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La vie religieuse-Première partie

Le 11 août 1921, Dina Bélanger entra chez les Religieuses de Jésus-Marie, à Sillery[1]. Elle portera désormais le nom de Sœur Marie Sainte Cécile de Rome. De nouveau, Jésus lui parla: "C'était la paix, l'amour. Puis le Bon Maître prit mon pauvre cœur, s'en empara à la façon dont on enlève un objet de quelque endroit, et mit à la place,- ô don de l'infinie tendresse!- son Cœur sacré et le Cœur Immaculé de Marie. Je n'avais plus à chercher au-dehors  l'Hostie et l'Étoile: Jésus et Marie, je les possédais dans mon intérieur." Jésus lui fit comprendre aussi que "la vraie joie intérieure se reflète sur le visage; ses divines leçons m'enseignèrent le secret de toujours sourire... "

On lui confia l’enseignement du piano à quelques élèves. Sa vie intérieure s’approfondit. Parfois Jésus lui montrait les fleurs de son Jardin et lui expliquait quels actes de vertu produisaient la croissance des tiges, l’éclosion et l’épanouissement des fleurs. “Dans un endroit à part, où leur splendeur était beaucoup plus éclatante et leur parure plus riche, il me dit que celles-là étaient cultivées par les âmes consacrées. Il me montra celles qu’il attendait de moi. Puis, un jour, il me fit entrer dans le parterre des âmes privilégiées. Oh! les pures délices! Au centre était sa croix divine, à la teinte sombre, et de bois: les amis de Notre Seigneur n’obtiennent ce titre de noblesse qu’à la condition du renoncement. Les fleurs superbes, à la corolle pleinement ouverte, autour de la croix, étaient l’offrande du sacrifice parfait, de l’amour pur. Elles me semblaient le sourire des crucifiés d’amour à l’Amour crucifié.”

À L’Automne 1922 Dina dut passer quelques semaines à l’infirmerie. “Ce furent des jours de bienfaits célestes.” Dina commence à écrire, essentiellement des poésies. Elle comprit vite que son travail, c’était le travail de Jésus. Elle écrit: “C’est si bien son travail à lui que souvent je sais à peine ce que j’écris, j’y suis poussée par une force douce et supérieure et, quand je me relis, j’ai maintes fois la surprise d’avoir émis des idées sans les avoir pensées.”

Dina savait qu'elle avait un immense travail à accomplir, mais, écrit-elle: "Notre Seigneur avait pitié de ma faiblesse: mes nombreux manquements de générosité servaient à m'humilier… Pour me démontrer qu'il voulait vivre, lui, par moi, Jésus me donna ses yeux, ses oreilles, ses sens, c'est-à-dire qu'Il était la Vie de ma vie." Le Seigneur demanda aussi à Dina de consoler son Cœur outragé dans la Sainte Eucharistie.

Un premier vendredi du mois, le Saint Sacrement étant exposé, durant son adoration, Dina “crut voir une multitude d’âmes qui couraient à leur perte éternelle. Quelques-unes étaient sur le bord de l’abîme; elles allaient tomber. Jésus me dit que je pouvais sauver ces dernières en priant pour elles avec ferveur, en lui offrant de petits sacrifices, par amour; ce que je fis immédiatement. Alors je vis ces âmes, vaincues par la grâce divine, abandonner le camp du démon.

La miséricorde de Dieu est infinie. Dina écrit: “Notre Rédempteur a soif de pardonner et d’oublier. Il n’attend souvent qu’un geste ou une pensée d’amour de notre part pour accorder à tel ou tel pécheur la grâce extraordinaire qui l’arrachera des mains de Satan.

Dina revient à de nombreuses reprises sur le désir de Jésus: être consolé. “Jésus voulait être consolé. Il me présenta son Cœur tout meurtri, frappé de tous côtés par une infinité de lourds marteaux que je voyais s’abattre sur lui avec violence; il me le montra ensuite victime dans toutes ses parties d’une multitude de lances qui s’enfonçaient plus ou moins avant et le déchiraient. Chaque coup de marteau ou de lance était l’outrage causé par un péché. Puis je le vis blessé par un nombre incalculable d’aiguilles, la plupart étaient petites, même très petites:

– Ce sont là, dit Jésus, les indélicatesses des âmes religieuses; oh! qu’elles me font souffrir, ces aiguilles, parce qu’elles me viennent des âmes que j’aime le plus.

