CHAPITRES XIX - XX

CHAPITRE XIX

Vertus éclatantes de Malachie, ses mœurs si dignes d’ un vrai prélat .
 

43. A mon avis, le premier et le plus grand de ses miracles, ce fut lui-même. En effet, tout dans sa personne intérieure, dont la beauté, la force et la pureté se peignaient assez dans ses mœurs et dans toute sa vie, son extérieur fut toujours dans sa manière d'être, si modeste et si décent, qu'on ne vit jamais paraître en lui, rien qui pût choquer personne. Or il est dit que celui qui ne fait point de faute en parlant est un homme parfait (Jacob., III, 2). Eh bien, avec quelque attention qu'on l'ait observé, il n'est personne qui ait pu surprendre en lui, je ne dis pas une parole, mais même un signe de tête, un acte, une démarche inutile. Au contraire, combien n'étaient point édifiants, sa démarche, son aspect, son air et sa tenue ? La gaieté empreinte sur son visage n'était jamais ni obscurcie par la tristesse, ni gâtée par le vice. Tout en lui était réglé, tout prenait le cachet de la vertu, la marque de la perfection. Il était sérieux en toutes choses, mais sans dureté; et s'il permettait quelquefois à son esprit de se détendre, ce ne fut jamais jusqu'au point de s'oublier. S'il arrivait qu'il fermât les yeux dans certains cas, il ne négligeait pourtant jamais rien. On le vit quelquefois goûter le repos, mais on ne le trouva jamais oisif. Depuis le premier jour de sa conversion jusqu'au dernier de sa vie, il vécut sans avoir rien en propre, Jamais il n'eut ni serviteur, ni servante, ni villa, ni bourgades à lui, ni même aucun revenu, soit ecclésiastique soit laïc, pendant tout le temps même de son épiscopat; il n'y eut même jamais rien de fixé et de déterminé pour la mense épiscopale et pour sa nourriture; bien plus il n'avait pas même de maison à lui. D'ailleurs, presque toujours en route, pour faire la visite des paroisses de son diocèse, comme il ait ne cessait de travailler pour l'Évangile, il vivait de l'Évangile, selon la règle établie par le Seigneur même, quand il dit : « Celui qui travaille mérite un salaire (Luc., X, 7. » Et même, bien souvent, prêchant l'Évangile sans en retirer son salaire, il travaillait de ses mains ainsi que ses compagnons pour gagner de quoi se nourrir et nourrir ceux qui partageaient ses fatigues et l'aidaient de leur concours dans l'accomplissement de son ministère. Avait-il besoin de prendre quelque repos, il le faisait dans les maisons religieuses dont il avait couvert l'Irlande tout entière. Mais il avait soin, en ce cas, de se conformer aux coutumes et aux observances de ceux chez qui il avait résolu de s'arrêter quelque temps, et se contentait de leur ordinaire; on n'aurait pu le, distinguer des autres religieux ni à ses vêtements, ni à la manière dont sa table était servie, tant il avait soin, en raison même de son élévation, de s'abaisser en toutes choses.

44. Enfin, lorsqu'il se mettait en route pour aller prêcher l'Évangile, il marchait à pied, tout évêque et légat qu'il fût, au milieu de ses gens. C'était ainsi qu'avaient fait les apôtres, irais cela semblait d'autant plus extraordinaire en Malachie qu'on voyait bien rarement pareille chose chez les autres évêques. Assurément celui qui se conduit ainsi, peut bien passer pour un véritable successeur des apôtres. Les autres évêques sont des dominateurs dans l'héritage du Seigneur, mais lui, tout indépendant qu'il était de tout le monde, se faisait le serviteur de tous. Les autres évêques mangent sans prêcher l'Évangile ou ne le prêchent que pour manger; Malachie, à l'image de saint Paul, ne mange que pour être en état d'annoncer la bonne nouvelle. Les premiers font consister la piété dans le faste et le gain, Malachie ne réclame pour son partage que les devoirs et le fardeau de l'épiscopat. Ceux-là s'estiment heureux, s'ils réussissent à étendre les bornes de leur diocèse, Malachie n'ambitionne qu'un bonheur, celui d'étendre l'empire de la charité. Les premiers ne sont occupés qu'à remplir leurs greniers et leurs caves, pour avoir ensuite de quoi charger leurs tables; Malachie n'a qu'une pensée, peupler les solitudes et les déserts, pour repeupler ensuite les Cieux. Ceux-là, tout en recevant des dîmes, des prémices et des offrandes, sans compter les fermages d'impôts, les tributs et mille autres revenus qu'ils tiennent de la munificence de César; s'inquiètent et se demandent où ils pourront trouver de quoi boire et de quoi manger; Malachie n'avait rien de tout cela, ce qui ne l'empêchait pas d'enrichir une foule de gens du trésor de la foi. Les premiers sont tourmentés par des désirs insatiables, par des inquiétudes sans fin. Malachie vécut sans désir, et ne sut ce que c'est que de s'inquiéter du lendemain. Les premiers prennent aux pauvres pour donner aux riches, mais lui demandait aux riches pour subvenir aux besoins des pauvres. Tandis que les autres évêques épuisent la bourse de leurs ouailles, il chargeait les autels de ses vœux pour leurs péchés, et multipliait pour eux les hosties pacifiques. Quand les premiers construisent de superbes palais, élèvent les tours et les murailles jusqu'aux cieux; Malachie n'avait pas même où reposer la tête, et se consumait tout entier dans l'œuvre de prédicateur de l'Évangile. Ceux-là montent à cheval accompagnés d'une troupe de gens qui mangent avec eux le pain d'autrui, et Malachie, suivi de la sainte troupe de ses frères, marchait à pied et portait partout le pain des anges, pour en rassasier les âmes qui s'en montrent affamées. Lorsque les premiers ne connaissent pas même leurs peuples, lui instruisait les siens; ceux-là honorent les grands et les tyrans, mais lui les punissait. O homme vraiment apostolique, combien votre apostolat est noble et honorable! Faut-il s'étonner, après cela, que vous ayez fait tant de merveilles, et que vous soyez un homme si admirable vous-même ? Ou plutôt, ce n'est pas vous qu'on doit admirer le plus, c'est Dieu en vous. Après tout, n'est-ce pas vous, Seigneur Dieu, qui fîtes toutes ces merveilles (Ps. LXXVI, 15)?
 

