PSAUMES X à
XV
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps. X, 1).
L’âme catholique
et fidèle répond aux invitations de l’hérésie, que sa confiance est dans le
Seigneur et non dans les hommes, tandis que l’hérésie se confie dans les mérites
du ministre des sacrements. Le Seigneur, par une même parole, aveugle les
méchants et sauve les justes.
1. Ce titre n’a pas besoin d’être
expliqué de nouveau, nous avons exposé suffisamment le sens de cette
expression : « In finem, pour la fin »». Voyons donc le texte du psaume,
qui me parait un chant contre les hérétiques. Ceux-ci, en effet, rappelant sans
cesse avec exagération les fautes de plusieurs membres de l’Eglise, comme si,
dans leurs sectes, tous les membres, ou du moins le plus grand nombre, étaient
des justes, s’efforcent de nous détourner et de nous arracher des mamelles de l’Eglise,
unique et véritable mère. Ils affirment que le Christ est parmi eux; ils
affectent de nous avertir, par intérêt pour nous et par charité, de passer dans
leur parti pour y trouver Jésus-Christ, qu’ils se vantent faussement de
posséder. On sait que dans ces dénominations allégoriques données par les
Prophètes à Jésus-Christ, se trouve aussi celle de Montagne. Il faut donc
répondre à l’hérésie en loi disant : « Ma confiance est dans le Seigneur ;
comment dites-vous à mon âme : Va sur la montagne, comme un passereau ? » (Id.
2) Il n’est qu’une seule montagne en qui j’aie mis mon espoir ; pourquoi me
dire d’aller à vous, comme s’il y avait plusieurs Christs ? Et si, dans votre
orgueil, vous prétendez être cette montagne, j’avoue que je dois être ce
passereau, et que mes ailes sont les forces et les préceptes de Dieu ; mais ces
ailes m’empêchent de voler vers de semblables montagnes, et de reposer mon
espoir en des hommes orgueilleux. J’ai un nid où je puis reposer, puisque ma
confiance est dans le Seigneur. Car le passereau trouve une demeure (Ps.
LXXXIII, 4), et le Seigneur est un refuge pour le pauvre (Ps. IX, 10).
Ainsi, de peur qu’en cherchant le Christ chez les hérétiques, nous ne le
perdions réellement, chantons avec la plus entière confiance : « Ma confiance
est dans le Seigneur ; comment dites-vous à mon âme : Va sur la montagne comme
le passereau ? »
2. « Voilà que les pécheurs ont
bandé l’arc, ils ont rempli de flèches leur carquois, afin de tirer, dans
l’obscurité de la lune, sur ceux qui ont le cœur droit » (Ps. X, 3).
Vaines terreurs de ceux qui nous menacent de la colère des pécheurs, pour nous
pousser dans leur parti, comme dans celui des justes. « Voilà », disent-ils,
« que les pécheurs ont bandé l’arc ». Cet arc me paraît être l’Écriture, qu’ils
interprètent dans un sens charnel, et qui ne leur fournit alors que des maximes
empoisonnées. « Ils ont préparé leurs flèches dans leur carquois » ;
c’est-à-dire, qu’ils ont préparé dans leurs cœurs, ces paroles qu’ils doivent
nous lancer avec l’autorité des saintes Écritures. « Afin de tirer sur
l’innocent dans l’obscurité de la lune » ; c’est-à-dire, qu’ils ont cru que la
foule des hommes ignorants et charnels avait obscurci la lumière de l’Église, et
qu’eux-mêmes ne pourraient être convaincus ; ainsi ils corrompent les bonnes
mœurs par des discours pervers (Ps. X, 3). Mais à toutes ces terreurs
nous répondrons : « Ma confiance est dans le Seigneur » (I Co. XV, 33).
3. J’ai promis (Ci-dessus, Ps.
VIII, n. 9), il m’en souvient, de considérer dans ce psaume comment la lune
est une figure convenable de l’Eglise. Il y a deux opinions probables au sujet
de la lune : savoir quelle est la véritable, c’est là ce qui est, selon moi,
sinon impossible, du moins très difficile aux hommes. Si vous demandez d’où
vient à la lune sa lumière, les uns répondent qu’elle a une lumière qui lui est
propre, mais que son globe est moitié lumineux et moitié obscur, et qu’ainsi,
dans sa révolution, la partie lumineuse se tourne peu à peu vers la terre, et
devient visible ; c’est pourquoi elle nous apparaît d’abord comme un croissant.
Car si vous prenez une sphère à moitié blanche, et à moitié noire, et que vous
mettiez sous les yeux la partie noire, vous ne verrez rien de blanc, mais
ensuite, commencez à tourner vers vous le côté blanc, et faites-le peu à peu,
vous verrez cette face blanche apparaître d’abord comme un croissant, puis se
développer peu à peu, jusqu’à ce que la face blanche vous apparaisse
complètement, et ne laisse rien voir d’obscur. Continuez encore la révolution de
votre sphère, et peu à peu la partie obscure se montrera, tandis que la partie
blanche ira en diminuant, jusqu’à ce qu’elle redevienne un croissant, pour
échapper bientôt à la vue, et ne laisser sous vos yeux que la partie obscure ;
c’est ce qui a lieu, nous dit-on, quand la lumière de la lune va toujours en
augmentant jusqu’au quinzième jour, puis diminue jusqu’au trentième, redevient
un croissant, puis bientôt nous dérobe complètement sa lumière. Dans cette
opinion, la lune pourrait être la figure allégorique de l’Eglise, qui brille
dans sa partie spirituelle, tandis qu’elle est obscure dans ses membres charnels
; et souvent ses oeuvres spirituelles la signalent aux hommes; souvent aussi ce
côté spirituel se réfugie dans la conscience, où Dieu seul peut le voir, et ne
laisse voir aux hommes que la face corporelle, comme il arrive quand nous prions
intérieurement, sans aucune apparence extérieure, alors que nos cœurs ne sont
plus à la terre, mais élevés à Dieu, selon qu’il nous est recommandé. D’autres
disent que la lune n’a point une lumière qui lui soit propre, et qu’elle la
reçoit du soleil ; que quand elle est en face du soleil, elle nous présente le
côté qui n’est point éclairé, et paraît ainsi sans lumière ; mais qu’à mesure
qu’elle s’éloigne du soleil, cette partie même qu’elle présentait à la terre est
illuminée ; elle commence nécessairement comme un croissant, jusqu’au quinzième
jour, qu’elle est complètement opposée au soleil : c’est alors qu’elle se lève
quand le soleil se couche ; de sorte qu’un homme qui observerait le coucher du
soleil, pourrait aussitôt qu’il le perd de vue, se tourner vers l’orient, et
verrait la lune à son lever. Mais à mesure que la lune tend à se rapprocher du
soleil, elle nous montre peu à peu sa face obscure, puis redevient un croissant,
pour disparaître totalement ; car alors sa partie lumineuse est toute vers le
ciel, tandis qu’elle ne montre à la terre que la face que le soleil ne saurait
éclairer. Dans cette seconde opinion, la lune serait la figure de l’Eglise qui
n’a point une lumière propre, car sa lumière lui vient de ce Fils unique de
Dieu, appelé souvent dans les saintes Écritures, Soleil de justice. Incapable de
connaître et de voir ce Soleil invisible, certains hérétiques s’efforcent
d’attirer les esprits simples et sensuels, au culte de ce soleil visible et
corporel, qui éclaire les yeux des mouches aussi bien que les yeux corporels des
hommes. Ils parviennent même à entraîner ceux qui, dans leur impuissance de
découvrir des yeux de l’âme la lumière intérieure de la vérité, ne peuvent se
con-tenter de la simplicité de la foi catholique ; et pourtant il n’y a pour les
faibles que ce moyen de salut, que ce lait qui puisse les fortifier et les
rendre capables d’une plus solide nourriture. De ces deux opinions, quelle que
soit la vraie, le nom allégorique de la lune convient parfaitement à l’Eglise.
