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[4.] LES ÉFFETS MERVEILLEUX QUE CETTE DÉVOTION PRODUIT
DANS
UNE ÂME QUI Y EST FIDÈLE.
213. Mon cher frère, soyez persuadé que si vous vous
rendez
fidèle aux pratiques intérieures, que je vous marquerai ci-après: [226-256, 257-265]
[Connaissance et mépris de soi-même]
1 Par la lumière que le Saint-Esprit vous donnera par
Marie, sa chère Épouse, vous connaîtrez votre mauvais fonds,
votre corruption et votre incapacité à tout bien, si Dieu n'en
est le principe comme auteur de la nature ou de la grâce, et,
en suite de cette connaissance, vous vous mépriserez, vous ne
penserez à vous qu'avec horreur. Vous vous regarderez comme un
limaçon qui gâte tout de sa bave, ou comme un crapaud qui
empoisonne tout de son venin, ou comme un serpent malicieux
qui ne cherche qu'à tromper. Enfin l'humble Marie vous fera
part de sa profonde humilité, qui fera que vous vous
mépriserez, vous ne mépriserez personne et vous aimerez le
mépris.
[Participation à la foi de Marie]
214. 2 La Sainte Vierge vous donnera part à sa foi, qui a été
plus grande sur la terre que la foi de tous les patriarches,
les prophètes, les apôtres et tous les saints. Présentement
qu'elle est régnante dans les cieux, elle n'a plus cette foi,
parce qu'elle voit clairement toutes choses en Dieu, par la
lumière de la gloire; mais cependant, avec l'agrément du Très-Haut, elle ne l'a pas perdue en entrant dans la gloire; elle
l'a gardée pour la garder dans l'Église militante à ses plus
fidèles serviteurs et servantes. Plus donc vous gagnerez la
bienveillance de cette auguste Princesse et Vierge fidèle,
plus vous aurez de pure foi dans toute votre conduite: une foi
pure, qui fera que vous ne vous soucierez guère du sensible et
de l'extraordinaire; une foi vive et animée par la charité,
qui fera que vous ne ferez vos actions que par le motif du pur
amour; une foi ferme et inébranlable comme un rocher, qui fera
que vous demeurerez ferme et constant au milieu des orages et
des tourmentes; une foi agissante et perçante, qui, comme un
mystérieux passe-partout, vous donnera entrée dans les
mystères de Jésus-Christ, dans les fins dernières de l'homme
et dans le coeur de Dieu même; une foi courageuse, qui vous
fera entreprendre et venir à bout de grandes choses pour Dieu
et le salut des âmes, sans hésiter; enfin, une foi qui sera
votre flambeau enflammé, votre vie divine, votre trésor caché
de la divine Sagesse, et votre arme toute-puissante dont vous
vous servirez pour éclairer ceux qui sont dans les ténèbres et
l'ombre de la mort, pour embraser ceux qui sont tièdes et qui
ont besoin de l'or embrasé de la charité, pour donner vie à
ceux qui sont morts par le péché, pour toucher et renverser,
par vos paroles douces et puissantes, les coeurs de marbre et
les cèdres du Liban, et enfin pour résister au diable et à
tous les ennemis du salut.
[Grâce du pur amour]
215. 3 Cette Mère de la belle dilection ôtera de votre coeur
tout scrupule et toute crainte servile déréglée: elle
l'ouvrira et l'élargira pour courir dans les commandements de
son Fils, avec la sainte liberté des enfants de Dieu, et pour
y introduire le pur amour, dont elle a le trésor; en sorte que
vous ne vous conduirez plus, tant que vous avez fait, par
crainte à l'égard de Dieu charité, mais par le pur amour. Vous
le regarderez comme votre bon Père, auquel vous tâcherez de
plaire incessamment, avec qui vous converserez confidemment,
comme un enfant avec son bon père. Si vous venez, par malheur,
à l'offenser, vous vous en humilierez aussitôt devant lui,
vous lui en demanderez pardon humblement, vous lui tendrez la
main simplement et vous vous en relèverez amoureusement, sans
trouble ni inquiétude, et continuerez à marcher vers lui sans
découragement.
[Grande confiance en Dieu et en Marie]
216. 4 La Sainte Vierge vous remplira d'une grande confiance
en Dieu et en elle-même: 1 parce que vous n'approcherez plus
de Jésus-Christ par vous-même, mais toujours par cette bonne
Mère; 2 parce que, lui ayant donné tous vos mérites, grâces
et satisfactions, pour en disposer à sa volonté, elle vous
communiquera ses vertus et elle vous revêtira de ses mérites,
en sorte que vous pourrez dire à Dieu avec confiance: Voici
Marie votre servante: qu'il me soit fait selon votre parole:
Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum; 3 parce
que, vous étant donné à elle tout entier, corps et âme, elle
qui est libérale avec les libéraux et plus libérale que les
libéraux mêmes, se donnera à vous par retour d'une manière
merveilleuse, mais véritalble; en sorte que vous pourrez lui
dire hardiment: Tuus sum ego, salvum me fac: Je suis à vous,
Sainte Vierge, sauvez-moi; ou comme j'ai déjà dit, avec le
Disciple bien-aimé: Accepi te in mea: Je vous ai prise, sainte
Mère, pour tous mes biens. Vous pourrez encore dire, avec
saint Bonaventure: Ecce Domina salvatrix mea, fiducialiter
agam, et non timebo, quia fortitudo mea, et laus mea in Domino
es tu...; et en un autre endroit: Tuus totus ego sum, et omnia
mea tua sunt, o Virgo gloriosa, super omnia benedicta; ponam
te ut signaculum super cor meum, quia fortis est ut mors
dilectio tua (S. Bon. In psal. min. B.V.) Ma chère Maîtresse
et salvatrice, j'agirai avec confiance et je ne craindrai
point, parce que vous êtes ma force et ma louange dans le
Seigneur... Je suis tout vôtre, et tout ce que j'ai vous
appartient; ô glorieuse Vierge, bénite par-dessus toutes
choses créées, que je vous mette comme un cachet sur mon
coeur, parce que votre dilection est forte comme la mort! Vous
pourriez dire à Dieu dans les sentiments du Prophète: Domine,
non est exaltatum cor meum, neque elati sunt oculi mei; neque ambulavi in magnis,
neque in mirabilibus super me; si non
humiliter sentiebam, sed exaltavi animam; sicut ablactatus
super matre sua, ita retributio in anima mea: Seigneur, ni mon
coeur, ni mes yeux n'ont aucun sujet de s'élever et de
s'enorgueillir, ni de rechercher les choses grandes et
merveilleuses; et, avec cela, je ne suis pas encore humble,
mais j'ai relevé et encouragé mon âme par la confiance; je
suis comme un enfant sevré des plaisirs de la terre et appuyé
sur le sein de ma mère; et c'est sur ce sein qu'on me comble
de biens. 4 Ce qui augmentera encore votre confiance en elle,
c'est que, lui ayant donné en dépôt tout ce que vous avez de
bon pour le donner ou le garder, vous aurez moins de confiance
en vous et beaucoup plus en elle, qui est votre trésor. Oh!
quelle confiance et quelle consolation pour une âme qui peut
dire que le trésor de Dieu, où il a mis tout ce qu'il a de
plus précieux, est le sien aussi! Ipsa est thesaurus Domini:
Elle est, dit un saint, le trésor du Seigneur.
