DISCOURS SUR LES PSAUMES

PSAUMES   I  à  V

DISCOURS SUR LE PSAUME I

L’homme céleste et l’homme terrestre. — Le premier est Jésus Christ, le second est Adam pécheur. — Jésus-Christ ayant évité les piéges dans lesquels Adam trouva la mort, aura dans l’Église une postérité que formeront les saints. — Adam pécheur sera le père des impies.

1. « Bienheureux l’homme qui ne s’est point laissé aller au conseil des impies » (Ps. I, 1) Cette bénédiction doit s’appliquer à Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est l’homme divin (Rt. XIX). « Bienheureux l’homme qui ne s’est point laissé aller au conseil des impies », comme l’Adam terrestre, qui écouta sa femme séduite par le serpent, et méprisa le précepte du Seigneur (Gn. III, 6). « Et qui ne s’est pas arrêté dans la voie des pécheurs ». A la vérité, Jésus-Christ est venu dans la voie du péché, puisqu’il est né comme les pécheurs, mais il ne s’y est pas arrêté, car il ne s’est pas épris des attraits du monde. « Et ne s’est point assis dans la chaire de pestilence ». Car il ne voulut point avoir sur la terre un trône fastueux, et voilà ce qui est justement appelé trône pestilentiel; de même en effet que l’amour de la domination, que l’appétit de la vaine gloire se glisse dans presque toute âme humaine ; de même la peste est cette maladie qui se répand au loin, attaquant tous les hommes ou à peu près. Une chaire de pestilence se dirait mieux néanmoins d’une doctrine perverse, dont l’enseignement est envahissant comme la gangrène (II Tm. II, 17). Voyons ensuite la gradation de ces termes : « S’en aller, s’arrêter, s’asseoir ». L’homme s’en est allé, quand il s’est retiré de Dieu ; il s’est arrêté, quand il a pris plaisir au péché ; il s’est assis, quand affermi dans son orgueil, il n’a pu retourner sans avoir pour libérateur celui qui ne s’est point laissé aller au conseil de l’impie, ne s’est point arrêté dans la voie des pécheurs, ni assis dans la chaire de pestilence.

2. « Mais qui s’est complu dans la loi du Seigneur, et qui méditera cette loi jour et nuit » (Ps I, 2). La loi n’est pas établie pour le juste (I Tm. I, 9), a dit l’Apôtre. Mais être dans la loi n’est pas être sous la loi. Être dans la loi, c’est l’accomplir; être sous la loi, c’est en recevoir l’impulsion. Dans le premier cas, c’est la liberté, dans le second, c’est l’esclavage. Autre encore est la loi écrite qui s’impose à l’esclave, et autre la loi que lit, dans son cœur,. celui qui n’a pas besoin de loi écrite. « Méditer la loi jour et nuit », signifie la méditer continuellement, ou bien « le jour » s’entendra de la joie, et « la nuit », de la tribulation ; car il est dit : « Abraham vit mon jour et il en tressaillit de joie » (Jn., VIII, 56) ; et à propos de la tribulation, le Psalmiste a dit : « Bien avant dans la nuit, mon cœur a été dans l’angoisse » (Ps. XV, 7).

3. « Il sera comme l’arbre planté près du courant des eaux », c’est-à-dire près de la Sagesse elle-même, qui a daigné s’unir à l’homme pour notre salut, afin que l’homme fût un arbre planté près du courant des eaux ; car c’est ainsi qu’on peut entendre cette autre parole du Psalmiste : « Le fleuve de Dieu est rempli d’eau » (Ps. LXIV, 10). On peut encore entendre par les eaux, l’Esprit-Saint, dont il est dit : « C’est lui qui vous baptisera dans l’Esprit-Saint » (Mt. III, 11) ; et cette autre : « Qu’il vienne, celui qui a soif, et qu’il boive » (Jn., VII, 37) ; et encore « Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te demande à boire, tu lui en aurais u demandé toi-même, et il t’aurait donné cette eau vive qui étanche pour jamais la soif de celui qui en a bu ; et qui devient en lui une source d’eau jaillissante jusqu’à la vie éternelle » (Id. IV, 10-14). Ou bien, « près du courant des eaux » signifiera près des péchés des peuples; dans l’Apocalypse, en effet, les eaux désignent les peuples (Ap. XVII, 15), et le courant se dirait de la chute qui est le propre du péché. Cet arbre donc, c’est Notre-Seigneur, qui prend les eaux courantes, ou les peuples pécheurs, et se les assimile par les racines de son enseignement ; il « donnera du fruit », c’est-à-dire établira des églises, « en son temps », quand il aura été glorifié en ressuscitant et en montant au ciel. Ayant alors envoyé l’Esprit-Saint aux Apôtres, qu’il confirma dans la confiance en lui-même, et dispersa parmi les peuples, il recueillit pour fruits les églises. « Et son feuillage ne tombera point », car sa parole ne sera point inutile : « Toute chair, en effet ; n’est qu’une herbe, toute beauté de l’homme est comme la fleur des champs ; l’herbe s’est fanée, la fleur est tombée, mais la parole de Dieu demeure éternellement » (Is. XI, 6-8). « Et tout ce qu’il établira, sera dans la prospérité », c’est-à-dire tout ce que portera cet arbre ; car cette généralité embrasse les fruits et les feuilles, ou les actes et les paroles.

4. « Il n’en est pas ainsi de l’impie, vaine poussière que le vent soulève de la surface de la terre » (Ps. I, 4). Terre se dit ici de la permanence qui est le propre de Dieu, et dont il est écrit : « Le Seigneur est la part de mon héritage, et cet héritage m’est glorieux » (Id. XV, 7). Et ailleurs : « Attends le Seigneur, garde ses voies, et il t’élèvera jusqu’à te mettre en possession de la terre » (Id. XXXVI, 34) ; et encore : « Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre » (Mt. V, 4). Voici, en effet, le point de comparaison : c’est que la terre invisible sera pour l’homme intérieur ce qu’est pour l’homme extérieur cette terre visible qui lui donne l’aliment et l’espace. C’est de la surface de cette terre invisible que le vent ou l’orgueil qui enfle (I Cor. VIII, 1), chassera l’impie. Mais celui qui s’enivre de l’abondance qui règne en la maison de Dieu, qui s’abreuve au torrent de ses voluptés, se prémunit contre l’orgueil et dit : « Loin de moi le pied de l’orgueilleux » (Ps. XXXV, 9, 12). De cette terre encore l’orgueil a banni celui qui disait : « Je placerai mon trône vers l’Aquilon, je serai semblable au Très-Haut » (Is. XIV, 13, 14). Enfin, de cette terre l’orgueil a expulsé celui qui osa goûter du fruit défendu, afin de devenir semblable à Dieu, et voulut se dérober à la présence du Seigneur (Gn. III, 6-8). Voici des paroles de l’Écriture qui nous font bien comprendre que cette terre est l’apanage de l’homme intérieur, et que l’orgueil en a expulsé l’homme du péché : « De quoi t’enorgueillir, cendre et poussière ? pendant ta vie, tu as rejeté loin de toi ton intérieur » (Ec. X, 9, 10) » ; d’où l’on peut dire avec raison que s’il est rejeté, c’est par lui-même.

5. « Aussi, l’impie ne doit-il point ressusciter pour le jugement » (Ps. I, 5), puisqu’il est balayé de la terre comme une vaine poussière. C’est avec justice que le Psalmiste dit ici que l’orgueilleux sera frustré de ce qu’il ambitionne, ou du pouvoir de juger : aussi nous fait-il mieux comprendre cette parole dans la phrase suivante : « Ni le pécheur dans l’assemblée des justes ». Il est d’ordinaire, dans l’Écriture, que la seconde partie du verset explique la première, en sorte que « par l’impie » on doit entendre le pécheur, et par « le jugement », l’assemblée des justes. Ou du moins, s’il y a entre l’impie et le pécheur cette différence que tout impie soit pécheur, quoique tout pécheur ne soit pas toujours impie, « l’impie ne ressuscitera point pour le jugement », c’est-à-dire qu’il ressuscitera, sans aucun doute, mais non pour être jugé, car il est déjà condamné à des peines indubitables. « Mais le pécheur ne se relèvera point dans l’assemblée des justes », ou pour juger, mais bien pour être jugé, comme il est dit de lui : « Le feu doit éprouver l’œuvre de chacun : celui dont l’ouvrage pourra résister, en recevra la récompense; celui dont l’ouvrage sera consumé en subira la peine ; lui cependant sera sauvé, mais comme par le feu » (I Cor. III, 13-15).

6. « Le Seigneur, en effet, connaît la voie des justes » (Ps. I, 6). Comme on dit : « La médecine connaît la guérison, mais non la maladie », et toutefois la maladie elle-même est connue par l’art médical; on peut dire dans le même sens que Dieu connaît la race des justes, et non la race des impies ; non pas que Dieu ignore quelque chose, bien qu’il dise aux pécheurs : « Je ne vous connais-point » (Mt. VII, 23). « Mais la voie de l’impie doit périr », se dit dans le même sens que si on lisait : Le Seigneur ne connaît point la voie de l’impie. Mais nous voyons clairement par là que celui qui est ignoré de Dieu doit mourir, comme celui qui en est connu doit subsister. En Dieu, être connu, c’est être; être ignoré, c’est n’être pas. Il a dit en effet : « Je suis celui qui suis », et « Celui qui est, m’a envoyé » (Ex. III, 14).

DISCOURS SUR LE PSAUME II

L’ÉGLISE ET SES PERSÉCUTEURS.

Les méchants veulent secouer le joug de Dieu et de son Christ ; mais il a établi, ce Christ chef de sou royaume ou de l’Église qui s’étendra partout. Comprenez cette puissance, et faites-vous de la foi un abri contre ses vengeances.

1. « A quoi bon ce frémissement des nations, et ces vaines machinations des peuples ? Les rois de la terre se sont levés, les princes ont formé des ligues contre le Seigneur et contre son Christ » (Ps. II, 1-2). Le psalmiste dit : « A quoi bon », comme il dirait : C’est en vain ; car ces ligueurs n’ont pas atteint le but qu’ils se proposaient, l’extinction du Christ : c’est la prédiction des persécuteurs de Jésus dont il est fait mention dans les Actes des Apôtres (Ac. IV, 26).

2. « Brisons leurs liens, et rejetons leur joug loin de nous » (Ps. II, 3). Bien que ces paroles soient susceptibles d’un autre sens, il est mieux de les appliquer à ceux dont le Prophète a dit qu’ils machinaient en vain ; en sorte que « brisons leurs chaînes, et rejetons leur joug loin de nous », signifie : appliquons-nous à éluder les devoirs et à rejeter le fardeau de la religion chrétienne.

