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CHAPITRE I
SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST
EN GÉNÉRAL
- I -
Nécessité d'un Rédempteur et sa qualité
Incarnation du Verbe, sa vie - Erreur des Juifs - Prophéties
Adam pèche, il se révolte contre Dieu et comme il est le
premier homme, père de tous les hommes, il entraîne dans sa perte le genre
humain tout entier. L'injure ayant été faite à Dieu, ni Adam ni les autres
hommes, par tous les sacrifices, même celui de leur propre vie ne pouvaient
offrir à la Majesté divine offensée une satisfaction digne pour l'apaiser
pleinement. Il fallait qu'une personne divine satisfit à la divine Justice.
C'est pourquoi le Fils de Dieu, touché de compassion pour les hommes et poussé
par les entrailles de sa miséricorde, consentit à se revêtir de la chair humaine
et à mourir pour les hommes, afin d'offrir ainsi à Dieu une satisfaction
complète pour tous leurs péchés et de leur rendre la grâce qu'ils avaient
perdue.
Notre tendre Rédempteur vint donc sur la terre et voulut, en
se faisant homme, remédier à tous les maux que le péché avaient apportés aux
hommes; il voulut, non seulement par ses leçons, mais encore par les exemples de
sa sainte vie, amener les hommes à observer les commandements de Dieu et à
gagner par ce moyen la vie éternelle. À cette fin, Jésus-Christ renonça à tous
les honneurs, à tous les plaisirs et à toutes les richesses, dont il aurait pu
jouir ici-bas et qui lui appartenaient, puisqu'il était le Maître de l'univers.
Il choisit une vie humble, pauvre et pleine de tribulations, au point de mourir
de douleur sur une croix.
Ce fut une erreur des Juifs de penser que le Messie devait
venir en ce monde pour triompher de tous ses ennemis par la force des armes, et
qu'après avoir établi sa domination sur toute la terre, il rendrait ses
partisans riches et glorieux. Si le Messie se fût montré tel que les Juifs se le
figuraient, un prince triomphant et honoré de tous les hommes comme souverain du
monde entier, il n'aurait pas été le Rédempteur que Dieu avait promis et que les
Prophètes avaient annoncé. C'est ce que Jésus-Christ a nettement déclaré
lui-même, lorsqu'il répondit à Pilate que son royaume n'était point de ce monde
(Jn 18, 36). Saint Fulgence a donc raison de reprocher à Hérode la crainte qu'il
avait d'être privé de son royaume par l'Enfant de Bethléem, ce doux Sauveur
n'étant pas venu pour vaincre les rois par la guerre, mais pour les attirer à
lui par sa mort.
Les Juifs tombèrent dans une double erreur par rapport au
Rédempteur qu'ils attendaient. D'abord, ils voulurent entendre des biens
terrestres et temporels ce que les Prophètes avaient dit des biens spirituels et
éternels dont le Messie devait enrichir son peuple. Voici quelles devaient être
les richesses du salut promis: la foi, la connaissance des vertus et la crainte
de Dieu. Le Seigneur promettait encore aux pénitents le remède, aux pécheurs le
pardon, aux esclaves du démons la liberté (Is 33, 6; 61,1). Les Juifs se
trompèrent en outre en appliquant au premier avènement du Sauveur les prophéties
qui regardent le second, quand il viendra juger le monde à la fin des siècles.
David, il est vrai, a prédit du Messie qu'il doit vaincre les princes de la
terre et abattre l'orgueil d'un grand nombre (Ps 109, 5). Jérémie annonce
pareillement que l'épée du Seigneur ravagera toute la terre (Jr 12,12). Mais
tout cela se rapporte au dernier avènement de Jésus-Christ, lorsqu'il paraîtra
comme Juge, pour condamner les méchants.
Quant au premier avènement de Notre-Seigneur, où il devait
consommer l'œuvre de notre rédemption, les Prophètes ont annoncé, de la manière
la plus claire, qu'il vivrait ici-bas dans la pauvreté et l'humiliation.
Zacharie a prédit qu'il serait pauvre, et qu'on le verrait monté sur un ânon (Za
9, 9). Cette prophétie se vérifia particulièrement lorsque Jésus-Christ fit son
entrée solennelle dans Jérusalem et qu'il y fut reçu avec honneur comme le
Messie désiré, ainsi que saint Jean le rapporte, en ne manquant pas de rappeler
la prédiction de Zacharie (Jn 12, 14). Nous savons d'ailleurs qu'il fut pauvre
dès sa naissance, qui eut lieu dans une grotte et dans une ville obscure,
Bethléem, suivant la prophétie de Michée (Mi 5, 1), prophétie notée par saint
Mathieu (Mt 2, 6) et par saint Jean (Jn 7, 42). De plus, Osée a prédit que le
Fils de Dieu se trouverait en Égypte (Os 11, 1), ce qui se vérifia lorsque Jésus
Enfant fut porté dans cette contrée, où il demeura au milieu d'un peuple
étranger, y étant donc nécessairement fort pauvre (Mt 2, 13-15). De retour en
Judée, il continua de vivre dans la pauvreté; il avait lui-même prédit par la
bouche de David que toute sa vie devait être pauvre et pleine de travaux (Ps 87,
16).
Dieu ne pouvait voir sa justice pleinement satisfaite par
tous les sacrifices que les hommes lui eussent offerts, y compris celui de leur
vie. Il permit donc que son propre Fils prit un corps humain et s'offrit comme
une victime digne de le réconcilier avec les hommes et de leur obtenir le salut
(He 10, 5). Le Fils unique de Dieu consentit à s'immoler pour nous; il descendit
sur la terre pour accomplir ce sacrifice par sa mort, et opérer ainsi la
rédemption des hommes d'une manière parfaite selon la volonté de son Père (He
10, 7).
« À quoi servirait de vous frapper davantage? » dit le
Seigneur en s'adressant aux pécheurs (Is 1, 5). Il nous fait entendre par là
que, quel que soit le châtiment de ceux qui l'outragent, leur supplice ne peut
réparer son honneur blessé; c'est pourquoi il charge son propre Fils de
satisfaire pour les péchés des hommes, le Fils de Dieu étant seul capable de
donner une digne compensation à la Justice divine. Après cela, le Seigneur
déclare qu'il a frappé Jésus-Christ comme la victime destinée à expier nos
fautes (Is 53, 8). Il ne s'est pas contenté d'une satisfaction légère, mais il a
voulu voir cette victime consumée dans les tourments (Is 53, 10).
Ô mon Jésus! victime d'amour consumée de douleur sur la croix
pour expier mes péchés, je voudrais mourir de regret, quand je pense que je vous
ai tant de fois méprisé, après avoir été tant aimé de vous! Ah! ne permettez pas
que je continue de répondre par l'ingratitude à tant de bonté! Attirez-moi tout
à vous; faites-le Seigneur, par les mérites de ce sang que vous avez répandu
pour moi.
- II -
Figures de l'Ancien Testament - Autre prophéties
Reconnaissance due au Père et au Fils
Lorsque le Verbe divin s'offrit pour racheter les hommes,
deux voies se présentèrent à lui pour y parvenir, l'une de plaisir et de gloire,
l'autre de souffrance et d'opprobre. Cependant, comme il voulait venir sur la
terre, non seulement pour délivrer l'homme de la mort éternelle, mais encore
pour se concilier l'amour de tous les cœurs, il renonça au plaisir et à la
gloire et choisit les souffrances et les opprobres (He 12,12). Afin donc de
satisfaire pour nous à la Justice divine, et de nous enflammer en même temps de
son saint amour, il voulut se charger de toutes nos dettes et, en mourant sur la
croix, nous obtenir la grâce de la vie bienheureuse. C'est ce qu'Isaïe exprime
clairement quand il dit que le Sauveur a pris sur lui les peines que nous avons
méritées. (Is. 53, 4).
L'Ancien Testament contient deux figures expresses de ce
mystère. La première est la cérémonie annuelle du Bouc Émissaire (Lv 16, 5). Le
Grand Prêtre le chargeait, avec imprécation, de tous les péchés du peuple; après
quoi, on l'envoyait dans un désert comme étant devenu l'objet de la colère de
Dieu. Ce bouc représentait notre Rédempteur, qui daigna se charger de nos
fautes, et devenir la malédiction même, suivant l'expression de saint Paul (Ga
3, 13), afin de nous obtenir la bénédiction divine. L'Apôtre dit ailleurs:
« Celui qui n'avait pas connu le péché, il l'a fait péché pour nous, afin que
nous devenions en lui justice de Dieu » (2 Co 5, 21). Comme l'expliquent saint
Ambroise et saint Augustin, cela signifie que celui qui était l'innocence même a
paru devant Dieu comme s'il eût été le péché même. En d'autres mots, il prit les
dehors du pêcheur et voulut subir les peines dues à tous les pécheurs, afin
d'obtenir leur pardon et de les rendre justes auprès de Dieu. La seconde figure
du sacrifice que Jésus a offert pour nous à son Père éternel sur la croix est
celle du Serpent d'Airain (Nb 21, 8) élevé sur un poteau. Les Hébreux mordus par
les serpents, dont le venin brûlant causait la mort, n'avaient qu'à le regarder
pour être guéris. Notre Sauveur a donné lui-même l'explication de cette figure,
en ces termes: « Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut de même
que le Fils de l'homme soit élevé; afin que tout homme qui croit en lui, ne
périsse point, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3, 14-15).
Observons ici avec quelle clarté la mort ignominieuse de
Jésus-Christ est prédite dans le deuxième chapitre du livre de la Sagesse.
Quoique les paroles de ce chapitre puissent s'entendre de la mort de tout homme
de bien, selon saint Cyprien, saint Jérôme et beaucoup d'autres Pères, elles
conviennent principalement à la mort du Sauveur. On y lit: « S'il est
véritablement le Fils de Dieu, Dieu prendra sa défense et le délivrera » (Sg 2,
18). Ces paroles cadrent parfaitement avec ce que disaient les Juifs pendant que
Jésus était en croix: « Il met sa confiance en Dieu; si donc Dieu l'aime, qu'il
le délivre maintenant; car il a dit: Je suis le Fils de Dieu » (Mt 27, 43). Le
Sage continue: « Interrogeons-le par l'outrage et le tourment (de la croix);
éprouvons sa patience; condamnons-le à la mort la plus infâme » (Sg 2, 19-20).
Les Juifs choisirent pour Christ la mort de la croix, comme la plus
ignominieuse, afin que son fût à jamais couvert d'infamie et entièrement oublié
des hommes, ainsi que Jérémie l'avait prédit (Jr 11, 19). Comment dont les Juifs
peuvent-il nier aujourd'hui que Jésus-Christ ait été le Messie promis, la vie
lui ayant été ôtée par le supplice le plus infamant, exactement comme les
prophètes l'avaient annoncé?
Jésus accepta une telle mort, parce qu'il mourait pour expier
nos péchés. C'est pour cela qu'il voulut d'abord, comme s'il eût été un pécheur,
être circoncis, être racheté lorsqu'il fut présenté dans le temple, recevoir le
baptême de pénitence de la main de saint Jean-Baptiste. Il voulut enfin, dans sa
passion, être cloué à la croix, pour expier l'abus que nous avons fait de notre
liberté. Il voulut expier notre avarice par sa nudité, notre orgueil par ses
humiliations, notre envie de dominer par sa soumission aux bourreaux, nos
mauvaises pensées par sa couronne d'épines, notre intempérance par le fiel qu'il
goûta, et nos plaisirs sensuels par les souffrances de son corps. Après un tel
bienfait, nous devrions sans cesse, avec des larmes d'attendrissement, rendre
grâces au Père éternel, qui nous a aimés au point de livrer à la mort son Fils
innocent pour nous délivrer de l'enfer, et qui, en nous donnant son Fils unique,
nous a tout donné (Rm 8, 32). Ainsi parle saint Paul, et comme Notre-Seigneur
l'a déclaré lui-même, tout cela est l'effet de l'amour de Dieu son Père envers
nous (Jn 3, 16). Aussi la Sainte Église s'écrie-t-elle dans son office du
Samedi-Saint: “Merveilleuse condescendance de ta grâce! Imprévisible choix de
ton amour! Pour racheter l'esclave, tu livres le Fils”. Si nous croyons et
confessons cette vérité, comment pouvons-nous vivre sans brûler d'amour envers
un Dieu si aimant et si aimable? Ô Dieu éternel! ne regardez pas mon âme
souillée de péchés; regardez votre Fils innocent suspendu à une croix et vous
offrant ses souffrances et ses humiliations afin que vous ayez pitié de moi. Ô
Dieu infiniment aimable et véritablement Ami de mon âme, pour l'amour de ce Fils
qui vous est si cher, faites-moi miséricorde! La miséricorde que je vous
demande, c'est que vous me donniez votre saint amour. Ah! tirez-moi de la fange
de mes iniquités, et faites que je sois tout à vous! Ô Feu brûlant, consumez
tout ce qui se trouve d'impur dans mon âme et qui l'empêche d'être entièrement à
vous!
- III -
La Mort de Jésus-Christ est notre salut;
elle est un
enseignement et un exemple,
un motif de confiance
et d'amour
En somme, tout ce que nous pouvons avoir de bien et
d'espérance de salut, nous le devons aux mérites de Jésus-Christ, ainsi que
saint Pierre le déclare expressément: « Il n'y a pas sous le ciel d'autre nom
donné aux hommes pour lequel il nous faille d'être sauvés » (Ac 4, 12). Les
théologiens concluent de là, avec saint Thomas, qu'après la promulgation de
l'Évangile, nous devons croire explicitement, non seulement de nécessité de
précepte, mais encore de nécessité de moyen, que nous ne pouvons nous sauver que
par la médiation de notre Rédempteur.
Tout le fondement de notre salut est donc dans la rédemption
des hommes opérée sur la terre par le Verbe divin. Il faut observer en outre
que, quoique toutes les actions de Jésus-Christ en ce comme, comme émanant d'une
personne divine, fussent d'un prix infini, en sorte que la moindre eût suffit
pour expier tous les péchés des hommes, néanmoins la mort de Jésus-Christ fut le
grand sacrifice par lequel notre rédemption s'est accomplie. C'est pour cela
que, dans les saintes Écritures, la rédemption des hommes est principalement
attribuée à la mort de notre Sauveur sur la croix (Ph 2, 8). Ainsi, l'Apôtre dit
qu'en recevant la Sainte Eucharistie, nous devons nous souvenir de la mort du
Seigneur (1 Co 11, 26). Pourquoi parle-t-il de la mort, et non de l'incarnation,
de la naissance, de la résurrection? Il parle de la mort, parce que ce supplice,
le plus douloureux et le plus humiliant que Jésus-Christ ait souffert, est celui
par lequel il a consommé l'œuvre de notre rédemption.
