DE LA CONTRITION
§ I. — QU’EST-CE QUE LA CONTRITION
Voici comment la
définissent les Pères du Concile de Trente: « La Contrition est
une douleur de l’âme et une détestation du péché commis, avec un
ferme propos de ne plus pécher à l’avenir. » Puis parlant un peu
plus loin du mouvement de la Contrition, ils ajoutent: Ce
mouvement prépare à la rémission des péchés, pourvu qu’il soit
accompagné de la confiance en la miséricorde de Dieu et de la
volonté de faire tout ce qui est nécessaire pour bien recevoir le
sacrement de Pénitence.
Cette définition fera
très bien comprendre aux Fidèles que l’essence de la Contrition ne
consiste pas seulement à cesser de pécher, à prendre la résolution
de mener une vie nouvelle, ou même commencer déjà ce nouveau genre
de vie, mais encore et surtout à détester et à expier le mal de la
vie passée. C’est ce que prouvent parfaitement ces gémissements des
Saints que nous retrouvons si souvent dans nos saintes Lettres. « Je
m’épuise à gémir, dit David , je baigne toutes les nuits mon
lit de mes larmes. Et encore Le Seigneur a écouté la voix de
mes pleurs. »
Isaïe s’écrie à son
tour: « Je repasserai en votre présence, Seigneur, toutes mes
années dans l’amertume de mon âme. » Paroles qui, comme tant
d’autres semblables, sont l’expression évidente d’un repentir
profond des fautes commises et de la détestation de la vie
antérieure.
Mais quand on dit que
la Contrition est une douleur, il faut avertir les Fidèles de ne
point s’imaginer qu’il est ici question d’une douleur extérieure et
sensible. La Contrition est un acte de la volonté. Et Saint Augustin
nous avertit que « la douleur accompagne le repentir, mais
qu’elle n’est pas le repentir. » Les Pères du Concile se sont
servis du mot douleur pour exprimer la haine et la détestation du
péché, soit parce que la sainte Ecriture s’en sert elle-même: « Jusques
à quand, s’écrie David, mon âme sera-t-elle agitée de
pensées diverses, et mort cœur en proie à la douleur durant le jour
entier ? » soit aussi parce que la Contrition engendre la
douleur dans cette partie inférieure de l’âme qui est le siège de la
concupiscence. Ce n’est donc pas à tort qu’on a défini la Contrition
une douleur, puisqu’elle produit précisément de la douleur, et que
les pénitents, pour exprimer plus sensiblement celle qu’ils
ressentent, ont coutume de changer même leurs vêtements ; ainsi
qu’on le voit par ces paroles de notre Seigneur dans Saint
Matthieu: « Malheur à toi Corozaïn ! Malheur à toi Bethsaide !
parce que si les miracles qui ont été faits au milieu de vous,
avaient été accomplis Tyr et à Sidon, ces villes auraient fait
pénitence sous le cilice et la cendre. »
C’est encore avec
raison que la détestation du péché dont nous parlons a reçu le nom
de Contrition. On voulait exprimer par là la violence de la douleur
qu’elle cause. Il y a dans ce mot une figure empruntée aux choses
matérielles qui se brisent en morceaux, quand on les frappe avec une
pierre ou un autre corps plus dur. De même le mot de Contrition
signifie que nos cœur s endurcis par l’orgueil sont brisés et broyés
par la force du repentir. Et c’est pourquoi aucune autre douleur, —
qu’elle soit causée par la mort de parents et d’enfants chéris, ou
par toute autre calamité — ne prend jamais ce nom ; il est
absolument réservé à cette douleur que nous fait éprouver la perte
de la grâce de Dieu et de l’innocence.
Il est encore d’autres
termes que l’on emploie assez fréquemment pour désigner cette
détestation du péché. tantôt elle s’appelle brisement du cœur, parce
que l’Ecriture Sainte prend souvent le cœur pour la volonté. De même
que le cœur est le principe des mouvements du corps, de même aussi
la volonté règle et gouverne toutes les autres puissances de l’âme.
tantôt les Pères lui donnent le nom de componction du cœur, en sorte
qu’ils ont donné ce titre aux ouvrages qu’ils ont écrits sur la
Contrition. De même en effet qu’on ouvre avec le fer un ulcère qui
est enflé, afin que le pus qu’il renferme puisse en sortir, ainsi le
scalpel de la Contrition, — si l’on peut parler de la sorte — ouvre
les cœurs, pour en faire sortir le poison mortel du péché. Aussi le
Prophète Joël appelle-t-il la Contrition « un déchirement du
cœur » « Convertissez-vous n moi de tout votre cœur, dans le
jeune, dans les pleurs et dans les gémissements, et déchirez vos
cœurs. »
§ II. — QUALITÉS DE LA CONTRITION.
