4
Portrait d'Élisabeth de
la Trinité.
Défauts et qualités

Remarque: Élisabeth Catez, devenue Élisabeth de la Trinité a écrit beaucoup de lettres, destinées soit à sa famille, à ses amis, ou à des prêtres. Toutes ses lettres, d'enfance, de jeunesse, ou de carmélite révèlent les principaux traits de son caractère. Élisabeth aime, elle a toujours le souci des autres dont elle s'intéresse jusque dans les plus petits détails. Élisabeth rayonne de joie, de sincérité, de respect pour son prochain dont elle ne dira jamais de mal. Elle aime la nature passionnément. Mais par-dessus tout, elle aime Jésus.

4-1-Les défauts d'Élisabeth

Nous savons que la jeune Élisabeth avait un tempérament très violent et très volontaire. Face à ses nombreuses colères, sa mère sut ne jamais céder, mais punir en fonction de la sensibilité, elle aussi exceptionnelle, de sa fillette. Ainsi, quand il le fallait, Madame Catez savait priver sa fille des caresses qu'elle aimait et des baisers qu'elle désirait. Le 1er janvier 1889, Élisabeth, âgée de neuf ans, écrit à sa maman: "Je voudrais, en te souhaitant une bonne année, te promettre que je serai bien sage, bien obéissante et que je ne te ferai plus mettre en colère..." Le 31 décembre suivant elle écrit encore à sa mère: "Je te souhaite tout ce que tu peux désirer, et maintenant que je suis plus grande, je vais devenir une petite fille douce, patiente, obéissante, appliquée et ne se mettant jamais en colère."

Élisabeth prit rapidement conscience de ses défauts et elle fit tout ce qu'elle put pour s'en corriger. Mais elle comprit aussi la peine qu'elle faisait souffrir à son entourage, et souvent elle s'en repentait. Ainsi, dix ans plus tard, le 9 mars 1899, au cours d'une mission à Dijon, elle écrivit dans son journal: "Ô Jésus, pardon, pardon pour mon mauvais exemple, mon orgueil, et toutes les fautes que je commets si souvent..." Et le lendemain, malgré toutes ses misères, elle ne craint pas le jugement de Dieu: "Peux-Tu condamner, malgré sa faiblesse et ses fautes sans nombre, celle qui t'a tout sacrifié ici-bas, celle qui n'a vécu que pour Toi, pour Te consoler, celle qui a tant désiré partager la Croix avec toi?..."

Élisabeth a d'autres défauts; elle écrit dans son journal, le samedi 18 mars 1899, après une instruction de la mission à Dijon: "Cette instruction m'a fait beaucoup de bien, car je ne suis pas toujours disposée à excuser mon prochain. J'ai pris de sérieuses résolutions..." Le 22 mars, elle précise: "Ô mon Jésus, désormais jamais une parole contre mon prochain ne sortira de mes lèvres, je l'excuserai toujours, et, si l'on m'accuse injustement, je penserai à vous, mon bien-Aimé Époux, et je saurai tout supporter sans me plaindre..."

4-2-Les qualités d'Élisabeth

Grâce à sa mère, la petite Élisabeth prit rapidement conscience de ses fautes, et avec l'énergie qui la caractérisait, elle s'efforça  de maîtriser son tempérament trop passionné. Et d'abord, en aimant: en aimant ceux à qui elle faisait de la peine, et surtout à Jésus. L'acquisition de cette maîtrise d'elle-même lui fut cependant très pénible, et parfois le combat était si dur que les larmes montaient à ses yeux.

4-2-1-La charité

Élisabeth était toujours prête à rendre service et ne critiquait jamais. Catéchiste, on lui confia une fillette de quatorze ans, totalement inculte sur le plan religieux, pour la préparer à sa communion. Après la mort d'Élisabeth, cette personne écrira, parlant de Melle Catez: "Sa patience et sa douceur à mon égard étaient incomparables. Avec quel amour elle me parlait du grand sacrement que j'allais recevoir ! Comme elle m'invitait à prier la Sainte Vierge ! C'est bien elle qui a déposé dans mon cœur les germes de cette dévotion filiale. Son dévouement redoubla quand arriva la retraite préparatoire au grand jour. Je me rappelle surtout sa piété en priant avec moi et pour moi ; j'étais frappée par son maintien si recueilli dans la rue, lorsque nous allions ensemble à l'église. Je comprends aujourd'hui combien elle se sentait le tabernacle de Jésus ; elle me disait que j'allais moi-même le devenir, qu'il me fallait être bien pure, et préparer avec soin ma confession générale, dont elle m'aida à faire l'examen."

