DISCOURS SUR LES PSAUMES

PSAUMES X  à  XV

DISCOURS SUR LE PSAUME X

L’HÉRÉSIE EN FACE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE.

POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps. X, 1).

L’âme catholique et fidèle répond aux invitations de l’hérésie, que sa confiance est dans le Seigneur et non dans les hommes, tandis que l’hérésie se confie dans les mérites du ministre des sacrements. Le Seigneur, par une même parole, aveugle les méchants et sauve les justes.

1. Ce titre n’a pas besoin d’être expliqué de nouveau, nous avons exposé suffisamment le sens de cette expression : « In finem, pour la fin »». Voyons donc le texte du psaume, qui me parait un chant contre les hérétiques. Ceux-ci, en effet, rappelant sans cesse avec exagération les fautes de plusieurs membres de l’Eglise, comme si, dans leurs sectes, tous les membres, ou du moins le plus grand nombre, étaient des justes, s’efforcent de nous détourner et de nous arracher des mamelles de l’Eglise, unique et véritable mère. Ils affirment que le Christ est parmi eux; ils affectent de nous avertir, par intérêt pour nous et par charité, de passer dans leur parti pour y trouver Jésus-Christ, qu’ils se vantent faussement de posséder. On sait que dans ces dénominations allégoriques données par les Prophètes à Jésus-Christ, se trouve aussi celle de Montagne. Il faut donc répondre à l’hérésie en loi disant : « Ma confiance est dans le Seigneur ; comment dites-vous à mon âme : Va sur la montagne, comme un passereau ? » (Id. 2) Il n’est qu’une seule montagne en qui j’aie mis mon espoir ; pourquoi me dire d’aller à vous, comme s’il y avait plusieurs Christs ? Et si, dans votre orgueil, vous prétendez être cette montagne, j’avoue que je dois être ce passereau, et que mes ailes sont les forces et les préceptes de Dieu ; mais ces ailes m’empêchent de voler vers de semblables montagnes, et de reposer mon espoir en des hommes orgueilleux. J’ai un nid où je puis reposer, puisque ma confiance est dans le Seigneur. Car le passereau trouve une demeure (Ps. LXXXIII, 4), et le Seigneur est un refuge pour le pauvre (Ps. IX, 10). Ainsi, de peur qu’en cherchant le Christ chez les hérétiques, nous ne le perdions réellement, chantons avec la plus entière confiance : « Ma confiance est dans le Seigneur ; comment dites-vous à mon âme : Va sur la montagne comme le passereau ? »

2. « Voilà que les pécheurs ont bandé l’arc, ils ont rempli de flèches leur carquois, afin de tirer, dans l’obscurité de la lune, sur ceux qui ont le cœur droit » (Ps. X, 3). Vaines terreurs de ceux qui nous menacent de la colère des pécheurs, pour nous pousser dans leur parti, comme dans celui des justes. « Voilà », disent-ils, « que les pécheurs ont bandé l’arc ». Cet arc me paraît être l’Écriture, qu’ils interprètent dans un sens charnel, et qui ne leur fournit alors que des maximes empoisonnées. « Ils ont préparé leurs flèches dans leur carquois » ; c’est-à-dire, qu’ils ont préparé dans leurs cœurs, ces paroles qu’ils doivent nous lancer avec l’autorité des saintes Écritures. « Afin de tirer sur l’innocent dans l’obscurité de la lune » ; c’est-à-dire, qu’ils ont cru que la foule des hommes ignorants et charnels avait obscurci la lumière de l’Église, et qu’eux-mêmes ne pourraient être convaincus ; ainsi ils corrompent les bonnes mœurs par des discours pervers (Ps. X, 3). Mais à toutes ces terreurs nous répondrons : « Ma confiance est dans le Seigneur » (I Co. XV, 33).

3. J’ai promis (Ci-dessus, Ps. VIII, n. 9), il m’en souvient, de considérer dans ce psaume comment la lune est une figure convenable de l’Eglise. Il y a deux opinions probables au sujet de la lune : savoir quelle est la véritable, c’est là ce qui est, selon moi, sinon impossible, du moins très difficile aux hommes. Si vous demandez d’où vient à la lune sa lumière, les uns répondent qu’elle a une lumière qui lui est propre, mais que son globe est moitié lumineux et moitié obscur, et qu’ainsi, dans sa révolution, la partie lumineuse se tourne peu à peu vers la terre, et devient visible ; c’est pourquoi elle nous apparaît d’abord comme un croissant. Car si vous prenez une sphère à moitié blanche, et à moitié noire, et que vous mettiez sous les yeux la partie noire, vous ne verrez rien de blanc, mais ensuite, commencez à tourner vers vous le côté blanc, et faites-le peu à peu, vous verrez cette face blanche apparaître d’abord comme un croissant, puis se développer peu à peu, jusqu’à ce que la face blanche vous apparaisse complètement, et ne laisse rien voir d’obscur. Continuez encore la révolution de votre sphère, et peu à peu la partie obscure se montrera, tandis que la partie blanche ira en diminuant, jusqu’à ce qu’elle redevienne un croissant, pour échapper bientôt à la vue, et ne laisser sous vos yeux que la partie obscure ; c’est ce qui a lieu, nous dit-on, quand la lumière de la lune va toujours en augmentant jusqu’au quinzième jour, puis diminue jusqu’au trentième, redevient un croissant, puis bientôt nous dérobe complètement sa lumière. Dans cette opinion, la lune pourrait être la figure allégorique de l’Eglise, qui brille dans sa partie spirituelle, tandis qu’elle est obscure dans ses membres charnels ; et souvent ses oeuvres spirituelles la signalent aux hommes; souvent aussi ce côté spirituel se réfugie dans la conscience, où Dieu seul peut le voir, et ne laisse voir aux hommes que la face corporelle, comme il arrive quand nous prions intérieurement, sans aucune apparence extérieure, alors que nos cœurs ne sont plus à la terre, mais élevés à Dieu, selon qu’il nous est recommandé. D’autres disent que la lune n’a point une lumière qui lui soit propre, et qu’elle la reçoit du soleil ; que quand elle est en face du soleil, elle nous présente le côté qui n’est point éclairé, et paraît ainsi sans lumière ; mais qu’à mesure qu’elle s’éloigne du soleil, cette partie même qu’elle présentait à la terre est illuminée ; elle commence nécessairement comme un croissant, jusqu’au quinzième jour, qu’elle est complètement opposée au soleil : c’est alors qu’elle se lève quand le soleil se couche ; de sorte qu’un homme qui observerait le coucher du soleil, pourrait aussitôt qu’il le perd de vue, se tourner vers l’orient, et verrait la lune à son lever. Mais à mesure que la lune tend à se rapprocher du soleil, elle nous montre peu à peu sa face obscure, puis redevient un croissant, pour disparaître totalement ; car alors sa partie lumineuse est toute vers le ciel, tandis qu’elle ne montre à la terre que la face que le soleil ne saurait éclairer. Dans cette seconde opinion, la lune serait la figure de l’Eglise qui n’a point une lumière propre, car sa lumière lui vient de ce Fils unique de Dieu, appelé souvent dans les saintes Écritures, Soleil de justice. Incapable de connaître et de voir ce Soleil invisible, certains hérétiques s’efforcent d’attirer les esprits simples et sensuels, au culte de ce soleil visible et corporel, qui éclaire les yeux des mouches aussi bien que les yeux corporels des hommes. Ils parviennent même à entraîner ceux qui, dans leur impuissance de découvrir des yeux de l’âme la lumière intérieure de la vérité, ne peuvent se con-tenter de la simplicité de la foi catholique ; et pourtant il n’y a pour les faibles que ce moyen de salut, que ce lait qui puisse les fortifier et les rendre capables d’une plus solide nourriture. De ces deux opinions, quelle que soit la vraie, le nom allégorique de la lune convient parfaitement à l’Eglise. Toutefois, s’il nous répugne de nous engager dans ces obscurités plus pénibles qu’elles ne sont utiles, ou si le temps nous manque, ou même si notre esprit s’y refuse, il peut nous suffire de regarder la lune avec le peuple, et sans en rechercher péniblement les raisons, de voir avec tout le monde qu’elle croît, qu’elle arrive à son plein, pour décroître ensuite. Et si elle ne disparaît que pour revenir encore, elle devient pour la multitude la moins exercée la figure de l’Eglise, dans laquelle on croit à la résurrection des morts.