Saint Paul disait encore qu'il ne prétendait pas savoir autre
chose que Jésus crucifié (1 Co 2, 2). L'Apôtre n'ignorait pas que Jésus-Christ
est né dans une grotte, qu'il a vécu trente années dans la maison d'un pauvre
artisan, qu'il est ressuscité après sa mort, et qu'il est monté au ciel;
pourquoi donc proteste-t-il que tout sa science consiste à connaître Jésus
crucifié? C'est que la mort soufferte par Jésus-Christ sur la croix était ce qui
l'excitait le plus vivement à aimer ce divin Sauveur, et à pratiquer
l'obéissance envers Dieu, la charité envers le prochain, la patience dans les
adversités, vertus spécialement exercées et enseignées par Notre-Seigneur sur la
croix, comme du haut d'une chaire élevée pour nous instruire, suivant la pensée
du Docteur Angélique et de saint Augustin.
Tâchons donc, âmes fidèles, d'imiter l'Épouse des Cantiques,
qui goûtait, disait-elle un doux repos aux pieds de son Bien-Aimé (Ct 2, 3).
Mettons-nous fréquemment devant les yeux, surtout le vendredi, Jésus mourant sur
la croix; arrêtons-nous quelque temps aux pieds de ce divin Sauveur et
contemplons avec attendrissement les souffrances qu'il endure et l'amour qu'il
nous témoigne dans son agonie sur ce lit de douleur. Puissions-nous dire aussi
que nous nous sommes reposés à l'ombre de la croix. Oh! quel heureux repos pour
les âmes qui aiment Dieu, au milieu du tumulte de ce monde, des tentations de
l'enfer et des craintes qu'on éprouve à la pensée des jugements de Dieu, que de
considérer, dans la solitude et le silence, notre tendre Rédempteur agonisant
sur la croix, où l'on voit son sang divin couler de tous ses membres percés et
déchirés par les fouets, les épines et les clous! Comme, à l'aspect de Jésus
crucifié, notre esprit se dégage de tout désir des honneurs mondains, des biens
terrestres et des plaisirs sensuels! Alors émane de la croix un souffle céleste,
qui nous détache doucement des choses de la terre. Ce souffle allume en nous un
saint désir de souffrir et de mourir pour l'amour de celui qui a voulu souffrir
et mourir pour l'amour de nous.
Si Jésus-Christ, au lieu d'être ce qu'il est, Fils de Dieu et
vrai Dieu, notre Créateur et notre souverain Maître, n'était simplement qu'un
homme, ah! qui serait insensible à la vue de ce jeune homme de sang noble,
innocent et saint, expirant dans les tourments sur un gibet infâme, pour expier,
non ses propres fautes, mais les crimes de ses ennemis eux-mêmes, et pour les
délivrer par ce moyen de la mort qu'ils ont méritée? Comment donc un Dieu
n'obtient-il pas les affections de tous les cœurs, en mourant dans un abîme
d'humiliation et de douleur pour l'amour de ses créatures? Comment, après cela,
ces créatures peuvent-elles encore aimer autre chose que ce Dieu? comment
peuvent-elles penser à autre chose qu'à se montrer reconnaissantes envers ce
tendre bienfaiteur?
Que ne connais-tu le mystère de la croix! disait saint André
au tyran qui voulait lui faire renier Jésus-Christ parce que Jésus a été
crucifié comme un malfaiteur. Oh! si tu comprenais l'amour que Jésus-Christ t'a
porté en daignant mourir sur la croix pour expier tes péchés et t'obtenir une
félicité éternelle, sans doute, loin de chercher à me persuader de le renier, tu
renoncerais toi-même à tout ce que tu possèdes et espères ici-bas, pour obéir et
plaire à un Dieu qui t'a tant aimé! Telle fut en effet la conduite d'un si grand
nombre de Martyrs et d'autres Saints qui ont tout quitté pour Jésus-Christ. Ô
honte pour nous! combien de jeunes vierges ont refusé la main des grands, des
princes, avec les richesses et tous les délices de la terre, et se sont
empressées de sacrifier leur vie pour répondre par quelque marque de retour à
l'amour que leur a témoigné ce Dieu crucifié! D'où vient donc qu'il y a tant de
chrétiens sur qui la passion de Jésus-Christ fait peu d'impression? Cela
provient de ce qu'ils ne s'appliquent point à considérer combien Jésus-Christ a
souffert pour l'amour de nous.
Ah! mon doux Rédempteur, j'ai été moi-même du nombre de ces
ingrats! Vous avez sacrifié votre vie sur une croix pour ne pas me voir perdu;
et moi, j'ai tant de fois consenti à vous perdre, vous qui êtes un bien infini,
en perdant votre grâce! Maintenant le démon, en m'offrant le tableau de mes
péchés, voudrait me faire croire que mon salut est devenu trop difficile; mais,
en vous voyant crucifié pour moi, mon Jésus, j'ai la confiance que vous ne me
rejetterez pas de votre présence, si je me repens de vous avoir offensé et si je
veux vous aimer. Oui, je m'en repens, Seigneur, et je désire vous aimer de tout
mon cœur. Je déteste ces plaisirs maudits qui m'ont fait perdre votre grâce. Je
vous aime, ô Amabilité infinie, et je suis résolu de vous aimer toujours! Le
souvenir de mes péchés ne servira qu'à m'enflammer d'un plus grand amour pour
vous, qui avez daigné me chercher quand je vous fuyais. Non, mon Jésus, je ne
veux plus me séparer de vous ni cesser jamais de vous aimer!
Ô Refuge des pécheurs, tendre Marie, vous qui avez eu tant de
part aux douleurs votre divin Fils dans sa passion, priez-le qu'il me pardonne
et qu'il m'accorde la grâce de l'aimer!
CHAPITRE II
SUR LES PEINES QUE JÉSUS-CHRIST SOUFFRIT À SA MORT
- I -
Prophétie d'Isaïe - Abaissements du Rédempteur promis
Considérons maintenant les peines particulières que
Jésus-Christ endura dans sa passion, et qui ont été prédites plusieurs siècles
auparavant par les Prophètes, spécialement dans le chapitre cinquante-troisième
d'Isaïe. Ce dernier, comme l'ont remarqué saint Irénée, saint Justin, saint
Cyprien et d'autres encore, a parlé si clairement des souffrances de notre
Rédempteur, qu'on pourrait le prendre pour un des Évangélistes. D'après saint
Augustin, les paroles d'Isaïe concernant la passion de Jésus-Christ ont plutôt
besoin de nos méditations et de nos larmes que de l'explication des interprètes.
Hughes Grotius dit que les anciens Hébreux eux-mêmes n'ont pu mieux qu'Isaïe,
principalement au chapitre cinquante-troisième, n'ait eu en vue le Messie promis
de Dieu. Quelques-uns ont voulu appliquer les passages d'Isaïe à des personnes
nommées dans l'Écriture, autres que Jésus-Christ; mais Grotius répond qu'on n'en
peut trouver aucun à qui ces textes conviennent.
Isaïe commence par faire pressentir l'incrédulité qui doit
accueillir ce qu'il annonce du Messie et le Messie lui-même: “Qui croirait ce
que nous entendons dire, et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été dévoilé?” (Is
53, 1). C'est ce qui s'est vérifié, comme le remarque saint Jean, lorsque les
Juifs, malgré les nombreux miracles opérés par Jésus-Christ, miracles qu'ils
avaient vus et qui prouvaient bien qu'il était le Messie envoyé de Dieu,
refusèrent de croire en lui (Jn 12, 37). Qui reconnaîtra le bras, c'est-à-dire,
la puissance du Seigneur? C'est ainsi qu'Isaïe prédit l'obstination des Juifs à
ne pas vouloir croire en Jésus-Christ comme en leur Rédempteur. Ils se
figuraient que le Messie devait faire éclater parmi les hommes sa grandeur et sa
puissance, et, après avoir triomphé de tous ses ennemis, combler le peuple juif
de richesses et d'honneurs; ils pensaient que le Sauveur devait apparaître comme
un superbe cèdre du Liban; mais le Prophète déclare, au contraire, qu'il croîtra
péniblement comme un arbrisseau ou comme un faible rejeton qui sort d'une terre
sèche (Is 53, 2).
Isaïe se met ensuite à décrire la passion du Seigneur: “Nous
l'avons vu, s'écrie-t-il, et nous avons voulu le reconnaître: mais nous ne
l'avons pu. Il nous a paru un objet de mépris, le dernier des hommes, et un
homme de douleurs. Nous ne l'avons point reconnu”. (Is 53, 2-3)
Adam, en refusant d'obéir à la loi de Dieu, a causé la ruine
de tous les hommes par son orgueil; c'est pourquoi le Rédempteur a voulu réparer
ce mal par son humilité, en consentant à être traité comme le dernier et le plus
abject des hommes; c'est-à-dire, en se réduisant au plus profond abaissement.
Saint Bernard admire cette union prodigieuse de la suprême grandeur avec
l'extrême bassesse: “Ô toi, le plus bas et le plus élevé, ô toi le méprisé et le
sublime, ô opprobre des hommes et gloire des anges! Nul n'est plus grand que
toi, mais nul n'est plus humble”. Si donc, ajoute-t-il, le Seigneur, qui est le
premier de tous les êtres, a voulu paraître comme le dernier, chacun de nous
doit rechercher la dernière place, et craindre d'être préféré à qui que ce soit.
Mais moi, mon Jésus, je crains tout le contraire; je voudrais être préféré à
tout le monde. Seigneur! donnez-moi l'humilité! Vous embrasez avec amour les
humiliations, pour m'apprendre à être humble, à aimer la vie obscure et
méprisée, et je voudrais être estimé de tous et paraître en tout! De grâce, mon
Jésus! donnez-moi votre amour; il me rendra semblable à vous! Ne me laissez pas
vivre plus longtemps dans l'ingratitude envers vous, après que vous m'avez tant
aimé. Vous êtes tout-puissant: faites que je sois humble, que je sois saint, que
je sois tout à vous.
- II -
Humiliations et souffrances de Jésus-Christ
Isaïe appelle notre Sauveur un Homme de douleurs (Is 53, 3).
Aussi applique-t-on justement à Jésus crucifié ce texte de Jérémie: “Votre
affliction est semblable à une mer” (Lm, 2, 13). Comme toutes les eaux vont se
jeter dans la mer, ainsi se réunirent dans le cœur de Jésus, pour l'affliger,
toutes les souffrances des malades, toutes les austérités des anachorètes et
toutes les humiliations des martyrs. Il fut rassasié de douleurs dans l'âme et
dans le corps. Mon Père! disait-il par la bouche de David, vous avez fait passer
sur moi tous les flots de votre colère (Ps 87, 8)! Et il ajouta en mourant,
qu'il expirait abîmé dans un océan de douleurs et d'opprobres (Ps 68, 3).
L'Apôtre a écrit que Dieu en envoyant son propre Fils au monde pour payer de son
sang la dette de nos fautes, a voulu par là montrer la grandeur de sa justice (Rm
3, 25). Remarquez ces derniers mots.
Pour se faire une idée de tout ce que Jésus-Christ eut à
souffrir pendant sa vie, et surtout à sa mort, il faut considérer ce que dit
encore saint Paul dans sa Lettre aux Romains: « Dieu, en envoyant son propre
Fils avec une chair semblable à celle du péché et en vue du péché, a condamné le
péché dans sa chair » (Rm 8, 3). Jésus-Christ, envoyé par son Père pour racheter
l'homme, se revêtit de notre chair infectée du péché d'Adam. Quoiqu'il n'eût pas
contracté la tache du péché, il prit néanmoins sur lui les misères dont la
nature humaine était affligée en punition du péché, et il s'offrit
volontairement à son Père éternel, comme le dit Isaïe, afin de satisfaire par
ses souffrances à la Justice divine pour toutes les dettes du genre humain; et
Dieu le Père l'a chargé lui seul des iniquités de nous tous (Is 53, 6-7). Voilà
donc Jésus sous le poids de tous les blasphèmes, de tous les sacrilèges, de
toutes les impuretés, de tous les forfaits que les hommes ont commis et
commettront jamais; le voilà, en un mot, devenu l'objet de toutes les
malédictions divines que nous avons méritées par nos fautes (Ga 3, 13).
Aussi saint Thomas assure-t-il que les douleurs de
Jésus-Christ, tant intérieures qu'extérieures, ont surpassé tout ce qu'on peut
souffrir en cette vie. Pour comprendre quelles ont dû être ses souffrances
extérieures, il suffit de savoir que Dieu le Père lui avait formé un corps
exprès pour souffrir, ainsi que Notre-Seigneur le déclara lui-même (He 10, 5).
Le Docteur Angélique observe que Notre-Seigneur fut affligé dans tous les sens:
dans le toucher, toutes ses chairs ayant été déchirées; dans le goût, par le
fiel et le vinaigre; dans l'ouïe, par les blasphèmes et les dérisions; dans la
vue, en regardant sa Mère qui assistait à sa mort. Il souffrit également dans
tous ses membres: sa tête sacrée fut tourmentée par les épines, ses mains et ses
pieds par les clous, son visage par les soufflets et les crachats, et tout son
corps par les fouets, précisément comme Isaïe l'avait prédit, ce Prophète ayant
annoncé que Notre Rédempteur, dans sa passion, semblable à un lépreux, dont la
chair n'a plus aucune partie saine, et qui fait horreur à voir, n'offrant aux
regards que plaies de la tête aux pieds. En un mot, Jésus flagellé parut aux
yeux de Pilate dans un tel état qu'il espérait fléchir les Juifs en le leur
montrant; il cru qu'il suffirait pour qu'on cessât de demander sa mort, de le
présenter du haut de son tribunal aux regards du peuple, en disant: « Voilà
l'Homme! » (Jn 19, 5).
Saint Isidore remarque en outre que, chez les autres hommes,
lorsqu'une douleur et lourde et dure un certain temps, la violence même du mal
fait perdre la sensation de douleur. Il n'en fut pas ainsi pour notre Sauveur:
les dernières douleurs lui furent aussi sensibles que les dernières, et les
premiers coups de fouets ne le furent pas moins que les derniers; et cela, parce
que sa passion ne fut pas simplement l'ouvrage des hommes, mais ce fut un acte
de la justice de Dieu, qui a voulu faire subir en toute rigueur à son Fils
innocent le châtiment que méritaient les péchés de tous les hommes. Ainsi, mon
Jésus! dans votre passion, vous avez voulu porter la peine qui m'était due pour
mes péchés; si donc je vous avez moins offensé, vous eussiez moins souffert en
ce moment pour moi. Et moi, sachant bien cela, pourrai-je encore vivre sans vous
aimer, et sans pleurer continuellement les offenses que je vous ai faites? Mon
doux Rédempteur, je me repens de vous avoir méprisé, et je vous aime par-dessus
toutes choses. De grâce, ne me rejetez point comme je l'ai mérité; recevez-moi
dans votre amour, maintenant que je vous aime et que je ne veux plus aimer que
vous. Je serais bien ingrat si, après toutes les miséricordes que vous m'avez
faites, j'aimais encore à l'avenir autre chose que vous.
