Ce Saint était
d'une famille noble de Flandre. Dès ses premières années on
remarqua en lui beaucoup de douceur, une rare intelligence, du
penchant pour les bonnes choses et un goût ardent pour l'étude.
Ses parents de leur côté ne négligèrent rien pour développer
d'aussi bonnes dispositions, et il fit de grands progrès dans la
piété et dans les sciences. Il s'avançait de vertu en vertu, et,
bien que son grand corps exigeât une copieuse nourriture, il se
contentait de fort peu et joignait à son abstinence la plus
grande pureté. Il était encore enfant lorsqu'il fut placé chez
les -chanoines d’Utrecht, où il se fit remarquer bientôt par sa
piété et son savoir. Ces chanoines menaient une vie très réglée
et très édifiante. Ils le placèrent à la tête des écoles, poste
qu'il remplit avec beaucoup de zèle et de succès, étudiant le
caractère de chacun de ses élèves en particulier et y conformant
ses leçons, afin de faire comprendre ce qu'il enseignait.
Quelque temps après il fut nommé doyen de l'église de
Saint-Martin; il regarda cette élévation comme un appel à une
plus grande piété, à une plus grande sainteté : il parvint en
effet à un si haut degré de vertu, que la lumière et la bonne
odeur qu'il répandait autour de lui le firent connaître au saint
Empereur Henri, qui lui accorda aussitôt son estime et son
amitié. Il prenait tant de goût à sa société, que souvent il le
gardait longtemps auprès de sa personne et se dirigeait d'après
ses conseils dans les affaires importantes de l'état.
Baudri ou Balderic,
évêque de Liège, étant mort, l'Empereur, dont les premiers soins
étaient de donner de bons pasteurs à l’Église, ne put faire de
meilleur choix qu'en donnant ce siége à Wolbodon. Il lui confia
donc cette église ; mais Wolbodon, qui se croyait incapable de
porter un si grand poids, fit tous ses efforts pour s'y
soustraire. 11 pria l'Empereur, les larmes aux yeux, de bien
vouloir l'épargner; mais voyant que ses refus affligeaient ce
prince, et qu'on aurait fini par les prendre pour de
l'opiniâtreté, il céda en toute humilité. Il fut reçu à Liège
par le clergé et le peuple, avec beaucoup d'honneur et de joie,
et fut sacré au mois de Novembre 1018 par S. Héribert,
archevêque de Cologne. Comme il était monté sur le siége
épiscopal en pasteur véritable et désintéressé, appelé de Dieu
comme Aaron, il gouverna, sous l'inspiration divine, son
troupeau dans la simplicité de son cœur, et le guida par les
connaissances et les lumières intérieures que le Seigneur lui
communiquait. Il s'était fait un devoir d'observer lui-même ce
qu'il recommandait aux autres; c'est pourquoi il ne faisait que
lire, exhorter et prier. Il avait le cœur si tendre pour les
pauvres, qu'il leur distribua presque tout ce qu'il avait, et
lorsqu'il eut tout donné, il donna ses ornements épiscopaux,
envoyant ensuite ses domestiques les dégager et les racheter des
mains des pauvres. L'hiver il passait quelquefois des nuits
entières à veiller; il visitait alors les chapelles des Saints
et y passait un temps considérable en prière : le reste de la
nuit était employé à aller voir quelques pauvres honteux ou des
malades, qu'il consolait dans leur misère. Il ne mangeait que du
pain et quelque légume grossier et en mangeait si peu, qu'il
quittait toujours la table sur sa faim, et lorsqu'on lui servait
quelque chose de délicat, il le renvoyait aussitôt et le faisait
porter à quelque pauvre malade, mais surtout à ceux qui
craignaient Dieu et qui se conduisaient bien.
Quoique Wolbodon
menât une vie exempte de tout reproche et que jamais il n'eût
donné lieu au plus léger scandale, les langues méchantes et
envieuses firent tant cependant, qu'il tomba en disgrâce auprès
de l’Empereur, qui l'avait tant aimé et estimé. Toutefois,
s'appuyant sur la justice de sa cause, il s'inquiéta peu de ce
revers de fortune ; il espérait que Dieu lui fournirait
l'occasion de se disculper aux yeux de l'Empereur et de
confondre ses calomniateurs. Ayant appris un jour que l'Empereur
se trouvait à Cologne, il lui sembla qu'il ne devait pas laisser
échapper cette occasion pour éclaircir ses affaires. Il se
rendit en cette ville, accompagné non pas de dons et de présents
d'or et d'argent, à l'exemple d'autres évêques qui en avaient
offert à l'Empereur, mais d'une conscience pure et d'un cœur qui
ne connaissait pas la feinte. Il alla directement trouver
l'Empereur, qui, après quelques moments d'entretien, découvrit
aussitôt le fond de son affaire, et non seulement lui parla d'un
air gracieux, mais l'embrassa et le fit asseoir auprès de lui,
lui faisant voir par là qu'il était pleinement convaincu de son
innocence.