4. Examinons ensuite pourquoi, dans ce psaume, il est parlé de « lune obscure » qui sert aux pécheurs pour décocher leurs flèches sur les cœurs droits. Car on peut dire de plusieurs manières que la lune est obscurcie ; elle l’est à la fin de sa révolution mensuelle, puis quand un nuage nous dérobe sa lumière, puis quand elle s’éclipse totalement. Nous pouvons dire alors que les persécuteurs des martyrs ont voulu décocher leurs flèches sur les cœurs droits, pendant l’obscurité de la lune ; soit que l’Église naissante n’ait pas encore jeté sur la terre tout son éclat, ni dissipé les ténébreuses superstitions du paganisme ; soit que les blasphèmes et les calomnies contre le nom chrétien aient enveloppé la terre comme d’un nuage et rendu invisible la lune ou l’Église ; soit que tant de martyrs égorgés et tant de sang répandu, aient détourné du nom chrétien les âmes faibles, en couvrant l’Eglise d’un voile sanglant, comme celui qui paraît quelquefois sur la lune et qui l’obscurcit ; dans ces jours de terreur, les impies décochaient comme autant de flèches, ces paroles artificieuses et sacrilèges, qui pervertissaient même les cœurs purs. On peut encore entendre ce passage, des pécheurs qui sont dans l’Eglise, qui ont saisi l’occasion d’un obscurcissement de la lune, pour commettre les forfaits que nous reprochent maintenant les hérétiques, accusés d’en être les auteurs. Mais quelle que soit la. source des crimes commis pendant l’obscurité de la lune, maintenant que la religion catholique est répandue et respectée dans tout l’univers catholique, pourquoi m’inquiéter de faits que j’ignore ? Ma confiance est au Seigneur, et loin de moi, « ceux qui disent à mon âme : Va, chétif passereau, vers les montagnes. Car voilà que les pécheurs ont préparé leur arc pour décocher leurs flèches sur les cœurs droits, dans l’obscurité de la lune ». Et cette lune leur paraît encore obscure, parce qu’ils s’efforcent de jeter l’incertitude sur la véritable Eglise catholique, et qu’ils arguent contre elle des fautes de ces hommes charnels qu’elle contient en grand nombre. Qu’est-ce que ces tentatives, pour celui qui dit véritablement : Ma confiance est dans le Seigneur, qui montre par ce langage qu’il est le froment de Dieu, et qu’il supporte la paille avec patience, jusqu’à ce que viendra le temps de la vanner ?

5. « Ma confiance est donc au Seigneur ». Que ceux-là tremblent qui mettent leur confiance dans un homme, et qui ne peuvent nier qu’ils lui appartiennent, puisqu’ils jurent sur ses cheveux blancs ; et si vous leur demandez en conversation à quelle communion ils appartiennent, ils ne peuvent se faire connaître qu’en se proclamant de son parti. Mais dites-moi ce qu’ils peuvent répondre, quand on leur représente ces crimes, ces forfaits innombrables qui remplissent chaque jour leur parti ? Peuvent-ils dire : « Ma confiance est au Seigneur; et comment dites-vous à mon âme de se réfugier dans les montagnes comme le passereau ? » Car ils n’ont plus confiance dans le Seigneur, en soutenant que les sacrements ne sanctifient que quand ils sont administrés par des hommes saints ? Aussi, demandez-leur quels sont les saints, ils rougiront de dire : C’est nous ; et s’ils ne rougissent de le dire, ceux qui les entendront, rougiront pour eux. Ils forcent donc ceux qui reçoivent les sacrements, à mettre leur confiance dans un homme, dont le cœur échappe à nos yeux. Or, « maudit soit celui qui met son espoir dans un homme » (Jr. XVII, 5). Dire en effet : C’est ce qui est administré par moi, qui est saint, n’est-ce pas dire : Mettez votre espérance en moi ? Mais que sera ce sacrement si vous n’êtes pas saint? Alors montrez-moi votre coeur. Et si vous ne le pouvez, comment saurai-je que vous êtes saint? Alléguerez-vous ce passage de l’Écriture : « Vous les connaîtrez à leurs œuvres ? » (Mt. VII, 16) Assurément, je vois chez vous des oeuvres merveilleuses ; je vois chaque jour les Circoncellions courir ça et là sous la conduite de leurs évêques et de leurs prêtres, et donner le nom d’Israël à de terribles bâtons ; c’est là ce que les hommes de nos jours ne voient et n’éprouvent que trop. Quant aux actes du temps de Macaire, qu’ils nous reprochent amèrement, peu les ont vus, nul ne les voit maintenant ; et quand on les voyait, tout catholique n’en pouvait pas moins dire, s’il voulait être serviteur de Dieu : « Ma confiance est dans le Seigneur ». C’est le langage que tient encore celui qui voit dans l’Eglise ce qu’il voudrait n’y point voir, qui se sent nager dans ces filets pleins de poissons, bons et mauvais, jusqu’à ce que l’on arrive sur les sables de la mer, pour séparer les bons des mauvais (Id. XIII, 47). Que peuvent répondre ces hérétiques, si l’homme qu’ils veulent baptiser leur fait cette question : Comment m’ordonnez-vous d’avoir confiance ? Car si le mérite d’un sacrement est basé sur celui qui le donne et sur celui qui le reçoit, si c’est Dieu qui le donne et ma conscience qui le reçoit, voilà deux termes dont j’ai la certitude, sa bonté, et ma foi. Pourquoi venir vous interposer, vous dont je ne puis tirer , aucune certitude ? Laissez-moi chanter : « Ma confiance est dans le Seigneur ». Car si je mettais ma confiance en vous, qui peut me garantir que vous n’avez commis aucune faute cette nuit ? Enfin, si vous voulez que j’aie confiance en vous, puis-je avoir d’autre motif que votre parole ?

