DES SACREMENTS
LIVRE IV

 

 

LIVRE  IV

Dans l'Ancien Testament, les prêtres avaient coutume d'entrer souvent dans la première tente ; dans la seconde tente, le grand-prêtre entrait une seule fois par an. C'est évidemment cela que l'apôtre Paul explique au Hébreux en rappelant la suite de l'Ancien Testament. Or il y avait dans la seconde tente la manne ; il y avait aussi le bâton d'Aaron, qui s'était desséché, puis avait refleuri, et l'autel des parfums.

A quoi cela tend-il ? A vous faire comprendre ce qu'est cette seconde tente, dans laquelle le prêtre vous a introduits, celle dans laquelle le grand-prêtre a coutume d'entrer une fois par an, c'est-à-dire le baptistère, où le bâton d'Aaron a fleuri. Il était desséché, puis il a refleuri. Toi aussi tu étais desséché et tu as commencé à refleurir dans l'eau courante de la fontaine. Tu étais desséché par les péchés, tu étais desséché par les erreurs et les fautes, mais tu as déjà commencé à porter du fruit, planté que tu es près du cours des eaux.

Mais tu pourrais peut-être dire : « Qu'importé au peuple que le bâton du prêtre, qui s'était desséché, ait refleuri ? » Le peuple lui-même, qui est-il, sinon le peuple sacerdotal ? A qui a-t-il été dit : « Vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, un peuple saint, » comme le dit l'apôtre Pierre ? Chacun est oint pour le sacerdoce, oint aussi pour la royauté ; mais c'est une royauté spirituelle et un sacerdoce spirituel.

Dans la seconde tente, il y a aussi l'autel des parfums qui répand d'ordinaire une bonne odeur. Ainsi, vous aussi, vous êtes la bonne odeur du Christ, il n'y a plus en vous aucune souillure des fautes, aucune odeur de grave erreur.

Après cela, vous avez à vous approcher de l'autel. Vous avez commencé à vous avancer. Les anges ont regardé, ils vous ont vu approcher, et cette condition humaine, qui était jadis souillée par la noire ordure des péchés, ils l'ont vue soudain resplendir. Aussi ont-ils demandé : « Qui est celle-ci qui monte blanchie du désert ? » Les anges sont donc dans l'admiration. Veux-tu savoir à quel point ils admirent ? Écoute donc l'apôtre Pierre dire qu'on nous a donné ce que les anges désirent voir. Écoute encore : « Ce que l'œil n'a pas vu, dit-il, ni l'oreille entendu, c'est ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment. »

Rends-toi compte alors de ce que tu as reçu. Le saint prophète David a vu cette grâce en figure et il l'a désirée. Veux-tu savoir combien il l'a désirée ? Écoute-le dire de nouveau : « Asperge-moi avec de l'hysope et je serai purifié. Tu me laveras, et je deviendrai plus blanc que neige. » Pourquoi ? Parce que la neige, bien qu'elle soit blanche, est vite noircie par quelque ordure et se souille ; la grâce que tu as reçue, pourvu que tu gardes ce que tu as reçu, a une durée sans fin.

Tu venais donc à l'autel, plein de désirs, pour avoir vu une telle grâce; tu venais à l'autel, plein de désirs, pour recevoir les sacrements célestes. Que ton âme dise : Je m'approcherai de l'autel de mon Dieu, de Dieu qui réjouit ma jeunesse. » Tu as déposé la vieillesse des péchés, tu as revêtu la jeunesse de la grâce. C'est ce que t'ont donné les sacrements célestes. Écoute encore David dire : « Ta jeunesse se renouvellera comme celle de l'aigle. » Tu es devenu un bon aigle qui s'élance vers le ciel et méprise ce qui est terrestre. Les bons aigles entourent l'autel : « Là, en effet, où est le corps, là aussi sont les aigles . » L'autel représente le corps, et le corps du Christ est sur l'autel. Vous êtes des aigles, rajeunis par l'effacement de la faute.

Tu t'es approché de l'autel, tu as fixé tes regards sur les sacrements placés sur l'autel, et tu t'es étonné devant cette créature elle-même, qui n'est pourtant qu'une créature commune et familière.

