PSAUMES VI à IX-B
POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID, POUR LES CHANTS DU
HUITIÈME JOUR ( Ps VI, 1)
L’âme fidèle
supplie le Seigneur de lui accorder le salut, de la maintenir dans la justice,
comme s’il devait être plus glorieux pour Dieu de faire éclater sa bonté que sa
justice. Elle veut s’éloigner des pécheurs impénitents, s’ils ne se
convertissent au Seigneur.
1. Cette expression, « huitième
jour », est obscure ; mais le reste du titre est clair. Quelques-uns ont cru
qu’elle signifiait le jour du jugement, ou ce temps de l’avènement de
Jésus-Christ qui descendra pour juger les vivants et les morts. Cet avènement,
selon cette croyance, aura lieu après sept milliers d’années, à compter depuis
Adam ; ces sept milliers d’années s’écouleraient comme sept jours, et le
huitième serait celui de l’avènement. Mais le Seigneur a dit : « Ce n’est point
à vous de connaître les temps que mon Père a disposés dans sa puissance » (Ac.
I, 7) ; et encore : « Quant à ce jour et à cette heure, nul ne les sait, ni
les Anges, ni les Vertus, ni le Fils lui-même ; le Père seul les connaît » (Mt.
XXIV, 36) : et enfin saint Paul a écrit, que ce jour du Seigneur nous
surprendra comme le voleur (I Th. V, 2) tout cela nous montre clairement
qu’on ne doit point chercher à connaître ce jour par la supputation des années.
Or, s’il devait arriver après sept milliers d’années, tout homme pourrait le
connaître au moyen d’un calcul. Comment donc se fait-il que le Fils ne le
connaît point? Parole qui signifie qu’il ne l’apprendra point aux hommes, et non
qu’il ne le sait point en lui-même. C’est ainsi qu’il est dit : « Le Seigneur
vous tente afin de savoir » (Dt. III, 3), c’est-à-dire, « afin de vous
faire connaître », comme : « Levez-vous, Seigneur » (Ps. III, 7),
signifie, aidez-nous à nous relever. Si donc le Fils ne connaît point le jour,
non qu’il l’ignore, mais parce qu’il ne l’enseigne point à ceux qui n’ont aucun
avantage à le connaître ; n’y a-t-il pas une certaine présomption à compter les
dates pour affirmer que le jour du Seigneur doit arriver après sept milliers
d’années ?
2. Pour nous, ignorons de bon coeur
ce qu’il n’a pas plu à Dieu de nous révéler, et cherchons ce que veut dire cette
expression du titre : « Pour le huitième jour ». Sans recourir à des calculs
téméraires on peut entendre par huitième jour celui du jugement, car la fin de
ce monde nous ouvrira la vie éternelle ; et alors les âmes des justes ne seront
plus assujetties aux temporelles vicissitudes ; et comme tous les temps roulent
périodiquement de sept jours en sept jours, on appellerait huitième jour celui
qui serait en dehors de cette révolution. Dans un autre sens qui n’est pas sans
justesse, on appellerait huitième jour, celui du jugement, parce qu’il doit
arriver après deux genres de vie, dont l’un tient à la chair, et l’autre à
l’esprit. Depuis Mam jusqu’à Moïse, la vie humaine est une vie corporelle, une
vie selon la chair, ce que saint Paul appelle vie de l’homme extérieur, du vieil
homme (Ep. IV, 22). A cette génération fut donné l’Ancien Testament, dont
le culte était grossier, quoique religieux, et figurait le culte spirituel de
l’avenir. Pendant cette période où l’on vivait selon la chair, « la mort a
régné », dit l’Apôtre, « même sur ceux qui n’avaient point péché ». Et comme il
l’a dit encore, « elle a régné parce qu’on imitait la prévarication d’Adam » (Rm.
V, 14). Mais « jusqu’à Moïse », signifie tant qu’ont duré les œuvres de la
loi, ces rites sacrés, observés d’une manière charnelle, et qui néanmoins
tinrent enchaînés ceux-là mêmes qui croyaient à un seul Dieu, pour leur donner
la foi au mystère de l’avenir. Mais depuis l’avènement de Jésus-Christ, qui nous
a fait passer de la circoncision de la chair, à la circoncision du cœur, nous
sommes appelés à vivre selon l’esprit, c’est-à-dire selon l’homme intérieur,
appelé homme nouveau (Col. III, 10) à cause de sa régénération
baptismale, et de ses moeurs devenues plus spirituelles. Car il est évident que
le nombre quatre appartient au corps à cause des éléments dont il est formé, et
de ces quatre qualités, du chaud, du froid, du sec, de l’humide. Delà vient que
Dieu le fait passer par les quatre saisons du printemps, de l’été, de l’automne,
de l’hiver. Tout cela est connu; et il est démontré ailleurs, par des raisons
plus subtiles, que le nombre quatre appartient au corps ; mais évitons ces
raisons assez obscures, dans un discours que nous voulons mettre à la portée des
moins instruits. Le nombre trois appartient à l’âme, comme nous l’apprend le
précepte d’aimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme, et de tout notre
esprit (Dt. VI, 5 ; Mt. XXII, 37). De plus longs détails viendraient dans
l’explication de l’Evangile et non d’un psaume; mais cela suffit, je crois, pour
montrer que le nombre ternaire appartient à l’âme. Donc, lorsque les nombres du
corps, qui tiennent au vieil homme et à l’Ancien Testament, et les nombres de
l’esprit ou de l’homme régénéré et de la loi nouvelle, seront écoulés comme un
nombre de sept jours ; puisque toute action en cette vie se rapporte au corps ou
au nombre quatre, ou à l’âme dont le nombre est ternaire; après cela viendra le
huitième jour qui, rendant à chacun ce qu’il a mérité, appellera les justes, non
plus à des œuvres passagères, mais à la vie sans fin, et condamnera les impies
aux supplices éternels.
3. Telle est la damnation que
redoute l’Eglise, qui s’écrie dans ce psaume : « Seigneur, ne m’accusez pas dans
votre colère » (Ps. VI, 2). Saint Paul parle aussi de colère à propos du
jugement : « Tu amasses pour toi, dit-il, un trésor de colère, pour le jour de
la colère et du juste jugement de Dieu » (Rm. II, 5). C’est dans ce jour
que ne veut pas être accusé celui qui cherche à se guérir en cette vie. « Et ne
me reprenez point dans votre fureur ». Reprendre est plus doux, car il tend à
l’amendement ; au lieu que, quand on est accusé, ou mis en jugement, on doit
craindre pour issue une condamnation. Mais la fureur paraît être plus grande que
la colère, et l’on peut s’étonner que reprendre, qui est plus doux, soit placé
avec fureur, qui est l’expression la plus sévère. Pour moi, je crois que ces
deux expressions n’ont qu’un même sens ; car le mot grec tumos du premier
verset a la même signification que orphe, qui est dans le second. Mais
comme la version latine a voulu employer aussi deux expressions, elle en a
cherché une qui se rapprochât le plus de colère, et a mis fureur. De là des
variantes dans les versions ; car, dans l’une, c’est la colère qui est avant la
fureur, dans l’autre, c’est la fureur avant la colère; d’autres, au lieu de
fureur ont indignation, et même bile. Quoi qu’il en soit, ces deux termes
expriment un mouvement de l’âme qui veut punir, mouvement que nous ne pourrons
attribuer à Dieu dans le même sens qu’à notre âme, puisqu’il est dit : « Pour
vous, Dieu des vertus, vous nous jugez dans le calme » (Sg. XII, 18).
Mais ce qui est dans le calme, est opposé au trouble. Dieu donc dans ses
jugements est inaccessible au trouble ; mais on a appelé sa colère, cette
émotion occasionnée par ses lois chez ses ministres. Or, l’âme qui supplie dans
ce psaume, redoute d’être accusée dans cette colère, elle ne veut pas même cette
réprimande qui la corrigerait ou l’instruirait. Car il y a dans le grec
paideustes, c’est-à-dire enseignez. Au jour du jugement seront convaincus
tous ceux qui ne sont pas fondés sur Jésus-Christ; mais ceux qui sur cette base
auront bâti avec le bois, le foin et la paille, ils seront amendés ou purifiés,
ils souffriront un dommage et néanmoins seront sauvés, mais comme par le feu (I
Co. III, 11). Que peut-on demander à Dieu, quand on ne veut être ni accusé
ni repris dans sa colère ? Que demander, sinon d’être guéri, puisque la guérison
ne nous laisse à craindre ni la mort, ni la main du médecin qui emploie le feu
ou le fer ?
4. Le Psalmiste poursuit donc :
« Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme, guérissez-moi, parce
que mes os sont ébranlés » (Ps. VI, 3), et par ces os il entend la force
de l’âme ou le courage. L’âme donc, en parlant de ses os, se plaint de son
courage qui est ébranlé; mais gardons-nous de croire qu’elle ait des os comme
ceux du corps. Expliquant donc ce qui précède, le Prophète ajoute : « Et mon âme
est dans un trouble profond », afin que l’on n’applique point au corps, ce qu’il
appelait des os. « Et vous, Seigneur, jusques à quand ? » (Id. 4) Qui ne
verrait ici une âme qui lutte avec ses infirmités, et que le médecin ne se
presse pas de guérir, afin de lui faire sentir dans quel abîme de maux le péché
l’a précipitée ? On ne cherche guère à éviter ce qui se guérit facilement ; mais
une guérison difficile nous rend plus attentifs à conserver la santé quand nous
l’avons recouvrée. Loin de nous cette pensée qu’il y ait de la cruauté dans ce
Dieu à qui l’on dit : « Jusques à quand tarderez-vous à me guérir ? » mais il
veut dans sa bonté montrer à l’âme quelle blessure elle s’est faite. Car cette
âme ne prie pas encore avec une telle ferveur que Dieu puisse lui dire : « Ta
prière ne sera pas achevée que je répondrai: Me voici » (Is. LXV, 21).
Dieu veut encore nous montrer quel sera le châtiment des impies qui refusent de
retourner à lui, si la conversion nous est si difficile; dans ce sens il est dit
ailleurs : « Si le juste à peine est sauvé, que deviendront le pécheur et
l’impie ? » (I Pe, IV, 18)
5. « Revenez à moi, Seigneur, et
délivrez mon âme » (Ps. VI, 5). En revenant à Dieu, le pécheur le supplie
de se tourner vers lui, comme il est écrit : « Revenez à moi, dit le Seigneur,
et je reviendrai à vous » (Za. I, 3) Mais cette expression : « Revenez,
Seigneur », voudrait-elle dire : Aidez-moi dans mon retour, à cause des
difficultés et du labeur que rencontre un retour à Dieu ? Car notre conversion
parfaite au Seigneur, le trouvera toujours prêt, ainsi que l’a dit le Prophète :
« Nous le trouvons prêt comme la lumière du matin » (Os, VI, 3, suiv. les LXX).
Nous l’avons perdu, en effet, non qu’il se soit retiré de nous, puisqu’il est
présent partout, mais bien parce que nous lui avons tourné le dos. « Il était en
ce monde », est-il dit, « et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas
connu » (Jn, I, 10). Si donc il était en ce monde sans que le monde le
connût, c’est que nos souillures ne supportent point sa présence. Mais pour nous
convertir, ou pour effacer notre vie passée en taillant de nouveau notre âme à
l’image de Dieu, nous ressentons le douloureux labeur d’échanger les terrestres
voluptés contre le calme serein de la divine lumière. Et dans cette pénible
tâche nous disons : « Revenez à moi, Seigneur », c’est-à-dire, aidez-moi, afin
que se perfectionne en moi ce retour qui vous trouvera toujours prêt, et vous
donnera en jouissance à ceux qui vous aiment. Aussi, après avoir dit : « Revenez
à moi, Seigneur », le Prophète a-t-il ajouté : « Et délivrez mon âme », que
retiennent encore les soucis du monde, et qui, dans son retour à vous, se sent
déchirer par l’aiguillon des désirs. « Sauvez-moi », dit-il, « à cause de votre
miséricorde » (Ps. VI, 3). Il sent qu’il n’est point guéri par ses
propres mérites, puisqu’un pécheur, un violateur de la loi ne devait s’attendre
en justice qu’à la damnation. Sauvez-moi donc, dit-il, non point que je l’aie
mérité, mais à cause de votre miséricorde.
6. « Car nul après la mort ne se
souvient de vous » (Id. 6). Il comprend que c’est en cette vie qu’il faut
nous convertir, car après la mort il ne reste plus à chacun qu’à recevoir selon
ses œuvres. « Qui vous confessera dans les enfers ? » (Ps. VI, 6) Le
riche dont parle Jésus-Christ, confessa Dieu dans les enfers, quand il se
plaignit de ses tortures, en voyant Lazare au sein du repos ; il confessa Dieu
au point de vouloir avertir les siens de s’abstenir du péché, en vue de ces
tourments de l’enfer, auxquels on ne croit point (Lc, XVI, 23-31). Ce fut
en vain, il est vrai, mais enfin il confessa qu’il souffrait justement,
puisqu’il désirait avertir ses frères de ne point encourir ces châtiments.
Qu’est-ce à dire alors : « Qui confessera votre nom dans les enfers ? »
Entendrait-il par là ce profond abîme, où sera précipité l’impie après le
jugement, et dont les épaisses ténèbres ne laisseront échapper aucune lueur de
Dieu pour le confesser ? Toutefois ce riche, eu élevant les yeux, put apercevoir
Lazare au sein du repos, nonobstant les ténébreuses profondeurs qui
l’environnaient lui-même ; et la comparaison qu’il dut faire lui arracha l’aveu
de ses fautes. Le Prophète pourrait donner aussi le nom de mort au péché que
l’on commet au mépris de la loi divine; et nous faire appeler mort ce qui n’en
est que l’aiguillon, parce qu’il aboutit à la mort ; car l’aiguillon de la mort
c’est le péché (I Co. XV, 56). Dans cette mort l’oubli de Dieu serait le
mépris de ses lois et de ses préceptes ; ainsi le Prophète appellerait enfer cet
aveuglement de l’esprit, qui saisit et enveloppe le pécheur, ou l’âme qui meurt
par le péché. « Comme ils n’ont pas fait usage », dit saint Paul, « de la
connaissance de Dieu, Dieu les a livrés au sens réprouvé » (Rm. I, 28).
C’est de cette mort et de cet enfer que l’âme demande à Dieu de la préserver,
quand elle cherche à revenir à lui, et sent les difficultés du retour.
7. Aussi le Prophète continue en
disant « Je me suis fatigué dans mon gémissement », et comme si c’était peu, il
ajoute : « Chaque nuit je laverai ma couche de mes larmes » (Ps. VI, 7).
Il appelle ici couche tout ce qu’une âme faible et malade cherche pour son
repos, comme la volupté charnelle et les plaisirs du monde. C’est laver de ses
larmes ces mêmes plaisirs, que chercher à s’en arracher. On voit que ses
appétits charnels sont condamnables, et toutefois on est assez faible pour s’y
attacher par goût, pour s’y reposer à l’aise ; et notre âme ne peut s’en relever
qu’après sa guérison. Mais en disant : « Chaque nuit », le Prophète a voulu
peindre sans doute l’homme dont l’esprit est prompt et reçoit quelque lueur de
vérité, mais dont la chair est assez faible pour mettre parfois son bonheur dans
les plaisirs du siècle, en sorte qu’il subit dans ses affections une alternative
de lumière et de ténèbres : c’est le jour pour lui quand il dit : « Par
l’esprit, j’obéis à la loi de Dieu », mais il décline vers la nuit à ces mots :
« Et par la chair à la loi du péché » (Rm. VII, 25), jusqu’à ce qu’enfin
toute nuit se dissipe, et que vienne ce jour unique dont il est dit : « Au matin
je serai debout, et je verrai » (Ps. VI, 7). C’est alors qu’il se tiendra
debout ; mais aujourd’hui, il est étendu sur cette couche que chaque nuit il
doit mouiller de ses larmes, et de larmes si abondantes, qu’il obtienne de la
bonté de Dieu le remède infaillible. « J’arroserai mon lit de mes pleurs », est
une répétition ; car « mes pleurs » montrent comment il a dit plus haut : « Je
laverai ». « Son lit » a le même sens que « sa couche », et toutefois,
« j’arroserai » dit plus que « je laverai » : laver peut se borner à mouiller à
la surface, tandis que l’arrosage pénètre dans l’intérieur, ce qui marquerait
des larmes jusqu’aux profondeurs de l’âme. Le Prophète change les temps du
verbe ; il a dit au passé : « Je me suis fatigué dans mes gémissements » ; puis
au futur : « Chaque nuit je laverai ma couche », puis encore : « J’arroserai mon
lit de mes larmes », afin de nous montrer ce qui nous reste à faire quand nous
nous sommes fatigués en vain à gémir ; comme s’il disait : Ce que j’ai fait ne
m’a servi de rien, voici désormais ce que je vais faire.
8. « Mon oeil s’est troublé dans la
colère » (Id. 8) : est-ce dans sa propre colère, ou cette colère de Dieu
par laquelle il a demandé de n’être ni accusé ni repris ? Mais si la colère de
Dieu signifie le jugement, comment l’entendre dès cette vie ? Ou cette colère
commencerait dès cette vie, dans les douleurs et les maux des hommes, et surtout
dans leur impuissance à comprendre la vérité, selon le mot de saint Paul cité
plus haut : « Dieu les a livrés au sens réprouvé » (Rm. I, 28). Tel est
en effet l’aveuglement de l’esprit, que tout homme dans cet état se trouve privé
de toute lumière intérieure de Dieu, mais pas absolument, tant que dure cette
vie. Car il y a des ténèbres extérieures « qui sont réservées plus spécialement
au jour du jugement, et qui éloigneront complètement de Dieu quiconque aura
négligé de se corriger ici-bas. Mais être complètement en dehors de Dieu,
qu’est-ce autre chose que l’aveuglement complet ? Car Dieu habite une lumière
inaccessible (I Tm. VI, 16), et dans laquelle entreront ceux qu’il
invitera, en disant : « Entrez dans la joie de votre Seigneur » (Mt. XXV, 21,
22). Cette colère commence donc dès cette vie à peser sur tout pécheur. La
crainte du dernier jugement arrache au Prophète des gémissements et des larmes ;
il craint d’arriver à cette colère dont le commencement lui est déjà si
douloureux ; aussi ne dit-il pas que « son œil s’est éteint », mais « qu’il a
été troublé par cette colère ». Rien ne nous étonnerait encore s’il disait que
son oeil a été troublé par sa propre colère; c’est peut-être en ce sens qu’il
est dit : « Que le soleil ne se couche point sur votre colère » (Ep. IV, 26)
parce que l’âme, dans ce trouble, ne pouvant voir Dieu, s’imagine que cette
sagesse divine, ce soleil intérieur est en quelque sorte couché pour elle.