3. « Celui qui habite dans les cieux se rira d’eux, le Seigneur les persiflera » (Ibid. 4). La même pensée est deux fois exprimée : car au lieu de : « Celui qui habite dans les cieux », le Psalmiste a dit : « Le Seigneur » ; et « se rira », est remplacé par « persiflera ». Gardons-nous toutefois d’entendre ces expressions d’une manière humaine, comme si Dieu plissait des lèvres pour rire, et des narines pour se moquer. Il faut entendre par là, le pouvoir qu’il donne à ses élus de lire dans l’avenir, d’y voir le nom du Christ se transmettant jusqu’aux derniers humains, s’emparant de tous les peuples, et de comprendre ainsi combien sont vaines les trames des méchants. Ce pouvoir qui leur découvre cet avenir, c’est la moquerie et le persiflage de Dieu. « Celui qui habite les cieux se rira d’eux ». Si, par les cieux, nous comprenons les âmes saintes, c’est en elles que le Seigneur connaissant ce qui doit arriver, se rit des vains complots et tourne en dérision.

4. « Alors il leur parlera dans sa colère, et les confondra dans sa fureur » (Ps. II, 5). Pour nous mieux préciser l’effet de cette parole, David a dit : « Il les confondra » ; en sorte que « la colère » de Dieu est identique « à sa fureur ». Mais cette colère et cette fureur du Seigneur Dieu, ne doit pas s’entendre d’une perturbation de l’âme ; c’est le cri puissant de la justice dans toute créature, soumise à Dieu pour le servir. Car il faut bien nous rappeler et croire ce qu’a écrit Salomon : « Pour toi, ô Dieu de force, tu es calme dans tes jugements, et tu nous gouvernes avec une sorte de respect » (Sg. XII, 18). En Dieu donc, la colère est ce mouvement qui se produit dans une âme connaissant la loi de Dieu, quand elle voit cette même loi violée par le pécheur ; elle est cette indignation des âmes justes qui flétrit par avance bien des crimes. Cette colère de Dieu pourrait fort bien se dire encore des ténèbres de l’esprit qui envahissent tout infracteur de la loi de Dieu.

5. « Moi, je suis établi par lui, pour régner en Sion, sur la montagne sainte, pour prêcher sa loi » (Ps. II, 6). Ces paroles s’appliquent évidemment à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Si, pour nous, comme pour beaucoup d’autres, Sion veut dire contemplation, nous ne pouvons mieux l’entendre que de l’Église, dont l’âme s’élève chaque jour pour contempler en Dieu ses splendeurs, selon ce mot de l’Apôtre : « Nous verrons à découvert la gloire du Seigneur » (II Co. III, 18) ; voici donc le sens : « Moi, je suis établi par lui pour régner sur la sainte Église », appelée ici montagne à cause de sa hauteur et de sa solidité. « C’est moi qu’il a établi roi » : moi, dont les impies cherchaient à briser les chaînes et à secouer le joug. « Pour prêcher sa loi » : qui ne comprendrait cette expression, en voyant la pratique de chaque jour ?

6. « Le Seigneur m’a dit : Tu es-mon Fils ; je t’ai engendré aujourd’hui » (Ps. II, 7). Dans ce jour, on pourrait voir la prophétie du jour où Jésus-Christ naquit en sa chair. Néanmoins comme « aujourd’hui » indique l’instant actuel, et que dans l’éternité, il n’y a ni un passé qui ait cessé d’être, ni un futur qui ne soit pas encore, mais seulement un présent; car tout ce qui est éternel est toujours cette expression : « Aujourd’hui, je t’ai engendré », s’entendra dans le sens divin, selon lequel la foi éclairée et catholique professe la génération ininterrompue de la puissance et de la sagesse de Dieu, qui est son Fils unique.

7. « Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage » (Ibid. 8). Ceci n’est plus éternel, et s’adresse au Verbe fait homme, qui s’est offert en sacrifice, à la place de tous les sacrifices, « qui intercède encore pour nous » (Rm. VIII, 34) ; en sorte que c’est à Jésus-Christ, dans l’économie temporelle de l’Incarnation opérée pour le genre humain, qu’est- adressée cette parole : « Demande-moi » : oui, demande que tous les peuples soient unis sous le nom chrétien, afin qu’ils soient rachetés de la mort, et deviennent la possession de Dieu. « Je te donnerai les nations en héritage », afin que tu les possèdes pour leur salut, et qu’elles te produisent des fruits spirituels. « Et ta possession s’étendra jusqu’aux confins de la terre ». C’est la même pensée répétée. « Les confins de la terre » sont mis ici pour les nations, mais dans un sens plus clair, afin que nous comprenions toutes les nations : le Psalmiste a dit « possession » au lieu de « héritage ».

8. « Tu les gouverneras avec un sceptre de fer », dans l’inflexible justice. « Tu les briseras comme un vase d’argile » (Ps. II, 9), c’est-à-dire tu briseras en eux les passions terrestres, les immondes soucis du vieil homme, et tout ce qu’il a puisé, pour se l’inculquer, dans la fange du péché. « Et maintenant, ô rois, comprenez » (Ibid. 10). « Maintenant », c’est-à-dire, quand vous aurez une vie nouvelle, ayant brisé cette enveloppe de boue, ces vases charnels de l’erreur, qui sont l’apanage de la vie passée, oui, « alors comprenez, vous qui êtes rois », puisque vous pouvez d’une part diriger tout ce qu’il y a chez vous de servile et d’animal, et d’autre part combattre, non comme frappant l’air, mais châtiant vos corps et les réduisant en servitude (I Co., IX, 26, 27). « Instruisez-vous, vous tous qui jugez la terre ». C’est une répétition. « Instruisez-vous » est mis pour « comprenez » ; et, « vous qui jugez la terre », pour « vous qui êtes rois ». Le Prophète veut dire que l’homme spirituel doit juger la terre ; car ce que nous jugerons nous est inférieur ; et tout ce qui est inférieur à l’homme spirituel, peut bien s’appeler terre, puisqu’il est meurtri par la chute terrestre.

9. « Servez le Seigneur avec crainte » (Ps., II, 11) » ; parole qui prévient l’orgueil que nous donnerait cette autre : « O rois qui jugez la terre ». « Et tressaillez en lui avec tremblement ». « Tressaillez », est fort bien ici pour corriger ce qu’aurait de pénible : « Servez. le Seigneur avec crainte ». Mais afin que celte jubilation n’aille point jusqu’à la témérité, le Prophète ajoute : « avec tremblement » : ce qui nous invite à garder avec soin et vigilance le principe de la sanctification. « Et maintenant comprenez, ô rois », peut encore. s’entendre ainsi : Et maintenant que je suis constitué roi, ne vous en affligez point, ô rois de la terre, comme d’un empiétement sur vos privilèges ; mais plutôt instruisez-vous et comprenez qu’il vous est avantageux de vivre sous la tutelle de celui qui vous donne l’intelligence et l’instruction. L’avantage qui vous en reviendra, sera de ne point régner à l’aventure, mais de servir avec tremblement le Seigneur de tous, de vous réjouir dans l’attente d’une félicité sans mélange, vous tenant en garde et dans la circonspection contre l’orgueil qui vous en ferait déchoir.

10. « Emparez-vous de la doctrine, de peur qu’un jour le Seigneur n’entre en colère, et que vous ne perdiez la voie de la justice » (Ps. II, 2). C’est ce qu’a déjà dit le Prophète : « Instruisez-vous et comprenez » ; car s’instruire et comprendre, c’est s’emparer d’une doctrine. Cependant l’expression : « apprehendite, emparez-vous », désigne assez clairement un certain abri, un rempart contre tout ce qui pourrait arriver, si l’on apportait moins de soin à s’emparer. « De peur qu’un jour le Seigneur ne s’irrite », renferme un certain doute, non point dans la vision du prophète, qui en a la certitude, mais dans l’esprit de ceux qu’il avertit ; car ceux qui n’ont point une révélation claire de la colère n’y pensent d’ordinaire qu’avec doute. Ceux-là donc doivent se dire : « Emparons-nous de la doctrine, de peur que le Seigneur ne s’irrite, et que nous ne perdions la voie de la justice ». Déjà nous avons exposé plus haut comment « s’irrite le Seigneur » (Sup. n. 4). « Et que vous perdiez la voie de la justice ». C’est là un grand châtiment, que redoutent ceux qui ont déjà goûté les douceurs de la justice. Celui qui perd la voie de la justice, doit errer misérablement dans les voies de l’iniquité.

11. « Quand bientôt s’enflammera sa colère, bienheureux ceux qui auront mis en lui leur confiance » (Ps. II, 13). C’est-à-dire, quand éclatera cette vengeance qui est préparée aux pécheurs et aux impies, non-seulement elle épargnera ceux qui auront mis leur confiance dans le Seigneur, mais elle servira à leur établir, à leur élever un trône bien haut. Le Prophète ne dit pas : « Quand bientôt s’enflammera sa colère, ceux qui se confient en lui seront en sûreté » ; comme s’ils devaient seulement échapper à la vengeance : mais il les appelle « bienheureux », ce qui exprime la somme, le comble de tous les biens. Quant à l’expression : « In brevi, bientôt », elle signifie, je crois, quelque chose de soudain, pour les pécheurs, qui ne l’attendront que dans un lointain avenir.

DISCOURS SUR LE PSAUME III

DAVID EN FACE D’ABSALON, OU JÉSUS EN FACE DE JUDAS.

PSAUME DE DAVID QUAND IL FUYAIT DEVANT LA FACE DE SON FILS ABSALON.

L’Église triomphe de ses persécuteurs, et l’âme chrétienne de ses passions.