Toutefois, s’il nous répugne de nous engager dans ces obscurités plus pénibles
qu’elles ne sont utiles, ou si le temps nous manque, ou même si notre esprit s’y
refuse, il peut nous suffire de regarder la lune avec le peuple, et sans en
rechercher péniblement les raisons, de voir avec tout le monde qu’elle croît,
qu’elle arrive à son plein, pour décroître ensuite. Et si elle ne disparaît que
pour revenir encore, elle devient pour la multitude la moins exercée la figure
de l’Eglise, dans laquelle on croit à la résurrection des morts.
4. Examinons ensuite pourquoi, dans
ce psaume, il est parlé de « lune obscure » qui sert aux pécheurs pour décocher
leurs flèches sur les cœurs droits. Car on peut dire de plusieurs manières que
la lune est obscurcie ; elle l’est à la fin de sa révolution mensuelle, puis
quand un nuage nous dérobe sa lumière, puis quand elle s’éclipse totalement.
Nous pouvons dire alors que les persécuteurs des martyrs ont voulu décocher
leurs flèches sur les cœurs droits, pendant l’obscurité de la lune ; soit que
l’Église naissante n’ait pas encore jeté sur la terre tout son éclat, ni dissipé
les ténébreuses superstitions du paganisme ; soit que les blasphèmes et les
calomnies contre le nom chrétien aient enveloppé la terre comme d’un nuage et
rendu invisible la lune ou l’Église ; soit que tant de martyrs égorgés et tant
de sang répandu, aient détourné du nom chrétien les âmes faibles, en couvrant
l’Eglise d’un voile sanglant, comme celui qui paraît quelquefois sur la lune et
qui l’obscurcit ; dans ces jours de terreur, les impies décochaient comme autant
de flèches, ces paroles artificieuses et sacrilèges, qui pervertissaient même
les cœurs purs. On peut encore entendre ce passage, des pécheurs qui sont dans
l’Eglise, qui ont saisi l’occasion d’un obscurcissement de la lune, pour
commettre les forfaits que nous reprochent maintenant les hérétiques, accusés
d’en être les auteurs. Mais quelle que soit la. source des crimes commis pendant
l’obscurité de la lune, maintenant que la religion catholique est répandue et
respectée dans tout l’univers catholique, pourquoi m’inquiéter de faits que
j’ignore ? Ma confiance est au Seigneur, et loin de moi, « ceux qui disent à mon
âme : Va, chétif passereau, vers les montagnes. Car voilà que les pécheurs ont
préparé leur arc pour décocher leurs flèches sur les cœurs droits, dans
l’obscurité de la lune ». Et cette lune leur paraît encore obscure, parce qu’ils
s’efforcent de jeter l’incertitude sur la véritable Eglise catholique, et qu’ils
arguent contre elle des fautes de ces hommes charnels qu’elle contient en grand
nombre. Qu’est-ce que ces tentatives, pour celui qui dit véritablement : Ma
confiance est dans le Seigneur, qui montre par ce langage qu’il est le froment
de Dieu, et qu’il supporte la paille avec patience, jusqu’à ce que viendra le
temps de la vanner ?
5. « Ma confiance est donc au
Seigneur ». Que ceux-là tremblent qui mettent leur confiance dans un homme, et
qui ne peuvent nier qu’ils lui appartiennent, puisqu’ils jurent sur ses cheveux
blancs ; et si vous leur demandez en conversation à quelle communion ils
appartiennent, ils ne peuvent se faire connaître qu’en se proclamant de son
parti. Mais dites-moi ce qu’ils peuvent répondre, quand on leur représente ces
crimes, ces forfaits innombrables qui remplissent chaque jour leur parti ?
Peuvent-ils dire : « Ma confiance est au Seigneur; et comment dites-vous à mon
âme de se réfugier dans les montagnes comme le passereau ? » Car ils n’ont plus
confiance dans le Seigneur, en soutenant que les sacrements ne sanctifient que
quand ils sont administrés par des hommes saints ? Aussi, demandez-leur quels
sont les saints, ils rougiront de dire : C’est nous ; et s’ils ne rougissent de
le dire, ceux qui les entendront, rougiront pour eux. Ils forcent donc ceux qui
reçoivent les sacrements, à mettre leur confiance dans un homme, dont le cœur
échappe à nos yeux. Or, « maudit soit celui qui met son espoir dans un homme » (Jr.
