Remarque: Élisabeth
Catez, devenue Élisabeth de la Trinité a écrit beaucoup de lettres,
destinées soit à sa famille, à
ses
amis, ou à des prêtres. Toutes ses lettres, d'enfance, de jeunesse,
ou de carmélite révèlent les principaux traits de son caractère.
Élisabeth aime, elle a toujours le souci des autres dont elle
s'intéresse jusque dans les plus petits détails. Élisabeth rayonne
de joie, de sincérité, de respect pour son prochain dont elle ne
dira jamais de mal. Elle aime la nature passionnément. Mais
par-dessus tout, elle aime Jésus.
Nous savons que la
jeune Élisabeth avait un tempérament très violent et très
volontaire. Face à ses nombreuses colères, sa mère sut ne jamais
céder, mais punir en fonction de la sensibilité, elle aussi
exceptionnelle, de sa fillette. Ainsi, quand il le fallait, Madame
Catez savait priver sa fille des caresses qu'elle aimait et des
baisers qu'elle désirait. Le 1er
janvier 1889, Élisabeth, âgée de neuf ans, écrit à sa maman: "Je
voudrais, en te souhaitant une bonne année, te promettre que je
serai bien sage, bien obéissante et que je ne te ferai plus mettre
en colère..." Le 31 décembre suivant elle écrit encore à sa
mère: "Je te souhaite tout ce que tu peux désirer, et maintenant
que je suis plus grande, je vais devenir une petite fille douce,
patiente, obéissante, appliquée et ne se mettant jamais en colère."
Élisabeth prit
rapidement conscience de ses défauts et elle fit tout ce qu'elle put
pour s'en corriger. Mais elle comprit aussi la peine qu'elle faisait
souffrir à son entourage, et souvent elle s'en repentait. Ainsi, dix
ans plus tard, le 9 mars 1899, au cours d'une mission à Dijon, elle
écrivit dans son journal: "Ô Jésus, pardon, pardon pour mon
mauvais exemple, mon orgueil, et toutes les fautes que je commets si
souvent..." Et le lendemain, malgré toutes ses misères, elle ne
craint pas le jugement de Dieu: "Peux-Tu condamner, malgré sa
faiblesse et ses fautes sans nombre, celle qui t'a tout sacrifié
ici-bas, celle qui n'a vécu que pour Toi, pour Te consoler, celle
qui a tant désiré partager la Croix avec toi?..."
Élisabeth a d'autres
défauts; elle écrit dans son journal, le samedi 18 mars 1899, après
une instruction de la mission à Dijon: "Cette instruction m'a
fait beaucoup de bien, car je ne suis pas toujours disposée à
excuser mon prochain. J'ai pris de sérieuses résolutions..." Le
22 mars, elle précise: "Ô mon Jésus, désormais jamais une parole
contre mon prochain ne sortira de mes lèvres, je l'excuserai
toujours, et, si l'on m'accuse injustement, je penserai à vous, mon
bien-Aimé Époux, et je saurai tout supporter sans me plaindre..."
Grâce à sa mère, la
petite Élisabeth prit rapidement conscience de ses fautes, et avec
l'énergie qui la caractérisait, elle s'efforça de maîtriser son
tempérament trop passionné. Et d'abord, en aimant: en aimant ceux à
qui elle faisait de la peine, et surtout à Jésus. L'acquisition de
cette maîtrise d'elle-même lui fut cependant très pénible, et
parfois le combat était si dur que les larmes montaient à ses yeux.
Élisabeth était
toujours prête à rendre service et ne critiquait jamais. Catéchiste,
on lui confia une fillette de quatorze ans, totalement inculte sur
le plan religieux, pour la préparer à sa communion. Après la mort
d'Élisabeth, cette personne écrira, parlant de Melle Catez: "Sa
patience et sa douceur à mon égard étaient incomparables. Avec quel
amour elle me parlait du grand sacrement que j'allais recevoir !
Comme elle m'invitait à prier la Sainte Vierge ! C'est bien elle qui
a déposé dans mon cœur les germes de cette dévotion filiale. Son
dévouement redoubla quand arriva la retraite préparatoire au grand
jour. Je me rappelle surtout sa piété en priant avec moi et pour moi
; j'étais frappée par son maintien si recueilli dans la rue, lorsque
nous allions ensemble à l'église. Je comprends aujourd'hui combien
elle se sentait le tabernacle de Jésus ; elle me disait que j'allais
moi-même le devenir, qu'il me fallait être bien pure, et préparer
avec soin ma confession générale, dont elle m'aida à faire
l'examen."