Quelqu'un aura peut-être dit : « Dieu a fait une si grande faveur aux Juifs, il leur a fait pleuvoir la manne du ciel. Qu'a-t-il donné de plus à ceux à qui il a promis davantage ? »

Écoute ce que je dis : les mystères des chrétiens sont plus anciens que ceux des Juifs et les sacrements des chrétiens sont plus divins que ceux des Juifs. Com ment ? Écoute. Quand les Juifs ont-ils commencé à exister ? Depuis Juda, naturellement, le petit-fils d'Abraham, ou, si tu veux le comprendre ainsi, depuis la Loi, au moment où les Juifs ont mérité de la recevoir. C'est donc à cause du petit-fils d'Abraham qu'on les a appelés Juifs au temps du saint Moïse. Et si Dieu fit alors pleuvoir la manne du ciel pour les Juifs qui murmuraient, pour toi d'autre part la figure de ces sacrements est venue plus tôt, au temps d'Abraham. Quand il rassembla trois cent dix-huit serviteurs, s'en alla à la poursuite de ses ennemis, arrachant son neveu de captivité, et revint alors victorieux, le grand-prêtre Melchisédech vint à sa rencontre et offrit le pain et le vin. Qui avait le pain et le vin ? Ce n'est pas Abraham. Mais qui les avait ? Melchisédech. C'est donc lui qui est l'auteur des sacrements. Qui est Melchisédech, qui signifie roi de justice, roi de paix ? Qui est ce roi de justice ? Est-ce qu'un homme peut être roi de justice ? Qui est donc roi de justice, sinon la justice de Dieu ? Qui est la paix de Dieu, la sagesse de Dieu ? Celui qui a pu dire : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix. »

Comprends donc tout d'abord que ces sacrements que tu reçois sont plus anciens que les sacrements de Moïse, que les Juifs prétendent avoir, et que le peuple chrétien a commencé avant que commence le peuple juif. Mais nous, c'est par la prédestination, ce peuple-là par le nom.

Melchisédech offrit donc le pain et le vin. Qui est Melchisédech ? « Sans père, dit-on, et sans mère, sans généalogie, n'ayant ni commencement à ses jours ni fin à sa vie. » C'est ce que contient l'épître aux Hébreux. Sans père, ni mère, dit-on, semblable à qui ? au Fils de Dieu. Le Fils de Dieu est né sans mère par la génération céleste, parce qu'il est né de Dieu le Père seul. Et, d'autre part, il est né sans père quand il est né de la Vierge, car il n'a pas été engendré par une semence virile, mais il est né de l'Esprit-Saint et de la Vierge Marie, sorti d'un sein virginal. Semblable en tout au Fils de Dieu, Melchisédech était aussi prêtre, car le Christ à son tour est prêtre, lui à qui il est dit : « Tu es prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisédech. »

Qui est donc l'auteur des sacrements, sinon le Seigneur Jésus ? C'est du ciel que sont venus ces sacrements, car le dessein en est tout entier du ciel. C'est cependant un grand miracle divin que Dieu ait fait pleuvoir la manne du ciel pour le peuple et que le peuple mangeait sans travailler.

Tu dis peut-être : « C'est mon pain ordinaire. » Mais ce pain est du pain avant les paroles sacramentelles ; dès que survient la consécration, le pain se change en la chair du Christ. Prouvons donc ceci. Comment ce qui est du pain peut-il être le corps du Christ ? Par quels mots se fait donc la consécration et de qui sont ces paroles ? Du Seigneur Jésus. En effet tout le reste qu'on dit avant est dit par le prêtre : on offre à Dieu des louanges, on prie pour le peuple, pour les rois, pour tous les autres. Dès qu'on en vient à produire le vénérable sacrement, le prêtre ne se sert plus de ses propres paroles, mais il se sert des paroles du Christ. C'est donc la parole du Christ qui produit ce sacrement.