Ses affaires
étant ainsi heureusement terminées, il retourna tranquillement à
Liège : y ayant célébré la Pâque avec sa dévotion accoutumée, il
s'aperçut que Dieu l'appelait pour célébrer une Pâque éternelle
dans son royaume. Le premier symptôme qu'il éprouva fut une
grande douleur d'estomac, qui n'avait d'autre cause que ses
jeûnes continuels et ses abstinences de toute espèce : au lieu
de prendre quelque repos, ou de faire quelque remède pour
rétablir sa santé, il se coucha sur un cilice fort dur et
couvert de cendres. Comme nourriture de l'âme il se fit lire les
psaumes
et les livres divins, et son cœur s'alluma d'un si vif désir de
quitter ce corps mortel, qu'il ne fit que soupirer après la
céleste patrie. Cependant il ne négligea pas de prêcher la
parole de charité à ceux qui étaient
présents,
en les exhortant à avoir toujours devant les yeux leur dernière
fin ; et afin de servir d'exemple à ses fidèles jusqu'à son
dernier soupir, il ordonna qu'on permît à chacun d'approcher de
sa personne. Le démon, qui ne cesse de tenter l'homme,
surtout
à l'heure de la mort, n'oublia pas non plus Wolbodon ; mais
celui-ci, qui connaissait toutes ses
ruses,
n'eut pas de peine à le forcer de prendre la fuite.
Dans ces conjonctures il eut aussi, dit-on, une vision de S.
Laurent, pour lequel il avait eu toute sa vie une dévotion
particulière. Ce Saint sembla lui prédire avec une douceur
ineffable que dans cinq jours il viendrait le rejoindre. Ces
paroles l'inondèrent d'une si grande félicité, qu'il lui fut
impossible de se contenir et qu'il en fit part à quelques
membres de son clergé ; il reçut après cela le Corps de
Notre-Seigneur et l'Extrême-onction. Il attendit alors avec
impatience ce cinquième jour ; mais il le vit passer, sans que
son attente fût remplie ; ce que Dieu permit pour le punir
d'avoir révélé cette vision indistinctement aux indignes et à
ceux qui méritaient cette confiance. Il en fut extrêmement
affligé, et ayant examiné sa conscience, il découvrit sa faute
et résolut de s'en venger sur lui-même. Comme il n'avait plus la
force de se châtier, il pria un ecclésiastique, nommé Wieland,
de prendre une discipline et de le frapper sévèrement. Il
satisfit ainsi à la justice divine, et ce châtiment fut si
agréable au Seigneur, qu'il l'avertit par une nouvelle
révélation que sa fin était prochaine. Il pria alors ceux qui
l'assistaient de lui accorder le secours de leurs ferventes
prières, et il lut encore lui-même les antiphones des psaumes
qu'il termina
par les collectes, se faisant de temps en temps humecter avec de
l'eau ses lèvres desséchées. Lorsqu'il vit approcher son heure
dernière, il prit le crucifix et rendit l'âme
en le tenant serré dans ses bras. Ceci arriva le 21 Avril
1021,
le vingt-neuvième mois de son épiscopat. Son corps fut porté
avec beaucoup de pompe dans la grotte ou chapelle souterraine de
saint Laurent ;
un grand nombre de
personnes tant ecclésiastiques que laïques formaient le
cortège,
et Dieu manifesta la sainteté de son serviteur par un grand
nombre de miracles, opérés sur son tombeau et par son
intercession. Le corps demeura dans le lieu de sa première
sépulture jusqu'au 26 Octobre 1656, jour auquel on
commença,
vers cinq heures du soir, à ouvrir le tombeau, par ordre de
Joseph Sanfelicius, archevêque de Consens et légat du Pape
Alexandre VII. Le 27 les reliques furent levées de terre, en
présence des docteurs en théologie et en médecine, des religieux
du couvent de Saint-Laurent et d'un grand nombre d'amis du
légat. On eut le bonheur de trouver tous les
ossements
du Saint. Le 28 le légat vint les examiner et les honorer : le
29 on célébra la messe, et le saint corps fut porté
processionnellement, tantôt par le légat lui-même et l'évêque de
Dionysie , suffragant de Liège, tantôt par les doyens
de Saint-Pierre et de
Saint-Martin. La procession terminée, le légat ordonna que le
corps fût placé dans un endroit convenable pour être honoré.
SOURCE : Alban Butler : Vie
des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction :
Jean-François Godescard. |