9. « J’ai vieilli au milieu de tous
mes ennemis » (Ps. VI, 8). Il avait parlé de colère, si c’est toutefois
de sa propre colère ; mais en considérant tous les autres vices, il trouve qu’il
en est environné. Comme ces vices nous viennent de notre première vie et du
vieil homme dont il faut nous dépouiller pour revêtir l’homme nouveau, le
psalmiste dit fort bien : « J’ai vieilli ». « Au milieu de tous mes ennemis »
peut s’entendre ou des vices, ou des hommes qui ne veulent point retourner à
Dieu ; car ces hommes, quoiqu’à leur insu, malgré leurs ménagements, bien qu’ils
vivent en paix avec nous, dans les mêmes villes, sous le même toit, à la même
table, qu’ils s’entretiennent souvent et paisiblement avec nous; ces hommes, par
leurs intentions contraires aux nôtres, sont ennemis de quiconque veut retourner
à Dieu. Car si les uns aiment le monde et s’y attachent, et que les autres
désirent en être délivrés, qui ne voit que les premiers sont ennemis des
seconds, qu’ils entraînent, quand ils peuvent, dans les mêmes châtiments ? Et
c’est une grande faveur de Dieu d’entendre journellement leur conversation, et
de ne point s’écarter de la voie des commandements de Dieu. Souvent une âme qui
s’efforce d’aller à Dieu, se laisse ébranler et s’effraie dans sa route, et la
plupart du temps elle abandonne ses résolutions, parce qu’elle craint d’offenser
ceux qui vivent avec elle, et qui recherchent avidement les biens passagers et
périssables. Tout cœur parfaitement sain s’en sépare non de lieu, mais
d’affection ; car l’amour est à l’âme ce qu’est pour les corps le lieu qui les
contient.
10. Donc, après le labeur, le
gémissement, et ces fréquentes effusions de larmes, comme on ne peut adresser en
vain de si ferventes supplications à celui qui est la source de toutes les
miséricordes, et dont il est dit, avec tant de vérité : « Le Seigneur est tout
près des cœurs contrits » (Ps. XXXIII, 19) ; après ces difficultés donc,
toute âme pieuse, ou même l’Eglise, si vous le voulez, témoigne qu’elle a été
exaucée. Voyez donc ce qu’elle ajoute : « Retirez-vous de moi, vous tous,
artisans d’iniquité, parce que le Seigneur a entendu la voix de mes larmes » (Id.
VI, 9). Ou le prophète annonce qu’au jour du jugement, les impies devront
s’éloigner des bons et en seront séparés : ou il leur dit de se séparer à
l’instant ; car s’ils font partie avec nous des mêmes grappes, néanmoins, jusque
dans l’aire, les grains sont déjà dépouillés et séparés de cette paille qui les
recouvre encore. Ils peuvent bien être entassés ensemble, mais le vent ne peut
les enlever ensemble.
11. « Parce que le Seigneur a
écouté la voix de mes larmes, le Seigneur a entendu mes supplications, le
Seigneur a reçu ma prière » (Id. 10). Cette répétition fréquente de la
même pensée indique moins chez le psalmiste la nécessité de ce langage que le
transport de sa joie. Quiconque est dans l’allégresse ne se contente point de
nous en dire une fois le motif. Tel est le fruit de ce gémissement douloureux
qui lui fait mouiller sa couche de ses larmes, et arroser son lit : « Car on ne
sème dans les larmes que pour moissonner dans la joie » (Id. CXXV, 5) ;
« Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés ! » (Mt. V, 5)
12. « Confusion et trouble pour
tous mes ennemis » (Ps. VI, 11). Naguère le Prophète disait :
« Éloignez-vous tous de moi », ce qui peut avoir lieu en cette vie, comme nous
l’avons vu ; mais quand il parle de « confusion et d’effroi », je ne vois pas
que cela se puisse entendre autrement que du jour qui mettra en évidence la
récompense des justes et le châtiment des pécheurs. Jusqu’à ce jour, en effet,
l’impie est loin de rougir et de cesser de nous insulter. Souvent même ses
moqueries en viennent jusqu’à faire rougir de Jésus-Christ les hommes faibles
dans la foi. De là cette menace : « Quiconque aura rougi de moi devant les
hommes, je rougirai de lui devant mon Père » (Lc, IX, 26). Quiconque dès
lors veut suivre les sublimes conseils de l’Evangile, de partager son bien, de
le donner aux pauvres, afin de demeurer juste pour l’éternité (Ps. CXI, 9),
de vendre ses possessions terrestres pour assister les indigents et suivre le
Christ en disant : « Nous n’avons rien apporté en ce monde, nous n’en pouvons
rien emporter : contentons-nous d’avoir de quoi vivre et nous vêtir » (I Tm.
VI, 7) ; celui-là tombe sous les railleries sacrilèges des impies ; ceux qui
repoussent le sens droit le traitent d’insensé. Souvent, pour éviter ce surnom
de la part des incurables, il craint de faire, il remet au lendemain ce que
prescrit le médecin le plus fidèle comme le plus puissant. Ceux-là donc ne
peuvent rougir en cette vie ; souhaitons au contraire qu’ils s’aient pas la
puissance de nous faire rougir, de nous détourner du chemin que nous avons pris,
de ne point nous y causer d’embarras ou de retard. Mais un temps viendra qu’ils
rougiront et répéteront ces paroles de l’Écriture : « Les voilà, ceux qui
étaient l’objet de nos mépris et même de nos outrages. Insensés que nous étions,
nous estimions leur vie une folie, et leur fin un opprobre : et les voilà
comptés parmi les fils de Dieu, et leur partage est avec les saints ! Nous avons
donc erré hors de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux,
et le soleil ne s’est pas levé pour nous. Nous nous sommes lassés dans la voie
de l’iniquité et de la perdition; nous avons marché par des chemins difficiles,
et nous avons ignoré la voie du Seigneur. A quoi bon noire orgueil, à quoi bon
l’ostentation de nos richesses ? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre » (Sg.
V, 3-9).
13. Dans ces paroles : « Qu’ils se
convertissent pour leur confusion » (Ps. VI, 11), qui ne voit un juste
châtiment qui tourne à leur confusion dans cette conversion qu’ils ont refusé de
faire pour leur salut ? « Et cela bien vite », ajoute le Prophète : car ils ne
compteront plus sur le jour du jugement, et comme ils diront : « La paix est à
nous; une ruine soudaine les surprendra » (I Th. V, 3). Quel que soit le
moment, ce que l’on n’attendait pas arrive toujours bien vite, et il n’y a que
l’espérance de vivre encore qui nous fasse croire que cette vie est longue. Rien
ne nous paraît plus rapide que ce qui en est déjà passé. Quand donc viendra le
jour du jugement, alors les pécheurs sentiront combien est courte une vie qui
passe ; et ils ne pourront croire qu’il ait été long à venir, ce jour qu’ils ne
désiraient point, ou plutôt à l’arrivée duquel ils n’avaient point cru. On
pourrait dire encore que l’âme dont Dieu a exaucé les gémissements et les pleurs
si fréquents et si durables, sentant qu’elle est délivrée du péché, et qu’elle a
dompté tous les mouvements pervers des sensuelles affections, en leur disant :
« Retirez-vous de moi, artisans d’iniquité, parce que le Seigneur a exaucé la
voix de mes larmes » (Ps. VI, 9), se trouve arrivée à cet état de
perfection, où elle peut prier pour ses ennemis. C’est dans ce sens peut-être
qu’il est dit : « Que tous mes ennemis soient dans la confusion et dans le
trouble », afin qu’ils fassent pénitence de leurs fautes, ce qui est impossible
sans trouble ni confusion. Rien n’empêche d’entendre les paroles suivantes :
« Qu’ils se convertissent pour leur confusion », dans le sens d’un retour à Dieu
et d’une confusion de s’être jadis glorifiés dans les ténèbres du péché, comme
l’a dit l’Apôtre : « Quelle gloire avez-vous tirée de ce qui est maintenant pour
vous un sujet de honte ? » (Rm. VI, 21) Cette autre expression, « et cela
au plus vite », peut désigner la ferveur du désir ou se rapporter à la puissance
du Christ qui, dans un temps si court, a converti à la foi de l’Évangile, ces
nations qui défendaient leurs idoles en persécutant l’Église.
Ce psaume est le chant de
l’âme arrivée à la perfection, et à qui la foi découvre les mystères de la
passion inconnus aux Juifs et aux pécheurs actuels. Elle comprend la patience
silencieuse de Jésus à l’égard de Judas; et pourquoi, lui qui était juste, a
voulu souffrir.
1. Il est facile de connaître par
l’histoire du second livre des Rois, ce qui donna occasion à cette prophétie.
Elle nous apprend que Chusi ami du roi David, passa dans les rangs d’Absalon
révolté contre son père, afin de reconnaître ses desseins, et de rapporter à
David toutes les trames que ce fils ourdissait contre lui avec Achitopel, qui
avait trahi l’amitié du père, pour soutenir de tous les conseils qu’il pourrait
donner, la révolte du fils. Mais dans ce psaume, il faut envisager l’histoire,
moins en elle-même, que comme un voile jeté par le Prophète sur un grand
mystère; levons donc ce voile (II Co. III, 16) si nous avons passé au
Christ. Cherchons d’abord quel sens peuvent avoir les noms; car on n’a pas
manqué d’interprètes pour les étudier, non plus à la lettre et d’une manière
charnelle, mais dans un sens figuré, et pour nous dire que Chusi signifie
Silence, Gémini, la Droite, et Achitopel, la Ruine du frère; dénominations qui
ramènent une seconde fois sous nos yeux ce traître Judas, figuré ainsi par
Absalon dont le nom signifie Paix de son père. David, en effet, eut toujours des
sentiments de paix pour ce fils au cœur plein d’artifices et de rébellion, ainsi
qu’il a été dit au psaume troisième (Enarrat. in Ps. III, n.1). De même
que dans 1’Evangile nous voyons Jésus-Christ donner le nom de fils à ses
disciples (Mt. IX, 15), nous le voyons aussi les appeler ses frères.
Après sa résurrection, le Seigneur dit en effet : « Allez, et annoncez à mes
frères » (Jn, XX, 17). Saint Paul appelle Jésus-Christ le premier-né de
tant de frères (Rm. VIII, 29). On peut donc désigner la ruine du disciple
qui le trahit, sous le nom de ruine du frère, selon le sens que nous avons donné
au nom d’Achitopel. Chusi, qui signifie Silence, désigne très-bien ce silence
que Notre-Seigneur opposait aux perfidies de ses ennemis, ce profond mystère qui
a frappé de cécité une partie d’Israël, alors qu’ils persécutaient le Seigneur,
jusqu’à ce que la multitude des nations entrât dans l’Eglise, et qu’ensuite tout
Israël fût sauvé. Aussi l’Apôtre, abordant ces secrètes profondeurs, ce
redoutable silence, s’écrie, comme frappé d’horreur à la vue de ces mystères :
« O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! combien sont
impénétrables ses jugements ; et ses voies incompréhensibles ! qui connaît les
desseins de Dieu, et qui est entré dans ses conseils ? » (Rm. XI, 33, 34)
L’Apôtre nous fait donc moins connaître ce profond silence, qu’il ne le
recommande à notre admiration. C’est à la faveur de ce silence, que le Seigneur,
dérobant le mystère sacré de sa passion, a fait entrer dans les vues de sa
providence miséricordieuse, la ruine volontaire du frère, le crime détestable du
traître, afin que la mort d’un seul homme, que se proposait le perfide Judas,
devînt, par la sagesse ineffable du Sauveur, le salut de tous les hommes. Ce
psaume est donc le chant d’une âme parfaite et déjà digne de connaître le secret
de Dieu. Elle chante : « Pour les paroles de Chusi », paroles de ce silence
qu’elle a mérité de connaître. C’est en effet un silence et un secret pour les
infidèles et les persécuteurs du Christ; pour ceux au contraire à qui
Jésus-Christ a dit : « Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, parce que le
serviteur ne sait ce que fait son maître ; mais je vous appellerai mes amis,
parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père » (Jn,
XV, 15), pour ces amis du Christ il n’y a plus de silence, mais les paroles
du silence, ou la raison de ce mystère du Christ que Dieu leur a donné de
pénétrer et de connaître. Ce silence, ou Chusi, est appelé fils de Gémini ou de
la droite. Car il ne fallait pas dérober aux saints ce qu’il a fait pour eux, et
pourtant « notre gauche », est-il dit, « ne doit point savoir ce que fait notre
droite » (Mt. VI, 3). L’âme parfaite, qui a compris ce secret, chante
alors cette prophétie : « Pour les paroles de Chusi », ou pour la découverte de
ce mystère, que Dieu, qui est la droite, lui a fait connaître par une faveur
spéciale : de là vient que ce silence est appelé fils de la droite, ou Chusi,
fils de Gémini.
2. « Seigneur, mon Dieu, mon espoir
est en vous, sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi » (Ps.
VII, 2). Toute guerre, toute hostilité contre les vices est surmontée, et
l’âme parfaite n’ayant plus à combattre que la jalousie du démon, s’écrie :
« Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi, de peur que comme
un lion, il ne ravisse mon âme » (Ibid. 3). Car saint Pierre nous dit que
« le démon notre ennemi, rôde autour de nous, comme un lion rugissant, cherchant
quelqu’un à dévorer » (I Pierre, V, 8). Aussi le Prophète, après avoir
dit au pluriel ! « Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent », reprend ensuite
le singulier, en disant : « De peur qu’il ne ravisse mon âme, comme un lion »,
non pas : « Qu’ils ne ravissent, car il n’ignore pas l’ennemi qui reste à
vaincre, le redoutable adversaire de toute âme parfaite. Et que je ne trouve ni
rédempteur, ni sauveur » ; c’est-à-dire, de peur qu’il ne ravisse mon âme,
tandis que vous ne la rachetez et ne la sauvez point; puisqu’il nous ravit, si
Dieu ne nous rachète et nous sauve.
3. Ce qui nous montre que ce
langage est celui de l’âme parfaite, qui n’a plus à redouter que les piéges si
artificieux du démon, c’est le verset suivant : « Seigneur mon Dieu, si j’ai
fait cela » (Ps VII, 4). Qu’est-ce à dire : « Cela ? » S’il ne nomme
aucun péché, les voudrait-il désigner tous ? Si nous rejetons une telle
interprétation, rattachons alors cette expression à ce qui suit ; et comme si
nous demandions au Prophète ce qu’il entend par « cela, istud », il nous
répondra : « Si l’iniquité est dans mes mains ». Mais il nous montre qu’il
entend parler de tout péché, puisqu’il dit : « Si j’ai rendu le mal pour le
mal » (Ps. VII, 5), parole qui n’est vraie que dans la bouche des
parfaits. Le Seigneur nous dit en effet : « Soyez parfaits, comme votre Père du
ciel, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, qui donne la
pluie aux justes et aux criminels » (Mt. V, 45, 48). Celui-là donc est
parfait qui ne rend pas le mal pour le mal. L’âme parfaite prie donc « pour les
paroles de Chusi, fils de Gérnini », ou pour la connaissance de ce profond
secret, de ce silence que garda Jésus-Christ pour nous sauver, dans sa bonté
miséricordieuse, en souffrant avec tant de patience les perfidies de celui qui
le trahissait. Comme si le Sauveur lui découvrait les raisons de ce silence et
lui disait : « Pour toi, qui étais impie et pécheur, et pour laver dans mon sang
tes iniquités, j’ai mis le plus grand silence, et une longanimité invincible à
souffrir près de moi un traître ; n’apprendras-tu pas, à mon exemple, à ne point
rendre le mal pour le mal ? » Cette âme, considérant et comprenant ce que le
Sauveur a fait pour elle, et s’animant par son exemple à marcher vers la
perfection, dit à Dieu : « Si j’ai rendu le mal pour le mal », si je n’ai point
suivi dans mes actes vos saintes leçons, « que je tombe sans gloire sous les
efforts de mes ennemis ». Il a raison de ne pas dire : « Si j’ai tiré vengeance
du mal qu’ils me faisaient », mais bien, « qu’ils me rendaient », puisqu’on ne
peut rendre que quand on a reçu quelque chose. Or, il y a plus de patience à
épargner celui qui nous rend le mal pour les bienfaits qu’il a reçus de nous,
que s’il voulait nous nuire, sans nous être aucunement redevable. « Si donc j’ai
tiré vengeance du mal qu’ils me rendaient » ; c’est-à-dire, si je ne vous ai
point imité dans ce silence, ou plutôt dans cette patience dont vous avez usé à
mon égard, que je tombe sans gloire sous les efforts de mes ennemi. Il y a une
vaine jactance chez l’homme qui, tout homme qu’il est, veut se venger d’un
autre. Il cherche à vaincre un adversaire, et lui-même est à l’intérieur vaincu
par le démon ; la joie qu’il ressent d’avoir été comme invincible, lui enlève
tout mérite. Le Prophète sait donc bien ce qui rend la victoire plus glorieuse,
et ce que nous rendra notre Père qui voit dans le secret (Id. VI, 6).
Pour ne pas tirer vengeance de ceux qui lui rendent le mal, il cherche à vaincre
sa colère, et non son ennemi : instruit qu’il est de ces paroles de l’Ecriture :
« il y a plus de gloire à vaincre sa colère, qu’à prendre une ville » (Pr.
XVI, 32, suiv. les LXX.). Si donc « j’ai tiré vengeance de ceux qui me
rendaient le mal, que je tombe sans gloire sous la main de mes ennemis » (Ps.
VII, 5). Il paraît en venir à l’imprécation, qui est le plus grave des
serments pour tout homme qui s’écrie : « Mort à moi si je suis coupable ». Mais
autre est l’imprécation dans la bouche d’un homme qui fait serment, et autre,
dans le sens d’un prophète, qui annonce les malheurs dont sera infailliblement
frappé l’homme qui tire vengeance du mai qu’on lui rend, mais ne les appelle ni
sur lui, ni sur d’autres par ses imprécations.
4. « Que mon ennemi poursuive mon
âme, et qu’il l’atteigne » (Id. 6). Il parle une seconde fois de son
ennemi au singulier, et nous montre de plus en plus celui qu’il représentait but
à l’heure sous l’aspect d’un lion ; cet ennemi qui poursuit l’âme et s’en rend
maître, s’il parvient à la séduire. Les hommes peuvent sévir jusqu’à tuer le
corps, mais cette mort extérieure ne leur assujettit point notre âme, au lieu
que le diable possède les âmes qu’il atteint dans ses poursuites. « Qu’il foule
ma vie sur la terre », c’est-à-dire qu’il fasse de ma vie une boue qui lui serve
de pâture. Car cet ennemi n’est pas seulement appelé lion, mais encore serpent ;
et Dieu lui a dit : « Tu mangeras la terre », quand il disait à l’homme
pécheur : « Tu es terre et tu re« tourneras dans la terre » (Gn. III, 14, 19).
« Qu’il traîne ma gloire dans la poussière » ; dans cette poussière que le vent
soulève de la surface de la terre (Ps. I, 4) : car la vaine et puérile
jactance de l’orgueilleux, n’est qu’une enflure et n’a rien de solide ; c’est un
nuage de poussière chassé par le vent. Le Prophète veut avec raison une gloire
plus solide qui ne se réduise pas en poussière, nous qui subsiste dans la
conscience et devant Dieu, qui ne souffre point la jactance. « Que celui qui se
glorifie », est-il dit, « ne le fasse que dans le Seigneur » (I Co. I, 31).
Cette stabilité se réduit en poussière quand l’homme, dédaignant le secret de la
conscience, où Dieu seul nous approuve, cherche les applaudissements des hommes.
De là cette autre parole de l’Ecriture : « Dieu brisera les os de ceux qui
veulent plaire aux hommes » (Ps. LII, 6). Mais celui qui connaît pour
l’avoir appris ou éprouvé, dans quel ordre il fait surmonter nos vices, sait
bien que celui de la vaine gloire est le seul, ou du moins le plus à craindre
pour les parfaits. C’est le premier ou l’âme soit tombée, c’est le dernier
qu’elle peut vaincre. « Car le commencement de tout péché, c’est l’orgueil », et
« le commencement de l’orgueil chez l’homme, c’est de se séparer de Dieu » (Eccl.