Élisabeth vit toujours
dans le monde, mais pense de plus en plus au Carmel... On annonce
les fiançailles de son amie, Marie-Louise Maurel. Immédiatement
Élisabeth lui écrit, en novembre 1899: "Je prie beaucoup pour
vous, chère amie, et je demande au Bon Dieu qu'Il vous comble de ses
bénédictions et vous donne tout le bonheur dont on peut jouir
ici-bas. Oui, chère Marie-Louise, le bon Maître nous appelle à des
voies différentes. La part qu'Il m'a choisie est bien belle!..."
Beaucoup de personnes
pensaient, à l'époque d'Élisabeth, que ceux qui entraient en
religion, au Carmel particulièrement, étaient définitivement coupés
du monde, et qu'ils devaient se détacher complètement de leurs
parents et de leurs amis. La correspondance d'Élisabeth de la
Trinité prouve le contraire. Elle continue à s'intéresser aux uns et
aux autres, elle s'inquiète de leur santé, de leurs problèmes et de
leurs difficultés quotidiennes, de leurs travaux et même de leurs
joies. Elle va même jusqu'à demander des services pour préparer des
fêtes, des offices, voire des récréations dans le Carmel. Un point
particulier est à signaler: jamais sœur Élisabeth ne se plaint, et
ceux qui ignorent la maladie mortelle et douloureuse dont elle
souffrait ne peuvent à la lecture de ses lettres imaginer la somme
des souffrances qu'elle eut à supporter. Elle ne parle que de son
bonheur, que de ses joies, et ne s'inquiète que des autres. À peine,
vers la fin de sa vie, mentionne-t-elle ses maux d'estomac...
Tous les témoignages
concordent: Élisabeth rayonnait. Au sujet de ses relations
extérieures, au parloir, Mère Germaine se souvient "que son tact,
sa simplicité, ce quelque chose de si surnaturellement affectueux,
étaient tels que la confiance de tous lui était acquise... On ne
pouvait l'approcher sans être embaumé, pénétré de la présence de
Dieu, rapporte une amie ; elle avait une telle façon de parler des
choses les plus élevées, qu'on ne se lassait pas de l'écouter,"
rapporte encore Mère Germaine dans ses Souvenirs.
Sœur Élisabeth n'avait
pas abandonné ses proches en entrant au Carmel: au contraire, sa
correspondance est pleine d'une tendresse qu'on trouve rarement dans
le monde. Le 12 septembre 1901, elle écrit à sa sœur: "... je
pense qu'il y a des moments bien tristes en voyant notre chère maman
si fatiguée, et plus de Sabeth pour dégonfler ce pauvre cœur..."
Et nous avons déjà rapporté plus haut, que le 17 septembre 1901,
elle écrivait à sa mère: "Nous avons dans le fond du cloître, une
statue de la Mater dolorosa à laquelle j'ai beaucoup de dévotion.
Tous les soirs je vais lui parler de toi..."
En août 1902, Élisabeth
encore novice écrit à sa mère: " Il y a un an, je donnais au bon
Dieu la meilleure des mères, mais le grand sacrifice n'a pu séparer
nos deux âmes ; aujourd'hui plus que jamais elles n'en font qu'une,
tu le sens, n'est-ce pas ? Oh ! laisse-moi te dire que je suis
heureuse, le bon Dieu a été trop bon pour moi ; c'est tout un flot
qui déborde en mon âme, flot de reconnaissance et d'amour envers Lui
et envers toi ; merci de m'avoir donnée à Lui."
Et le 2 novembre
1902:
" Notre Révérende Mère comprend la solitude de ton cœur et me permet
de venir à toi pour te dire que ces jours-ci, mon âme sera encore
plus unie à la tienne, et que dans la même foi, le même amour, nous
retrouverons les chers disparus qui nous ont précédés là-haut ;
jamais je ne les ai sentis aussi présents. Ils sont heureux que je
sois au Carmel... Si tu savais mon bonheur, tu dirais merci à Celui
qui m'a choisie ; écoute ce qu'Il te dit: « Celui qui fait la
volonté de mon Père, est ma mère, mon frère, ma sœur.»
Pense que tu n'es pas seule, l'Ami divin est avec toi, et ton
Elisabeth avec Lui ! »
Puis le 15 août 1903: " Ce soir j'éprouve encore le besoin de te
dire merci, car sans ton fiat tu sais bien que je ne t'aurais pas
quittée, et Lui voulait que je te sacrifie pour son amour." Dans
quelques semaines elle écrira aussi:
" Oh ! demande à notre sainte Mère
Thérèse, que toute petite tu m'appris à aimer, demande-lui que je
sois sainte Carmélite, et réjouis-toi d'être aimée par ce petit cœur
qui est tout au bon Dieu. Si je L'aime, c'est toi qui m'as orientée
vers Lui ; tu m'as si bien préparée à la première rencontre, ce
grand jour où nous nous sommes tout donné l'un à l'autre !... Merci
pour tout ce que tu as fait; je voudrais le faire aimer, et comme
toi, Lui donner des âmes."