1. Ces paroles du psaume : « Je me suis endormi, j’ai pris mon sommeil ; puis je me suis éveillé, parce que le Seigneur est mon protecteur » ( Ps. III, 6), nous font croire qu’il faut l’appliquer à la personne du Christ ; car elles conviennent beaucoup mieux à la passion et à la résurrection du Seigneur, qu’à ce fait que nous raconte l’histoire, que David s’enfuit devant la face de son fils révolté contre lui (II Rois, XV, 17). Et comme il est écrit des disciples du Christ : « Tant que l’époux est avec eux, les fils de l’époux ne jeûnent point » (Mt. IX, 15) ; il n’est pas étonnant qu’un fils impie soit la figure de ce disciple impie qui trahit son maître. Au point de vue historique, on pourrait dire, il est vrai, que le Christ a fui devant lui, alors qu’il se retira sur la montagne avec les autres, quand le disciple se séparait de lui ; mais au sens spirituel, quand le Fils de Dieu, la force et la sagesse de Dieu, se retira de l’âme de Judas, le démon l’envahit aussitôt, ainsi qu’il est écrit : « Le diable entra dans son cœur » (Jn., XIII, 2) ; on peut dire alors que le Christ s’enfuit de Judas; non pas que le Christ ait cédé devant le diable, mais bien qu’après la sortie du Christ, le diable prit possession. Cet abandon de la part de Jésus, est appelé une fuite par le Prophète, selon moi, parce qu’il se fit promptement. C’est encore ce que nous indique cette parole du Seigneur : « Fais promptement ce que tu fais » (Ibid. 27). Il nous arrive aussi de dire en langage ordinaire : Cela me fuit ou m’échappe, quand quelque chose ne revient point à notre pensée, et l’on dit d’un homme très-savant que rien ne lui échappe. Ainsi la vérité échappait à l’âme de Judas quand elle cessa de l’éclairer. Absalon, d’après plusieurs interprètes, signifie, en langue latine, Paix de son père. Il paraît sans doute étonnant que, soit Absalon qui, selon l’histoire des rois, fit la guerre à son père, soit Judas, que l’histoire du Nouveau Testament nous désigne comme le traître qui livra le Seigneur, puisse être appelé Paix de son père. Mais un lecteur attentif voit que dans cette guerre, il y avait paix dans le cœur de David, pour ce fils dont il pleura si amèrement le trépas, en s’écriant : « Absalon, mon fils, qui me donnera de mourir pour toi ? » (II Rois, XVIII, 33) Et quand le récit du Nouveau Testament nous montre cette grande, cette admirable patience du Seigneur, qui tolère Judas comme s’il était bon ; qui n’ignore point ses pensées, et néanmoins l’admet à ce festin où il recommande et donne à ses disciples son corps et son sang sous des figures ; qui, dans l’acte même de la trahison, l’accueille par un baiser, on voit aisément que le Christ ne montrait que la paix au traître, alors que le cœur de celui-ci était en proie à de si criminelles pensées. Absalon est donc appelé Paix de son père, parce que son père avait pour lui des sentiments de paix, dont ce criminel était loin.

2. « Seigneur, combien sont nombreux ceux qui me persécutent ! » (Ps. III, 2) Si nombreux, que même parmi mes disciples, il s’en trouve pour grossir la foule de mes ennemis : « Combien se soulèvent contre moi ; combien de voix crient à mon âme : Point de salut pour toi en ton Dieu ! » (Ibid. 3) Il est évident que s’ils croyaient à sa résurrection ils ne le mettraient point à mort. De là viennent ces provocations : « S’il est Fils de Dieu, qu’il descende de la croix » ; et : « Il a sauvé les autres, et ne peut se sauver » (Mt. XXVII, 42). Judas lui-même ne l’aurait donc point livré s’il n’eût été du nombre de ceux qui disaient au Christ avec mépris : « Point de salut pour lui, en son Dieu ».

3. « Mais toi, ô Dieu, tu es mon protecteur » (Ps., III, 4). C’est dans son humanité que Jésus parle ainsi à son Père ; car pour protéger l’homme, le Verbe s’est fait chair. « Vous êtes ma gloire ». Il appelle Dieu sa gloire, cet homme auquel s’est uni le Verbe de Dieu, de manière à le faire Dieu avec lui. Belle leçon aux superbes, qui ferment, l’oreille quand on leur dit : « Qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? et si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier, comme si vous n’aviez point reçu ? » (I Co., IV, 7) “C’est vous, Seigneur, qui relevez ma tête ». La tête, selon moi, se dit ici de l’esprit humain, qui est bien la tête de notre âme ; et cette âme s’est tellement unie, et en quelque sorte mélangée par l’Incarnation, à la sublime grandeur du Verbe, que les opprobres de la passion ne l’ont point fait déchoir.

4. « De ma voix j’ai crié vers le Seigneur » (Ps. III, 5) : non pas de cette voix corporelle, qui devient sonore par la répercussion de l’air; mais de cette voix du cœur, que l’homme n’entend point, mais qui s’élève à Dieu comme un cri ; de cette voix de Susanne (Dan. XIII, 44) qui fut exaucée, et avec laquelle Dieu nous a recommandé de prier, dans nos chambres closes, ou plutôt sans bruit, et dans le secret des cœurs (Mt. VI, 6). Et que l’on ne dise point qu’il y a moins de supplication dans cette voix, quand notre bouche ne laisse entendre aucune parole sensible : puisque dans la prière silencieuse de notre cœur, une pensée étrangère au sentiment de nos supplications nous empêche de dire : « Ma voix s’est élevée jusqu’au Seigneur ». Cette parole n’est vraie en nous que quand l’âme, s’éloignant, dans l’oraison, et de la chair, et de toute vue terrestre, parle seule à seul au Seigneur qui l’entend. Elle prend le nom de cri, à cause de la rapidité de son élan. « Et il m’a exaucé du haut de sa montagne sainte ». Un autre prophète appelle montagne le Seigneur lui-même, quand il écrit qu’une pierre détachée sans la main d’un homme, s’éleva comme une grande montagne (Dan., II, 35). Mais cela ne peut s’entendre de sa personne même, à moins de faire dire au Christ : Le Seigneur m’a exaucé, « de moi-même » comme de sa montagne sainte, car il habite en moi comme en sa hauteur. Mais il est mieux et plus court d’entendre que le Seigneur l’a exaucé du haut de sa justice. Car il devait à sa justice de ressusciter l’innocent mis à mort, à qui l’on a rendu le mal pour le bien, et de châtier ses persécuteurs. Nous lisons en effet que « la justice de Dieu est élevée comme les montagnes » (Ps. XXXV, 7).

5. « Pour moi, je me suis endormi, j’ai pris mon sommeil » (Ps. III, 6). Il n’est pas inutile de remarquer cette expression, « pour moi », qui montre que c’est par sa volonté qu’il a subi la mort, selon cette parole : « C’est pour cela que mon Père m’aime, parce que je donne ma vie, afin que je la reprenne de nouveau. Nul ne me l’ôte : j’ai le pouvoir de la donner, comme j’ai le pouvoir de la reprendre » (Jn., X, 17, 18). Ce n’est donc pas vous, dit-il, qui m’avez saisi malgré moi, et qui m’avez tué : mais « moi, j’ai dormi, j’ai pris mon sommeil, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur me protège ». Mille fois dans l’Écriture le sommeil se dit pour la mort ; ainsi l’Apôtre a dit : « Je ne veux rien vous laisser ignorer, mes frères, au sujet de ceux qui dorment » (I Thess. IV, 12). Ne demandons point pourquoi le Prophète ajoute : « J’ai pris mon sommeil », après avoir dit : « J’ai dormi ». Ces répétitions sont d’usage dans les Écritures, comme nous en avons montré beaucoup dans le psaume second. Dans d’autres exemplaires, on lit : « J’ai dormi, j’ai goûté un profond sommeil », et autrement encore en d’autres comme ils ont pu comprendre ces mots du grec, ego de ekoimeten kai uposa. Peut-être l’assoupissement désignerait-il le mourant, et le sommeil celui qui est mort, puisque l’on passe de l’assoupissement au sommeil, comme de la somnolence à la veille complète. Gardons-nous de ne voir dans ces répétitions des livres saints que de futiles ornements du discours. « Je me suis assoupi, j’ai dormi profondément », se dit très-bien pour : Je me suis abandonné aux douleurs que la mort a couronnées. « Je me suis éveillé, parce que le Seigneur me soutiendra (Ps. III, 6). Remarquons ici que dans le même verset, le verbe est au passé, puis au futur. Car « j’ai dormi » est du passé ; et « soutiendra » est au futur ; comme si le Christ ne pouvait en effet ressusciter que par le secours du Seigneur. Mais dans les prophéties, le futur se met pour le passé, avec la même signification. Ce qui est annoncé pour l’avenir est au futur selon le temps, mais dans la science du Prophète, c’est un fait accompli. On trouve aussi des expressions au présent, et qui seront expliquées à mesure qu’elles se présenteront.

6. « Je ne craindrai pas cette innombrable populace qui m’environne » (Ps. III, 7). L’Évangile a parlé de cette foule qui environnait Jésus souffrant sur la croix (Mt. XXVII, 39). « Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu » (Ps. III, 7). Cette expression, « lève-toi », ne s’adresse pas à un Dieu qui sommeille, ou qui se repose ; mais il est d’ordinaire, dans les saintes Écritures, d’attribuer à la personne de Dieu ce qu’il fait en nous : non point toujours, sans doute, mais quand cela se peut dire convenablement, comme on dit que c’est Dieu qui parle, quand un prophète ou un apôtre, ou quelque messager de la vérité, a reçu de lui le don de parler. Delà ce mot de saint Paul : « Voulez-vous éprouver la puissance du Christ qui parle par ma bouche ? » Il ne dit pas : De celui qui m’éclaire, ou qui m’ordonne de parler ; mais il attribue sa parole même à celui qui l’a chargé de l’annoncer.