- III -
Jésus-Christ a souffert volontairement pour nous
Voici la suite des paroles d'Isaïe: « Nous l'avons considéré
comme un lépreux, comme un homme que la main de Dieu a frappé et humilié. Mais
il a été frappé pour nos iniquités, il a été brisé pour nos crimes. Le châtiment
qui devait nous réconcilier avec Dieu, est tombé sur lui, et nous avons été
guéris par ses blessures. Nous, nous étions tous égarés comme des brebis
errantes, chacun s'était détourné pour suivre sa propre voie; et Dieu l'a chargé
lui seul de l'iniquité de nous tous ». (Is 53, 4-6) Et Jésus, plein de charité,
consentit volontiers, sans réplique, au dessein de son Père qui voulut qu'il fût
livré entre les mains des bourreaux pour être tourmenté à leur gré. « Il fut
offert parce que c'était son propre désir, et il n'ouvrit pas la bouche; comme
une brebis qu'on conduit à la boucherie, comme devant les tondeurs d'une brebis
muette » (Is 53, 7). Comme un agneau qui se laisse tondre sans se plaindre,
notre tendre Sauveur se laissa enlever, non la laine, mais la peau, sans ouvrir
la bouche.
Quelle obligation le Fils de Dieu avait-il d'expier nos
fautes? Aucune, sans doute; mais il a voulu s'en charger, pour nous délivrer de
la damnation éternelle; et après s'être ainsi rendu volontairement, par pure
bonté, débiteur de toutes nos dettes, il a voulu se sacrifier entièrement pour
nous, jusqu'à expirer dans les tortures de la croix, comme il l'a déclaré
lui-même (Jn 10, 17). Chacun de nous doit donc lui rendre grâces, et lui dire
avec le prophète Isaïe: « Seigneur! vous avez arraché mon âme à sa perte; vous
avez pris sur vous et vous avez effacé vous-même tous mes péchés » (Is 38, 17).
- IV -
Les souffrances de Jésus-Christ ont été extrêmes
Saint Ambroise, parlant de la passion du Sauveur, dit que ses
souffrances ne peuvent être égalées. Les Saints ont tâché d'imiter Jésus-Christ
dans ses souffrances pour se rendre semblables à lui; mais, y en a-t-il un seul
qui soit parvenu à l'égaler? Il est certain que Notre-Seigneur a souffert plus
que tous les pénitents, tous les anachorètes, et tous les Martyrs; car Dieu l'a
chargé de satisfaire rigoureusement à sa justice pour tous les péchés des
hommes, et conséquemment, comme le dit saint Pierre, Jésus porta sur la croix le
fardeau de toutes nos iniquités, pour en subir la peine dans son corps adorable
(1 P 2, 24). Selon saint Thomas, en nous rachetant, le Fils de Dieu n'a pas
seulement eu égard à la vertu et au mérite infini de ses souffrances, mais il a
voulu souffrir autant qu'il le fallait pour expier pleinement et rigoureusement
tous les péchés du genre humain. Et selon saint Bonaventure, il a voulu souffrir
autant que s'il eût été lui-même l'auteur de toutes nos fautes. Or Dieu sut
tellement aggraver les douleurs de Jésus-Christ, qu'elles atteignirent les
proportions requises pour acquitter complètement toutes nos dettes. Ainsi s'est
vérifiée cette parole d'Isaïe, que Dieu a voulu broyer son Fils dans les
souffrances, pour le salut du monde (Is 53,10-11).
Quand on lit les Actes des Martyrs, il semble que
quelques-uns d'entre eux ont plus souffert que Jésus-Christ; mais saint
Bonaventure dit que les douleurs d'aucun Martyr n'ont jamais pu égaler en
vivacité celles de notre Sauveur, qui furent les plus aiguës de toutes les
douleurs. Saint Thomas assure pareillement que la douleur sensible qui affligea
Jésus-Christ fut la plus grande que l'on puisse endurer dans la vie présente.
Selon saint Laurent Justinien, dans chaque tourment que Notre-Seigneur eut à
subir, si l'on considère la vivacité et l'intensité de la douleur, il souffrit
tous les supplices des Martyrs. Tout cela d'ailleurs a été prédit en peu de mots
par le Roi David lorsque, parlant à Dieu au nom du Messie, il s'écriait: “Sur
moi pèse ta colère; ... tes épouvantes m'ont réduit à rien” (Ps 87, 8.17), ce
qui signifie que toute la colère de Dieu excitée par nos péchés est venue
retomber sur la personne du Sauveur. On entend dans le même sens ce que l'Apôtre
dit: « Il est devenu malédiction pour nous » (Ga 3, 13). Jésus devint la
malédiction, c'est-à-dire l'objet de toutes les malédictions que méritent les
pécheurs.
- V -
Peines intérieures de notre Sauveur
Jusqu'ici, nous avons parlé que des souffrances extérieures
de Jésus-Christ; mais qui pourra jamais expliquer, ou seulement concevoir,
l'étendue de ses souffrances intérieures, qui furent mille fois plus grandes que
les premières? La douleur de son âme fut si violente que, dans le jardin de
Gethsémani, elle lui causa une sueur de sang par tout le corps et lui fit dire
qu'elle suffisait pour lui donner la mort (Mt 26, 58). Mais, puisque cette
tristesse suffisait pour le faire mourir, pourquoi ne mourut-il pas? C'est,
répond saint Thomas, parce qu'il retarda lui-même sa mort, voulant se conserver
la vie pour la sacrifier bientôt après sur la croix. Remarquons en outre que
cette tristesse mortelle ne fit qu'affliger plus sensiblement notre Sauveur; car
elle fut le tourment de toute sa vie: dès le premier moment de son existence, il
eut devant les yeux les causes de sa douleur intérieure; et de toutes ces
causes, celle qui l'affligea le plus, ce fut de voir l'ingratitude des hommes
après l'amour qu'il leur témoignait dans sa passion.
Il est vrai que, dans cette extrême désolation, un Ange du
ciel vint pour fortifier le Seigneur, ainsi que saint Luc le rapporte. (Lc 22,
43). Mais le vénérable Bède fait observer que ce secours, loin d'alléger sa
peine, ne fit que l'accroître, puisque l'Ange ranima ses forces pour qu'il
souffrit avec plus de constance pour le salut des hommes, en lui représentant,
ajoute le même auteur, la grandeur des fruits de notre passion, sans en diminuer
la douleur. Aussi, immédiatement après l'apparition de l'Ange, l'Évangéliste dit
que Jésus tomba en agonie et sua du sang en abondance au point d'en baigner la
terre (Lc 23, 44).
Selon saint Bonaventure, la douleur de Jésus parvint au
suprême degré; de telle sorte qu'à l'aspect des tourments qui allaient terminer
sa vie, il fut si épouvanté qu'il supplia son Père de l'en délivrer (Mt 26, 39).
Cependant, Notre-Seigneur ne fit pas cette prière précisément pour échapper au
supplice qui l'attendait, puisqu'il s'y était soumis volontairement (Jn 10, 18);
ce fut pour nous faire entendre quelles angoisses il éprouvait en subissant une
mort si amère selon les sens. Mais, reprenant aussitôt selon l'esprit, tant pour
se conformer à la volonté de son Père que pour nous obtenir le salut, ce qu'il
désirait si ardemment, il ajouta: « Néanmoins, que votre volonté soit faite, et
non la mienne! » (Mt 26, 44). Et il continua de prier et de se résigner ainsi
durant trois heures (Mc 14, 39).
- VI -
Patience de Jésus-Christ - Fruits de sa mort
Reprenons les prophéties d'Isaïe. Il a prédit les soufflets,
les coups de poing, les crachats et les autres mauvais traitements que
Jésus-Christ souffrit dans la nuit qui précéda sa mort, de la part des
bourreaux, qui le tenaient prisonnier dans le palais de Caïphe, en attendant le
matin pour le conduire à Pilate et le faire condamner au supplice de la croix:
« J'ai tendu le dos à ceux qui me frappaient, les joues à ceux qui m'arrachaient
la barbe; je n'ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats » (Is 50,
6). Ces outrages ont été décrits après l'événement par saint Marc, qui ajoute
que les bourreaux, voulant se moquer de Notre-Seigneur comme d'un faux prophète,
lui bandèrent les yeux et se mirent ensuite à lui donner des coups de poing et
des soufflets, en lui disant de deviner qui l'avait frapper (Mc 14, 65).
Isaïe continue et dit que le Messie sera mené à la mort comme
une brebis qu'on va égorger (Is. 53, 7). C'est ce passage que lisait l'eunuque
de la reine Candace, lorsque saint Philippe vint le joindre par une inspiration
divine, comme on le voit dans les Actes des Apôtres (Ac 8, 32): il lui demanda
de qui les paroles devaient s'entendre, et le saint expliqua tout le mystère de
la Rédemption opérée par Jésus-Christ. Alors, l'eunuque, ouvrant les yeux à la
lumière que Dieu lui communiquait, voulut être baptisé sur-le-champ.
Le Prophète termine en annonçant les fruits immenses que la
mort du Sauveur devait produire dans le monde, et la multitude de saints qui en
devaient naître spirituellement: « S'il offre sa vie en expiation, il verra une
postérité, il prolongera ses jours; et ce qui plaît au Seigneur s'accomplira par
lui. Il verra la lumière et sera comblé. Par ses souffrances, mon Serviteur
justifiera des multitudes ». (Is 53, 10-11).
- VII -
Prophéties de David - Diverses particularités
Avant Isaïe, le Prophète-Roi avait prédit d'autres
circonstances encore plus particulières de la passion de Jésus-Christ,
principalement dans le Psaume 21, où il dit que le Sauveur aurait les mains et
les pieds percés de clous et que ses membres seraient tellement étendus qu'on
pourrait compter ses os (Ps 21, 15. 18). Il annonça également que, avant de le
crucifier, on lui ôterait ses vêtements; que ses vêtements extérieurs seraient
partagés entre les bourreaux, et que celui de dessous, étant une tunique sans
couture, serait tiré au sort (Ps. 21, 19). Cette prophétie est rappelée par
saint Matthieu et saint Jean (Mt 27, 35; Jn 19, 23).
Voici en outre ce que saint Matthieu rapporte des blasphèmes
et des sarcasmes des Juifs contre Jésus, pendant qu'il était sur la croix:
« Ceux qui passaient par là le blasphémaient, en branlant la tête et en lui
disant: Toi qui détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours, que
ne te sauves-tu toi-même? Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix! Les
Princes des prêtres se moquaient aussi de lui avec les Scribes et les Anciens,
en disant: Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même; s'il est le
Roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui. Il
met sa confiance en Dieu; si donc Dieu l'aime, qu'il le délivre maintenant;
puisqu'il a dit; Je suis le Fils de Dieu ». (Mt 27, 40-43). Presque tous ces
détails ont été prédits sommairement par David, en ces termes: « Tous ceux qui
me voyaient, se sont moqués de moi; ils ont dit en branlant la tête: Il a mis
son espérance dans le Seigneur, que le Seigneur le délivre; qu'il le sauve, s'il
est vrai qu'il l'aime » (Ps 21, 8-9).
David a aussi prédit la grande peine que Jésus devait
éprouver sur la croix en se voyant abandonner de tout le monde, même de ses
disciples, à l'exception de saint Jean et de la Très Sainte Vierge. Mais la
présence de cette Mère chérie n'adoucit point la peine d'un Fils si tendre; elle
l'augmentait, au contraire, par la compassion qu'il avait de la voir si affligée
à cause de sa mort. Notre-Seigneur, au milieu des angoisses de son cruel
supplice, ne trouva donc personne pour le consoler, précisément comme David
l'avait annoncé (Ps 68, 21). Mais, la douleur qui affligea le plus profondément
notre doux Rédempteur, ce fut d'être abandonné même de son Père éternel; aussi
s'écria-t-il alors, conformément à la prophétie de David: « Mon Dieu, mon Dieu,
pourquoi m'avez-vous abandonné? Loin de me sauver les paroles de ma bouche » (Ps
21, 2). C'est comme s'il eût dit: « Mon Père! les péchés des hommes, que
j'appelle les miens parce que je m'en suis chargé, m'empêchent de me délivrer de
ces souffrances qui consument ma vie; mais vous, mon Dieu! dans cette extrême
désolation, pourquoi m'avez-vous abandonné? » Ces paroles du Prophète-Roi
correspondent parfaitement à celles que Jésus prononça sur la croix, selon
l'Évangile de saint Mathieu, peu de temps avant sa mort: « Eli! Eli! lema
sabachtani? » (Mt 27, 46).
- VIII -
Jésus-Christ est le vrai Messie - Surabondance de ses
mérites
D'après toutes ces citations, on peut juger du grand tort
qu'ont les Juifs, lorsqu'ils refusent de reconnaître Jésus-Christ comme leur
Messie et leur Sauveur, parce qu'il est mort d'un supplicie ignominieux. Mais,
ne s'aperçoivent-ils pas que, si Jésus-Christ, au lieu de mourir en croix comme
un criminel, avait eu une mort honorée et glorieuse aux yeux des hommes, il
n'aurait pas été le Messie promis de Dieu et prédit par les Prophètes, qui
annonçaient depuis tant de siècles que le Rédempteur devait mourir rassasié
d'opprobres? (Lm 3, 30) Au reste, toutes ces humiliations et toutes ces
souffrances du Fils de Dieu, si bien prédites par les Prophètes, ne furent
comprises, même de ses disciples, qu'après sa résurrection et son ascension dans
le ciel (Jn 12, 16).
Enfin, la passion de Jésus-Christ a vérifié cette parole de
David: « La Justice et la Miséricorde se sont donné le baiser de paix » (Ps 84,
11). En effet, d'un côté, par les mérites du Sauveur, les hommes ont été
miséricordieusement réconciliés avec Dieu; et de l'autre, par sa mort, la
Justice divine a été surabondamment satisfaite, puisque, pour nous racheter, il
n'était pas nécessaire que l'Homme-Dieu supportât tant de souffrances et
d'opprobres; il suffisait, comme nous l'avons dit, d'une seule goutte de son
sang, d'une simple prière de sa part, pour sauver le monde entier. C'est pour
nous inspirer plus de confiance et nous enflammer d'un plus grand amour envers
lui, qu'il a voulu que notre rédemption fût, non seulement suffisante, mais
encore surabondante, ainsi que David l'annonçait: « Espère Israël dans le
Seigneur, puisque auprès du Seigneur est la grâce, près de lui l'abondance du
rachat » (Ps 129, 6).