Et un peu plus tard, au
chanoine Anglès: " Il me tarde de vous envoyer ma chère maman,
vous verrez comme Dieu poursuit son œuvre en elle ; quelquefois je
pleure de bonheur et de reconnaissance ; c'est si doux d'avoir le
culte de sa mère, de la sentir ainsi toute à Lui, de pouvoir lui
dire toute son âme et d'en être comprise ! Qu'il fait bon se confier
à Dieu, vivre d'abandon pour soi et pour ceux que l'on aime !...
Et le 4 janvier 1904 elle se confie encore au chanoine Anglès en lui
envoyant ses vœux: "Le Dieu de la crèche ne vous a-t-Il pas dit
tout bas, dans le silence de votre âme, les vœux que sa carmélite
lui a confiés pour vous. Puisque le divin tout-Petit demeure en mon
âme, j'ai toute sa prière et j'aime la faire descendre sur ceux
envers lesquels mon cœur reste toujours profondément
reconnaissant..."
Élisabeth n'oublie pas
la souffrance de sa mère. Le soir du 31 décembre 1903, elle lui
renvoie une petite statue de la Vierge de Lourdes, et lui écrit un
petit mot: "Jésus m'apprend à t'aimer comme Il a aimé, Lui le
Dieu tout amour. Mais pour faire la volonté de son Père Il a quitté
cette Mère qu'Il aimait infiniment. Moi aussi, c'est pour cela que
je t'ai laissée, mais je suis plus près de Toi, car je n'ai plus
qu'un cœur, qu'une âme avec ma petite maman... " Et le lendemain
elle poursuit: "Pauvre maman, je comprends ta solitude en ces
jours de fête jadis si joyeux, mais si tu savais comme Il veut, Lui,
se faire l'Ami, le Confident, comme Il veut remplir ta vie par sa
divine présence... J'ai passé une journée du Ciel près du
Saint-Sacrement, et je t'ai prise avec moi, car tu sais bien que
jamais je ne te quitte..."
Nous venons de
constater que le Carmel n'a pas éloigné Élisabeth de sa famille et
de ses amis, bien au contraire, et son abondante correspondance,
nous permet de la découvrir toujours attentive aux besoins et aux
difficultés des uns et des autres... Mais Élisabeth veut aussi
partager son amour du Seigneur. Vers la fin de l'année 1901 elle
écrit à Françoise de Sourdon: "Si tu savais comme je pense à toi,
comme je prie pour toi, car c'est tout un pour une carmélite...
Vois-tu, je suis heureuse, je demande au bon Dieu de te faire goûter
aussi les douceurs de son Amour et de sa présence: c'est cela qui
transforme, qui illumine la vie, c'est le secret du bonheur!... Ma
Françoise aimée, pense que si le bon Dieu nous a séparées, Lui veut
être l'Ami que tu peux trouver toujours. Il se tient à la porte de
ton cœur... Il attend... Ouvre-Lui. "
En effet, Élisabeth
venait de dire à son amie: "Oh, ma chérie, que l'on est heureux
quand on vit dans l'intimité avec le bon Dieu, quand on fait de sa
vie un cœur à cœur, un échange d'amour, quand on sait trouver le
Maître au fond de son âme. Alors on n'est plus jamais seule et on a
besoin de solitude afin de jouir de la présence de cet Hôte adoré.
Vois-tu, ma Framboise, il faut Lui donner sa place dans ta vie, dans
ton cœur qu'Il a fait si aimant, si passionné. Oh! si tu savais
comme Il est bon, comme Il est tout Amour! Je Lui demande de se
révéler à ton âme, d'être l'Ami que tu saches toujours trouver,
alors tout s'illumine et c'est si bon de vivre! Ce n'est pas un
sermon que je veux te faire, c'est le trop-plein de mon âme qui
déborde en la tienne pour qu'ensemble nous allions nous perdre en
Celui qui nous aime, comme dit saint Paul, d'un trop grand amour."
Après la
naissance de la première fille de sa sœur Marguerite, le 11 mars
1904, Sœur Élisabeth écrit à Madame Catez:
"Je suis émue en
te donnant ce nom si doux,
et tout heureuse que la chère petite s'appelle Elisabeth. Il me
semble que le bon Dieu me la donne pour que je sois son ange, et je
l'adopte tout à fait. J'ai tant prié pour elle avant sa naissance !
et désormais ma prière et mes sacrifices seront les deux ailes à
l'ombre desquelles je l'abriterai."