[Communication de l'âme et de l'esprit de Marie]
217. 5 L'âme de la Sainte Vierge se communiquera à vous pour
glorifier le Seigneur; son esprit entrera en la place du vôtre
pour se réjouir en Dieu, son salutaire, pourvu que vous vous
rendiez fidèle aux pratiques de cette dévotion. Sit in
singulis anima Mariae ut magnificet Dominum; sit in singulis
spiritus Mariae ut exultet in Deo (S. Amb): Que l'âme de Marie
soit en chacun pour y glorifier le Seigneur; que l'eprit de
Marie soit en chacun, pour s'y réjouir en Dieu. Ah! quand viendra cet heureux
temps, dit un saint homme de nos jours qui
était tout perdu en Marie, ah! quand viendra cet heureux temps
où la divine Marie sera établie maîtresse et souveraine dans
les coeurs, pour les soumettre pleinement à l'empire de son
grand et unique Jésus. Quand est-ce que les âmes respireront
autant Marie que les corps respirent l'air? Pour lors, des
choses merveilleuses arriveront dans ces bas lieux, où le
Saint-Esprit, trouvant sa chère Épouse comme reproduite dans
les âmes, y surviendra abondamment et les remplira de ses
dons, et particulièrement du don de sa sagesse, pour opérer
des merveilles de grâces. Mon cher frère, quand viendra ce
temps heureux et ce siècle de Marie, où plusieurs âmes
choisies et obtenues du Très-Haut par Marie, se perdant elles-mêmes dans l'abîme de son intérieur, deviendront des copies
vivantes de Marie, pour aimer et glorifier Jésus-Christ? Ce
temps ne viendra que quand on connaîtra et on pratiquera la
dévotion que j'enseigne: Ut adveniat regnum tuum, adveniat
regnum Mariae.
[Transformation des âmes en Marie à l'image de
Jésus-Christ]
218. 6 Si Marie, qui est l'arbre de vie, est bien cultivée en
votre âme par la fidélité aux pratiques de cette dévotion,
elle portera son fruit en son temps; et ce fruit n'est autre
que Jésus-Christ. Je vois tant de dévots et dévotes qui
cherchent Jésus-Christ, les uns par une voie et une pratique,
les autres par l'autre; et souvent après qu'ils ont beaucoup
travaillé pendant la nuit, ils peuvent dire: Per totam noctem
laborantes, nihil cepimus: Quoique nous ayons travaillé
pendant toute la nuit, nous n'avons rien pris. Et on peut leur
dire: Laborastis multum, et intulistis parum: Vous avez
beaucoup travaillé, et vous avez peu gagné. Jésus-Christ est
encore bien faible chez vous. Mais par la voie immaculée de
Marie et cette pratique divine que j'enseigne, on travaille
pendant le jour, on travaille dans un lieu saint, on travaille
peu. Il n'y a point de nuit en Marie, puisqu'il n'y a point eu
de péché ni même la moindre ombre. Marie est un lieu saint, et
le Saint des saints, où les saints sont formés et moulés.
219. Remarquez, s'il vous plait, que je dis que les saints
sont moulés en Marie. Il y a une grande différence entre faire
une figure en relief, à coups de marteau et de ciseau, et
faire une figure en la jetant en moule: les sculpteurs et
statuaires travaillent beaucoup à faire les figures dans la
première manière, et il leur faut beaucoup de temps; mais à
les faire dans la seconde manière, ils travaillent peu et les
font en fort peu de temps. Saint Augustin appelle la Sainte
Vierge forma Dei: le moule de Dieu: Si formam Dei te appellem,
digna existis: le moule propre à former et mouler des dieux.
Celui qui est jeté dans ce moule divin est bientôt formé en
Jésus-Christ, et Jésus-Christ en lui: à peu de frais et en peu
de temps, il deviendra dieu, puisqu'il est jeté dans le même
moule qui a formé un Dieu.
220. Il me semble que je puis fort bien comparer des
directeurs et personnes dévotes qui veulent former Jésus-Christ en soi ou dans les autres par d'autres pratiques que
celle-ci, à des sculpteurs qui, mettant leur confiance dans
leur savoir-faire, leurs industries et leur art, donnent une
infinité de coups de marteau et de ciseau à une pierre dure,
ou une pièce de bois mal polie, pour en faire l'image de
Jésus-Christ; et quelquefois ils ne réussissent pas à exprimer
Jésus-Christ au naturel, soit faute de connaissance et
d'expérience de la personne de Jésus-Christ, soit à cause de
quelque coup mal donné, qui a gâté l'ouvrage. Mais, pour ceux
qui embrassent ce secret de la grâce que je leur présente, je
les compare avec raison à des fondeurs et mouleurs qui, ayant
trouvé le beau moule de Marie, où Jésus-Christ a été
naturellement et divinement formé, sans se fier à leur propre
industrie, mais uniquement à la bonté du moule, se jettent et
se perdent en Marie pour devenir le portrait au naturel de
Jésus-Christ.
221. O la belle et véritable comparaison! Mais qui la
comprendra? Je désire que ce soit vous, mon cher frère. Mais
souvenez-vous qu'on ne jette en moule que ce qui est fondu et
liquide: c'est-à-dire qu'il faut détruire et fondre en vous le
vieil Adam, pour devenir le nouveau en Marie.
[La plus grande gloire de Jésus-Christ]
222. 7 Par cette pratique, bien fidèlement observée, vous
donnerez à Jésus-Christ plus de gloire en un mois de temps que
par aucune autre, quoique plus difficile, en plusieurs années.
- Voici les raisons de ce que j'avance:
1 Parce que, faisant vos actions par la Sainte Vierge,
comme cette pratique enseigne, vous quittez vos propres
intentions et opérations, quoique bonnes et connues, pour vous
perdre, pour ainsi dire, dans celles de la Très Sainte Vierge,
quoiqu'elles vous soient inconnues; et, par là, vous entrez en
participation de la sublimité de ses intentions, qui ont été
si pures, qu'elle a plus donné de gloire à Dieu par la moindre
de ses actions, par exemple en filant sa quenouille, en
faisant un point d'aiguille, qu'un saint Laurent sur son gril,
par son cruel martyre, et même que tous les saints par leurs
actions les plus héroïques: ce qui fait que, pendant son
séjour ici-bas, elle a acquis un comble si ineffable de grâces
et de mérites, qu'on compterait plutôt les étoiles du
firmament, les gouttes d'eau de la mer et les sables du
rivage, que ses mérites et ses grâces, et qu'elle a donné plus
de gloire à Dieu que tous les anges et les saints ne lui ont
donné ni ne lui en donneront. O prodige de Marie! vous n'êtes
capable que de faire des prodiges de grâces dans les âmes qui
veulent bien se perdre en vous.
223. 2 Parce qu'une âme, par cette pratique, ne comptant
pour
rien tout ce qu'elle pense ou fait d'elle-même, et ne mettant
son appui et sa complaisance que dans les dispositions de
Marie, pour approcher de Jésus-Christ, et même pour lui
parler, elle pratique beaucoup plus l'humilité que les âmes
qui agissent par elles-mêmes, et qui ont un appui et une
complaisance imperceptible dans leurs dispositions; et, par
conséquent, elle glorifie plus hautement Dieu, qui n'est
parfaitement glorifié que par les humbles et les petits de
coeur.
224. 3 Parce que la Sainte Vierge, voulant bien, par une
grande charité, recevoir en ses mains virginales le présent de
nos actions, elle leur donne une beauté et un éclat admirable;
elle les offre elle-même à Jésus-Christ, et sans difficulté,
que Notre-Seigneur en est plus glorifié que si nous les
offrions par nos mains criminelles. [146-149]
225. 4 Enfin, parce que vous ne pensez jamais à Marie, que
Marie, en votre place, ne pense à Dieu; vous ne louez ni
n'honorez jamais Marie, que Marie avec vous ne loue et
n'honore Dieu. Marie est toute relative à Dieu, et je
l'appellerais fort bien la relation de Dieu, qui n'est que par
rapport à Dieu, ou l'écho de Dieu, qui ne dit et ne répète que
Dieu. Si vous dites Marie, elle dit Dieu. Sainte Elisabeth
loua Marie et l'appela bienheureuse de ce qu'elle avait cru;
Marie, l'écho fidèle de Dieu, entonna: Magnificat anima mea
Dominum: Mon âme glorifie le Seigneur. Ce que Marie a fait en
cette occasion, elle le fait tous les jours; quand on la loue,
on l'aime, on l'honore ou on lui donne, Dieu est loué, Dieu
est aimé, Dieu est honoré, on donne à Dieu par Marie et en
Marie.
