Considérations sur la Passion
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CHAPITRE VI
SUR LA MORT DE JÉSUS-CHRIST
- I -
Jésus meurt et triomphe de la mort
Saint Jean rapporte que notre divin Rédempteur, avant
d'expirer, baissa la tête (Jn 19, 30). Ce fut pour marquer qu'il acceptait la
mort de la main de son
Père avec une entière soumission, puisqu'il mettait alors
le comble à son humble obéissance en subissant le supplice de la croix (Ph 2,
8).
Ayant les mains et les pieds cloués à la croix, Jésus ne
pouvait mouvoir aucune partie de son corps, excepté la tête. Or, la mort, dit
saint Athanase, n'osait s'avancer pour ôter la vie à l'Auteur de la vie; il a
donc fallu qu'il l'invitât lui-même, en inclinant la tête, à venir le frapper.
Saint Matthieu, parlant de la mort de Jésus-Christ, dit qu'il exhala ou envoya
hors de lui son esprit (Mt 27, 50). Selon saint Ambroise, l'Évangéliste se sert
de cette expression pour montrer que Notre-Seigneur mourut, non par nécessité ni
par le fait des bourreaux, mais parce qu'il voulut bien mourir; il ne perdit
point la vie, mais il la quitta de son plein gré. Il mourut volontairement, afin
de sauver l'homme de la mort à laquelle il était condamné.
Tout cela avait été prédit par le prophète Osée, en ces
termes: « Je les délivrerai des mains de la mort, je les rachèterai de la mort.
Ô mort! je serai ta mort; ô enfer! je serai ta ruine! » (Os 13, 14). Saint
Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire et l'Apôtre lui-même, comme nous le
verrons bientôt, appliquent littéralement ce passage à Jésus-Christ qui, par sa
mort, nous a délivrés des mains de la mort, c'est-à-dire de l'enfer, où l'on
souffre une mort éternelle. Et proprement, suivant l'explication des
interprètes, dans le texte hébreu, au lieu de Mort, on lit le mot Schéol, qui
signifie Enfer.
Mais comment Jésus-Christ a-t-il été la mort de la mort?
C'est que notre Sauveur, par sa mort, a vaincu et détruit la mort que le péché
nous avait causée. L'Apôtre demande ce qu'est devenue, après cette défaite, la
mort de son aiguillon, qui est le péché; il assure que la victoire du Sauveur a
tout fait disparaître: « La mort a été engloutie dans la victoire » (1 Co 15,
54). Par sa mort, l'Agneau divin a détruit le péché, qui était la cause de notre
mort. Tel fut donc le triomphe du Fils de Dieu: en mourant pour nous, il a ôté
du monde le péché, et nous a par conséquent délivrés de la mort éternelle, à
laquelle tout le genre humain était assujetti.
Ce que nous disons se confirme par un autre texte de
l'Écriture. On y lit que Jésus-Christ « a réduit à l'impuissance, par sa mort,
celui qui a la puissance de la mort, c'est-à-dire, le diable » (He 2, 14).
Jésus-Christ a détruit le démon qui avait le pouvoir de donner la mort
temporelle et éternelle à tous les enfants d'Adam, infectés du péché. Et c'est
là cette victoire de la Croix chantée par l'Église: Jésus, qui est la Vie même,
ou l'Auteur de la vie, en mourant sur la croix, nous a procuré la vie éternelle.
Ce prodige est l’œuvre de l'Amour divin qui, faisant les
fonctions de prêtre, offrit en sacrifice au Père éternel la vie de son Fils
unique pour le salut des hommes, comme la Sainte Église l'exprime dans ses
chants.
Sur quoi saint François de Sales s'écrie: « Voyons-le, ce
divin Rédempteur, étendu sur la croix comme sur son bûcher d'amour, où il meurt
d'amour pour nous. Eh! que ne nous jetons-nous en esprit sur lui, pour mourir
sur la croix avec lui qui pour l'amour de nous a bien voulu mourir! » Oui, mon
doux Rédempteur, j'embrasse votre Croix! C'est ainsi que je veux vivre et
mourir, ne cessant jamais de baiser avec amour vos pieds sanglants, transpercés
pour moi.