Job a aussi prophétisé cette surabondance de la grâce
lorsque, parlant au nom du Messie, il déclara que son affliction était
incomparablement plus grande que ses péchés (Jb 6, 2). Ici encore, Jésus, par la
bouche de Job, appelle ses péchés ceux des hommes, parce qu'il s'était obligé à
satisfaire pour nous, afin que sa justice devint notre justice, suivant la
pensée de saint Augustin. La Glose commente le texte de Job en disant que, dans
la balance de la Justice divine, la passion de Jésus-Christ l'emporte sur tous
les péchés du genre humain. Toutes les vies des hommes ne suffiraient point pour
expier un seul péché, mais les souffrances du Fils de Dieu ont satisfait pour
toutes nos dettes (1 Jn 2, 2). De là, saint Laurent Justinien encourage tout
pécheur véritablement contrit à espérer son pardon avec assurance par les
mérites de Jésus-Christ. Pauvre pécheur, lui dit-il, ne mesure point l'espérance
d'obtenir le pardon de tes fautes à la grandeur de ton repentir, car toutes tes
oeuvres ne peuvent te le mériter; mais mesure-la aux souffrances de ton divin
Rédempteur, qui a surabondamment satisfait pour toi. Ô Sauveur du monde! dans
vos chairs déchirées par les fouets, les épines et les clous, je reconnais votre
amour pour moi et l'ingratitude que j'aie eue de répondre par tant d'injures à
tant de bienfaits! Mais votre sang est mon espérance puisque c'est au prix de
votre sang que vous m'avez délivré de l'enfer autant de fois que je l'ai mérité.
Ah! qu'en serait-il de moi pour toute l'éternité, si vous n'aviez pensé à me
sauver par votre mort? Malheureux que je suis! je savais qu'en perdant votre
grâce, je me condamnais moi-même à rester à jamais, sans espoir, éloigné de vous
en enfer, et j'ai souvent osé vous tourner le dos! Mais, je le répète, votre
sang est mon espérance. Ah! que ne suis-je mort sans vous avoir jamais offensé!
Ô bonté infinie, je méritais d'être aveuglé, et vous m'avez éclairé de nouvelles
lumières; je méritais d'être endurci et vous m'avez attendri et touché de
componction, au point que j'abhorre maintenant plus que la mort les injures que
je vous ai faites, et que je me sens un grand désir de vous aimer! Ces grâces
que j'ai reçues de vous, me donnent l'assurance que vous m'avez pardonné et que
vous voulez me sauver. Ô mon Jésus! qui pourrait cesser encore de vous aimer, et
aimer autre chose que vous? Je vous aime, mon Jésus! et je me confie en vous;
augmentez cette confiance et cet amour, afin que désormais j'oublie tout et ne
pense plus qu'à vous aimer et à vous plaire.
Ô Marie, Mère de Dieu, obtenez-moi la grâce d'être fidèle à
Jésus, votre Fils et mon Rédempteur!
CHAPITRE III
SUR LA FLAGELLATION,
LE COURONNEMENT D'ÉPINES ET LE CRUCIFIEMENT
- I -
La flagellation
Saint Paul dit que Jésus-Christ s'est abaissé jusqu'à prendre
la forme de serviteur (Ph 2, 7). Sur ce texte, saint Bernard fait la réflexion
suivante: « Notre divin Rédempteur, qui est le Maître de l'univers, ne s'est pas
contenté de prendre la condition de serviteur; il a voulu paraître mauvais
serviteur, et d'expier ainsi nos fautes ».
Il est certain que la flagellation fut le plus cruel des
tourments que notre Sauveur eut à souffrir et celui qui abrégea le plus sa vie;
car la principale cause de sa mort, ce fut la perte de son sang, qu'il devait
répandre jusqu'à la dernière goutte selon ce qu'il avait prédit (Mt 26, 28). Ce
précieux Sang, il est vrai, avait déjà coulé dans le jardin des Olives; il coula
encore dans le couronnement d'épines et le crucifiement; mais la plus grande
partie en fut répandue dans la flagellation. En outre, ce supplice fut
extrêmement humiliant pour Jésus-Christ, parce qu'il n'était infligé qu'aux
esclaves, conformément à la loi romaine. C'est pourquoi les tyrans, après avoir
prononcé leur sentence contre les Martyrs, ordonnaient qu'ils fussent flagellés
avant d'être mis à mort; mais Notre-Seigneur fut flagellé avant sa condamnation.
Il avait prédit pendant sa vie, à ses disciples en particulier, qu'il subirait
cette peine ignominieuse (Lc 18, 32), et il leur donnait à entendre combien elle
devait être douloureuse pour lui.
Il a été révélé à sainte Brigitte qu'un de ses bourreaux
ordonna d'abord à Jésus de se dépouiller lui-même de ses vêtements; il obéit et
embrassa ensuite la colonne, où il fut lié; on le flagella si cruellement que
son corps fut tout déchiré. La révélation ne dit pas simplement qu'on frappait,
mais qu'on sillonnait ses chairs sacrées. Les coups portèrent jusque sur la
poitrine, au point que les côtes furent mises à découvert. Tout cela est
conforme à ce que dit saint Jérôme, ainsi que saint Pierre Damien qui assure que
les bourreaux frappèrent Notre-Seigneur jusqu'à ce que les forces leur
manquèrent. Isaïe avait tout prédit par un mot: « Il sera brisé (ou broyé) à
cause des fautes des autres » (Is 53, 5).Me voici, mon Jésus! je suis un de vos
plus cruels bourreaux; je vous ai flagellé par mes péchés: ayez pitié de moi. Ô
mon aimable Sauveur, c'est peu d'un cœur pour vous aimer. Je ne veux plus vivre
pour moi-même, mais pour vous seul, mon Amour, mon Tout! Je vous dirai donc avec
sainte Catherine de Gênes: « Ô Amour! ô Amour! plus de péchés! » Oui, mon Jésus!
je vous ai offensé; maintenant, j'ai la confiance que je suis à vous et,
moyennant votre grâce, je veux être à vous pour toujours, pour toute l'éternité.
– II –
Le couronnement d'épines
La Mère de Dieu a encore révélé à sainte Brigitte que la
couronne d'épines ceignait la tête sacrée de son Fils jusqu'au milieu du front,
et que les épines furent si violemment enfoncées que le sang ruissela sur toute
la face, de telle sorte qu'elle en parut toute couverte.
Origène dit que cette horrible couronne ne fût ôtée de la
tête de Notre-Seigneur qu'après qu'il eût expiré. Cependant, le vêtement
intérieur de Jésus n'avait point de couture, il était d'un seul tissu; c'est
pour cette raison que les soldats ne le partagèrent point entre eux comme ses
autres vêtements, mais le tirèrent au sort, ainsi que l'atteste saint Jean (Jn
19, 23). Cette tunique devant donc se tirer du côté de la tête, il est très
probable, selon plusieurs auteurs, qu'on ôta la couronne à Jésus pour faire
passer la tunique, et qu'on la lui remit ensuite avant de le clouer sur la
croix.
On lit dans la Genèse: « La terre sera maudite à cause de ton
oeuvre; elle te produira des épines et des ronces » (Gn 3, 17). C'est Dieu qui a
prononcé cette malédiction contre Adam et contre toute sa postérité; en cet
endroit, par la terre, encore la chair humaine qui, infectée par la faute de
notre premier père, ne produit plus que des épines de péchés. Pour remédier à
cette corruption de la chair, dit Tertullien, il a fallu que Jésus-Christ offrit
à Dieu en sacrifice cette affreuse torture du couronnement d'épines.
Ce tourment, déjà si douloureux, fut encore aggravé par
d'autres mauvais traitements que rapportent saint Matthieu et saint Jean. Les
soldats avaient déshabillé de nouveau leur innocente victime, et lui avaient
jeté sur les épaules un haillon de couleur rouge. Jésus, étant couronné
d'épines, ils lui mirent un roseau en guise de sceptre; puis ils fléchirent le
genou devant lui, par dérision, en le saluant Roi des Juifs. Ils lui crachaient
ensuite au visage, et prenaient le roseau pour lui en frapper la tête; ils lui
donnaient aussi des soufflets (Mt 27, 28; Jn 19, 3).Ô mon Jésus! combien
d'épines n'ai-je pas ajoutés à cette couronne pour toutes les mauvaises pensées
auxquelles j'ai consenti! Je voudrais en mourir de douleur; pardonnez-moi, par
les mérites de ce tourment même que vous avez voulu souffrir pour me pardonner.
Ah! mon doux Seigneur, que je sois si maltraité et si humilié, vous endurez tant
de douleurs et tant d'opprobres pour me toucher, afin que je vous aime au moins
par compassion, et que je cesse de vous offenser. C'est assez, mon Jésus! ne
souffrez pas davantage; je suis persuadé de votre amour pour moi, et je vous
aime de toute mon âme! Mais que vois-je? vous n'êtes pas encore satisfit; vous
ne serez rassasié de souffrances que lorsque vous serez mort de douleur sur la
croix. Ô Bonté, ô Charité infinie! qu'il est malheureux, le cœur qui ne vous
aime pas!
- III -
Jésus porte sa croix
La croix commença à faire souffrir notre Sauveur avant qu'il
y fût cloué; car, après la sentence prononcée par Pilate, on l'obligea à la
porter jusqu'au Calvaire, où il devait mourir; et Jésus, sans résister, la
chargea sur ses épaules (Jn 19, 17). Saint Augustin fait ici cette réflexion:
« Si l'on considère la cruauté dont on usa envers Jésus-Christ, en le forçant de
porter lui-même l'instrument de son supplice, ce fut une grande ignominie; mais,
si l'on considère l'amour avec lequel ce divin Maître embrassa sa croix, ce fut
un grand mystère »; car, en portant sa croix, il a voulu, comme notre Chef,
arborer l'étendard sous lequel devaient s'enrôler et combattre ceux qui
voudraient le suivre, pour conquérir avec lui le royaume des cieux.
« Il a reçu l'empire sur les épaules » (Is 9, 5). Sur ce
passage d'Isaïe, où le Prophète annonce que le Messie portera sur son épaule la
marque de principauté, saint Basile observe que, tandis que les tyrans, pour
accroître leur puissance, surchargent injustement leurs sujets, Jésus-Christ a
voulu se charger de sa croix et la porter lui-même pour y sacrifier sa vie, afin
de nous procurer le salut. Remarquons en outre que les rois de la terre fondent
leur principauté sur la force des armes et l'accumulation des richesses;
Notre-Seigneur, au contraire, a fondé la sienne sur la croix, c'est-à-dire, sur
l'humiliation et la souffrance; et il s'est soumis volontairement à porter sa
croix sur le chemin douloureux du Calvaire, pour nous encourager par son
exemple, et pour engager chacun de nous à se charger de sa croix avec
résignation et à le suivre, comme il le dit à tous ses disciples (Mt 16, 24).
Notons ici les beaux titres que saint Jean Chrysostome donne
à la Croix dans son homélie sur ce sujet. Il l'appelle:
L'Espérance des chrétiens et Le Salut des désespérés. Quelle
espérance de salut auraient eu les pécheurs sans la croix sur laquelle
Jésus-Christ est mort pour les sauver?
Le Guide des navigateurs. L'humiliation qui vient de la
croix, c'est-à-dire de l'adversité, nous fait obtenir dans cette vie, qui
ressemble à une mer remplie d'écueils, la grâce d'observer la loi de Dieu, et de
nous amender lorsque nous l'avons transgressée, selon ce que dit le Psalmiste:
« Seigneur, c'est un bien pour moi que vous m'ayez humilié, afin que j'apprenne
à garder vos commandements » (Ps 118, 71).
Le Conseiller des Justes. L'adversité éclaire les justes et
les porte à s'unir plus étroitement à Dieu.
Le Repos des affligés. Où, en effet, ceux qui sont affligés
trouvent-ils plus de consolation que dans la croix, sur laquelle ils voient
mourir de douleur, pour l'amour d'eux, leur Rédempteur et leur Dieu?
La Gloire des Martyrs. Ce qui fait la gloire des Saints
Martyrs, c'est d'avoir pu unir leurs souffrances et leur mort aux souffrances et
à la mort de Jésus-Christ sur la croix. Aussi l'Apôtre disait-il qu'il ne
voulait point être glorifié autrement (Ga 6, 14).
Le Remède dans les maladies. Oh! quel heureux remède que la
croix pour bien des personnes atteintes de maladies spirituelles! Les
tribulations les font rentrer en elles-mêmes et les détachent du monde.
La Source qui désaltère ceux qui ont soif. La croix,
c'est-à-dire, souffrir pour Jésus-Christ, c'est le désir, la soif des saints.
Sainte-Thérèse disait: « Ou souffrir, ou mourir! » Sainte Marie-Madeleine de
Pazzi allait plus loi, et s'écriait: « Souffrir, et ne pas mourir! » comme si
elle eût refusé de mourir et d'aller jouir du paradis, pour souffrir plus
longtemps sur la terre.
Du reste, généralement parlant, juste ou pécheur, chacun a sa
croix. Quoique les justes jouissent de la paix du cœur, ils ont néanmoins leurs
vicissitudes: ils sont tantôt consolés par les douces visites du Seigneur, et
tantôt affligés par les contrariétés, les infirmités corporelles, et les dégoûts
spirituels, par les scrupules, les tentations, et les craintes pour leur salut.
Mais la croix des pécheurs est beaucoup plus pesante, à cause des remords de
leur conscience, des terreurs qui les saisissent quand ils songent aux peines
éternelles, et des tourments qu'ils éprouvent dans les adversités. Les saints,
dans l'adversité, se résignent à la volonté divine, et supportent tout
patiemment; mais le pécheur, comment pourra-t-il trouver le repos dans la
résignation à la volonté de Dieu, s'il est ennemi de Dieu? Les peines des
ennemis de Dieu sont des peines sans mélange, sans consolation. C'est ce qui
faisait dire à sainte Thérèse que celui qui aime Dieu embrasse sa croix de bon
cœur et ne la sent pas, tandis que celui qui n'aime pas Dieu traîne la sienne
par force et ne peut ainsi ne la sentir que trop.
- IV -
Le crucifiement
D'après les révélations faites à sainte Brigitte, quand notre
Sauveur se vit sur la croix, il étendit de lui-même sa main droit à l'endroit où
elle devait être clouée. Les bourreaux clouèrent ensuite sa main gauche, et
enfin ses pieds sacrés; après quoi, ils laissèrent Jésus mourir sur ce lit de
douleur. Saint Augustin dit que le supplice de la croix était extrêmement cruel,
parce qu'il rendait la mort la plus lente, afin de prolonger la douleur.
Ô ciel! quel spectacle de voir le Fils du Père éternel
crucifié entre deux criminels! C'est là précisément ce qu'Isaïe avait prédit (Is
53, 12). Saint Jean Chrysostome, considérant Jésus en croix, s'écrie avec
admiration et amour: « Je vois mon Sauveur dans le ciel entre le Père et le
Saint-Esprit; je le vois sur le mont Thabor entre deux Saints, Moïse et Élie; et
comment le vois-je maintenant crucifié sur le Calvaire entre deux voleurs? »
Mais cela devait être ainsi; car, selon le décret divin, c'est ainsi qu'il
devait mourir, pour expier par sa mort les péchés des hommes et les sauver,
conformément à la prophétie d'Isaïe.
Le même Prophète fait cette question: « Quel est cet homme si
beau et si fort, qui vient d'Édom, les vêtements couleur de sang? » (Is 63, 3).