Mais alors quelle confiance puis-je avoir, que ceux qui étaient hier en communion avec vous, qui communiquent aujourd’hui, qui communiqueront demain, n’auront commis aucune faute, après ces trois jours ? Et si ni vous ni moi ne sommes souillés par ce que nous ignorons, pourquoi rebaptisez-vous ceux qui n’ont rien connu de la trahison de Macaire ni de ses persécutions ? Et ces chrétiens qui viennent de la Mésopotamie, qui ne savent le nom ni de Cécilien ni de Donat, comment osez-vous les rebaptiser, et nier qu’ils soient chrétiens ? S’ils sont souillés par les péchés des autres, vous aussi, vous êtes sous le poids des crimes qui se commettent chaque jour, à votre insu, dans votre parti ; et c’est en vain que vous objectez aux catholiques les décrets impériaux , vous qui sévissez dans votre camp avec les bâtons et les flammes. Tel est donc l’abîme où sont tombés ceux qui, voyant les désordres dans l’Eglise catholique, n’ont pu dire : « Ma confiance est au Seigneur », et qui ont mis leur espoir dans les hommes. Ils l’auraient dit sans doute, s’ils n’eussent été les uns ou les autres tels qu’ils croyaient ceux dont ils ont feint de se séparer par un sacrilège orgueil.

6. Que l’âme catholique s’écrie donc : « Ma confiance est au Seigneur ; comment osez-vous me dire: Passereau, va dans les montagnes ? car voilà que les pécheurs ont bandé leur arc, ils ont rempli de flèches leur carquois, pour les décocher sur les justes durant une lune obscure ». Puis, de ces pécheurs, s’élevant à Dieu, qu’elle dise : « Voilà qu’ils ont détruit ce que vous aviez rendu parfait » (Ps. X, 4). Et qu’elle tienne ce langage, non-seulement contre ceux dont nous parlons, mais contre tous les hérétiques. Car tous, autant qu’il est en eux, ont détruit cette louange parfaite que Dieu a tirée de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle (Id. VIII, 3), quand, par de vaines et pointilleuses questions, ils tourmentent les faibles et ne les laissent point s’alimenter du lait de la foi. Et comme si l’on disait à cette âme : Pourquoi vous outils engagée à passer dans les montagnes comme le passereau ; pourquoi vous effrayer au sujet des pécheurs qui ont bandé leur arc, pour percer les cœurs droits dans l’obscurité de la lune ? la voilà qui répond : Ce qui m’effraie, c’est « qu’ils ont détruit ce que vous aviez rendu parfait ». Où l’ont-ils détruit, sinon dans leurs conciliabules, où loin de donner du lait aux faibles et à ceux qui ne con naissent point la lumière intérieure, ils les tuent de leurs poisons? « Mais le juste, qu’a-t-il fait ? » Si Macaire et Cécilien sont coupables envers vous, que vous a fait le Christ qui a dit : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix » (Jn, XIX, 27) ; cette paix que vous violez par le schisme le plus criminel ? Que vous a fait le Christ, qui déploya tant de patience envers le disciple qui le trahissait, jusqu’à l’admettre à cette première Eucharistie qu’il consacrait de ses mains, qu’il instituait de sa parole, et qu’il lui présenta comme aux autres Apôtres ? (Lc, XXII, 19, 21) Que vous a fait le Christ, qui donna mission de prêcher le royaume de Dieu à ce même traître qu’il avait appelé un démon (Jn, VI, 71), qui même avant de trahir le Seigneur, ne put en garder fidèlement les deniers (Id. XII, 6), et qu’il envoya néanmoins avec les autres disciples » (Mt. X, 5), pour nous apprendre que les dons de Dieu arrivent en ceux qui les reçoivent avec foi, quand même le ministre qui les distribue serait semblable à Judas ?

7. « Le Seigneur habite son saint temple » (Ps. X, 5). C’est dans ce sens que l’Apôtre a dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple. Quiconque ose violer le temple de Dieu, Dieu le perdra » (I Co. III, 17). Or, c’est violer le temple de Dieu que d’en rompre l’unité, c’est ne plus être dans l’union avec cette tête (Co. II, 19) dont tout le corps soutenu par ses liens et ses jointures avec une si juste proportion, reçoit l’accroissement dans la mesure qui est propre à chacun de ses membres, et se forme par la charité (Ep. IV, 16). Le Seigneur est donc dans ce temple formé de plusieurs membres, qui ont chacun leurs fonctions, et qui sont reliés par la charité, en un seul édifice. C’est violer ce temple, que se séparer de l’unité catholique, pour chercher ailleurs la dignité d’un chef. « Le Seigneur habite son temple saint, le Seigneur a son trône dans le ciel » (Ps. X, 5) Si parte ciel vous entendez le juste, comme la terre nous désigne le pécheur, ainsi qu’il est dit : « Tu es terre, et tu retourneras en terre » (Gn. III, 19), ces expressions : « Le Seigneur a son trône dans le ciel », sont une répétition de ce qui a été dit : « Le Seigneur habite son saint temple ».