[5.] PRATIQUES PARTICULIÈRES DE CETTE
DÉVOTION.
Pratiques Extérieures
226. Quoique l'essentiel de cette dévotion consiste dans
l'intérieur, elle ne laisse pas d'avoir plusieurs pratiques extérieures qu'il ne
faut pas négliger: Haec oportuit facere et illa non omittere, soit parce que les
pratiques extérieures bien faites aident les intérieures, soit parce qu'elles
font ressouvenir l'homme, qui se conduit toujours par les sens, de ce qu'il a
fait ou doit faire; soit parce qu'elles sont propres à édifier le prochain qui
les voit, ce que ne font pas celles qui sont purement intérieures. Qu'aucun
mondain donc, ni critique, ne mette ici le nez pour dire que la vraie dévotion
est dans le coeur, qu'il faut éviter ce qui est extérieur, qu'il peut y avoir de
la vanité, qu'il faut cacher sa dévotion, etc. Je leur réponds avec mon Maître:
Que les hommes voient vos bonnes oeuvres, afin qu'ils glorifient votre Père qui
est dans les cieux; non pas, dit saint Grégoire, qu'on doive faire ses actions
et dévotions extérieures pour plaire aux hommes et en tirer quelque louange, ce
serait
vanité; mais on les fait quelquefois devant les hommes, dans la vue de plaire à
Dieu et de le faire glorifier par là, sans se soucier des mépris ou des louanges
des hommes.
Je ne rapporterai qu'en abrégé quelques pratiques
extérieures, que je n'appelle pas extérieures parce qu'on les fait sans
intérieur, mais parce qu'elles ont quelque chose d'extérieur, pour les
distinguer de celles qui sont purement intérieures.
[Consécration après exercices préparatoires]
227. Première pratique. - Ceux et celles qui voudront entrer en cette
dévotion particulière, qui n'est point érigée en confrérie, quoiqu'il le fût à
souhaiter, après avoir, comme j'ai [dit] dans la première partie de cette
préparation au Règne de Jésus-Christ, employé douze jours au moins à se vider de
l'esprit du monde contraire à celui de Jésus-Christ, emploieront trois semaines
à se remplir de Jésus-Christ par la Très Sainte Vierge. Voici l'ordre qu'ils
pourront garder:
228. Pendant la première semaine, ils emploieront toutes
leurs oraisons et actions de piété à demander la connaissance d'eux-mêmes et la
contrition de leurs péchés: et ils feront tout en esprit d'humilité. Pour cela,
ils pourront, s'ils veulent, méditer ce que j'ai dit de notre mauvais fond et ne
se regarder, les six jours de cette semaine, que comme des escargots, limaçons,
crapauds, cochons et serpents et boucs; ou bien ces trois paroles de saint
Bernard: Cogita quid fueris, semen putridum; quid sis, vas stercorum; quid
futurus sis, esca vermium. Ils prieront Notre-Seigneur et son Saint-Esprit de
les éclairer, par ces paroles: Domine, ut videam; ou Noverim me; ou Veni, Sancte
Spiritus, et diront tous les jours les litanies du Saint-Esprit et l'oraison qui
suit, marqués dans la première partie de cet ouvrage. Ils auront recours à la
Très Sainte Vierge, et lui demanderont cette grande grâce qui doit être le
fondement des autres, et pour cela ils diront tous les jours, l'Ave maris stella,
et ses litanies.
229. Pendant la seconde semaine, ils s'appliqueront dans
toutes leurs oraisons et oeuvres de chaque journée, à connaître la Très Sainte
Vierge. Ils demanderont cette connaissance au Saint-Esprit. Ils pourront lire et
méditer ce que nous en avons dit. Ils réciteront, comme la première semaine, les
litanies du Saint-Esprit et l'Ave maris Stella, et, de plus, un rosaire tous les
jours, ou du moins un chapelet, à cette intention.
230. Ils emploieront la troisième semaine à connaître
Jésus-Christ. Ils pourront lire et méditer ce que nous en avons dit, et dire
l'oraison de saint Augustin, qui est mis vers le commencement de cette seconde
partie. [VD 67] Ils pourront, avec le même saint, dire et répéter cent et cent
fois par jour: Noverim te: Seigneur, que je vous connaisse! ou bien, Domine, ut
videam: Seigneur, que je voie qui vous êtes! Ils réciteront, comme aux autres
semaines précédentes, les litanies du Saint-Esprit et l'Ave maris Stella, et
ajouteront tous les jours les litanies [du Saint-Nom] de Jésus.
231. Au bout de ces trois semaines, ils se confesseront et
communieront à l'intention de se donner à Jésus-Christ, en qualité d'esclaves
d'amour, par les mains de Marie. Et, après la communion, qu'ils tâcheront de
faire selon la méthode qui est ci-après, ils réciteront la formule de leur
consécration, qu'ils trouveront aussi ci-après; il faudra qu'ils l'écrivent ou
la fassent écrire, si elle n'est imprimée, et qu'ils la signent le même jour
qu'ils l'auront faite.
232. Il sera bon que, ce jour, ils payent quelque tribut à
Jésus-Christ et à sa sainte Mère, soit pour pénitence de leur infidélité passée
aux voeux de leur baptême, soit pour protester de leur dépendance du domaine de
Jésus et de Marie.
Or, ce tribut sera selon la dévotion et la capacité d'un
chacun: comme un jeûne, une mortification, une aumône, un cierge; quand ils ne
donneraient qu'une épingle en hommage, avec un bon coeur, c'en est assez pour
Jésus, qui ne regarde que la bonne volonté.
233. Tous les ans au moins, le même jour, ils renouvelleront
la même consécration, observant les mêmes pratiques pendant trois semaines.
Ils pourront même, tous les mois et tous les jours, renouveler tout ce qu'ils
ont fait, par ce peu de paroles : Tuus totus ego sum, et omnia mea tua sunt : Je
suis tout à vous, et tout ce que j'ai vous appartient, ô mon aimable Jésus, par
Marie, votre sainte Mère.
[Récitation de la petite couronne de la Sainte Vierge]
234. Deuxième pratique. - Ils réciteront tous les jours de leur vie, sans
pourtant aucune gêne, la petite couronne de la Très Sainte Vierge, composée de
trois Pater et douze Ave, en l'honneur des douze privilèges et grandeurs de la
Très Sainte Vierge. Cette pratique est fort ancienne et elle a son fondement
dans l'Ecriture Sainte. Saint Jean vit une femme couronnée de douze étoiles,
revêtue du soleil, et tenant la lune sous ses pieds, laquelle femme, selon les
interprètes, est la Très Sainte Vierge.
235. Il y a plusieurs manières de la bien dire qu'il serait
trop long de rapporter: le Saint-Esprit les apprendra à ceux et celles qui
seront les plus fidèles à cette dévotion.
Cependant, pour la dire tout simplement, il faut d'abord dire : Dignare me
laudare te, Virgo sacrata; da mihi virtutem contra hostes tuos; ensuite on dira
le Credo, puis un Pater, puis quatre Ave Maria et un Gloria Patri; encore un
Pater, quatre Ave, un Gloria Patri; ainsi du reste. A la fin, on dit: Sub tuum
praesidium.