Édom marque la couleur rouge, mais un peu foncée, comme on le voit dans la
Genèse (Gn 25, 30). Cette demande est suivie d'une réponse, et, d'après les
interprètes, c'est Notre-Seigneur qui parle: « C'est moi qui professe la
justice, et qui me montre grand pour sauver » (Is 63, 1).
Le Prophète interroge de nouveau: « Pourquoi donc vos
vêtements sont-ils rouges, comme les habits de ceux qui foulent le vin dans le
pressoir au temps de la vendange? » (Is 63, 2). Et le Seigneur répond: « J'ai
été seul à fouler le vin; aucune homme ne s'est trouvé avec moi » (Is 63, 3).
Par ce pressoir, Tertullien, saint Cyprien et saint Augustin entendent la
Passion de Jésus-Christ, dans laquelle son vêtement, c'est-à-dire sa chair
sacrée fut tout couvert de sang et de plaies, selon ce que dit saint Jean dans
l'Apocalypse: « Le manteau qui l'enveloppe est trempé de sang; et son nom? Le
Verbe de Dieu » (Ap 19, 13). Saint Grégoire dit que, dans ce pressoir dont parle
Isaïe, notre Sauveur a été foulé et a foulé. Il a foulé parce que, dans sa
passion, il a vaincu les démons; et il a été foulé, parce que son corps adorable
a été brisé dans les tourments comme le raisin dans le pressoir, suivant cet
autre texte du même Prophète, déjà cité: « Yahvé s'est plu à l'écraser par la
souffrance » (Is 53, 10).
Voilà donc ce divin Maître, qui était « le plus beau des
hommes » (Ps 44, 3), le voilà, sur le Calvaire, tellement défiguré à force de
tortures, qu'il fait horreur à qui le regarde. Mais il en paraît d'autant plus
beau aux yeux des âmes dont il est aimé; car ces plaies, ces meurtrissures, ces
chairs déchirées, sont autant de marques, autant de preuves de son amour pour
nous. Écoutons un poète exprimer fort bien ce sentiment:
Lorsqu'on te considère, ô Sauveur de mon âme,
Si maltraité pour nous par la main du bourreau,
Le cœur reconnaissant de ton amour s'enflamme;
Plus on t'a déchiré, plus tu nous sembles beau.
Mais, ajoute saint Augustin, ce que Notre-Seigneur perd en
beauté, nous le gagnons. En effet, c'est la difformité de Jésus crucifié qui
fait la beauté de nos âmes. Elles étaient toutes défigurées; mais, lavées dans
son sang divin, elles deviennent toutes pures et toutes belles, selon ce qu'on
lit dans l'Apocalypse (Ap 7, 13). Tous les Saints, comme enfants d'Adam, excepté
la Bienheureuse Vierge, ont été quelque temps couverts d'une robe souillée du
péché de leur premier père et de leurs propres fautes; mais, purifiée par le
sang de l'Agneau, elle est devenue toute blanche et agréable aux yeux de Dieu.
Vous aviez donc raison de dire, ô mon Jésus! qu'une fois élevé en croix, vous
attireriez tout à vous (Jn 12, 32). Assurément, vous n'avez rien omis pour
gagner l'affection de tous les cœurs. Aussi, combien d'âmes heureuses, en vous
voyant crucifié et mort pour leur amour, ont tout abandonné, richesses,
dignités, patrie, parents, et ont osé bravé les tortures et la mort, pour se
donner entièrement à vous! Malheur à ceux qui rejettent les grâces que vous leur
avez procurées par tant de travaux et de douleurs! Ah! leur plus grand tourment
dans l'enfer, ce sera de penser qu'ils ont eu un Dieu qui, pour les attirer à
son amour, a donné sa vie sur une croix, et qu'eux, de leur plain gré, ils ont
voulu se perdre, se vouer à une ruine irréparable à jamais, durant toute
l'éternité. Eh quoi, mon doux Rédempteur, j'ai moi-même mérité de tomber dans ce
malheur, pour les offenses que je vous ai faites! Combien de fois n'ai-je pas
résisté à votre grâce, par laquelle vous cherchiez à m'attacher à vous! Combien
de fois, méprisant votre amour, ne vous ai-je pas tourné le dos, pour suivre mes
inclinations! Ah! que ne suis-je mort plutôt que de vous offenser! que ne vous
ai-je toujours aimé! Je vous rends grâce, ô mon Amour! de m'avoir supporté avec
tant de patience, et même, au lieu de m'abandonner comme je le méritais, d'avoir
multiplié envers moi vos invitations, vos traits de lumière, et vos
miséricordieuses inspirations. Je vous en remercierai éternellement: « L'amour
du Seigneur, à jamais je le chante » (Ps 88, 2). Mon Sauveur et mon Espérance!
je vous en conjure, ne cessez pas de m'attirer à vous et de me fortifier de plus
en plus par le secours de vos grâces, afin que dans le ciel je puisse vous aimer
avec plus d'ardeur, en me rappelant tant de miséricordes que vous m'avez faites,
après tant de déplaisirs que je vous ai donnés. J'espère tout par les mérites de
ce sang précieux que vous avez répandu et de cette mort douloureuse que vous
avez endurée pour moi. Sainte Vierge Marie, protégez-moi, priez pour moi!
- V -
Jésus en croix
Jésus en croix fut un spectacle qui remplit d'étonnement le
ciel et la terre: voir un Dieu tout-puissant, Maître de l'univers, condamné
comme un malfaiteur et mourant sur un gibet infâme entre deux malfaiteurs! Ce
fut un spectacle de justice: le Père Éternel, voulant que sa justice soit
satisfaite, punit les péchés des hommes dans la personne de son Fils unique
qu'il aime autant que lui-même. Ce fut un spectacle de miséricorde: ce Fils
innocent subit une mort si cruelle et si ignominieuse pour sauver ses créatures
coupables. Ce fut surtout un spectacle d'amour: un Dieu offre et donne sa vie
pour racheter des esclaves qui sont ses ennemis.
Ce spectacle a toujours été et sera toujours l'objet favori
de la contemplation des saints; c'est ce qui leur a fait compter pour peu de se
priver de tous les biens et de tous les plaisirs terrestres, et d'accepter avec
empressement et avec joie toutes les peines et la mort même, afin de témoigner
quelque reconnaissance envers ce Dieu mort pour leur amour.
Fortifiés en voyant Jésus méprisé sur la croix, les saints
aiment les mépris plus que les mondains n'aiment les honneurs du monde. En
voyant Jésus mourir nu sur la croix, ils cherchent à se dépouiller de tous les
biens de la terre. en le voyant tout en plaies, le sang dégouttant de tous ses
membres, ils ont horreur des plaisirs sensuels et ne pensent qu'à affliger leur
chair le plus qu'ils peuvent, afin de s'unir par leurs souffrances à Jésus
crucifié. En voyant comment Jésus obéit et se conforme en tout à la volonté de
son Père, ils s'efforcent de vaincre toutes leurs inclinations peu conformes au
bon plaisir du Seigneur. Beaucoup d'entre eux, quoique adonnés aux oeuvres
piété, sachant néanmoins que, renoncer à sa propre volonté, c'est le sacrifice
le plus agréable au cœur de Dieu, prennent le parti d'entrer en religion pour
mener une vie d'obéissance, en soumettant leur volonté propre à celle d'un
autre. En voyant la patience avec laquelle Jésus endure tant de tourments et
d'opprobres pour l'amour de nous, ils supportent avec résignation, et même avec
joie, les injures, les maladies, les persécutions, et toutes les cruautés des
tyrans. En voyant enfin l'amour que Jésus-Christ nous témoigne dans le sacrifice
qu'il fait pour nous de sa vie sur la croix, ils sacrifient à Jésus-Christ tout
ce qu'ils ont biens, plaisirs, honneurs, vie.
Et comment se fait-il après cela que tant d'autres chrétiens,
quoique sachant et croyant que Jésus-Christ est mort pour eux, au lieu de se
consacrer sans réserve à son service et à son amour, ne font que l'offenser et
le mépriser pour des satisfactions viles et passagères? d'où vient une telle
ingratitude? De ce qu'ils perdent le souvenir de la passion et de la mort de
Jésus-Christ. Mais hélas! quels seront leurs remords et leur confusion au jour
du jugement, quand le Seigneur leur reprochera en face tout ce qu'il a fait et
souffert pour eux!
Pour nous, âmes dévotes, ne cessent point d'avoir devant les
yeux Jésus crucifié, expirant au milieu de tant de douleurs et d'ignominies pour
notre amour. Tous les Saints ont puisé dans la passion de Jésus-Christ cette
ardente charité qui leur a fait mépriser tous les biens d'ici-bas, jusqu'à
s'oublier eux-mêmes, pour ne penser qu'à aimer et à servir ce bon Maître, lequel
a témoigné tant d'amour aux hommes qu'il semble ne pouvoir rien faire de plus
pour gagner leur affection. En un mot, c'est la croix, ou la passion de notre
Sauveur, qui nous procurera la victoire sur toutes nos passions et sur tous les
efforts que fera l'enfer pour nous séparer de Dieu. La croix est le chemin et
l'échelle pour monter au ciel. Heureux celui qui embrasse la croix pendant sa
vie et y demeure attaché jusqu'à sa mort! Celui qui meurt en embrasant la croix
a un gage assuré de la vie éternelle promise à tous ceux qui portent leur croix
à la suite de Jésus-Christ.
Mon Jésus crucifié! vous n'avez rien épargné pour vous faire
aimer des hommes; vous êtes allé jusqu'à sacrifier votre vie par une mort si
cruelle; comment donc ces hommes, qui aiment leurs parents, leurs amis, et même
les animaux dont ils reçoivent quelque signe d'affection, vous montrent-ils de
l'ingratitude au point de mépriser votre grâce et votre amour pour s'attacher à
des biens si méprisables et si faux? Hélas! je suis moi-même un de ces
malheureux ingrats! Pour des choses de néant, j'ai renoncé à votre amitié et je
vous ai tourné le dos! Je mériterais d'être chassé de votre présence comme je
vous ai chassé de mon âme; mais j'entends que vous continuez à me demander mon
cœur. Oui, mon Jésus, puisque vous désirez encore que je vous aime, et que vous
m'offrez mon pardon, je renonce à toutes les créatures, et je ne veux plus aimer
que vous seul, mon Créateur et mon Rédempteur! Vous serez désormais l'unique
amour de mon âme.
Ô Marie, Mère de Dieu! ô Refuge des pécheurs, priez pour moi,
obtenez-moi la grâce d'aimer Dieu, et je ne vous demande plus rien!
CHAPITRE IV
SUR LES SARCASMES ESSUYÉS PAR JÉSUS SUR LA CROIX
- I -
Agonie de Jésus sur la Croix
L'orgueil, comme nous l'avons dit, a été la cause du péché
d'Adam et, par conséquent, de la perte du genre humain; c'est pourquoi
Jésus-Christ a voulu réparer ce malheur par son humilité, en acceptant sans
résistance la confusion et tous les opprobres que ses ennemis lui préparaient,
ainsi qu'il l'avait prédit par la bouche de David (Ps 68, 8). Toute la vie de
notre divin Rédempteur fut pleine de confusions et de mépris qu'il reçut des
hommes; et il ne refusa point de les souffrir jusqu'à la mort, afin de nous
délivrer de la confusion éternelle (He 12, 2).
Qui ne pleurerait d'attendrissement, et qui n'aimerait pas
Jésus-Christ, si chacun considérait tout ce qu'il a souffert durant ses trois
heures d'agonie sur la croix? Tous ses membres étaient blessés et souffrants;
l'un ne pouvait secourir l'autre. Cruellement affligé sur ce lit de douleur,
Notre-Seigneur ne pouvait changer de position, ayant les mains et les pieds
cloués. Toutes ses chairs sacrées étaient en plaies, mais les blessures de ses
mains et de ses pieds, qui devaient soutenir tout son corps, étaient les plus
douloureuses; s'il voulait s'appuyer, soit sur les mains, soit sur les pieds, il
y éprouvait des douleurs plus vives. On peut bien dire que Jésus endura autant
de morts qu'il y eut d'instants dans ces trois heures d'agonie. Ô innocent
Agneau, qui souffrez tant pour moi, ayez pitié de moi!
Telles étaient les souffrances corporelles de notre Sauveur,
et c'étaient les moindres; ses peines intérieures étaient encore bien plus
grandes. Son âme bénie était toute désolée, privée de toute consolation ou de
tout soulagement possible; elle n'éprouvait qu'ennui, tristesse, et affliction.
C'est ce qu'il a voulu faire entendre par ces paroles: « Mon Dieu! mon Dieu!
pourquoi m'avez-vous abandonné? » (Mt 27, 46). Et c'est comme submergé dans cet
abîme de douleurs, intérieures et extérieures, que l'aimable Jésus a voulu finir
sa vie, conformément à la prophétie de David: « Je suis entré dans l'abîme des
eaux et le flot me submerge » (Ps 68, 3).
- II -
Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix (Mt 27,
40)
Tandis que notre divin Rédempteur agonisait ainsi sur la
croix et qu'il approchait de la mort, tous ceux qui l'entouraient et passaient
devant lui, prêtres, scribes, anciens et soldats, cherchaient à l'affliger
davantage par des injures et des sarcasmes (Mt 27, 39). Ces dérisions ont encore
été prédites par le Prophète-Roi, parlant au nom du Seigneur! « Tous ceux qui me
voient me bafouent, leur bouche ricane, ils me bafouent » (Ps 21, 8).
Ils lui criaient: « C'est toi qui t'es vanté d'abattre le
Temple et de le relever en trois jours! » (Mt 27, 40). Jésus n'avait point parlé
du temple matériel, il avait dit: « Détruisez ce temple, je le rétablirai en
trois jours » (Jn 2, 19). Par ces mots, Notre-Seigneur entendait sans doute
faire connaître quelle était sa puissance, mais comme le remarquèrent Euthymius
et d'autres, c'était un langage allégorique; il prédisait que les Juifs, en lui
donnant la mort, sépareraient un jour son âme de son corps, mais que, trois
jours après, il ressusciterait.
Ils ajoutaient: « Que ne te sauves-tu toi-même! » (Mt 27,
40). Hommes ingrats! si le Fils de Dieu, après s'être fait homme, avait voulu se
sauver lui-même, il ne se serait pas volontairement dévoué à la mort.
Ils disaient encore: « Si tu es le Fils de Dieu, descends de
la croix » (Mt 27, 43). Mais, si Jésus était descendu de la croix, sans
accomplir par sa mort l’œuvre de sa mort, nous n'eussions pas été délivrés de la
mort éternelle; c'est pour notre salut qu'il a voulu mourir sur ce gibet infâme,
dit saint Ambroise. Selon Théphlylacte, les Juifs parlaient ainsi à
l'instigation du démon, qui cherchait à empêcher notre salut que Jésus-Christ
devait procurer par la croix. Mais, ajoute-t-il, Notre-Seigneur en serait pas
monté sur la croix, s'il avait voulu en descendre sans consomme notre
rédemption.