4-2-2-Élisabeth et ses relations familiales ou amicales

Élisabeth vit toujours dans le monde, mais pense de plus en plus au Carmel... On annonce les fiançailles de son amie, Marie-Louise Maurel. Immédiatement Élisabeth lui écrit, en novembre 1899: "Je prie beaucoup pour vous, chère amie, et je demande au Bon Dieu qu'Il vous comble de ses bénédictions et vous donne tout le bonheur dont on peut jouir ici-bas. Oui, chère Marie-Louise, le bon Maître nous appelle à des voies différentes. La part qu'Il m'a choisie est bien belle!..."

Beaucoup de personnes pensaient, à l'époque d'Élisabeth, que ceux qui entraient en religion, au Carmel particulièrement, étaient définitivement coupés du monde, et qu'ils devaient se détacher complètement de leurs parents et de leurs amis. La correspondance d'Élisabeth de la Trinité prouve le contraire. Elle continue à s'intéresser aux uns et aux autres, elle s'inquiète de leur santé, de leurs problèmes et de leurs difficultés quotidiennes, de leurs travaux et même de leurs joies. Elle va même jusqu'à demander des services pour préparer des fêtes, des offices, voire des récréations dans le Carmel. Un point particulier est à signaler: jamais sœur Élisabeth ne se plaint, et ceux qui ignorent la maladie mortelle et douloureuse dont elle souffrait ne peuvent à la lecture de ses lettres imaginer la somme des souffrances qu'elle eut à supporter. Elle ne parle que de son bonheur, que de ses joies, et ne s'inquiète que des autres. À peine, vers la fin de sa vie, mentionne-t-elle ses maux d'estomac...

Tous les témoignages concordent: Élisabeth rayonnait. Au sujet de ses relations extérieures, au parloir, Mère Germaine se souvient "que son tact, sa simplicité, ce quelque chose de si surnaturellement affectueux, étaient tels que la confiance de tous lui était acquise... On ne pouvait l'approcher sans être embaumé, pénétré de la présence de Dieu, rapporte une amie ; elle avait une telle façon de parler des choses les plus élevées, qu'on ne se lassait pas de l'écouter," rapporte encore Mère Germaine dans ses Souvenirs.

Sœur Élisabeth n'avait pas abandonné ses proches en entrant au Carmel: au contraire, sa correspondance est pleine d'une tendresse qu'on trouve rarement dans le monde. Le 12 septembre 1901, elle écrit à sa sœur: "... je pense qu'il y a des moments bien tristes en voyant notre chère maman si fatiguée, et plus de Sabeth pour dégonfler ce pauvre cœur..." Et nous avons déjà rapporté plus haut, que le 17 septembre 1901, elle écrivait à sa mère: "Nous avons dans le fond du cloître, une statue de la Mater dolorosa à laquelle j'ai beaucoup de dévotion. Tous les soirs je vais lui parler de toi..."

En août 1902, Élisabeth encore novice écrit à sa mère: " Il y a un an, je donnais au bon Dieu la meilleure des mères, mais le grand sacrifice n'a pu séparer nos deux âmes ; aujourd'hui plus que jamais elles n'en font qu'une, tu le sens, n'est-ce pas ? Oh ! laisse-moi te dire que je suis heureuse, le bon Dieu a été trop bon pour moi ; c'est tout un flot qui déborde en mon âme, flot de reconnaissance et d'amour envers Lui et envers toi ; merci de m'avoir donnée à Lui."

Et le 2 novembre 1902: " Notre Révérende Mère comprend la solitude de ton cœur et me permet de venir à toi pour te dire que ces jours-ci, mon âme sera encore plus unie à la tienne, et que dans la même foi, le même amour, nous retrouverons les chers disparus qui nous ont précédés là-haut ; jamais je ne les ai sentis aussi présents. Ils sont heureux que je sois au Carmel... Si tu savais mon bonheur, tu dirais merci à Celui qui m'a choisie ; écoute ce qu'Il te dit: « Celui qui fait la volonté de mon Père, est ma mère, mon frère, ma sœur[1].» Pense que tu n'es pas seule, l'Ami divin est avec toi, et ton Elisabeth avec Lui ! » Puis le 15 août 1903: " Ce soir j'éprouve encore le besoin de te dire merci, car sans ton fiat tu sais bien que je ne t'aurais pas quittée, et Lui voulait que je te sacrifie pour son amour." Dans quelques semaines elle écrira aussi: " Oh ! demande à notre sainte Mère Thérèse, que toute petite tu m'appris à aimer, demande-lui que je sois sainte Carmélite, et réjouis-toi d'être aimée par ce petit cœur qui est tout au bon Dieu. Si je L'aime, c'est toi qui m'as orientée vers Lui ; tu m'as si bien préparée à la première rencontre, ce grand jour où nous nous sommes tout donné l'un à l'autre !... Merci pour tout ce que tu as fait; je voudrais le faire aimer, et comme toi, Lui donner des âmes."