[Port de petites chaînes de fer]
236. Troisième pratique. - Il est très louable, et très glorieux et très
utile à ceux et celles qui se seront ainsi faits les esclaves de Jésus en Marie,
qu'ils portent pour marque de leur esclavage amoureux de petites chaînes de fer
bénites d'une bénédiction propre qui est ci-après.
Ces marques extérieures, à la vérité, ne sont pas essentielles, et une personne
peut fort bien s'en passer, quoiqu'elle ait embrassé cette dévotion; cependant,
je ne puis m'empêcher de louer beaucoup ceux et celles qui, après avoir secoué
les chaînes honteuses de l'esclavage du diable, où le péché originel et
peut-être les péchés actuels les avaient engagés, se sont volontairement mis
sous le glorieux esclavage de Jésus-Christ, et se glorifient, avec saint Paul,
d'être dans les chaînes pour Jésus-Christ, chaînes mille fois plus glorieuses et
précieuses, quoique de fer et sans éclat, que tous les colliers d'or des
empereurs.
237. Quoique autrefois il n'y eût rien de plus infâme que la
croix, à présent ce bois ne laisse pas d'être la chose la plus glorieuse du
christianisme. Disons le même des fers de l'esclavage. Il n'y avait rien de plus
ignominieux parmi les anciens, et même encore à présent parmi les païens; mais,
parmi les chrétiens, il n'y a rien de plus illustre que les chaînes de
Jésus-Christ, parce qu'elles nous délivrent et préservent des liens infâmes du
péché et du démon; parce qu'elles mettent en liberté, et nous lient à
Jésus-Christ et à Marie, non pas par contrainte et par force, comme des forçats,
mais par charité et amour, comme des enfants: Traham eos in
vinculis caritatis (Osée 4,11): je les attirerai à moi, dit Dieu par la bouche
d'un prophète, par des chaînes de charité, qui, par conséquent, sont fortes
comme la mort, et, en quelque sorte, plus fortes, en ceux qui seront fidèles à
porter jusqu'à la mort ces marques glorieuses. Car, quoique la mort détruise
leur corps en les réduisant en pourriture, elle ne détruira point les liens de
leur esclavage, qui, étant de fer, ne se corrompent pas aisément; et peut-être
qu'au jour de la résurrection des corps, au grand jugement dernier, ces chaînes,
qui lieront encore leurs os, feront une partie de leur gloire, et seront
changées en chaînes de lumière et de gloire. Heureux donc mille fois les
esclaves illustres de Jésus en Marie, qui porteront leurs chaînes jusqu'au
tombeau!
238. Voici les raisons pourquoi on porte ces chaînettes :
Premièrement, c'est pour faire ressouvenir le chrétien des voeux et engagements
de son baptême, de la rénovation parfaite qu'il en a faite par cette dévotion,
et de l'étroite obligation où il est de s'y rendre fidèle. Comme l'homme, qui se
conduit souvent plus par les sens que par la pure foi, s'oublie facilement de
ses obligations envers Dieu, s'il n'a quelque chose extérieur qui les lui
remette en mémoire, ces petites chaînes servent merveilleusement au chrétien
pour le faire ressouvenir des chaînes du péché et de l'esclavage du démon, dont
le saint baptême l'a délivré, et de la dépendance de Jésus-Christ qu'il lui a
vouée dans le saint baptême, et de la ratification qu'il en a faite par
rénovation de ses voeux ; et une des raisons pourquoi si peu de chrétiens
pensent à leurs voeux du saint baptême, et vivent avec autant de libertinage que
s'ils n'avaient rien promis à Dieu, comme les païens, c'est qu'ils ne portent
aucune marque extérieure qui les en fasse ressouvenir.
239. Secondement, c'est pour montrer qu'on ne rougit point de
l'esclavage et servitude de Jésus-Christ, et qu'on renonce à l'esclavage funeste
du monde, du péché et du démon.
Troisièmement, c'est pour se garantir et préserver des
chaînes d'iniquité. Car, ou il faut que nous portions des chaînes d'iniquité, ou
des chaînes de charité et de salut:
Vincula peccatorun; in vinculis charitatis.
240. Ah, mon cher frère, brisons les chaînes des péchés et
des pécheurs, du monde et des mondains, du diable et de ses suppôts, et rejetons
loin de nous leur joug funeste : Dirumpamus vincula eorum et projiciamus a nobis
jugum ipsorum.
Mettons nos pieds, pour me servir des termes du Saint-Esprit,
dans ses fers glorieux, et notre cou dans ses colliers: Injice pedem tuum in
compedes illius, et in torques illius collum tuum (Eccli, 27). Soumettons nos
épaules, et portons la Sagesse, qui est Jésus-Christ, et ne nous ennuyons point
de ses chaînes: Subjice humerum tuum et porta illam, et ne accedieris vinculis
ejus (Eccli 6,25). Vous noterez que le Saint-Esprit, avant de dire ces paroles,
y prépare l'âme, afin qu'elle ne rejette pas son conseil important. Voici ses
paroles: Audi, fili, et accipe consilium intellectus, et ne abjicias consilium
meum (Eccli 6): Ecoute mon fils, et reçois un conseil d'entendement, et ne
rejette pas mon conseil.
241. Vous voulez bien, mon très cher ami, que je m'unisse au
Saint-Esprit, pour vous donner le même conseil: Vincula illius aligatura salutis
(Eccli,6): ses chaînes sont des chaînes de salut. Comme Jésus-Christ en croix
doit attirer tout à lui, bon gré mal gré, il attirera les réprouvés par les
chaînes de leurs péchés, pour les enchaîner comme des forçats et des diables à
son ire éternelle et à sa justice vengeresse; mais il attirera, particulièrement
en ces derniers temps, les prédestinés par des chaînes de charité: Omnia traham
ad meipsum. Traham eos in vinculis charitatis (Osée, 4).
242. Ces esclaves amoureux de Jésus-Christ ou enchaînés de
Jésus-Christ, vincti Christi, peuvent porter leurs chaînes, ou à leur cou, ou à
leurs bras, ou autour de leurs reins, ou à leurs pieds. Le Père Vincent Caraffa,
septième général de la Compagnie de Jésus, qui mourut en odeur de sainteté l'an
1643, portait, pour marque de sa servitude, un cercle de fer aux pieds, et
disait que sa douleur était qu'il n'en pouvait pas traîner publiquement la
chaîne. La Mère Agnès de Jésus, dont
nous avons parlé, portait une chaîne de fer autour de ses reins. Quelques autres
l'ont portée au cou, pour pénitence des colliers de perles qu'elles avaient
portés dans le monde.
Quelques-uns l'ont portée à leur bras, pour se faire
souvenir, dans les travaux de leurs mains, qu'ils sont esclaves de Jésus-Christ.
[Dévotion spéciale au mystère de l'Incarnation]
243. Quatrième pratique. - Ils auront une singulière dévotion pour le grand
mystère de l'Incarnation du Verbe, le 25 de mars, qui est le propre mystère de
cette dévotion, parce que cette dévotion a été inspirée du Saint-Esprit: 1. pour
honorer et imiter la dépendance ineffable que Dieu le Fils a voulu avoir de
Marie, pour la gloire de Dieu son Père et pour notre salut, laquelle dépendance
paraît particulièrement dans ce mystère où Jésus-Christ est captif et esclave
dans le sein de la divine Marie, et où il dépend d'elle pour toutes choses; 2.
pour remercier Dieu des grâces incomparables qu'il a faites à Marie et
particulièrement de l'avoir choisie pour sa très digne Mère, lequel choix a été
fait dans ce mystère: ce sont là les deux principales fins de l'esclavage de
Jésus en Marie.
