LIVRE III
Nous avons traité hier de la
fontaine, qui est en apparence comme une sorte de tombeau. Nous y sommes reçus
et plongés, en croyant au Père et au Fils et au Saint-Esprit, puis nous nous
relevons, c'est-à-dire, nous ressuscitons. Tu reçois aussi le (en grec),
c'est-à-dire le chrême, sur la tête. Pourquoi sur la tête ? Parce que la tête
est le siège des sens du sage, dit Salomon. C'est que la sagesse sans la grâce
est inactive ; mais dès qu'elle a reçu la grâce, l'œuvre de la sagesse devient
parfaite. Cela s'appelle la régénération.
Qu'est-ce que la régénération ? Tu
trouves dans les Actes des apôtres que ce verset qu'on dit au Psaume : « Tu es
mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré, » semble s'appliquer à la résurrection.
En effet le saint apôtre Pierre, dans les Actes des apôtres, l'a interprété de
cette manière : quand le Fils ressuscita de la mort la voix du Père se fit
entendre alors : « Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré. » C'est pour
cela qu'il est aussi appelé le premier-né d'entre les morts. Qu'est donc la
résurrection, sinon le moment où nous nous relevons de la mort pour la vie ? Si
donc il y a aussi dans le baptême une image de la mort, sans doute, quand tu te
baignes et que tu te relèves, il y a une image de la résurrection. Ainsi donc,
suivant l'interprétation de l'apôtre Pierre, il est juste de dire que si cette
résurrection-là est une régénération, cette résurrection-ci est si une
régénération.
Mais pourquoi dis-tu que c'est dans
l'eau que tu te baignes ? C'est pour cela que tu t'égares, pour cela que le
doute te retient ? Nous lisons : « Que la terre produise d'elle-même un fruit
qui germe.» Tu as lu aussi à propos des eaux : « Que les eaux produisent des
animaux, et il est né des animaux. » Ceux-là sont nés au début de la création,
mais il t'a été réservé que les eaux te régénèrent pour la grâce comme elles ont
engendré les autres à la vie. Imite ce poisson, qui a reçu une moindre faveur.
Pourtant il doit être pour toi une merveille. Il est dans la mer et il est
au-dessus des vagues. Il est dans la mer et il nage sur les flots. La tempête
fait rage en mer, les vents violents sifflent, mais le poisson nage, il ne coule
pas, parce qu'il a l'habitude de nager. Pour toi, à ton tour, la mer, c'est ce
monde. Elle a des courants divers, de grosses vagues, des tempêtes furieuses.
Sois, toi aussi, un poisson, pour que la vague du monde ne t'engloutisse pas. Le
Père a raison de dire au Fils : « Aujourd'hui je t'ai engendré, » c'est-à-dire :
« Quand tu as racheté le peuple, quand tu l'as appelé au royaume du ciel, quand
tu as accompli ma volonté, tu as prouvé que tu es mon Fils. »
Tu es remonté de la fontaine. Que
s'est-il passé ensuite ? Tu as écouté la lecture. Le pontife a relevé ses
vêtements, car si les prêtres l'ont fait aussi, c'est cependant le grand-prêtre
qui commence ce service. Ayant relevé ses vêtements, dis-je, le grand-prêtre t'a
lavé les pieds. Qu'est-ce que ce mystère ? Tu as entendu, n'est-ce pas, que le
Seigneur, après avoir lavé les pieds aux autres disciples, arriva près de Pierre
et que Pierre lui dit : « Tu me laves les pieds ! » C'est-à-dire : « Toi, le
maître, tu laves les pieds au serviteur, toi qui es sans tache, tu me laves les
pieds ; toi qui es le créateur des cieux, tu me laves les pieds ! » Tu trouves
encore ceci ailleurs : « Il vint à Jean et Jean lui dit : C'est moi qui dois
être baptisé par toi, et c'est toi qui viens à moi ! Je suis un pécheur et tu
viens au pécheur que je suis comme pour déposer tes péchés, toi qui n'as pas
commis de péché. » Vois toute justice, vois l'humilité, vois la grâce, vois la
sainteté. « Si je ne te lave les pieds, dit-il, tu n'auras pas de part avec moi.