Dina précise: “C’est dans l’éternité seulement que nous comprendrons un peu la peine qu’éprouve Notre Seigneur à cause de nos péchés, de nos négligences, de nos manques d’amour. Et dire que nous pouvons le consoler!”

Comment comprendre ces mystères? Jésus s’abaisse jusqu’à nous, suppliant qu’on lui verse quelques gouttes de baume sur les plaies de son Cœur! “Ô mystère de l’amour d’un Dieu! Charité infinie du Pasteur envers ses brebis!”

Parfois Jésus demande des prières parce qu’un grand crime va se commettre, ou en prévision d’outrages. “Ah! que les plaintes de Jésus sont déchirantes! Comme il souffre le Captif silencieux de nos tabernacles, emprisonné jour et nuit par l’amour! Ma plus grande douleur devint alors celle de la souffrance du Cœur Eucharistique... Comment rester insensible quand c’est Jésus qui est délaissé et méprisé!”

Le noviciat de Dina se poursuit. Sa faim de l’Eucharistie croît toujours. La Sainte Vierge l’assiste souvent dans son action de grâces: “Durant mon action de grâces, souvent Marie parlait pour moi; je n’avais qu’à l’écouter, à m’unir à elle, à contempler mon Sauveur, à l’aimer. Parfois je me voyais comme une petite brebis dans les bras du Bon Pasteur; je me laissais porter par lui. J’ai ressenti d’ineffables consolations dans ce tableau.” Dina imaginait parfois qu'elle était une petite colombe avec laquelle Jésus s'amusait, et Dina disait: "Jésus, tu sais bien qu'elle t'aime ta petite colombe, tu sais combien elle veut t’aimer." Ou bien, elle était une humble fleur, le muguet de Jésus…

Le Seigneur éduque toujours Dina, et Il insiste pour que jamais elle ne néglige ses devoirs d’état. Nous sommes en 1922. Une nouvelle étape se prépare: “Vers ce temps, Notre-Seigneur me dit de le laisser agir, et qu’il allait commencer à me préparer à la mort d’une manière plus immédiate.”

En mai 1923, Dina écrit: “Mon Jésus, ah! que je t’aime! Je veux vivre et mourir martyre d’amour, victime d’amour, apôtre d’amour pour vous seul, mon Dieu! Marie, ma bonne Mère, vous que j’aime tant, accordez-moi d’aimer toujours Jésus et de le faire aimer avec son Cœur à lui, et avec votre Cœur à vous.”

Dina était heureuse, et voici quelques-uns de ses souhaits:

 

Je voudrais, Jésus, ô ma vie,
Submerger mon âme ravie
Dans ton Cœur d'Époux et de Roi,
L'anéantir d'amour pour toi.

 

Je voudrais parcourir le monde,
Lui donner la paix qui m'inonde,
Écrire en feu dans chaque cœur:
Mon Dieu, vous êtes mon bonheur!

 

Je voudrais que partout sur terre
Les hommes te sachent leur Père;
Que ton Nom soit sanctifié
Et ton Règne glorifié.

 

Je voudrais voir dans la nature
Ta raisonnable créature
Éviter le moindre méfait
Et vivre en toi d'amour parfait.

 

L’éducation de Dina se poursuit. Jésus lui demanda d’accepter avec amour et reconnaissance les petites croix qu’il lui présenterait, de ne pas en désirer d’autres, mais de le laisser faire. Peu de temps avant sa profession, Jésus lui dit:

– Tu vas faire profession; et puis, un an plus tard, aussi le 15 août, en la fête de l’Assomption de ma Mère, je viendrai te chercher par la mort.[2]

L’union de Dina avec Jésus se fait de plus en plus intime. Elle le supplie de lui accorder l'esprit d'obéissance et d'humilité, et de ne jamais rien lui refuser. Elle veut comprendre l'esprit de Jésus, et surtout, le laisser faire, toujours. Elle s'abandonne à son Cœur Eucharistique. Dina écrit: “Je me cache à jamais dans ton Cœur, ô Jésus, j’y établis ma demeure, pour cette vie et pour l’éternité...