244. Remarquez, s'il vous plait, que je dis ordinairement :
l'esclave de Jésus en Marie, l'esclavage de Jésus en Marie. On peut, à la
vérité, comme plusieurs ont fait jusqu'ici, dire l'esclave de Marie, l'esclavage
de la Sainte Vierge; mais je crois qu'il vaut mieux qu'on se dise l'esclave de
Jésus en Marie, comme le conseilla Monsieur Tronson, supérieur général du
Séminaire de Saint-Sulpice, renommé pour sa rare prudence et sa piété consommée,
à un ecclésiastique qui le consultait sur ce sujet: En voici les raisons :
245. 1 Comme nous sommes dans un siècle orgueilleux, où il y
a un grand nombre de savants enflés, d'esprits forts et critiques, qui trouvent
à redire dans les pratiques de piété les mieux établies et les plus solides,
pour ne pas leur donner une occasion de critique sans nécessité, il vaut mieux
dire l'esclavage de Jésus-Christ en Marie, et se dire l'esclave de Jésus-Christ
que l'esclave de Marie; prenant la dénomination de cette dévotion, plutôt de sa
fin dernière, qui est Jésus-Christ, que du chemin et du moyen pour arriver à
cette fin, qui est Marie; quoiqu'on puisse, dans la vérité, faire l'un et
l'autre sans scrupule, ainsi que je fais. Par exemple, un homme qui va d'Orléans
à Tours, par le chemin d'Amboise, peut fort bien dire qu'il va à Amboise et
qu'il va à Tours; qu'il est voyageur d'Amboise et voyageur de Tours; avec cette
différence, cependant, qu'Amboise n'est que sa route droite pour aller à Tours,
et que Tours seul est sa fin dernière et terme de son voyage.
246. 2 Comme le principal mystère qu'on célèbre et qu'on
honore en cette dévotion est le mystère de l'Incarnation, où on ne peut voir
Jésus-Christ qu'en Marie, et incarné dans son sein, il est plus à propos de dire
l'esclavage de Jésus en Marie, de Jésus résidant et régnant en Marie, selon
cette belle prière de tant de grands hommes: O Jésus, vivant en Marie, venez et
vivez en nous, en votre esprit de sainteté, etc.
247. 3 Cette manière de parler montre davantage l'union
intime qu'il ya a entre Jésus et Marie. Ils sont unis si intimement, que l'un
est tout dans l'autre: Jésus est tout en Marie, et Marie toute en Jésus; ou
plutôt, elle n'est plus, mais Jésus tout seul en elle; et on séparerait plutôt
la lumière du Soleil, que Marie de Jésus. En sorte qu'on peut nommer
Notre-Seigneur Jésus de Marie, et la Sainte Vierge Marie de Jésus.
248. Le temps ne me permettant pas de m'arrêter ici pour
expliquer les excellences et les grandeurs du mystère de Jésus vivant et règnant
en Marie, ou de l'Incarnation du Verbe, je me contenterai de dire en trois mots
que c'est ici le premier mystère de Jésus-Christ, le plus caché, le plus relevé
et le moins connu; que c'est en ce mystère que Jésus, de concert avec Marie,
dans son sein, qui est pour cela appelé des saints aula sacramentorum, la salle
des secrets de Dieu, a choisi tous les élus; que c'est en ce mystère qu'il a
opéré tous les mystères de sa vie qui ont suivi, par l'acceptation qu'il en fit:
Jesus ingrediens mundum dicit: Ecce venio ut faciam, voluntatem tuam etc.; et,
par conséquent, que ce mystère est un abrégé de tous les mystères, qui renferme
la volonté et la grâce de tous; enfin, que ce mystère est le trône de la
miséricorde, de la libéralité et de la gloire de Dieu. Le trône de sa
miséricorde pour nous, parce que, comme on ne peut approcher de Jésus que par
Marie, on ne peut voir Jésus ni lui parler que par l'entremise de Marie. Jésus,
qui exauce toujours sa chère Mère, y accorde toujours sa grâce et sa miséricorde
aux pauvres pécheurs: Adeamus ergo cum fiducia ad thronum gratiae. C'est le
trône de sa libéralité pour Marie, parce que, tandis que ce nouvel Adam a
demeuré dans ce vrai paradis terrestre, il y a opéré tant de merveilles en
cachette que ni les anges, ni les hommes ne les comprennent point ; c'est
pourquoi les saints appellent Marie la magnificence de Dieu: Magnificentia Dei,
comme si Dieu n'était magnifique qu'en Marie: Solummodo ibi magnificus [est]
Dominus. C'est le trône de sa gloire pour son Père, parce que c'est en Marie que
Jésus-Christ a parfaitement calmé son Père, irrité contre les hommes; qu'il a
parfaitement réparé la gloire que le péché lui
avait ravie, et que, par le sacrifice qu'il y a fait de sa volonté et de
lui-même, il lui a donné plus de gloire que jamais ne lui avaient donné tous les
sacrifices de l'ancienne loi, et enfin qu'il lui a donné une gloire infinie, que
jamais il n'avait encore reçue de l'homme.
[Grande dévotion à l'Ave Maria et au chapelet]
249. Cinquième pratique. - Ils auront une grande dévotion à dire l'Ave
Maria, ou la Salutation angélique, dont peu de chrétiens, quoique éclairés,
connaissent le prix, le mérite, l'excellence et la nécessité. Il a fallu que la
Sainte Vierge ait apparu plusieurs fois à de grands saints fort éclairés pour
leur en montrer le mérite, comme à saint Dominique, à saint Jean de Capistran,
au bienheureux Alain de la Roche. Ils
ont composé des livres entiers des merveilles et de l'efficace de cette prière
pour convertir les pécheurs; ils ont publié hautement, ils ont prêché
publiquement que le salut du monde ayant commencé par l'Ave Maria, le salut de
chacun en particulier était attaché à cette prière; que c'est cette prière qui a
fait porter à la terre sèche et stérile le fruit de vie, et que c'est cette même
prière, bien dite, qui doit faire germer en nos âmes la parole de Dieu et porter
le fruit de vie, Jésus-Christ; que l'Ave Maria est une rosée céleste qui arrose
la terre, c'est-à-dire l'âme pour la faire porter son fruit en son temps; et
qu'une âme qui n'est pas arrosée par cette prière ou rosée céleste ne porte
point de fruit et ne donne que des ronces et des épines, et est prête d'être
maudite.
250. Voici ce que la Très Sainte Vierge révéla au bienheureux
Alain de la Roche, comme il est marqué dans son livre De dignitate Rosarii, et
depuis par Cartagena: Sache, mon fils, et fais-le connaître à tous, qu'un signe
probable et prochain de la damnation éternelle est d'avoir de l'aversion, de la
tiédeur et de la négligence à dire la Salutation angélique, qui a réparé tout le
monde: Scias enim et secure intelligas et inde late omnibus patefacias, quod
videlicet signum probabile est et propinquum aeternae damnationis horrere et
attediari ac negligere Salutationem angelicam, totius mundi reparativam (De
dignit., cap 11). Voilà des paroles bien consolantes et bien terribles, qu'on
aurait peine à croire si nous n'en avions pour garants ce saint homme et saint
Dominique devant lui, et depuis plusieurs grands personnages, avec l'expérience
de plusieurs siècles. Car on a toujours remarqué que ceux qui portent la marque
de la réprobation, comme tous les hérétiques et impies, orgueilleux et mondains,
haïssent ou méprisent l'Ave Maria et le chapelet. Les hérétiques apprennent et
récitent encore le Pater, mais non pas l'Ave Maria, ni le chapelet; c'est leur
horreur: ils porteraient plutôt un serpent sur eux qu'un chapelet. Les
orgueilleux aussi, quoique catholiques, comme ayant les mêmes inclinations que
leur père Lucifer, méprisent ou n'ont que de l'indifférence pour l'Ave Maria, et
regardent le chapelet comme un dévotion de femmelette qui n'est bonne que pour
les ignorants et ceux qui ne savent point lire. Au contraire, on a vu, par
expérience, que ceux et celles qui ont d'ailleurs de grandes marques de
prédestination aiment, goûtent et récitent avec plaisir l'Ave Maria; et que plus
ils sont à Dieu, et plus ils aiment cette prière. C'est ce que la Sainte Vierge
dit aussi au bienheureux Alain, en suite des paroles que je viens de citer.