- II -
Jésus mort en croix
Arrêtons-nous un instant, et contemplons notre Sauveur mort
sur la croix, en parlant d'abord à Dieu son Père, et ensuite à lui-même.
Père éternel, « regardez la face de votre Christ! » (Ps 83,
10). Regardez votre Fils unique qui, pour accomplir votre volonté de sauver
l'homme perdu, est venu sur la terre, s'est revêtu de la chair humaine et, avec
notre chair, a pris sur lui toutes nos misères, excepté le péché. En un mot, il
s'est fait homme. Il a voulu passer toute sa vie parmi les hommes comme le plus
pauvre, le plus méprisé et le plus affligé de tous les hommes. Il a voulu mourir
comme vous le voyez, après que les hommes eux-mêmes lui eussent déchiré les
chairs à coups de fouets, mis la tête en plaies par une couronne d'épines, et
percé les mains et les pieds en les clouant sur la croix. Il est mort de pure
douleur sur ce gibet infâme, traité comme l'homme le plus méprisable du monde,
tourné en dérision comme un faux prophète, outragé comme un imposteur sacrilège
pour avoir dit qu'il était votre Fils, condamné à subir cet horrible supplice
comme le plus grand des scélérats. Et vous-mêmes, Seigneur, vous avez augmenté
les horreurs de sa mort, en le privant de toute consolation! Dites-nous: quelle
faute a-t-il donc commise, ce Fils que vous aimez tant, pour mériter un
châtiment si cruel? Vous qui connaissez son innocence, sa sainteté, pourquoi
l'avez-vous traité ainsi? Ah! j'entends votre réponse: « Pour les péchés de mon
peuple, il a été frappé à mort » (Is 53, 8). Non, me dites-vous, mon Fils ne
méritait et ne pouvait mériter aucun châtiment, étant l'innocence même, la
sainteté même; mais vous, vous méritiez une peine pour vos fautes, vous méritiez
la mort éternelle; et moi, pour ne point vous voir perdues à jamais, vous, mes
créatures bien-aimées, pour vous délivrer d'un si grand malheur, j'ai cette mort
douloureuse. Considérez donc, ô hommes! quel a été mon amour pour vous: « Dieu a
tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16).
Permettez que je m'adresse aussi à vous, ô Jésus, mon doux
Rédempteur! Je vous vois sur cette croix, abandonné de tout le monde, pâle et
défiguré, sans parole, sans respiration, sans vie, sans une seule goutte de
sang, l'ayant versé entièrement, comme vous l'aviez prédit (Mc 14, 24). Vous
n'avez plus de vie, parce que vous l'avez sacrifiée pour rendre la vie à mon
âme, que ses péchés avaient fait mourir; vous n'avez plus de sang, parce que
vous l'avez répandu pour laver mes iniquités. Mais qu'est-ce qui vous porte à
donner ainsi votre vie et tout votre sang pour de misérables pécheurs tels que
nous? Ah! votre Apôtre nous l'a déclaré, c'est l'amour dont vous brûlez pour
nous: « Il nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous » (Ep 5, 2).
- III -
Fruit de la mort du Sauveur
C'est ainsi que ce Pontife divin, qui fut tout à la fois le
sacrificateur et la victime, en s'immolant pour le salut des hommes qu'il
aimait, consomma le grand sacrifice de la croix, et accomplit l’œuvre de notre
rédemption.
Jésus-Christ, par sa mort, a fait disparaître tout ce que
notre mort avait d'horrible. Elle n'était auparavant qu'un supplice infligé à
des rebelles; mais, par la grâce et les mérites de notre Sauveur, elle est
devenue un sacrifice tellement agréable à Dieu, qu'uni à celui de la mort de
Jésus-Christ, il nous rend dignes de jouir de la gloire dont Dieu jouit
lui-même, et de l'entendre un jour nous dire, comme nous l'espérons: « Entrez
dans la joie de votre Seigneur! » (Mt 25, 21).
Ainsi, grâce à la mort de Jésus-Christ, notre mort a cessé
d'être un sujet de douleur et de crainte. Notre-Seigneur en a fait un passage du
danger de se perdre éternellement à l'assurance d'une félicité éternelle, un
passage des misères de ce monde aux délices ineffables du paradis.