XVII, 5). Dire en effet : C’est ce qui est administré par moi, qui est
saint, n’est-ce pas dire : Mettez votre espérance en moi ? Mais que sera ce
sacrement si vous n’êtes pas saint? Alors montrez-moi votre coeur. Et si vous ne
le pouvez, comment saurai-je que vous êtes saint? Alléguerez-vous ce passage de
l’Écriture : « Vous les connaîtrez à leurs œuvres ? » (Mt. VII, 16)
Assurément, je vois chez vous des oeuvres merveilleuses ; je vois chaque jour
les Circoncellions courir ça et là sous la conduite de leurs évêques et de leurs
prêtres, et donner le nom d’Israël à de terribles bâtons ; c’est là ce que les
hommes de nos jours ne voient et n’éprouvent que trop. Quant aux actes du temps
de Macaire, qu’ils nous reprochent amèrement, peu les ont vus, nul ne les voit
maintenant ; et quand on les voyait, tout catholique n’en pouvait pas moins
dire, s’il voulait être serviteur de Dieu : « Ma confiance est dans le
Seigneur ». C’est le langage que tient encore celui qui voit dans l’Eglise ce
qu’il voudrait n’y point voir, qui se sent nager dans ces filets pleins de
poissons, bons et mauvais, jusqu’à ce que l’on arrive sur les sables de la mer,
pour séparer les bons des mauvais (Id. XIII, 47). Que peuvent répondre
ces hérétiques, si l’homme qu’ils veulent baptiser leur fait cette question :
Comment m’ordonnez-vous d’avoir confiance ? Car si le mérite d’un sacrement est
basé sur celui qui le donne et sur celui qui le reçoit, si c’est Dieu qui le
donne et ma conscience qui le reçoit, voilà deux termes dont j’ai la certitude,
sa bonté, et ma foi. Pourquoi venir vous interposer, vous dont je ne puis tirer
, aucune certitude ? Laissez-moi chanter : « Ma confiance est dans le
Seigneur ». Car si je mettais ma confiance en vous, qui peut me garantir que
vous n’avez commis aucune faute cette nuit ? Enfin, si vous voulez que j’aie
confiance en vous, puis-je avoir d’autre motif que votre parole ?
Mais alors quelle confiance puis-je
avoir, que ceux qui étaient hier en communion avec vous, qui communiquent
aujourd’hui, qui communiqueront demain, n’auront commis aucune faute, après ces
trois jours ? Et si ni vous ni moi ne sommes souillés par ce que nous ignorons,
pourquoi rebaptisez-vous ceux qui n’ont rien connu de la trahison de Macaire ni
de ses persécutions ? Et ces chrétiens qui viennent de la Mésopotamie, qui ne
savent le nom ni de Cécilien ni de Donat, comment osez-vous les rebaptiser, et
nier qu’ils soient chrétiens ? S’ils sont souillés par les péchés des autres,
vous aussi, vous êtes sous le poids des crimes qui se commettent chaque jour, à
votre insu, dans votre parti ; et c’est en vain que vous objectez aux
catholiques les décrets impériaux , vous qui sévissez dans votre camp avec les
bâtons et les flammes. Tel est donc l’abîme où sont tombés ceux qui, voyant les
désordres dans l’Eglise catholique, n’ont pu dire : « Ma confiance est au
Seigneur », et qui ont mis leur espoir dans les hommes. Ils l’auraient dit sans
doute, s’ils n’eussent été les uns ou les autres tels qu’ils croyaient ceux dont
ils ont feint de se séparer par un sacrilège orgueil.
6. Que l’âme catholique s’écrie
donc : « Ma confiance est au Seigneur ; comment osez-vous me dire: Passereau, va
dans les montagnes ? car voilà que les pécheurs ont bandé leur arc, ils ont
rempli de flèches leur carquois, pour les décocher sur les justes durant une
lune obscure ». Puis, de ces pécheurs, s’élevant à Dieu, qu’elle dise : « Voilà
qu’ils ont détruit ce que vous aviez rendu parfait » (Ps. X, 4). Et
qu’elle tienne ce langage, non-seulement contre ceux dont nous parlons, mais
contre tous les hérétiques. Car tous, autant qu’il est en eux, ont détruit cette
louange parfaite que Dieu a tirée de la bouche des enfants nouveau-nés et à la
mamelle (Id. VIII, 3), quand, par de vaines et pointilleuses questions,
ils tourmentent les faibles et ne les laissent point s’alimenter du lait de la
foi. Et comme si l’on disait à cette âme : Pourquoi vous outils engagée à passer
dans les montagnes comme le passereau ; pourquoi vous effrayer au sujet des
pécheurs qui ont bandé leur arc, pour percer les cœurs droits dans l’obscurité
de la lune ? la voilà qui répond : Ce qui m’effraie, c’est « qu’ils ont détruit
ce que vous aviez rendu parfait ». Où l’ont-ils détruit, sinon dans leurs
conciliabules, où loin de donner du lait aux faibles et à ceux qui ne con
naissent point la lumière intérieure, ils les tuent de leurs poisons? « Mais le
juste, qu’a-t-il fait ? » Si Macaire et Cécilien sont coupables envers vous, que
vous a fait le Christ qui a dit : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma
paix » (Jn, XIX, 27) ; cette paix que vous violez par le schisme le plus
criminel ? Que vous a fait le Christ, qui déploya tant de patience envers le
disciple qui le trahissait, jusqu’à l’admettre à cette première Eucharistie
qu’il consacrait de ses mains, qu’il instituait de sa parole, et qu’il lui
présenta comme aux autres Apôtres ? (Lc, XXII, 19, 21) Que vous a fait le
Christ, qui donna mission de prêcher le royaume de Dieu à ce même traître qu’il
avait appelé un démon (Jn, VI, 71), qui même avant de trahir le Seigneur,
ne put en garder fidèlement les deniers (Id. XII, 6), et qu’il envoya
néanmoins avec les autres disciples » (Mt. X, 5), pour nous apprendre que
les dons de Dieu arrivent en ceux qui les reçoivent avec foi, quand même le
ministre qui les distribue serait semblable à Judas ?
7. « Le Seigneur habite son saint
temple » (Ps. X, 5). C’est dans ce sens que l’Apôtre a dit : « Le temple
de Dieu est saint, et vous êtes ce temple. Quiconque ose violer le temple de
Dieu, Dieu le perdra » (I Co. III, 17). Or, c’est violer le temple de
Dieu que d’en rompre l’unité, c’est ne plus être dans l’union avec cette tête (Co.
II, 19) dont tout le corps soutenu par ses liens et ses jointures avec une
si juste proportion, reçoit l’accroissement dans la mesure qui est propre à
chacun de ses membres, et se forme par la charité (Ep. IV, 16). Le
Seigneur est donc dans ce temple formé de plusieurs membres, qui ont chacun
leurs fonctions, et qui sont reliés par la charité, en un seul édifice. C’est
violer ce temple, que se séparer de l’unité catholique, pour chercher ailleurs
la dignité d’un chef. « Le Seigneur habite son temple saint, le Seigneur a son
trône dans le ciel » (Ps. X, 5) Si parte ciel vous entendez le juste,
comme la terre nous désigne le pécheur, ainsi qu’il est dit : « Tu es terre, et
tu retourneras en terre » (Gn. III, 19), ces expressions : « Le Seigneur
a son trône dans le ciel », sont une répétition de ce qui a été dit : « Le
Seigneur habite son saint temple ».