La douleur d’avoir
offensé Dieu par le péché doit être souveraine, et telle que l’on ne
puisse en concevoir de plus grande. Il est facile de démontrer cette
vérité par les considérations suivantes
Puisque la vraie
Contrition est un acte de Charité qui procède de la crainte filiale,
il est évident que la Contrition ne doit point avoir d’autre mesure
que la Charité elle-même. Et comme la Charité par laquelle nous
aimons Dieu est l’amour le plus grand, il s’en suit que la
Contrition doit emporter avec elle la douleur de l’âme la plus vive.
Dès lors que nous devons aimer Dieu plus que toutes choses, plus que
toutes choses aussi nous devons détester ce qui nous éloigne de Lui.
Et ce qui confirme notre raisonnement, c’est que les saintes
Ecritures emploient les mêmes termes pour exprimer l’étendue de la
Charité et celle de la Contrition. Ainsi, en parlant de la première
elles disent : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout
votre cœur ; » et, quand il s’agit de la Contrition le Seigneur
nous crie par la bouche du Prophète : « Convertissez-vous de
tout votre cœur. »
En second lieu, de même
que Dieu est le premier de tous les biens que nous devons aimer, de
même aussi le péché est le premier et le plus grand de tous les maux
que les hommes doivent haïr. Et par conséquent la même raison qui
nous oblige à reconnaître que Dieu doit être souverainement aimé,
nous oblige également à concevoir pour le péché une haine
souveraine. L’amour de Dieu doit être préféré à tout. Même pour
conserver sa vie il n’est pas permis de pécher. Il y a là pour nous
un devoir formel. Ecoutons plutôt ces paroles de Notre-Seigneur : « Celui
qui aime son père ou sa mère plus que Moi n’est pas digne de Moi. »
Et encore : « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra. »
Remarquons encore que
la charité, au témoignage de Saint Bernard, ne peut avoir ni limite,
ni mesure. Car, dit-il: « La mesure d’aimer Dieu, est de L’aimer
sans mesure. » Par conséquent il doit en être de même de la
détestation du péché. Elle ne peut être limitée.
Ce n’est pas assez que
cette détestation du péché soit souveraine, il faut encore qu’elle
soit si vive et si profonde, qu’elle exclue toute négligence et
toute paresse. Il est écrit dans le Deutéronome : « Lorsque vous
chercherez le Seigneur votre Dieu, vous Le trouverez, pourvu
cependant que vous Le cherchiez de tout votre cœur, et dans toute la
douleur de votre âme. » Et dans Jérémie : « Vous Me
chercherez, et vous Me trouverez lorsque vous M’aurez cherché de
tout votre cœur ; car alors Je me laisserai trouver par vous, dit le
Seigneur. »
Mais, quand même notre
Contrition ne serait pas aussi parfaite que nous venons de le dire,
notre repentir pourrait cependant être véritable et efficace. Il
arrive souvent que les choses sensibles font sur nous des
impressions plus vives que les choses spirituelles. Et l’on voit des
personnes à qui la mort de leurs enfants, par exemple, cause une
douleur plus vive que la laideur du péché. II n’est pas non plus
nécessaire, pour que la Contrition soit réelle, qu’elle fasse verser
des larmes. toutefois ces larmes sont bien désirables dans la
Pénitence, et il faut y exciter fortement. « Vous n’avez point
les entrailles de la piété chrétienne, dit très bien Saint
Augustin , vous qui pleurez un corps que l’âme a quitté, et qui
ne pleurez point une âme dont Dieu s’est éloigné. » C’est aussi
ce que signifient ces paroles de notre-Sauveur que nous avons
rapportées plus haut : « Malheur à toi, Corozaïn ! Malheur à toi,
Bethsaïde ! parce que si les miracles qui ont été faits au milieu de
vous s’étaient accomplis dans Tyr et dans Sidon, ces villes auraient
fait pénitence sous le cilice et la cendre. » Mais il nous
suffit, pour établir cette vérité, de rappeler les exemples fameux
des ninivites , de David , de la femme pécheresse et du prince des
Apôtres , qui tous implorèrent avec des larmes abondantes la
miséricorde de Dieu, et obtinrent par là le pardon de leurs péchés.