X, 14, 15)
5. « Levez-vous, Seigneur, dans
votre colère » (Ps. VII, 7). Comment cet homme que nous disions parfait,
vient-il exciter Dieu à la colère ? et la perfection ne serait-elle pas plutôt
en celui qui dit : « Seigneur, ne leur imputez point ce crime ? » (Ac. VII,
59) Mais est-ce bien sur les hommes que tombe cette imprécation du Prophète,
et ne serait-ce point contre le diable et contre ses anges qui ont en leur
possession le pécheur et l’impie ? C’est donc par un sentiment de pitié et non
de colère, que l’on demande au Dieu qui justifie l’impie (Rm. IV, 5)
d’arracher cette proie au démon. Car justifier l’impie c’est le taire passer de
l’impiété à la justice, et changer cet héritage du démon en temple de Dieu. Et
comme c’est châtier quelqu’un, que lui arracher une proie qu’il veut garder en
son pouvoir, le Prophète appelle colère de Dieu, ce châtiment qu’il exerce
contre le démon, eu lui arrachant ceux qu’il possède. « Levez-vous donc,
Seigneur, dans votre colère ». « Levez-vous », montrez-vous, dit-il, expression
figurée, mais ordinaire dans le langage humain, comme si Dieu dormait quand il
nous dérobe ses desseins. « Signalez votre puissance dans les régions de mes
ennemis ».Le Prophète appelle région, ce qui est sous la puissance du démon, et
il veut que Dieu y règne, c’est-à-dire qu’il y soit honoré et glorifié plutôt
que noire ennemi, par la justification de l’impie, et ses chants de triomphe.
« Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, selon la loi que vous avez portée » (Ps.
VII, 7), c’est-à-dire, montrez-vous humble, puisque vous recommandez
l’humilité ; accomplissez vous-même avant nous votre précepte, afin que votre
exemple détruise l’orgueil, et que nous ne soyons pas au pouvoir du démon qui
souffla l’orgueil contre vos préceptes, en disant : « Mangez, et vos yeux
s’ouvriront, et vous serez comme des dieux » (Gn. III, 5).
6. « Et l’assemblée des peuples
vous environnera » (Ps. VII, 8). Cette assemblée des peuples peut
s’entendre des peuples qui ont cru, ou des peuples persécuteurs, car l’humilité
de notre Sauveur a obtenu ce double effet : les persécuteurs l’ont environné
parce qu’ils méprisaient cette humilité, et c’est d’eux qu’il est dit : « A quoi
bon ces frémissements des nations, et ces vains complots chez les peuples ? » (Id.
II, 1) Ceux qui ont cru en vertu de cette humilité, l’ont environné, et ont
fait dire avec, beaucoup de vérité, « qu’une partie des Juifs sont tombés dans
l’aveuglement, afin que la multitude des nations entrât dans l’Eglise » (Rm.
XI, 25). Et ailleurs : « Demande-moi, et je te donnerai les nations en
héritage, et jusqu’aux confins de la terre pour ta possession » (Ps. II, 8).
« Et en sa faveur, remontez en haut », c’est-à-dire, en faveur de cette
multitude ; et nous savons que le Seigneur l’a fait par sa résurrection et son
ascension. Ayant obtenu cette gloire, il a donné le Saint-Esprit qui ne pouvait
descendre avant que Jésus fût glorifié, selon cette parole de l’Evangile : « Le
Saint-Esprit n’était point encore descendu, parce que Jésus n’était pas encore
entré dans sa gloire » (Rm. XI, 25). Donc après s’être élevé au ciel en
faveur de la multitude des peuples, il envoya l’Esprit-Saint, dont les
prédicateurs de l’Evangile étaient remplis , quand, à leur tour, ils
remplissaient d’églises l’univers entier.
7. Ces paroles : « Levez-vous,
Seigneur, dans votre colère, planez au-dessus des régions de mes ennemis » (Ps.
VII, 7), peuvent encore s’entendre ainsi : Levez-vous dans votre colère, et
que mes ennemis ne vous comprennent point, alors « exaltare, soyez
au-dessus », signifierait : Élevez-vous à une telle hauteur que vous soyez
incompréhensible ; ce qui a rapport au silence de tout à l’heure. Un autre
psaume a dit à propos de cette élévation : « Il est monté au-dessus des
Chérubins, et il a pris son vol et s’est dérobé dans les ténèbres » (Id. XVII,
11, 12). Cette élévation vous cachait à ceux que leurs crimes empêchaient de
vous connaître, et qui vous ont crucifié; et voilà que l’assemblée des fidèles
vous environnera. C’est à son humilité que le Seigneur doit d’être élevé ;
c’est-à-dire incompris. Tel serait le sens de : « Élevez-vous selon la loi que
vous avez portée » (Ps. VII, 7), c’est-à-dire, dans votre humiliation
apparente soyez tellement élevé que mes ennemis ne vous comprennent point. Car
les pécheurs sont les ennemis du juste, et les impies de l’homme pieux. « Et les
peuples vous environneront en foule » (Id. 8) ; car ce qui porte à vous
crucifier ceux qui ne vous connaissent pas, fera que les nations croiront en
vous, et ainsi les peuples vous adoreront en foule. Mais si tel est vraiment le
sens du verset suivant, il faut plutôt nous attrister à cause de l’effet que
nous en ressentons dès ici-bas, que nous réjouir de l’avoir compris. Il porte,
eu effet : « Et à cause d’elle remontez en haut » (Ibid.) ; c’est-à-dire,
à cause de ces hommes dont la foule encombre vos églises, remontez bien haut, ou
cessez d’être connu. Qu’est-ce à dire : « A cause de cette foule ? » sinon,
parce qu’elle doit, vous offenser, et ainsi justifier cette, parole :
« Pensez-vous que le Fils de l’homme, revenant sur la terre, y trouvera de la
foi ? » (Lc, XVIII, 8) Il est dit encore, à propos des faux prophètes ou
des hérétiques : « A cause de leur iniquité, la charité se refroidira chez un
grand nombre » (Mt. XXIV, 12). Or, quand au sein de l’Eglise, ou dans la
société des peuples et des nations que le nom du Christ a si complètement
envahis, le crime débordera avec cette fureur que nous lui voyons en grande
partie déjà, n’est-ce point alors que se fera sentir la disette de la parole,
annoncée par un autre prophète ? (Am, VIII, 11) N’est-ce point à cause de
cette congrégation qui, à force de crimes, éloigné de ses yeux la lumière de la
vérité, que Dieu remonte en haut, de manière que la vraie foi, pure de tout
alliage d’opinions perverses, ne se trouve plus nulle part, sinon dans le petit
nombre dont il est dit : « bienheureux celui qui aura persévéré jusqu’à la fin,
celui-là sera sauvé ? » (Mt. X, 22). C’est donc à bon droit qu’il est
dit : « Et à cause de cette assemblée, remontez en haut ». Retirez-vous dans vos
secrètes profondeurs, justement à cause de cette assemblée des peuples qui
portent votre nom, sans accomplir vos œuvres.
8. Que l’on adopte la première
explication, ou cette dernière, ou toute autre de valeur égale, et mémé
supérieure, le Prophète n’a pas moins raison de dire que « le Seigneur juge les
peuplés » (Ps. VII, 9). Si non entend par s’élever en haut, qu’il est
ressuscité pour monter (149) au ciel, on peut dire fort bien que « le Seigneur
juge les peuples », puisqu’il en descendra pour juger les vivants et les morts.
S’il remonte dans les hauteurs, parce que le péché fait perdre aux fidèles
l’intelligence de la vérité, comme il est dit à propos de son avènement :
« Pensez-vous que le Fils de l’homme venant en ce monde y trouvera de la foi ? »
(Lc, XVIII, 8) « Le Seigneur juge encore les peuples ». Mais quel
Seigneur, sinon Jésus-Christ ? « Car le Père ne juge personne ; il a donné au
Fils le pouvoir de juger » (Jn, V, 22). Voyez alors comme cette âme si
parfaite en sa prière, s’émeut peu du jour du jugement, et avec quelle sécurité
de désir elle dit à Dieu dans sa ferveur : « Que votre règne arrive » (Mt. VI,
10), puis : « Jugez-moi, Seigneur, selon votre justice » (Ps. VII,
9). Dans le psaume précédent, c’était un infirme qui priait, sollicitant le
secours de Dieu bien plus qu’il ne faisait valoir ses propres mérites, car le
Fils de Dieu est venu pour appeler à la pénitence tous les pécheurs (Lc, V,
32). Aussi disait-il : « Sauvez-moi, Seigneur, à cause de votre
miséricorde » (Ps. VII, 5), et non à cause de mes mérites. Maintenant que
docile à l’appel de Dieu, il a gardé les préceptes qu’il a reçus, il ose bien
dire : « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice, et selon mon innocence d’en
haut » (Id. VII, 9). La véritable innocence est de ne pas nuire, même à
ses ennemis. Il peut donc demander à être jugé selon son innocence, celui qui a
pu dire en toute vérité « Si j’ai tiré vengeance de celui qui me rendait le
mal » (Id. 5). Cette expression « d’en haut, super me », doit
s’appliquer à sa justice aussi bien qu’à son innocence, et alors il dirait :
« Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice et selon mon innocence, justice et
innocence d’en haut » ; expression qui nous montre que l’âme n’a point en
elle-même la justice et l’innocence, et qu’elle les reçoit de la lumière dont il
plaît à Dieu de nous éclairer. Aussi dit-elle dans un autre psaume : « C’est
vous, Seigneur, qui faites briller mon flambeau » (Ps. XVII, 29). Et il
est dit de Jean : « Qu’il n’était point la lumière, mais qu’il rendait
témoignage à la lumière » (II Jn, I, 8), « qu’il était une torche
enflammée et brillante » (Id. V, 35). Cette lumière donc, à laquelle nos
âmes s’illuminent comme des flambeaux, ne brille point d’un éclat d’emprunt,
mais d’un éclat qui lui est propre et qui est la vérité. « Jugez-moi donc »,
est-il dit, « selon ma justice et selon mon innocence d’en haut », comme si la
torche allumée et brillante disait : Jugez-moi selon cette splendeur d’en haut,
c’est-à-dire qui n’est point moi-même, et dont je brille néanmoins, quand vous
m’avez allumée.
9. « Que la malice des pécheurs se
consomme » (Ps. VII, 10). Cette consommation est ici le comble, d’après
cette parole de l’Apocalypse : « Que celui qui est juste le devienne plus
encore, et que l’homme souillé se souille davantage » (Ap. XXII, 11).
L’iniquité paraît consommée dans ceux qui crucifièrent le Fils de Dieu, mais
elle est plus grande chez ceux qui refusent de vivre saintement, qui haïssent
les lois de la vérité, pour lesquelles a été crucifié ce même Fils de Dieu. Que
la malice donc des pécheurs se consomme, dit le Prophète, qu’elle s’élève
jusqu’à son comble et qu’elle appelle ainsi votre juste jugement. Toutefois, non
seulement il est dit Que l’homme souillé se souille encore; mais il est dit
aussi : Que le juste devienne plus juste ; c’est pourquoi le Prophète poursuit
en disant : « Et vous dirigerez le juste, ô Dieu qui sondez les cœurs et les
reins » (Ps. VII, 10). Mais comment le juste peut-il être dirigé, sinon
d’une manière occulte ? puisque les mêmes actions que les hommes admiraient dans
les premiers temps du christianisme, quand les puissances du siècle mettaient
les saints sous le pressoir de la persécution, ces actions, aujourd’hui que le
nom chrétien est arrivé à l’apogée de sa gloire, servent à développer
l’hypocrisie ou la dissimulation chez des hommes qui sont chrétiens de nom, pour
plaire aux hommes plutôt qu’à Dieu ? Dans cette confusion de pratiques
hypocrites, comment le juste peut-il être dirigé, sinon par le Dieu qui sonde
les reins et les coeurs, qui voit nos pensées, désignées ici sous l’expression
de coeur, et nos plaisirs, que désignent les reins ? Le Prophète a raison
d’attribuer à nos reins le plaisir que nous font éprouver les biens temporels ;
c’est en effet la partie inférieure de l’homme, et comme le siège de cette
voluptueuse et charnelle génération, qui perpétue la race humaine, et nous donne
cette vie calamiteuse dont les joies sont mensongères. Donc, ce Dieu qui sonde
les cœurs et voit qu’ils sont où est notre trésor (Mt. VI, 21), qui sonde
les reins, et voit que loin de nous arrêter au sang et à la chair (Ga. I, 16),
nous mettons nos délices dans le Seigneur, ce même Dieu dirige le juste dans
cette conscience même, où il est présent, où l’œil de l’homme ne pénètre point,
mais seulement l’œil de celui qui connaît l’objet de nos pensées et de nos
plaisirs. Car le but de nos soucis est le plaisir, et nul dans ses soins et dans
ses pensées ne se propose que d’y parvenir. Dieu qui sonde les cœurs voit nos
soucis, et il en voit le but ou le plaisir, lui qui sonde aussi nos reins; et
quand il verra que nos soucis, loin de s’arrêter à la convoitise de la chair, à
la convoitise des yeux, ou à l’ambition mondaine, choses qui passent comme
l’ombre (I Jn, II, 16, 17), s’élèvent jusqu’aux joies éternelles que ne
trouble aucune vicissitude, ce Dieu qui sonde les reins et les cœurs conduit le
juste par la voie droite, Telle œuvre que nous faisons, peut être connue des
hommes, si elle consiste en paroles ou en actes extérieurs ; mais notre
intention en la faisant, et le but qui nous pousse à la faire, ne sont connus
que de Dieu qui sonde les reins et les cœurs.
10. « J’attends un juste secours du
Seigneur, qui sauve les hommes au cœur droit » (Ps. VII, 11). La médecine
a une double tâche, d’abord de guérir la maladie, ensuite de conserver la santé.
C’est dans le premier but qu’un malade disait dans le psaume précédent : « Ayez
pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible » (Id. VI, 3). En vue du
second but, nous trouvons dans le psaume qui nous occupe : « Si l’iniquité
souille mes mains, que je tombe justement sous les efforts de mes ennemis » (Id.
VII, 4, 5). Dans le premier cas, le malade implore sa guérison, et dans le
second, l’homme en santé demande à n’être point malade. L’un s’écrie donc :
« Sauvez-moi dans votre miséricorde » (Id. VII, 5) ; et l’autre :
« Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice ». Le premier demande le remède qui le
guérira, le second le préservatif contre la maladie. Aussi le premier dit-il :
Sauvez-moi, Seigneur, dans votre miséricorde, et le second : J’attends un
secours juste du Seigneur, qui sauve l’homme au cœur droit. Dans l’un comme dans
l’autre cas, c’est la miséricorde qui nous sauve : dans le premier, en nous
faisant passer de la maladie à la santé ; dans le second, en nous maintenant en
santé. Il y a dans le premier un secours de miséricorde, puisqu’il n’y a nul
mérite chez le pécheur qui désire seulement être justifié par la foi en celui
qui justifie l’impie (Rm. IV, 5) : dans le second, un secours de justice,
car il est accordé à celui qui est déjà justifié. Que ce pécheur alors qui
disait : Je suis infirme, dise maintenant : Sauvez-moi, Seigneur, dans votre
miséricorde ; et que le juste qui pouvait dire : Si j’ai tiré vengeance de ceux
qui me rendaient le mal, dise maintenant : J’attends un juste jugement du
Seigneur qui sauve l’homme au coeur droit. Car si Dieu nous donne le remède qui
guérit notre maladie, combien plus nous donnera-t-il le moyen de conserver la
santé ? Car si Jésus-Christ est mort pour nous quand nous étions pécheurs,
maintenant que nous sommes justifiés, nous serons, à plus forte raison, délivrés
par lui de la colère du Seigneur (Id. V, 8, 9).
11. « J’attends un juste secours du
Seigneur », qui sauve l’homme au coeur droit. Le Dieu qui sonde les reins et les
coeurs, donne aussi la droiture au juste; et par un juste secours il sauve ceux
qui ont le coeur droit. Toutefois, il ne donne pas le salut à ceux qui ont la
droiture dans le coeur et dans les reins, de la même manière qu’il sonde les
reins et les coeurs. Dans le coeur, en effet, siègent les pensées : mauvaises,
quand il est dépravé ; bonnes, quand il est droit; mais aux reins appartiennent
les plaisirs condamnables qui ont quelque chose de bas et de terrestre, tandis
qu’un plaisir pur n’est plus dans les reins, mais dans le coeur. Aussi ne
peut-on pas dire : La droiture des reins, comme on dit : La droiture du cœur ;
car où est la pensée, là aussi est la jouissance : cette droiture ne peut avoir
lieu que si nous pensons aux choses divines et éternelles. Aussi le Prophète
s’écriait-il : « Vous avez mis la joie dans mon cœur », après avoir dit : « La
lumière de votre face est empreinte sur nous » (Ps. IV, 7). Ce n’est
point le coeur, en effet, mais bien les reins qui trouvent une certaine
jouissance dans cette joie folle et délirante que nous causent de vaines
imaginations, quand les fantômes des choses temporelles, que se forme notre
esprit, le bercent d’un espoir vain et passager ; tous ces fantômes nous
viennent d’en bas, ou des choses terrestres et charnelles. De là vient que Dieu,
sondant les coeurs et les reins, et voyant le coeur occupé de pensées droites,
les reins sevrés de toute volupté, donne un juste secours à ce coeur droit qui
sait allier à des pensées pures d’irréprochables délices. Aussi, après avoir dit
dans un autre psaume : « Jusque dans la nuit mes reins m’ont tourment », le
Prophète parlait du secours divin, et s’écriait : « J’avais toujours le Seigneur
présent devant moi, parce qu’il est à ma droite, et je ne serai point ébranlé (Ps.
XV, 7, 8), marquant ainsi que ses reins lui ont seulement suggéré, mais non
causé la volupté, qui l’eût ébranlé, s’il l’avait ressentie. Il dit donc : « Le
Seigneur est à ma droite, et je ne serai point ébranlé » ; puis il ajoute :
« Aussi mon coeur a-t-il tressailli de joie » ( Id. 9). Les reins ont
bien pu le tourmenter, mais non lui donner la joie. Ce n’est donc point dans les
reins qu’il a senti la joie, mais dans ce coeur qui lui a montré que Dieu le
soutiendrait contre les suggestions de ses reins.
12. « Dieu est un juge équitable,
il est fort et patient » (Id. VII, 12). Quel est ce Dieu juge, sinon le
Seigneur qui juge les peuples ? Il est juste, car il rendra à chacun selon ses
œuvres (Mt. XVI, 27) ; il est fort, puisque nonobstant sa
toute-puissance, il a enduré pour notre salut les persécutions des méchants ; il
est patient, puisqu’il n’a point livré ses bourreaux au supplice, aussitôt après
sa résurrection, mais il a différé afin qu’ils pussent détester cette impiété,
et se sauver ; il diffère encore aujourd’hui, réservant le supplice éternel pour
le dernier jugement, et chaque jour appelant les pécheurs au repentir. « Il
n’appelle point chaque jour sa colère ». Cette expression : « Appeler sa
colère », est plus significative que se mettre en colère, et nous la trouvons
dans la version grecque (Me orge epogon) ; elle nous montre que cette
colère, qui le porte au châtiment, n’est point en lui-même, mais dans les
sentiments de ses ministres qui obéissent aux lois de la vérité : ce sont eux
qui ordonnent aux ministres inférieurs, appelés anges de colère, de châtier le
péché. Ceux-ci, à leur tour, éprouvent, en châtiant les hommes, la satisfaction,
non de la justice, mais de la méchanceté. « Dieu donc n’appelle point chaque
jour sa colère » ; c’est-à-dire, ne convoque point chaque jour les ministres de
ses vengeances. Maintenant, sa patience nous invite au repentir ; mais au
dernier jour, quand les hommes, par leur dureté et l’impénitence de leur coeur,
se seront amassé un « trésor de colère pour le jour où se révélera la colère et
le juste jugement de Dieu » (Rm. II, 5), alors il brandira son glaive.