Et à sa sœur
Marguerite, le 20 juillet 1904, elle écrit:
"Qu'elle est
jolie ta petite Sabeth ! Hier, dans les bras de sa radieuse
grand'mère, elle m'a fait toutes sortes de grâces. Elle était si
gentille avec ses yeux fermés et ses mains croisées sur son cœur.
J'ai fait sourire notre Révérende Mère en lui disant que ma nièce
était une 'adorante' ; c'est son office : 'Maison de Dieu...'
Et à la naissance de sa deuxième
nièce, Odette, vers Pâques 1905: "
Je viens te dire
combien je partage tes joies maternelles, je suis si contente d'être
encore une fois tante, et surtout d'une petite fille, car il me
semble que l'union qui existait entre nous va se perpétuer à ton
doux foyer, et je me réjouis que Sabeth ait une Odette, comme tante
Elisabeth avait une Marguerite. Sabeth est née le jour de la fête
des cinq plaies de Jésus, et voici qu'Odette arrive le jour où le
Maître a été vendu pour racheter sa petite âme, n'est-ce pas
touchant?... Ô comme Il bénit ton petit nid, comme Il t'aime en te
confiant ces deux petites âmes qu'Il a élues en Lui avant la
création, afin qu'elles soient saintes et sans tache en sa présence
dans la charité !
C'est toi qui dois les orienter vers Lui et les garder toutes
siennes. Je te charge de dire à Georges le retentissement qui se
fait en mon cœur de toutes vos joies, pour lesquelles je rends
grâces au Père de qui vient tout don parfait.
À Dieu, je me
recueille avec toi près des petites ; chacune, à son côté, a un bel
ange qui voit la Face de Dieu ; demandons-leur de nous emporter et
fixer en l'immuable amour."
Élisabeth de la
Trinité aime beaucoup les œuvres de saint Paul, et elle est heureuse
de partager ses découvertes avec sa sœur Guite. Elle écrit en août
1905:
"Je viens de lire dans saint Paul des
choses splendides sur le mystère de l'adoption divine ;
naturellement j'ai pensé à toi. Tu es mère, tu sais quelles
profondeurs d'amour Dieu a mises en ton cœur pour tes enfants ; tu
peux saisir la grandeur de ce mystère d'enfant de Dieu; Marguerite,
est-ce que cela ne te fait pas tressaillir ? Ecoute parler mon cher
saint Paul: 'Dieu nous a élus en Lui avant la création, Il nous a
prédestinés à l'adoption des enfants pour faire éclater la gloire de
sa grâce.'
C'est-à-dire qu'en sa toute-puissance, Il semble ne pouvoir rien
faire de plus grand. Ecoute encore : 'Si nous sommes enfants, nous
sommes aussi héritiers'.
Et quel est cet héritage ? 'Dieu nous a rendus dignes d'avoir part à
l'héritage des saints dans la lumière'.
Et puis, comme pour nous dire que cela n'est pas un avenir lointain,
l'Apôtre ajoute : 'Vous n'êtes donc plus des hôtes ou des étrangers,
mais vous êtes de la cité des saints et de la maison de Dieu'.
Ô Marguerite, ce ciel, il est au centre de notre âme ; comme tu le
verras en saint Jean de la Croix lorsque nous sommes au centre le
plus profond, nous sommes en Dieu. N'est-ce pas que c'est simple,
que c'est consolant !
À travers tout,
parmi tes sollicitudes maternelles, tu peux te retirer en cette
solitude pour te livrer à l'Esprit-Saint afin qu'Il te transforme en
Dieu, qu'Il imprime en ton âme l'image de sa beauté divine, afin que
le Père en se penchant sur toi ne voie plus que son Christ, et qu'Il
puisse dire: 'Celle-ci est ma fille bien-aimée en qui j'ai mis mes
complaisances.' Petite sœur, au ciel je me réjouirai en voyant mon
Christ si beau dans ton âme, je ne serai pas jalouse ; mais avec une
fierté de mère, je Lui dirai : 'C'est moi, pauvre misérable, qui
l'ai enfantée à votre vie.'
Saint Paul parlait
ainsi aux siens; j'ai bien de la prétention de vouloir l'imiter,
qu'en dis-tu ?
La famille Catez
voyageait beaucoup. Les beautés de la nature ravissaient Élisabeth.