251. Je ne sais pas comment cela se fait ni pourquoi, mais
cela est pourtant vrai; et je n'ai pas un meilleur secret, pour connaître si une
personne est de Dieu, que d'examiner si elle aime à dire l'Ave Maria et le
chapelet. Je dis: elle aime; car il peut arriver qu'une [personne] soit dans
l'impossibilité naturelle ou même surnaturelle de le dire, mais elle l'aime
toujours et elle l'inspire aux autres.
252. AMES PREDESTINEES, ESCLAVES DE JESUS EN MARIE, apprenez
que l'Ave Maria est la plus belles de toutes les prières après le Pater; c'est
le plus parfait compliment que vous puissiez faire à Marie, puisque c'est le
compliment que le Très-Haut lui envoya faire par un archange pour gagner son
coeur; et il fut si puissant sur son coeur, par les charmes secrets dont il est
plein, que Marie donna son consentement à l'Incarnation du Verbe, malgré sa
profonde humilité. C'est par ce compliment aussi que vous gagnerez
infailliblement son coeur, si vous le dites comme il faut.
253. L'Ave Maria bien dit, c'est-à-dire avec attention,
dévotion et modestie, est, selon les saints, l'ennemi du diable, qui le met en
fuite, et le marteau qui l'écrase, la
sanctification de l'âme, la joie des anges, la mélodie des prédestinés, le
cantique du Nouveau Testament, le plaisir de Marie et la gloire de la Très
Sainte Trinité. L'Ave Maria est une rosée céleste qui rend l'âme féconde; c'est
un baiser chaste et amoureux qu'on donne à Marie, c'est une rose vermeille qu'on
lui présente, c'est une perle précieuse qu'on lui offre, c'est un coup
d'ambroisie et de nectar divin qu'on lui donne. Toutes ces comparaisons sont des
saints.
254. Je vous prie donc instamment, par l'amour que je vous
porte en Jésus et en Marie, de ne vous pas contenter de réciter la petite
couronne de la Sainte Vierge, mais encore votre chapelet, et même, si vous en
avez le temps, votre rosaire, tous les jours, et vous bénirez, à l'heure de
votre mort, le jour et l'heure que vous m'avez cru; et, après avoir semé dans
les bénédictions de Jésus et de Marie, vous recueillerez des bénédictions
éternelles dans le ciel: Qui seminat in benedictionibus, de benedictionibus et
metet. [2 Co 9,6]
[Récitation du Magnificat]
255. Sixième pratique. - Pour remercier Dieu des grâces qu'il a faites à la
Très Sainte Vierge, ils diront souvent le Magnificat, à l'exemple de la
bienheureuse Marie d'Oignies et de plusieurs autres saints. C'est la seule
prière et le seul ouvrage que la Sainte Vierge ait composé, ou plutôt que Jésus
a fait en elle, car il parlait par sa bouche. C'est le plus grand sacrifice de
louange que Dieu ait reçu dans la loi de grâce. C'est d'un côté le plus humble
et le plus reconnaissant, et de l'autre le plus sublime et le plus relevé de
tous les cantiques: il y a dans ce cantique des mystères si grands et si cachés,
que les anges en ignorent. Gerson, qui a été un docteur si pieux et si savant,
après avoir employé une grande partie de sa vie à composer des traités si pleins
d'érudition et de piété sur les matières les plus difficiles, n'entreprit qu'en
tremblant, vers la fin de sa vie, d'expliquer le Magnificat, afin d'en couronner
tous ses ouvrages. Il nous rapporte, dans un volume in-folio qu'il en a composé,
plusieurs choses admirable du beau et divin cantique.
Entre autres choses, il dit que la Très Sainte Vierge le récitait souvent
elle-même, et particulièrement après la Sainte Communion, pour action de grâces.
Le savant Benzonius, en expliquant le même Magnificat, rapporte plusieurs
miracles opérés par sa vertu, et il dit que les diables tremblent et s'enfuient
quand ils entendent ces paroles du Magnificat : Fecit potentiam in brachio suo,
dispersit superbos mente cordis sui.
[Le mépris du monde]
256. Septième pratique. - Les fidèles serviteurs de Marie doivent beaucoup
mépriser, haïr et fuir le monde corrompu, et se servir des pratiques de mépris
du monde que nous avons données dans la première partie.
Pratiques particulières et intérieures pour ceux qui veulent
devenir parfaits.
257. Outre les pratiques extérieures qu'on vient de
rapporter, lesquelles il ne faut pas omettre par négligence ni mépris, autant
que l'état et condition de chacun le permet, voici des pratiques intérieures
bien sanctifiantes pour ceux que le Saint-Esprit appelle à une haute perfection.
C'est en quatre mots, de faire toutes ses actions PAR MARIE, AVEC MARIE, EN
MARIE et POUR MARIE, afin de les faire plus parfaitement par Jésus-Christ, avec
Jésus-Christ, en Jésus et pour Jésus.
[Faire toutes ses actions par Marie]
258. 1 Il faut faire ses actions par Marie, c'est-à-dire qu'ils faut qu'ils
obéissent en toutes choses à la Très Sainte Vierge, et qu'ils se conduisent en
toutes choses par son esprit, qui est le Saint-Esprit de Dieu. Ceux qui sont
conduits de l'esprit de Dieu sont enfants de Dieu: Qui spiritu Dei aguntur, ii
sunt filii Dei. Ceux qui sont conduits par l'esprit de Marie sont enfants de
Marie, et, par conséquent, enfants de Dieu, comme nous avons montré, et parmi
tant de dévots à la Sainte Vierge, il n'y a de vrais et fidèles dévots que ceux
qui se conduisent par son esprit. J'ai dit que l'esprit de Marie était l'esprit
de Dieu, parce qu'elle ne s'est jamais conduite par son propre esprit, mais
toujours par l'esprit de Dieu, qui s'en est tellement rendu le maître qu'il est
devenu son propre esprit. C'est pourquoi saint Ambroise dit: Sit in singulis,
etc.: Que l'âme de Marie soit en chacun pour glorifier le Seigneur; que l'esprit
de Marie soit en chacun pour se réjouir en Dieu. Qu'une âme est heureuse quand,
à l'exemple d'un bon frère Jésuite, nommé Rodriguez, mort en odeur de sainteté,
elle est toute possédée et gouvernée par l'esprit de Marie, qui est un esprit
doux et fort, zélé et prudent, humble et courageux, pur et fécond!