8. « Ses yeux regardent le ciel ».
C’est à lui que le pauvre s’abandonne, et il lui sert de refuge (Ps. X, 10).
C’est pourquoi toutes ces séditions, tous ces troubles que l’on soulève dans les
filets jusqu’à ce qu’ils arrivent sur le rivage, ont pour auteurs des hommes qui
refusent d’être les pauvres de Jésus-Christ ; et c’est à leur perte, mais pour
notre amendement, que les hérétiques prennent de ces troubles occasion de nous
insulter. Mais pourront-ils détourner les regards de Dieu de ceux qui veulent
bien être pauvres pour lui ? « Car ses yeux regardent le pauvre ». Avons-nous à
craindre que dans la foule nombreuse des riches, il ne puisse discerner ces
quelques pauvres, pour les conserver et les nourrir dans le giron de l’Eglise
catholique ? « Ses paupières interrogent les « enfants des hommes » (Id. 5).
Selon la règle que nous avons posée, j’entendrais volontiers par ces « enfants
des hommes » ceux que la foi a fait passer du vieil homme à l’homme nouveau. Car
l’œil de Dieu paraît se fermer pour eux, quand certains passages des Écritures
les stimulent par leur obscurité à en rechercher le sens ; comme il semble
s’ouvrir quand ils reçoivent avec joie la lumière de passages plus clairs. Or,
ces vérités des livres saints, tantôt claires et tantôt voilées, sont comme les
paupières de Dieu qui interrogent, ou plutôt qui approuvent ces enfants des
hommes stimulés plutôt que lassés par les obscurités, affermis plutôt
qu’enorgueillis par la découverte.
9. « Le Seigneur interroge le juste
et l’impie » (Id. 6). Et quand il interroge ainsi le juste et l’impie,
quel mal pouvons-nous craindre de la part des impies qui pourraient être, avec
des cœurs peu sincères, en communion de sacrements avec nous ? « Mais celui qui
aime l’iniquité nuit à son âme » (Ibid.). Ce n’est donc point à celui qui
a mis sa confiance en Dieu, et qui n’espère point dans les hommes, c’est à son
âme seulement que nuit celui qui aime le péché.
10. « Il fera tomber des piéges sur
les pécheurs » (Id. 7). Si l’on désigne sous le nom de nuages les
Prophètes en général, soit les bons soit les mauvais appelés aussi faux
prophètes (Mt. XXIV, 24), les faux prophètes sont destinés parle Seigneur
à devenir des piéges qu’il fait tomber sur les pécheurs. Car il n’y a pour les
suivre, que le pécheur, qui se prépare ainsi le dernier supplice, s’il persévère
dans le crime, ou qui abjure son orgueil, s’il cherche un jour le Seigneur avec
plus de sincérité. Mais si les nuées ne doivent désigner que les bons, les vrais
prophètes, il est encore évident que leurs paroles, entre les mains de Dieu,
sont des piéges pour les pécheurs, en même temps qu’une rosée qu’il répand sur
les justes pour leur faire porter de bons fruits. « Aux uns », dit l’Apôtre,
« nous sommes une odeur de vie pour la vie, aux autres, une odeur de mort pour
la mort » (II Co. II, 16). Car on peut, sous le nom de nuages, désigner
non-seulement l’Apôtre, mais quiconque donne aux âmes la rosée de la parole de
Dieu. Pour celui qui comprend mal ces paroles, c’est le piége que Dieu fait
tomber sur les méchants ; et pour celui qui les entend dans le vrai sens, c’est
la rosée qui féconde les cœurs pieux et fidèles. Cette parole de l’Ecriture, par
exemple: « Ils seront deux dans une même chair (Gn. II, 24) », peut
devenir un piége pour celui qui l’interprète dans le sens de l’incontinence.
Mais si vous l’entendez avec saint Paul qui s’écrie : « Moi, je le dis dans le
Christ et dans I’Eglise (Ep. V, 23)», c’est une rosée sur un champ
fertile. C’est le même nuage, ou l’Ecriture sainte qui produit ces deux effets.
De même encore le Seigneur nous dit : « Ce n’est point ce qui entre dans votre
bouche, mais bien ce qui en sort, qui souille votre âme (Mt. XV, 11) ». A
cette parole, un pécheur se dispose à la bonne chère; tandis qu’elle prévient le
juste contre le discernement des viandes, Cette même nuée de l’Ecriture laisse
donc tomber, selon le mérite de chacun, et des piéges pour le pécheur, et pour
le juste une pluie fécondante.
11. « Des torrents de feu et de
souffre, la fureur des tempêtes, c’est là le calice qu’il leur prépare » (Ps.
X, 7). Tel est le châtiment et la fin de ceux qui blasphèment le nom du
Seigneur; d’abord ils sont dévorés par l’incendie de leurs passions, ensuite
l’odeur fétide de leurs oeuvres corrompues les éloigne de l’assemblée des
saints; enfin, entraînés et submergés dans l’abîme, ils subissent d’indicibles
tourments. Telle est, Seigneur, la part de leur calice, tandis que vous avez
pour le juste un calice enivrant et glorieux (Id. XXII, 5). « Car ils
seront enivrés par la sainte abondance de votre maison » (Id. XXXV, 9).
Si le Prophète emploie cette expression, « la part de leur calice », c’est, je
crois, pour nous détourner de croire que, même dans le supplice des méchants, la
Providence outrepasse les bornes de l’équité. Aussi a-t-il ajouté, comme pour
nous rendre raison de ces châtiments : « C’est que le Seigneur est juste, et
qu’il aime les justices » (Ps. X, 8). Et ce n’est pas sans raison qu’il
dit les justices, au pluriel, afin de nous montrer dans ces justices les justes
eux-mêmes. Car il semble que dans plusieurs justes, il y ait plusieurs justices,
bien qu’il n’y en ait qu’une seule en Dieu, qui est la source des autres ; comme
si un seul visage se trouvait en face de plusieurs miroirs, ceux-ci le
refléteraient et feraient apparaître plusieurs fois ce visage, néanmoins unique.