De là vient que les justes regardent la mort, non avec
crainte, mais avec joie et désir. Saint Augustin dit que ceux qui aiment Jésus
crucifié supportent la vie avec patience et reçoivent la mort avec plaisir. Et
l'expérience ordinaire fait voir que les personnes vertueuses qui ont le plus à
souffrir durant leur vie, à cause des persécutions, des tentations, des
scrupules, ou d'autres choses fâcheuses, sont celles que Jésus crucifié console
le plus dans leurs derniers moments, en leur procurant une grande paix au milieu
de toutes les craintes et de toutes les angoisses de la mort. S'il est
quelquefois arrivé que des Saints, selon ce qu'on lit dans leur Vie, ont éprouvé
beaucoup d'appréhension au moment de la mort, le Seigneur l'a ainsi permis pour
augmenter leurs mérites; car plus leur sacrifice a été pénible, plus il est
devenu précieux aux yeux de Dieu, et profitable à eux-mêmes pour la vie
éternelle.
Oh! qu'il était plus dur de mourir, pour les fidèles, avant
la mort de Jésus-Christ! Le Sauveur n'avait pas encore paru, on soupirait après
sa venue; on l'attendait suivant sa promesse, mais on ne savait quand il
viendrait; le démon avait un grand empire sur la terre, et le ciel était
entièrement fermé pour les hommes. Mais à la mort de notre Rédempteur, l'enfer a
été vaincu, la grâce a été communiquée aux âmes, Dieu s'est réconcilié avec les
hommes, et la céleste patrie a été ouverte à tous ceux qui meurent dans
l'innocence ou qui ont expié leur fautes par la pénitence. Et si quelques-uns,
bien que mourant en état de grâce, n'entrent pas immédiatement en paradis, c'est
qu'ils ne sont pas encore entièrement purifiés; du reste, la mort ne fait que
rompre leurs liens, afin qu'ils puissent aller s'unir parfaitement à Dieu, dont
ils se trouvent éloignés sur cette terre d'exil.
Tâchons donc, âmes chrétiennes, tant que nous vivons dans cet
exil, de regarder la mort, non comme un malheur, mais comme la fin de notre
pèlerinage si plein d'angoisses et de périls, et comme l'arrivée de l'éternelle
félicité que nous espérons obtenir un jour par les mérites de Jésus-Christ.
Cette pensée doit nous porter à faire tous nos efforts pour nous détacher des
objets terrestres qui pourraient nous faire perdre le ciel et nous conduire en
enfer. Offrons-nous à Dieu, en protestant de cœur que nous voulons mourir quand
il lui plaira, en acceptant la mort qu'il nous a destinée, quelle qu'elle soit,
et en le priant toujours, par les mérites de la mort de Jésus-Christ, de nous
faire sortir de cette vie en état de grâce. Mon Jésus et mon Sauveur qui, pour
me procurer une bonne mort, en avez choisi une si douloureuse et si désolée, je
m'abandonne entre les bras de votre miséricorde! Depuis plusieurs années, à
cause des offenses que je vous ai faites, je devrais être en enfer, séparé de
vous à jamais; et vous, au lieu de me punir comme je le mériterais, vous m'avez
appelé à la pénitence, et j'ai la confiance que vous m'avez maintenant pardonné;
si cependant, par ma faute, je n'ai pas encore obtenu mon pardon,
accordez-le-moi en ce moment que, prosterné à vos pieds, le cœur contrit,
j'implore votre miséricorde. Mon Jésus! je voudrais mourir de douleur, quand je
pense aux injures que je vous ai faites. Mon espérance est dans le sang que vous
avez répandu pour moi. Pardonnez-moi, Seigneur, et aidez-moi à vous aimer de
toutes mes forces jusqu'à la mort. Quand mon heure arrivera, faites que je meure
brûlant d'amour envers vous, pour continuer de vous aimer éternellement. Dès à
présent, j'unis ma mort à votre sainte mort, par laquelle j'espère avec une
entière confiance me sauver: « En vous, Seigneur, j'ai mon abri, sur moi pas de
honte à jamais! » (Ps 30, 2).
Ô puissante Mère de Dieu! après Jésus, vous êtes mon
espérance; je suis sûr de n'être jamais trompé quand je me confie en vous!