Saint Jean Chrysostome pense que l'intention des Juifs dans
ce défi, était de faire en sorte que Jésus-Christ mourût déshonoré aux yeux de
tout le monde comme un imposteur, convaincu de ne pouvoir se détacher de la
croix, après s'être vanté d'être le Fils de Dieu. Mais ils se trompaient, selon
ce qu'ajoute le saint Docteur; car, si Jésus était descendu de la croix sans y
laisser sa vie, il n'eût pas été ce Fils de Dieu qui nous était promis comme
devant nous sauver par sa mort sur la croix; ce n'est qu'à cette fin qu'il était
venu en ce monde. Cette dernière réflexion est faite également par saint
Athanase; il dit que notre Rédempteur a voulu se faire reconnaître pour le vrai
Fils de Dieu, non en descendant de la croix, mais en y restant jusqu'à sa mort;
puisque les Prophètes avaient annoncé qu'il devait mourir crucifié, comme
l'atteste ce passage de saint Paul: « Jésus-Christ nous a rachetés de la
malédiction de la loi, s'étant rendu lui-même malédiction pour nous, selon qu'il
est écrit: Maudit celui qui est pendu au bois » (G 3, 13).
- III -
Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même.
(Mt 27, 42)
Saint Matthieu continue de rapporter les propos injurieux que
les Juifs tenaient contre Jésus crucifié. Ils lui reprochaient d'avoir sauvé les
autres, et de pouvoir ne se sauver lui-même. En parlant ainsi, ils l'accusaient
d'imposture quant aux miracles qu'il avait opérés pour rendre la vie à plusieurs
morts, et en outre d'impuissance à conserver sa propre vie.
Saint Léon leur rapporte que ce n'était pas alors le moment
pour le Sauveur, de manifester sa divine puissance, et qu'il ne devait pas
négliger la rédemption des hommes pour empêcher les blasphèmes de ces insensés.
Voici, d'après saint Grégoire, un autre motif pour lequel
Jésus-Christ n'a pas voulu descendre de la croix. Il pouvait se soustraire au
supplice de la croix et à tous ces outrages, mais ce n'était pas le temps
opportun pour faire éclater sa puissance; c'était celui de nous enseigner la
patience dans les peines et la résignation à la volonté de Dieu. De même, saint
Augustin nous dit que Jésus-Christ n'a pas voulu se préserver de la mort,
d'abord pour accomplir la volonté de son Père, et ensuite pour ne pas nous
priver de ce grand exemple de patience.
La patience que Notre-Seigneur exerça sur la croix, en
supportant la confusion de tant d'injures que les Juifs lui ont faites ou dites,
nous a valu la grâce de souffrir patiemment et en paix les humiliations et les
persécutions du monde. Aussi l'Écriture, en parlant de Jésus chargé de sa croix
sur le chemin du Calvaire, nous invite à le suivre et à nous unir à lui dans ses
ignominies (He 13, 13). Les saints, en recevant les injures, loin de penser à se
venger et de se troubler, se réjouissent de se voir méprisés comme Jésus-Christ
l'a été. Ne rougissons donc point d'embrasser, pour l'amour de Jésus-Christ, les
humiliations que nous recevons, puisque Jésus-Christ en a tant subi pour l'amour
de nous. Mon doux Rédempteur! je n'ai point fait ainsi par le passé, mais à
l'avenir, je veux tout supporter pour votre amour, donnez-moi la force
d'exécuter cette résolution.
- IV -
Si Dieu l'aime, qu'il le délivre maintenant. (Mt 27, 43)
Non contents de proférer des injures et des blasphèmes contre
Jésus-Christ, les Juifs osèrent en outre s'attaquer à Dieu le Père: « Il met sa
confiance en Dieu, s'écriaient-ils; si donc Dieu l'aime, qu'il le délivre
maintenant, puisqu'il a dit: Je suis le Fils de Dieu » (Mt 27, 43).
Ce discours sacrilège tenu par les Juifs avait été exactement
prédit par David (Ps 21, 9). Or, ceux qui parlaient ainsi, le Prophète-Roi les
appelle, dans le même Psaume, des Taureaux, des Chiens et des Lions. Lors donc
que les Juifs prononçaient ces mots rapportés par saint Matthieu; ils montraient
manifestement eux-mêmes qu'ils étaient les taureaux, les chiens et les lions
prédits par David.
Ces blasphèmes des Juifs contre le Sauveur et contre Dieu
avaient été annoncés encore plus expressément par le Sage, en ces termes: « Il
assure qu'il a la science de Dieu, et il s'appelle le Fils de Dieu, et il se
glorifie d'avoir Dieu pour Père. S'il est véritablement le Fils de Dieu, Dieu
prendra sa défense, et il le délivrera des mains de ses ennemis. Interrogeons-le
par les outrages et les tourments, afin que nous reconnaissions quelle est sa
douceur, et que nous fassions l'épreuve de sa patience; condamnons-le à la mort
la plus infâme ». (Sg 2, 13-18).
Les Princes des Prêtres étaient poussés par la haine et par
l'envie à humilier Jésus-Christ; mais, en même temps, ils n'étaient pas exempts
de crainte d'un grand châtiment, ne pouvant nier les miracles opérés par le
Sauveur. Tous les prêtres et les chefs de la Synagogue étaient donc en proie à
une vive inquiétude, et ils voulurent assister en personne à sa mort afin que sa
mort les délivrât de la crainte qui les tourmentait. Lorsqu'ils le virent
attachés à la croix sans que Dieu son Père vint à son secours, ils conçurent une
audace toujours croissante et se mirent à lui reprocher son impuissance et la
présomption qu'il avait eue de se faire passer pour le Fils de Dieu. Ils
disaient alors, comme nous l'avons vu: « Puisqu'il se confie en Dieu, et qu'il
le nomme son Père, pourquoi maintenant Dieu ne le sauve-t-il pas, s'il l'aime
comme son Fils? » (Mt 27, 43). Mais, dans leur malice, ils se trompaient
grossièrement; car Dieu aimait Jésus-Christ, et l'aimait comme son Fils; et il
l'aimait précisément parce qu'il sacrifiait sa vie sur la croix pour le salut
des hommes, par obéissance envers son Père. C'est ce que Notre-Seigneur avait
déclaré lui-même: « Je donne ma vie pour mes brebis... Si le Père m'aime, c'est
que je donne ma vie » (Jn 10, 14. 17). Dieu le Père l'avait destiné pour être la
victime de ce grand sacrifice qui devait lui procurer une gloire infinie, cette
victime étant un Homme-Dieu, et opérer en même temps le salut de tous les
hommes. Si le Père éternel avait préservé son Fils de la Mort, le sacrifice
serait resté incomplet; ainsi, Dieu eût été privé de cette gloire, les hommes
n'eussent point obtenu leur salut.
- IV -
Jésus a souffert les humiliations; pour nous sauver,
nous devons l'imiter.
Tertullien observe que tous les opprobres endurés par notre
Sauveur sont un mystère de Salut, qui répare au genre humain le dommage causé
par l'orgueil. Et en parlant des outrages faits à Jésus sur la croix, il dit que
ce fut une injustice et une indignité par rapport à lui, mais une chose
nécessaire pour nous; ce qui les rendait dignes aux yeux d'un Dieu qui voulait
tout souffrir pour sauver l'homme.
Rougissons donc, nous qui nous vantons d'être disciples de
Jésus-Christ, de recevoir avec impatience les humiliations qui nous viennent des
hommes, puisqu'un Dieu fait homme les souffre avec tant de patience pour notre
salut; et ne rougissons pas, au contraire, d'imiter ce divin Maître, en
pardonnant à ceux qui nous offensent; car il déclare qu'au jour du jugement, il
rougira de ceux qui auront rougi de lui pendant leur vie (Lc 9, 26).Mon Jésus!
comment pourrais-je me plaindre d'un affront que je reçois, moi qui ai tant de
fois mérité d'être foulé aux pieds des démons dans l'enfer? Ah! par le mérite de
tant d'outrages que vous avez soufferts dans votre passion, accordez-moi la
grâce de supporter patiemment tous ceux qui me seront faits, et cela pour
l'amour de vous qui en avez tant supporté pour l'amour de moi! Je vous aime
par-dessus toutes choses et je désire souffrir pour vous qui avez tant soufferts
pour moi. J'espère tout de vous qui m'avez racheté au prix de votre sang, et
j'espère aussi toutes les grâces par votre intercession, ô Marie, ma charitable
Mère!
CHAPITRE V
SUR LES SEPTS PAROLES PRONONCÉES
PAR JÉSUS-CHRIST SUR LA CROIX
- I -
Mon Père! pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils
font!
(Lc 23, 34)
Ô tendresse de l'amour de Jésus-Christ envers les hommes!
Saint Augustin observe que le Sauveur demanda pardon pour ses ennemis dans le
moment même où il était maltraité par eux, considérant moins les injures et la
mort reçues que l'amour qui le faisait mourir pour eux.
Mais, dira-t-on, pourquoi Jésus pria-t-il son Père de
pardonner à ses ennemis, alors qu'il pouvait leur remettre lui-même les injures
qu'il en recevait? Ce fut, répond saint Bernard pour nous apprendre à prier pour
ceux qui nous persécutent. Chose admirable, dit ailleurs le même Saint, Jésus
criait: « Pardonnez-leur! » et les Juifs: « Crucifiez-le! » Arnauld de Chartres
ajoute: « Tandis que Jésus s'efforçait de sauver les Juifs, ceux-ci
travaillaient à leur damnation; mais, auprès de Dieu, la charité de son divin
Fils l'emporta sur l'aveuglement de ce peuple ingrat ».
Saint Cyprien fait cette réflexion: « Jésus-Christ eut, en
mourant, un si grand désir de sauver tous les hommes qu'il voulut faire
participer aux mérites de son sang ceux-là mêmes qui le faisaient couler à force
de tourments ». « Regarde donc ton Dieu attaché en croix, s'écrie saint
Augustin, écoute comme il prie pour ses bourreaux et ose ensuite refuser la paix
à ton frère qui t'a offensé! »
Saint Léon attribue à cette prière de Jésus-Christ la
conversation de tant de milliers de Juifs qui se rendirent à la voix de saint
Pierre, selon ce qu'on lit dans les Actes des Apôtres (Ac 2, 41; 4, 1). Dieu,
dit saint Jérôme, n'a pas permis que la prière de notre Sauveur restât sans
effet; il ouvrit à l'instant les trésors de sa miséricorde, et aussitôt beaucoup
de Juifs embrassèrent la foi. « Mais, pourquoi ne se sont-ils pas tous
convertis? On répond que la prière du Seigneur était conditionnelle; elle ne
devait s'appliquer qu'à ceux qui n'étaient pas du nombre de ces endurcis à qui
saint Étienne reprocha de résister constamment à la grâce ». (Ac 7, 51).Jésus
nous a aussi compris, nous pécheurs, dans la prière qu'il fit alors: « Ô Père
éternel! écoutez la voix de votre Fils bien-aimé, qui vous prie de nous
pardonner! Il est vrai que nous ne méritons pas cette grâce, mais Jésus la
mérite pour nous, lui qui, par sa mort, a satisfait surabondamment pour nos
péchés. Non, mon Dieu, je ne veux point m'obstiner comme les Juifs. Mon Père! je
me repens de tout mon cœur de vous avoir offensé, et je vous en demande pardon
par les mérites de Jésus-Christ ». Et vous, mon Jésus, vous savez que je suis un
pauvre malade, que je me suis même perdu par mes péchés; mais vous êtes venu du
ciel sur la terre pour guérir les malades, et sauver ceux qui se sont perdus,
dès qu'ils se repentent de leurs fautes (cf. Is 61, 1 et Mt 18, 11). Ayez donc
pitié de moi!
- II -
Je vous le dis en vérité:
Vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis (Lc 23, 43)
Saint Luc nous apprend que, des deux larrons qui furent
crucifiés avec Jésus-Christ, l'un s'endurcit dans le péché, et l'autre se
convertit. Celui-ci entendit que son malheureux compagnon injuriait le Seigneur,
en lui disant que, s'il était le Messie, il devait se sauver lui-même et les
sauver avec lui. Aussitôt il l'en reprit et protesta que, pour eux, ils étaient
punis comme ils le méritaient, mais que Jésus était innocent. Et s'adressant
ensuite au Sauveur, il le pria de se souvenir de lui dans son royaume. Par ces
paroles, il le reconnaissait pour son véritable Seigneur et pour le Roi du ciel.
Jésus lui promit alors le paradis pour ce jour-là même. Un savant auteur pense
que, par suite de cette promesse, le Sauveur se fit voir au Bon Larron à
découvert le même jour, immédiatement après sa mort, et qu'il le rendît
parfaitement heureux, bien qu'il n'eût pas la jouissance de toutes les délices
du ciel avant d'y entrer.
Arnauld de Chartres énumère toutes les vertus que saint
Dismas, cet heureux converti, exerça sur la croix au moment de sa mort: « Il
crut, il se repentit, il proclama, il aima, il eut confiance, il pria ».
Reprenons chacun de ces termes.
Il pratiqua la foi, en croyant que Jésus-Christ, après sa
mort, entrerait victorieux dans le royaume de sa gloire. Il crut au règne de
celui qu'il voyait mourir, dit saint Grégoire.
Il pratiqua la pénitence, en se reconnaissant coupable. Saint
Augustin remarque qu'il n'osa espérer le pardon de ses péchés qu'après les avoir
confessés. Par cette généreuse confession, dit saint Athanase, il s'est emparé
d'une couronne immortelle.
Ce saint pénitent donna encore de beaux exemples d'autres
vertus dans ce moment suprême. Il exerça même la prédication, en proclamant
l'innocence de Jésus-Christ.
Il exerça l'amour envers Dieu, en acceptant la mort avec
résignation, comme la peine que méritaient ses péchés. De là, saint Cyprien,
saint Jérôme, saint Augustin, n'hésitent pas à l'appeler Martyr; et, suivant la
réflexion de Silveira, il le fut en effet, car lorsque les bourreaux lui
rompirent les jambes, ils le firent avec plus de fureur et de cruauté, parce
qu'il avait reconnu l'innocence de Jésus, et le Saint accepta ce surcroît de
peine pour l'amour de son divin Maître.
D'autre part, admirons dans ce fait la bonté de Dieu, qui
donne toujours plus qu'on ne lui demande, comme le dit saint Ambroise; le pauvre
pécheur, dans sa confiance, fait cette prière à Jésus de se souvenir de lui
quand il sera dans son royaume, et le Seigneur lui promet qu'ils s'y
retrouveront ensemble ce jour-là même. Saint Jean Chrysostome remarque en outre
qu'avant le Bon Larron personne n'avait mérité la promesse du paradis. On vit
alors se vérifier ce que Dieu a déclaré par l'organe d'Ézéchiel: lorsqu'un
pécheur se repent sincèrement de ses fautes, il lui pardonne entièrement, comme
s'il avait oublié les offenses qu'il en a reçues (Ez 18, 21). Isaïe nous assure
que le Seigneur est tellement porté à nous faire du bien que, quand nous le
prions, il nous exauce aussitôt (Is 30, 19). Dieu, dit saint Augustin, est
toujours prêt à embrasser les pécheurs repentants.