Aussi le Prophète revient-il au singulier, en s’écriant : « Sa face a vu
l’équité ». Et peut-être a-t-il dit : « Sa face a vu l’équité », dans le même
sens qu’il dirait : C’est dans sa face que l’on voit l’équité, c’est-à-dire
quand on connaît sa face. Car la face de Dieu, c’est la puissance qu’il a de se
faire connaître à ceux qui en sont dignes. Ou bien : « Sa face a vu l’équité »,
parce qu’il ne se fait pas connaître aux méchants, mais aux bons; et c’est là
l’équité.
12. Si l’on veut que la lune soit
la synagogue, il faut alors entendre le psaume de la passion du Sauveur, et dire
des Juifs, « qu’ils ont détruit ce que Dieu avait rendu parfait»; et du Seigneur
: « Pour le juste, qu’a-t-il fait? » lui qu’ils accusaient de détruire la loi,
tandis qu’eux-mêmes en détruisaient les préceptes par une vie coupable, et les
méprisaient jusqu’à les remplacer par leurs traditions. Alors Jésus-Christ,
selon sa coutume, parlerait dans son humanité, et dirait: « Ma confiance est
dans le Seigneur; comment dites-vous à mon âme : Va, passereau, vers les
montagnes? » répondant ainsi aux menaces de ceux qui le cherchaient pour le
prendre et le crucifier. Alors les pécheurs voulaient décocher leurs flèches sur
les justes ou sur ceux qui croyaient en Jésus-Christ, et l’obscurité de la lune
peut fort bien désigner la synagogue remplie d’hommes pervers. C’est à cela que
se rapporterait ce passage: « Le Seigneur habite son saint temple; le Seigneur a
son trône dans le ciel », c’est-à-dire le Verbe, ou le Fils de Dieu qui est dans
le ciel, habite aussi dans l’homme. « Ses yeux regardent le pauvre »,
c’est-à-dire cet homme dont il s’est revêtu, tout Dieu qu’il était, ou celui
pour lequel il a souffert dans son humanité. « Ses paupières interrogent les
enfants des hommes ». Fermer les yeux, puis les ouvrir, voilà probablement ce
qu’il désigne sous le nom de paupières, et que nous pouvons entendre de la mort
et de la résurrection de Jésus-Christ ; car alors il éprouva les fils des hommes
ou ses disciples, que sa mort avait effrayés, et que réjouit sa résurrection. «
Le Seigneur interroge le juste et l’impie », en gouvernant l’Eglise du haut du
ciel. « Mais celui-là hait son âme qui aime l’iniquité », et la suite nous en
montre la raison. Ce passage : « Il fera pleuvoir des piéges sur l’impie »,
ainsi que le reste du psaume jusqu’à la fin, doit s’entendre dans le sens
indiqué plus haut.
POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID (Ps. XII, 1).
Ceux qui gémissent à la vue
de l’iniquité appellent de leurs voeux le Sauveur, qui doit nous aider à
combattre victorieusement l’ennemi du salut.
1. « Le Christ est la fin de la loi
pour justifier ceux qui croiront (Rm. X, 4)». « Jusques à quand, «
Seigneur, m’oublierez-vous dans la fin (Ps. XII, 2)? » ou tarderez-vous à
me faire connaître, d’une manière spirituelle, ce Christ qui est la sagesse de
Dieu, et la fin que doit se proposer toute âme chrétienne. « Jusques à quand
détournerez-vous de moi vos regards? » En réalité, Dieu ne nous oublie point et
ne nous perd point de vue, mais l’Ecriture s’accommode à notre manière de
parler. Dire que Dieu détourne de nous ses regards, c’est dire qu’il ne se fait
point connaître à l’âme dont l’oeil n’est pas assez pur.
2. « Jusques à quand prendrai-je
mes conseils dans mon âme ? » (Ps. XII, 2). Ce n’est que dans l’adversité
que nous avons besoin de conseil. Ainsi, jusques à quand puiserai-je mes
conseils dans mon âme? signifie : Jusques à quand serai-je dans l’adversité ? ou
bien cette parole serait une réponse qui signifierait Jusqu’à ce que j’arrête
une résolution dans mon âme, Seigneur, vous m’oublierez par rapport à ma fin, et
vous détournerez de moi vos regards: si un homme en effet n’a formé t dans son
âme le dessein de pratiquer parfaitement la miséricorde, le Seigneur ne le
dirige point vers sa fin, et ne se fait pas connaître à lui pleinement, ou face
à face. «La douleur dans mon coeur pendant tout le jour», sous-entendez: Je
mettrai cette douleur. « Pendant tout le jour » signifie une douleur sans fin,
et le jour se prend ici pour le temps, et quiconque veut être délivré du temps,
ressent la douleur en son coeur, et demande à passer dans l’éternité pour être
délivré du jour terrestre.
3. « Jusques à quand mon ennemi
s’élèvera-t-il contre moi (Ps. XII, 3)? » L’ennemi, c’est le démon ou
l’habitude charnelle.
4. « Regardez-moi, Seigneur,
exaucez-moi, ô mon Dieu ( Id. 4) ». Regardez-moi, est la conséquence de
celte plainte: « Jusques à quand vos regards se détourneront-ils de moi n; et «
Exaucez-moi», de cette autre plainte: « Jusques à quand m’oublierez-vous par
rapport « à ma fin? » Illuminez mes yeux, pour que u je ne m’endorme jamais dans
la mort (Ibid.)». Ces yeux sont ceux du coeur, que pourrait fermer le
plaisir mortel du péché.
5. « Que jamais l’ennemi ne puisse
dire : « Je l’ai vaincu (Ps. XII, 5) ». Craignons le persiflage du démon.
« Ceux qui me persécutent seront dans la joie, si je suis ébranlé (Ibid.)»
Cet ennemi, c’est le diable avec ses anges, qui ne dut point se réjouir d’avoir
mis à l’épreuve le saint homme Job, cet homme juste qui ne fut point ébranlé (Job,
I, 22), c’est-à-dire qui demeura ferme dans la foi.