CHAPITRE XX

Malachie délivre plusieurs possédés du démon.
 

45. Il y avait à Culratim une femme possédée du démon. Malachie fut appelé pour la délivrer; après avoir prié pour elle, il menace le mauvais esprit et le force à sortir de cette femme. Mais, comme il n'avait pu assouvir complètement sa rage sur cette malheureuse, il se jette sur une autre pauvre femme qui était assise auprès de la première; mais Malachie le reprenant, lui dit : «Je ne t'ai pas fait sortir de l'une pour que tu entrasses dans l'autre, quitte encore celle-ci.» Le démon obéit mais il retourne dans la première qu'il ne laisse une seconde fois que pour revenir à l'autre; et il répéta pendant quelque temps ce manège, ne quittant l'une que pour obséder l'autre. Mais le saint homme, indigné devoir que le mauvais esprit se jouait de lui, réunit toutes ses forces; et, dans le transport d'une foi vive, il attaque son ennemi avec la dernière énergie et le force à s'éloigner de ces deux femmes, non moins tourmenté par elles qu'il ne les avait tourmentées lui-même. Au reste, s'il a résisté au Saint, il ne faut pas que le lecteur pense qu'il le fit par sa propre vertu; ce fut par une permission de Dieu, qui voulait rendre ainsi plus sensible la présence du démon et la victoire de Malachie. D'ailleurs, en lisant ce qu'il fit une autre fois malgré son éloignement, on comprendra bien qu'il n'eut pas moins d'empire là où il était présent en personne, quand il en eut un si grand là même d'où il était absent.

46. Dans la partie septentrionale de file, était un malade, dont la maladie n'était évidemment que le résultat d'un maléfice des mauvais esprits : il les avait en effet entendus se dire une nuit : « Il faut bien prendre garde que ce misérable ne vienne à toucher le lit ou la paillasse de cet hypocrite, et n'échappe ainsi de nos mains. » Or, le malade reconnut qu'ils parlaient de 1Vfalachie qui avait couché peu de jours auparavant dans cette maison. La paillasse qui lui avait servi était encore là. Alors, le cœur plein de confiance et faisant appel à toutes les forces qui lui restaient, il se mit à se traîner dans un état de faiblesse corporelle, aussi grande que grande était sa foi. Aussitôt l'air retentit de cris et de vociférations : «Arrêtez-le, crie-t-on, arrêtez-le; empêchez, empêchez qu'il n'arrive; ou tout est perdu pour nous. » Mais celui à qui la foi et le désir d'échapper au mal donnaient des forces, fit d'autant plus des pieds et des mains, pour atteindre au remède de son mal, que les mauvais esprits criaient davantage; à peine est-il arrivé auprès du lit du Saint, qu'il monte dessus, et, pendant qu'il se roule sur la paillasse qui lui avait servi, il entend les malins esprits pousser des hurlements de douleur et s'écrier: « Hélas! hélas! nous nous sommes trahis nous-mêmes, nous nous sommes déçus nous-mêmes, il nous échappe.» A ces mots, les terribles et horribles esprits, qui le faisaient souffrir, le quittèrent et il se sentit guéri de tout mal à l'instant même. A Lesmer, un homme également obsédé du démon fut délivré par Malachie. Une autre fois, comme il passait par le Leinster, on lui présenta un enfant qui était possédé du démon, il le guérit. Dans la même contrée, il fit délier une femme frénétique qu'on avait garrottée et lui ordonna de se baigner. dans une eau qu'il avait bénite; elle s'y baigna et fat guérie. Dans un canton de l'Ulster, nommé Saball, il guérit, en priant pour elle et en la touchant de la main, une femme qui se déchirait les membres de ses propres dents. Un fou faisait beaucoup de prédictions; ses proches et ses amis le conduisirent à l'homme de Dieu, mais, après avoir eu la précaution de le charger de fortes cordes ; car, dans ses accès de rage, il était capable de faire beaucoup de mal et on le craignait extrêmement. Malachie prie pour lui, et à l'instant même il est guéri et ses liens se détachent d'eux-mêmes. Ce fait s'est passé dans un endroit dont je ne cite pas le nom, parce que de même que ceux de la plupart des localités de ce pays il est tout à fait barbare. Une autre fois, dans la ville même de Lesmor, une fille muette fut présentée au Saint par ses parents, au milieu même de la place publique, comme il la traversait ils le suppliaient avec toutes les instances possibles de vouloir bien les secourir. Malachie s'arrête, fait une prière, touche du doigt la langue de la jeune fille, lui dépose de sa salive dans la bouche et la renvoie guérie; elle parlait.

   

pour toute suggestion ou demande d'informations