la part de Dieu, répond de la part de l'âme une
confiance pleine d'humilité.... Mais que devient l'humilité dans ce cœur à cœur
si confiant? Tantôt l'âme donne libre cours à sa tendresse; puis, confuse de sa
hardiesse, elle adore profondément le Dieu de son cœur, elle lui fait mille
protestations d'humble et amoureuse soumission; elle s'enfonce dans le sentiment
de sa misère et de son néant... Elle cherchait sa voie pour parvenir à la
sainteté; elle la trouva dans ces paroles de la divine Sagesse: 'Si quelqu'un
est tout petit, qu'il vienne à moi'. Ce fut un trait de lumière: elle se fera
toute petite, dans le sentiment de sa faiblesse et de son néant; elle demeurera
toute petite; son ambition sera de passer inaperçue, d'être oubliée..."
3-10-5-La
simplicité et la liberté
"Jésus, faisant son entrée dans le monde, parle ainsi à son Père: 'Me voici, je
viens pour faire votre volonté'.
Car, seule la volonté du Père touche et le décide. Il en est ainsi de l'âme
qui pratique le saint abandon...
En toutes choses donc elle ne voit que Dieu seul et
son adorable volonté. Voilà ce qui donne à sa vie une merveilleuse simplicité,
une très simple unité... Elle procure
aussi la liberté des enfants de Dieu. 'Si quelque chose, dit Bossuet, est
capable de rendre un cœur libre et de le mettre au large, c'est le parfait
abandon à Dieu et à sa sainte volonté'. Et lui seul en est capable. Sont-ils
libres, en effet, les pécheurs qui vivent au gré de leurs désirs? Ce sont de
malheureux esclaves; le monde et leurs passions les tyrannisent. Sont-ils
libres, les chrétiens faibles encore dans la pratique de leur devoir? Les
occasions les entraînent, le respect humain les subjugue; ils veulent le bien,
et mille obstacles les en détournent; ils détestent le mal et n'ont pas la force
de s'en éloigner. Sont-ils libres au moins, ces hommes déjà plus avancés, mais
qui se font une dévotion à leur manière, et cherchent les consolations
sensibles?...
Une
âme est libre et dégagée, dans la mesure où les passions sont amorties,
l'amour-propre dompté, l'orgueil mis sous les pieds. La mortification intérieure
commence et poursuit cette libération; mais, nous l'avons vu, seul le saint
abandon l'achève... Il nous rend libres du côté des hommes... Il nous rend
libres à l'égard de nous-mêmes, jusque dans les choses de la piété. En effet, le
saint abandon nous établit dans une pleine indifférence pour tout ce qui n'est
pas le bon plaisir divin... L'habitude du saint abandon procure l'heureuse
'liberté des enfants bien-aimés, c'est-à-dire un total désengagement de son cœur
pour suivre la volonté de Dieu reconnue."
3-10-6-L'égalité
d'esprit
Dom
Vital constate: "L'inégalité d'esprit et l'inconstance de volonté remplissent
le monde, pour sa honte et sa désolation... Vous voulez une chose à présent;
plus tard vous en voudrez une autre... Je suis tout feu pour une œuvre de zèle,
qui me charme par sa nouveauté ou qui me réussit; mais viennent les
contradictions, les insuccès, l'uniformité, je perdrai courage. N'est-ce pas
tout naturel, quand on se laisse conduire par ses inclinations, passions et
affections?... La volonté de Dieu étant la seule règle de ses
désirs, il ne fait que ce que Dieu veut, il ne veut que ce que Dieu fait... Il
accepte avec une parfaite conformité de volonté toutes les dispositions de la
Providence, sans considérer si elles satisfont ou contrarient ses penchants.
C'est
ce que l'on appelle l'égalité d'esprit. Saint François de Sales la possédait
pleinement; et sainte Jeanne de Chantal nous dit où il l'avait trouvée: 'Sa
méthode était de se tenir très humble, très petit, très abaissé devant Dieu,
avec une singulière révérence et confiance, comme un enfant d'amour. Je crois
qu'en ses dernières aimées, il ne voulait, il n'aimait, il ne voyait plus que
Dieu en toutes choses; aussi le voyait-on absorbé en Dieu, et il disait qu'il
n'y avait plus rien au monde qui pût lui donner du contentement que Dieu... Son
égalité d'esprit était incomparable; car qui l'a jamais vu changer de posture en
nulle sorte d'action? Je l'ai cependant vu recevoir de rudes attaques. Ce
n'était pas qu'il n'eût de vifs ressentiments, surtout quand Dieu était offensé,
et le prochain opprimé. On le voyait, en ces occasions, se taire et se retirer
en lui-même avec Dieu; et il demeurait en silence, ne laissant toutefois de
travailler, pour remédier au mal avenu; il était le refuge, le secours et
l'appui de tous.'"