8. « Ses yeux regardent le ciel ». C’est à lui que le pauvre s’abandonne, et il lui sert de refuge (Ps. X, 10). C’est pourquoi toutes ces séditions, tous ces troubles que l’on soulève dans les filets jusqu’à ce qu’ils arrivent sur le rivage, ont pour auteurs des hommes qui refusent d’être les pauvres de Jésus-Christ ; et c’est à leur perte, mais pour notre amendement, que les hérétiques prennent de ces troubles occasion de nous insulter. Mais pourront-ils détourner les regards de Dieu de ceux qui veulent bien être pauvres pour lui ? « Car ses yeux regardent le pauvre ». Avons-nous à craindre que dans la foule nombreuse des riches, il ne puisse discerner ces quelques pauvres, pour les conserver et les nourrir dans le giron de l’Eglise catholique ? « Ses paupières interrogent les « enfants des hommes » (Id. 5). Selon la règle que nous avons posée, j’entendrais volontiers par ces « enfants des hommes » ceux que la foi a fait passer du vieil homme à l’homme nouveau. Car l’œil de Dieu paraît se fermer pour eux, quand certains passages des Écritures les stimulent par leur obscurité à en rechercher le sens ; comme il semble s’ouvrir quand ils reçoivent avec joie la lumière de passages plus clairs. Or, ces vérités des livres saints, tantôt claires et tantôt voilées, sont comme les paupières de Dieu qui interrogent, ou plutôt qui approuvent ces enfants des hommes stimulés plutôt que lassés par les obscurités, affermis plutôt qu’enorgueillis par la découverte.

9. « Le Seigneur interroge le juste et l’impie » (Id. 6). Et quand il interroge ainsi le juste et l’impie, quel mal pouvons-nous craindre de la part des impies qui pourraient être, avec des cœurs peu sincères, en communion de sacrements avec nous ? « Mais celui qui aime l’iniquité nuit à son âme » (Ibid.). Ce n’est donc point à celui qui a mis sa confiance en Dieu, et qui n’espère point dans les hommes, c’est à son âme seulement que nuit celui qui aime le péché.

10. « Il fera tomber des piéges sur les pécheurs » (Id. 7). Si l’on désigne sous le nom de nuages les Prophètes en général, soit les bons soit les mauvais appelés aussi faux prophètes (Mt. XXIV, 24), les faux prophètes sont destinés parle Seigneur à devenir des piéges qu’il fait tomber sur les pécheurs. Car il n’y a pour les suivre, que le pécheur, qui se prépare ainsi le dernier supplice, s’il persévère dans le crime, ou qui abjure son orgueil, s’il cherche un jour le Seigneur avec plus de sincérité. Mais si les nuées ne doivent désigner que les bons, les vrais prophètes, il est encore évident que leurs paroles, entre les mains de Dieu, sont des piéges pour les pécheurs, en même temps qu’une rosée qu’il répand sur les justes pour leur faire porter de bons fruits. « Aux uns », dit l’Apôtre, « nous sommes une odeur de vie pour la vie, aux autres, une odeur de mort pour la mort » (II Co. II, 16). Car on peut, sous le nom de nuages, désigner non-seulement l’Apôtre, mais quiconque donne aux âmes la rosée de la parole de Dieu. Pour celui qui comprend mal ces paroles, c’est le piége que Dieu fait tomber sur les méchants ; et pour celui qui les entend dans le vrai sens, c’est la rosée qui féconde les cœurs pieux et fidèles. Cette parole de l’Ecriture, par exemple: « Ils seront deux dans une même chair (Gn. II, 24) », peut devenir un piége pour celui qui l’interprète dans le sens de l’incontinence. Mais si vous l’entendez avec saint Paul qui s’écrie : « Moi, je le dis dans le Christ et dans I’Eglise (Ep. V, 23)», c’est une rosée sur un champ fertile. C’est le même nuage, ou l’Ecriture sainte qui produit ces deux effets. De même encore le Seigneur nous dit : « Ce n’est point ce qui entre dans votre bouche, mais bien ce qui en sort, qui souille votre âme (Mt. XV, 11) ». A cette parole, un pécheur se dispose à la bonne chère; tandis qu’elle prévient le juste contre le discernement des viandes, Cette même nuée de l’Ecriture laisse donc tomber, selon le mérite de chacun, et des piéges pour le pécheur, et pour le juste une pluie fécondante.

11. « Des torrents de feu et de souffre, la fureur des tempêtes, c’est là le calice qu’il leur prépare » (Ps. X, 7). Tel est le châtiment et la fin de ceux qui blasphèment le nom du Seigneur; d’abord ils sont dévorés par l’incendie de leurs passions, ensuite l’odeur fétide de leurs oeuvres corrompues les éloigne de l’assemblée des saints; enfin, entraînés et submergés dans l’abîme, ils subissent d’indicibles tourments. Telle est, Seigneur, la part de leur calice, tandis que vous avez pour le juste un calice enivrant et glorieux (Id. XXII, 5). « Car ils seront enivrés par la sainte abondance de votre maison » (Id. XXXV, 9). Si le Prophète emploie cette expression, « la part de leur calice », c’est, je crois, pour nous détourner de croire que, même dans le supplice des méchants, la Providence outrepasse les bornes de l’équité. Aussi a-t-il ajouté, comme pour nous rendre raison de ces châtiments : « C’est que le Seigneur est juste, et qu’il aime les justices » (Ps. X, 8). Et ce n’est pas sans raison qu’il dit les justices, au pluriel, afin de nous montrer dans ces justices les justes eux-mêmes. Car il semble que dans plusieurs justes, il y ait plusieurs justices, bien qu’il n’y en ait qu’une seule en Dieu, qui est la source des autres ; comme si un seul visage se trouvait en face de plusieurs miroirs, ceux-ci le refléteraient et feraient apparaître plusieurs fois ce visage, néanmoins unique. Aussi le Prophète revient-il au singulier, en s’écriant : « Sa face a vu l’équité ». Et peut-être a-t-il dit : « Sa face a vu l’équité », dans le même sens qu’il dirait : C’est dans sa face que l’on voit l’équité, c’est-à-dire quand on connaît sa face. Car la face de Dieu, c’est la puissance qu’il a de se faire connaître à ceux qui en sont dignes. Ou bien : « Sa face a vu l’équité », parce qu’il ne se fait pas connaître aux méchants, mais aux bons; et c’est là l’équité.