7. « Parce que c’est toi qui as frappé tous ceux qui s’élevaient contre moi sans motif » (II Cor. XIII, 3). N’arrangeons point les paroles, de manière à ne former qu’un même verset : « Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu, voilà que tu as frappé tous ceux qui s’élevaient contre moi sans motif ». Si le Seigneur l’a sauvé, ce n’est point parce qu’il a frappé ses ennemis, il ne les a frappés au contraire qu’après l’avoir sauvé. Ces paroles appartiennent donc à ce qui suit, de manière à former ce sens : « Voilà que tu as frappé ceux qui s’élevaient contre moi sans motif, tu as brisé les dents des pécheurs » (Ps. III, 9) » : c’est-à-dire, c’est en brisant les dents des pécheurs, que tu as frappé mes adversaires. C’est en effet le châtiment des adversaires qui a brisé leurs dents, ou plutôt anéanti et comme réduit en poussière les paroles des pécheurs qui déchiraient le Fils de Dieu par leurs malédictions : ces dents seraient alors des malédictions, dans le même sens que l’Apôtre a dit : « Si vous vous mordez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous détruisiez les uns les autres » (Ga. V, 15). Ces dents des pécheurs peuvent se dire encore des princes des pécheurs, qui usent de leur autorité pour retrancher quelque membre de la société des bons et l’incorporer avec les méchants. A ces dents sont opposées les dents de l’Église, qui s’efforce d’arracher à l’erreur des païens et des dogmes hérétiques, les vrais croyants, et de se les unir, à elle qui est le corps du Christ. C’est encore avec ces dents qu’il fut recommandé à Pierre de manger des animaux mis à mort (Ac. X, 13), c’est- à-dire de faire mourir chez les Gentils ce qu’ils étaient, pour les transformer en ce qu’il était lui-même. Enfin, ces mêmes dents ont fait dire à l’Église : « Tes dents sont comme un troupeau de brebis qui montent du lavoir ; nulle qui ne porte un double fruit, ou qui demeure stérile » (Cant. IV, 2 ; VI, 5). Belle image de ceux qui instruisent, et qui vivent selon les préceptes qu’ils donnent; qui accomplissent cette recommandation : « Que vos oeuvres brillent aux yeux des hommes, afin qu’ils bénissent votre Père qui est dans les cieux » (Mt. V, 16). Cédant à l’autorité de ces prédicateurs, les hommes croient au Dieu qui parle et qui agit en eux, se séparent du siècle selon lequel ils vivaient, pour devenir membres de l’Église. Des prédicateurs qui obtiennent de semblables résultats, se nomment avec raison des dents semblables aux brebis que l’on vient de tondre, parce qu’ils ont déposé le fardeau des terrestres soucis, qu’ils montent du lavoir, ou du bain du sacrement de baptême, qui les a purifiés de toute souillure, et qu’ils engendrent un double fruit. Ils accomplissent en effet les deux préceptes dont il est dit : « Ces deux préceptes renferment la loi et les Prophètes » (Ibid. XII, 40) » ; car ils aiment Dieu de tout leur cœur, de toute leur âme, de tout leur esprit, et le prochain comme eux-mêmes. Nul chez eux n’est stérile puisqu’ils fructifient ainsi pour Dieu. En ce sens donc nous devons entendre : « Tu as brisé les dents des pécheurs », puisque tu as anéanti les princes des pécheurs en frappant ceux qui gratuitement s’élevaient contre moi. Le récit de l’Évangile nous montre en effet que les princes persécutaient Jésus, et que la multitude le traitait avec honneur.

8. « Le salut vient du Seigneur; et que tes bénédictions, ô Dieu, se répandent sur ton peuple » (Ps. III, 9). Dans le même verset, le Prophète enseigne aux hommes ce qu’ils doivent croire, et il prie pour ceux qui croient. Car cette partie : « Le salut vient du Seigneur », s’adresse aux hommes ; mais l’autre partie n’est pas : « Et que sa bénédiction se repose sur son peuple », ce qui serait entièrement pour les hommes. Le Prophète s’adresse à Dieu en faveur du peuple à qui il a dit : « Le salut vient du Seigneur ». Qu’est-ce à dire ? sinon : Que nul ne se confie en soi-même, parce que c’est à Dieu seul de nous délivrer de la mort du péché. « Malheureux homme que je suis », dit en effet l’Apôtre, « qui me délivrera de ce corps de mort ? la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur » (Rm. VII, 24, 25). Mais toi, Seigneur, bénis ton peuple qui attend de toi son salut.

9. On pourrait, dans un autre sens, appliquer ce psaume à la personne du Christ, qui parlerait dans sa totalité. Je dis totalité, à cause du corps dont il est le chef, selon cette parole de l’Apôtre : « Vous êtes le corps et les membres du Christ » (I Cor. XII, 27). Il est donc le chef de cette corporation. Aussi est-il dit ailleurs : « Faisant la vérité dans ta charité, croissons de toute manière en Jésus notre chef, par qui tout le corps est joint et uni » (Ep. IV, 15, 16). C’est donc l’Église avec son chef, qui, jetée dans les tourmentes des persécutions, sur toute la terre, comme nous l’avons déjà vu, s’écrie par la bouche du Prophète ; « Combien sont nombreux, Seigneur, ceux qui me persécutent, combien s’élèvent contre moi » (Ps. III, 2), pour exterminer le nom chrétien ! « Beaucoup disent à mon âme : Point de salut pour toi dans ton Dieu’ (Ibid. 3). Car ils ne concevraient point l’espoir de perdre l’Église qui s’accroît partout, s’ils ne croyaient que Dieu n’en prend aucun souci. « Mais toi, Seigneur, tu me soutiendras » (Ibid. 4) par Jésus-Christ. C’est en son humanité que l’Église a trouvé l’appui du Verbe, « qui s’est fait chair pour habiter parmi nous » (Jn., I, 14), et qui nous a fait asseoir dans les cieux avec lui (Ep. II, 6). Car où va le chef, les membres doivent aller aussi. « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? » (Rm. VIII, 35) L’Église a donc raison de dire à Dieu : « Tu es mon appui, ma gloire ». Loin de s’attribuer son excellence, elle comprend qu’elle la doit à la grâce et à la miséricorde de Dieu. « Toi qui élèves ma tête », ou celui qui s’est levé le premier d’entre les morts pour monter aux cieux. « Ma voix s’est élevée jusqu’au Seigneur, et il m’a exaucé du haut de sa montagne sainte » (Ps. III, 5). Telle est la prière des saints, parfum suave qui s’élève en présence du Seigneur. L’Église est exaucée du haut de cette montagne sainte qui est son chef, ou des hauteurs de cette justice qui délivre les élus et châtie les persécuteurs. Le peuple de Dieu peut dire aussi : « Moi, j’ai sommeillé, je me suis endormi, et je me suis levé, parce que le Seigneur me protégera » (Ibid. 6), afin de l’unir intimement à son chef. C’est à ce peuple qu’il est dit encore : « Lève-toi de ton sommeil : sors d’entre les morts, et tu seras éclairé par le Christ » (Ep. V, 14). Ce peuple est tiré du milieu des pécheurs enveloppés dans cette sentence : « Ceux qui dorment, dorment dans les ténèbres » (I Thess. V, 7). Qu’il dise encore : « Je ne redoute point cette populace innombrable qui m’environne » (Ps. III, 7), ces nations infidèles qui me serrent de près, pour étouffer, si elles pouvaient, le nom chrétien. Pourquoi les craindre, quand le sang des martyrs est comme une huile qui attise le feu de l’amour du Christ ? « Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu » (Ibid.). Telle est la prière du corps à son chef. Le corps fut sauvé, quand ce chef se leva pour monter aux cieux, emmenant captive la captivité, et distribuant ses dons aux hommes (Ps. LXVIII, 19). Le Prophète voyait par avance toutes les terres, où la moisson mûre, dont il est question, dans l’Évangile (Mt. IX, 37), a fait descendre le Seigneur ; et cette moisson trouve son salut dans la résurrection de Celui qui a daigné mourir pour nous. « Tu as frappé ceux qui se déclaraient mes ennemis sans sujet, tu as brisé les dents des pécheurs » (Ps. III, 8). Le triomphe de l’Église a couvert de confusion les ennemis du nom chrétien, et anéanti leurs malédictions comme leur puissance. Croyez donc bien, enfants des hommes, que « le salut vient du Seigneur », et « toi, ô mon Dieu, que ta bénédiction se répande sur ton peuple » (Ps. III, 9).

10. Quand les vices et les passions sans nombre nous assujettissent au péché malgré nos efforts, chacun de nous peut dire : « Seigneur, combien sont nombreux ceux qui me persécutent, combien s’élèvent contre moi ! » (Ps. III, 2) Et comme bien souvent l’accumulation des maladies fait désespérer de la guérison, notre âme se trouvant en butte à l’arrogance du vice, aux suggestions du diable et de ses anges, et arrivant au désespoir, peut dire en toute vérité : « Combien me disent : Point de salut pour toi en ton Dieu. Mais toi, Seigneur, tu es mon soutien » (Ibid. 3, 4). Car notre espérance est dans le Christ qui a daigné prendre la nature humaine. « Tu es ma gloire », d’après cette règle qui nous défend de nous rien attribuer. « C’est toi qui élèves ma tête », ou celui qui est notre chef à tous, ou même notre esprit, qui est la tête pour l’âme et pour le corps. Car « l’homme est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l’homme » (I Cor. XI, 3). Mais l’esprit s’élève, quand nous pouvons dire : « Je suis soumis par l’esprit à la loi de Dieu (Rm. VII, 5), en sorte que tout dans l’homme soit soumis et apaisé, quand la résurrection de la chair absorbera la mort dans son triomphe (I Cor. XV, 54). « Ma voix s’est élevée jusqu’au Seigneur » : cette voix intime et puissante. « Et il m’a exaucé du haut de la montagne sainte », ou par celui qu’il envoie à notre aide, et dont la médiation lui fait exaucer nos prières. « Moi, j’ai sommeillé, je me suis endormi; et je me suis levé, parce que le Seigneur sera mon appui » (I Cor. XV, 54). Quelle âme fidèle ne peut tenir ce langage, en voyant que ses péchés ont disparu, par sa régénération gratuite ? « Je ne craindrai point ce peuple nombreux qui m’environne » (Ps. III, 5). En dehors, des épreuves que l’Église a dû subir et subit encore, chacun a ses tentations ; et quand il se sent entravé, qu’il s’écrie : « Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu » ; c’est-à-dire, fais-moi triompher. « Tu as frappé tous ceux qui s’élevaient contre moi sans sujet » (Ibid. 7).Cette prophétie s’applique à Satan et à ses anges, qui luttent, non-seulement contre tout le corps mystique de Jésus-Christ, mais contre chacun des membres. « Tu as brisé les dents des pécheurs ». Chacun de nous a ses ennemis qui le maudissent ; il a en outre les fauteurs du mal qui cherchent à nous retrancher du corps de Jésus-Christ. « Mais le salut appartient au Seigneur ». Évitons l’orgueil et disons : « Mon âme s’est attachée à ta suite » (Ps. LXII, 3), et « que ta bénédiction soit sur ton peuple » (Ps. III, 9), ou sur chacun de nous.

DISCOURS SUR LE PSAUME IV

LE VRAI BONHEUR

POUR LA FIN, PSAUME CANTIQUE DE DAVID (Ps. IV, 1).

Le Prophète nous montre dans ce cantique l’âme qui s’élève au-dessus des biens terrestres et périssables pour trouver en Dieu le repos et le bonheur.

1. « Le Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront en lui » (Rm. X, 4) ; mais cette fin a le sens de perfectionnement et non de destruction. On peut se demander si tout cantique est un psaume, ou plutôt si tout psaume ne serait pas un cantique ; s’il y a des cantiques auxquels ne conviendrait pas le nom de psaume, et des psaumes que l’on ne pourrait appeler cantiques. Mais il est bon de voir dans les Écritures, si le titre de cantique n’indiquerait pas la joie ; et le nom de psaumes indiquerait des chants exécutés sur le psaltérion, dont se servit David, au rapport de l’histoire (I Par. XIII, 8), pour figurer un grand mystère, que nous n’approfondirons pas ici ; cela exige de longues recherches, et une longue discussion. Écoutons aujourd’hui la parole de l’Homme-Dieu, après sa résurrection, ou du disciple de l’Église qui croit et qui espère en lui.