6. «Pour moi, j’ai mis mon espoir
en votre miséricorde (Ps. XII, 6) ». Si l’homme, en effet, demeure ferme
dans le Seigneur et ne se laisse point ébranler, il ne doit point se
l’attribuer, de peur qu’en se félicitant de sa fermeté, il ne soit ébranlé par
l’orgueil. « Mon cœur a tressailli dans celui qui est votre salut »,
c’est-à-dire en Jésus-Christ qui est la sagesse de Dieu. « Je chanterai le
Seigneur qui m’a comblé de biens»; de biens spirituels et qui ne touchent point
à cette vie. « Je dirai sur la harpe le nom du Très-Haut (Ibid.) »,
c’est-à-dire, dans ma joie je lui rendrai grâces, et je n’userai de mon corps
que selon ses préceptes; tel est l’harmonie spirituelle de l’âme. Si l’on veut
établir ici une différence, « je chanterai le Seigneur », exprimera le concert
du cœur, et « je dirai sur la harpe », du concert des bonnes oeuvres, que Dieu
seul peut connaître. « Le nom du Seigneur », c’est la connaissance qu’il nous
donne de lui-même, connaissance qui est avantageuse pour nous et non pour lui.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID (Ps. XIII, 1)
Ici toute âme gémit quand
retentissent à ses oreilles ces blasphèmes que l’impie vomit contre Dieu. Elle
voit avec horreur l’impiété qui prévaut; elle en appelle à Dieu qui doit faire
sortir de Sion le salut d’Israël ou des saints.
1. Il est inutile de redire si
souvent le sens de cette expression « pour la fin », puisque l’Apôtre nous dit
que « le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront(Rm. X,
4). Nous croyons en lui quand nous commençons à prendre la bonne voie; et
nous le verrons au terme de cette voie, dont il est ainsi la fin.
2. « L’insensé a dit dans son
cœur : Dieu (181) n’est pas n. Certains philosophes, que leur impiété et leurs
sentiments faux et pervers sur la divinité signalent à l’exécration, n’ont pas
même osé dire : Dieu n’est pas. Cette parole se « dit donc dans le cœur », car
celui-là même qui en a la pensée, n’oserait la prononcer. « Ils sont devenus
pervers et abominables, par leurs affections », c’est-à-dire, parce qu’ils ont
donné au monde leur amour, et non à Dieu ; ce sont les affections qui causent
dans l’âme une corruption et un aveuglement tels que l’insensé puisse dire en
son coeur: « Dieu n’est pas ». Comme ils n’ont pas fait usage de la connaissance
de Dieu, voilà que le Seigneur les a livrés au sens réprouvé (Rm. I, 28)».
« Il n’y en a pas un qui fasse le bien, non, pas jusqu’à un (Ps. XIII, 1)
». Cette expression, « jusqu’à un », peut signifier ou avec celui-là seul, de
manière à exclure tout homme, ou à l’exception de celui-là seul, pour désigner
Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est ainsi que nous disons d’un champ qu’il va
jusqu’à la mer, sans y comprendre la mer elle-même. Il est mieux d’entendre que
nul n’a fait le bien jusqu’à Jésus-Christ, car nul homme, s’il n’est instruit
par Jésus-Christ même, ne peut faire le bien, puisque ce bien lui est impossible
sans la connaissance de Dieu.
3. «Le Seigneur, du haut du ciel, a
jeté les yeux sur les enfants des hommes, afin de voir s’il en est pour
comprendre et rechercher Dieu (Id. 2) ». Ceci peut s’entendre des Juifs,
que le Prophète appelle enfants des hommes, parce qu’ils n’adoraient qu’un seul
Dieu, ce qui les rendait supérieurs aux Gentils, dont le Prophète me paraît
avoir dit : « L’insensé a dit dans son coeur : Dieu n’est pas », et le reste. Le
regard du Seigneur s’effectue par le moyen de ces âmes saintes, et qui sont
marquées par cette expression de « ciel » ; puisque pour lui, rien ne lui
échappe.
4. « Tous se sont égarés, et sont
devenus inutiles (Id. 3) », c’est-à-dire que les Juifs sont devenus comme
les Gentils dont il est parlé plus haut. « Il n’en est aucun pour faire le bien,
il n’y en a pas jusqu’à un ». Il faut donner à ces expressions le sens exposé
plus haut. « Leur gosier est un sépulcre ouvert (Ibid.)». On peut voir
ici les excès de l’intempérance, ou, dans un sens allégorique, les pécheurs
scandaleux qui tuent et qui dévorent en quelque sorte ce qu’ils entraînent dans
leurs dérèglements. C’est ainsi, mais dans un sens opposé, qu’il fut dit à
Pierre; « Tue et mange», afin qu’il amenât les Gentils à sa croyance et aux
saintes moeurs. « Leurs langues distillent le mensonge ». La flatterie
accompagne toujours l’intempérance et les autres vices. « Leurs lèvres recèlent
un poison d’aspic (Ps. XIII, 3) ». Le venin désigne la fraude, et l’aspic
tous ceux qui demeurent sourds aux préceptes de la loi, comme l’aspic à la voix
de l’enchanteur (Id. LVII, 5), ainsi qu’il est dit dans un autre psaume;
« Leur bouche est pleine de malédiction et d’amertume ». C’est le venin de
l’aspic. « Leurs pieds se hâtent pour répandre le sang (Id. XIII, 3)»; ce
qui désigne l’habitude invétérée du mal. « La meurtrissure et l’infortune sont
dans leurs voies ». Car toute voie du méchant est laborieuse et misérable. Aussi
le Seigneur a-t-il dit : « Venez à moi, vous tous qui gémissez sous le poids du
travail et de la douleur, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et
apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur; car mon joug est doux, et
mon fardeau léger (Mt. XI, 28) ». « Ils n’ont point connu la voie de la
paix », de cette paix que désigne le Seigneur, par la douceur de son joug et la
légèreté de son fardeau. « La crainte du Seigneur n’est pas devant leurs yeux »
; sans dire que Dieu n’est pas, ils n’en craignent pas davantage le Seigneur.
5. « Ne comprendront-ils pas enfin,
tous ces ouvriers d’iniquité?»Dieu les menace du jugement, « Ils dévorent mon
peuple, comme on dévore un morceau de pain (Ps. XIII, 4) », c’est-à-dire
chaque jour; car le pain est la nourriture quotidienne. Ces dignitaires dévorent
le peuple, qui en tirent leurs avantages, sans faire tourner leur ministère .à
la gloire de Dieu, et au salut de leurs subordonnés.
6. « Ils n’ont point invoqué le
Seigneur ». Car c’est ne point l’invoquer, que désirer te qui lui déplaît. « ils
ont tremblé, où n’était pas la crainte (Id. 5) » ,c’est-à-dire devant un
dommage temporel. Car ils ont dit: « Si nous le laissons ainsi, chacun croira en
lui, et les Romains viendront, et nous extermineront, nous et notre ville (Jn.