12. Si l’on veut que la lune soit la synagogue, il faut alors entendre le psaume de la passion du Sauveur, et dire des Juifs, « qu’ils ont détruit ce que Dieu avait rendu parfait»; et du Seigneur : « Pour le juste, qu’a-t-il fait? » lui qu’ils accusaient de détruire la loi, tandis qu’eux-mêmes en détruisaient les préceptes par une vie coupable, et les méprisaient jusqu’à les remplacer par leurs traditions. Alors Jésus-Christ, selon sa coutume, parlerait dans son humanité, et dirait: « Ma confiance est dans le Seigneur; comment dites-vous à mon âme : Va, passereau, vers les montagnes? » répondant ainsi aux menaces de ceux qui le cherchaient pour le prendre et le crucifier. Alors les pécheurs voulaient décocher leurs flèches sur les justes ou sur ceux qui croyaient en Jésus-Christ, et l’obscurité de la lune peut fort bien désigner la synagogue remplie d’hommes pervers. C’est à cela que se rapporterait ce passage: « Le Seigneur habite son saint temple; le Seigneur a son trône dans le ciel », c’est-à-dire le Verbe, ou le Fils de Dieu qui est dans le ciel, habite aussi dans l’homme. « Ses yeux regardent le pauvre », c’est-à-dire cet homme dont il s’est revêtu, tout Dieu qu’il était, ou celui pour lequel il a souffert dans son humanité. « Ses paupières interrogent les enfants des hommes ». Fermer les yeux, puis les ouvrir, voilà probablement ce qu’il désigne sous le nom de paupières, et que nous pouvons entendre de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ ; car alors il éprouva les fils des hommes ou ses disciples, que sa mort avait effrayés, et que réjouit sa résurrection. « Le Seigneur interroge le juste et l’impie », en gouvernant l’Eglise du haut du ciel. « Mais celui-là hait son âme qui aime l’iniquité », et la suite nous en montre la raison. Ce passage : « Il fera pleuvoir des piéges sur l’impie », ainsi que le reste du psaume jusqu’à la fin, doit s’entendre dans le sens indiqué plus haut.

DISCOURS SUR LE PSAUME XII

SOUPIRS DU JUSTE

POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID (Ps. XII, 1).

Ceux qui gémissent à la vue de l’iniquité appellent de leurs voeux le Sauveur, qui doit nous aider à combattre victorieusement l’ennemi du salut.

1. « Le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront (Rm. X, 4)». « Jusques à quand, « Seigneur, m’oublierez-vous dans la fin (Ps. XII, 2)? » ou tarderez-vous à me faire connaître, d’une manière spirituelle, ce Christ qui est la sagesse de Dieu, et la fin que doit se proposer toute âme chrétienne. « Jusques à quand détournerez-vous de moi vos regards? » En réalité, Dieu ne nous oublie point et ne nous perd point de vue, mais l’Ecriture s’accommode à notre manière de parler. Dire que Dieu détourne de nous ses regards, c’est dire qu’il ne se fait point connaître à l’âme dont l’oeil n’est pas assez pur.

2. « Jusques à quand prendrai-je mes conseils dans mon âme ? » (Ps. XII, 2). Ce n’est que dans l’adversité que nous avons besoin de conseil. Ainsi, jusques à quand puiserai-je mes conseils dans mon âme? signifie : Jusques à quand serai-je dans l’adversité ? ou bien cette parole serait une réponse qui signifierait Jusqu’à ce que j’arrête une résolution dans mon âme, Seigneur, vous m’oublierez par rapport à ma fin, et vous détournerez de moi vos regards: si un homme en effet n’a formé t dans son âme le dessein de pratiquer parfaitement la miséricorde, le Seigneur ne le dirige point vers sa fin, et ne se fait pas connaître à lui pleinement, ou face à face. «La douleur dans mon coeur pendant tout le jour», sous-entendez: Je mettrai cette douleur. « Pendant tout le jour » signifie une douleur sans fin, et le jour se prend ici pour le temps, et quiconque veut être délivré du temps, ressent la douleur en son coeur, et demande à passer dans l’éternité pour être délivré du jour terrestre.

3. « Jusques à quand mon ennemi s’élèvera-t-il contre moi (Ps. XII, 3)? » L’ennemi, c’est le démon ou l’habitude charnelle.

4. « Regardez-moi, Seigneur, exaucez-moi, ô mon Dieu ( Id. 4) ». Regardez-moi, est la conséquence de celte plainte: « Jusques à quand vos regards se détourneront-ils de moi n; et « Exaucez-moi», de cette autre plainte: « Jusques à quand m’oublierez-vous par rapport « à ma fin? » Illuminez mes yeux, pour que u je ne m’endorme jamais dans la mort (Ibid.)». Ces yeux sont ceux du coeur, que pourrait fermer le plaisir mortel du péché.

5. « Que jamais l’ennemi ne puisse dire : « Je l’ai vaincu (Ps. XII, 5) ». Craignons le persiflage du démon. « Ceux qui me persécutent seront dans la joie, si je suis ébranlé (Ibid.)» Cet ennemi, c’est le diable avec ses anges, qui ne dut point se réjouir d’avoir mis à l’épreuve le saint homme Job, cet homme juste qui ne fut point ébranlé (Job, I, 22), c’est-à-dire qui demeura ferme dans la foi.

6. «Pour moi, j’ai mis mon espoir en votre miséricorde (Ps. XII, 6) ». Si l’homme, en effet, demeure ferme dans le Seigneur et ne se laisse point ébranler, il ne doit point se l’attribuer, de peur qu’en se félicitant de sa fermeté, il ne soit ébranlé par l’orgueil. « Mon cœur a tressailli dans celui qui est votre salut », c’est-à-dire en Jésus-Christ qui est la sagesse de Dieu. « Je chanterai le Seigneur qui m’a comblé de biens»; de biens spirituels et qui ne touchent point à cette vie. « Je dirai sur la harpe le nom du Très-Haut (Ibid.) », c’est-à-dire, dans ma joie je lui rendrai grâces, et je n’userai de mon corps que selon ses préceptes; tel est l’harmonie spirituelle de l’âme. Si l’on veut établir ici une différence, « je chanterai le Seigneur », exprimera le concert du cœur, et « je dirai sur la harpe », du concert des bonnes oeuvres, que Dieu seul peut connaître. « Le nom du Seigneur », c’est la connaissance qu’il nous donne de lui-même, connaissance qui est avantageuse pour nous et non pour lui.