Voilà comment la croix, souffert avec impatience, par le
mauvais larron, ne fit qu'augmenter son malheur dans l'enfer, tandis qu'au Bon
Larron, soufferte avec patience, elle servit d'échelle pour monter au ciel. Ô
saint pénitent! que tu as été heureux d'unir ta mort à celle de ton Sauveur! Mon
Jésus! dès à présent, je vous sacrifie ma vie, et je vous demande la grâce de
pouvoir, à l'heure de ma mort, unir le sacrifice de ma vie à celui que vous avez
offert à Dieu sur la croix, j'espère mourir dans votre grâce et en vous aimant
d'un amour pur de toute affection terrestre, pour continuer de vous aimer de
toutes mes forces pendant toute l'éternité.
- III -
Femme, voici votre fils... Voici votre Mère (Jn 19,
26-27)
On lit dans l'Évangile de saint Marc qu'il y avait sur le
Calvaire plusieurs sainte femmes qui regardaient Jésus crucifié, mais de loin (Mc
15, 40); on doit donc croire que la Mère du Sauveur se trouvait avec elles.
Cependant d'après saint Jean, la Sainte Vierge était, non pas loin, mais près de
la croix avec Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine (Jn 19, 25).
Euthymius cherche à lever la difficulté en disant que la Sainte Vierge, voyant
que son divin Fils allait bientôt expirer, s'approcha de la croix. Pour arriver
plus près de son Fils bien-aimé, elle surmonta la crainte qu'inspiraient les
soldats, et supporta patiemment toutes les insultes qu'elle eut à souffrir de la
part des hommes qui gardaient les condamnés et qui la repoussaient brutalement.
Le savant auteur d'une Vie de Jésus-Christ dit la même chose: « Il y avait là
des amis qui l'observaient de loin; mais la Sainte Vierge, sainte
MArie-Madeleine et une autre Marie se tenaient auprès de la croix avec saint
Jean. Jésus, voyant auprès de lui sa Mère et son cher disciple, leur adressa ces
paroles... » La mort douloureuse de son Fils ne peut ébranler cette Mère
incomparable, suivant la réflexion de l'abbé Gueric: "Telle est cette Mère qui
même dans la terreur de la mort ne déserte pas son Fils." Les mères fuient à la
mort de leurs enfants; les voir expirer dans pouvoir les secourir, c'est un
spectacle auquel leur tendresse ne leur permet pas d'assister; Marie, au
contraire, plus la mort de son Fils approchait, plus elle approchait de la
croix.
Cette Mère affligée était donc debout près de la croix et, de
même Jésus offrait le sacrifice de sa vie, elle offrait le sacrifice de sa
douleur pour le salut des hommes, participant avec la plus parfaite résignation
à toutes les peines et à tous les opprobres que son divin Fils souffrait en
mourant. Un auteur observe qu'on ne fait pas honneur à la constance de Marie
lorsqu'on la représente évanouie au pied de la croix; elle fut la femme forte,
qui ne faiblit pas et ne pleure pas, comme le remarque saint Ambroise.
La douleur qu'éprouva la Sainte vierge dans la passion de son
Fils surpassa tout ce que peut souffrir un cœur humain; et ce ne fut pas une
douleur stérile, comme celles des mères ordinaires à la vue d'un enfant qui
souffre, mais ce fut une douleur qui produisit de grands fruits; car, par les
mérites de ses douleurs et par sa charité, suivant la pensée de saint Augustin,
de même que Marie est la Mère naturelle de Jésus-Christ, notre Chef, elle devint
alors la Mère spirituelle des fidèles, qui sont les membres de Jésus-Christ, en
coopérant pas sa charité à les faire naître et à les rendre enfants de l'Église.
Saint Bernard dit que, sur le Calvaire, ces deux grands
Martyrs, Jésus et Marie souffraient en silence: l'excès de la douleur qui les
oppressait leur ôtait la faculté de parler. La Mère regardait son Fils agonisant
sur la croix, le Fils regardait sa Mère agonisant au pied de la croix et mourant
de compassion pour les peines qu'il endurait.
Marie et Jean étaient donc plus près de la croix que les
saintes femmes qui les accompagnaient, de sorte que, au milieu du tumulte, ils
pouvaient plus facilement entendre la voix et distinguer les regards du Sauveur.
On lit dans l'Évangile que Jésus aperçut sa Mère et son Disciple bien-aimé (Jn
19, 26). Mais si Marie et Jean étaient accompagnés d'autres personnes, pourquoi
est-il dit que Jésus aperçut sa Mère et son Disciple, comme s'il n'avait pas vu
les femmes qui les suivaient? C'est là, répond saint Pierre Chrysologue, un
effet de l'amour; on voit toujours plus clairement les être qu'on aime le plus.
Saint Ambroise exprime la même pensée. La Bienheureuse Vierge a révélé elle-même
à sainte Brigitte que Jésus, pour voir sa Mère, qui était auprès de la croix,
dut presser ses paupières avec effort, afin de dégager ses yeux du sang qui les
couvrait et lui ôtait la vue.
Jésus dit à sa Mère, en lui désignant des yeux saint Jean qui
était à côté d'elle: « Femme, voilà votre fils ». Mais pourquoi l'appela-t-il
Femme plutôt que Mère? Ce fut, peut-on répondre, parce que se trouvant près de
mourir, il lui parla en prenant congé d'elle, comme s'il eût dit: « Femme, dans
peu je serai mort; vous n'aurez plus de fils sur la terre; c'est pourquoi je
vous laisse Jean qui vous servira et vous aimera comme un fils ». Le Seigneur
nous donne à entendre par là que saint Joseph n'était plus; car, s'il eût été
encore en vie, il ne l'aurait jamais séparé de sa sainte Épouse.
Toute l'antiquité atteste que saint Jean resta toujours
vierge, et que c'est principalement à cause de ce mérite qu'il eut l'honneur
d'être donné pour fils à Marie et de remplacer Jésus-Christ auprès de sa Mère;
aussi, la Sainte Église a consacré dans ses chants cet éloge du Disciple
bien-aimé. L'Évangile constate qu'après la mort de Notre-Seigneur, saint Jean
reçut Marie dans sa maison, et qu'il l'assista et la servit comme sa propre mère
tout le temps qu'elle vécut encore. Jésus-Christ a voulu que ce Disciple
privilégié fût témoin oculaire de sa mort, afin qu'il pût ensuite l'attester
plus fermement, ainsi qu'il l'a fait dans ses écrits (Jn 19, 35; 1 Jn 1, 1).
C'est pour cela que la Sauveur, quand ses autres disciples l'abandonnèrent,
donna à saint Jean la force de le suivre jusqu'à sa mort au milieu de tant
d'ennemis.
Mais revenons à la Sainte Vierge, et tâchons de découvrir la
raison plus intrinsèque pour laquelle Jésus l'appela Femme, et non Mère. Il a
voulu nous faire entendre par là que Marie est la Femme par excellence, annoncé
dans la Genèse comme devant écraser la tête du Serpent (Gn 3, 15). Personne ne
doute que cette Femme ne soit la Bienheureuse Vierge Marie qui, par le moyen de
son divin Fils, si ce n'est ce Fils lui-même par le moyen de celle qui l'a mis
au monde, devait écraser la tête de Lucifer. Marie a certainement dû être
ennemie du Serpent, puisque Lucifer fut orgueilleux, ingrat et rebelle, tandis
qu'elle fut toujours humble, reconnaissante et soumise. Il a été prédit qu'elle
lui écraserait la tête; car Marie en donnant le jour au Sauveur du monde,
abattit l'orgueil de Lucifer. Le Serpent s'efforça de mordre Jésus-Christ au
talon, par lequel il faut entendre sa sainte humanité, partie la plus voisine de
la terre; mais le Sauveur, par sa mort, eut la gloire de le vaincre et de le
priver de l'empire que le péché lui avait donné sur le genre humain.
Dieu dit en outre au Serpent qu'il établirait une inimité
sans fin entre sa race et celle de la Femme. Cela signifie qu'après la chute de
l'homme causée par le péché, nonobstant la rédemption opérée par Jésus-Christ,
il devait y avoir dans le monde deux familles et deux postérités: par la race de
Satan est désignée la famille des pécheurs, qui sont ses enfants, étant imbus de
son venin; par le race de Marie est désignée la famille sainte, qui comprend
tous les justes avec Jésus-Christ, leur Chef. Marie fut donc destinée à être la
Mère tant du Chef que de ses membres, qui sont les fidèles; car, l'Apôtre le dit
expressément: « Vous n'êtes qu'un dans le Christ Jésus » (Ga 3, 28). Les fidèles
ne forment qu'un seul corps avec Jésus-Christ, le chef n'étant point séparé de
ses membres; et ces membres sont tous enfants spirituels de Marie, puisqu'ils
ont le même esprit que son propre Fils, qui est Jésus-Christ. Ainsi, sur le
Calvaire, saint Jean n'est pas désigné par son nom, il s'appelle le Disciple
aimé du Seigneur, afin que nous comprenions que Marie est la Mère de tout
chrétien fidèle, qui est aimé de Jésus-Christ, et en qui Jésus-Christ vit par
son esprit. Cela est conforme à la pensée d'Origène: « Jésus dit à Marie: “Voici
ton fils”, comme s'il lui avait dit: “Voici Jésus que tu as enfanté”; car celui
qui est parfait, ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ qui vit en lui ».
Denis le Chartreux dit que, dans la passion, le sein de Marie
se remplit du sang qui coulait des plaies de notre Sauveur, afin qu'elle pût en
nourrir ses enfants. Il ajoute que cette divine Mère, par ses prières et par les
mérites qu'elle acquit principalement en assistant à la mort de Jésus-Christ,
nous obtint la grâce de participer aux mérites de sa passion du Rédempteur. Ô
Mère de douleurs! vous savez que j'ai mérité l'enfer; je n'ai d'autre espérance
de salut que dans la participation aux mérites de Jésus-Christ; c'est la grâce
que j'attends de votre intercession, et je vous en prie de me l'obtenir, pour
l'amour de ce divin Fils que, sur le Calvaire, vous avez vu de vos propres yeux
baisser la tête et expirer! Ô Reine des Martyrs! ô Avocate des pécheurs!
secourez-moi toujours, et spécialement à l'heure de ma mort! Il me semble déjà
voir les démons se presser autour de moi durant mon agonie, et faire tous leurs
efforts pour me jeter dans le désespoir à la vue de mes péchés; ah! quand vous
verrez mon âme ainsi assiégée, ne m'abandonnez pas, aidez-moi de vos prières,
pour que j'obtienne la confiance et la sainte persévérance. Comme alors, perdant
peut-être la parole et même l'usage des sens, je ne pourrai plus prononcer votre
saint nom ni celui de votre divin Fils, je vous invoque dès ce moment et je vous
dis: « Jésus et Marie, je vous recommande mon âme! »
- IV -
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné?
(Mt 27, 46)
Saint Matthieu dit que Notre-Seigneur prononça la parole
« Mon Dieu! mon Dieu! pourquoi m'avez-vous abandonné? » en jetant un grand cri
(Mt 27, 46). Pourquoi ce cri retentissant? Selon Euthymius, le Sauveur a voulu
montrer par là sa puissance divine en vertu de laquelle, quoique sur le point
d'expirer, il pouvait faire entendre une voix si forte; ce dont les hommes
agonisants sont incapables, à cause de l'extrême faiblesse dans laquelle ils
sont réduits. Ce fut en outre pour nous faire connaître combien il souffrit en
mourant. On eût pu croire que, Jésus-Christ étant homme et Dieu, sa divinité
aurait empêché les tourments de lui causer de la douleur; pour écarter ce
soupçon, il voulut témoigner par ce cri plaintif que sa mort fut la plus
douloureuse que jamais un homme ait endurée, et que, tandis que les Martyrs
furent soutenus dans leurs tourments par les consolations divines, lui, comme
Roi des Martyrs, il voulut mourir privé de tout adoucissement, et satisfaire en
toute rigueur à la divine Justice pour tous les péchés des hommes. C'est aussi
pour cette raison, remarque Silveira, que, s'adressant à son Père, il l'appela
son Dieu, et non son Père; il devait lui parler alors comme un coupable à son
juge, et non comme un fils à son père.
D'après saint Léon, ce cri du Seigneur sur la croix ne fut
pas proprement une plainte, mais un enseignement. Il a voulu nous apprendre, par
cette expression de douleur, combien est grande la malice du péché, puisque Dieu
fut en quelque sorte obligé de livrer son Fils bien-aimé au dernier supplice
sans lui accorder le moindre soulagement, et cela seulement pour s'être chargé
d'expier nos fautes. Cependant, même alors, Jésus-Christ ne fut pas abandonné de
la divinité ni privé de la gloire qui avait été communiquée à son âme bénie dès
le premier instant de sa création; mais il fut privé de toutes les consolations
sensibles que Dieu accorde ordinairement à ses fidèles serviteurs, pour les
fortifier dans leurs souffrances; il resta abandonné dans un abîme de ténèbres,
de craintes, de dégoûts amers, autant de peines que nous avons méritées. Notre
Sauveur avait déjà subi, dans le jardin de Gethsémani cette privation de la
présence sensible de Dieu; mais celle qu'il souffrit sur la croix fut encore
plus grande et plus cruelle.
Ô Père éternel! quel déplaisir vous a donc causé ce Fils
innocent et obéissant, pour que vous le punissiez par une mort remplie de tant
d'amertume? Regardez-le sur cette croix. Voyez comme sa tête y est tourmentée
par les épines, comme son corps y est attaché par trois crochets de fer et ne
repose que sur ses plaies! Il est abandonné de tout le monde, même de ses
disciples; ceux qui l'entourent ne font qu'augmenter son supplice par des
dérisions et des blasphèmes; pourquoi donc, vous qui l'aimez tant, l'avez-vous
abandonné aussi? Mais il ne faut pas oublier que Jésus s'était chargé de tous
les péchés du monde. Quoiqu'il fût le plus saint de tous les hommes, ou plutôt
la sainteté même, ayant pris sur lui la charge de satisfaire pour tous nos
péchés, il paraissait le plus grand pécheur de l'univers. Comme tel, devenu
responsable pour tous, il s'était offert à payer toutes nos dettes envers la
Justice divine; et comme nous méritions d'être à jamais abandonnés dans l'enfer
et livrés à un désespoir éternel, il a voulu être lui-même abandonné à une mort
sans consolation, afin de nous délivrer de la mort éternelle.