3-10-7-Une
sainte mort
"Une sainte vie prépare une sainte mort, et la rend pour ainsi dire assurée. La
persévérance finale est toujours la grâce des grâces, le don gratuit par
excellence. Mais il n'y a rien de comparable au saint abandon, pour incliner
notre Père des Cieux à nous accorder cette grâce décisive. Il poursuit le
pécheur; pourrait-il rejeter une âme qui ne vit que d'amour et de filiale
soumission? Rien ne prépare à une bonne mort comme le saint abandon, parce qu'il
nous a formés à tout recevoir de la main de Dieu avec amour et confiance, et à
faire bravement notre devoir jusque sous le faix de la croix, en nous appuyant
sur la puissance et la bonté de Dieu.
Même pour les plus saintes âmes, c'est une chose souverainement impressionnante,
que le passage du temps à l'éternité...
Sainte Jeanne de Chantal, mourante, redoutait les jugements de Dieu. Son
confesseur lui demanda si elle avait peur. 'Non pas, dit-elle, mais je vous
assure que les jugements de Dieu sont terribles!'
C'est le cri de la nature aux abois; c'est le saisissement de ce moment décisif,
infiniment solennel; c'est l'angoisse d'une conscience délicate, alarmée par son
humilité même. Une âme qui vit du saint abandon triomphera mieux de cette
crainte... Mais il n'est pas rare de voir les âmes d'abandon trépasser sans
aucune frayeur, et s'en aller dans leur éternité, tranquilles et joyeuses, comme
un enfant qui rentre au foyer paternel, comme le, religieux qui va chanter le
saint office.
Mais rien ne vaut le saint abandon pour rendre pleinement fructueuse la suprême
épreuve. Au dire de saint Alphonse, 'accepter la mort que Dieu nous présente,
pour nous conformer à sa volonté, c'est mériter une récompense semblable à celle
des martyrs.' Aucune parole n'est plus encourageante que celle-là: faisons la
volonté de Dieu, il fera la nôtre; faisons tout ce qu'il veut, il fera tout ce
que nous voudrons. C'est de là que vient la puissance d'intercession des âmes
qui vivent dans une amoureuse et parfaite conformité: elles ne refusent rien à
Dieu, Dieu ne leur refusera rien.
Dom
Vital cite encore "Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus qui aurait dit au moment de
sa mort: 'Je sens que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon
Dieu comme je l’aime, de donner ma petite voie aux âmes.' Le bienheureux
Aignan d'Éberbach disait à son abbé: 'Je prends tout indifféremment comme de
la main de Dieu, et l'unique fin de mes oraisons, c'est que sa sainte volonté
s'accomplisse parfaitement en moi et dans toutes les créatures... Quoiqu'il
arrive, je suis toujours content.'"
La conclusion de Dom Vital.
"La
volonté divine est la règle suprême de notre vie, la norme du bien, du mieux, du
parfait; plus on s'y conforme, plus on se sanctifie."
La conformité parfaite, amoureuse et filiale, à la sainte volonté de Dieu, c'est
cela, le Saint Abandon.
"Avec une profonde humilité, approuvons, louons, puis aimons cette volonté
souveraine, toute sainte, tout équitable, toute belle. Cette sainte et adorable
volonté, de signe ou de bon plaisir, sachons la voir toujours, approuvons-là
toujours, accomplissons-là de tout notre cœur, avec amour et fidélité, comme les
Anges et les Saints la font au ciel. Si nous faisons cela, alors cette volonté
divine transformera la face du monde: la sainteté fleurira partout; partout
régneront la joie dans les cœurs, la charité parmi les hommes, la paix dans les
familles et les nations.
Nous, du moins, aimons notre doux Maître, si sage et si bon; faisons de grand
cœur tout ce qu'il veut; acceptons avec confiance tout ce qu'il fait: c'est là
tout l'homme, tout le chrétien, tout le religieux; c'est le chemin des hautes
vertus, le secret du bonheur pour le temps et pour l'éternité."
Notre commentaire
Certaines personnes pourront
trouver la synthèse que nous avons essayé de faire du Saint Abandon beaucoup
trop longue. Nous pouvons être en partie d'accord avec elles, mais en partie
seulement. En effet, nous aurions pu résumer en trois pages cet immense ouvrage:
mais quelle en aurait été l'utilité pour ceux qui auront peut-être le désir de
l'utiliser pour nourrir leur vie spirituelle?
Nous avons essayé de faire le
maximum de citations de Dom Vital afin de bien mettre en valeur toute la
richesse de sa pensée. Certaines redites nous ont paru indispensables, et nous
nous en excusons auprès de ceux qui seront agacés. Cependant nous pensons que
tout ce travail sur Dom Vital sera d'une grande utilité, et surtout, qu'il
donnera à beaucoup l'envie de lire l'intégralité de ce magnifique ouvrage.
Site de la Trappe de
Bricquebec :
http://catholique-coutances.cef.fr/communautes/bricquebec/



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