2. « Quand je priais, le Dieu de ma justice m’a exaucé » (Ps. IV, 2). Ma prière, dit-il, a été exaucée par Dieu, auteur de ma justice. « Dans les tribulations, vous avez dilaté mon cœur (Ibid.), vous m’avez fait passer des étreintes de la douleur aux dilatations de la joie ; car la tribulation et l’étreinte sont le partage de l’âme, chez tout homme qui fait le mal » (Rm. II, 9). Mais celui qui dit : « Nous nous réjouissons dans les afflictions, sachant que l’affliction produit la patience » ; jusqu’à ces paroles : « Parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné » (Rm. V, 3-5) : celui-là n’endure point les étreintes du cœur, quoi que fassent pour les lui causer ses persécuteurs du dehors. Le verbe est à la troisième personne, quand le Prophète s’écrie : « Dieu m’a exaucé », et à la seconde, quand il dit : « Vous avez dilaté mon cœur » ; si ce changement n’a point pour but la variété ou l’agrément du discours, on peut s’étonner qu’il ait voulu d’abord proclamer devant les hommes qu’il a été exaucé, puis interpeller son bienfaiteur. Sans doute qu’après avoir dit qu’il a été exaucé dans la dilatation de son cœur, il a préféré s’entretenir avec Dieu, afin de nous montrer par là que dans cette dilatation du cœur, Dieu lui-même se répand dans notre âme qui s’entretient avec lui intérieurement. Ceci s’applique très-bien au fidèle qui croit en Jésus-Christ, et en reçoit la lumière ; mais je ne vois point comment nous pourrions l’entendre de Notre-Seigneur, puisque la divine sagesse unie à son humanité, ne l’a point abandonné un instant. Toutefois, de même que dans la prière il faisait ressortir notre faiblesse plutôt que la sienne ; de même aussi, dans cette dilatation du cœur, Notre-Seigneur peut parler au nom des fidèles, dont il s’attribue le rôle quand il dit : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas nourri ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez point donné à boire » (Mt. XXV, 35), et le reste. De même encore Notre-Seigneur peut dire : « Vous avez dilaté mon cœur », en parlant au nom de quelque humble fidèle, qui s’entretient avec Dieu dont il ressent en son âme l’amour répandu par l’Esprit-Saint qui a été donné. « ayez pitié de moi, écoutez mes supplications » (Ps. IV, 2). Pourquoi cette nouvelle prière, lorsque déjà il s’est dit exaucé et dilaté ? Serait-ce à cause de nous dont il est dit : « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience ? » (Rm. VIII, 25) ou bien demanderait-il à Dieu de perfectionner ce qui est commencé chez celui qui a cru ?

3. « Enfants des hommes, jusques à quand vos cœurs seront-ils appesantis ? » (Ps. IV, 3) Du moins, si vos égarements ont duré jusqu’à l’avènement du Fils de Dieu, pourquoi prolonger au delà cette torpeur de vos âmes ? Quand cesserez-vous de vous tromper, sinon en présence de la vérité ? « A quoi bon vous éprendre des vanités, et rechercher le mensonge ? » (Ibid.) Pourquoi demander à des choses sans prix, un bonheur que peut seule vous donner la vérité, qui donne à tout le reste la consistance ? « Car vanité des vanités, tout est vanité. Qu’a de plus l’homme de tout le labeur dans lequel il se consume sous le soleil ? » (Eccl. I, 2,4) Pourquoi vous laisser absorber par l’amour des biens périssables ? Pourquoi rechercher comme excellents des biens sans valeur ? C’est là une vanité, un mensonge ; car vous prétendez donner la durée auprès de vous à ce qui doit passer comme une ombre.

4. « Et sachez que le Seigneur a glorifié son saint » (Ps. IV, 4). Quel saint, sinon celui qu’il a ressuscité d’entre les morts, et qu’il a fait asseoir à sa droite dans les cieux ? Le Prophète excite ici les hommes à se détacher du monde pour s’attacher à Dieu. Si cette liaison « et sachez » paraît étrange, il est facile de remarquer dans les Écritures, que cette manière de parler est familière à la langue des Prophètes. Vous les voyez souvent commencer ainsi : « Et le Seigneur lui dit, et la parole du Seigneur se fit entendre à lui » (Ez., I, 3). Cette liaison que ne précède aucune pensée, et qui ne peut y rattacher la pensée suivante, nous montrerait la transition merveilleuse entre l’émission de la vérité par la bouche du Prophète, et la vision qui a lieu dans son âme. Ici néanmoins, on pourrait dire que la première pensée : « Pourquoi aimer la vanité et rechercher le mensonge ? » signifie: gardez-vous d’aimer la vanité, et de courir après le mensonge ; après viendrait fort bien cette parole : « Et sachez que le Seigneur a glorifié son Saint ». Mais un Diapsalma, qui sépare ces deux versets, nous empêche de les rattacher l’un à l’autre. On peut, avec les uns, prendre ce Diapsalma, pour un mot hébreu qui signifie : Ainsi soit-il ! ou avec d’autres, pour un mot grec désignant un intervalle dans la psalmodie ; en sorte qu’on appellerait Psalma le chant qui s’exécute, Diapsalma un silence dans le chant, et que Sympsalma, indiquant l’union des voix, pour exécuter une symphonie, Diapsalma en marquerait la désunion, un repos, une discontinuation. Quel que soit le sens que l’on adopte, il en résulte du moins cette probabilité, qu’après un Diapsalma le sens est interrompu et ne se rattache point à ce qui précède.

5. « Le Seigneur m’exaucera quand je crierai vers lui » (Ps. IV, 4). Cette parole me paraît une exhortation à demander le secours de Dieu, dans toute la force de notre cœur, ou plutôt avec un gémissement intérieur et sans bruit. Comme c’est un devoir de remercier Dieu du don de la lumière en cette vie, c’en est un aussi, de lui demander le repos après la mort. Que nous mettions ces paroles dans la bouche du prédicateur fidèle, ou de notre Seigneur, elles signifient : « Le Seigneur vous exaucera quand vous l’invoquerez ».

6. « Mettez-vous en colère, mais ne péchez point » (Ps. IV, 5). On pouvait se demander : Qui est digne d’être exaucé, ou comment ne serait-il pas inutile pour le pécheur de s’adresser à Dieu ? Le Prophète répond donc : « Entrez en colère, mais ne péchez point ». Réponse qui peut s’entendre en deux manières ; ou bien : « Même dans votre colère, ne péchez point », c’est-à-dire, quand s’élèverait en vous ce mouvement de l’âme que, par un châtiment du péché, nous ne pouvons dominer, que du moins il soit désavoué par cette raison, par cette âme que Dieu a régénérée intérieurement, afin que du moins nous fussions soumis à la loi de Dieu par l’esprit, si par la chair nous obéissons encore à la loi du péché (Rm. VII, 25). Ou bien : Faites pénitence, entrez en colère contre vous-mêmes, à cause de vos désordres passés, et ne péchez plus à l’avenir. « Ce que vous dites, dans vos cœurs », suppléez : « dites-le », de manière que la pensée complète soit celle-ci : Dites bien de cœur ce que vous dites, et ne soyez pas un peuple dont il est écrit : « Ce peuple m’honore des lèvres, et les cœurs sont loin de moi » (Is. XXIX, 13). « Soyez contrits dans le secret de vos demeures » (Ps. IV, 5). Le Prophète avait dit dans le même sens : « Dans vos cœurs », c’est-à-dire dans ces endroits secrets où le Seigneur nous avertit de prier après en avoir fermé les portes (Mt. VI, 6). Ce conseil : « Soyez contrits », ou bien recommande cette douleur de la pénitence qui porte l’âme à s’affliger, à se châtier elle-même, pour échapper à cette sentence de Dieu qui la condamnerait aux tourments, ou bien c’est un stimulant qui nous tient dans l’éveil, afin que nous jouissions de la lumière du Christ. Au lieu de : « Repentez-vous », d’autres préfèrent : « Ouvrez-vous », à cause de cette expression du psautier grec : katanugete, qui a rapport à cette dilatation du cœur nécessaire à la diffusion de la charité par l’Esprit-Saint.

7. « Offrez un sacrifice de justice, et espérez au Seigneur » (Ps. IV, 6). Le Psalmiste a dit ailleurs : « Le sacrifice agréable à Dieu est un cœur contrit » (Id. L, 19). Alors un sacrifice de justice peut bien s’entendre de celui qu’offre une âme pénitente. Quoi de plus juste que de s’irriter plutôt contre ses propres fautes que contre celles des autres, et de s’immoler à Dieu en se châtiant ? Ou bien, par sacrifice de justice faudrait-il entendre les bonnes oeuvres faites après la pénitence ? Car le « Diapsalma » placé ici pourrait fort bien nous indiquer la transition de la vie passée à une vie nouvelle ; en sorte que le vieil homme étant détruit ou du moins affaibli par la pénitence, l’homme devenu nouveau par la régénération, offre à Dieu un sacrifice de justice, quand l’âme purifiée s’offre et s’immole sur l’autel de la foi, pour être consumée par le feu divin ou par le Saint-Esprit. En sorte que : « Offrez un sacrifice de justice et espérez dans le Seigneur », reviendrait à dire : Vivez saintement, attendez le don de l’Esprit-Saint, afin que vous soyez éclairés par cette vérité à laquelle vous avez cru.