Calvin, dans son commentaire sur saint Jean, a eu l'audace
d'avancer que Jésus-Christ, pour réconcilier son Père avec les hommes, devait
éprouver toute la colère de Dieu contre le péché et subir toutes les peines des
damnés, spécialement celle du désespoir. C'est là une exagération et une erreur.
Comment le Fils de Dieu aurait-il pu expier nos péchés par un péché plus grand,
tel que le désespoir? et comment ce désespoir, rêvé par Calvin, pouvait-il
s'accorder avec la dernière parole de Jésus remettant son âme entre les mains de
son Père? La vérité, comme l'expliquent saint Jérôme, saint Jean Chrysostome et
d'autres interprètes, est que notre divin Sauveur ne fit entendre un cri
plaintif que pour monter, non son désespoir, mais la douleur qu'il éprouvait en
mourant ainsi privé de toute consolation. D'ailleurs, le désespoir de
Jésus-Christ n'aurait pu provenir d'aucune autre cause que de se voir haï de
Dieu; mais comment Dieu pouvait-il haïr ce Fils qui, pour se conformer à sa
volonté, avait consenti à satisfaire à sa justice pour les péchés des hommes? Ce
fut en retour de cette obéissance que son Père lui accorda le salut du genre
humain, ainsi que l'Écriture nous l'enseigne (He 5, 7).
Du reste, cet abandon fut la plus cruelle de toutes les
peines que Jésus-Christ endura dans sa passion; car nous savons qu'après avoir
souffert tant de douleurs atroces sans ouvrir la bouche, il ne se plaignit que
dans cette dernière circonstance, et que ce fut en poussant un grand cri (Mt 27,
50), accompagné de beaucoup de larmes et de prières (He 5, 7). Mais, par ce cri
et ces larmes, le divin Maître a eu en vue de nous faire comprendre, d'une part,
combien il souffrait pour nous obtenir miséricorde auprès de Dieu et, de
l'autre, combien est horrible le malheur d'être rejeté de Dieu et à jamais privé
de son amour, selon la menace du Sauveur (Os 9, 15).
Saint Augustin observe en outre que, si Jésus-Christ se
troubla à l'aspect de sa mort, ce fut pour la consolation de ses serviteurs,
afin que, s'il leur arrive d'éprouver quelque trouble lorsqu'ils se voient sur
le point de mourir, ils ne se regardent pas comme réprouvés et ne s'abandonnent
pas au désespoir, puisque le Seigneur lui-même se troubla dans cette
circonstance.
Rendons grâces à la bonté de notre Sauveur, qui a daigné
prendre sur lui les peines qui nous étaient dues et nous délivrer ainsi de la
mort éternelle; et tâchons d'être à l'avenir reconnaissants envers ce divin
Libérateur, en bannissant de notre cœur toute affection qui ne serait pas pour
lui. Lorsque nous nous trouvons dans la désolation spirituelle, et que Dieu nous
prive de sa présence sensible, unissons-nous à ce que Jésus-Christ souffrit
lui-même au moment de sa mort. Quelquefois, le Seigneur se cache aux yeux des
âmes qu'il chérit le plus, mais il ne s'éloigne pas de leur cœur, et il continue
des les soutenir intérieurement par sa grâce. Il ne s'offense point si, dans cet
abandon, nous lui disons ce qu'il disait lui-même à Dieu son Père dans le jardin
des Olives: « Mon Père! s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi! » (Mt
26, 39). Mais il faut ajouter aussitôt avec lui: « Néanmoins, que votre volonté
soit faite, et non la mienne! » Si la désolation continue, il faut continuer à
répéter cet acte de résignation, comme Notre-Seigneur fit lui-même durant les
trois heures de son agonie. Saint François de Sales dit que Jésus, soit qu'il se
montre, soit qu'il se cache, est toujours également aimable. Après tout, quand
on a mérité l'enfer, et qu'on s'en voit délivré, on n'a qu'une chose à dire:
« Seigneur! je louerai votre saint nom en tout temps » (Ps 33, 2). Je ne suis
pas digne de vos consolations; accordez-moi la grâce de vous aimer, et je
consens à vivre dans ma peine aussi longtemps qu'il vous plaira. Ah! si les
damnés pouvaient, dans leurs tourments, se conformer ainsi à la volonté divine,
leur enfer ne serait plus un enfer. « Mais vous, Seigneur, ne soyez pas loin, ô
ma force, vite à mon aide! » (Ps 21, 20). Ô mon Jésus! par les mérites de votre
mort désolée, ne me privez pas de votre secours dans ce grand combat qu'au
moment de ma mort j'aurai à soutenir contre l'enfer. Quand tout le monde m'aura
abandonné, et que personne ne pourra plus m'aider, ne m'abandonnez pas, vous qui
êtes mort pour moi et qui pouvez seul me secourir dans cette extrémité.
Exaucez-moi, Seigneur, par le mérite de la grande peine que vous avez soufferte
dans votre abandon sur la croix, par lequel vous nous avez obtenu de n'être
point abandonné de la grâce comme nous l'avons mérité par nos fautes.
- V -
J'ai soif! (Jn 19, 28)
On lit dans saint Jean: « Après cela, sachant que toutes
choses était accomplies, afin qu'une parole de l'Écriture s'accomplit encore,
Jésus dit: J'ai soif! » (Jn 19, 28). Le passage des saintes Écritures auquel
l'Évangéliste fait ici allusion est cette parole prophétique de David: « Ils
m'ont donné du fiel pour ma nourriture, et dans ma soif ils m'ont présenté du
vinaigre à boire » (Ps 68, 22).
Grande fut la soif corporelle qu'éprouva Jésus-Christ dans
ses derniers moments, après avoir répandu tant de sang; d'abord dans le jardin
de Gethsémani, ensuite dans le prétoire par sa flagellation et son couronnement
d'épines, et enfin sur la croix où jaillissaient, comment d'autant de sources,
quatre ruisseaux de sang. Mais bien plus grande fut sa soif spirituelle,
c'est-à-dire le désir ardent qu'il avait de sauver tous les hommes et de
souffrir encore plus pour nous, comme le remarque Louis de Blois, afin de nous
montrer la grandeur de son amour. Ce qui a fait dire à saint Laurent Justinien
que cette soif provenait de l'amour de notre Sauveur pour nous. Ah! mon Jésus!
vous aimez tant souffrir pour moi! je répugne tant aux souffrances! La moindre
chose qui me contrarie, me rend si impatient, envers moi-même et envers les
autres que je deviens moi-même insupportable. Mon doux Sauveur! par le mérite de
votre patience, accordez-moi la patience et la résignation dans les maladies et
dans tout ce qui m'arrive de fâcheux; rendez-moi semblable à vous avant que je
meure.
- VI -
Tout est accompli! (Jn 19, 30)
Jésus prononça cette parole lorsqu'il eut goûté du vinaigre
qu'on lui présenta. Avant de rendre le dernier soupir, le Seigneur se mit devant
les yeux tous les sacrifices de l'Ancienne Loi, lesquels étaient autant de
figures du Sacrifice de la croix, toutes les prières des anciens Patriarches, et
tout ce que les Prophètes avaient prédit sur les mauvais traitements et les
humiliations qu'il devait subir pendant sa vie et à sa mort et il vit et déclara
que tout était accompli.
La lettre aux Hébreux nous exhorte à nous présenter
généreusement et armés de patience au combat que nous avons à soutenir en cette
vie contre les ennemis de notre salut; elle nous encourage à résister avec
confiance aux tentations jusqu'à la fin, à l'exemple de Jésus-Christ, qui ne
voulut descendre de la croix qu'après y avoir laissé la vie (He 12, 1). C'est
pour nous instruire et nous fortifier par son exemple, dit saint Augustin, que
ce divin Maître a voulu rester ainsi sur la croix. Il a voulu consommer son
sacrifice jusqu'à la mort, pour nous convaincre que Dieu n'accorde le prix de la
gloire qu'à ceux qui persévèrent dans le bien jusqu'à la fin, selon ce qu'il a
déclaré (Mt 10, 22).
Ainsi, lorsque agités par nos passions, ou par les tentations
du démon, ou par les persécutions des hommes, nous nous sentons poussés à perdre
la patience et à nous livrer au péché, jetons un regard sur Jésus crucifié, qui
a répandu tout son sang pour notre salut, tandis que nous n'en avons pas encore
versé une goutte pour son amour (cf. He 12, 3). Et lorsqu'il nous arrive de
devoir faire le sacrifice de notre amour-propre, d'un ressentiment, d'une
satisfaction, d'une curiosité, ou de quelque autre chose qui n'est d'aucune
utilité pour notre âme, rougissons de refuser cela à Jésus-Christ. Il n'a pas
été avare envers nous, il nous a donné sa vie, tout son sang; nous devons avoir
honte d'être mesquins envers lui.
Opposons aux ennemis de notre âme toute la résistance que
nous devons leur offrir, mais n'espérons la victoire que par les mérites de
Jésus-Christ; c'est uniquement par ses mérites que les Saints, et surtout les
Saints Martyrs, ont triomphé de toutes les souffrances et de la mort (Rm 8, 37).
Si donc le démon nous présente à l'esprit certains obstacles qui nous semblent
fort difficiles à surmonter à cause de notre faiblesse, tournons les yeux vers
Jésus crucifié et, pleins de confiance en son secours et en ses mérites, disons
avec l'Apôtre: « Je ne puis rien par moi-même, mais, avec l'aide de Jésus, je
puis tout » (Ph 4, 15).
Que le vue des souffrances de Jésus crucifié nous encourage
donc à supporter les tribulations de la vie présente. Regardez-moi, nous dit ce
divin Sauveur du haut de la croix, voyez la multitude de douleurs et d'opprobres
que j'endure pour vous sur ce gibet: mon corps y est attaché par trois clous et
pèse de tout son poids sur mes plaies; les malheureux qui m'entourent ne font
que m'injurier et me tourmenter; et intérieurement, mon esprit est encore
beaucoup plus affligé que mon corps. Je souffre tout pour votre amour.
Considérez donc l'affection que je vous porte, et aimez-moi; ne craignez pas de
souffrir quelque chose pour moi, qui ai mené une vie si pénible et que vous
voyez maintenant mourir d'une mort si douloureuse pour vous. Ah! mon Jésus! vous
m'avez mis au monde pour vous servir et vous aimer; vous m'avez donné tant de
lumières et de grâces pour m'aider à vous être fidèle; et moi, combien de fois
n'ai-je pas eu l'ingratitude de renoncer à votre grâce et de vous abandonner,
plutôt que de me priver d'une misérable satisfaction! Pardonnez-moi, Seigneur,
je vous en conjure par cette mort désolée que vous avez bien voulu subir pour
moi. Accordez-moi la grâce de vous servir fidèlement le reste de mes jours; je
suis résolu de bannir désormais de mon cœur toute affection qui n'est pas pour
vous, mon Dieu, mon Amour, mon Tout!
Marie, ma douce Mère, aidez-moi à être fidèle envers votre
divin Fils, qui m'a tant aimé!
- VII -
Mon Père! je remets mon âme entre vos mains (Lc 23, 46)
Notre Sauveur proféra cette dernière parole d'une voix forte,
« en un grand cri » (Lc 23, 46). Selon Euthymius, ce fut pour faire entendre à
tout le monde qu'il était le vrai Fils de Dieu, en l'appelant son Père. Mais
selon saint Jean Chrysostome, le Seigneur fit retentir sa voix avec tant de
vigueur au moment d'expirer, pour montrer qu'il mourait, non par nécessité, mais
de sa propre volonté, ce qui s'accorde d'ailleurs avec ce qu'il avait déclaré
d'avance, en disant qu'il donnait volontairement sa vie pour ses brebis, et
qu'il ne cédait nullement à la malice de ses ennemis (Jn 10, 13).
Saint Athanase ajoute que Jésus-Christ, en se recommandant
lui-même à son Père, lui recommanda pareillement tous les fidèles, qui devaient
recevoir par lui le salut éternel, parce que la tête et les membres ne forment
qu'un seul corps. Jésus a donc voulu, dit ce saint Docteur, répéter en ce moment
suprême la prière qu'il avait faite auparavant: « Père saint! conservez en votre
nom ceux que vous m'avez donnés, afin qu'ils soient un comme nous... Je désire
que, là où je suis, il se trouvent avec moi » (Jn 17, 11 et 24).
C'est ce qui faisait dire à saint Paul: « Je sais qui est
celui à qui je me suis confié, et je suis persuadé qu'il est assez puissant pour
garder mon dépôt jusqu'au jour du jugement » (2 Tm 1, 12). Voilà ce qu'écrivit
l'Apôtre, du fond d'une prison où il souffrit pour Jésus-Christ; il déposait
entre les mais de ce bon Maître le trésor de ses peines et toutes ses
espérances, sachant avec quelle fidélité il récompense ceux qui souffrent pour
son amour.
David mettait toute son espérance dans le Rédempteur futur:
"En tes mains je remets mon esprit, c'est toi qui me rachète, Dieu de vérité"
(Ps 30, 6). À combien plus forte raison ne devons-nous pas nous confier en
Jésus-Christ, maintenant qu'il a accompli l’œuvre de notre rédemption!
Disons-lui donc avec une confiance sans bornes, en empruntant les paroles du
Roi-Prophète et ses propres paroles: « Seigneur! c'est vous qui m'avez racheté;
ô mon Père, je remets mon esprit entre vos mains ». Ces paroles consolent et
fortifient beaucoup, au moment de la mort, contre les tentations de l'enfer et
contre les craintes qu'inspire le souvenir des fautes passées. Pour moi, ô
Jésus, mon Rédempteur, je ne veux pas attendre la mort pour vous recommander mon
âme; je vous la recommande dès maintenant; ne permettez pas qu'elle s'éloigne
encore de vous. Je vois que jusqu'ici la vie ne m'a servi qu'à vous déshonorer;
ne souffrez pas que je continue à vous offenser le reste de mes jours. Ô Agneau
de Dieu, immolé sur la croix et mort pour moi comme une victime d'amour consumée
par les douleurs, faites que, par les mérites de votre mort, j'aie le bonheur de
vous aimer de tout mon cœur d'être tout à vous le reste de ma vie! Et quand
arrivera ma dernière heure, faites-moi mourir brûlant d'amour pour vous! Vous
êtes mort pour mon amour; je veux mourir pour votre amour. Vous vous êtes donné
tout à moi; je me donne tout à vous. Vous avez versé tout votre sang, vous avez
donné votre vie pour me sauver; ne permettez pas que, par ma faute, tout cela
soit perdu pour moi. Mon Jésus! je vous aime, et j'espère par vos mérites vous
aimer éternellement: « En vous, Seigneur, j'ai espéré; sur moi pas de honte à
jamais » (Ps 30, 2).
Ô Marie, Mère de Dieu, j'ai confiance en vos prières;
obtenez-moi la grâce de vivre et de mourir fidèle à votre divin Fils. Je vous
dirai aussi, avec saint Bonaventure, que je mets mon espérance en vous.