De son couvent elle écrivit à une amie: "Jouissez bien de ces
beaux panoramas... la nature porte au bon Dieu. J'aimais tant ces
montagnes, elles me parlaient de Lui." Et à sa sœur Guite qui
se trouvait dans les Pyrénées: "N'est-ce pas qu'on ne se lasse
pas de contempler la mer ? Te rappelles-tu la dernière fois que nous
l'avons vue ensemble au rocher de la Vierge, à Biarritz ? Quelles
bonnes heures j'ai passées là ! C'était si beau de voir ces lames de
fond envahissant les rochers ; mon âme vibrait devant ce spectacle
grandiose..."
Extrait d'un texte du
Père Vallée: "Il est des êtres qui meurent inconscients de
l'humain ; aussi sont-ils comme un magnifique cristal au travers
duquel la lumière passe sans se briser ; l'impression divine reçue,
la frappe demeure. Élisabeth était éminemment de ceux-là ; elle
avait de l'enfance les naïvetés et les profondeurs instinctives.
Toute faite de candeur, de franchise, de simplicité, elle était tout
entière en les choses de Dieu, n'ayant rien d'autre dans l'âme et
dans son regard si pur...
Toujours affamée de
Dieu, elle savait écouter ; ses grands yeux buvaient la lumière ;
elle la recevait largement, profondément, toute son âme en plein
éveil, mais comme ensevelie dans la paix de Dieu et gardée contre
ces enthousiasmes nés trop souvent de la vibration excessive des
nerfs et qui se dispersent si vite au dehors. Ces dons se
développèrent dans le cloître ; ce qui n'était qu'éveil et
pressentiment y devint chose vitale. Son oraison fut longtemps
occupée du Crucifié ; puis ce fut l'attrait de la Trinité sainte, le
besoin de se sentir de la société du Père, du Verbe et de l'Esprit.
Tout s'éclaira et se précisa en elle par l'étude de saint Paul."
Le Père Vallée indique
aussi qu'Élisabeth revenait au silence comme d'instinct; il écrit:
"Sous les intuitions du don d'intelligence, elle semblait vivre au
contact de Dieu, toute recueillie, toute vivante aussi sous la
clarté reçue. Puis c'était la vue du 'pourquoi' adorable de ces
communications de Dieu, de cette passion d'amour étrange, infinie,
dont Il poursuit les âmes pour les introduire en ses richesses
mystérieuses, et comme les immobiliser en Lui."
Dans le document
intitulé "Souvenirs" que Mère Germaine, la supérieure, dut
rédiger après la mort d'Élisabeth, on peut lire, entre autres, que
la jeune Élisabeth reçut très tôt,
"un esprit de
prière qui l'aurait retenue des heures à l'église... À treize ans,
la contemplation de la Cène était déjà son habituel sujet
d'oraison... Le Jardin des oliviers l'attire aussi... Toujours
oublieuse d'elle-même, la généreuse enfant cherche à le consoler par
une compassion d'autant plus sincère qu'elle s'offre à partager
l'amer calice... C'est à cet âge
environ que, se sentant conviée aux noces mystiques, elle y prélude
par les divines fiançailles de son vœu de virginité."
Mais Élisabeth devait
vivre pendant encore longtemps dans le monde, et plus tard elle
n'hésitera pas à écrire ces phrases que les "Souvenirs"
rapportent: " Puisque je ne puis rompre avec le monde et vivre
solitaire, ah ! du moins, donnez-moi la solitude du cœur ; que je
vive avec vous dans une intime union ; que rien ne puisse me
distraire de vous ; que ma vie soit une oraison continuelle. Vous le
savez bien, mon divin Maître, quand j'assiste à ces fêtes mondaines,
ma consolation est de me recueillir et de jouir de votre présence,
je vous sens si bien en moi !..."
Car, précise Mère
Germaine, pour Élisabeth "comme pour toutes les âmes sincères,
l'oraison fut une école de sainteté... L'esprit d'oraison
allume dans son cœur cette vive flamme d'amour qui doit si
rapidement la consumer. Sa douce influence s'exerce déjà au dehors."
Elisabeth "donne des marques d'une âme qui garde des trésors du
ciel..." et qui en fait profiter sa famille et ses amis, surtout
via sa correspondance,
"parce que les fleurs de ce jardin
exhalent une odeur si forte et si douce qu'elle leur fait désirer
d'en approcher."
À partir de 1901 la
persécution contre les congrégations
religieuses commence en France. Élisabeth s'efforce de rassurer sa
famille. Elle écrit à ses tantes, en avril 1903: "... Remerciez
Dieu d'avoir appelé votre petite Élisabeth au Carmel pour la
persécution; je ne sais ce qui nous attend, et cette perspective
d'avoir à souffrir, parce que je suis sienne, met bien du bonheur
dans mon âme."
