Yves
Hélory, issu d'une famille également illustre et
vertueuse, naquit en 1253, près de Tréguier, en Basse-Bretagne.
Il étudia la grammaire dans son pays, et ses succès répondirent
à son application. A l'âge de
quatorze
ans, il fut envoyé à Paris pour y faire tin cours de philosophie
et de théologie, et de droit tant civil que canonique. Il se
rendit ensuite à Orléans, où il étudia les Décrétales sous le
célèbre Guillaume de Blaye, qui devint évêque d'Angoulême, et
les Institutes sous Pierre de la Chapelle, depuis évêque de
Toulouse et cardinal.
Dans les
instructions que lui donnait sa mère, elle lui répétait souvent
qu'il devait vivre de façon qu'il pût devenir, un saint. « C'est
bien le but où je tends », répondait-il alors. De tels
sentiments se fortifiaient en lui tous les jours, et faisaient
sur son âme les plus profondes impressions. Cette pensée : Je
dois devenir un saint, le portait puissamment à la vertu, et
l'éloignait de tout ce qui avait l'apparence du mal. Les mauvais
exemples de ses compagnons d'étude ne servaient qu'à lui
inspirer plus d'horreur pour le vice, et à le rendre plus exact
à veiller sur lui-même. La sainte gravité de sa conduite toucha
plusieurs libertins, et les retira du désordre. Son temps était
partagé entre l'étude et la prière. Dans ses heures de
récréation, il visitait les hôpitaux, servait les malades avec
charité, et les consolait dans leurs peines.
Pendant le séjour
qu'il fit à Paris et à Orléans, il s'attira l'admiration des
Universités de ces deux villes par la beauté de son esprit et
par sa piété extraordinaire. Toujours il portait le cilice, et
s'interdisait l'usage du vin et de la viande. Il jeûnait au pain
et à l'eau, l'A vent, le Carême et plusieurs autres jours de
l'année. Le peu de repos qu'il accordait à la nature, il le
prenait sur une natte de paille, n'ayant qu'un livre ou une
pierre pour chevet. Jamais il ne se couchait qu'il ne fût
accablé par le sommeil. Il avait fait secrètement le vœu de
chasteté perpétuelle. Comme personne n'en était instruit, on lui
proposa d'entrer dans l'état du mariage, et on lui offrit même
plusieurs partis honorables. Il les refusa tous avec modestie,
alléguant pour raison qu'une vie d’étude telle que la sienne
renfermait une sorte d'incompatibilité avec le mariage.
A la fin pourtant
il fit connaître ses intentions, et se déterminant pour l’état
ecclésiastique. Le désir de servir le prochain influa
principalement sur son choix. Il eût bien voulu, par humilité,
rester toujours dans les ordres mineurs; mais son évêque
l'obligea de recevoir la prêtrise. La réception du sacerdoce lui
coûta beaucoup de larmes ; il s'y était cependant préparé par
une vie toute remplie de bonnes œuvres, et surtout par une
inviolable pureté d'âme et de corps.
Maurice,
archidiacre de Rennes, qui en cette qualité était vicaire
perpétuel de l'évêque, le fit officiai du diocèse. Yves
s'acquitta de cet emploi avec toute la vertu et toute la sagesse
possibles. Les orphelins, les veuves et les pauvres trouvèrent
en lui Un père et un défenseur. L'impartialité la plus exacte
dictait tous ses jugements ; ceux même qui perdaient leur cause
ne pouvaient s'empêcher de lui rendre justice. Jamais il ne
prononçait de sentence sans verser des larmes ; il se rappelait
alors le dernier jour où il paraîtrait devant le tribunal du
souverain juge, pour y répondre sur toutes les actions de sa
vie.
Sa sainteté jetait
au loin un tel éclat, que plusieurs évêques se disputaient
l'avantage de l'attacher à leurs diocèses. Ce fut ce qui priva
l'église de Rennes du trésor qu'elle possédait. Alain de Bruc,
évêque de Tréguier, qui croyait avoir des droits sur lui, le
détermina enfin à venir dans son diocèse, et le fit son
officiai. Le saint eut bientôt établi partout la réforme. S'il
était le fléau des médians, les personnes vertueuses l'aimaient
et le respectaient comme leur père. Quoiqu'il fût juge par sa
place, il ne laissait pas de s'intéresser en faveur des pauvres
dans les autres cours ; il se chargeait lui-même du soin de
plaider leurs causes. Aussi était-il surnommé l'avocat des
pauvres. Sa charité le portait encore à visiter et à
consoler ceux qui étaient détenus en prison. II employait toutes
sortes de moyens pour terminer les différends. N'ayant pu
réussir une fois à réconcilier une mère et un fils qui
plaidaient l'un contre l'autre, il pria pour eux, dit la messe à
leur intention, et obtint de Dieu qu'ils se prêtassent à un
accommodement. Son désintéressement égalait son intégrité; il
refusait ce qu'il eût pu exiger avec justice.