13. « Si vous ne retournez à
lui »,dit le Prophète, « il brandira son glaive » (Ps. VII, 13). On peut
dire de Jésus-Christ, qu’il est le glaive de Dieu, glaive à deux tranchants,
framée qu’il n’a point brandie à son premier avènement, mais qu’il a tenue
cachée dans le fourreau de son humilité ; mais au second avènement, quand il
viendra juger les vivants et les morts, les éclairs de cette framée brilleront
de tout l’éclat de sa splendeur, pour illuminer les justes, et jeter les impies
dans l’effroi. D’autres versions, au lieu de : « Brandira son glaive »,
portent : « Fera briller sa framée » : expression qui s’applique fort bien,
selon moi, à cette splendeur de Jésus-Christ, au dernier avènement ; car en
parlant au nom de Jésus-Christ même, le psalmiste a dit ailleurs : « Seigneur,
délivrez mon âme des mains de l’impie, et votre glaive des ennemis de votre
puissance » (Id. XVI, 13, 14). « Il a tendu son arc et l’a préparé ». Il
ne faut point négliger ce changement de temps dans les verbes : il est dit au
futur que « Dieu brandira son épée » ; et au passé, « qu’il a tendu son arc »,
et le discours continue au passé.
14. « Il a mis en lui l’instrument
de la mort : il a fabriqué ses flèches avec des charbons ardents » (Id. VII,
14). Dans cet arc, je verrais volontiers les saintes Ecritures, où la force
du Nouveau Testament, pareille à un nerf, a fait fléchir et a dompté la raideur
de l’Ancien. Cet arc a lancé comme des flèches; les Apôtres ou les saints
prédicateurs. Ces flèches que Dieu a fabriquées avec le charbon ardent,
embrasent de l’amour divin ceux, qu’elles ont frappés. De quelle autre flèche
serait blessée l’âme qui chante ainsi : « Conduisez-moi dans les lieux où se
garde le vin, établissez-moi dans les parfums, environnez-moi de miel, parce que
l’amour m’a blessée ? » (Ct. II, 4, suiv. les LXX.) De quelle autre
flèche peut être embrasé celui qui veut revenir à Dieu, qui quitte le chemin de
l’exil, qui implore du secours, contre les langues menteuses, et s’entend dire :
« Que vous donner ? comment vous secourir contre les langues menteuses ? les
flèches du vainqueur sont aiguës ; ce sont des charbons ardents ? » (Ps. CXIX,
3,4) c’est-à-dire, si vous en étiez atteint, vous brûleriez d’un tel amour
du royaume de Dieu, que vous dédaigneriez tous ceux. qui vous résisteraient, et
qui tâcheraient de vous détourner de votre dessein : vous vous ririez de leurs
persécutions et vous diriez : « Qui me séparera de l’amour de Jésus-Christ ?
L’affliction, les angoisses, la faim, la nudité, les périls, la persécution ou
le glaive ? J’ai la certitude », poursuit l’Apôtre, « que ni la mort, ni la vie,
ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les choses
futures, ni les vertus, ni ce qu’il y a de plus haut, ni ce qu’il y a de plus
profond, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en
Jésus-Christ Notre-Seigneur » (Rm. VIII, 35-39). C’est ainsi qu’il a
fabriqué ses flèches avec des charbons ardents. Car la version grecque porte :
« Ses flèches sont fabriquées au moyen de charbons ardents », quand, presque
toujours, nous lisons dans la version latine. « Ses flèches sont ardentes » ;
mais que les flèches brûlent, ou qu’elles allument le feu, ce qui leur serait
impossible si elles n’étaient brûlantes, le sens est le même.
15. Le Prophète ne parle pas
seulement de flèches que le Seigneur a préparées pour son arc, mais encore
d’instruments de mort et l’on peut se demander, si des instruments de mort ne
désigneraient point les hérétiques, car, eux aussi, s’élancent du même arc du
Seigneur, ou des saintes Ecritures, non pour enflammer les âmes, de la charité,
mais pour les tuer de leurs poisons ce qui n’arrive qu’à celles qui l’ont mérité
par leurs crimes : et cette décision est encore l’œuvre de la divine Providence,
non qu’elle porte les hommes au péché, mais parce qu’elle dispose des pécheurs
dans l’ordre de sa sagesse. Le péché leur fait lire les Ecritures avec mauvaise
intention, et le sens dépravé qu’ils sont forcés d’y donner, devient le
châtiment du péché, et leur mort funeste devient comme un aiguillon, qui stimule
les enfants de l’Eglise catholique, les tire de l’assoupissement et leur fait
comprendre les saintes Ecritures. « Il faut, en effet, qu’il y ait des
hérésies », dit l’Apôtre, « afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous , dont la
vertu est éprouvée » (I Cor. XI, 19) ; c’est-à-dire, afin qu’on les
reconnaisse parmi les hommes, car ils sont connus de Dieu. Ces flèches, ces
instruments-de mort, ne seraient-ils point préparés pour l’extermination des
infidèles, et Dieu ne les aurait-il pas faites brûlantes, ou avec des charbons
ardents, afin d’embraser les fidèles ? Car elle n’est point mensongère, cette
parole de l’Apôtre : « Aux uns nous sommes une odeur de vie pour la vie, et aux
autres une s odeur de mort pour la mort; et qui est propre à ce ministère ? » (II
Co. II, 16) Il n’est donc pas étonnant que les mêmes Apôtres soient des
instruments de mort pour ceux qui les ont persécutés, et des flèches de feu pour
embraser les cœurs de ceux qui ont cru.
16. Après en avoir agi de la sorte,
Dieu fera voir l’équité de ce jugement, dont le Prophète nous parle de manière à
nous faire comprendre que le supplice de chacun sera dans son péché, et le
châtiment dans son injustice même ; et à nous prémunir contre cette pensée qu’il
y aurait dans ce calme profond de Dieu, dans sa lumière ineffable, un désir de
punir les crimes : toutefois il les dispose avec tant de sagesse, que cette joie
même que goûtait l’homme dans son péché, devient un instrument de vengeance pour
le Seigneur qui châtie. Voilà, dit le Prophète, « qu’il a enfanté l’injustice »
(Ps. VII, 15). Mais qu’avait-il conçu pour enfanter ainsi l’injustice ?
« Il avait conçu le travail » (Gn. III, 17), ce travail dont il est
écrit : « Tu mangeras ton pain dans le labeur » ; et ailleurs : « Venez à moi,
vous tous qui travaillez, et qui êtes chargés ; mon joug est doux, et mon
fardeau léger » (Mt. XI, 28, 30). Car le labeur pénible ne finira point
pour l’homme, tant qu’il n’aimera point ce qu’on ne pourra lui enlever malgré
lui. En effet, tant que nous aimons ce qui peut nous échapper malgré notre
volonté, nous subirons le travail et la peine: étroitement resserrés dans les
difficultés de cette vie où chacun, pour posséder ces biens, s’efforce tantôt
d’en prévenir un autre, tantôt de les extorquer au possesseur, nous ne pouvons
les acquérir que par d’injustes combinaisons. Il est donc bien, il est
parfaitement dans l’ordre que l’homme enfante l’injustice après avoir conçu le
travail. Que peut-il enfanter, sinon ce qu’il a porté dans son sein, bien qu’il
n’enfante pas ce qu’il a conçu ? Car le sujet à la naissance n’est plus celui de
la conception : concevoir se dit d’un germe, mais c’est l’être que ce germe a
formé, qui arrive à la naissance. Le travail est donc le germe de l’iniquité ;
et concevoir le travail, c’est concevoir le péché, ce premier péché qui nous
sépare de Dieu (Eccl. X, 14). Il a donc porté l’injustice, celui qui
avait conçu le travail, et « il a mis au monde l’iniquité ». Et comme l’iniquité
c’est l’injustice, il a fait éclore ce qu’il avait porté. Que dit-il ensuite ?
17. « Il a ouvert une fosse, il l’a
creusée » (Ps. VII, 16). Ouvrir une fosse dans les affaires terrestres,
aussi bien que dans la terre, c’est préparer un piége où puisse tomber celui que
veut tromper l’homme injuste. Le pécheur ouvre cette fosse, quand il ouvre son
âme aux suggestions des terrestres convoitises ; il la creuse, quand il y donne
son adhésion et s’occupe d’ourdir la fraude. Mais comment serait-il possible que
l’iniquité blessât l’homme juste qu’elle attaque, avant d’avoir blessé le coeur
injuste qui la commet ? Un voleur, par exemple, reçoit de l’avarice une
blessure, quand il cherche à endommager le bien d’autrui. Qui serait assez
aveugle pour ne pas voir la distance qui sépare ces deux hommes, dont l’un subit
la perte de son argent, l’autre de son innocence ? « Ce dernier donc tombera
dans la fosse qu’il aura creusée » ; comme le psalmiste l’a dit encore
ailleurs : « Le Seigneur se fait connaître dans ses jugements, et le pécheur
s’est pris lui-même dans les oeuvres de ses mains » (Id. IX, 17).
18. « Son travail pèsera sur lui,
et son iniquité retombera sur sa tête » (Jn, XVIII, 34). C’est lui qui
n’a pas voulu fuir le péché ; mais il s’en est rendu volontairement l’esclave,
selon cette parole du Seigneur : « Tout pécheur devient l’esclave du péché ».
Son péché donc sera sur lui, puisque lui-même s’est soumis au péché ; dès lors
qu’il n’a pu dire à Dieu, comme toute âme droite et innocente : « C’est vous qui
êtes ma gloire et qui élevez ma tête » (Ps. III, 4), c’est donc lui qui
sera abaissé, de manière que l’iniquité le dominera et descendra sur lui : elle
sera pour lui un poids très-lourd, et l’empêchera de prendre son essor vers le
repos des saints. Voilà ce qui arrive chez le pécheur, quand l’âme est esclave,
et que les passions dominent.
19. « Je confesserai le Seigneur
selon sa justice » (Ps. III, 18). Cette confession n’est point l’aveu des
pécheurs ; car celui qui parle ainsi disait plus haut avec beaucoup de vérité :
« Si vous trouvez l’iniquité dans mes mains » (Id. VII, 18). C’est donc
un témoignage rendu à la justice de Dieu ; comme s’il disait : Vraiment,
Seigneur, vous êtes juste, et quand vous protégez les bons de manière à les
éclairer par vous-même, et quand, par votre sagesse, le pécheur trouve son
châtiment dans sa propre malice, et non dans votre volonté. Cette confession
élève la gloire du Seigneur bien au-dessus des blasphèmes des impies, qui
veulent des excuses pour leurs crimes, et refusent de les attribuer à leur
faute, c’est-à-dire qu’ils ne veulent point que la culpabilité soit coupable.
Ils accusent de leurs péchés, ou la fortune ou le destin, ou le démon auquel
notre Créateur a voulu que nous pussions résister, ou même une nature qui ne
viendrait point de Dieu ; ils s’égarent en de misérables fluctuations, plutôt
que de mériter de Dieu leur pardon par un aveu sincère. Car il n’y a de pardon
possible que pour celui qui dit : J’ai péché. Or, celui qui comprend que Dieu,
dans sa sagesse, rend à chacune des âmes ce qu’elle a mérité, sans déroger
aucunement à la beauté de l’univers, loue Dieu dans toutes ses œuvres ; et ce
témoignage ne vient pas des pécheurs, mais des justes. Ce n’est point avouer des
fautes que de dire au Seigneur : « Je vous confesse, Seigneur du ciel et de la
terre, parce que vous avez dérobé ces mystères aux savants, pour les révéler aux
petits (Mt. XI, 25). De même, nous lisons dans l’Ecclésiastique :
« Confessez le Seigneur dans toutes sas œuvres. Et voici ce que vous direz dans
vos confessions : Tous les ouvrages du Seigneur proclament sa sagesse » (Eccl.
XXIX, 19, 20). Donc, cette confession dont parle ici David, consiste à
comprendre, avec le secours de Dieu et une piété sincère, comment le Seigneur,
qui récompense les justes, et qui châtie les méchants, par ce double effet de sa
justice, maintient toute créature qu’il a faite et qu’il gouverne, dans une
admirable beauté, que peu d’hommes comprennent. Il s’écrie donc : « Je
confesserai le Seigneur selon sa justice », comme le ferait celui qui a compris
que le Seigneur n’a point fait les ténèbres, quoiqu’il en dispose avec sagesse.
Dieu dit en effet : « Que la lumière soit faite, et la lumière fut » (Gn. I,
3) ; mais il ne dit pas : Que les ténèbres soient, et les ténèbres furent
faites ; et toutefois il les a réglées, puisqu’il est dit « qu’il sépara la
lumière des ténèbres, qu’il donna le nom de jour à la lumière, et celui de nuit
aux ténèbres » (Id. 4, 5). Il y a donc cette différence qu’il fit l’un et
le régla ; et qu’il ne fit pas l’autre, bien qu’il la réglât néanmoins. Que les
ténèbres figurent le péché, c’est ce que nous apprend ce mot d’un Prophète :
« Et vos ténèbres seront pour vous le soleil » (Is. LVIII, 10) ; et cette
parole de saint Jean : « Celui-là est dans les ténèbres qui a de la haine contre
son frère » (I Jn, II, 11) ; et surtout celle-ci de saint Paul :
« Dépouillons-nous des œuvres ténébreuses, pour revêtir les armes de la
lumière » (Rm. XIII, 12). Ce n’est pas qu’il y ait une nature
ténébreuse ; car toute nature existe nécessairement comme nature. Mais exister,
c’est le propre de la lumière, tandis que ne pas exister, est le propre des
ténèbres. Donc, abandonner celui qui nous a créés pour nous incliner vers ce
néant d’où nous avons été tirés, c’est nous couvrir des ténèbres du péché ; ce
n’est point périr tout à fait, mais descendre au dernier rang. Aussi, quand le
Prophète a dit : « Je confesserai devant le Seigneur » a-t-il soin d’ajouter,
pour ne point nous laisser croire à un aveu de ses fautes : « Et je chanterai le
nom du Seigneur Très-Hauté » (Ps. VII, 18). Or, chanter est le propre de
la joie, tandis que le repentir de nos fautes accuse la douleur.
20. On pourrait appliquer ce psaume
à la personne de l’Homme-Dieu, en rapportant à notre nature infirme, qu’il avait
daigné revêtir, tout ce qui est dit à notre confusion.
POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID, SUR LES PRESSOIRS.
La grappe de raisin contient
le vin et le marc : le marc formé des enveloppes a été nécessaire pour amener le
vin à maturité; le pressoir le sépare de cette enveloppe protectrice. Telle est
l’oeuvre de l’Eglise qui nourrit les petits du lait de la doctrine jusqu’à ce
qu’ils deviennent adultes et prennent la solide nourriture des parfaits.
1. La teneur du psaume ne nous
laisse rien voir à propos de ces pressoirs qui lui servent de titre, ce qui nous
montrerait que souvent l’Ecriture nous désigne le même objet sous des figures
multiples et variées. Nous pouvons donc, sous la dénomination de pressoirs,
entendre l’Eglise, par la même raison qui nous l’a fait voir sous la figure
d’une aire ; car l’aire ou le pressoir, n’ont d’autre objet que d’ôter au blé ou
au raisin ces enveloppes dont ils avaient besoin pour naître, pour croître et
pour arriver à la maturité de la moisson ou de la vendange. Ces enveloppes ou
ces soutiens sont, pour le blé, la paille dont il est dépouillé dans l’aire, et
pour le vin, les grappes dont on l’extrait au pressoir. Il en est de même dans
l’Eglise. Les bons y sont mêlés à la foule des hommes terrestres, mélange qui
leur est nécessaire, et sans lequel ils ne pourraient naître, ni devenir aptes à
la parole de Dieu ; et les ministres de l’Eglise travaillent à les séparer de
cette foule au moyen d’un amour spirituel. Ainsi en agissent aujourd’hui les
bons qui mettent l’intervalle, non des lieux, mais de l’amour, entre eux et les
méchants, bien que, selon le corps, ils soient présents avec eux dans les mêmes
églises. Un autre temps viendra où le froment sera séparé pour les greniers et
le vin pour les celliers du Père céleste, selon le mot de l’Evangile : « Il
amassera le froment pour ses greniers, et jettera la paille au feu
inextinguible » (Luc III, 17). La même pensée peut s’exprimer par cette
autre comparaison : Il mettra son vin en réserve dans ses celliers et jettera le
marc aux animaux; et le ventre des animaux pourrait être comparé aux gouffres de
l’enfer.
2. On peut encore entendre les
pressoirs d’une autre manière, mais en les regardant toujours comme figure de l’Eglise.
Le Verbe divin aurait pour emblème Je raisin ; car on voit dans cette grappe
suspendue au bois, que les émissaires d’Israël rapportaient de la terre promise
(Nb. XIII, 24), une figure de Jésus crucifié. Alors, quand le Verbe divin
a besoin d’emprunter le son de la voix pour arriver à l’oreille des auditeurs,
l’intelligence de ce Verbe est au son de la voix, comme le vin doux est au marc
qui le contient ; et cette grappe sacrée arrive à nos oreilles comme sous la
violence des pressoirs. C’est là qu’elle se déchire ; et le son de la voix est
pour les oreilles, tandis que le sens arrive dans la mémoire des auditeurs comme
dans un réservoir, pour se déverser ensuite dans la règle des moeurs et dans les
mouvements de notre âme, comme le vin coule de la cuve dans les celliers, où il
prendra sa force en vieillissant, si la négligence ne le laisse pas aigrir. Car
il s’est aigri chez les Juifs, qui ont abreuvé le Seigneur de ce vinaigre(Jn,
XIX, 29). Au contraire, il aura de la douceur et de la force, le produit de
cette vigne mystérieuse du Nouveau Testament que le Seigneur doit boire avec ses
élus dans le royaume de son Père (Lc, XXII, 18).
3. Souvent encore, le nom de
pressoir désigne le martyre; car après avoir passé sous le pressoir de la
persécution, les restes mortels de ceux qui ont donné leur vie pour Jésus-Christ
sont jetés sur la terre comme le marc, tandis que les âmes ont pris leur essor
pour le repos de l’éternel séjour. Mais ce sens figuratif ne s’éloigne point des
fruits que produit l’Eglise. Le nom de pressoir donné à ce psaume nous reporte
donc à l’établissement de l’Eglise, alors que le Seigneur ressuscitait pour
monter au ciel. Ce fut alors qu’il envoya l’Esprit-Saint; et les disciples qui
en étaient remplis, prêchèrent avec confiance la parole de Dieu, et formèrent
des Eglises.
4. C’est pourquoi il est dit avec
raison : « Seigneur, notre Dieu, que votre nom est grand par toute la terre ! »
(Ps. VIII, 2) Mais comment ce nom est-il grand dans l’univers entier ? et
le Prophète répond : « C’est que votre magnificence est élevée au-dessus des
cieux » (Ibid.). Le sens serait alors : Seigneur, qui êtes notre Dieu,
dans quelle admiration vous jetez les habitants de la terre! puisque, de votre
abaissement en ce monde, vous avez fait éclater votre gloire par-dessus les
cieux : pour ceux en effet qui vous voyaient monter au ciel, et pour ceux qui y
croyaient, cette ascension montrait avec quelle puissance vous en étiez
descendu.