Et un peu plus tard, au chanoine Anglès: " Il me tarde de vous envoyer ma chère maman, vous verrez comme Dieu poursuit son œuvre en elle ; quelquefois je pleure de bonheur et de reconnaissance ; c'est si doux d'avoir le culte de sa mère, de la sentir ainsi toute à Lui, de pouvoir lui dire toute son âme et d'en être comprise ! Qu'il fait bon se confier à Dieu, vivre d'abandon pour soi et pour ceux que l'on aime !... Et le 4 janvier 1904 elle se confie encore au chanoine Anglès en lui envoyant ses vœux: "Le Dieu de la crèche ne vous a-t-Il pas dit tout bas, dans le silence de votre âme, les vœux que sa carmélite lui a confiés pour vous. Puisque le divin tout-Petit demeure en mon âme, j'ai toute sa prière et j'aime la faire descendre sur ceux envers lesquels mon cœur reste toujours profondément reconnaissant..."

Élisabeth n'oublie pas la souffrance de sa mère. Le soir du 31 décembre 1903, elle lui renvoie une petite statue de la Vierge de Lourdes, et lui écrit un petit mot: "Jésus m'apprend à t'aimer comme Il a aimé, Lui le Dieu tout amour. Mais pour faire la volonté de son Père Il a quitté cette Mère qu'Il aimait infiniment. Moi aussi, c'est pour cela que je  t'ai laissée, mais je suis plus près de Toi, car je n'ai plus qu'un cœur, qu'une âme avec ma petite maman... " Et le lendemain elle poursuit: "Pauvre maman, je comprends ta solitude en ces jours de fête jadis si joyeux, mais si tu savais comme Il veut, Lui, se faire l'Ami, le Confident, comme Il veut remplir ta vie par sa divine présence... J'ai passé une journée du Ciel près du Saint-Sacrement, et je t'ai prise avec moi, car tu sais bien que jamais je ne te quitte..."

Nous venons de constater que le Carmel n'a pas éloigné Élisabeth de sa famille et de ses amis, bien au contraire, et son abondante correspondance, nous permet de la découvrir toujours attentive aux besoins et aux difficultés des uns et des autres... Mais Élisabeth veut aussi partager son amour du Seigneur. Vers la fin de l'année 1901 elle écrit à Françoise de Sourdon: "Si tu savais comme je pense à toi, comme je prie pour toi, car c'est tout un pour une carmélite... Vois-tu, je suis heureuse, je demande au bon Dieu de te faire goûter aussi les douceurs de son Amour et de sa présence: c'est cela qui transforme, qui illumine la vie, c'est le secret du bonheur!... Ma Françoise aimée, pense que si le bon Dieu nous a séparées, Lui veut être l'Ami que tu peux trouver toujours. Il se tient à la porte de ton cœur... Il attend... Ouvre-Lui. "

En effet, Élisabeth venait de dire à son amie: "Oh, ma chérie, que l'on est heureux quand on vit dans l'intimité avec le bon Dieu, quand on fait de sa vie un cœur à cœur, un échange d'amour, quand on sait trouver le Maître au fond de son âme. Alors on n'est plus jamais seule et on a besoin de solitude afin de jouir de la présence de cet Hôte adoré. Vois-tu, ma Framboise, il faut Lui donner sa place dans ta vie, dans ton cœur qu'Il a fait si aimant, si passionné. Oh! si tu savais comme Il est bon, comme Il est tout Amour! Je Lui demande de se révéler à ton âme, d'être l'Ami que tu saches toujours trouver, alors tout s'illumine et c'est si bon de vivre! Ce n'est pas un sermon que je veux te faire, c'est le trop-plein de mon âme qui déborde en la tienne pour qu'ensemble nous allions nous perdre en Celui qui nous aime, comme dit saint Paul, d'un trop grand amour."

4-2-3-Le partage des joies familiales

Après la naissance de la première fille de sa sœur Marguerite, le 11 mars 1904, Sœur Élisabeth écrit à Madame Catez: "Je suis émue en te donnant ce nom si doux[2], et tout heureuse que la chère petite s'appelle Elisabeth. Il me semble que le bon Dieu me la donne pour que je sois son ange, et je l'adopte tout à fait. J'ai tant prié pour elle avant sa naissance ! et désormais ma prière et mes sacrifices seront les deux ailes à l'ombre desquelles je l'abriterai."