Mère Germaine écrit
dans ses Souvenirs qu'en "tout elle obéissait à la lettre,
sans aucune interprétation personnelle..." Mère Germaine affirme
qu'Élisabeth, cette parfaite obéissante, lui a dit, quelques jours
avant sa mort: "La volonté de notre Mère a été ma vie ; quand
elle avait parlé, la paix inondait mon âme'."
Le 4 mars 1899, au
début d'une mission à Dijon, prêchée par 19 Pères rédemptoristes,
dans son journal, Élisabeth Catez écrit: "Ah! Comme j'ai prié,
supplié ce Dieu tout-puissant pour les pauvres pécheurs. Comme je
Lui ai fait le sacrifice de ma vie, comme je me suis offerte en
holocauste à l'image de Jésus, mon Époux Bien-aimé, pour l'amour
duquel je désire toutes les souffrances et les tribulations... Ô mon
Dieu, laissez-vous toucher. Je vous fais le sacrifice de ma vie pour
le succès de cette mission..." Et deux jours plus tard: "Ô
Dieu tout-puissant... laissez-vous toucher, oh, faites-moi souffrir
mille tourments, mais donnez-moi des âmes pour Jésus, mon
Bien-Aimé..."
Et encore le lendemain
soir, admirant les Pères missionnaires: "Ah! quand je les vois
ainsi évangéliser, combien je les envie!... Mon Jésus, ah, quand
pourrai-je suivre ma voie, quand pourrai-je me donner à vous?... Mon
cœur brûle du désir de convertir des âmes, cette idée me poursuit
jusque pendant mon sommeil, je n'ai plus un moment de repos..."
Puis le jeudi 9
mars 1899: "Vous savez, ô mon Dieu que si je souffre, si je
désire surtout tant souffrir, ce n'est pas en pensant à mon
éternité, mais seulement pour vous consoler, pour vous ramener des
âmes, pour vous prouver que je vous aime. Car je vous ai donné mon
cœur, un cœur qui ne pense, qui ne vit que pour vous, un cœur qui
vous aime à en mourir... Des âmes, oh! je veux en gagner!..." Et
de nouveau, le dimanche 12 mars 1899:
"Depuis longtemps
j'aspire à vous donner des âmes... Oh! je veux bien tout endurer, je
suis prête à tout supporter, mais donnez-moi des âmes, donnez-moi
celle
que je vous recommande d'une manière toute particulière..."
Et le
lendemain: "Ah! Comme j'ai
prié au fond du cœur pour les pauvres pécheurs, comme j'ai dit à
Marie d'accepter le sacrifice de ma vie, de n'importe quelle
manière, pour le retour de ces malheureux..."
Car aucune personne
normale ne peut vouloir souffrir pour le plaisir de souffrir. Cela
Élisabeth le comprenait de mieux en mieux, et si elle désirait
souffrir, c'était pour réparer le mal causé aux âmes par le péché
des hommes, et pour travailler avec le Christ au salut de beaucoup
d'âmes. Après une petite retraite de trois jours en février 1899,
Élisabeth Catez avait déjà écrit dans son Journal, le 24 février
1899, au sujet de la mortification intérieure, "ce à quoi elle
travaille tant depuis la retraite." Elle précise: "Puisque je
ne puis guère m'imposer de souffrances, je dois bien me persuader
que cette souffrance physique et corporelle n'est qu'un moyen, moyen
excellent du reste, pour arriver à la mortification intérieure et au
complet détachement de soi-même. Ô Jésus, ma Vie, mon Amour, mon
Époux, aidez-moi... Oh! je vous le promets, je ferai tous mes
efforts pour être fidèle à cette résolution que j'ai prise de me
renoncer toujours; cela ne m'est pas toujours facile, mais avec
vous, ô ma Force, ô ma Vie, ne suis-je pas assurée de la
victoire?..."
Nous avons
souvent l'impression que les saints qui implorent de Dieu beaucoup
de souffrances ne sont pas tout à fait normaux. Mais, en réalité,
ces désirs ne sont-ils pas, en fait, inspirés par Jésus Lui-même qui
souhaite associer ceux qu'Il aime au bonheur de la Rédemption. Dans
son "Journal" Élisabeth Catez écrivit aussi le 2 avril 1899:
"Chaque matin, en examinant ma journée, je Lui promets
tels ou tels sacrifices. Lorsqu'il en est qui me coûtent, lorsque
j'hésite, Jésus insiste de telle façon qu'il m'est impossible de les
Lui refuser..."