»
Nous n'ignorons pas que l'Église
romaine n'a pas cette coutume, bien que nous suivions en tout son exemple et son
rite. Cependant elle n'a pas cette coutume de laver les pieds. Prends donc
garde, peut-être s'en est-elle écartée à cause du grand nombre. Il y en a
pourtant qui essaient de l'excuser en disant qu'il ne faut pas faire cela au
cours du mystère, pas au baptême, pas lors de la régénération, mais qu'il faut
laver les pieds comme on le fait à un hôte. L'un relève de l'humilité, l'autre
de la sanctification. Précisément, écoute : c'est un mystère et une
sanctification : « Si je ne te lave les pieds, tu n'auras pas de part avec moi.
». Je ne dis pas cela pour critiquer les autres, mais pour justifier l'office
que je remplis. Je désire suivre en tout l'Église romaine ; mais nous sommes
pourtant doués de la raison humaine. Aussi ce qu'on observe ailleurs pour de
meilleures raisons, nous le gardons aussi pour de meilleures raisons.
C'est l'apôtre Pierre lui-même que
nous suivons, c'est à sa ferveur que nous sommes attachés. Que répond à cela
l'Église romaine ? Oui, c'est bien l'apôtre Pierre lui-même qui nous suggère
cette affirmation, lui qui fut prêtre de l'Église romaine. C'est Pierre lui-même
quand il dit : « Seigneur, non seulement les pieds, mais encore les mains et la
tête. » Vois sa foi. Le refus qu'il opposa tout d'abord vint de son humilité,
l'offre qu'il fit ensuite de lui-même vint de sa ferveur et de sa foi.
Le Seigneur lui répondit, parce
qu'il avait parlé des mains et de la tête : « Celui qui s'est lavé n'a pas
besoin de recommencer, mais de se laver seulement les pieds. » Pourquoi cela ?
Parce qu'au baptême toute faute est effacée. La faute disparaît donc ; mais Adam
reçut du diable un croc-en-jambe et du venin fut répandu sur ses pieds, et c'est
pour cela que tu te laves les pieds, pour que la sanctification vienne apporter
une plus grande protection à la place où le serpent t'a pris en traître et
qu'ainsi il ne puisse plus te faire trébucher. Tu te laves donc les pieds pour
laver le venin du serpent. C'est un profit aussi pour notre humilité que nous ne
rougissions pas de faire au cours du mystère ce que nous dédaignons en guise
d'hommage.
Après cela vient le signe spirituel
dont vous avez entendu parler aujourd'hui dans la lecture. Car après la
fontaine, il reste encore à rendre parfait, quand à l'invocation du prêtre
l'Esprit-Saint est répandu, l'Esprit de sagesse et d'intelligence, l'Esprit de
conseil et de force, l'Esprit de connaissance et de piété, l'Esprit de la sainte
crainte, qui sont comme les sept vertus de l'Esprit.
Sans doute toutes les vertus
relèvent de l'Esprit ; mais celles-ci sont comme cardinales, comme les plus
importantes. Qu'y a-t-il d'aussi important que la piété ? Qu'y a-t-il d'aussi
important que la connaissance de Dieu ? Qu'y a-t-il d'aussi important que la
force ? Qu'y a-t-il d'aussi important que le conseil de Dieu ? Qu'y a-t-il
d'aussi important que la crainte de Dieu ? De même que la crainte du monde est
une faiblesse, ainsi la crainte de Dieu est une grande force.
Telles sont les sept vertus, quand
tu reçois la consignation . Car, comme le dit le saint apôtre, elle a beaucoup
de formes, la sagesse de Notre-Seigneur, dit-il, et elle a beaucoup de formes,
la sagesse de Dieu. De même l'Esprit-Saint a beaucoup de formes, lui qui possède
toute une variété de vertus. Aussi l'appelle-t-on encore le Dieu des vertus, ce
qui peut s'appliquer au Père et au Fils et au Saint-Esprit. Mais c'est le sujet
d'une autre discussion, à une autre occasion.