Et à sa sœur Marguerite, le 20 juillet 1904, elle écrit:

"Qu'elle est jolie ta petite Sabeth ! Hier, dans les bras de sa radieuse grand'mère, elle m'a fait toutes sortes de grâces. Elle était si gentille avec ses yeux fermés et ses mains croisées sur son cœur. J'ai fait sourire notre Révérende Mère en lui disant que ma nièce était une 'adorante' ; c'est son office : 'Maison de Dieu...' Et à la naissance de sa deuxième nièce, Odette, vers Pâques 1905: " Je viens te dire combien je partage tes joies maternelles, je suis si contente d'être encore une fois tante, et surtout d'une petite fille, car il me semble que l'union qui existait entre nous va se perpétuer à ton doux foyer, et je me réjouis que Sabeth ait une Odette, comme tante Elisabeth avait une Marguerite. Sabeth est née le jour de la fête des cinq plaies de Jésus, et voici qu'Odette arrive le jour où le Maître a été vendu pour racheter sa petite âme, n'est-ce pas touchant?... Ô comme Il bénit ton petit nid, comme Il t'aime en te confiant ces deux petites âmes qu'Il a élues en Lui avant la création, afin qu'elles soient saintes et sans tache en sa présence dans la charité ![3] C'est toi qui dois les orienter vers Lui et les garder toutes siennes. Je te charge de dire à Georges le retentissement qui se fait en mon cœur de toutes vos joies, pour lesquelles je rends grâces au Père de qui vient tout don parfait[4].

À Dieu, je me recueille avec toi près des petites ; chacune, à son côté, a un bel ange qui voit la Face de Dieu ; demandons-leur de nous emporter et fixer en l'immuable amour."

Élisabeth de la Trinité aime beaucoup les œuvres de saint Paul, et elle est heureuse de partager ses découvertes avec sa sœur Guite. Elle écrit en août 1905: "Je viens de lire dans saint Paul des choses splendides sur le mystère de l'adoption divine ; naturellement j'ai pensé à toi. Tu es mère, tu sais quelles profondeurs d'amour Dieu a mises en ton cœur pour tes enfants ; tu peux saisir la grandeur de ce mystère d'enfant de Dieu; Marguerite, est-ce que cela ne te fait pas tressaillir ? Ecoute parler mon cher saint Paul: 'Dieu nous a élus en Lui avant la création, Il nous a prédestinés à l'adoption des enfants pour faire éclater la gloire de sa grâce[5].' C'est-à-dire qu'en sa toute-puissance, Il semble ne pouvoir rien faire de plus grand. Ecoute encore : 'Si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers'[6]. Et quel est cet héritage ? 'Dieu nous a rendus dignes d'avoir part à l'héritage des saints dans la lumière'[7]. Et puis, comme pour nous dire que cela n'est pas un avenir lointain, l'Apôtre ajoute : 'Vous n'êtes donc plus des hôtes ou des étrangers, mais vous êtes de la cité des saints et de la maison de Dieu'[8]. Ô Marguerite, ce ciel, il est au centre de notre âme ; comme tu le verras en saint Jean de la Croix lorsque nous sommes au centre le plus profond, nous sommes en Dieu. N'est-ce pas que c'est simple, que c'est consolant !

À travers tout, parmi tes sollicitudes maternelles, tu peux te retirer en cette solitude pour te livrer à l'Esprit-Saint afin qu'Il te transforme en Dieu, qu'Il imprime en ton âme l'image de sa beauté divine, afin que le Père en se penchant sur toi ne voie plus que son Christ, et qu'Il puisse dire: 'Celle-ci est ma fille bien-aimée en qui j'ai mis mes complaisances.' Petite sœur, au ciel je me réjouirai en voyant mon Christ si beau dans ton âme, je ne serai pas jalouse ; mais avec une fierté de mère, je Lui dirai : 'C'est moi, pauvre misérable, qui l'ai enfantée à votre vie.'

Saint Paul parlait ainsi aux siens; j'ai bien de la prétention de vouloir l'imiter, qu'en dis-tu ?

4-2-4-L'amour de la nature

La famille Catez voyageait beaucoup. Les beautés de la nature ravissaient Élisabeth. De son couvent elle écrivit à une amie: "Jouissez bien de ces beaux panoramas... la nature porte au bon Dieu. J'aimais tant ces montagnes, elles me parlaient de Lui."  Et à sa sœur Guite qui se trouvait dans les Pyrénées: "N'est-ce pas qu'on ne se lasse pas de contempler la mer ? Te rappelles-tu la dernière fois que nous l'avons vue ensemble au rocher de la Vierge, à Biarritz ? Quelles bonnes heures j'ai passées là ! C'était si beau de voir ces lames de fond envahissant les rochers ; mon âme vibrait devant ce spectacle grandiose..."