Ô Jésus, je veux vivre et mourir apôtre d’amour, victime d’amour, martyre d’amour! Pour me satisfaire, il me faut t’aimer avec ton Cœur divin; je veux aimer Marie, ma bonne Mère, comme tu l’aimes; je veux aimer les âmes, surtout celles des pécheurs, du même amour que le tien, à la folie.

Ô Jésus, je veux souffrir pour me détruire en ton Cœur et te laisser vivre seul en moi; je veux souffrir pour te consoler; je veux souffrir pour sauver les âmes et pour diminuer le péché sur la terre; je veux souffrir parce que je t’aime!... Mon Dieu, je me meurs de ne pas mourir, tellement est intense mon désir d’union parfaite avec vous...”

Dina exprime l’intensité de son amour pour Dieu dans ses poésies, et notamment dans les strophes qui suivent:

 

Ah! tu le sais combien je t’aime!
Ta pensée est mon seul bonheur:
Tu m’as ravi mon pauvre cœur...
C’est toi, Jésus, beauté suprême
Qui captives ma faible ardeur,
Rends mon désir d’amour, extrême.
[3]

 

Fais de moi ce que tu désires,
Je ne veux rien te refuser.
Si tu te plais à me briser,
Je te réponds par des sourires;
Si tu préfères t'amuser,
Je jouis de tes faits et dires.

 

Comme la plupart des grands mystiques, Dina découvre le lien existant entre l’amour et la souffrance: “L’amour m’apparaissait comme unissant la souffrance et la joie; je les voyais naître toutes deux dans le Cœur de Jésus.[4]

3-1-Jésus se substitue à Dina

Durant le mois d'octobre 1923, jusqu'au 2 novembre, Jésus enseigna à Dina la pratique du parfait abandon. Elle devait tout lui remettre, et lui, Jésus, se chargerait de penser, d'agir, à sa place. Il se substituait à Dina, et elle devait le laisser faire.

Le 13 novembre 1923, Dina bénéficia d’une grâce étonnante qui éclairera tout le reste de sa vie, et qui fut comme le prélude à sa mort annoncée pour le 15 août suivant: “Le 13 novembre au matin, dixième jour (de ténèbres intérieures) et fête de Saint Stanislas Kostka, patron des novices, Notre Seigneur revint avec ses consolations et chargé de ses miséricordes à mon égard. Il me montra un autel assez élevé sur lequel s’élevaient de brillantes flammes: c’était l’autel de son amour. Dans sa main, je vis mon cœur, le mien, celui qu’il m’avait enlevé à la retraite du postulat; il me le fit regarder, comme pour me donner l’avantage de me livrer une fois de plus entièrement et librement à lui, puis il le plaça sur l’autel; le feu l’enveloppa, je le vis brûler jusqu’à la dernière fibre; il n’en resta rien, absolument rien.

Ensuite, Jésus m’invita à monter moi-même sur l’autel. Il y avait à gravir cinq degrés en l’honneur des cinq plaies sacrées. Ce qui se passa en moi ne se définit pas. Je sentis comme une répulsion, une révolte de ma nature; dans mon âme, je possédais la paix et le bonheur. Je posai le pied sur la première marche, la deuxième, et, continuant avec abandon, j’arrivai vite au centre de l’autel. Les flammes écartées de chaque côté ne me touchaient pas.

Le Bon Maître me regardant toujours me fit ouvrir les bras en croix; aussitôt, les flammes se précipitèrent sur moi, avec violence dans leur intensité, mais néanmoins avec une certaine lenteur dans leur action. Elles consumèrent mon être entier.

Durant l’incendie divin, il me semblait que ma nature frémissait, gémissait, et, enfin, elle me parut morte au moment de la destruction complète. Quand le brasier n’eut plus d’aliment, le feu s’abaissa et s’éteignit. Au centre, il restait des cendres. Jésus s’approcha, souffla sur elles et les anéantit. Enfin, il ne restait rien de moi-même.