Quelle parole du Christ ? Eh bien, c'est celle par laquelle tout a été fait. Le Seigneur a ordonné, le ciel a été fait. Le Seigneur a ordonné, la terre a été faite. Le Seigneur a ordonné, les mers ont été faites. Le Seigneur a ordonné, toutes les créatures ont été engendrées. Tu vois comme elle est efficace la parole du Christ. Si donc il y a dans la parole du Seigneur Jésus une si grande force que ce qui n'était pas commençait à être, combien est-elle plus efficace pour faire que ce qui était existe et soit changé en autre chose. Il n'y avait pas de ciel, il n'y avait pas de mer, il n'y avait pas de terre ; mais écoute David qui dit : « Il dit, et ce fut fait, il ordonna, et ce fut créé.»

Donc, pour te répondre, avant la consécration ce n'était pas le corps du Christ ; mais après la consécration, je te dis que c'est désormais le corps du Christ. Il a dit et ce fut fait, il a ordonné et ce fut créé. Tu existais toi-même, mais tu étais une vieille créature ; après que tu as été consacré, tu as commencé à être une nouvelle créature. Tu veux savoir combien elle est nouvelle cette créature ? « Quiconque est dans le Christ, dit-on, est une nouvelle créature. »

Écoute donc comment la parole du Christ a coutume de changer toutes les créatures et change, quand il le veut, les lois de la nature. Tu demandes comment ? Écoute, et en tout premier lieu prenons l'exemple de sa naissance. D'ordinaire un homme n'est engendré que par un homme et une femme et à la suite de relations conjugales. Mais parce que le Seigneur l'a voulu, parce qu'il a choisi ce mystère, c'est de l'Esprit-Saint et de la Vierge qu'est né le Christ, le médiateur entre Dieu et les hommes, l'homme Jésus-Christ. Tu vois donc que contrairement aux lois et à l'ordre de la nature un homme est né d'une vierge.

Écoute un autre exemple. Le peuple juif était pressé par les Égyptiens, il était coupé par la mer. Sur l'ordre de Dieu Moïse toucha les eaux de son bâton et le flot s'ouvrit, non certes suivant son habitude naturelle, mais suivant la grâce d'un ordre du ciel. Écoute un autre exemple. Le peuple avait soif, il arriva à une fontaine. La fontaine était amère. Le saint Moïse mit du bois dans la fontaine, et elle devint douce cette fontaine qui était amère, c'est-à-dire qu'elle changea son habitude naturelle, qu'elle reçut la douceur de la grâce. Écoute un quatrième exemple. Un fer de cognée était tombé à l'eau et, comme c'était du fer, il coula suivant son habitude. Élisée mit le bois (dans l'eau) et aussitôt le fer remonta et revint à la surface des eaux, évidemment contre l'habitude du fer, car c'est une matière plus lourde que l'élément qu'est l'eau.

Cela ne te fait-il pas comprendre tout ce que produit la parole céleste ? Si elle a agi dans une fontaine terrestre, si la parole du ciel a agi dans les autres choses, n'agit-elle pas dans les sacrements célestes ? Tu sais donc que le pain se change au corps du Christ et qu'on met du vin et de l'eau dans le calice, mais que la consécration opérée par la parole céleste en fait du sang.

Mais peut-être dis-tu : « Je ne vois pas l'apparence du sang. » Mais c'en est le symbole. De même, en effet, que tu as pris le symbole de la mort, ainsi tu bois aussi le symbole du sang, pour qu'il n'y ait aucun dégoût provoqué par le sang qui coule et que cependant le prix de la rédemption produise son effet. Tu sais donc que ce que tu reçois, c'est le corps du Christ.