4-3-Les vertus surnaturelles

4-3-1-Jugement du Père Vallée

Extrait d'un texte du Père Vallée: "Il est des êtres qui meurent inconscients de l'humain ; aussi sont-ils comme un magnifique cristal au travers duquel la lumière passe sans se briser ; l'impression divine reçue, la frappe demeure. Élisabeth était éminemment de ceux-là ; elle avait de l'enfance les naïvetés et les profondeurs instinctives. Toute faite de candeur, de franchise, de simplicité, elle était tout entière en les choses de Dieu, n'ayant rien d'autre dans l'âme et dans son regard si pur...

Toujours affamée de Dieu, elle savait écouter ; ses grands yeux buvaient la lumière ; elle la recevait largement, profondément, toute son âme en plein éveil, mais comme ensevelie dans la paix de Dieu et gardée contre ces enthousiasmes nés trop souvent de la vibration excessive des nerfs et qui se dispersent si vite au dehors. Ces dons se développèrent dans le cloître ; ce qui n'était qu'éveil et pressentiment y devint chose vitale. Son oraison fut longtemps occupée du Crucifié ; puis ce fut l'attrait de la Trinité sainte, le besoin de se sentir de la société du Père, du Verbe et de l'Esprit. Tout s'éclaira et se précisa en elle par l'étude de saint Paul."

Le Père Vallée indique aussi qu'Élisabeth revenait au silence comme d'instinct; il écrit: "Sous les intuitions du don d'intelligence, elle semblait vivre au contact de Dieu, toute recueillie, toute vivante aussi sous la clarté reçue. Puis c'était la vue du 'pourquoi' adorable de ces communications de Dieu, de cette passion d'amour étrange, infinie, dont Il poursuit les âmes pour les introduire en ses richesses mystérieuses, et comme les immobiliser en Lui." 

4-3-2-Les "Souvenirs" de Mère Germaine

Dans le document intitulé "Souvenirs" que Mère Germaine, la supérieure,  dut rédiger après la mort d'Élisabeth, on peut lire, entre autres, que la jeune Élisabeth reçut  très tôt, "un esprit de prière qui l'aurait retenue des heures à l'église... À treize ans, la contemplation de la Cène était déjà son habituel sujet d'oraison... Le Jardin des oliviers l'attire aussi... Toujours oublieuse d'elle-même, la généreuse enfant cherche à le consoler par une compassion d'autant plus sincère qu'elle s'offre à partager l'amer calice... C'est à cet âge[9] environ que, se sentant conviée aux noces mystiques, elle y prélude par les divines fiançailles de son vœu de virginité."

Mais Élisabeth devait vivre pendant encore longtemps dans le monde, et plus tard elle n'hésitera pas à écrire ces phrases que les "Souvenirs" rapportent: " Puisque je ne puis rompre avec le monde et vivre solitaire, ah ! du moins, donnez-moi la solitude du cœur ; que je vive avec vous dans une intime union ; que rien ne puisse me distraire de vous ; que ma vie soit une oraison continuelle. Vous le savez bien, mon divin Maître, quand j'assiste à ces fêtes mondaines, ma consolation est de me recueillir et de jouir de votre présence, je vous sens si bien en moi !..."

Car, précise Mère Germaine, pour Élisabeth "comme pour toutes les âmes sincères, l'oraison fut une école de sainteté... L'esprit d'oraison allume dans son cœur cette vive flamme d'amour qui doit si rapidement la consumer. Sa douce influence s'exerce déjà au dehors." Elisabeth "donne des marques d'une âme qui garde des trésors du ciel..." et qui en fait profiter sa famille et ses amis, surtout via sa correspondance, "parce que les fleurs de ce jardin exhalent une odeur si forte et si douce qu'elle leur fait désirer d'en approcher[10]."

À partir de 1901 la persécution contre les congrégations[11] religieuses commence en France. Élisabeth s'efforce de rassurer sa famille. Elle écrit à ses tantes, en avril 1903: "... Remerciez Dieu d'avoir appelé votre petite Élisabeth au Carmel pour la persécution; je ne sais ce qui nous attend, et cette perspective d'avoir à souffrir, parce que je suis sienne, met bien du bonheur dans mon âme."

4-3-3-L'obéissance

Mère Germaine écrit dans ses Souvenirs qu'en "tout elle obéissait à la lettre, sans aucune interprétation personnelle..." Mère Germaine affirme qu'Élisabeth, cette parfaite obéissante, lui a dit, quelques jours avant sa mort: "La volonté de notre Mère a été ma vie ; quand elle avait parlé, la paix inondait mon âme'."