259. Afin que l'âme se laisse conduire par cet esprit de
Marie, il faut: 1 Renoncer à son propre esprit, à ses propres lumières et
volontés avant de faire quelque chose: par exemple, avant de faire oraison, dire
ou entendre la sainte Messe, communier, etc.; parce que les ténèbres de notre
propre esprit et la malice de notre propre volonté et opération, si nous les
suivons, quoiqu'elles nous paraissent bonnes, mettraient obstacle à l'esprit de
Marie. 2 Il faut se livrer à l'esprit de Marie pour en être mus et conduits de
la manière qu'elle voudra. Il faut se mettre et se laisser entre ses mains
virginales, comme un instrument entre les mains de l'ouvrier, comme un luth
entre les mains d'un bon joueur. Il faut se perdre et s'abandonner en elle,
comme un pierre qu'on jette dans la mer: ce qui se fait simplement et en un
instant, par une seule oeillade de l'esprit, par un petit mouvement de la
volonté, ou verbalement, en disant, par exemple: Je renonce à moi, je me donne à
vous, ma chère Mère. Et quoiqu'on ne sente aucune douceur sensible dans cet acte
d'union, il ne laisse pas d'être véritable: tout comme si on disait ce qu'à Dieu
ne plaise: Je me donne au diable, avec autant de sincérité, quoiqu'on le dît
sans changement sensible, on n'en serait pas moins véritablement au diable. 3 Il
faut, de temps en temps, pendant son action et après l'action, renouveler le
même acte d'offrande et d'union; plus on le fera, et plus tôt on se sanctifiera,
et plus tôt on arrivera à l'union à Jésus-Christ, qui suit toujours
nécessairement l'union à Marie, puisque l'esprit de Marie est l'esprit de Jésus.
[Faire toutes ses actions avec Marie]
260. 2 Il faut faire ses actions avec Marie: c'est-à-dire qu'il faut, dans
ses actions, regarder Marie comme un modèle accompli de toute vertu et
perfection que le Saint-Esprit a formé dans un pure créature, pour imiter selon
notre petite portée. Il faut donc qu'en chaque action nous regardions comme
Marie l'a faite ou la ferait, si elle était en notre place.
Nous devons pour cela examiner et méditer les grandes vertus qu'elle a
pratiquées pendant sa vie, particulièrement: 1. sa foi vie, par laquelle elle a
cru sans hésiter la parole de l'ange; elle a cru fidèlement et constamment
jusqu'au pied de la croix sur le Calvaire; 2. son humilité profonde, qui l'a
fait se cacher, se taire, se soumettre à tout et se mettre la dernière; 3. sa
pureté toute divine, qui n'a jamais ni n'aura jamais de pareille sous le ciel,
enfin toutes ses autres vertus.
Qu'on se souvienne, je le répète une deuxième fois, que Marie est le grand et
l'unique moule de Dieu, propre à faire des images vivantes de Dieu, à peu de
frais et en peu de temps; et qu'une âme qui a trouvé ce moule, et qui s'y perd,
est bientôt changée en Jésus-Christ, que ce moule représente au naturel.
[Faire toutes ses actions en Marie]
261. 3 Il faut faire ses actions en Marie.
Pour bien comprendre cette pratique il faut savoir :
1 Que la Très Sainte Vierge est le vrai paradis terrestre du nouvel Adam, et que
l'ancien paradis terrestre n'en était que la figure. Il y a donc, dans ce
paradis terrestre, des richesses, des beautés, des raretés et des douceurs
inexplicables, que le nouvel Adam, Jésus-Christ, y a laissées. C'est en ce
paradis qu'il a pris ses complaisances pendant neuf mois, qu'il a opéré ses
merveilles et qu'il a étalé ses richesses avec la magnificence d'un Dieu. Ce
très saint lieu n'est composé que d'une terre vierge et immaculée, dont a été
formé et nourri le nouvel Adam, sans aucune tache ni souillure, par l'opération
du Saint-Esprit, qui y habite.
C'est en ce paradis terrestre où est véritablement l'arbre de vie qui a porté
Jésus-Christ, le fruit de vie; l'arbre de science du bien et du mal qui a donné
la lumière au monde. Il y a, en ce lieu divin, des arbres plantés de la main de
Dieu et arrosés de son onction divine, qui ont porté et portent tous les jours
des fruits d'un goût divin; il y a des parterres émaillés de belles et
différentes fleurs des vertus, qui jettent une odeur qui embaume même les anges.
Il y a dans ce lieu des prairies vertes d'espérance, des tours imprenables de
force, des maisons charmantes de confiance, etc. Il n'y a que le Saint-Esprit
qui puisse faire connaître la vérité cachée sous ces figures de choses
matérielles. Il y a encore en ce lieu un air pur, sans infection, de pureté; un
beau jour, sans nuit, de l'humanité sainte; un beau soleil, sans ombre, de la
Divinité; une fournaise ardente et continuelle de charité, où tout le fer qui
[y] est mis est embrasé et changé en or; il y a un fleuve d'humilité qui sourd
de la terre et qui, se divisant en quatre branches, arrose tout ce lieu
enchanté; ce sont les quatre vertus cardinales. 262. [2] Le Saint-Esprit, par la
bouche des saints Pères, appelle aussi la Sainte Vierge: 1. la porte orientale,
par où le grand prêtre Jésus-Christ entre et sort dans le monde; il y est entré
la première fois par elle, et il viendra la seconde ;
2. le sanctuaire de la Divinité, le repos de la très Sainte Trinité, le trône de
Dieu, la cité de Dieu, l'autel de Dieu, le temple de Dieu, le monde de Dieu.
Toutes ces différentes épithètes et louanges sont très véritables, par rapport
aux différentes merveilles de grâces que le Très-Haut a faites en Marie. Oh!
quelles richesses! Oh! quelle gloire! Oh! quel plaisir! Oh! quel bonheur de
pouvoir entrer et demeurer en
Marie, où le Très-Haut a mis le trône de sa gloire suprême!
263. Mais qu'il est difficile à des pécheurs comme nous
sommes d'avoir la permission et la capacité et la lumière pour entrer dans un
lieu si haut et si saint, qui est gardé non par un chérubin, comme l'ancien
paradis terrestre, mais par le Saint-Esprit même qui s'en est rendu le maître absolu, de laquelle il dit: Hortus
conclusus soror mea sponsa, hortus conclusus, fons signatus. Marie est fermée;
Marie est scellée; les misérables enfants d'Adam et d'Eve, chassés du paradis
terrestre, ne peuvent entrer à celui-ci que par une grâce particulière du
Saint-Esprit, qu'ils doivent mériter.
264. Après que, par sa fidélité, on a obtenu cette insigne
grâce, il faut demeurer dans le bel intérieur de Marie avec complaisance, s'y
reposer en paix, s'y appuyer avec confiance, s'y cacher avec assurance et s'y
perdre sans réserve, afin que dans ce sein virginal: 1. l'âme soit nourrie du
lait de sa grâce et de sa miséricorde maternelle; 2. y soit délivrée de ses
troubles, craintes et scrupules; 3. y soit en sûreté contre tous ses ennemis, le
démon, le monde et le péché, qui n'y ont jamais eu entrée: c'est pourquoi elle
dit que ceux qui opèrent en elle ne pècheront point: Qui operantur in me, non
peccabunt, c'est-à-dire ceux qui demeurent en la Sainte Vierge en esprit ne
feront point de péché considérable; 4. afin qu'elle soit formée en Jésus-Christ
et que Jésus-Christ soit formé en elle: parce que son sein est, comme disent les
Pères, la salle des sacrements divins, où Jésus-Christ et tous les
élus ont été formés: Homo et homo natus est in ea.
[Faire toutes ses actions pour Marie]
265. 4 Enfin il faut faire toutes ses actions pour Marie, Car, comme on
s'est tout livré à son service, il est juste qu'on fasse tout pour elle comme un
valet, un serviteur et un esclave; non pas qu'on la prenne pour la dernière fin
de ses services, qui est Jésus-Christ seul, mais pour sa fin prochaine et son
milieu mystérieux, et son moyen aisé pour aller à lui. Ainsi qu'un bon serviteur
et esclave, il ne faut pas demeurer oisif; mais il faut, appuyé de sa
protection, entreprendre et faire de grandes choses pour cette auguste
Souveraine. Il faut défendre ses privilèges quand on les lui dispute; il faut
soutenir sa gloire quand on l'attaque; il faut attirer tout le monde, si on
peut, à son service et à cette vraie et solide dévotion; il faut parler et crier
contre ceux qui abusent de sa dévotion pour outrager son Fils; il ne faut
prétendre d'elle, pour récompense de ses petits services, que l'honneur
d'appartenir à une si aimable Princesse, et le bonheur d'être par elle uni à
Jésus, son Fils, d'un lien indissoluble dans le temps et l'éternité.