Pourtant il est des sacrifices difficiles à accepter; ce même jour,
elle poursuit: "Mais il est
un sacrifice qui sera pénible à mon cœur, un sacrifice pour lequel
je Te demande de bien me soutenir: c'est ma mère, cette mère que Tu
m'as donnée si parfaite, c'est ma sœur, cette créature qui est le
dévouement incarné..."
Cependant elle
continue, s'adressant toujours à Jésus: "Je Te donne un cœur qui
T'aime; un cœur qui n'aspire qu'à partager tes souffrances, un cœur
qui ne vit que pour Toi, qui ne veut que Toi, qui depuis bien des
années n'aspire qu'à se donner tout à Toi, en quittant le monde, et
compte les jours qui le séparent de cette journée si belle où, par
trois vœux je T'appartiendrai sans retour: je serai ton épouse, une
humble et pauvre carmélite, une crucifiée à ton image..."
Élisabeth n'hésitait
pas à dire: "Les impuissances dont j'ai tant souffert font
aujourd'hui ma béatitude ; il me semble qu'elles grandissent Dieu,
et que sa petite Louange de gloire, mieux établie dans la vérité,
est plus dépendante de Lui... " Mère Germaine déclara plus tard
dans ses Souvenirs: "Rien ne semblait, en effet,
l'émotionner ; on pouvait tout lui dire sans qu'elle s'excusât
jamais, sans qu'aucune ombre parût en son regard... aussi
l'admirions-nous s'effaçant toujours pour faire ressortir les
autres, alors que ses aptitudes auraient justifié certaines
initiatives... Fruit de l'humilité, sa patience était inaltérable ;
on ne pouvait la surprendre en défaut."
Dans le petit traité
rédigé à la fin de sa vie: "Le ciel dans la foi", Élisabeth
ne craint pas d'écrire: "Il me semble pourtant qu'être plongé
dans l'humilité c'est être plongé en Dieu, car Dieu est le fond de
l'abîme. C'est pourquoi l'humilité, comme la charité, est toujours
capable de grandir. Puisqu'un fond humble est le vase qu'il faut, le
vase capable de la grâce, et que Dieu veut la verser là, soyons
humbles. Jamais l'humble ne placera Dieu assez haut, ni lui-même
assez bas. Mais voici la merveille: son impuissance se tournera en
sagesse, et le défaut de son acte, toujours insuffisant à ses yeux,
sera la plus grande saveur de sa vie. Quiconque possède un fond
d'humilité n'a pas besoin de beaucoup de paroles pour s'instruire ;
Dieu lui dit plus de choses qu'on ne peut lui en apprendre ; les
disciples de Dieu sont dans cette position... Et la Vierge Marie
bien davantage: par la descente du Verbe en elle, Marie fut pour
toujours la proie de Dieu." (Le ciel dans la foi, n° 37 et 39)
Ce qui est
remarquable chez Élisabeth de la Trinité, et peut nous sembler
morbide, à nous gens du XXIème siècle, c'est son amour de la
souffrance. Mais pourquoi de tels désirs? Très jeune elle s'offrit
en victime, et sa mort fut incontestablement liée aux souffrances de
son ÉPOUX, au Calvaire et sur la Croix, ainsi que le rapporte sa
prieure:
"'Je me sens pressée, disait-elle avec
saint Paul, et je me réjouis d'accomplir en ma chair ce qui manque à
la Passion du Christ'.
Oui, je suis heureuse d'être associée à l’œuvre rédemptrice ; je
souffre comme une extension de la Passion. Ce que je veux, c'est le
connaître, Lui, la communion à ses souffrances, et me rendre
conforme à sa mort',
redira-t-elle sans cesse, s'appropriant les paroles du grand Apôtre
qui l'avaient si vivement frappée au début de la Sainte
Quarantaine."
Sœur Élisabeth de la Trinité ira même
jusqu'à écrire: "Jamais mon
bonheur n'a été si grand que depuis que Dieu a daigné m'associer aux
douleurs du divin Maître".
N'oublions pas qu'elle
avait écrit à sa sœur Guite: "Dieu m'attire aussi beaucoup vers
la souffrance, le don de soi n'est-ce pas le terme de l'amour ! Ne
perdons aucun sacrifice ; il y en a tant à recueillir dans une
journée !" Pourtant, n'écrivait-elle pas aussi : "Ma vie est
loin d'être exempte d'impuissances ; moi aussi, j'ai besoin de
chercher mon Maître qui se cache bien; mais je réveille ma foi, et
je suis contente de ne pas jouir de sa présence, pour le faire
jouir, Lui, de mon amour."