DISCOURS SUR LE PSAUME XIII

LES BLASPHÈMES

POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps. XIII, 1)

Ici toute âme gémit quand retentissent à ses oreilles ces blasphèmes que l’impie vomit contre Dieu. Elle voit avec horreur l’impiété qui prévaut; elle en appelle à Dieu qui doit faire sortir de Sion le salut d’Israël ou des saints.

1. Il est inutile de redire si souvent le sens de cette expression « pour la fin », puisque l’Apôtre nous dit que « le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront(Rm. X, 4). Nous croyons en lui quand nous commençons à prendre la bonne voie; et nous le verrons au terme de cette voie, dont il est ainsi la fin.

2. « L’insensé a dit dans son cœur : Dieu (181) n’est pas n. Certains philosophes, que leur impiété et leurs sentiments faux et pervers sur la divinité signalent à l’exécration, n’ont pas même osé dire : Dieu n’est pas. Cette parole se « dit donc dans le cœur », car celui-là même qui en a la pensée, n’oserait la prononcer. « Ils sont devenus pervers et abominables, par leurs affections », c’est-à-dire, parce qu’ils ont donné au monde leur amour, et non à Dieu ; ce sont les affections qui causent dans l’âme une corruption et un aveuglement tels que l’insensé puisse dire en son coeur: « Dieu n’est pas ». Comme ils n’ont pas fait usage de la connaissance de Dieu, voilà que le Seigneur les a livrés au sens réprouvé (Rm. I, 28)». « Il n’y en a pas un qui fasse le bien, non, pas jusqu’à un (Ps. XIII, 1) ». Cette expression, « jusqu’à un », peut signifier ou avec celui-là seul, de manière à exclure tout homme, ou à l’exception de celui-là seul, pour désigner Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est ainsi que nous disons d’un champ qu’il va jusqu’à la mer, sans y comprendre la mer elle-même. Il est mieux d’entendre que nul n’a fait le bien jusqu’à Jésus-Christ, car nul homme, s’il n’est instruit par Jésus-Christ même, ne peut faire le bien, puisque ce bien lui est impossible sans la connaissance de Dieu.

3. «Le Seigneur, du haut du ciel, a jeté les yeux sur les enfants des hommes, afin de voir s’il en est pour comprendre et rechercher Dieu (Id. 2) ». Ceci peut s’entendre des Juifs, que le Prophète appelle enfants des hommes, parce qu’ils n’adoraient qu’un seul Dieu, ce qui les rendait supérieurs aux Gentils, dont le Prophète me paraît avoir dit : « L’insensé a dit dans son coeur : Dieu n’est pas », et le reste. Le regard du Seigneur s’effectue par le moyen de ces âmes saintes, et qui sont marquées par cette expression de « ciel » ; puisque pour lui, rien ne lui échappe.

4. « Tous se sont égarés, et sont devenus inutiles (Id. 3) », c’est-à-dire que les Juifs sont devenus comme les Gentils dont il est parlé plus haut. « Il n’en est aucun pour faire le bien, il n’y en a pas jusqu’à un ». Il faut donner à ces expressions le sens exposé plus haut. « Leur gosier est un sépulcre ouvert (Ibid.)». On peut voir ici les excès de l’intempérance, ou, dans un sens allégorique, les pécheurs scandaleux qui tuent et qui dévorent en quelque sorte ce qu’ils entraînent dans leurs dérèglements. C’est ainsi, mais dans un sens opposé, qu’il fut dit à Pierre; « Tue et mange», afin qu’il amenât les Gentils à sa croyance et aux saintes moeurs. « Leurs langues distillent le mensonge ». La flatterie accompagne toujours l’intempérance et les autres vices. « Leurs lèvres recèlent un poison d’aspic (Ps. XIII, 3) ». Le venin désigne la fraude, et l’aspic tous ceux qui demeurent sourds aux préceptes de la loi, comme l’aspic à la voix de l’enchanteur (Id. LVII, 5), ainsi qu’il est dit dans un autre psaume; « Leur bouche est pleine de malédiction et d’amertume ». C’est le venin de l’aspic. « Leurs pieds se hâtent pour répandre le sang (Id. XIII, 3)»; ce qui désigne l’habitude invétérée du mal. « La meurtrissure et l’infortune sont dans leurs voies ». Car toute voie du méchant est laborieuse et misérable. Aussi le Seigneur a-t-il dit : « Venez à moi, vous tous qui gémissez sous le poids du travail et de la douleur, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur; car mon joug est doux, et mon fardeau léger (Mt. XI, 28) ». « Ils n’ont point connu la voie de la paix », de cette paix que désigne le Seigneur, par la douceur de son joug et la légèreté de son fardeau. « La crainte du Seigneur n’est pas devant leurs yeux » ; sans dire que Dieu n’est pas, ils n’en craignent pas davantage le Seigneur.

5. « Ne comprendront-ils pas enfin, tous ces ouvriers d’iniquité?»Dieu les menace du jugement, « Ils dévorent mon peuple, comme on dévore un morceau de pain (Ps. XIII, 4) », c’est-à-dire chaque jour; car le pain est la nourriture quotidienne. Ces dignitaires dévorent le peuple, qui en tirent leurs avantages, sans faire tourner leur ministère .à la gloire de Dieu, et au salut de leurs subordonnés.

6. « Ils n’ont point invoqué le Seigneur ». Car c’est ne point l’invoquer, que désirer te qui lui déplaît. « ils ont tremblé, où n’était pas la crainte (Id. 5) » ,c’est-à-dire devant un dommage temporel. Car ils ont dit: « Si nous le laissons ainsi, chacun croira en lui, et les Romains viendront, et nous extermineront, nous et notre ville (Jn. XI, 48)». Ils ont craint ce qui n’était point à craindre, la perte d’un royaume terrestre, et voilà qu’ils ont perdu le royaume des cieux, ce qu’ils auraient dû redouter Ainsi en est-il de tous les avantages temporels; plus les hommes en redoutent la perte, et moins ils arrivent aux biens éternels.