XI, 48)». Ils ont craint ce qui n’était point à craindre, la perte d’un
royaume terrestre, et voilà qu’ils ont perdu le royaume des cieux, ce qu’ils
auraient dû redouter Ainsi en est-il de tous les avantages temporels; plus les
hommes en redoutent la perte, et moins ils arrivent aux biens éternels.
7. « Le Seigneur habite avec la
génération des justes (Ps. XIII, 6) », c’est-à-dire qu’il n’est point
avec ceux qui aiment le monde. Car il y a injustice à négliger le Créateur du
monde pour s’attacher au monde, à servir la créature plutôt que le Créateur (Rm.
I, 25). « Vous avez méprisé le dessein du pauvre, qui met son espoir dans le
Seigneur (Ps. XIII, 6) », c’est-à-dire, vous avez méprisé l’humble
avènement du Christ, parce qu’il n’étalait pas à vos yeux le faste du siècle;
forçant ainsi ceux qu’il appelait à mettre leur espoir en Dieu, et non pas en
des biens passagers.
8. « Qui fera sortir de Sion le
salut d’Israël (Id. 7) ? » Sous-entendez, sinon celui-là même dont vous
avez méprisé l’humilité! Car il viendra dans l’éclat de sa gloire pour juger les
vivants et les morts, et mettre les justes en possession de son royaume; en
sorte que si l’humilité de ce premier avènement a frappé d’aveuglement une
partie d’Israël, pour donner lieu aux Gentils d’entrer complètement dans l’Eglise;
dans le second, tout Israël sera sauvé, selon la prédiction de saint Paul. Car
c’est encore en faveur des Juifs que l’Apôtre invoque ce témoignage d’Isaïe : «
De Sion viendra celui qui détournera de l’impiété les enfants de Jacob (Is.
LIX, 20)». C’est dans le même sens qu’il est dit ici : « Qui fera sortir
d’Israël l’auteur du salut ? — Quand le Seigneur aura brisé les chaînes de la
captivité de son peuple, Jacob sera dans la joie et Israël dans l’allégresse (Ps.
XIII, 7)». C’est une répétition, comme beaucoup d’autres ; car je pense que
la joie de Jacob est identique à l’allégresse d’Israël.
Après avoir gémi sur les
blasphèmes, le Prophète nous expose les vertus dont l’âme doit être ornée pour
jouir du Seigneur et entrer dans ses tabernacles.
1. Le titre ne soulève aucune
difficulté. « Seigneur, quel voyageur trouvera un abri sous votre tente (Ibid.)
?» Quelquefois la tente ou tabernacle, se dit de la demeure éternelle; mais dans
son acception propre, c’est un logement de guerre ; de là vient que les soldats
se nomment contubernales, compagnons de la tente, comme si leurs tentes étaient
contiguës. Une raison de plus de l’entendre ainsi, c’est qu’il est dit: « Quel
voyageur trouvera un abri?» Sur la terre en effet nous sommes en guerre avec le
démon, et nous avons besoin d’une tente pour nous reposer. Cette tente désigne
surtout notre foi à l’économie temporelle de l’Incarnation qui s’est accomplie
en cette vie par notre Seigneur et pour notre salut. « Qui se reposera sur votre
montagne sainte (Ps. XIV, 1)?» Peut-être nous marque-t-il ici déjà la
demeure éternelle, et par cette montagne faut-il entendre la charité suréminente
du Christ dans la vie éternelle.
2. « Celui qui marche dans
l’innocence, et dont la vie est pure (Id. 2) ». C’est là une proposition
qu’il va détailler.
3. « Qui dit la vérité qu’il a dans
son coeur (Id. 3) ». Quelques-uns, en effet, ont sur les lèvres une
vérité qui n’est pas dans leur coeur. Ainsi, qu’un homme nous montre un chemin,
qu’il sait être infesté par les voleurs, et nous dise: Dans cette voie, vous
n’avez aucun voleur à craindre. Si en réalité nous ne rencontrons aucun voleur,
il a dit une vérité qui n’était pas en son coeur. Il pensait le contraire et a
dit la vérité à son insu. C’est donc peu que la vérité soit dans notre bouche,
si elle n’est aussi dans notre coeur. « Dont la langue n’a point menti ». La
langue est menteuse, quand il y a désaccord entre la parole extérieure et la
pensée qui se cache dans notre coeur. « Qui n’a fait aucun mal à son prochain ».
Ce mot de prochain, on le sait, doit s’étendre à tous les hommes. « Qui n’adopte
point l’injure que l’on fait à ses frères (Ps. XIV, 3) », c’est-à-dire,
qui ne croit ni volontiers, ni témérairement aux paroles accusatrices.
4. « Celui dont la présence
anéantit le méchant (Id. 4) ». La perfection pour l’homme c’est que le
méchant n’ait aucune prise sur lui, et qu’il ne soit rien à ses yeux,
c’est-à-dire que cet homme sache bien qu’il n’y a point de méchant, à moins que
l’âme ne se détourne de l’éternelle et immuable beauté du Créateur, pour
s’attacher à cette beauté d’une créature tirée du néant. « Mais il honore ceux
qui craignent le Seigneur», comme le Seigneur le fait lui-même; car la sagesse
commence par la crainte du Seigneur (Ec. I, 16) ». Ce qui précède regarde
les parfaits, et maintenant ce qui va suivre est pour ceux qui commencent.
5. « Celui qui s’engage par serment
envers le prochain, mais sans le tromper; qui ne donne point son argent à usure,
et ne reçoit e point de présents contre l’innocent (Ps. XIV, 4, 5) ». Ce
ne sont point là de grandes vertus; mais celui qui ne peut les pratiquer pourra
bien moins encore parler selon la vérité qu’il connaît en son coeur, sans
employer sa langue à la fourberie, disant toujours au dehors ce qu’il croit être
vrai, ayant dans la bouche : Oui, oui; non, non (Mt. V, 37). Il pourra
moins encore ne pas nuire à son prochain, c’est-à-dire à qui que ce soit, ne
point écouter l’injure contre ses frères: ces oeuvres sont de l’homme parfait,
dont la présence anéantit les pervers. Bien que ces vertus soient moins élevées,
le Prophète ne laisse pas de conclure ainsi : « Quiconque fait ces oeuvres, ne
doit point déchoir dans l’éternité » ; c’est-à-dire qu’il arrivera aux oeuvres
plus parfaites, qui nous valent cette grande et inébranlable stabilité. Car ce
n’est probablement pas sans raison que le Prophète a passé d’un temps à un
autre, que la première conclusion est au passé, tandis que celle-ci est au
futur. Dans la première, il disait : « Le méchant s’est anéanti en sa présence
»; et ici : « il demeurera ferme éternellement ».