Quelque temps
après, il fut nommé recteur de Tresdretz, et il desservit huit
ans cette paroisse. Geoffroi de Tournemine, successeur d'Alain
de Bruc, le transféra à la paroisse de Lohanec, où il demeura
jusqu'à sa mort. Il se levait toujoursaminu.it pour réciter
Matines, et ne laissait passer aucun jour sans dire la messe. On
le voyait à l'autel pénétré de la plus grande ferveur. Dans sa
préparation, il était longtemps prosterné, afin tle mieux
considérer la bassesse de son néant, ainsi que la majesté du
Dieu auquel il allait offrir le sacrifice, et la sainteté de la
victime qui devait s'immoler par son ministère. Quand il se
relevait, ses yeux étaient ordinairement baignés de larmes, qui
continuaient de couler avec abondance pendant tout le temps
qu'il employait à célébrer les divins mystères.
Lorsqu'il accepta
le rectorat de Tresdretz, il renonça à tous les ornements de sa
première dignité, et se réduisit à ne plus porter que des habits
simples et pauvres : les jours où il ne jeûnait point et qui
étaient en petit nombre, il ne mangeait qu'un potage, ou
quelques légumes. Toujours il couchait sur la paille, et même
sur une claie. Il s'attendrissait jusqu'aux larmes quand il
parlait des choses de Dieu : aussi ses discours avaient-ils une
onction admirable. Non content d'instruire son troupeau, il
allait encore prêcher dans d'autres églises éloignées de la
sienne. Il y avait des jours où il prêchait quatre à cinq fois.
On le faisait juge de toutes les contestations qui survenaient
dans le pays ; il réunissait les cœurs divisés, et par là
prévenait un grand nombre de procès.
Le saint fit bâtir
auprès de son presbytère un hôpital où les pauvres et les
malades étaient reçus. Il leur lavait les pieds, pansait " leurs
ulcères, les servait à table, et mangeait souvent leurs restes.
Dès que la récolte était finie, il distribuait aux indigents son
blé, ou le prix qu'il l'avait vendu. On lui conseillait un jour
d'attendre quelques mois pour le vendre plus cher. « Que
sais-je, répondit-il, si je serai alors en vie ? — En attendant
ainsi, lui dit ensuite la même personne, j'ai gagné un
cinquième, — Et moi, répliqua le saint, j'ai gagné le centuple
pour n'avoir pas gardé mon blé. » Un jour qu'il n'avait qu'un
pain dans sa maison, il commanda de le donner aux pauvres. Son
vicaire lui ayant fait là-dessus des représentations, il lui en
donna la moitié. Les pauvres eurent le reste; il ne se réserva
rien pour lui-même. Il comptait sur la Providence, qui ne lui
manqua jamais dans le besoin.
Durant le
Carême de l'année 13o3, il s'aperçut que ses forces diminuaient
chaque jour; il n'en continua pas moins ses austérités ,
persuadé qu'il devait redoubler de ferveur à mesure qu'il
approchait de l'éternité. La veille de l'Ascension, il se trouva
très faible. Il prêcha néanmoins encore, et dit la messe, à
l'aide de deux personnes qui le soutenaient. Il répondit aussi à
ceux qui étaient
•venus le consulter. Enfin, il succomba, et fut obligé de se
mettre au. lit. Ayant reçu les derniers sacrements, il ne
s'entretint plus qu'avec Dieu jusqu'à son dernier soupir. Il
mourut le 19 mai 13o3, à l'âge de cinquante ans °. La plus
grande partie de ses reliques se garde à Tréguier. Charles de
Blois, duc de Bretagne, en mit une portion dans l'église de
Notre-Dame de Lambale, chef-lieu du duché de Penthièvre. Une
autre portion fut donnée à l'abbaye de Saint Sauveur, ordre de
Cîteaux. Il s'est fait encore plusieurs autres distributions des
reliques du saint...
Jean de Montfort,
duc de Bretagne, alla à Rome solliciter la canonisation du
serviteur de Dieu. Il déclara qu'il avait été guéri par son
intercession d'une maladie que les médecins avaient jugée
incurable. Les commissaires nommés en i33o par Jean XXII
constatèrent la vérité de plusieurs autres miracles.' Le B. Yves
fut canonisé en 1347 par Clément VI. Son nom se trouve dans le
Martyrologe romain au 19 de mai, et l'on fait sa fête en ce jour
dans plusieurs diocèses de Bretagne. L'université de Nantes
l'avait choisi pour patron. Il y avait à Paris une église dédiée
sous son invocation, et qui avait été bâtie aux dépens des
Bretons, en 1348.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godescard. |