5. C’est de la bouche des enfants
nouveau-nés et à la mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite, à
l’encontre de vos ennemis » (Id. 3). Par ces enfants nouveau-nés et à la
mamelle, nous ne pouvons entendre que ceux dont l’Apôtre a dit : « Comme à des
enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait et non des viandes solides » (I
Co. III, 2). Ils étaient figurés par ces autres enfants qui précédaient
Jésus-Christ en chantant ses louanges, et en faveur desquels Jésus cita ce
passage dans sa réponse aux Juifs qui le pressaient de leur imposer silence :
« N’avez-vous donc point lu cette parole, dit le Sauveur : C’est de la bouche
des enfants nouveau nés et à la mamelle, que vous avez tiré une louange
parfaite ? » (Mt. XXI, 16) Il a raison de ne point dire seulement :
« Vous avez tiré votre louange » ; mais, « une louange parfaite ». Car il y a
des fidèles dans l’Eglise, qui ont quitté le lait pour une nourriture plus
solide, et c’est d’eux que parle saint Paul quand il dit : « Nous prêchons aux
parfaits la sagesse divine » (Co. II, 6) mais ils ne sont pas seuls pour
former l’Eglise, car s’ils étaient seuls, Dieu abandonnerait la faiblesse
humaine. Or, c’est par égard pour cette faiblesse, qu’il veut donner pour
nourriture, à ceux qui sont incapables de comprendre les choses spirituelles et
éternelles, la foi historique de tout ce qui s’est accompli dans le temps,
depuis les Patriarches et les Prophètes, par celui qui est l’incomparable
puissance et la sagesse de Dieu, et particulièrement dans le mystère de
l’Incarnation. Quiconque y adhère par la foi y trouve le salut, lorsque,
entraîné par cette autorité, il se soumet aux préceptes qui le purifient,
s’enracine solidement la charité, devient capable de courir avec les saints, non
plus comme l’enfant qui a besoin de lait, mais comme le jeune homme qui prend
une nourriture solide, et peut comprendre la largeur, la longueur, la hauteur et
la profondeur, connaître même l’amour de Jésus-Christ pour nous, qui surpasse
toute connaissance (Ep. III, 18, 19).
6. « C’est de la bouche des enfants
nouveau-nés et à la mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite, à cause de
vos ennemis ». Par ennemis de ce qu’a fait Jésus, et Jésus crucifié, nous devons
entendre en général, tous ceux qui défendent de croire à l’inconnu, et qui nous
promettent une connaissance claire. Telle est la conduite des hérétiques et de
ceux que leurs superstitions idolâtres ont fait appeler philosophes : non qu’il
soit mauvais de promettre la science, mais ils veulent écarter la foi qui est
l’échelle salutaire et indispensable pour nous élever à une certitude dont
l’objet ne peut être que les choses éternelles. Cette négligence d’un moyen si
utile et si nécessaire nous prouve à elle seule, qu’ils n’ont point cette
science promise au mépris de la foi. « C’est donc de la bouche des enfants
nouveau-nés et à la mamelle, Seigneur, que vous avez tiré une louange
parfaite », en nous disant par votre Prophète : « Si vous ne croyez, vous ne
comprendrez point » (Is. VII, 9, suiv. les LXX), et en nous disant
vous-même : « Bienheureux ceux qui n’ont point vu et qui l’ont cru » (Jn, XX,
29). A cause de vos ennemis, de ces mêmes hommes à l’occasion desquels vous
avez dit ; « Je vous rends grâces, Dieu du ciel et de la terre, qui avez dérobé
ces mystères aux sages, pour les révéler aux petits » (Mt. XI, 25). Le
Seigneur les appelle sages, non qu’ils le soient en effet, niais parce qu’ils
croient l’être. « Afin de détruire l’ennemi et le défenseur » (Ps. VIII, 3).
Quel ennemi, sinon l’hérétique, à la fois ennemi et défenseur de la foi
chrétienne, qu’il attaque, et que néanmoins il paraît défendre ? On pourrait
encore appeler ennemis et défenseurs, les philosophes du siècle: carie Fils de
Dieu est la force et la sagesse de Dieu, qui éclaire tous ceux que la vérité a
rendus sages. Or, ces philosophes, ainsi nommés parce qu’ils font profession
d’aimer la sagesse, paraissent la défendre, bien qu’ils en soient les ennemis,
puisqu’ils ne cessent de prêcher des superstitions dangereuses, et de porter les
hommes au culte des éléments de ce monde.
7. « Pour moi, je considère vos
cieux, l’ouvrage de vos doigts » (Ps. VIII, 4). Nous lisons que Dieu
écrivit la loi de son doigt, pour la donner à Moïse, son saint et fidèle
serviteur (Ex. XXXI, 18), et dans ce doigt de Dieu. beaucoup
d’interprètes voient l’Esprit-Saint. Si donc par les doigts de Dieu, nous
pouvons entendre aussi les ministres remplis de l’Esprit-Saint, parce que c’est
lui qui agit en eux : comme ce sont eux qui nous ont préparé toutes les divines
Écritures, il nous est permis aussi d’entendre par les cieux les livres de l’un
et de l’autre Testament. Il est dit aussi de Moïse, que les mages de Pharaon,
voyant qu’il les surpassait, s’écrièrent : « Celui-ci est le doigt de Dieu » (Id.
VIII, 19). Quoique cette expression d’Isaïe : « Le ciel sera replié comme un
livre » (Is. XXXIV, 4), s’applique au ciel éthéré, on peut très-bien
l’entendre encore dans le sens allégorique des livres de l’Écriture. « Pour moi
donc, je considère les cieux qui sont l’ouvrage de vos mains », c’est-à-dire, je
lirai, je comprendrai ces Écritures, que vous avez écrites par vos ministres,
que dirigeaient l’Esprit-Saint.
8. On peut donc aussi voir les
livres saints, dans ces cieux dont il disait auparavant : « Votre magnificence
est élevée au-dessus des cieux », ce qui signifiait : Parce que votre
magnificence est plus élevée que les cieux, et qu’elle surpasse toutes les
paroles des Ecritures; voilà que vous avez tiré de la bouche des enfants
nouveau-nés et à la mamelle, la louange la plus parfaite, en contraignant à
commencer par croire aux saintes Ecritures, ceux qui désirent arriver à la
connaissance de votre grandeur ; et cette grandeur est bien au-dessus des
Ecritures, puisqu’elle surpasse tous les efforts et toutes les expressions du
langage. Dieu donc a voulu abaisser les Ecritures jusqu’au niveau des enfants
nouveau-nés et à la mamelle, comme l’a dit un autre psaume : « Il a abaissé les
cieux et il est descendu » (Ps. XVII, 19) : et il l’a fait à cause de ses
ennemis, qui détestent la croix de Jésus-Christ, et dont les discours
orgueilleux ne peuvent même, en disant la vérité, devenir utiles aux enfants
nouveau-nés et à la mamelle. C’est ainsi qu’est détruit l’ennemi et le
défenseur, qui veut défendre tantôt la sagesse, tantôt le nom du Christ, et qui
attaque néanmoins la vérité dont il garantit la prompte intelligence, puisqu’il
ruine la foi qui en est la base. On peut le convaincre encore de ne posséder
point la vérité, puisqu’en ruinant la foi qui est l’échelle pour y arriver, il
prouve qu’il en ignore le chemin. Si donc on veut détruire ce téméraire, cet
aveugle prometteur de la vérité, qui en est à la fois l’ennemi et le défenseur,
il faut regarder les cieux, l’ouvrage des doigts de Dieu, c’est-à-dire
comprendre les saintes Écritures qui s’abaissent jusqu’à cette lenteur des
enfants qu’elles nourrissent d’abord par l’humble croyance des faits historiques
accomplis pour notre salut, qu’elles fortifient ensuite jusqu’à les élever à la
sublime intelligence des vérités éternelles. Ces cieux donc, ou les livres
saints, sont l’ouvrage des doigts de Dieu, puisqu’ils sont écrits par le
Saint-Esprit qui animait les saints et agissait en eux. Pour ceux qui ont
cherché leur gloire plutôt que le salut des hommes, ils ont parlé sans l’Esprit-Saint,
en qui sont les entrailles de la divine miséricorde.
9. « Je verrai donc les cieux,
l’ouvrage de vos doigts, la lune et les étoiles que vous avez établies » (Ps.
VIII, 4). C’est dans le ciel que sont établies la lune et les étoiles ;
parce que l’Eglise universelle, souvent désignée par la lune, et les églises
particulières, que désignerait, selon moi, la dénomination d’étoiles, sont
basées sur les saintes Ecritures, que nous avons reconnues dans la dénomination
des cieux. Dans un autre psaume, nous verrons plus à propos comment le nom de
lune convient à l’Eglise, en expliquant cette parole : « Les pécheurs ont bandé
leur arc pour percer, dans l’obscurité de la lune, les hommes au cœur droit » (Id.
X, 3).
10. « Qu’est-ce que l’homme pour
que vous vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme pour que vous le
visitiez ? » (Id. VIII, 5) On peut se demander quelle est la différence
entre l’homme et le fils de l’homme ; car s’il n’y en avait aucune, le Prophète
n’aurait pas dit avec la disjonctive : « L’homme ou le fils de l’homme ». Si le
Prophète avait dit : « Qu’est-ce que l’homme pour que vous vous souveniez de
lui, et le fils de l’homme pour que vous le visitiez ? il semblerait faire une
répétition du mot homme ». Mais en disant : « L’homme, ou le fils de l’homme »,
il montre qu’il met entre ces deux expressions une différence. Retenons bien
d’abord que tout fils de l’homme est un homme, bien que tout homme ne soit point
fils de l’homme ; car Adam est un homme sans être fils de l’homme, Il est donc
bien de remarquer ici quelle est la différence entre l’homme et le fils de
l’homme : et alors ceux qui portent l’image de l’homme terrestre qui n’est point
fils de l’homme, sont désignés par le nom d’hommes, tandis que l’on appellerait
fils de l’homme, ceux qui portent l’image de l’homme céleste (I Co. XV, 49).
L’homme terrestre, c’est le vieil homme, tandis qu’on appelle homme nouveau (Ep.
IV, 22) l’homme céleste. Mais l’homme nouveau provient du vieil homme,
puisque la régénération spirituelle ne s’opère que par le changement de notre
vie terrestre et mondaine ; et c’est ce qui le fait appeler fils de l’homme. Ici
donc l’homme est terrestre, le fils de l’homme est céleste ; le premier est loin
de Dieu, tandis que l’autre est devant lui ; alors il se souvient de l’un qui
est à une longue distance, et il visite l’autre en l’éclairant à la lumière de
sa face. Car « le salut est loin des pécheurs » (Ps. CXVIII, 155), « et
sur nous, ô Dieu, est empreinte la lumière de votre face » (Id. IV, 7).
Ainsi encore, dans un autre psaume, le Prophète associe les hommes aux animaux,
dit que Dieu les sauve avec les bêtes de somme, non sans doute en leur
communiquant sa lumière intérieure, mais par une extension de sa miséricorde qui
descend avec bonté jusqu’aux dernières créatures : car Dieu sauve les hommes
charnels comme il sauve les animaux ; mais il sépare les fils des hommes, de ces
hommes qu’il associait aux animaux ; il les proclame, bienheureux d’une manière
plus relevée, et par l’effet de la vérité qui les éclaire, et de la source de
vie qui se répand en eux. « Seigneur », dit-il, « vous sauverez les hommes et
les animaux, selon que vous multipliez votre bienveillance, ô Dieu. Mais les
enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes, ils seront enivrés de
l’abondance des biens de votre maison, vous les abreuverez au torrent de vos
délices. Car c’est en vous qu’est la source de la vie, et dans votre lumière
nous verrons la lumière. Etendez votre miséricorde à ceux qui vous connaissent »
(Id. XXXV, 7-11). Ainsi, le Seigneur dans sa bonté se souvient de
l’homme, comme il se souvient des animaux, car cette bonté s’étend jusqu’à ceux
qui sont éloignés de lui ; mais il visite le fils de l’homme quand il étend sur
lui sa miséricorde pour le couvrir comme de ses ailes, quand il l’éclaire à la
splendeur de sa propre lumière, l’abreuve de ses délices, l’enivre de
l’abondance de sa maison, et lui fait oublier les misères et les égarements de
sa vie passée. C’est ce fils de l’homme, ou cet homme nouveau, qu’enfante avec
douleur et gémissement la pénitence du vieil homme. Cet homme, quoique nouveau,
s’appelle néanmoins charnel, tant qu’il est nourri de lait : « Je n’ai pu », dit
l’Apôtre, « vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à
des hommes charnels ». Et pour leur montrer qu’ils sont régénérés en
Jésus-Christ, il ajoute : « Je vous ai traités comme de petits enfants en
Jésus-Christ, vous donnant du lait, non une nourriture solide » (I Cor. III,
1-3). Pour cet homme nouveau, retombé dans sa première vie, ce qui arrive
souvent, c’est qu’il encourt le reproche d’être homme : « N’êtes-vous pas des
hommes », dit saint Paul, « et ne marchez-vous pas tout à fait comme des
hommes ? » (Id. 3)
11.Le fils de l’homme a donc été
visité tout d’abord dans la personne de cet Homme-Dieu, né de la vierge Marie.
L’infirmité de cette chair, que daigna porter la Sagesse divine, et les
ignominies de la passion, ont fait dire au Prophète : « Vous l’avez rendu
quelque peu inférieur aux anges » (Ps. VIII, 6). Puis il se hâte de
marquer la gloire de sa résurrection et de son ascension : « Vous l’avez
couronné de gloire et d’honneur, en l’établissant sur toutes les œuvres de vos
mains » (Id. 7). Comme les anges sont aussi l’œuvre des mains de Dieu,
nous croyons que le Fils unique de Dieu est au-dessus des anges, comme nous
croyons qu’il n été quelque peu inférieur aux anges, dans les ignominies de sa
naissance temporelle et de sa passion.
l2. « Vous avez mis tout à ses
pieds » (Id. 8). Tout, dit le Prophète, sans exception ; et afin qu’on ne
pût entendre ces paroles dans un autre sens, l’Apôtre veut que la foi les
accepte ainsi, quand il dit : « Excepté celui-là seul qui lui a tout assujetti »
(I Cor. XV, 27). Il s’appuie, dans l’Epître aux Hébreux, sur le
témoignage de ce Psaume, quand il nous ordonne de croire que tout est soumis à
Jésus-Christ (Hb. II, 8), sans aucune exception. Toutefois le Prophète ne
paraît pas beaucoup ajouter, quand il énumère « toutes les brebis, les bœufs, et
même les bêtes sauvages ; les oiseaux du ciel, les poissons de la mer qui se
promènent dans ses sentiers » (Ps. VIII, 9). Il paraît négliger les
Vertus, les Puissances, et toutes les armées angéliques, négliger même les
hommes, pour soumettre à Jésus-Christ les animaux : à moins que par les bœufs et
les brebis, nous n’entendions les âmes saintes, qui produisent les fruits de
l’innocence, ou qui travaillent à rendre la terre fertile, c’est-à-dire à
obtenir des hommes terrestres une régénération dans les biens spirituels. Par
ces âmes saintes, nous devons donc entendre non-seulement les hommes, mais aussi
les anges, si nous vouIons conclure de ce verset que tout est soumis à
Jésus-Christ Notre-Seigneur. Car il n’y aura plus rien qui ne lui soit soumis,
si les princes d’entre les esprits, pour ainsi parler, lui sont assujettis. Mais
comment prouver que par brebis, on peut entendre les plus élevés en sainteté,
non-seulement des hommes, mais encore des créatures angéliques ? Est-ce par ce
que le Sauveur nous dit qu’il a laissé quatre-vingt-dix-neuf brebis sur les
montagnes, ou dans les hauteurs des cieux, afin de descendre pour une seule ? (Mt.
XVIII, 12 ; Luc, XV, 4) Par cette brebis tombée, si nous entendons la nature
humaine déchue en Adam, parce que Eve avait été tirée de son côté (Gn. II, 22),
ce qu’il n’est pas temps d’examiner ici pour le traiter d’une manière
spirituelle, il ne reste plus pour les quatre-vingt-dix-neuf brebis, que des
natures angéliques et non des âmes humaines. Quant aux bœufs, il est facile de
les entendre des anges car si l’Écriture désigne les hommes quand elle dit :
« Vous ne lierez point la bouche au bœuf qui foule le grain » (Dt. XXV, 4),
c’est que les hommes, en portant la parole de Dieu, sont des messagers comme les
anges (Saint Augustin joue sur le mot Angelus, messager ; d’où evangelizare,
porter la parle.) : combien nous sera-t-il plus facile de désigner sous la
figure des bœufs, les anges eux-mêmes, ces messagers de la vérité, puisque les
évangélistes qui partagent leur nom, sont désignés par les bœufs ?
(I Co. IX, 9 ; I Tm. V, 8) Donc,
« vous lui avez assujetti toutes les brebis et tous les bœufs », c’est-à-dire
toutes les créatures spirituelles ; et par là, nous comprenons aussi tous les
hommes qui vivent saintement dans l’Eglise ou sous les pressoirs, et qui sont
désignés maintenant sous la figure de la lune et des étoiles.
13. « Et même les animaux des
champs ». Et même, n’est point inutile ici. D’abord, parce que ces troupeaux des
champs peuvent s’entendre des brebis et des bœufs ; car si les chèvres sont les
animaux des rochers et des lieux escarpés, les brebis et les bœufs seront les
animaux des campagnes. Donc, après avoir énuméré « les brebis, les bœufs, et les
animaux des champs », on peut fort bien se demander quels sont ces animaux des
champs, puisque l’on peut désigner ainsi les brebis et les bœufs. Mais
l’expression, « et même, insuper », nous force à y trouver je ne sais
quelle différence ; et cette expression, « et même », embrasse non-seulement les
animaux des champs, mais les oiseaux du ciel, les poissons de la mer, qui
parcourent les sentiers de l’abîme. Quelle est donc cette différence ?
Rappelons-nous les pressoirs, où le vin est mêlé au marc, et l’aire qui contient
la paille et le froment (Mc, III, 12), et les filets qui renferment de
bons et de mauvais poissons (Mt. XIII, 47), et l’arche de Noé, qui abrite
des animaux purs et des animaux impurs (Gn. VII, 8) ; et vous verrez que
l’Eglise ici-bas, jusqu’au jour du jugement, renferme non-seulement des brebis
et des bœufs, c’est-à-dire de saints laïques et de saints ministres, mais
« encore des animaux des champs, des oiseaux du ciel, des poissons de la mer,
qui parcourent les sentiers de l’abîme ». Ces animaux des champs figurent
très-bien les hommes qui mettent leur joie dans les voluptés charnelles, où ils
n’ont rien d’escarpé, rien de fatigant à gravir. On peut appeler campagne, cette
voie large qui conduit à la mort (Gn. IV, 8) ; Abel fut tué dans la
campagne (Ps. XXXV, 7). Aussi devons-nous craindre qu’en descendant ces
montagnes de la justice divine, dont le Prophète a dit : « Votre justice, ô
Dieu, est comme les plus hautes montagnes », pour nous mettre à l’aise dans les
facules voluptés de la chair, nous ne soyons égorgés par le démon. Maintenant,
dans ces oiseaux du ciel voyons les orgueilleux, dont il est dit « Ils opposent
leur bouche au ciel (Id. LXXII, 9).Voyons-les s’élever à des hauteurs
comme sur l’aile des vents, ceux qui disent : « Nous glorifierons notre parole,
nos lèvres sont indépendantes, qui dominera sur nous ? » (Ps. XI, 5)
Voyez encore dans les poissons de la mer, ces curieux qui parcourent sans cesse
les sentiers de l’abîme, ou qui cherchent dans le gouffre du siècle les biens
temporels : biens futiles, qui doivent périr aussi promptement que les sentiers
tracés sur la mer disparaissent, quand l’eau se rejoint après avoir livré
passage au vaisseau qui fuyait, ou à tout autre nageur. Le Prophète ne dit pas
seulement qu’ils parcourent ces sentiers de l’abîme, mais qu’ils les parcourent
sans cesse, perambulans, pour montrer leur infatigable obstination à
rechercher des choses futiles et peu durables. Ces trois vices capitaux, la
volupté charnelle, l’orgueil, la curiosité, renferment tous les péchés. Saint
Jean me paraît les énumérer en disant : « Gardez-vous d’aimer le monde, car tout
ce qui est dans le monde, est convoitise de la chair, convoitise des yeux,
ambition du siècle » (Jn, II 15, 16). C’est dans les yeux que règne la
curiosité. Il est facile de voir à quoi se rapportent les autres convoitises.