Néanmoins, si j’étais morte selon les desseins du Sauveur, n’étais-je pas encore vivante sur la terre? Oui, mais alors, Jésus prit ma place. Il se substitua à mon être. Il venait de me faire disparaître, le champ était libre. Il pouvait agir lui-même en liberté. Il me démontra que mes apparences extérieures n’étaient plus qu’un manteau dont il était obligé de se servir, un manteau qui le dérobait aux regards humains et lui permettait de continuer sa vie ici-bas. Puis il ajouta:

– Afin de te prouver que ce tableau n’est pas un effet de ton imagination et que cette action d’anéantissement de ton être vient en vérité de moi, Jésus, ton Dieu, je te donne un signe extérieur.

À ce moment même Dina se mit à sangloter. Jésus lui dit:

– C’est moi, qui te fais pleurer; voilà le signe que je t’accorde.”

Les larmes de Dina coulèrent pendant longtemps, mais, curieusement,  elle n’eut pas les yeux rougis... Après cette faveur insigne de la substitution de Jésus en elle, souvent la voix de Jésus lui disait:

— Laisse-moi faire. Laisse faire l'Amour.

Et souvent aussi Jésus répétait sa soif des âmes:

— J’ai soif des âmes! J’ai soif d’amour! Je mendie les cœurs... On ne m’écoute pas, on me repousse, on m’insulte et on me frappe!... Oh! que j’ai soif et que je souffre!...

Et encore:

— Aujourd’hui, je veux ramener beaucoup de brebis égarées; je vais les chercher; toi, pour leur obtenir la grâce du retour, laisse-moi faire en tout. 

Dina ajoute: “Le divin mendiant me pénétra de la vérité que les hommes sur la terre sont solidaires les uns des autres, dans la vie spirituelle comme dans la vie sociale. J'avais une part de responsabilité morale envers toutes les âmes du monde entier, celles qui vivaient à l'heure actuelle, et celles qui seraient créées dans l'avenir.”

3-2-Et Jésus fit parler son Cœur Eucharistique

Dina est malade et isolée pour quarante jours, en raison de la contagion. Jésus va lui faire commencer ses travaux littéraires et se servir de sa main pour redire aux âmes "qu'il les aime d'un amour qu'elles ne comprennent pas…"

Quelques jours plus tard Jésus ajouta:

— Je veux parler, dans un écrit, de l’amour excessif dont mon Cœur est embrasé pour les âmes; je veux me plaindre d’être oublié, refusé; je veux demander de l’amour comme un pauvre supplie pour obtenir un morceau de pain. Ah! Je les aime tant, les âmes, et si souvent, je ne suis pas compris et pas aimé! Non, l’Amour n’est pas aimé! Oui, Jésus veut faire parler son Cœur Eucharistique dans le seul langage de l'amour.

Ainsi, à partir de cette époque, Dina ne devait s’occuper de rien d’autre que de se laisser faire, et de laisser faire Marie, la Mère bénie. “Mes fautes et mes misères sont grandes et incalculables, mais Ma Mère est là pour me recouvrir de son manteau parfait et me donner Jésus avec ses trésors infinis.” Sa seule souffrance, c'étaient les blessures du Cœur de Jésus, occasionnées par les outrages de trop nombreuses d'âmes.

Les jours passent... Dina les compte car Jésus lui a dit qu’elle mourrait le 15 août 1924. Elle est souvent malade et fréquente l’infirmerie de plus en plus. Du 6 au 15 août, Dina commence une grande retraite avec la communauté, mais à l’infirmerie. Le grand jour approche... Grande déception! Le 15 août passe. Dina est toujours vivante. S’était-elle trompée? Dina ne comprenait plus rien. Elle fit un acte d’abandon plus parfait et un acte d’amour plus pur, et... elle commença une vie toute nouvelle. Dina avait compris qu’elle était bien morte à sa vie ancienne, et qu’elle venait de naître à une vie de véritable perfection.


[1]La Congrégation des Religieuses de Jésus-Marie a été fondée à Lyon en 1818. Son but: l’éducation de la jeunesse. La Maison-mère est à Lyon, et la Maison générale est à Rome.
[2] Dina ne mourut pas; sa vie fut seulement totalement transformée. Elle n'était pas sur la terre tout en y demeurant encore: c'est ce que certains appellent la mort mystique.
[3] On ne peut manquer de remarquer la similitude de pensée et d’expression entre Dina et Thérèse de Lisieux.
[4] Padre Pio (saint Pio) dira plus tard: "L'amour ne peut être que douleur…"

   

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