8. Néanmoins « espérez dans le Seigneur » est encore obscur. Qu’espérons-nous, sinon des biens ? Mais chacun veut obtenir de Dieu le bien qu’il préfère, et l’on trouve rarement un homme pour aimer les biens invisibles, ces biens de l’homme intérieur, seuls dignes de notre attachement, puisqu’on ne doit user des autres que par nécessité, et non pour y mettre sa joie. Aussi le Prophète, après avoir dit : « Espérez dans le Seigneur », ajoute avec beaucoup de raison : « Beaucoup disent : Qui nous montre des biens ? » (Ps. IV, 6) discours et question que nous trouvons journellement dans la bouche des insensés et des méchants qui veulent jouir ici-bas d’une paix, d’une tranquillité que la malignité des hommes les empêche d’y trouver. Dans leur aveuglement, ils osent accuser l’ordre providentiel, et se roulant dans leurs propres forfaits, ils pensent que les temps actuels sont pires que ceux d’autrefois. Ou bien aux promesses que Dieu nous fait de la vie future, ils opposent le doute et le désespoir, et nous répètent sans cesse Qui sait si tout cela est vrai, ou qui est revenu d’entre les morts pour nous en parler ? Le Prophète expose donc admirablement et en peu de mots, mais seulement aux yeux de la foi, les biens que nous devons chercher. Quant à ceux qui demandent : « Qui nous montrera la félicité ? » il répond : « La lumière de votre face est empreinte sur nous, ô Dieu » (Ibid. 7). Cette lumière qui brille à l’esprit et non aux yeux, est tout le bien réel de l’homme. Selon le Prophète, « nous en portons l’empreinte », comme le denier porte l’image du prince. Car l’homme à sa création reflétait l’image et la ressemblance de Dieu (Gn. I, 26), image que défigura le péché : le bien véritable et solide pour lui est donc d’être marqué de nouveau par la régénération. Tel est, je crois, le sens que de sages interprètes ont donné à ce que dit le Sauveur, en voyant la monnaie de César : « Rendez à César ce qui est de César, et à Dieu ce qui est de Dieu » (Mt. XXII, 21), comme s’il eût dit : Il en est de Dieu comme de César, qui exige que son image soit empreinte sur la monnaie ; si vous rendez cette monnaie au prince, rendez à Dieu votre âme marquée à la lumière de sa face. « Vous avez mis la joie dans mon cœur ». Ce n’est donc point à l’extérieur que doivent chercher la joie, ces hommes lents de cœur, aimant la joie et recherchant le mensonge, mais à l’intérieur, où Dieu a gravé le signe de sa lumière. Car l’Apôtre l’a dit : « Le Christ habite chez l’homme intérieur » (Ep. III, 17), auquel il appartient de voir cette vérité dont le Sauveur a dit : « La vérité, c’est moi » (Jn., XIV, 6). Il parlait par la bouche de saint Paul, qui disait : « Voulez-vous éprouver le pouvoir de Jésus-Christ qui parle en moi ? » (II Cor. XIII, 3) et son langage n’était point extérieur, mais dans l’intimité du cœur, dans ce lieu secret où nous devons prier (Mt. VI, 6).

9. Mais les hommes, en grand nombre, épris des biens temporels, incapables de voir dans leurs cœurs les biens réels et solides, n’ont su que demander : « Qui nous montrera les biens ? » C’est donc avec justesse qu’on peut leur appliquer le verset suivant « Ils se sont multipliés à la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile » (Ps. IV, 8). Et s’il est dit « leur froment », ce n’est pas sans raison ; car il y a aussi un froment de Dieu, « qui est le pain vivant descendu du ciel » (Jn., VI, 51). Il y a un vin de Dieu, puisqu’ils « seront enivrés dans l’abondance de sa maison » (Ps. XXXV, 9). Il y a aussi une huile de Dieu, dont il est dit « Votre huile a parfumé ma tête » (Ibid. XXII, 5). Ces hommes nombreux, qui disent : « Qui nous montrera les biens ? » et ne voient pas le royaume de Dieu qui est en eux-mêmes (Luc, XVII, 22), « se sont donc multipliés par la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile ». Se multiplier, en effet, ne se dit pas toujours de l’abondance, mais quelquefois de la pénurie, alors qu’une âme enflammée pour les voluptés temporelles d’un désir insatiable, devient la proie de pensées inquiètes qui la partagent, et l’empêchent de comprendre le vrai bien qui est simple. C’est d’une âme en cet état qu’il est dit : « Le corps qui se corrompt appesantit l’âme, et cette habitation terrestre accable l’esprit d’une foule de pensées » (Sg. IX, 15). Partagée par cette foule innombrable de fantômes que lui causent les biens terrestres, s’approchant d’elle sans relâche pour s’en éloigner, ou la récolte de son froment, de son vin et de son huile, elle est loin d’accomplir ce précepte : « Aimez Dieu dans sa bonté, et recherchez-le dans la simplicité de l’âme » (Id. I, 1). Cette simplicité est incompatible avec ses occupations multiples. Mais, à l’encontre de ces hommes nombreux qui se jettent sur l’appât des biens temporels, et qui disent : « Qui nous montrera les biens » que l’on ne voit point des yeux, mais qu’il faut chercher dans la simplicité du cœur ? l’homme fidèle dit avec transport : « C’est en paix que je m’endormirai dans le Seigneur et que je prendrai mon repos » (Ps. IV, 9). Il a droit d’espérer en effet que son cœur deviendra étranger aux choses périssables, qu’il oubliera les misères de ce monde, ce que le Prophète appelle justement un sommeil et un repos, et ce qui est la figure de cette paix que nul trouble n’interrompt. Mais un tel bien n’est point de cette vie, nous devons l’attendre seulement après la mort, comme nous l’enseignent encore les paroles du Prophète qui sont au futur, car il n’est pas dit : J’ai pris mon sommeil, mon repos ; non plus que : Je m’endors, je me repose; mais bien : « Je dormirai, je prendrai mon repos. Alors ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, ce corps mortel sera revêtu d’immortalité, et la mort elle-même sera absorbée dans la victoire » (I Cor. XV, 54). De là ce mot de l’Apôtre : « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience » (Rm. VIII, 25).

10. Aussi le Prophète a-t-il eu raison d’ajouter : « Parce que c’est vous, Seigneur, qui m’avez singulièrement affermi, d’une manière unique, dans l’espérance » (Ps. IX, 10). Il ne dit point ici : qui m’affermirez, mais bien : « Qui m’avez affermi ». Celui-là donc qui a conçu une telle espérance jouira certainement de ce qu’il espère. L’adverbe « singulièrement », est plein de sens, car on peut l’opposer à cette foule qui se multiplie, par la récolte de son froment, de son vin et de son huile, e-t qui s’écrie : « Qui nous montrera les biens ? » Cette multitude périra, mais l’unité subsistera dans les saints, dont il est dit dans les Actes des Apôtres : « La multitude de ceux qui « croyaient n’avait qu’un cœur et qu’une âme » (Ac. IX, 32). Il nous faut donc embrasser la singularité, la simplicité, c’est-à-dire nous soustraire à cette foule sans nombre de choses terrestres qui naissent pour mourir bientôt, et nous attacher à ce qui est un et éternel, si nous voulons adhérer au seul Dieu, notre Seigneur.

DISCOURS SUR LE PSAUME V

L’ÉGLISE DANS SON EXIL OU L’ÂME FIDÈLE.

L’âme fidèle demande à Dieu d’être exaucée et de le voir. Elle comprend que les frivolités du monde la jettent dans la nuit. Mais après cette vie viendra la lueur du matin, qui sera le partage du juste, quand l’impie se plongera dans les ténèbres.

1. Ce psaume est intitulé : « Pour celle qui a reçu l’héritage » (Ps. V, 1). Ainsi est désignée l’Eglise à qui Notre-Seigneur Jésus-Christ a donné en héritage la vie éternelle, afin qu’elle possédât Dieu et le bonheur en s’attachant à lui, selon cette parole : « Bienheureux les doux, parce qu’ils auront la terre en héritage » (Mt. V, 4). Quelle autre terre que celle dont il est dit : « Vous êtes mon espérance, et mon partage sur la terre des vivants ? » (Ps. CXLI, 6) et plus clairement « Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice ? » (Id. XV, 5) A son tour l’Eglise est appelée l’héritage du Seigneur, d’après cette parole / « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage » (Id. II, 8). Ainsi, Dieu est appelé notre héritage, parce qu’il nous donne la nourriture et l’espace; et nous sommes l’héritage de Dieu qui nous cultive et nous gouverne. Ce psaume est donc le chant de l’Eglise appelée à l’héritage, afin de devenir die-même l’héritage de Dieu.

2. « Seigneur, écoutez mes paroles » (Id. V, 2). Appelée par Dieu, l’Eglise invoque son secours afin de traverser l’iniquité du siècle, et d’arriver à lui : « Comprenez mes cris » (Ibid.). Cette expression nous montre quel est ce cri, qui de l’intérieur le plus secret de notre coeur, s’élève jusqu’à Dieu ; puisque l’on entend une voix corporelle, tandis que l’on comprend celle du coeur. Il est vrai que Dieu ne nous entend point d’une oreille charnel1e, mais parla présence de sa majesté.

3. « Soyez attentif à la voix de mes supplications » (Id 3.) ; cette voix qu’il demandait au Seigneur de comprendre et dont il nous exposait la nature, en disant : « Comprenez mes cris. Ecoutez donc la voix de mes supplications, ô mon roi, et mon Dieu » (Ibid.). A la vérité le Fils est Dieu, le Père est Dieu, et le Père et le Fils sont un seul Dieu ; et si l’on nous demande ce qu’est le Saint-Esprit, nous n’avons d’autre réponse, sinon qu’il est Dieu, et quand on dit le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, nous ne devons comprendre qu’un seul Dieu ; néanmoins dans les saintes Ecritures, le titre de roi désigne ordinairement le Fils. Aussi d’après cette parole : « C’est par moi que l’on va au Père » (Jn., XIV, 6), le Prophète a-t-il raison de dire « mon Roi » d’abord, et ensuite « mon Dieu ». Toutefois il ne dit pas « soyez attentifs » au pluriel, mais « soyez attentif », intende. Car la foi catholique ne prêche ni deux ni trois dieux, mais un seul Dieu en trois personnes. Non point que cette Trinité se puisse dire tantôt du Père, tantôt du Fils, tantôt du Saint-Esprit, comme l’a cru Sabellius ; mais le Père n’est que le Père, le Fils n’est que le Fils, le Saint-Esprit n’est que le Saint-Esprit ; et cette Trinité de personnes n’est qu’un seul Dieu. Et dans ces paroles de l’Apôtre : « Tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui » (Rm. XI, 36), on voit une allusion à la Trinité : or, il n’a point ajouté : Gloire à eux, mais bien : « Gloire à lui ».