Telle fut aussi la triple tentation de l’Homme-Dieu, par la nourriture, ou
l’appétit de la chair, quand le démon lui dit : « Faites que ces pierres se
changent en pain » (Mt. IV, 3) ; par la vaine gloire, alors qu’il le
porta sur une haute montagne pour lui montrer et lui promettre tous les royaumes
de la terre, s’il veut l’adorer ; par la curiosité, quand il lui suggéra de se
précipiter du haut du temple, afin de voir si les anges le soutiendraient. Et
comme cet ennemi ne put faire prévaloir aucune de ces suggestions, il est dit
dans l’Évangile, « que Satan épuisa toute tentation » (Lc, IV, 13). Dans
le sens des pressoirs, tout est mis sous les pieds de Jésus-Christ, non
seulement le vin, mais le marc ; non seulement les brebis et les bœufs,
c’est-à-dire les âmes saintes des fidèles, soit dans le peuple chrétien, soit
chez les ministres, mais encore les animaux de la volupté, les oiseaux de
l’orgueil, les poissons de la curiosité. Or, ces sortes de pécheurs, nous en
sommes témoins, sont dans l’Eglise confondus avec les bons et les saints. Que
Dieu donc agisse dans son Eglise, qu’il sépare du marc le vin pur. Quant à nous,
travaillons à devenir un vin excellent, à compter parmi les brebis et les
bœufs ; mais ne figurons jamais, ni dans le marc de raisin, ni parmi les animaux
des campagnes, ni parmi les oiseaux du ciel, ni parmi ces poissons de la mer
toujours parcourant les sentiers de l’abîme. Toutefois ces animaux n’ont pas
qu’une seule signification, et pourraient s’expliquer autrement ; cela dépend du
lieu où ils se trouvent, et ailleurs ils ont une autre signification. Il est de
règle que, dans les symboles, il faut examiner, d’après la pensée du texte, la
signification d’une figure. Tel est l’enseignement du Christ et des Apôtres.
Répétons donc le dernier verset, par lequel déjà le Prophète avait commencé, et
disons : « Seigneur, notre Dieu, que votre nom est admirable sur toute la
terre ! » Car, après avoir exposé le texte du psaume, il est bon d’en redire le
premier verset qui en contient toute la pensée.
Ces actes secrets consistent
dans son avènement, tellement humble que les Juifs ne l’ont point connu, et dans
cette sagesse mystérieuse qui lui fait abandonner aux impies les prospérités
temporelles; piège funeste auquel ils seront, pris! tandis qu’il attire à lui
les justes en les châtiant dès ici-bas.
1. Ce psaume a pour titre : « Pour
la fin, psaume de David, pour les secrets du Fils » (Ps. IX, 1). On peut
se demander quels sont ces mystères du Fils : mais comme ce Fils n’est point
précisé, nous devons comprendre que c’est le Fils unique de Dieu. En effet, le
psaume qui porte en inscription : Pour le fils de David, ajoute : « Quand il
fuyait devant son fils Absalon » (Id. III, 1). Nominer celui-ci, c’était
ne laisser aucun doute sur le fils dont il était question ; et toutefois il
n’est pas dit seulement : « Devant la face du fils Absalon », mais bien : « De
son fils ». Or, ici comme il n’est pas dit : « Son fils », et comme d’ailleurs
beaucoup de passages regardent les Gentils, le psaume ne peut s’entendre
d’Absalon ; et d’ailleurs la guerre que ce fils de perdition fit à son père, n’a
aucun rapport avec les Gentils, puisque le peuple seul d’Israël se divisa contre
lui-même (II Rois, XV). Ce psaume est donc le chant des mystères du Fils
unique de Dieu. Car le Sauveur se veut désigner lui-même, quand il dit
simplement : Le Fils, sans rien ajouter; ainsi dans ce passage : « Si le Fils
vous délivre, vous aurez la vraie liberté » (Jn, VIII, 36), il ne dit
pas : « Le Fils de Dieu », mais simplement : Le Fils, laissant à juger de qui il
est fils. Cette expression ne convient qu’à ce Fils par excellence, que l’on
peut reconnaître dans notre langage, quand même il ne serait pas désigné plus
spécialement. C’est ainsi que nous disons : Il pleut, il lait beau, il tonne, et
autres manières de parler, sans préciser qui fait ces choses, parce que l’auteur
par excellence s’offre de lui-même à notre esprit, sans être plus désigné. Quels
sont donc les mystères du Fils ? D’abord cette expression nous fait comprendre
que le Fils a des actes connus, dont on distingue ceux que l’on appelle secrets
ou mystérieux. Or, comme nous croyons à deux avènements du Sauveur, l’un
accompli et que les Juifs n’ont pas compris ; l’autre à venir, que nous
attendons tous ; comme le premier, ignoré des Juifs, a été avantageux aux
Gentils, on peut fort bien entendre par les mystères ou les secrets du Fils, ce
premier avènement, où l’aveuglement a frappé une partie d’Israël, jusqu’à ce que
la plénitude des nations entrât dans l’Eglise (Rm. XI, 25). Pour l’homme
attentif, l’Écriture insinue aussi deux jugements, l’un occulte, et l’autre
évident. Le jugement occulte se fait actuellement, selon cette parole de saint
Pierre : « Voici le temps où Dieu va commencer le jugement par la maison du
Seigneur » (I Pierre, IV, 17). Ce jugement occulte est don la peine qui
stimule chaque homme à se purifier, ou l’avertit de retourner à Dieu, ou le
frappe d’un aveuglement qui le perdra. s’il méprise la voix et les corrections
du Seigneur. On appelle manifeste, ce jugement dans lequel Jésus-Christ viendra
juger les vivants et les morts, où tous confesseront que c’est de lui que
viendront et aux bons la récompense, et aux méchants le supplice. Mais cette
confession faite alors, loin de remédier au malheur, portera la damnation à son
comble. Il est probable que le Seigneur parlait de ce double jugement, dont l’un
est occulte et l’autre manifeste, quand il disait : « Celui qui croit en moi, a
passé de la mort à la vie, et ne tombera point au jugement » (Jn, V, 24) ;
c’est-à-dire au jugement visible. Car, passer de la mort à la vie, par une de
ces afflictions, dont le Seigneur châtie ceux qu’il reçoit parmi ses enfants,
c’est là le jugement occulte. « Celui qui ne croit point », disait-il encore,
« est déjà jugé » (Id. III, 18), c’est-à-dire, que le jugement occulte de
Dieu le prépare au jugement manifeste. Le Sage nous parle aussi de ces deux
sortes de jugements, quand il dit : « Votre jugement les a livrés à la dérision
comme de jeunes insensés ; et ceux que ce jugement n’a pas corrigés ont éprouvé
le sévère jugement de Dieu » (Sg. XII, 25-26). Ils sont donc réservés aux
châtiments justes et sévères du jugement manifeste, ceux que ne redresse point
le jugement secret du Seigneur. Ce psaume alors nous entretient des mystères du
Fils, c’est-à-dire et de cet avènement dans son humilité, si utile aux nations,
quand il tenait les Juifs dans l’aveuglement, et de cette peine dont Dieu se
sert dans le secret, non pour damner les pécheurs, mais soit pour exercer la foi
de ceux qui se convertissent, soit pour déterminer les autres à se convertir,
soit afin de préparer à la damnation par l’aveuglement ceux qui demeurent dans
l’impénitence.
2. « Je vous confesserai, Seigneur,
dans toute l’étendue de mon cœur » (Ps. IX, 2) Douter quelque peu de sa
providence, ce n’est point confesser Dieu de tout son cœur ; mais comprendre,
dans les mystérieux desseins de la sagesse divine, combien se dérobe à nos
regards la récompense de celui qui dit : « Nous goûtons la joie dans les
afflictions » (Rm. V, 3) ; comment toutes les peines corporelles qui nous
affligent doivent aboutir à exercer ceux qui se convertissent à Dieu, ou à
porter les pécheurs à se convertir, ou à préparer à la dernière et juste
vengeance les pécheurs endurcis ; et de la sorte, rapporter au gouvernement de
la divine Providence, tous ces événements que les insensés attribuent
témérairement au hasard, et nullement à l’action divine ; c’est là confesser
Dieu. « Je publierai toutes vos merveilles ». C’est publier toutes les
merveilles de Dieu, que découvrir la main de Dieu, non-seulement dans ce qu’elle
opère de visible sur le corps, mais dans son action invisible et bien supérieure
sur les âmes. Car les hommes terrestres et qui jugent par les yeux, verront une
plus grande merveille dans la résurrection corporelle de Lazare, que dans la
résurrection spirituelle de Paul le persécuteur (Jn, XI, 44 ; Ac. IX).
Mais comme un miracle visible est pour l’âme un appel à la lumière, et qu’un
miracle invisible éclaire celle qui obéit à cet appel ; c’est raconter toutes
les merveilles de Dieu, que croire aux miracles visibles, et de là s’élever à
l’intelligence des miracles invisibles.
3. « Je me réjouirai en vous, et en
vous je tressaillerais d’allégresse » (Ps. IX, 3). Ni ce monde, ni les
voluptés de la chair, ni les saveurs qui flattent le palais et la langue, ni les
odeurs suaves, ni l’harmonie des sons passagers, ni les couleurs si variées des
corps, ni les vaines louanges des hommes, ni les épousailles et une postérité
périssable, ni la surabondance des biens temporels, ni l’étude profane de ce que
renferment les espaces, ou de tout ce qu’amène la succession des temps, rien de
tout cela, Seigneur, « n’est le sujet de ma joie; mais en vous, je tressaille
d’allégresse », ou plutôt dans ces mystères du Fils, qui a « marqué sur notre
front l’empreinte de votre lumière, ô mon Dieu » (Id. IV, 7). Car « vous
les cacherez, dit le Prophète, dans le secret de votre face » (Id. XXX, 21).
C’est donc vous qui faites la joie et l’allégresse de ceux qui racontent vos
merveilles ; et il racontera vos merveilles, celui que nous annonce le Prophète,
et qui viendra faire, non sa propre volonté, niais la volonté de son Père qui
l’a envoyé (Jn, VI, 38).
4. Nous commençons donc à voir que
c’est Jésus-Christ qui parie dans ce psaume. Car le verset suivant porte : « Je
chanterai votre nom, ô Très-Haut, car vous avez fait rebrousser mon ennemi en
arrière » (Ps. IX, 4). Or, quand l’ennemi de Jésus-Christ rebroussa-t-il
en arrière, sinon quand il lui fut dit : « Retire-toi en arrière, Satan ? » (Mt.
IV, 10) Car alors celui qui voulait par la tentation se mettre en avant, dut
reculer en arrière, puisqu’il échoua dans ses tentatives de séduction, et
n’obtint aucun avantage. L’homme terrestre est en arrière, mais l’homme céleste,
quoique venu le dernier, est néanmoins en avant. « Le premier homme est
terrestre, et vient de la terre, le second est céleste, et vient du ciel » (I
Co. XV, 47). C’est de la race du premier que venait celui qui a dit :
« Celui qui vient après moi a été fait avant moi » (Jn, I, 15), et
l’apôtre saint Paul, oubliant ce qui est derrière lui, se porte à ce qui est en
avant (Ph. III, 13). L’ennemi donc rebroussa en arrière quand il échoua
auprès de l’homme céleste qu’il tentait, et il se retourna vers les hommes
terrestres qu’il pouvait dominer. Nul homme, dès lors, ne peut prendre le devant
sur cet ennemi, et le faire rebrousser en arrière, si ce n’est celui qui a
échangé l’image de l’homme terrestre contre l’image de l’homme céleste (I Co.
XV, 49). Nous pouvons encore, sans absurdité, par « mon ennemi » entendre,
si nous l’aimons mieux, ou le pécheur en générai, ou l’homme idolâtre. Alors ces
paroles : « Vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière », n’exprimeront
point un châtiment, nais un bienfait, et un bienfait tel qu’on ne peut rien lui
comparer. Quoi de plus heureux que d’abjurer son orgueil, et de renoncer à
précéder le Christ, comme si nous étions en santé mais sans avoir besoin du
médecin ; mais de préférer suivre le Christ qui, appelant son disciple à la
perfection, lui dit : « Suivez-moi ? » (Mt. XIX, 21) Il vaut mieux
néanmoins appliquer au démon cette parole : « Vous avez fait rebrousser mon
ennemi en arrière ». Car le démon a été forcé de reculer, même dans la
persécution des justes, et il est plus avantageux pour nous de subir ses
poursuites, que de le suivre, comme s’il était pour nous un guide et un chef,
Chantons donc le nom du Très-Haut qui a fait rebrousser l’ennemi en arrière,
puisqu’il est bien mieux pour nous de fuir ses poursuites, que de le suivre
quand il veut nous conduire. Car nous avons une retraite et un asile caché dans
les mystères du Fils : « Et le Seigneur deviendra notre refuge » (Ps. LXXXIX,
1).
5. « Ils seront abattus et anéantis
en votre présence » (Ps. IX, 5). Qui donc tombera pour être anéanti,
sinon le pécheur et l’impie ? « Il tombera », parce qu’il n’aura plus de force ;
« il sera anéanti », parce qu’il cessera d’être impie ; « en votre présence »,
c’est-à-dire, quand il vous connaîtra, comme fut anéanti celui qui a dit ; « Je
vis, non pas moi, mais le Christ vit en moi » (Ga. II, 20). Mais pourquoi
« l’impie sera-t-il abattu et anéanti en votre présence ? » C’est, répond le
Prophète : « Parce que vous m’avez rendu justice, et que vous vous êtes déclaré
pour ma cause » (Ps. IX, 5) ; c’est-à-dire, vous avez tourné à mon
avantage et ce jugement dans lequel je parus être jugé, et cette condamnation
que les hommes prononcèrent contre moi, en dépit de ma justice et de mon
innocence. Car tout cela servit au Fils de Dieu pour notre délivrance : ainsi le
pilote appelle sien, le vent qui lui sert pour une heureuse navigation.
6. « Vous êtes monté sur votre
siége, vous qui jugez avec équité » (Id. 5). Tel peut être le langage du
Fils à son Père, dans le même sens qu’il disait : « Vous n’auriez aucun pouvoir
sur moi s’il ne vous était donné d’en-haut » (Jn, XIX, 11), regardant
comme un effet de l’équité de son Père et de ses propres secrets, que le juge
des hommes ait été jugé pour le salut des hommes. Peut-être est-ce l’homme qui
dit à Dieu : « Vous êtes monté sur votre trône, vous qui jugez dans l’équité » ;
désignant son âme sous le nom d’un trône, et alors son corps serait la terre,
appelée escabeau des pieds du Seigneur (Is. LXVI) : car Dieu était en
Jésus-Christ, se réconciliant le monde (II Co. V, 19). Peut-être est-ce
l’âme de l’Eglise, déjà parfaite, sans tache et sans ride (Ep. V, 27),
digne des secrets du Fils, parce que le roi l’a introduite dans sa demeure
secrète (Ct. I, 3), l’âme de l’Eglise qui dit à son Époux : « Vous êtes
monté sur votre trône, vous qui jugez avec justice », parce que vous êtes
ressuscité d’entre les morts, pour vous élever au ciel et vous asseoir à la
droite du Père. On peut, sans blesser les règles de la foi, donner à ces
paroles, l’une ou l’autre de ces trois interprétations.
7. « Vous avez châtié les nations,
et le méchant a péri » (Ps. IX, 6). Il est mieux d’appliquer ces paroles
à Jésus-Christ que d’en faire son langage. Quel autre a châtié les nations pour
en faire disparaître l’impie, comme il le fit, après son-ascension ? Car alors
il envoya l’Esprit-Saint, dont furent remplis les Apôtres qui prêchèrent avec
confiance la parole de Dieu et accusèrent avec liberté les péchés des hommes.
Leurs réprimandes firent disparaître l’impie, qui fut justifié et devint pieux.
« Vous avez effacé son nom pour le siècle, et dans les siècles des siècles » (Ibid.),
Le nom de l’impie a disparu, car on ne peut appeler impie celui qui croit au
vrai Dieu ; son nom est donc effacé pour le siècle, c’est-à-dire, pendant que
s’écouleront les jours du siècle. « Et dans les siècles des siècles ». Qu’est-ce
que le siècle du siècle, sinon la durée dont le siècle n’est que l’image et
comme l’ombre ? Car cette révolution des temps qui se succèdent, alors que la
lune croît et décroît, que le soleil revient chaque année dans sa gloire, que le
printemps, que l’été, que l’automne et que l’hiver ne s’en vont que pour revenir
encore, tout cela nous donne une certaine image de l’éternité. Mais la durée qui
subsiste dans une immuable continuité, s’appelle siècle de ces siècles qui
s’écoulent ; elle est pour eux, comme le vers que vous avez dans l’esprit à
l’égard de celui que vous prononcez de la voix. Le premier se comprend, le
second s’entend, a sa mesure dans le premier, qui est l’œuvre de l’art et qui
demeure, tandis que le second passe dans l’air avec le son de la voix. C’est
ainsi que le siècle qui passe trouve son modèle dans le siècle immuable, que
l’on appelle siècle des siècles. Celui-ci demeure chez le divin ouvrier, il est
en permanence dans la sagesse et dans la puissance de Dieu : tandis que celui-là
en mesure l’action dans chaque créature. Peut-être encore n’est-ce qu’une
répétition, et qu’après avoir dit : « Dans le siècle », pour qu’on ne l’entendît
point du siècle qui s’écoule, le Prophète aura ajouté : « Et dans le siècle du
siècle ». Car il y a dans la version grecque : eis ton aiona, kai eis ton
aiona tou aionos. Ce que plusieurs versions latines ont exprimé, non point
en disant : « Dans le siècle, et dans le siècle du siècle » ; mais bien : « Dans
l’éternité et dans le siècle des siècles ». Le nom de l’impie est donc détruit
pour l’éternité, c’est-à-dire, que jamais à l’avenir il n’y aura plus d’impies;
et si leur nom ne peut subsister dans ce siècle, il ne tiendra point dans le
siècle des siècles.