4-3-4-L'obsession du salut des âmes: la mission de mars 1899

Le 4 mars 1899, au début d'une mission à Dijon, prêchée par 19 Pères rédemptoristes, dans son journal, Élisabeth Catez écrit: "Ah! Comme j'ai prié, supplié ce Dieu tout-puissant pour les pauvres pécheurs. Comme je Lui ai fait le sacrifice de ma vie, comme je me suis offerte en holocauste à l'image de Jésus, mon Époux Bien-aimé, pour l'amour duquel je désire toutes les souffrances et les tribulations... Ô mon Dieu, laissez-vous toucher. Je vous fais le sacrifice de ma vie pour le succès de cette mission..." Et deux jours plus tard: "Ô Dieu tout-puissant... laissez-vous toucher, oh, faites-moi souffrir mille tourments, mais donnez-moi des âmes pour Jésus, mon Bien-Aimé..."

Et encore le lendemain soir, admirant les Pères missionnaires: "Ah! quand je les vois ainsi évangéliser, combien je les envie!... Mon Jésus, ah, quand pourrai-je suivre ma voie, quand pourrai-je me donner à vous?... Mon cœur brûle du désir de convertir des âmes, cette idée me poursuit jusque pendant mon sommeil, je n'ai plus un moment de repos..."  

Puis le jeudi 9 mars 1899: "Vous savez, ô mon Dieu que si je souffre, si je désire surtout tant souffrir, ce n'est pas en pensant à mon éternité, mais seulement pour vous consoler, pour vous ramener des âmes, pour vous prouver que je vous aime. Car je vous ai donné mon cœur, un cœur qui ne pense, qui ne vit que pour vous, un cœur qui vous aime à en mourir... Des âmes, oh! je veux en gagner!..." Et de nouveau, le dimanche 12 mars 1899: "Depuis longtemps j'aspire à vous donner des âmes... Oh! je veux bien tout endurer, je suis prête à tout supporter, mais donnez-moi des âmes, donnez-moi celle[12] que je vous recommande d'une manière toute particulière..." Et le lendemain: "Ah! Comme j'ai prié au fond du cœur pour les pauvres pécheurs, comme j'ai dit à Marie d'accepter le sacrifice de ma vie, de n'importe quelle manière, pour le retour de ces malheureux..."

4-3-5-L'humilité et l'amour de la souffrance

Car aucune personne normale ne peut vouloir souffrir pour le plaisir de souffrir. Cela Élisabeth le comprenait de mieux en mieux, et si elle désirait souffrir, c'était pour réparer le mal causé aux âmes par le péché des hommes, et pour travailler avec le Christ au salut de beaucoup d'âmes. Après une petite retraite de trois jours en février 1899, Élisabeth Catez  avait déjà écrit dans son Journal, le 24 février 1899, au sujet de la mortification intérieure, "ce à quoi elle travaille tant depuis la retraite." Elle précise: "Puisque je ne puis guère m'imposer de souffrances, je dois bien me persuader que cette souffrance physique et corporelle n'est qu'un moyen, moyen excellent du reste, pour arriver à la mortification intérieure et au complet détachement de soi-même. Ô Jésus, ma Vie, mon Amour, mon Époux, aidez-moi... Oh! je vous le promets, je ferai tous mes efforts pour être fidèle à cette résolution que j'ai prise de me renoncer toujours; cela ne m'est pas toujours facile, mais avec vous, ô ma Force, ô ma Vie, ne suis-je pas assurée de la victoire?..."

Nous avons souvent l'impression que les saints qui implorent de Dieu beaucoup de souffrances ne sont pas tout à fait normaux. Mais, en réalité, ces désirs ne sont-ils pas, en fait, inspirés par Jésus Lui-même qui souhaite associer ceux qu'Il aime au bonheur de la Rédemption. Dans son "Journal" Élisabeth Catez écrivit aussi le 2 avril 1899: "Chaque matin, en examinant ma journée, je Lui promets[13] tels ou tels sacrifices. Lorsqu'il en est qui me coûtent, lorsque j'hésite, Jésus insiste de telle façon qu'il m'est impossible de les Lui refuser..." Pourtant il est des sacrifices difficiles à accepter; ce même jour, elle poursuit: "Mais il est un sacrifice qui sera pénible à mon cœur, un sacrifice pour lequel je Te demande de bien me soutenir: c'est ma mère, cette mère que Tu m'as donnée si parfaite, c'est ma sœur, cette créature qui est le dévouement incarné..."

Cependant elle continue, s'adressant toujours à Jésus: "Je Te donne un cœur qui T'aime; un cœur qui n'aspire qu'à partager tes souffrances, un cœur qui ne vit que pour Toi, qui ne veut que Toi, qui depuis bien des années n'aspire qu'à se donner tout à Toi, en quittant le monde, et compte les jours qui le séparent de cette journée si belle où, par trois vœux je T'appartiendrai sans retour: je serai ton épouse, une humble et pauvre carmélite, une crucifiée à ton image..."   