GLOIRE A JESUS EN MARIE!
GLOIRE A MARIE EN JESUS!
GLOIRE A DIEU SEUL!
[SUPPLÉMENT]
MANIÈRE DE PRATIQUER CETTE DÉVOTION
DANS LA SAINTE COMMUNION
AVANT LA COMMUNION
266. 1 Vous vous humilierez profondément devant Dieu. 2 Vous
renoncerez à votre fond tout corrompu et à vos dispositions, quelques bonnes que
votre amour-propre vous les fasse voir. 3 Vous renouvellerez votre consécration
en disant: Tuus totus
ego sum, et omnia mea tua sunt: Je suis tout à vous ma chère Maîtresse, avec
tout ce que j'ai. 4 Vous supplierez cette bonne Mère de vous prêter son coeur,
pour y recevoir son Fils dans ses mêmes dispositions. Vous lui représenterez
qu'il y va de la gloire de son Fils de n'être pas mis dans un coeur aussi
souillé que le vôtre et aussi inconstant, qui ne manquerait pas de lui ôter de
sa gloire ou de le perdre; mais si elle veut venir habiter chez vous pour
recevoir son Fils, elle le peut par le domaine qu'elle a sur les coeurs; et que
son Fils sera par elle bien reçu sans souillure et sans danger d'être outragé ni
perdu: Deus in medio ejus non commovebitur. Vous lui direz confidemment que tout
ce que vous lui avez donné de
votre bien est peu de chose pour l'honorer, mais que, par la sainte communion,
vous voulez lui faire le même présent que le Père éternel lui a fait, et qu'elle
en sera plus honorée que si vous lui donniez tous les biens du monde; et
qu'enfin Jésus, qui l'aime uniquement, désire encore prendre en elle sa
complaisance et son repos, quoique dans votre âme plus sale et plus pauvre que
l'étable, où Jésus ne fit pas difficulté de venir parce qu'elle y était. Vous
lui demanderez son coeur par ces tendres paroles: Accipio te in mea omnia.
Praebe mihi cor tuum, o Maria!
DANS LA COMMUNION
267. 2 Prêt de recevoir Jésus-Christ, après le Pater, vous
lui direz trois fois: Domine, non sum dignus, etc., comme si vous disiez, la
première fois, au Père éternel, que vous n'êtes pas digne, à cause de vos
mauvaises pensées et ingratitudes à l'égard d'un si bon Père, de recevoir son
Fils unique, mais que voici Marie, sa servante: Ecce ancilla Domini, qui fait
pour vous, et qui vous donne une confiance et espérance singulière auprès de sa
Majesté: Quoniam singulariter in spe constituisti me.
268. Vous direz au Fils: Domine, non sum dignus, etc., que
vous n'êtes pas digne de le recevoir à cause de vos paroles inutiles et
mauvaises et votre infidélité en son service; mais cependant que vous le priez
d'avoir pitié de vous parce que vous l'introduirez dans la maison de sa propre
Mère et de la vôtre, et que vous ne le laisserez point aller qu'il ne soit venu
loger chez elle: Tenui eum, nec dimittam, donec introducam illum in domum matris
meae, et in cubiculum genitrix meae (Cant 3,4). Vous le prierez de se lever et
de venir dans le lieu de son repos et dans l'arche de sa sanctification: Surge,
Domine, in requiem tuam, tu et arca santificationis tuae. [Vous lui direz] que
vous ne mettez aucunement votre confiance dans vos mérites, votre force et vos
préparations, comme Esaü, mais dans celles de Marie, votre chère Mère, comme le
petit Jacob dans les soins de Rébecca ; que, tout pécheur et Esaü que vous êtes,
vous osez vous approcher de sa sainteté, appuyé et orné des mérites et vertus de
sa sainte Mère.
269. Vous direz au Saint-Esprit: Domine, non sum dignus, que
vous n'êtes pas digne de recevoir le chef-d'oeuvre de sa charité, à cause de la
tiédeur et iniquité de vos actions et de vos résistances à ses inspirations,
mais que toute votre confiance est Marie, sa fidèle Epouse; et dites avec saint
Bernard: Haec maxima mea fiducia; haec tota ratio spei meae.
Vous pourrez même le prier de survenir encore en Marie, son
Epouse indissoluble; que son sein est aussi pur et son coeur aussi embrasé que
jamais; et que sans sa descente dans votre âme, ni Jésus ni Marie n'y seront
point formés, ni dignement logés.
APRÈS LA COMMUNION
270. Après la sainte communion, étant intérieurement
recueilli, et les yeux fermés, vous introduirez Jésus-Christ dans le coeur de
Marie. Vous le donnerez à sa Mère, qui le recevra amoureusement, le placera
honorablement, l'adorera profondément, l'aimera parfaitement, l'embrassera
étroitement, et lui rendra, en esprit et en vérité, plusieurs devoirs qui nous
sont inconnus dans nos ténèbres épaisses.
271. Ou bien vous vous tiendrez profondément humilié dans
votre coeur, en la présence de Jésus résidant en Marie. Ou vous vous tiendrez
comme un esclave à la porte du palais du Roi, où il est à parler à la Reine; et
tandis qu'ils se parlent l'un à l'autre, sans avoir besoin de vous, vous irez en
esprit au ciel et par toute la terre, prier les créatures de remercier, adorer
et aimer Jésus et Marie en votre place: Venite, adoremus, venite, etc.
272. Ou bien, vous demanderez vous-même à Jésus en union de
Marie, l'avènement de son règne sur la terre par sa sainte Mère, ou la divine
sagesse, ou l'amour divin, ou le pardon de vos péchés, ou quelque autre grâce,
mais toujours par Marie et en Marie; disant en vous regardant de travers: Ne
respicias, Domine, peccata mea. Seigneur, ne regardez pas mes péchés; sed oculi
tui videant aequitates Mariae: mais que vos yeux ne regardent en moi que les
vertus et mérites de Marie. Et en vous souvenant de vos péchés, vous ajouterez:
Inimicus homo hoc fecit: C'est moi, qui suis le plus [grand] ennemi que j'ai sur
les bras, qui ai fait ces péchés; ou bien: Ab homine iniquo et doloso erue me,
ou bien: Te oportet crescere, me autem minui: Mon Jésus, il faut que vous
croissiez dans mon âme et que je décroisse. Marie, il faut que vous croissiez
chez moi, et que je sois moins que je n'ai été. Crescite et multiplicamini: O
Jésus et Marie, croissez en moi, et multipliez-vous au dehors dans les autres.
273. Il y a une infinité d'autres pensées que le Saint-Esprit
fournit, et vous fournira si vous êtes bien intérieur, mortifié et fidèle à
cette grande et sublime dévotion que je
viens de vous enseigner. Mais souvenez-vous que plus vous laisserez agir Marie
dans votre communion, et plus Jésus sera glorifié; et vous laisserez plus agir
Marie pour Jésus, et Jésus en Marie, que vous vous humilierez plus profondément
et vous les écouterez avec paix et silence, sans vous mettre en peine de voir,
goûter, ni sentir; car le juste vit partout de la foi, et particulièrement dans
la sainte communion, qui est une action de foi : Justus meus ex fide vivit.
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