Parce que le Christ a mis sa
confiance dans le Seigneur, qu‘il n’a voulu d’autre héritage que lui seul, le
Seigneur l’a fait triompher de ses ennemis par la résurrection. Ces sentiments
peuvent être aussi ceux de l’âme juste qui se confie en Dieu et qui triomphe
aussi de la mort éternelle.
1. Ce Psaume est le chant de notre
roi, dans son humanité, lui qui dans sa passion obtint sur l’inscription le
titre de roi.
2. Voici ses paroles : «
Conservez-moi, Seigneur, parce que j’ai mis en vous mon espoir ; j’ai dit au
Seigneur: Vous êtes mon Dieu ; vous n’avez nul besoin de mes biens (Ps. XV,
2) » .Vous n’avez que faire de mes biens pour votre félicité.
3. « Aux âmes saintes qui habitent
ses domaines (Id. 3) », c’est-à-dire à ces saints qui ont mis leur espoir
dans la terre des vivants, aux (184) citoyens de la Jérusalem céleste, dont la
conversation spirituelle est fixée par l’ancre de l’espérance, dans cette terre
qui est fort bien nommée la terre de Dieu, quoique selon le corps ils vivent en
ce bas monde,-e il a fait « admirer tout l’amour que j’ai pour eux (Ps. XV,
3) ». Le Seigneur donc a fait connaître à ces âmes saintes, mes desseins
merveilleux pour leurs progrès, et ils ont alors compris l’avantage que leur
procure ce mystère d’un Dieu qui est homme pour mourir, et de cet homme qui est
Dieu pour ressusciter.
4. « Leurs infirmités se sont
multipliées » ; non pour leur perte, mais pour leur faire désirer le médecin. «
C’est pourquoi ils ont hâté leur course ». Donc, à la vue de leurs nombreuses
maladies, ils se sont hâtés d’en chercher la guérison. « Je ne les assemblerai
pas pour des sacrifices sanglants (Id. 4) ». Leurs assemblées ne seront
plus charnelles, et ce n’est point en faveur du sang des animaux que je les
rassemblerai pour les exaucer. « J’oublierai leur nom qui ne sera plus sur mes
lèvres ». Par un changement tout spi-r rituel, ils oublieront ce qu’ils étaient
autrefois; et moi, dans la paix que je leur donnerai, je ne verrai plus en eux
des pécheurs ou des ennemis, ou même des hommes, mais je les appellerai des
justes, des frères, et des enfants de Dieu.
5. « Le Seigneur est la part de mon
héritage et de mon calice (Id. 5) ». Car ils posséderont aussi avec moi
cet héritage qui est Dieu même. Que d’autres se choisissent, pour en jouir,
l’héritage des biens temporels et passagers; le partage des saints, c’est Dieu
qui est éternel. Que d’autres s’enivrent de mortelles voluptés, le Seigneur est
la part de mon calice. En disant « de mon calice », je comprends aussi l’Eglise
avec moi, car où est la tête, là est aussi le corps. Je ferai en effet mon
héritage de leurs assemblées, et dans l’ivresse de mon calice j’oublierai leurs
noms anciens. « C’est vous, ô Dieu, qui me rétablirez dans mon héritage (Ibid.)
», afin que ceux que je délivre, connaissent l’éclat que j’avais en vous avant
la création du monde (Jn. XVII, 5) ». Ce n’est point pour moi que vous me
rendrez ce que je n’ai point perdu, mais pour ceux qui ont perdu la connaissance
de cette gloire; et comme je suis en eux, « c’est à moi que vous la rendrez ».
6. « Le cordeau a mesuré ma part
dans des lieux ravissants (Ps. XV, 6) ». Comme le Seigneur devint
autrefois la possession des prêtres et des lévites, mon héritage m’est échu
comme par le sort, dans la splendeur de votre gloire, ô mon Dieu. « Et cet
héritage est glorieux pour moi », car il n’est pas glorieux pour tous, mais pour
ceux qui le comprennent ; et comme je suis en eux, c’est pour moi qu’il est
glorieux.
7. « Je bénirai le Seigneur qui m’a
donné l’intelligence », nécessaire pour voir et posséder cette part glorieuse. «
De plus, jusqu’à la nuit, mes reins m’ont donné une sévère leçon ». En outre de
l’intelligence, cette partie inférieure de moi-même, ou la chair, dont je me
suis revêtu, m’a donné une leçon, en me faisant éprouver les ténèbres de la
mort, qu’ignore cette intelligence.
8. « Je plaçais toujours le
Seigneur en ma présence (Id. 8) ». En venant dans ce monde qui passe, je
n’ai point perdu de vue celui qui demeure éternellement, avec le dessein de
rentrer en lui, après cette vie des
temps. « Car il est à ma droite, afin que je ne sois point ébranlé ». Il
m’assiste, afin que je demeure ferme en lui-même.
9. « C’est pour cela que mon coeur
a tressailli, que ma langue a chanté sa joie ». La joie donc a rempli mes
pensées, et l’allégresse a éclaté dans mes paroles. « En outre, ma chair
reposera dans l’espérance ». Ma chair ne sera point absorbée par la mort, mais
elle s’endormira dans l’espérance de la résurrection.
10. « Parce que vous ne laisserez
point mon âme dans les enfers (Id. 10) ». Vous ne donnerez pas mon âme
comme une proie aux enfers, « et vous ne permettrez pas que votre saint «
éprouve la corruption ». Vous n’abandonnerez pas à la pourriture un corps
sanctifié, qui doit sanctifier les autres. « Vous m’avez fait connaître les
voies de la vie ». C’est par moi que vous avez enseigné la voie de l’humilité,
afin que les hommes revinssent à la vie, qu’ils avaient perdue par l’orgueil :
et comme je suis en eux, c’est à moi que vous l’avez fait connaître. « Vous me
remplirez de joie en me faisant voir votre face ». Quand ils vous verront face à
face, leur joie sera telle qu’ils n’auront plus aucun désir; et comme je suis en
eux , c’est moi que vous remplirez de joie. « A votre droite sont d’éternelles
délices (Ps. XV, 11)». Vos faveurs et vos bontés nous sont délicieuses
dans le chemin de cette vie, et nous font arriver au comble de la gloire en
votre présence.
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