4. « Je vous invoquerai, Seigneur, et le matin vous entendrez mes cris » (Ps. V, 4). Pourquoi le Prophète a-t-il dit tout à l’heure « Écoutez » ; comme s’il désirait être exaucé sur-le-champ, et dit-il maintenant : « Au matin vous entendrez mes cris », puis : « Je vous invoquerai » ; non plus : « Je vous invoque » ; et enfin : « Au matin je me tiendrai debout et je vous verrai » ; non plus : « Je me tiens debout et je vois ? » Ne serait-ce point l’objet de ses supplications qui serait indiqué dans la première invocation ? Mais dans la nuit ténébreuse et tempétueuse du monde, le Prophète comprend qu’il ne voit point ce qu’il désire, bien qu’il ne cesse pas d’espérer : car « l’espérance qui verrait ne serait pas une espérance » (Rm. VIII, 24). Il sait bien que s’il ne voit pas, c’est parce que cette nuit ténébreuse qui est le châtiment du péché, n’est point encore achevée. Il dit donc : « Parce que c’est vous que j’invoquerai, Seigneur ». C’est-à-dire, telle est votre grandeur, ô vous que j’invoquerai, « qu’au matin seulement, vous exaucerez ma prière ». Vous n’êtes point un Dieu que puissent voir les hommes dont les yeux sont obscurcis par la nuit du péché ; mais lorsque cette nuit de mes erreurs s’achèvera, et que les ténèbres dont m’enveloppaient mes fautes seront dissipées, vous écouterez ma voix. Pourquoi donc n’a-t-il pas dit plus haut : Vous écouterez ; mais : « Ecoutez ? » Serait-ce que n’ayant pas été exaucé après avoir dit : « Exaucez-moi », il a compris ce qui devait s’écouler afin qu’il pût être exaucé ? ou bien aurait-il été d’abord exaucé, mais sans comprendre qu’il l’était, parce qu’il ne voit point celui qui l’exauce; et alors cette expression : « Au matin vous m’exaucerez », signifierait : Au matin, je comprendrai que vous m’exaucez ? comme il est dit ailleurs : « Levez-vous, Seigneur » (Ps. III, 7), pour : Accordez-moi de me relever. Il est vrai que cette parole s’applique à la résurrection de Jésus-Christ ; mais voici un autre passage qui ne peut s’entendre que dans notre sens : « Le Seigneur votre Dieu vous tente, afin que vous sachiez si vous l’aimez » (Dt. XIII, 3), c’est-à-dire, afin que, par lui, vous compreniez et qu’il vous soit bien démontré quel progrès vous avez fait dans son amour.

5. « Au matin, je serai debout, et je verrai » (Ps. V, 5). Qu’est-ce à dire : « Je serai debout », sinon, je ne serai point étendu sur la terre ? Mais être couché sur la terre c’est y reposer, c’est chercher sort bonheur dans les terrestres voluptés. « Je serai debout, et je verrai », dit le Prophète. Abjurons donc les choses d’ici-bas, si nous voulons voir Dieu qui se montre aux coeurs purs. « Vous n’êtes pas un Dieu qui aimez l’iniquité ; aussi le méchant n’habitera point près de vous, et les impies ne soutiendront pas l’éclat de vos regards. Vous haïssez ceux qui commettent l’iniquité, vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge. Vous avez en horreur l’homme fourbe et l’homme de sang » (Ps. V, 6, 7). L’iniquité, la malice, le mensonge, l’homicide, la fraude, et autres crimes semblables, telle est la nuit qui doit passer, et alors viendra ce matin qui nous découvrira le Seigneur. Le Prophète nous dit pourquoi il sera debout au matin, et verra le Seigneur. « C’est que vous, ô Dieu, vous n’aimez pas l’iniquité ». Si Dieu, en effet, aimait l’iniquité, il pourrait être vu par l’impie, et il ne faudrait pas attendre le matin, quand sera écoulée la nuit des iniquités.

6. « Près de vous n’habitera point le méchant », il ne vous verra point de manière à s’attacher à vous ; de là le verset suivant. « Et l’injuste ne soutiendra point vos regards », car son oeil, ou plutôt son esprit, accoutumé aux ténèbres du péché, sera frappé soudainement de la lumière de la vérité, et ne soutiendra point l’éclat d’une intelligence droite. Si donc il voit par intervalle, et tout en demeurant dans l’injustice, s’il comprend la vérité, il ne s’affermit point en elle, puisqu’il aime ce qui l’en éloigne. Il porte en lui-même sa nuit, qui est l’habitude et même l’amour du péché. Que cette nuit vienne à s’écouler, qu’il brise avec le péché, qu’il en perde l’amour et l’habitude, alors viendra le matin, et il comprendra la vérité jusqu’à s’y attacher avec amour.

7. « Vous haïssez les artisans d’iniquité ». Cette haine de Dieu a le même sens que l’aversion de tout pécheur pour la vérité; et l’on dirait que celle-ci à son tour déteste ceux qu’elle ne laisse point demeurer en elle ; tandis que s’ils n’y demeurent point, c’est qu’ils ne la peuvent supporter. « Vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge », car il est contraire à la vérité. Mais qu’on ne s’imagine point qu’il y ait quelque substance ou quelque nature contraire à la vérité ; comprenons plutôt que le mensonge tient à ce qui n’est pas, et non à ce qui est. Dire ce qui est, c’est dire la vérité, et dire ce qui n’est pas, c’est le mensonge. Aussi est-il dit : « Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge », puisqu’en se détournant de ce qui subsiste, ils s’en vont à ce qui n’est pas. Souvent le mensonge paraît avoir pour but le salut ou l’avantage d’un autre, et provenir non de la malice, mais de la bienveillance ; tel fut, dans l’Exode (Ex. I, 19), celui de ces sages-femmes, qui mentirent à Pharaon pour sauver la vie aux enfants des Hébreux. Mais ce qui est louable ici, c’est moins l’acte que l’intention ; et ceux qui ne mentent plus que de la sorte, mériteront un jour d’être délivrés de tout mensonge. C’est à eux qu’il est dit : « Que votre discours soit : Oui, oui non, non ; car ce qui est de plus, vient du mal » (Mt. V, 37). Ce n’est pas sans raison qu’il est écrit ailleurs : « La bouche qui ment, tue l’âme » (Sg. I, 11), afin que nul homme vraiment spirituel ne se croie autorisé à mentir, pour conserver soit à lui-même, soit à d’autres cette vie temporelle, dont la perte ne tue pas notre âme. Toutefois, il y a une différence entre mentir, et cacher la vérité, puisque l’un consiste à dire le faux, l’autre à taire le vrai ; si nous ne voulons pas découvrir un homme à qui l’on veut donner cette mort visible du corps, nous devons avoir l’intention de taire le vrai, mais non de dire le faux, afin de ne rien découvrir, et ne point tuer notre âme par le mensonge, en voulant conserver à un autre la vie du corps. Si nous ne sommes point encore dans ces dispositions, efforçons-nous au moins de ne pas mentir au-delà de ces occasions pressantes, afin que Dieu nous délivre même de ces mensonges légers, et nous donne la force du Saint-Esprit qui nous fera mépriser tout ce que nous aurions à souffrir pour la vérité. Il n’y a que deux sortes de mensonges qui ne soient point de fautes graves, mais qui ne sont point exemptes de tout péché, c’est le mensonge par plaisanterie, et le mensonge pour rendre service. Le mensonge joyeux, n’étant point de nature à tromper, n’est point dangereux. Celui à qui nous parlons comprend bien que c’est un badinage. Le second est encore plus léger, puisqu’il renferme une certaine bonté. Mais ce qui se dit sans duplicité de coeur, ne mérite pas le nom de mensonge. Qu’un homme, par exemple, ait reçu en gage une épée de son ami, avec promesse de la lui rendre quand il la redemandera ; il est évident qu’il ne doit point la rendre à cet ami qui la redemande avec démence, et qui peut s’en servir contre lui-même ou contre les autres ; il faut attendre le calme de la raison. Il n’y a point ici duplicité de coeur, puisqu’en recevant cette épée en gage et en promettant de la rendre, cet ami était loin de croire qu’on la réclamerait dans la démence. Le Seigneur lui-même a jugé bon de taire la vérité, quand il disait aux disciples peu aptes à la recevoir : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire; mais vous ne pouvez les porter encore » (Jn, XVI, 12) ; saint Paul a dit aussi : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels » (I Co. III, 1). D’où il suit qu’il ne faut pas accuser celui qui se tait sur la vérité. Mais on ne voit point qu’il soit permis aux parfaits de dire ce qui est faux.

8. « Le Seigneur a en horreur l’homme sanguinaire et l’homme fourbe » (Ps. V, 7). On peut très-bien voir une répétition de ce qui est dit plus haut : « Vous haïssez ceux qui font le mal, et vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge ». Car « l’homme sanguinaire » peut très-bien être l’homme de l’iniquité, et « le fourbe » désigner le menteur. Il y a fourberie quand on agit dans un sens, et que l’on affecte un autre sens. Le Prophète dit que le Seigneur « les aura en abomination » ; expression qui s’applique à ceux que l’on déshérite; tandis que ce psaume est le chant « de celle qui a reçu l’héritage », et qui témoigne des tressaillements de son espérance en s’écriant : « Quant à moi, avec vos infinies miséricordes, j’entrerai dans votre maison (Id. 8). Ces miséricordes sans nombre peuvent désigner cette foule d’hommes parfaits et heureux, dont se formera cette cité que l’Eglise porte dans ses entrailles et qu’elle enfante peu à peu. Comment nier que cette multitude d’hommes régénérés se puisse appeler le nombre infini des miséricordes du Seigneur, puisqu’il est dit avec beaucoup de vérité : « Qu’est-ce que l’homme pour que vous vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme pour que vous le visitiez ? » (Id. VIII, 5) Pour moi, « j’entrerai dans votre maison », comme une pierre entre dans un édifice. Qu’est-ce en effet que la maison de Dieu, sinon son temple, dont il est dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple ? » (I Co. III, 17) Et la pierre angulaire de cet édifice (Ep. II, 10) est cet homme dont s’est revêtue la force et la sagesse de Dieu, coéternelle au Père.

9. « Je me prosternerai avec crainte auprès de votre saint temple » (Ps. V, 8). Le Prophète a dit : « Auprès de votre temple », et non pas : c’est dans votre saint temple que je veux vous adorer, mais bien : « C’est auprès de votre saint temple que je me prosternerai ». Cet état n’est point celui des parfaits, mais de ceux qui tendent vers la perfection. Les parfaits diraient alors : « J’entrerai dans votre maison ». Avant d’y arriver il faut dire tout d’abord : « Je vous adorerai auprès de votre saint temple ». C’est pour cela peut-être qu’il ajoute, comme une sauvegarde à ceux qui désirent le salut : « Avec une sainte frayeur ». Quand chacun y sera parvenu, s’accomplira ce mot de l’Evangéliste : « La charité parfaite bannit toute crainte » (I Jn, IV, 18). Il n’y a plus de crainte pour nous en face de l’ami qui nous a dit : « Je ne vous appellerai plus désormais des serviteurs, mais des amis » (Jn, XV, 15), et qui nous met en possession des promesses.