Élisabeth n'hésitait pas à dire: "Les impuissances dont j'ai tant souffert font aujourd'hui ma béatitude ; il me semble qu'elles grandissent Dieu, et que sa petite Louange de gloire, mieux établie dans la vérité, est plus dépendante de Lui... " Mère Germaine déclara plus tard dans ses Souvenirs: "Rien ne semblait, en effet, l'émotionner ; on pouvait tout lui dire sans qu'elle s'excusât jamais, sans qu'aucune ombre parût en son regard... aussi l'admirions-nous s'effaçant toujours pour faire ressortir les autres, alors que ses aptitudes auraient justifié certaines initiatives... Fruit de l'humilité, sa patience était inaltérable ; on ne pouvait la surprendre en défaut."

Dans le petit traité rédigé à la fin de sa vie: "Le ciel dans la foi", Élisabeth ne craint pas d'écrire: "Il me semble pourtant qu'être plongé dans l'humilité c'est être plongé en Dieu, car Dieu est le fond de l'abîme. C'est pourquoi l'humilité, comme la charité, est toujours capable de grandir. Puisqu'un fond humble est le vase qu'il faut, le vase capable de la grâce, et que Dieu veut la verser là, soyons humbles. Jamais l'humble ne placera Dieu assez haut, ni lui-même assez bas. Mais voici la merveille: son impuissance se tournera en sagesse, et le défaut de son acte, toujours insuffisant à ses yeux, sera la plus grande saveur de sa vie. Quiconque possède un fond d'humilité n'a pas besoin de beaucoup de paroles pour s'instruire ; Dieu lui dit plus de choses qu'on ne peut lui en apprendre ; les disciples de Dieu sont dans cette position... Et la Vierge Marie bien davantage: par la descente du Verbe en elle, Marie fut pour toujours la proie de Dieu." (Le ciel dans la foi, n° 37 et 39)

4-3-6-Le désir d'être rendue conforme au Christ

Ce qui est remarquable chez Élisabeth de la Trinité, et peut nous sembler morbide, à nous gens du XXIème siècle, c'est son amour de la souffrance. Mais pourquoi de tels désirs? Très jeune elle s'offrit en victime, et sa mort fut incontestablement liée aux souffrances de son ÉPOUX, au Calvaire et sur la Croix, ainsi que le rapporte sa prieure: "'Je me sens pressée, disait-elle avec saint Paul, et je me réjouis d'accomplir en ma chair ce qui manque à la Passion du Christ'[14]. Oui, je suis heureuse d'être associée à l’œuvre rédemptrice ; je souffre comme une extension de la Passion. Ce que je veux, c'est le connaître, Lui, la communion à ses souffrances, et me rendre conforme à sa mort'[15], redira-t-elle sans cesse, s'appropriant les paroles du grand Apôtre qui l'avaient si vivement frappée au début de la Sainte Quarantaine." Sœur Élisabeth de la Trinité ira même jusqu'à écrire: "Jamais mon bonheur n'a été si grand que depuis que Dieu a daigné m'associer aux douleurs du divin Maître".

N'oublions pas qu'elle avait écrit à sa sœur Guite: "Dieu m'attire aussi beaucoup vers la souffrance, le don de soi n'est-ce pas le terme de l'amour ! Ne perdons aucun sacrifice ; il y en a tant à recueillir dans une journée !" Pourtant, n'écrivait-elle pas aussi : "Ma vie est loin d'être exempte d'impuissances ; moi aussi, j'ai besoin de chercher mon Maître qui se cache bien; mais je réveille ma foi, et je suis contente de ne pas jouir de sa présence, pour le faire jouir, Lui, de mon amour."

Pourtant, que de souffrances! Le médecin qui la soignait dit un jour: "Je n'ai jamais vu pareille force et sérénité dans la souffrance ; elle endure un vrai martyre." Tandis qu'elle confiait à la Mère Sous-Prieure: "Je n'ai plus seulement envie d'arriver au ciel pure comme un ange, mais transformée en Jésus crucifié. De plus en plus la souffrance m'attire ; ce désir domine presque celui du Ciel, qui pourtant est bien fort."

