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La vie de Mère Catherine de Saint-Augustin

1-1-Un peu d'histoire

Dès le 15ème siècle, de nombreux explorateurs, incités par leurs monarques: du Portugal, d'Italie, d'Espagne, d'Angleterre, et de France,  se mettent à la recherche de la Route des Indes afin de découvrir la route maritime qui les mènerait vers les contrées réputées riches en or, en épices, en tissus de soie. Au gré des vents et véritablement à l'aventure, des équipages partent sur de frêles navires avec à leur tête des aventuriers dont nous connaissons bien les noms: Christophe Colomb, Jean Cabot, Jacques Cartier, Amerigo Vespucci, etc.

En 1534, le français Jacques Cartier prendre possession, au nom du roi, d'un territoire nouveau. Cette terre de montagnes, de forêts et de lacs, habitée par des peuples étranges aux riches traditions, deviendra plus tard la Nouvelle-France: le Québec, le Canada.

Lorsque Champlain et les rois de France fondèrent Québec, leur but était d'en faire la capitale d'une France nouvelle porteuse de Jésus-Christ, dans le Nouveau Monde. Mais cela demanda beaucoup de temps. Certes, des prêtres avaient déjà accompagné les navigateurs à l'époque des découvertes, mais ce n'est qu'au début du 17ème siècle que l'Église, à la faveur de l'éveil missionnaire de la France et de l'établissement, par ses explorateurs, d'une colonie permanente en Amérique, que l'Église naîtra vraiment. Les débuts furent très difficiles, et ce n'est qu'après deux tentatives infructueuses d'évangélisation en Acadie[1], que, dans la petite colonie de Québec, fondée en 1608 par Samuel de Champlain, la mission de la Nouvelle-France put s'établir de façon durable. Puis la Nouvelle France fut enlevée par les Frères Kirke, en 1629, mais restituée à Louis XIII, en 1632 par les Anglais, lors du traité de Saint-Germain en Laye.

Cependant, au milieu de la population autochtone, les quelques milliers de "blancs" de la Nouvelle France avaient une vie très dure: chasse, pêche, cueillette. Il y avait encore très peu d'exploitations agricoles dont l'état était presque embryonnaire. À cela il faut ajouter la rigueur extrême des hivers canadiens. Les missionnaires jésuites et franciscains parcouraient le territoire et bâtissaient d'humbles églises. Quelques œuvres sociales commençaient à naître, grâce à la générosité de chrétiens consacrés: ainsi, en 1639, Marie Guyart, devenue Ursuline sous le nom de Mère Marie de l'Incarnation[2] fonda une institution destinée à l'éducation des jeunes filles; bientôt soeur Catherine de St-Augustin[3] se dévouera dans le milieu hospitalier.

Il n'y avait pas encore d'évêque à Québec quand Catherine arriva. Un Conseil Souverain, dont le siège sera fixé à Québec, fut formé seulement en 1648 pour assurer les pouvoirs législatifs et judiciaires; il comprenait un Père jésuite et quelques représentants des habitants de Québec, de Montréal et des Trois-Rivières. Ce n'est qu'en 1658 que le pape Alexandre VII érigera la Nouvelle-France en vicariat apostolique et y nommera François-Xavier de Montmorency-Laval comme vicaire apostolique. En 1674, Québec sera élevé au rang de diocèse et Mgr de Laval deviendra le premier évêque de la Nouvelle-France. Très rapidement il créera une communauté de prêtres et ouvrira le Séminaire de Québec.

En 1648, quand le groupe des Hospitalières accompagnant Marie-Catherine de Saint-Augustin arriva à Québec, le pays était peuplé de nombreuses tribus autochtones, dont les Algonquins, les Hurons et les Iroquois. Grâce aux pères jésuites, l'évangélisation avançait peu à peu. Cependant les Iroquois, farouches guerriers, restaient hostiles aux pères, et les martyrs, surtout des Hurons convertis furent nombreux. Mais, à Québec, les Hospitalières (cinq sœurs) et les Ursulines (onze sœurs) faisaient des merveilles.