Il sera bon d’apprendre
aux Fidèles et de les exhorter de la manière la plus pressante à
former un acte particulier de Contrition pour chaque péché mortel.
nous le concluons de ces paroles d’Ezéchias:, « Je repasserai en
votre Présence toutes les années de ma vie dans l’amertume de mon
âme. » Repasser toutes ses années dans son esprit, c’est
rechercher ses péchés les uns après les autres, pour les déplorer du
fond du cœur, chacun en particulier. nous lisons encore dans
Ezéchiel : « Si l’impie fait pénitence de tous ses péchés, il
vivra. » C’est dans le même sens que Saint Augustin dit: « Que
le pécheur examine la qualité de son péché d’après le lieu, le
temps, la chose et la personne. »
Mais que les Fidèles ne
désespèrent jamais de la bonté et de la clémence infinie de notre
Dieu, souverainement désireux de notre salut. Ce Dieu n’apporte
jamais de retard à nous accorder notre pardon ; Il étend sa
tendresse paternelle sur le pécheur aussitôt qu’il rentre en
lui-même et qu’il déteste tous ses péchés en général, pourvu
seulement qu’il ait l’intention de les rappeler plus tard, s’il le
peut, à son souvenir, et de les détester chacun en particulier.
C’est ce que le
Seigneur Lui-même nous ordonne d’espérer, quand Il dit par son
Prophète : « Du jour où l’impie se sera converti, son impiété ne
lui nuira plus. »
Après ce que nous
venons de dire, il est facile de voir quelles sont les conditions
nécessaires à une véritable Contrition. Ces conditions doivent être
expliquées aux Fidèles avec le plus grand soin, afin que tous
sachent par quels moyens ils pourront l’acquérir, et qu’ils aient
une règle sûre pour discerner jusqu’à quel point ils peuvent être
éloignés de la perfection de cette vertu.
La première chose
nécessaire, c’est de haïr et de détester tous les péchés que nous
avons eu le malheur de commettre. Si nous n’éprouvions de repentir
que pour quelques-uns seulement, notre Pénitence ne serait point
salutaire. Elle serait fausse et simulée. Car, comme il est écrit
dans l’Apôtre Saint Jacques: « Celui qui observe toute la Loi
excepté en un seul point qu’il transgresse est coupable de la Loi
tout entière. »
La seconde, c’est que
notre Contrition renferme la volonté de nous confesser et de
satisfaire: deux points dont nous parlerons tout à l’heure.
La troisième, c’est que
le pénitent prenne la résolution ferme et sincère de réformer sa
conduite. Le Prophète nous l’enseigne clairement par ces paroles:
« Si l’impie fait pénitence de tous les péchés qu’il a commis,
s’il observe tous mes Commandements, et qu’il pratique la justice et
le jugement, il vivra de la vie, et il ne mourra point ; et Je ne me
souviendrai point de toutes les iniquités qu’il a commises. » Et
un peu plus loin il dit encore : « Lorsque l’impie aura quitté
l’impiété qu’il a commise, et qu’il pratiquera la justice et le
jugement, il donnera la vie à son âme. » Et enfin il ajoute: « Convertissez-vous
et faites pénitence de tous vos péchés, et votre iniquité ne
tournera pas à votre raine. Jetez loin de vous toutes vos
prévarications, par lesquelles vous avez péché, et faites vous un
cœur nouveau et un esprit nouveau. » C’est là aussi ce que
Notre-Seigneur ordonne Lui-même à la femme oui avait été surprise en
adultère: « Allez, lui dit-il, et ne péchez plus, » et au
paralytique qu’Il avait guéri près de la piscine: « Voilà que
vous êtes guéri, prenez garde de ne plus pécher. »
D’ailleurs la nature et
la raison elle-même nous montrent clairement qu’il y a deux choses
absolument nécessaires pour rendre la Contrition sincère et
véritable, à savoir le repentir des péchés commis, et la résolution
de n’en plus commettre à l’avenir. Quiconque veut se réconcilier
avec un ami qu’il a offensé doit tout ensemble déplorer l’injure et
l’outrage dont il s’est rendu coupable à son égard, et ne rien
négliger dans la suite pour éviter de blesser en quoi que ce soit la
religion de l’amitié.