Pourtant, que de
souffrances! Le médecin qui la soignait dit un jour: "Je n'ai
jamais vu pareille force et sérénité dans la souffrance ; elle
endure un vrai martyre." Tandis qu'elle confiait à la Mère
Sous-Prieure: "Je n'ai plus seulement envie d'arriver au ciel
pure comme un ange, mais transformée en Jésus crucifié. De plus en
plus la souffrance m'attire ; ce désir domine presque celui du Ciel,
qui pourtant est bien fort."
Élisabeth écrivit
aussi: "Il faut nous laisser transformer en une même image avec
Lui, et cela tout simplement, en aimant tout le temps, de cet amour
qui établit l'unité entre ceux qui s'aiment. Je veux être sainte
pour glorifier mon divin Maître; demandez-Lui que je ne vive plus
que d'amour: c'est ma vocation. Unissons-nous pour faire de nos
journées une communion continuelle ; éveillons-nous dans l'amour ;
tout le jour, livrons-nous à l'amour en faisant la volonté du bon
Dieu, sous son regard, avec Lui, en Lui, pour Lui seul ;
donnons-nous sans interruption et sous la forme qu'Il veut ; puis
quand vient le soir, après un dialogue d'amour qui n'a pas cessé en
notre cœur, endormons-nous encore dans l'amour ; peut-être
verrons-nous des fautes, des infidélités, abandonnons-les à l'amour
: c'est un feu qui consume, faisons ainsi notre purgatoire...
Et encore : "Puisque
nous aspirons à être victimes de charité comme notre sainte Mère
Thérèse, il faut que nous nous laissions enraciner en la charité du
Christ, comme dit saint Paul dans la belle épître d'aujourd'hui. Et
comment cela ? En vivant sans cesse à travers toutes choses avec
Celui qui habite en nous et qui est Charité. Il a soif de nous
associer à tout ce qu'Il est, de nous transformer en Lui."
Élisabeth de la Trinité
fut, depuis son enfance une âme de prière et d'oraison. Elle
cherchait aussi à partager ce don à ses amies. Ainsi, le 19 juin
1902, elle écrivait à Françoise de Sourdon, beaucoup plus jeune
qu'elle, ces quelques conseils: "Il faut que tu te bâtisses comme
moi une petite cellule au-dedans de ton âme; tu penseras que le Bon
Dieu est là, et tu y entreras de temps en temps... Ah! Si tu le
connaissais un peu, la prière ne t'ennuierait plus! Il me semble que
c'est un repos, un délassement: on vient tout simplement à Celui
qu'on aime, on se tient près de Lui comme un petit enfant dans les
bras de sa mère et on laisse aller son cœur... Si tu savais comme Il
comprend bien... Tu ne souffrirais plus si tu comprenais cela..."
Et, le 24 juillet 1902, parlant de l'idéal que cherchait sa
"Framboise", elle écrit: "Vois-tu, il n'y en a qu'un, c'est Lui,
le seul vrai! Ah! Si tu le connaissais seulement un peu comme ta
Sabeth! Il fascine, Il emporte, sous son regard l'horizon devient si
beau, si vaste; si lumineux... Vois-tu, je L'aime passionnément, et
en Lui, j'ai tout!" Puis le 21 novembre 1903: "Ma Françoise,
tu vas me trouver extraordinaire, c'est une confidence que je te
fais, je commence déjà mon Ciel sur la terre, mais parfois
j'aimerais voir de l'autre côté pour Le voir, Lui... pour L'aimer et
me perdre en son Infini..."
L'oraison devient vite
adoration. Au chanoine Anglès, Élisabeth écrivait déjà, le 2 août
1902: "Oui, j'ai trouvé Celui qu'aime mon âme, cet unique
Nécessaire que nul ne peut me ravir... Je voudrais être toute
silencieuse, toute adorante afin de pénétrer toujours plus en Lui et
d'en être si pleine que je puisse le donner par la prière à ces
pauvres âmes ignorantes du don de Dieu... Je sais que chaque jour
vous priez pour moi à la sainte messe... Mettez-moi dans le calice;
afin que mon âme soit toute baignée de ce Sang de mon Christ dont
j'ai si soif! Afin d'être toute pure, toute transparente pour que la
Trinité puisse se refléter en moi comme en un cristal..."
Et le 4 janvier 1904
elle confie: "... si mon regard reste toujours fixé sur Lui, mon
Astre lumineux, oh! alors tout le reste disparaît et je me perds en
Lui comme la goutte d'eau dans l'océan... J'ai faim de Lui, Il
creuse des abîmes en mon âme, abîmes que Lui seul peut remplir et
pour cela Il m'emmène en des silences profonds dont je voudrais ne
plus sortir..."
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