1-2-La jeunesse de Catherine de Longpré

          1-2-1-L'enfance

Catherine de Longpré naquit et fut baptisée le 3 mai 1632[4] à Saint-Sauveur-le-Vicomte, petite ville du Cotentin (évêché de Coûtance), non loin de Cherbourg. Elle était la troisième enfant d'une famille qui en comptera dix. Le père de Catherine, Jacques Simon de Longpré était avocat. Sa mère, Françoise de Launay-Jourdan, était la fille de M. de Launay-Jourdan, lieutenant civil et criminel de Saint-Sauveur-le-Vicomte, un personnage particulièrement estimé.

Les naissances se succédant chez les Longpré, Catherine fut confiée à ses grands-parents maternels pour y être élevée et éduquée. Catherine entra vite en contact avec les pauvres et les malades que sa grand-mère recevait chez elle. Ainsi la petite fille fut familiarisée très jeune avec les misères humaines, et elle apprit à y compatir. Elle n'avait que 3 ans quand elle demanda au Père Malherbe, Jésuite, ami de la famille, ce qu'il fallait faire pour plaire à Dieu. Celui-ci lui montra un malade en lui expliquant que c'était en acceptant sa maladie qu'il faisait la volonté de Dieu. Dès lors, la petite Catherine ne pensa plus qu'à faire la volonté de Dieu. Elle fit sa première confession vers l'âge de quatre ans.

Dom Guy-Marie Oury, auteur de L'Itinéraire mystique de Catherine de Saint-Augustin, signale que "par trois fois, à l'âge de cinq ans, en 1637, elle fut mystérieusement poussée dans le vide, soit du haut d'un escalier, soit du sommet d'un escarpement. À chaque fois la chute fut amortie, elle se sentit doucement portée comme par une main invisible." Toujours vers l'âge de cinq ans, Catherine fut atteinte d'une grave maladie qui lui donna des maux de tête intolérables. Se souvenant de ce que le Père Malherbe lui avait enseigné, la pauvre petite fille offrait tout au Seigneur. Cela dura trois mois. Âgée de huit ans, Catherine fit sa première communion. Alors que jusqu'à ce jour elle avait été comblée des faveurs du ciel, elle fut soudain privée des secours de ces grâces extraordinaires.

Très douée d'esprit et de corps, elle devint sensible aux frivolités mondaines et se plut à la lecture des romans. Mais sa conscience, qu'elle s'efforçait de faire taire, lui faisait de vifs reproches. Pourtant elle avait toujours le désir de plaire à Dieu.

Catherine de Longpré avait entre neuf et dix ans quand elle fit un songe effrayant. Un monstre à face humaine s'avançait vers elle: il brandissait une arme tranchante. Catherine s'enfuit, mais ne pouvant échapper aux menaces, elle appela la sainte Vierge. Une religieuse apparut alors, qui la prit sous sa protection. Catherine s'éveilla... Mais ce songe la faisait réfléchir: ce monstre, n'était-ce pas l'esprit du monde qui la poursuivait? Et la blessure qu'elle avait reçue, ses petits péchés d'amour-propre? Et la religieuse qui l'avait sauvée, n'était-ce pas un appel du Seigneur? Dès lors, Catherine ne songea plus qu'à se sanctifier et elle se consacra totalement à la Vierge Marie. Quand, trois ans plus tard, elle entra au monastère de Bayeux, elle fut bien surprise en reconnaissant, dans la supérieure, la personne qui, dans son songe, lui était apparue et l'avait délivrée.

          1-2-2-L'adolescence

Nous sommes en 1643. Catherine de Longpré a onze ans. Celui qui deviendra saint Jean Eudes prêche une mission à Saint-Sauveur-le-Vicomte. Catherine suit cette mission avec beaucoup d'attention et rencontre le prédicateur ainsi que Marie des Vallées, la grande mystique. Fortement impressionnée elle fit, en privé, un triple vœu:

– prendre la sainte Vierge pour mère,

– ne jamais commettre un péché mortel,

– vivre en perpétuelle chasteté.