8. « Les framées de l’ennemi ont
fait défaut jusqu’à la fin » (Ps. IX, 7). Ici, l’ennemi est au singulier,
et non au pluriel. Or, cet ennemi, dont les armes ont fait défaut, quel est-il,
sinon le démon, dont les armes sont les mille formes de l’erreur, qu’il emploie
comme des glaives pour tuer les âmes ? Mais à l’encontre de ces glaives, et pour
les anéantir, il y a le glaive du Seigneur, dont il est dit au psaume septième :
« il brandira son glaive, si vous ne retournez à lui ». C’est lui peut-être qui
est le terme où doit échouer la force des glaives ennemis, qui doivent prévaloir
jusqu’à lui. Aujourd’hui, il travaille en secret, mais au dernier jugement, il
resplendira de tout son éclat. C’est lui encore qui détruit les cités ; car,
après avoir dit que la puissance doit être en défaut, le Prophète ajoute : « Et
vous avez détruit leurs cités ». Une âme devient la ville de Satan, quand les
conseils artificieux et mensongers lui établissent en quelque sorte une cour,
qui se fait obéir par ses membres chacun dans son usage, comme par autant de
satellites et de ministres ; les yeux servent la curiosité, les oreilles ses
instincts licencieux, et elles recueillent tout propos qui porte à la débauche,
les mains exercent la rapine et toute violence criminelle, et les autres membres
soumis à une semblable tyrannie, travaillent dans ces desseins pervers. La
populace de cette ville consisterait dans ces appétits sensuels et ces
mouvements tumultueux de l’âme, qui soulèvent journellement dans l’homme des
conflits séditieux. Il y a donc une cité partout où vous trouverez un roi, une
cour, des ministres et un peuple. Et dans les villes déréglées nous ne verrions
point tant de maux, s’ils n’existaient d’abord dans chacun des citoyens, qui
sont pour les cités des germes et des éléments. Ces cités donc, Jésus-Christ les
détruit quand il en chasse le prince, ainsi qu’il est dit : « Le prince de ce
siècle a été chassé dehors » (Jn, XII, 31) : la parole de la vérité porte
le ravage dans ces royaumes, y étouffe les pernicieux desseins, y réprime les
affections honteuses, y réduit en servitude l’action des membres et des sens,
qui doivent servir à l’œuvre de la justice et du bien ; et ainsi s’accomplit
cette parole de l’Apôtre : « Que le péché ne règne plus dans notre corps
mortel » (Rm. VI, 12), et le reste du passage. Alors l’âme apaisée se
trouve en état d’acquérir le repos et le bonheur éternel. « Leur mémoire a péri
avec fracas » (Ps. IX, 7), c’est-à-dire, la mémoire des impies. « Avec
fracas », l’impiété ne se détruit pas sans bruit. Car nul homme n’arrive au
calme du silence, à la paix profonde, s’il n’a d’abord fait à ses vices une
guerre bruyante. Ou bien, « avec fracas », signifierait que la mémoire de
l’impie périt avec ce fracas que fait ordinairement l’impiété.
9. « Tandis que le Seigneur demeure
éternellement » (Id. IX, 8). A quoi bon dès lors ces frémissements des
nations et ces vaines machinations des peuples contre le Seigneur et contre son
Christ (Id. II, 1, 2), puisque le Seigneur demeure éternellement ? « Il a
préparé son trône pour le jugement, et il jugera l’univers dans l’équité » (Id.
IX, 9). C’est quand il a été jugé qu’il a préparé son trône. La patience
qu’il a montrée nous méritait le ciel, et ce Dieu caché dans l’homme, stimulait
notre foi. C’est là le jugement occulte du Fils. Mais parce qu’il doit venir
d’une manière visible et dans sa gloire pour juger les vivants et les morts, il
s’est préparé un trône par un jugement caché. « Et il jugera ouvertement le
monde selon la justice », c’est-à-dire qu’il rendra à chacun selon son mérite,
en plaçant les agneaux à sa droite et les boucs à sa gauche (Mt. XXV, 33).
« Il jugera les peuples dans la justice », c’est la répétition de ce qui vient
d’être dit, « qu’il jugera l’univers dans l’équité ». Dieu donc ne jugera point
à la manière des hommes qui ne voient point le cœur, et qui en viennent plus
souvent à renvoyer les coupables qu’à les condamner ; mais il jugera dans
l’équité, selon la justice, selon le témoignage de la conscience, et selon que
leurs pensées les accuseront ou les défendront (Rm. II, 15).
10. « Et le Seigneur est devenu le
refuge du pauvre » (Ps. IX, 10). Quelles que soient les poursuites de cet
ennemi qui a dû rebrousser eu arrière, comment nuirait-il à ceux qui trouvent un
asile dans le Seigneur ? Il sera leur refuge, si dans ce monde, dont Satan est
le prince, ils choisissent la pauvreté, ne s’attachant à rien de ce qui échappe
à notre avidité pendant cette vie, ou que nous abandonnons à la mort. C’est à
ces pauvres que le Seigneur sert de refuge. « Il est leur appui dans les jours
de bonheur, dans la tribulation » (Ps. IX, 10). C’est lui qui fait le
pauvre, puisqu’il chante celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants (Hb. XII,
6). Car le Prophète nous explique « l’appui dans les jours de bonheur »,
quand il ajoute : « Dans la tribulation ». L’âme, en effet, ne se tourne vers
Dieu, qu’en répudiant le monde, alors que la fatigue et la douleur viennent se
mêler à ses plaisirs si frivoles, si dangereux et si funestes.
11. « Qu’ils espèrent en vous ceux
qui connaissent votre nom » (Ps. IX, 11), en cessant de mettre leur
espoir dans les richesses, et dans les autres charmes de ce monde. L’âme qui se
détache du monde, et qui cherche en qui mettre son espérance, se réfugie avec
bonheur dans la connaissance du nom même de Dieu. A la vérité, ce nom se trouve
aujourd’hui dans toutes les bouches ; mais le connaître, c’est connaître aussi
Celui dont il est le nom. Car un nom n’est pas tel par lui-même, il n’a de
valeur que dans sa signification. Or, il est dit : « Le Seigneur est son nom » (Jr.
XXXIII, 2). Connaître son nom, c’est donc se mettre avec plaisir à son
service. « Et qu’ils espèrent en vous, ceux qui connaissent votre nom ». Le
Seigneur dit encore à Moïse « Je suis celui qui suis (Ex. III, 14), et tu
diras aux enfants d’Israël : Celui qui est, m’a envoyé. Que ceux-là donc,
Seigneur, espèrent en vous qui connaissent votre nom », de peur qu’ils ne
mettent leur espoir dans les biens qui passent avec la rapidité du temps, qui
n’ont rien que le futur et le passé. A peine ce qu’ils ont de futur est-il
arrivé, qu’il est déjà passé. On l’atteint avec empressement, on le perd avec
douleur. Mais dans la nature divine, il n’y a rien de futur qui ne soit point
encore, rien de passé qui ne soit plus ; être, c’est là tout ce qu’elle est,
c’est l’éternité. Qu’ils cessent donc de mettre leur espoir et leur amour dans
les biens du temps, qu’ils élèvent leur espérance jusqu’à l’éternité, ceux qui
connaissent le nom de celui qui a dit ; « Je suis celui qui suis », et dont il
est écrit : « Celui qui est, m’a envoyé. Parce que vous n’abandonnerez pas,
Seigneur, ceux qui vous cherchent ». Le chercher, c’est ne plus chercher des
biens passagers et périssables, puisque « nul ne peut servir deux maîtres » (Mt.
VI, 21).
12. « Chantez au Seigneur qui
habite en Sion » (Ps. IX, 12), est-il dit à ceux qui cherchent le
Seigneur, et qu’il n’abandonne pas. Il habite Sion, qui signifie contemplation,
et nous offre l’image de l’Eglise actuelle, comme Jérusalem figure l’Eglise à
venir ou la cité des saints qui jouissent déjà de la vie des anges, puisque
Jérusalem signifie vision de la paix. Or, la contemplation précède la vision,
comme l’Eglise d’ici-bas précède la cité immortelle et éternelle qui nous est
promise ; mais elle ne la précède que dans l’ordre du temps sans la surpasser en
dignité, car la fin où nous tendons est plus honorable que l’effort que nous
faisons pour y arriver ; or, notre effort actuel, c’est la contemplation, par
laquelle nous arriverons à la vision. Mais si dès aujourd’hui le Seigneur
n’habitait dans l’Eglise de la terre, la plus attentive contemplation pourrait
aboutir à l’erreur. Aussi est-il dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous
êtes ce temple » (I Co. III, 17) ; et : « Le Christ habite dans l’homme
intérieur et dans vos cœurs par la foi » (Ep. III, 16, 17). Il nous est
donc ordonné de chanter au Seigneur qui habite en Sion, afin que nous chantions
de concert les louanges du Dieu qui habite en son Eglise. « Annoncez parmi les
peuples ses merveilles » (Ps. IX, 12). C’est ce qui a été fait, et se
fera toujours.
13. « Le Seigneur s’est souvenu
d’eux, en recherchant leur sang répandu » (Id. 13). Comme si les Apôtres,
envoyés porter l’Évangile aux peuples, répondaient à cette injonction :
« Publiez ses merveilles parmi les peuples », et disaient : « Seigneur, qui
pourra croire à notre parole ? » (Is. LIII, 1) et : « Chaque jour, votre
amour nous fait égorger ? ». Le Prophète a raison d’ajouter que pour les
chrétiens persécutés, le fruit de la mort sera la grande acquisition de
l’éternité : « Parce que le Seigneur se souvient d’eux et venge leur sang ».
Mais pourquoi le Prophète a-t-il choisi de préférence cette expression : « Leur
sang ? » Répondrait-il à cette question que pourrait lui faire un homme ignorant
et faible dans la foi : « Comment prêcheront-ils chez ces infidèles qui doivent
les égorger ? » (Ps. XLIII, 22) et dirait-il ; « Le Seigneur se
souviendra d’eux, et vengera leur sang », c’est-à-dire, viendra le dernier
jugement pour mettre à découvert la gloire des victimes et le châtiment des
bourreaux ? Car nul n’entendra cette expression : « Dieu s’est souvenu d’eux »,
comme s’il avait pu les oublier ; mais parce que le dernier jugement ne doit
arriver qu’après un long espace de temps, le Prophète s’accommode au langage des
hommes faibles, qui s’imaginent que Dieu oublie, parce qu’il agit avec plus de
lenteur qu’eux-mêmes ne voudraient. C’est pour eux encore qu’il est dit plus
bas : « Il n’a point oublié le cri des pauvres » (Ps. IX, 13)
c’est-à-dire, il n’a point oublié, comme vous le pensez ; et comme si, après
avoir entendu ce mot : « Il s’est souvenu », ils disaient : « Il avait donc
oublié » : « Non », dit le Prophète, « il n’oublie point le cri du pauvre ».
14. Mais quel est, dirai-je, ce cri
du pauvre que le Seigneur n’oublie point? Est-ce le cri exprimé dans les paroles
suivantes : « Prenez-moi, Seigneur, en pitié, voyez à quelle humiliation me
réduisent mes ennemis ? » (Id. 14) Pourquoi donc ne disait-il pas au
pluriel : « Prenez-nous en pitié, Seigneur, et voyez à quelle humiliation nous
réduisent nos ennemis ? » comme si tant de pauvres criaient ensemble ; et
dit-il : « Prenez-moi en pitié, Seigneur », comme s’il n’y avait qu’un seul
pauvre ? Est-ce que celui-là seul parle au nom des saints qui, étant riche,
s’est fait pauvre pour nous ? (II Cor. VIII, 9) Lui aussi dirait alors :
« C’est vous qui me relevez des portes de la mort, afin que je publie vos
louanges aux portes de la ville de Sion » (Ps. IX, 15). Car c’est
Jésus-Christ qui relève l’homme, non-seulement cet homme dont il s’est revêtu,
et qui est le chef de l’Église ; mais chacun de nous, qui sommes les membres de
son corps, et il nous élève au-dessus des convoitises dépravées qui sont les
portes du trépas, puisque c’est par là que nous allons à la mort. Et la mort est
déjà dans ces joies que procurent les jouissances, quand nous acquérons ce qu’il
était criminel de désirer : « Car la convoitise est la racine de tous les maux »
(Tm. VI, 10). Aussi peut-on l’appeler porte de la mort, car une veuve qui
vit dans les délices est déjà morte (Id. V, 6). Or, c’est par la
convoitise que nous entrons dans les délices, comme par les portes de la mort.
Mais les portes de Sion sont les saints désirs qui aboutissent à la vision de la
paix dans la sainte Eglise. C’est donc dans ces portes qu’il nous faut publier
toutes les louanges du Seigneur, afin que l’on ne donne pas aux chiens ce qui
est saint, ni les perles aux pourceaux (Mt. VII, 6), Les premiers
préfèrent aboyer toujours, plutôt que de rechercher avec soin ; les autres ne
veulent ni aboyer ni chercher, mais se vautrer dans la fange de leurs voluptés.
Mais quand on loue le Seigneur avec de saintes affections, alors il accorde à
ceux qui demandent, il se manifeste à ceux qui le cherchent, il ouvre à ceux qui
frappent. Ces portes de la mort s’entendraient-elles des sens du corps, des yeux
qui s’ouvrirent en Adam, quand il eut goûté du fruit défendu (Gn. III, 7),
et au-dessus desquels s’élèvent ceux qui ne recherchent point les biens
visibles, mais les invisibles ? « Ce qui est visible, en effet, n’est que
temporel, tandis que les biens invisibles sont éternels » (II Co. IV, 18) ;
et alors les portes de Sion ne seraient-elles pas les sacrements et les
principes de la foi que Dieu veut bien ouvrir à ceux qui frappent, afin qu’ils
parviennent à connaître les secrets du Fils ? « Car ni l’œil n’a vu, ni
l’oreille n’a entendu, ni le cœur de l’homme n’a compris, ce que Dieu a préparé
à ceux qui l’aiment » (Id. II, 9) ici finirait alors ce cri des pauvres,
qui n’est point en oubli pour le Seigneur.
15. Voyons la suite. « Je serai
dans la joie, à la vue du Sauveur qui vient de vous » (Ps. IX, 16) ;
c’est-à-dire, je trouverai mon bonheur dans le Sauveur que vous m’avez donné,
qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ, la force et la sagesse de Dieu (I Co. I,
24). Tel est donc le langage de l’Eglise, affligée ici-bas et sauvée par
l’espérance: tant que le jugement du Fils est caché, elle s’écrie avec espoir :
« Je tressaillerai dans le Sauveur que vous m’avez donné » ; parce que sur la
terre, elle est sous le poids des violences ou des erreurs de l’idolâtrie. « Les
nations sont tombées dans la fosse qu’elles avaient creusée » (Ps. IX, 16).
Voyons ici comment le pécheur a toujours trouvé son châtiment dans ses propres
œuvres, et comment ceux qui ont voulu faire violence à l’Eglise sont demeurés
dans la dégradation qu’ils voulaient lui faire subir. Ils voulaient tuer des
corps, et eux-mêmes tuaient leurs âmes. « Leur pied s’est engagé dans le piège
qu’eux-mêmes avaient caché » (Ibid.). Ce piége caché, c’est la pensée
fourbe, et par le pied de l’âme, on peut comprendre l’amour, qui s’appelle
convoitise et débauche quand il est dépravé, affection et charité quand il est
droit. C’est l’amour qui pousse l’âme vers le lieu où elle veut arriver; et ce
lieu n’est point un espace occupé par une forme corporelle, mais le plaisir où
elle se réjouit que l’amour l’ait fait aboutir. Or, la convoitise aboutit au
plaisir dangereux, la charité aux chastes délices. De là vient que la convoitise
est appelée une racine (Tm. VI, 10). La charité aussi est appelée racine,
quand il s’agit de ces divines semences qui tombent dans les lieux pierreux, où
elles doivent se dessécher sous les feux du soleil, parce qu’elles n’ont pas une
racine profonde (Mt. XIII, 5) ; ainsi sont stigmatisés ceux qui reçoivent
avec joie la parole de la vérité, mais qui cèdent facilement aux persécutions,
parce que la charité seule peut résister. L’Apôtre dit encore : « Afin que nous
ayons la charité pour base et pour racine, et que par là nous puissions
résister » (Ep. III, 17). Donc le pied des pécheurs, ou l’amour, s’engage
dans le piége qu’ils avaient caché, parce qu’en goûtant le plaisir d’un acte
trompeur, livrés qu’ils sont par le Seigneur aux désirs d’un cœur déréglé (Rm.
I, 24), ils se laissent enlacer par ce plaisir, de manière à n’oser plus en
dégager leur affection pour la porter à des objets sérieux. Au premier effort
qu’ils tenteront, ils gémiront dans leur âme, comme le forçat qui veut dégager
des fers son pied captif; et, succombant à la douleur, ils ne voudront plus se
sevrer de ces plaisirs homicides. Ainsi donc, « dans ce piège qu’ils avaient
caché », ou dans leurs desseins artificieux, « leur pied demeure engagé »,
c’est-à-dire, leur amour est arrivé par la fraude à cette joie futile qui
enfante la douleur.
16. « On reconnaît le Seigneur à
l’équité de ses jugements » (Ps. IX, 17). Tels sont en effet les
jugements de Dieu, qu’il ne sort point du calme de sa félicité, ni des secrets
de sa sagesse qui servent d’asile aux âmes bienheureuses, pour lancer contre les
pécheurs le fer, la flamme, ou les bêtes féroces, et les livrer aux tourments.
Comment donc sont-ils tourmentés, et comment le Seigneur exerce-t-il ses
jugements ? « C’est dans l’œuvre de ses mains », dit le Prophète, « que le
pécheur s’est enlacé ».
17. Il y a ici : « Cantique de
Diapsalma » (Graec. LXX, ode diapsalmatos).
Autant que je puis en juger, c’est l’indice d’une joie secrète, causée
par la séparation actuelle, non de lieu, mais d’affection, entre les pécheurs et
les justes, commise dans l’aire on sépare déjà le bon grain de la paille. Le
Prophète continue : « Que les pécheurs soient précipités dans l’enfer » (Ps.
IX, 18). Qu’ils soient livrés en leurs propres mains alors que Dieu les
épargne, et enlacés dans leurs joies mortelles. « Ainsi que toutes les nations
qui oublient le Seigneur » (Ps. IX, 18), car elles ont refusé de
connaître le Seigneur, et il les a livrées au sens réprouvé (Rm. I, 28).
18. « Car le pauvre ne sera pas
éternellement en oubli » (Ps. IX, 19) » : lui qui paraît oublié
maintenant, quand le bonheur de cette vie semble s’épanouir pour les pécheurs,
et que la tristesse est pour le juste ; mais, dit le Prophète, « la patience des
affligés ne périra pas éternellement ». Cette patience leur est nécessaire
maintenant pour supporter les impies, dont ils sont séparés déjà par
l’affection, jusqu’à ce qu’ils le soient tout à fait au dernier jugement.
19. « Levez-vous, Seigneur, et que
l’homme ne s’affermisse point » (Ps. IX, 20). Le Prophète appelle de ses
soupirs le jugement dernier ; mais avant qu’il arrive : « Que les nations,
dit-il, soient jugées en votre présence », c’est-à-dire dans le secret et sous
l’œil de Dieu, puisqu’il n’y a pour le comprendre que le petit nombre des saints
et des justes. « Seigneur, faites peser sur eux le joug d’un législateur » (Id.
21) ; qui serait, si je ne me trompe, l’Antéchrist, dont l’Apôtre a dit
« que l’homme de péché se révélera » (I Th. II, 3). Que les peuples
sachent bien qu’ils ne sont que des hommes, et puisqu’ils refusent d’être
délivrés par le Fils de Dieu, d’appartenir au Fils de l’homme, d’être enfants
des hommes, ou des hommes nouveaux, qu’ils soient assujettis à l’homme,
c’est-à-dire au vieil homme du péché, puisqu’ils sont eux-mêmes des hommes.