7. « Le Seigneur habite avec la génération des justes (Ps. XIII, 6) », c’est-à-dire qu’il n’est point avec ceux qui aiment le monde. Car il y a injustice à négliger le Créateur du monde pour s’attacher au monde, à servir la créature plutôt que le Créateur (Rm. I, 25). « Vous avez méprisé le dessein du pauvre, qui met son espoir dans le Seigneur (Ps. XIII, 6) », c’est-à-dire, vous avez méprisé l’humble avènement du Christ, parce qu’il n’étalait pas à vos yeux le faste du siècle; forçant ainsi ceux qu’il appelait à mettre leur espoir en Dieu, et non pas en des biens passagers.

8. « Qui fera sortir de Sion le salut d’Israël (Id. 7) ? » Sous-entendez, sinon celui-là même dont vous avez méprisé l’humilité! Car il viendra dans l’éclat de sa gloire pour juger les vivants et les morts, et mettre les justes en possession de son royaume; en sorte que si l’humilité de ce premier avènement a frappé d’aveuglement une partie d’Israël, pour donner lieu aux Gentils d’entrer complètement dans l’Eglise; dans le second, tout Israël sera sauvé, selon la prédiction de saint Paul. Car c’est encore en faveur des Juifs que l’Apôtre invoque ce témoignage d’Isaïe : « De Sion viendra celui qui détournera de l’impiété les enfants de Jacob (Is. LIX, 20)». C’est dans le même sens qu’il est dit ici : « Qui fera sortir d’Israël l’auteur du salut ? — Quand le Seigneur aura brisé les chaînes de la captivité de son peuple, Jacob sera dans la joie et Israël dans l’allégresse (Ps. XIII, 7)». C’est une répétition, comme beaucoup d’autres ; car je pense que la joie de Jacob est identique à l’allégresse d’Israël.

DISCOURS SUR LE PSAUME XIV

LE VRAI JUSTE.

PSAUME POUR DAVID (Ps XIV, 1).

Après avoir gémi sur les blasphèmes, le Prophète nous expose les vertus dont l’âme doit être ornée pour jouir du Seigneur et entrer dans ses tabernacles.

1. Le titre ne soulève aucune difficulté. « Seigneur, quel voyageur trouvera un abri sous votre tente (Ibid.) ?» Quelquefois la tente ou tabernacle, se dit de la demeure éternelle; mais dans son acception propre, c’est un logement de guerre ; de là vient que les soldats se nomment contubernales, compagnons de la tente, comme si leurs tentes étaient contiguës. Une raison de plus de l’entendre ainsi, c’est qu’il est dit: « Quel voyageur trouvera un abri?» Sur la terre en effet nous sommes en guerre avec le démon, et nous avons besoin d’une tente pour nous reposer. Cette tente désigne surtout notre foi à l’économie temporelle de l’Incarnation qui s’est accomplie en cette vie par notre Seigneur et pour notre salut. « Qui se reposera sur votre montagne sainte (Ps. XIV, 1)?» Peut-être nous marque-t-il ici déjà la demeure éternelle, et par cette montagne faut-il entendre la charité suréminente du Christ dans la vie éternelle.

2. « Celui qui marche dans l’innocence, et dont la vie est pure (Id. 2) ». C’est là une proposition qu’il va détailler.

3. « Qui dit la vérité qu’il a dans son coeur (Id. 3) ». Quelques-uns, en effet, ont sur les lèvres une vérité qui n’est pas dans leur coeur. Ainsi, qu’un homme nous montre un chemin, qu’il sait être infesté par les voleurs, et nous dise: Dans cette voie, vous n’avez aucun voleur à craindre. Si en réalité nous ne rencontrons aucun voleur, il a dit une vérité qui n’était pas en son coeur. Il pensait le contraire et a dit la vérité à son insu. C’est donc peu que la vérité soit dans notre bouche, si elle n’est aussi dans notre coeur. « Dont la langue n’a point menti ». La langue est menteuse, quand il y a désaccord entre la parole extérieure et la pensée qui se cache dans notre coeur. « Qui n’a fait aucun mal à son prochain ». Ce mot de prochain, on le sait, doit s’étendre à tous les hommes. « Qui n’adopte point l’injure que l’on fait à ses frères (Ps. XIV, 3) », c’est-à-dire, qui ne croit ni volontiers, ni témérairement aux paroles accusatrices.

4. « Celui dont la présence anéantit le méchant (Id. 4) ». La perfection pour l’homme c’est que le méchant n’ait aucune prise sur lui, et qu’il ne soit rien à ses yeux, c’est-à-dire que cet homme sache bien qu’il n’y a point de méchant, à moins que l’âme ne se détourne de l’éternelle et immuable beauté du Créateur, pour s’attacher à cette beauté d’une créature tirée du néant. « Mais il honore ceux qui craignent le Seigneur», comme le Seigneur le fait lui-même; car la sagesse commence par la crainte du Seigneur (Ec. I, 16) ». Ce qui précède regarde les parfaits, et maintenant ce qui va suivre est pour ceux qui commencent.

5. « Celui qui s’engage par serment envers le prochain, mais sans le tromper; qui ne donne point son argent à usure, et ne reçoit e point de présents contre l’innocent (Ps. XIV, 4, 5) ». Ce ne sont point là de grandes vertus; mais celui qui ne peut les pratiquer pourra bien moins encore parler selon la vérité qu’il connaît en son coeur, sans employer sa langue à la fourberie, disant toujours au dehors ce qu’il croit être vrai, ayant dans la bouche : Oui, oui; non, non (Mt. V, 37). Il pourra moins encore ne pas nuire à son prochain, c’est-à-dire à qui que ce soit, ne point écouter l’injure contre ses frères: ces oeuvres sont de l’homme parfait, dont la présence anéantit les pervers. Bien que ces vertus soient moins élevées, le Prophète ne laisse pas de conclure ainsi : « Quiconque fait ces oeuvres, ne doit point déchoir dans l’éternité » ; c’est-à-dire qu’il arrivera aux oeuvres plus parfaites, qui nous valent cette grande et inébranlable stabilité. Car ce n’est probablement pas sans raison que le Prophète a passé d’un temps à un autre, que la première conclusion est au passé, tandis que celle-ci est au futur. Dans la première, il disait : « Le méchant s’est anéanti en sa présence »; et ici : « il demeurera ferme éternellement ».