Un an plus tard, fortement encouragée par saint Jean Eudes, elle entra, avec sa sœur aînée, comme postulante à l'Hôtel-Dieu de Bayeux[5] le 7 octobre 1644. Elle avait douze ans et demi. En réalité, elle avait dit à sa famille qu'elle accompagnait sa sœur pour voir ce qu'était la vie religieuse. Et c'est ainsi qu'elle fut admise malgré son jeune âge. Pourtant, deux ans plus tard, elle était reçue au noviciat. Il était prévu qu'elle resterait trois ans au noviciat, avant l'émission de ses vœux qui ne pouvaient se faire qu'à partir de l'âge canonique: seize ans.

          1-2-3-La jeune religieuse

L'Institut des Sœurs Hospitalières de la Miséricorde auquel appartenait l'établissement de Bayeux avait été fondé au début du 17ème siècle. Ses religieuses étaient cloîtrées et portaient l'habit des chanoinesses de Saint-Augustin. Leur Règle était basée sur la règle de Saint Augustin, d'où leur nom de Sœurs Augustines. Elles se consacraient au service des malades et des pauvres. Compte tenu de l'éducation qu'elle avait reçue, Catherine de Longpré était bien préparée à cette vocation. Pleine de ferveur, et douée d'une maturité au-dessus de son âge, Catherine se montrait active, douce, pleine d'attentions pour tous; tout le monde l'aimait. Le 24 octobre 1646 fut le jour de sa prise d'habit. Dorénavant elle s'appellera Marie-Catherine de Saint-Augustin. Ce même jour, sa sœur aînée faisait sa profession tandis que Madame de Launay-Jourdan, sa grand'mère, devenue veuve, prenait aussi l'habit religieux, à côté de sa petite fille.

Notre jeune novice s'adonna avec ferveur à sa formation religieuse. Elle était de plus en plus attirée par la vie de prière et d'oraison, qui nourrissait sa vie de charité. Elle aimait la liturgie, et en vivait. L'union à Dieu ne la quittait pas, car elle multipliait les oraisons jaculatoires dont nous donnons quelques exemples :

– Mon Jésus, mon tout, mon amour, vous êtes toute ma joie, toute mon espérance et tout mon bien.

– Vous me voyez du haut du ciel où sont vos récompenses; je pense à vous, et vous pensez à moi.

– Vous avez travaillé pour moi; que mon travail soit donc pour vous, Ô mon Jésus. Vous êtes mort pour moi, n'est-il pas juste que ma vie se consume à votre service?

– Vous m'aimez, ô mon aimable Jésus; oui je veux que mon cœur vive et meure de votre amour.

Par ailleurs, sa dévotion pour la Vierge Marie à qui elle s'était consacrée dès l'âge de dix ans croissait en intensité. Le 25 mars 1648 elle se donna de nouveau totalement à la Vierge Marie, "sa sainte Reine et Maîtresse". Elle cherchait constamment à imiter les vertus de Marie pour mieux vivre de Jésus-Christ.

Quand elle allait communier, elle disait :

– Ô Mère toute d'amour, quand vous receviez le corps de Jésus-Christ, votre divin Fils, que disait votre cœur?

Au service des pauvres :

– Avec quelle humilité, ô sainte Vierge, avec quelle douceur, avec quelle joie avez-vous rempli le même office?

Dans les peines elle se disait:

– En de semblables rencontres, le Cœur de la Sainte Vierge a été doux, humble, patient. Que le mien soit semblable au vôtre, ô Vierge sainte!


[1] La première phase d'implantation de l'Église en Nouvelle-France remonte à 1615 grâce aux Récollets (frères mineurs, franciscains). Dix ans plus tard vinrent les Jésuites, qui s'établirent en permanence dans la ville de Québec.
[2] Marie GUYART, en religion sœur Marie de l'Incarnation, fut la fondatrice, en 1639, des Ursulines de la Nouvelle-France. Née à Tours (France) le 28 octobre 1599, elle décéda à Québec le 30 avril 1672.
[3] Catherine arrivera à Québec le 19 août 1648.
[4] Il n'y avait que trois ans que les anglais, protestants, avaient rendu le Canada à la France.
[5] Cette maison, de création récente, avait été fondée par trois religieuses de Dieppe, ayant à leur tête Mademoiselle de La Hanodière, en religion sœur Marie de Saint-Augustin. Quoique cousins et cousines, Mademoiselle de la Hanodière et les jeunes de Longpré, ne s'étaient jamais rencontrés. 

   

 

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