20. Comme l’Antéchrist ou l’homme
de péché s’élèvera, croit-on, jusqu’à un tel degré de vaine gloire, déploiera un
tel pouvoir sua tous les hommes et sur les élus de Dieu, que plusieurs auront la
faiblesse de croire que Dieu ne s’intéresse plus aux hommes ; le Prophète, après
un Diapsalma, exprime en quelque sorte les gémissements et les plaintes que
soulève le retard du jugement. « Pourquoi dit-il, pourquoi, Seigneur, tant vous
éloigner ? » (Ps. IX, 1) Et aussitôt l’interrogateur, comme s’il avait
une illumination soudaine, ou comme s’il n’eût demandé ce qu’il savait bien que
pour nous l’apprendre, ajoute : « Vous vous dérobez dans le temps propice, dans
la tribulation » ; c’est-à-dire, vous vous dérobes à propos, et vous suscitez la
tribulation pour attiser dans les cœurs le désir de votre avènement ; plus est
longue la soif qui les dévore, et plus agréable sera la source de vie. Aussi le
Prophète a-t-il pénétré la cause de ces retardements, quand il dit : « L’orgueil
du méchant est un stimulant pour le pauvre ». C’est chose incroyable et vraie
néanmoins, que la vue des pécheurs embrase les petits d’une vive ardeur, de
sainte espérance qui les porte à une vie meilleure. La même raison mystérieuse a
fait permettre à Dieu qu’il y eût des hérésies. Tel n’est pas sans doute le
dessein des hérétiques, mais la sagesse de Dieu sait tirer avantage de leur
perversité, elle qui crée et qui règle la lumière, qui règle seulement les
ténèbres (Gn. I, 3-4), afin qu’en les comparant à la lumière, on trouve
celle-ci plus gracieuse, comme en face de l’hérésie on se trouve plus heureux de
rencontrer la vérité. Cette comparaison fait découvrir dans le monde les hommes
d’une vertu éprouvée, que Dieu seul connaissait.
21. « Ils se prennent dans les
pensées qu’ils enfantent » ; c’est-à-dire que leurs pensées perverses deviennent
des liens qui les enchaînent. Mais pourquoi des liens ? « Parce que le pécheur
est loué dans les desseins de son âme » (Ps. IX, 3). Les paroles de la
flatterie garrottent l’âme dans ses péchés ; car on se plaît à faire ce qui, non
seulement ne laisse à craindre aucun blâme, mais attire les applaudissements.
« Et parce que l’on applaudit à celui qui fait le mal ; les coupables sont
enlacés dans les pensées qu’ils enfantent ».
22. « L’impie a irrité le
Seigneur ». Ne félicitons point l’homme qui prospère en cette vie, dont les
fautes demeurent sans vengeance, et rencontrent l’applaudissement. C’est là le
plus grand effet de la colère divine. Il faut qu’un pécheur ait bien irrité
Dieu, pour être ainsi traité, pour ne point ressentir le châtiment qui corrige.
« Il a donc irrité le Seigneur, qui, dans sa grande colère, ne le recherchera
point » (Id. 4). La colère de Dieu est à son comble quand il ne recherche
plus nos péchés, qu’il paraît les oublier, n’y faire aucune attention, et qu’il
permet que l’impie arrive à la richesse et aux honneurs, par la fraude et les
forfaits c’est ce que nous verrons surtout dans l’antéchrist, que les hommes
croiront heureux jusqu’à le prendre pour un Dieu. Mais la suite du psaume va
nous montrer combien cette colère de Dieu est redoutable.
23. « Dieu n’est point en sa
présence ses voies sont toujours souillées » (Id. 5). Celui qui a goûté
les vrais plaisirs et les joies de l’âme, comprend combien il est malheureux
d’être privé de la lumière de la vérité. Si la privation des yeux du corps, qui
nous dérobe cette lumière du jour, est regardée comme une grande calamité parmi
les hommes, quel ne sera point le malheur d’un homme qui prospère dans ses
péchés, jusqu’à n’avoir plus Dieu en sa présence, et ne marche que dans des
voies souillées, c’est-à-dire que ses pensées et ses desseins sont criminels ?
« Vos jugements ne sont plus rien à ses yeux ». L’âme qui a conscience de sa
culpabilité, et qui ne se voit point châtiée, s’imagine que Dieu ne la juge
point ; et ainsi les jugements du Seigneur ne sont plus devant ses yeux, ce qui
est pour elle une terrible damnation. « Il se rendra maître de ses ennemis » (Ps.
IX, 5). Car on croit qu’il vaincra tous les rois, et régnera seul sur la
terre ; et même saint Paul qui nous l’annonce, va jusqu’à dire : « Il s’assoira
dans le temple de Dieu, et s’élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu,
et adoré » (II Th. II, 4).
24. Et comme il est livré aux
convoitises de son cœur, et destiné aux dernières vengeances, voilà que par de
criminels artifices il va s’élever au comble de cette gloire vaine et futile, et
à la domination. De là vient que le Prophète ajoute : « Il a dit dans son cœur :
A moins de faire le mal, je ne passerai point de race en race » (Ps. IX, 6),
c’est-à-dire, mon nom et ma gloire ne s’en iront pas d’âge en âge à la
postérité, si la ruse du mal ne me fait acquérir une telle domination que les
siècles futurs ne puissent en garder le silence. Car l’esprit pervers qui ne
connaît pas le bien, qui est étranger aux lumières de la justice, cherche par
des actions criminelles à se frayer le chemin d’une renommée si éclatante,
qu’elle retentisse dans les siècles. Et ceux qui ne peuvent se signaler par le
bien, veulent au moins se rendre fameux par le crime, et répandre au loin leur
renommée. Tel est, je crois, le sens de ces paroles : « Ce n’est que par le mal
que je passerai de génération en génération ». On peut encore appliquer ces
paroles à l’homme dont l’esprit vain et plein d’erreur ne croit pouvoir passer
de cette vie mortelle à la vie éternelle que par la voie du crime C’est ce qui
est rapporté de Simon (Ac. VIII, 9, 23), qui croyait pouvoir s’élever au
ciel par les coupables artifices de la magie, et passer de la nature humaine à
la nature divine. Faut-il s’étonner maintenant que cet homme de péché, qui doit
personnifier en lui-même toute la malice et toute l’impiété, dont tous les faux
prophètes n’ont donné que l’ébauche, qui aura le don des miracles au point de
séduire les justes, s’il était possible, aille jusqu’à dire en son cœur : « Je
ne puis que par le mal être fameux d’âge en âge ? »
25. « Sa bouche est pleine de
blasphèmes, d’amertume et de fourberie » (Ps. IX, 7) C’est en effet un
horrible blasphème, que d’aspirer au ciel par d’aussi coupables artifices, et de
prétendre à la vie éternelle, avec de semblables mérites. Aussi n’est-ce que sa
bouche qui est pleine de ce blasphème ; car sa prétention ne peut aboutir, et ne
demeurera dans sa bouche que pour sa perdition, de lui qui osait bien se
promettre le ciel au moyen de cette amertume et de cette fourberie, c’est-à-dire
au moyen de cette exaltation, et de ces embûches qui lui gagnaient la foule.
« Sous sa langue est le travail et la douleur ». Nul travail n’est plus pénible
que l’injustice et l’impiété ; et ce travail engendre la douleur, parce qu’il
est non-seulement sans profit, mais encore nuisible. Travail et douleur qui
caractérisent ce langage : « Ce n’est que par le mal que je puis passer d’âge en
âge ». Aussi est-il dit que cela est « sous sa langue », et non dans sa langue,
parce qu’il renfermera ces pensées dans l’intérieur de son âme, et tiendra aux
hommes un tout autre langage, afin qu’on le regarde comme le champion du bien et
de la justice, et même comme le Fils de Dieu.
26. « Il se met en embuscade avec
les riches » (Ps. IX, 8). Quels riches, sinon ceux qu’il comblera des
biens de ce monde ? Il se mettra donc, est-il dit, en embuscade avec eux, parce
qu’il fera ostentation de leur faux bonheur pour tromper les hommes ; et
ceux-ci, pris du désir, fatal d’acquérir de semblables richesses, négligent les
biens éternels et tombent ainsi dans ses piéges. « Il veut tuer l’innocent dans
l’obscurité » (Id. 9). Par « obscurité » il entend, je crois, l’état de
l’âme qui discerne à peine ce qu’il faut désirer, de ce qu’il faut fuir ; et
tuer l’innocent, c’est amener au péché celui qui était sans tache.
27. « Ses yeux sont en arrêt sur le
pauvre ». Car il s’attache principalement à poursuivre les justes, dont il est
dit : « Bienheureux ceux qui sont pauvres de gré, car le royaume des cieux leur
appartient » (Mt. V, 3). Il les « épie en secret, comme le lion en sa
bauge ». Il appelle lion dans sa bauge, celui qui emploie la violence et
l’artifice. La première persécution de l’Eglise fut violente, car alors on
contraignait les chrétiens à sacrifier, par la proscription, les tourments et la
mort l’autre persécution soulevée par les hérétiques et les faux frères, et qui
dure encore, est caractérisée par l’artifice ; la troisième et la plus
dangereuse sera celle de l’antéchrist, qui sera caractérisée par l’artifice et
par la violence. Il aura la force par l’empire, et l’artifice de la séduction
par les prodiges. La violence est précisée par cette expression, « dans sa
bauge ». Les paroles suivantes nous expriment le même sens, mais dans l’ordre
inverse : « Il tend des embûches pour enlever le pauvre ». Voilà bien la ruse ;
et « pour le ravir après l’avoir attiré », marque la violence ; car
« l’attirer » nous montre qu’à force de le tourmenter, il parvient à
s’assujettir l’homme pauvre.
28. La suite répète encore ce qui
vient d’être dit : « Il l’humiliera dans un piége », c’est la ruse. « Il
s’inclinera et tombera, quand il aura les pauvres sous sa domination » (Ps.
IX, 10), c’est la violence. Le piège désigne bien les fourberies, et la
domination indique évidemment la terreur. « Il humiliera donc le pauvre dans son
piége », dit avec raison le Prophète ; car plus paraîtront merveilleux les
signes qu’il entreprendra d’opérer, et plus les saints d’alors seront méprisés,
et tomberont dans l’opprobre ; et comme ils doivent lui résister dans leur
innocence et leur justice, il passera pour les avoir vaincus par l’éclat de ses
prodiges. Mais à son tour « il s’inclinera et tombera, après les avoir
dominés », c’est-à-dire, quand il aura tourmenté par toutes sortes de supplices
les serviteurs de Dieu qui lui résisteront.
29. Mais pourquoi sera-t-il abaissé
jusqu’à tomber ? C’est qu’« il a dit dans son cœur : Dieu a tout oublié, il a
détourné sa face pour ne rien voir à jamais » (Id. 11). C’est pour
l’esprit humain un abaissement et une chute effroyable, de trouver sa félicité
dans le crime, et de croire à son pardon, quand il est frappé d’aveuglement, et
réservé pour cette dernière et exemplaire vengeance marquée par le Prophète qui
s’écrie : « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, étendez votre main » (Id. 12) » :
c’est-à-dire, manifestez votre puissance. Il avait dit plus haut : « Levez-vous,
Seigneur, et que l’homme ne s’affermisse point, que les peuples soient jugés en
votre présence » (Ps. Prim. IX, 20), c’est-à-dire, dans ce secret que
Dieu seul peut pénétrer. C’est ce qui est arrivé quand l’impie est parvenu à ce
que les hommes regardent comme un grand bonheur, et que Dieu les a soumis à un
législateur, tel qu’ils le méritaient, et dont il est dit : « Établissez sur eux
un législateur, et que ces peuples sachent bien qu’ils sont des hommes » (Ps.
Secun. IX, 14). Et après ce châtiment juste et secret, il est dit :
« Levez-vous, Seigneur, ô mon Dieu, étendez votre main », non plus dans le
secret, mais dans la splendeur de votre gloire. « N’oubliez point à jamais les
opprimés », comme l’imagine l’impie qui dit : « Le Seigneur a tout oublié; il a
détourné sa tête pour ne rien voir à jamais » (Ps. Secun. IX, 11). Car
c’est bien nier que Dieu voie à jamais, ou jusqu’à la fin, que dire qu’il ne
prend aucun soin des actions des hommes sur la terre. La terre est, en effet, la
fin des choses, comme le dernier des éléments, où les hommes travaillent dans un
ordre admirable, mais ordre qui leur échappe dans leurs travaux, car il
appartient aux secrets du Fils. Donc, au milieu du labeur pénible d’ici-bas,
l’Eglise, comme un navire au milieu des flots et des tempêtes, semble éveiller
le Seigneur qui dort, afin qu’il commande aux vents déchaînés et ramène le
calme. « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, lui dit-elle, étendez votre main, et
n’oubliez point les pauvres sur la terre ».
30. La connaissance du dernier
jugement nous a fait dire avec joie : « Pourquoi l’impie a-t-il irrité le
Seigneur ? » (Id. 13) De quoi lui a servi de commettre ces forfaits ?
« Il disait dans son cœur : Dieu ne les recherchera point. Vous le voyez,
Seigneur », poursuit le Prophète, « mais vous considérez le travail et la
colère, pour les livrer entre vos mains » (Id. 14). Prononçons bien ces
paroles pour en voir le sens ; une fausse prononciation nous amène l’obscurité.
L’impie a dit dans son cœur : « Dieu ne recherchera point les crimes », comme si
le Seigneur voyant ce qu’il lui en coûtera de labeur et de peine pour les faire
tomber entre ses mains, et dédaignant le labeur comme la colère, pardonne à ces
impies, pour ne point prendre la peine de les châtier, ni se troubler par la
colère. C’est ce qui arrive souvent aux hommes, qui dissimulent plutôt que de
châtier, afin de s’épargner la peine de la colère.
31. « C’est à vous que le pauvre
abandonne sa défense »(Ibid.). Car il n’est pauvre, ou plutôt il n’a
méprisé tous les biens passagers de cette vie que pour mettre en vous seul son
espoir. « Vous serez le protecteur de l’orphelin » (Ps. secun. IX, 14)
c’est-à-dire de celui pour qui le monde est mort, ce monde qui était son père,
qui l’avait engendré selon la chair, de celui qui peut dire : « Le monde est
crucifié pour moi, et moi pour le monde » (Ga. IX, 14). Dieu devient un
père à de tels orphelins ; et le Sauveur enseigne à ses disciples à le devenir,
quand il dit : « N’appelez ici-bas personne votre père » (Mt. XXIII, 9).
Lui-même en donne l’exemple tout le premier, en disant : « Quelle est ma mère,
ou quels sont mes frères ? » (Id. XII, 48) C’est de là que certains
hérétiques très-dangereux ont avoué qu’ils n’avaient pas de mère ; ils n’ont
point vu qu’en prenant ces paroles à la lettre, les disciples n’auraient point
eu de pères. Car s’il dit lui-même : « Quelle est ma mère ? » il leur donnait
cet enseignement : « N’appelez ici-bas personne votre père ».
32. « Brisez le bras de l’impie et
du méchant » (Ps. IX, 15), de cet homme dont il est dit plus haut, qu’il
se rendra maître de tous ses ennemis. Son bras, c’est sa puissance, à laquelle
est opposée cette puissance du Christ, dont le Prophète a dit : « Levez-vous,
Seigneur, mon Dieu, étendez votre main » (Id. 5). On recherchera son
péché ; mais lui, ne reparaîtra plus à cause de ce péché ; c’est-à-dire, on le
jugera sur ses crimes, et ces crimes l’auront fait disparaître. Alors qu’y
a-t-il d’étonnant dans les paroles suivantes : « Le Seigneur sera roi des
siècles et de l’éternité ; nations, vous serez retranchées de la terre qui lui
appartient ? » (Id. 16) Il désigne par nations, les pécheurs et les
impies.
33. « Le Seigneur a exaucé le désir
des pauvres » (Id. 17). Ce désir dont ils étaient embrasés, quand au
milieu des angoisses et des tribulations, ils soupiraient après le jour du
Seigneur : « Votre oreille, ô Dieu, a entendu que leur cœur était prêt ». Cette
préparation du cœur est celle que le Prophète a chantée dans un autre Psaume :
« Mon cœur est préparé, ô Dieu, mon cœur est préparé » (Id. LVI, 8) » ;
et dont saint Paul dit : « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous
l’attendons par la patience » (Rm. VI, 25). Par l’oreille de Dieu, nous
ne devons rien entendre de corporel, mais cette puissance qui le porte à nous
exaucer : et pour ne plus revenir à ce sujet, quand l’Écriture attribue à Dieu
ces membres qui sont en nous visibles et corporels, nous devons entendre sa
puissance d’action. Car il ne faut rien voir ici de corporel, quand Dieu écoute,
non plus le son de la voix, mais la préparation du cœur.
34. « Vous rendrez justice à
l’orphelin et au pauvre » (Ps. IX, 18) » ; c’est-à-dire à celui qui ne se
conforme pas au monde, et qui n’est point superbe. Juger l’orphelin, n’est pas
rendre justice à l’orphelin. On juge l’orphelin même en le condamnant, maison
lui rend justice quand on prononce en sa faveur. « Afin que l’homme ne cherche
plus à s’agrandir sur la terre » (Ibid.). Car ce sont des hommes ceux
dont il est dit : « Seigneur, élevez au-dessus d’eux un législateur, afin que
les peuples sachent bien qu’ils sont des hommes » (Ps. Prim. IX, 21).
Mais celui qu’il est question d’élever en cet endroit sera un homme aussi, et
c’est de lui qu’il est dit : « Afin que l’homme renonce à s’agrandir sur la
terre ». Ce qui arrivera quand le Fils de l’homme viendra juger cet orphelin qui
s’est dépouillé du vieil homme et qui a ainsi comme exalté son Père.
35. Les secrets du Fils dont il est
beaucoup parlé dans ce Psaume, seront suivis des manifestations de ce même Fils,
dont il est quelque peu fait mention à la fin. Mais le sujet indiqué par le
titre, en occupe la principale partie. On peut même ranger parmi les secrets du
Fils le jour de son avènement, quoique sa présence doive être manifestée pour
tous. Car il est dit de ce jour qu’il n’est connu de personne, ni des Anges, ni
des Vertus, ni même du Fils de l’homme (Mt. XXIV, 36). Or, quel secret
est plus impénétrable que celui que l’on dit être dérobé au juge même, non qu’il
l’ignore, mais parce qu’il ne doit point le révéler ? Si toutefois quelqu’un
veut attribuer ces secrets du Fils, non plus au Fils de Dieu, mais au Fils de
David même, dont tout le psautier porte le nom, car tous les Psaumes sont
appelés Psaumes de David, qu’il écoute ces paroles adressées à Notre-Seigneur: «
Fils de David, ayez pitié de nous » (Mt. XX, 30), et qu’il reconnaisse ce
même Seigneur Jésus-Christ dont les secrets ont inspiré le titre du Psaume. Il
en est de même de ces paroles de l’Ange : « Dieu lui donnera le trône de David
son père » (Lc, I, 32). Cette interprétation n’est point démentie par
cette question du Christ aux Juifs : « Si le Christ est Fils de David, comment
David inspiré de l’Esprit-Saint, l’appelle-t-il son Seigneur, en disant : Le
Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que
j’abatte vos ennemis à vos pieds ? » (Mt. XXII, 11 ; Ps. CIX, 1) Cette
parole s’adressait à des hommes ineptes qui, dans le Christ dont ils attendaient
l’arrivée, ne voyaient qu’un homme, et non point la puissance et la sagesse de
Dieu. Dieu donc les formait à croire selon la vérité la plus pure, que le Christ
est le Seigneur de David, puisqu’il était au commencement le Verbe, Dieu en
Dieu, par qui tout a été fait ; qu’il est aussi le fils de David, puisque selon
la chair il est né de la race de David, Le Seigneur ne dit pas que le Christ
n’est point fils de David ; mais bien : Si vous êtes certain qu’il est son fils,
apprenez encore qu’il est son Seigneur ; ne vous arrêtez pas à voir dans le
Christ sa qualité de fils de l’homme, ce qui fait qu’il est fils de David, pour
abandonner sa qualité de Fils de Dieu qui le rend Seigneur de David.