Tu veux être convaincu que l'on consacre au moyen de paroles célestes ? Voici quelles sont ces paroles : « Accorde-nous, dit le prêtre, que cette offrande soit approuvée, spirituelle, agréable, parce qu'elle est la figure du corps et du sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui la veille de sa passion, prit du pain dans ses mains saintes, leva les yeux au ciel, vers toi, Père saint, Dieu tout-puissant et éternel, le bénit en rendant grâces, le rompit et le donna rompu à ses apôtres et à ses disciples en disant : « Prenez et mangez tous de ceci, car ceci est mon corps qui sera rompu pour vous. » Faites attention. « De la même manière, il prit aussi le calice après la cène, la veille de sa passion, leva les yeux au ciel, vers toi, Père saint, Dieu tout-puissant et éternel, le bénit en rendant grâces et le donna à ses apôtres et à ses disciples en disant : « Prenez et buvez tous de ceci, car ceci est mon sang. » Remarque que ce sont toutes paroles de l'évangéliste jusqu'à « prenez le corps ou le sang » ; mais à partir de là, ce sont des paroles du Christ : « Prenez et buvez tous de ceci, car ceci est mon sang. » Et remarque chaque détail.

La veille, dit-on, de sa passion, il prit du pain dans ses mains saintes. Avant qu'on le consacre, c'est du pain ; mais dès que surviennent les paroles du Christ, c'est le corps du Christ. Écoute-le dire alors : « Prenez et mangez tous de ceci, car ceci est mon corps. » Et avant les paroles du Christ, le calice est rempli de vin et d'eau ; mais dès que les paroles du Christ ont agi, cela devient le sang qui a racheté le peuple. Voyez donc de quelles manières la parole du Christ est capable de transformer tout. Puis le Seigneur Jésus lui-même nous affirme que nous recevons son corps et son sang. Est-ce que nous devons douter de l'autorité de son témoignage ?

Reviens maintenant avec moi au sujet que j'ai en vue. C'est une grande chose sans doute et digne de respect que la manne soit tombée du ciel comme une pluie pour les Juifs. Mais réfléchis : qu'est-ce qui est plus grand, la manne du ciel ou le corps du Christ ? Assurément c'est le corps du Christ, qui est l'auteur du ciel. Puis, celui qui a mangé la manne est mort ; celui qui aura mangé ce corps obtiendra la rémission de ses péchés et il ne mourra jamais.

Ce n'est donc pas sans raison que tu dis : « Amen, » reconnaissant dans ton esprit que tu reçois. le corps du Christ. Quand tu te présentes, le prêtre te dit en effet : « Le corps du Christ. » Et tu réponds : « Amen, » c'est-à-dire : « C'est vrai. » Ce que la langue confesse, que la conviction le garde.

Cependant, pour que tu saches que c'est un sacrement, sa figure l'a précédé. Apprends ensuite quelle est la grandeur de ce sacrement. Remarque ce qu'il dit : « Chaque fois que vous ferez ceci, vous ferez mémoire de moi jusqu'à ce que je revienne. » Et le prêtre dit : « Nous rappelant donc sa très glorieuse passion, sa résurrection des enfers et son ascension au ciel, nous t'offrons cette hostie sans tache, cette hostie spirituelle, cette hostie non sanglante, ce pain sacré et le calice de la vie éternelle , et nous te demandons et te prions d'accepter cette oblation par les mains de tes anges sur ton autel d'en-haut, comme tu as daigné accepter les dons de ton serviteur le juste Abel, le sacrifice de notre père Abraham et celui que t'a offert le grand-prêtre Melchisédech. »

Chaque fois donc que tu le reçois, que te dit l'apôtre ? « Chaque fois que nous le recevons, nous annonçons la mort du Seigneur. » Si nous annonçons la mort du Seigneur, nous annonçons la rémission des péchés. Si, chaque fois que son sang est répandu, il est répandu pour la rémission des péchés, je dois toujours le recevoir, pour que toujours il remette mes péchés. Moi qui pèche toujours, je dois avoir toujours un remède.  Jusqu'à présent et aujourd'hui encore, nous vous avons donné les éclaircissements que nous pouvions ; mais demain, samedi et dimanche, nous parlerons de l'ordre de la prière, comme nous le pouvons. Que le Seigneur notre Dieu vous garde la grâce qu'il vous a donnée et qu'il daigne éclairer plus complètement les yeux qu'il a ouverts, par son Fils unique, roi et sauveur, le Seigneur notre Dieu, par qui et avec qui il possède louange, honneur, gloire, majesté, puissance, avec l'Esprit-Saint, depuis toujours, maintenant et à jamais dans tous les siècles des siècles.

    

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