10. « Seigneur, conduisez-moi dans votre justice, à cause de mes ennemis » (Ps. V, 9). Il dit assez qu’il se met en route, qu’il se dirige vers la perfection, mais qu’il n’y est point encore arrivé, puisqu’il demande à Dieu de l’y conduire. « Dirigez-moi dans votre justice », non dans ce qui paraît l’être aux yeux des hommes ; car ils s’imaginent qu’il y a justice à rendre le mal pour le mal; mais telle n’est point la justice de celui dont il est dit : « Qu’il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants » (Mt. V, 45), puisque Dieu, en punissant les méchants, loin de leur infliger ses châtiments, les abandonne seulement à leur malice. « Voilà », dit-il, « qu’il a fait éclore l’injustice, il a été en travail de l’affliction pour enfanter l’iniquité ; il a ouvert un précipice, il l’a creusé, et il est tombé dans le gouffre qu’il avait préparé : son injustice descendra sur lui, et son iniquité retombera sur sa tête » (Ps. VII, 15-17). Dieu donc punit les hommes, comme le juge punit les violateurs de la loi, non en leur infligeant lui-même le châtiment, mais en les poussant dans celui qu’ils ont eux-mêmes choisi, et qui sera pour eux le comble du malheur. Mais l’homme qui rend le mal pour le mal, le fait avec un mauvais dessein, et devient méchant lui-même, en voulant châtier les méchants.

11. « Tracez-moi une voie droite en votre présence » (Id. V, 9). Il est clair qu’il recommande à Dieu le temps que dure son voyage, et que ce voyage s’accomplit non par un chemin terrestre, mais par les sentiments du coeur. « Tracez-moi une voie droite en votre présence », c’est-à-dire dans ce secret où ne pénètre point le regard des hommes, dont il faut mépriser la louange ou le blâme. Ils ne peuvent juger de la conscience des autres, qui est le chemin droit sous l’oeil de Dieu. Aussi le Prophète ajoute : « Parce que la vérité n’est pas dans leur bouche » (Ps. VII, 10), et qu’on ne peut croire à leurs jugements, il faut nous réfugier dans l’intérieur de notre conscience et en la présence de Dieu. « Leur coeur est plein de vanité ». Comment la vérité serait-elle dans leur bouche, quand le coeur est trompé par le péché et par la peine du péché ? De là ce cri du Prophète pour les en détourner : « Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge ? » (Id. IV, 3)

12. « Leur bouche est un sépulcre ouvert » (Id. V, 11). On peut appliquer cette parole à l’intempérance, qui est pour beaucoup le motif de flatteries mensongères. Le Prophète a dit justement qu’il sont un « sépulcre ouvert », parce que leur avidité est insatiable, et ne se ferme point comme le sépulcre qui a reçu un cadavre. On peut dire aussi qu’au moyen de paroles mensongères et d’artificieuses caresses, ils attirent à eux ceux qu’ils font tomber dans le péché; et c’est comme les dévorer que les faire entrer dans cette voie. Mais l’homme qui en arrive là, meurt par le péché; et celui qui l’a séduit, s’appelle justement un sépulcre ouvert ; il est mort en quelque sorte, puisqu’il n’a plus la vie de la vérité, et il reçoit en lui-même ces morts qu’il a tués en les amenant à lui par le mensonge et la frivolité du cœur. « Leurs langues sont pleines d’artifices » ; les langues des méchants, car c’est là ce que paraît dire le Prophète, en précisant « leurs langues ». Elle est mauvaise en effet cette langue du méchant qui dit le mal, qui dit la fraude. C’est à eux que le Seigneur a dit : « Comment diriez-vous le bien puisque vous êtes mauvais ? » (Ps. V, 11)

13. « Jugez-les, Seigneur, que leurs desseins s’évanouissent » (Ps. V, 11). C’est là une prophétie plutôt qu’une malédiction ; et le Prophète ne désire point que cette vengeance arrive, mais il sait ce qui arrivera : et ils tomberont sous cette vengeance, non parce que le Prophète semble la désirer, mais bien parce qu’ils auront mérité d’y tomber. De même quand il dit : « Que ceux qui espèrent en vous soient dans la joie » (Id. 12), il fait, une prophétie et voit cette joie dans l’avenir. Il dit encore : « Excitez votre puissance et venez » (Ps. LXXIX, 3), parce qu’il prévoit que le Seigneur viendra. Dans ces paroles néanmoins : « Que leurs desseins soient renversés », on pourrait voir une prière du Prophète ; et il demanderait que les desseins des méchants s’évanouissent, ou qu’ils fassent trêve à leurs desseins mauvais. Mais l’expression suivante : « Rejetez-les », nous empêche de l’entendre ainsi ; puisque cette expulsion de la part du Seigneur ne peut nullement se prendre en bonne part. Ce n’est donc point une malédiction, mais une prophétie qui annonce dans quelle catastrophe tomberont infailliblement ceux qui voudront persévérer dans les péchés dont il est question. « Qu’ils soient donc déçus dans leurs pensées », qu’ils tombent à cause de leurs desseins qui s’accusent mutuellement, et devant le témoignage de leur conscience, comme l’a dit l’Apôtre : « Leurs pensées les accuseront ou les défendront, quand se lèvera le jour du juste jugement de Dieu » (Rm. II, 15, 16).

14. « Chassez-les selon le nombre infini de leurs iniquités » (Ps. V, 11) ; c’est-à-dire, chassez-les au loin, « le nombre infini de leurs iniquités »demande un long éloignement. C’est ainsi que l’impie est banni de cet héritage, dont la vue et la connaissance de Dieu nous met en possession ; comme l’oeil malade est repoussé par l’éclat de la lumière, et trouve une peine dans ce qui fait la joie de l’oeil sain. Ceux-là donc au matin ne se tiendront pas debout et ne verront pas. Et cette répulsion est une peine dont la grandeur se mesure à la grandeur de cette joie, dont il est dit : « Pour moi, mon bonheur est de m’attacher à Dieu » (Ps. LXXI, 28). A ce châtiment est opposé ce mot de l’Evangile : « Entrez dans la joie de votre Dieu » et ce châtiment équivaut à cet autre : « Jetez-le dans les ténèbres extérieures » (Mt. XXV, 21,30).

15. « Mais vous, Seigneur, ils vous trouvent amer » (Ps. V, 11). « Je suis le pain de vie descendu du ciel » (Jn, VI, 51), a dit le Seigneur ; puis : « Travaillez pour une nourriture qui ne se corrompt point » (Id. 27) ; puis encore : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux » (Ps. XXIII, 9). Les pécheurs trouvent amer le pain de la vérité, de là leur haine pour la bouche d’où elle émane. Ils ont donc trouvé le Seigneur amer, parce que le péché les a rendus malades au point que le pain de la vérité, délicieux pour les âmes saines, a pour eux une amertume insupportable.

16. « Qu’ils soient dans la joie, ceux qui espèrent en vous », qui savent goûter, et qui trouvent que le Seigneur est doux. « Leur allégresse sera éternelle et vous habiterez en eux » (Ps V, 12). Cette allégresse éternelle commencera donc quand les justes deviendront le temple de Dieu : il sera leur joie, il habitera en eux. « Et tous ceux qui aiment votre nom se glorifieront en vous » (Id. 9), parce qu’ils pourront jouir de l’objet de leur amour. Et c’est bien en vous qu’ils posséderont cet héritage qui fait le titre du Psaume, et à leur tour ils seront votre héritage, puisque « vous habiterez en eux ». De ce bonheur seront exclus ceux que Dieu doit rejeter à cause de leurs iniquités.

17. « C’est-vous qui bénirez le juste » (Id. 13). Cette bénédiction sera de se glorifier dans le Seigneur qui habitera en nous. Telle est la gloire que Dieu décerne aux justes ; et pour devenir justes, ils ont dû être appelés, non point à cause de leurs mérites, mais par la grâce de Dieu. « Tous en effet sont pécheurs et ont besoin de la grâce de Dieu (Rm. VIII, 31-33). Ceux qu’il a appelés, il les a justifiés, et ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés » (Id. VIII, 30).Comme cette vocation ne vient point de nos mérites, mais de la miséricordieuse bonté de Dieu, le Prophète a dit : « Seigneur, votre volonté bienveillante nous couvre comme d’un bouclier » (Ps. V, 13). Car la bienveillance du Seigneur précède notre volonté. Telles sont les armes pour vaincre notre ennemi. C’est contre lui que l’Apôtre a dit : « Qui accusera les élus de Dieu ? » et encore : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Il n’a point épargné son Fils unique, mais il l’a livré à la mort pour nous tous » (Rm. VIII, 31-33). « Si le Christ a voulu mourir pour nous quand nous étions ses ennemis maintenant que nous sommes réconciliés, nous serons à plus forte raison délivrés par lui de la colère de Dieu » (Id. V, 9, 10). Tel est l’inexpugnable bouclier qui repousse l’ennemi quand, par l’affliction et la tentation, il nous pousse à désespérer du salut.

18. Le texte du Psaume est donc tout d’abord une prière, depuis ces paroles : « Seigneur, entendez ma voix », jusqu’à ces autres : « Mon roi et mon Dieu ». Mais l’Eglise comprend ce qui l’empêche de, voir Dieu, ou de connaître qu’elle est exaucée, depuis : « Je vous invoquerai, Seigneur, et au matin vous entendrez ma voix », jusqu’à : « Vous avez en horreur l’homme de sang et l’homme fourbe ». En troisième lieu, depuis ce verset : « Pour moi, avec la multitude de vos miséricordes », jusqu’à : « Je me prosternerai avec crainte auprès de votre saint temple », l’Eglise espère devenir un jour la maison de Dieu, et en cette vie s’approcher de lui dans la crainte, jusqu’à ce que la charité consommée ait banni toute crainte. Quatrièmement, elle sent qu’elle s’avance et qu’elle marche entre des obstacles ; elle demande ce secours de l’intérieur, imperceptible à l’oeil humain, de peur que la langue des méchants ne la détourne du bon chemin, depuis : ô Seigneur, « conduisez-moi, dans votre justice », jusqu’à : « Leurs langues sont pleines d’artifices ». Elle prédit, en cinquième lieu, le châtiment des impies, quand le juste à peine sera sauvé; et la récompense de ce juste qui aura répondu à l’appel de Dieu, et qui aura courageusement tout supporté, jusqu’à ce qu’il arrive au Seigneur. Cette partie commence à : « Jugez-les, Seigneur », pour finir avec le psaume.

    

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