4-3-7-L'amour de Dieu et la charité

Élisabeth écrivit aussi: "Il faut nous laisser transformer en une même image avec Lui, et cela tout simplement, en aimant tout le temps, de cet amour qui établit l'unité entre ceux qui s'aiment. Je veux être sainte pour glorifier mon divin Maître; demandez-Lui que je ne vive plus que d'amour: c'est ma vocation. Unissons-nous pour faire de nos journées une communion continuelle ; éveillons-nous dans l'amour ; tout le jour, livrons-nous à l'amour en faisant la volonté du bon Dieu, sous son regard, avec Lui, en Lui, pour Lui seul ; donnons-­nous sans interruption et sous la forme qu'Il veut ; puis quand vient le soir, après un dialogue d'amour qui n'a pas cessé en notre cœur, endormons-nous encore dans l'amour ; peut-être verrons-nous des fautes, des infidélités, abandonnons-les à l'amour : c'est un feu qui consume, faisons ainsi notre purgatoire...

Et encore : "Puisque nous aspirons à être victimes de charité comme notre sainte Mère Thérèse, il faut que nous nous laissions enraciner en la charité du Christ, comme dit saint Paul dans la belle épître d'aujourd'hui. Et comment cela ? En vivant sans cesse à travers toutes choses avec Celui qui habite en nous et qui est Charité. Il a soif de nous associer à tout ce qu'Il est, de nous transformer en Lui."

4-3-8-La prière et l'oraison

Élisabeth de la Trinité fut, depuis son enfance une âme de prière et d'oraison. Elle cherchait aussi à partager ce don à ses amies. Ainsi, le 19 juin 1902, elle écrivait à Françoise de Sourdon, beaucoup plus jeune qu'elle, ces quelques conseils: "Il faut que tu te bâtisses comme moi une petite cellule au-dedans de ton âme; tu penseras que le Bon Dieu est là, et tu y entreras de temps en temps... Ah! Si tu le connaissais un peu, la prière ne t'ennuierait plus! Il me semble que c'est un repos, un délassement: on vient tout simplement à Celui qu'on aime, on se tient près de Lui comme un petit enfant dans les bras de sa mère et on laisse aller son cœur... Si tu savais comme Il comprend bien... Tu ne souffrirais plus si tu comprenais cela..." Et, le 24 juillet 1902, parlant de l'idéal que cherchait sa "Framboise", elle écrit: "Vois-tu, il n'y en a qu'un, c'est Lui, le seul vrai! Ah! Si tu le connaissais seulement un peu comme ta Sabeth! Il fascine, Il emporte, sous son regard l'horizon devient si beau, si vaste; si lumineux... Vois-tu, je L'aime passionnément, et en Lui, j'ai tout!" Puis le 21 novembre 1903: "Ma Françoise, tu vas me trouver extraordinaire, c'est une confidence que je te fais, je commence déjà mon Ciel sur la terre, mais parfois j'aimerais voir de l'autre côté pour Le voir, Lui... pour L'aimer et me perdre en son Infini..."

L'oraison devient vite adoration. Au chanoine Anglès, Élisabeth écrivait déjà, le 2 août 1902: "Oui, j'ai trouvé Celui qu'aime mon âme, cet unique Nécessaire que nul ne peut me ravir... Je voudrais être toute silencieuse, toute adorante afin de pénétrer toujours plus en Lui et d'en être si pleine que je puisse le donner par la prière à ces pauvres âmes ignorantes du don de Dieu... Je sais que chaque jour vous priez pour moi à la sainte messe... Mettez-moi dans le calice; afin que mon âme soit toute baignée de ce Sang de mon Christ dont j'ai si soif! Afin d'être toute pure, toute transparente pour que la Trinité puisse se refléter en moi comme en un cristal..."

Et le 4 janvier 1904 elle confie: "... si mon regard reste toujours fixé sur Lui, mon Astre lumineux, oh! alors tout le reste disparaît et je me perds en Lui comme la goutte d'eau dans l'océan... J'ai faim de Lui, Il creuse des abîmes en mon âme, abîmes que Lui seul peut remplir et pour cela Il m'emmène en des silences profonds dont je voudrais ne plus sortir..."


[1] Matt XII, 50.
[2] Petite grand'mère chérie.
[3] Eph, 1, 4.
[4] Jac, I, 17.
[5] Ephés., I, 4, 5, 6.
[6] Gal., IV, 7.
[7] Colos., I, 12.
[8] Ephés., II, 19.
[9] Vers quatorze ans.
[10] Catéchisme de sainte Thérèse, chap. XXXVIII.
[11] Le 11 novembre 1902 la prieure, Mère Germaine se rend en Suisse à Charmey, où on lui avait offert une maison. En mai 1903, elle ira en Belgique, à Noiseux, où une maison est préparée pour les carmélites.
[12] Un voisin athée.
[13] À Jésus.
[14] Coloss., I, 24.
[15] Philipp, II, 10.

    

pour toute suggestion ou demande d'informations