Qu'est-ce qui vient après cela ? Tu
peux approcher de l'autel. Dès que tu y es arrivé, tu peux voir ce que tu ne
voyais pas avant. C'est le mystère que tu as lu dans l'évangile. Si cependant tu
ne l'as pas lu, tu l'as du moins entendu dire. Un aveugle se présenta au Sauveur
pour être guéri. Celui-ci guérissait les autres par sa parole et son discours et
rendait la lumière des yeux par son commandement. Cependant dans le livre de
l'évangile intitulé selon Jean, — celui qui plus que les autres vit de grands
mystères, les représenta et les expliqua, — il voulut préfigurer en cet homme le
mystère présent. Sans doute tous les évangélistes sont saints, tous les apôtres,
hormis le traître, sont saints. Pourtant saint Jean, qui écrivit le dernier
l'évangile, comme un familier recherché et choisi par le Christ, fit entendre
les mystères éternels avec une trompette plus puissante. Tout ce qu'il dit est
mystère. Un autre a dit qu'un aveugle a été guéri. Matthieu l'a dit, Luc l'a
dit, Marc l'a dit. Qu'est-ce que Jean est seul à dire ? « Il prit de la boue,
l'étendit sur ses yeux et lui dit : Va à Siloam1. Il se leva, s'en alla, se lava
et revint avec la vue. »
Considère, toi aussi, les yeux de
ton cœur. Tu voyais ce qui est corporel, avec les yeux de ton corps ; mais ce
qui concerne les sacrements, tu ne pouvais pas encore le voir des yeux de ton
cœur. Quand donc tu t'es fais inscrire, il a pris de la boue et te l'a étendue
sur les yeux. Qu'est-ce que cela signifie ? Que tu avais à reconnaître ton
péché, à examiner ta conscience, à faire pénitence de tes fautes, c'est-à-dire,
à reconnaître le sort de la race humaine. Car, bien que celui qui vient au
baptême ne confesse pas de péché, cependant il fait par là même la confession
de tous ses péchés, parce qu'il demande le baptême pour être justifié,
c'est-à-dire pour passer de la faute à la grâce.
Ne croyez pas que c'est inutile. Il
y en a, je sais au moins qu'il y en eut un qui répondait, quand nous lui disions
: « A ton âge tu as une plus grande obligation de te faire baptiser, » il
répondait : « Pourquoi me faire baptiser ? Je n'ai pas de péché. Est-ce que j'ai
commis un péché ? » Celui-là n'avait pas de boue, parce que le Christ ne la lui
avait pas étendue sur les yeux, c'est-à-dire qu'il ne lui avait pas ouvert les
yeux . Car personne n'est sans péché.
Il se reconnaît donc homme, celui
qui cherche refuge au baptême du Christ. Ainsi donc il t'a mis de la boue, à toi
aussi, c'est-à-dire, la crainte respectueuse, la prudence, la conscience de ta
faiblesse, et il t'a dit : « Va à Siloam. » Qu'est-ce que Siloam ? « Cela se
traduit, dit-il, par envoyé. » C'est-à-dire : « Va à la fontaine où l'on prêche
la croix du Seigneur, à cette fontaine où le Christ a racheté les erreurs de
tous. »
Tu y es allé, tu t'es lavé, tu es
venu à l'autel, tu as commencé à voir ce que tu ne voyais pas avant,
c'est-à-dire que par la fontaine et la prédication de la passion du Seigneur tes
yeux se sont ouverts. Toi qui semblais avoir le cœur aveuglé, tu t'es mis à voir
la lumière des sacrements. Nous voici donc arrivés, frères très chers, jusqu'à
l'autel, à un sujet d'entretien plus riche. A l'heure qu'il est, nous ne pouvons
pas entreprendre l'explication complète, parce que cet entretien est trop long.
Contentez-vous de ce qui a été dit aujourd'hui, et demain, s'il plaît au
Seigneur, nous vous entretiendrons des sacrements eux-mêmes.
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