Mais ces deux choses
doivent encore être nécessairement accompagnées de l’obéissance, car
il est juste que l’homme obéisse à la loi naturelle, divine ou
humaine à laquelle il est soumis. Si donc un pénitent a dérobé
quelque chose à son prochain par violence ou par fraude, il est
obligé de restituer. De même il doit faire satisfaction par quelque
service et quelque bienfait à celui qu’il a lésé, en parole ou en
action, dans ses emplois ou dans sa vie. tout le monde connaît cette
parole de Saint Augustin qui est devenue un véritable axiome: « Le
péché n’est point remis, si ce que l’on a pris n’est point rendu. »
Mais parmi les
conditions que la Contrition exige, il ne faudrait pas considérer
comme peu important et peu essentiel de remettre et de pardonner
entièrement toutes les injures qu’on a reçues. Notre-Seigneur et
Sauveur nous en avertit et nous dénonce Lui-même cette obligation:
« Si vous remettez aux hommes leurs offenses envers vous, votre
Père céleste vous remettra les vôtres ; mais si vous ne pardonnez
pas aux hommes, mon Père non plus ne vous pardonnera point. »
Voilà ce que les
Fidèles ont à observer dans la Contrition. toutes les autres
dispositions que les Pasteurs pourront facilement déduire de
celle-ci peuvent bien rendre la Contrition plus parfaite et plus
entière en son genre ; mais elles ne doivent pas être regardées
comme absolument nécessaires, et l’on peut, sans elles, avoir un
repentir véritable et suffisant.
§ III. — DES eFFETS DE LA CONTRITION ET DES
MOYENS DE L’EXCITER.
Mais comme ce n’est pas
assez pour les Pasteurs d’enseigner sua Fidèles toutes les
obligations qui ont trait au salut, et qu’ils doivent encore, par
toute sorte de soins et d’efforts les amener à conformer leur vie
tout entière sua devoirs qui leur sont prescrits, ils feront une
chose extrêmement utile, s’ils leur rappellent souvent la vertu et
les effets de la Contrition. Les autres œuvras de piété,
comme le soulagement des pauvres, les jeûnes, la prière et beaucoup
d’autres choses semblables, d’ailleurs très bonnes et très saintes
de leur nature, sont quelquefois rejetées de Dieu par la faute de
ceux qui les font. Mais la Contrition ne saurait jamais cesser de
Lui être chère et agréable. « Vous ne rejetterez point, ô mon
Dieu, dit le Prophète, un cœur contrit et humilié. »
Bien plus mous n’avons pas plus tôt conçu cette Contrition dans
notre cœur, que Dieu sur le champ nous accorde la rémission de nos
péchés. C’est ce que nous déclare le même Prophète dans un autre
endroit: « J’ai dit, je confesserai cotre moi mon iniquité au
Seigneur, et Vous, Vous m’avez remis aussitôt l’impiété de mon péché. »
Et nous avons une figure sensible de cette vérité dans les dix
lépreux que Notre-Seigneur envoya vers les Prêtres, et qui furent
guéris avant d’arriver jusqu’à eus. Ce qui fait voir que la
véritable Contrition dont nous venons de parler possède une vertu si
grande qu’à cause d’elle le Seigneur nous accorde immédiatement la
rémission de tous nos péchés.
Un autre puissant motif
pour stimuler le zèle des Fidèles, sera de leur donner une méthode
pour s’exciter à la Contrition. II faudra donc les avertir
d’examiner souvent leur conscience et de voir s’ils ont gardé
fidèlement les Commandements de Dieu et de l’Église. S’ils se
reconnaissent coupables de quelque faute, qu’ils s’en accusent
aussitôt devant Dieu, et qu’ils Lui demandent très humblement
pardon. Qu’ils Le conjurent de leur accorder le temps de se
confesser et de satisfaire. Et surtout qu’ils implorent le secours
de sa Grâce pour ne plus retomber dans des péchés qu’ils ont un si
grand regret d’avoir commis.
Enfin les Pasteurs
tâcheront d’inspirer aux Fidèles une haine souveraine pour le péché,
soit à cause de la honte et de l’infamie qu’il porte avec lui, soit
à cause des inconvénients et des maux extrêmes qu’il attire sur
noua. Car il éloigne de nous la bonté infinie de Dieu, de qui nous
avons reçu les plus grands biens, et qui nous en promettait encore
de plus précieux ; et il nous voue à la mort éternelle, à des
tourments sans fin, à des supplices infinis.
Voilà ce que nous
avions à dire sur la Contrition. Venons maintenant à la seconde
partie du sacrement de Pénitence, qui a besoin d’être expliquée par
les Pasteurs avec le plus grand soin et la plus grande exactitude,
comme on le verra facilement par ce qui va suivre. |