DISCOURS SUR LE PSAUME XV

LE CHANT DE LA RÉSURRECTION.

INSCRIPTION DU TITRE, POUR DAVID (Ps. XV, 1).

Parce que le Christ a mis sa confiance dans le Seigneur, qu‘il n’a voulu d’autre héritage que lui seul, le Seigneur l’a fait triompher de ses ennemis par la résurrection. Ces sentiments peuvent être aussi ceux de l’âme juste qui se confie en Dieu et qui triomphe aussi de la mort éternelle.

1. Ce Psaume est le chant de notre roi, dans son humanité, lui qui dans sa passion obtint sur l’inscription le titre de roi.

2. Voici ses paroles : « Conservez-moi, Seigneur, parce que j’ai mis en vous mon espoir ; j’ai dit au Seigneur: Vous êtes mon Dieu ; vous n’avez nul besoin de mes biens (Ps. XV, 2) » .Vous n’avez que faire de mes biens pour votre félicité.

3. « Aux âmes saintes qui habitent ses domaines (Id. 3) », c’est-à-dire à ces saints qui ont mis leur espoir dans la terre des vivants, aux (184) citoyens de la Jérusalem céleste, dont la conversation spirituelle est fixée par l’ancre de l’espérance, dans cette terre qui est fort bien nommée la terre de Dieu, quoique selon le corps ils vivent en ce bas monde,-e il a fait « admirer tout l’amour que j’ai pour eux (Ps. XV, 3) ». Le Seigneur donc a fait connaître à ces âmes saintes, mes desseins merveilleux pour leurs progrès, et ils ont alors compris l’avantage que leur procure ce mystère d’un Dieu qui est homme pour mourir, et de cet homme qui est Dieu pour ressusciter.

4. « Leurs infirmités se sont multipliées » ; non pour leur perte, mais pour leur faire désirer le médecin. « C’est pourquoi ils ont hâté leur course ». Donc, à la vue de leurs nombreuses maladies, ils se sont hâtés d’en chercher la guérison. « Je ne les assemblerai pas pour des sacrifices sanglants (Id. 4) ». Leurs assemblées ne seront plus charnelles, et ce n’est point en faveur du sang des animaux que je les rassemblerai pour les exaucer. « J’oublierai leur nom qui ne sera plus sur mes lèvres ». Par un changement tout spi-r rituel, ils oublieront ce qu’ils étaient autrefois; et moi, dans la paix que je leur donnerai, je ne verrai plus en eux des pécheurs ou des ennemis, ou même des hommes, mais je les appellerai des justes, des frères, et des enfants de Dieu.

5. « Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon calice (Id. 5) ». Car ils posséderont aussi avec moi cet héritage qui est Dieu même. Que d’autres se choisissent, pour en jouir, l’héritage des biens temporels et passagers; le partage des saints, c’est Dieu qui est éternel. Que d’autres s’enivrent de mortelles voluptés, le Seigneur est la part de mon calice. En disant « de mon calice », je comprends aussi l’Eglise avec moi, car où est la tête, là est aussi le corps. Je ferai en effet mon héritage de leurs assemblées, et dans l’ivresse de mon calice j’oublierai leurs noms anciens. « C’est vous, ô Dieu, qui me rétablirez dans mon héritage (Ibid.) », afin que ceux que je délivre, connaissent l’éclat que j’avais en vous avant la création du monde (Jn. XVII, 5) ». Ce n’est point pour moi que vous me rendrez ce que je n’ai point perdu, mais pour ceux qui ont perdu la connaissance de cette gloire; et comme je suis en eux, « c’est à moi que vous la rendrez ».

6. « Le cordeau a mesuré ma part dans des lieux ravissants (Ps. XV, 6) ». Comme le Seigneur devint autrefois la possession des prêtres et des lévites, mon héritage m’est échu comme par le sort, dans la splendeur de votre gloire, ô mon Dieu. « Et cet héritage est glorieux pour moi », car il n’est pas glorieux pour tous, mais pour ceux qui le comprennent ; et comme je suis en eux, c’est pour moi qu’il est glorieux.

7. « Je bénirai le Seigneur qui m’a donné l’intelligence », nécessaire pour voir et posséder cette part glorieuse. « De plus, jusqu’à la nuit, mes reins m’ont donné une sévère leçon ». En outre de l’intelligence, cette partie inférieure de moi-même, ou la chair, dont je me suis revêtu, m’a donné une leçon, en me faisant éprouver les ténèbres de la mort, qu’ignore cette intelligence.

8. « Je plaçais toujours le Seigneur en ma présence (Id. 8) ». En venant dans ce monde qui passe, je n’ai point perdu de vue celui qui demeure éternellement, avec le dessein de

rentrer en lui, après cette vie des temps. « Car il est à ma droite, afin que je ne sois point ébranlé ». Il m’assiste, afin que je demeure ferme en lui-même.

9. « C’est pour cela que mon coeur a tressailli, que ma langue a chanté sa joie ». La joie donc a rempli mes pensées, et l’allégresse a éclaté dans mes paroles. « En outre, ma chair reposera dans l’espérance ». Ma chair ne sera point absorbée par la mort, mais elle s’endormira dans l’espérance de la résurrection.

10. « Parce que vous ne laisserez point mon âme dans les enfers (Id. 10) ». Vous ne donnerez pas mon âme comme une proie aux enfers, « et vous ne permettrez pas que votre saint « éprouve la corruption ». Vous n’abandonnerez pas à la pourriture un corps sanctifié, qui doit sanctifier les autres. « Vous m’avez fait connaître les voies de la vie ». C’est par moi que vous avez enseigné la voie de l’humilité, afin que les hommes revinssent à la vie, qu’ils avaient perdue par l’orgueil : et comme je suis en eux, c’est à moi que vous l’avez fait connaître. « Vous me remplirez de joie en me faisant voir votre face ». Quand ils vous verront face à face, leur joie sera telle qu’ils n’auront plus aucun désir; et comme je suis en eux , c’est moi que vous remplirez de joie. « A votre droite sont d’éternelles délices (Ps. XV, 11)». Vos faveurs et vos bontés nous sont délicieuses dans le chemin de cette vie, et nous font arriver au comble de la gloire en votre présence.

    

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