CHAPITRE VII
SUR LES PRODIGES ARRIVÉS À LA MORT DE JÉSUS-CHRIST
- I -
Deuil général de la nature - Les ténèbres
Cornelius rapporte que saint Denis l'Aéropagite, se trouvant
à Héliopolis, en Égypte, s'écria un jour, au temps de la mort de Jésus-Christ:
« Ou l'Auteur de la nature souffre, ou le monde se dissout ». D'autres
écrivains, tel que Michel Syngelus et Suidas, racontent la même chose autrement;
ils prétendent que le Saint a dit: « Le Dieu inconnu souffre en son corps, c'est
pourquoi ces ténèbres couvrent l'univers ».
Eusèbe, d'après Plutarque, dit que dans l'île de Paxis, une
voix fit entendre ces mots: « Le grand Pan est mort! », et qu'on entendit
ensuite des cris de gens qui se lamentaient. Selon Eusèbe, le nom de Pan désigne
Lucifer qui, par suite de la mort de Jésus-Christ, se trouvait comme mort
lui-même, en se voyant dépouillé de l'empire qu'il avait sur les hommes. Barrada,
au contraire, pense que c'est Notre-Seigneur qui est ainsi appelé; car, en grec,
le mot Pan signifie Tout, nom qui convient à Jésus-Christ, Fils de Dieu et vrai
Dieu: le Tout, c'est-à-dire celui en qui se trouvent tous les biens.
Ce que nous lisons dans l'Évangile, c'est que le jour de la
mort du Sauveur, depuis la sixième heure (midi) jusqu'à la neuvième heure (trois
heures), toute la terre fut couverte de ténèbres (Mt 27, 45). Et, au moment où
Jésus expira, le voile du Temple se déchira en deux, et il survint un
tremblement de terre universel qui fendit plusieurs rochers (Mt 27, 51).
Quant aux ténèbres, saint Jérôme observe qu'elles ont été
prédites par le prophète Amos, en ces termes: « En ce jour-là, dit le Seigneur,
le soleil se couchera en plein midi; et je couvrirai la terre de ténèbres,
lorsqu'elle devrait être pleine de lumière » (Am 8, 9). Commentant ensuite ce
texte, le saint Docteur dit que le soleil semble avoir alors retiré sa lumière,
afin que les ennemis de Jésus en fussent privés. Il ajoute que l'astre du jour
se voila, comme s'il n'eût osé regarder le Seigneur élevé en croix. Mais saint
Léon est plus exact en disant que toutes les créatures voulurent exprimer, à
leur manière, la douleur qu'elles ressentaient de la mort de leur Créateur.
Cette pensée s'accorde avec celle de Tertullien qui, parlant spécialement des
ténèbres, dit que le monde, par cet aspect lugubre, a voulu célébrer, en quelque
sorte, les funérailles de notre divin Rédempteur.
Saint Athanase, saint Jean Chrysostome et saint Thomas font
remarquer que cette obscurité fut toute prodigieuse, car une éclipse de soleil
ne peut avoir lieu qu'à la nouvelle lune, et la lune était alors dans son plein.
De plus, le soleil étant beaucoup plus grand que la lune, celle-ci ne peut en
intercepter complètement la lumière; or, l'Évangile atteste que les ténèbres
furent répandues par toute la terre. Enfin, l'éclipse du soleil eût-elle été
totale, l'obscurité n'aurait pu se prolonger au-delà de quelques minutes, vu la
rapidité du mouvement des corps célestes; et il est constaté par l'Évangile
qu'elle dura trois heures.
Tertullien cite cet événement dans son Apologétique, en
s'adressant aux Gentils; il leur dit qu'ils trouvent consigné dans leurs propres
archives ce grand miracles de l'obscurcissement du soleil, arrivé au moment de
la mort de Jésus-Christ. Eusèbe confirme le fait dans sa Chronique par un
passage de Phlégon, affranchi d'Adrien et auteur contemporain, qui parle d'une
obscurité sans exemple arrivée à cette époque, par la disparition du soleil en
plein midi, au point qu'on voyait les étoiles.
- II -
Le déchirement du voile du Temple
On lit en outre dans l'Évangile de saint Matthieu, ainsi que
nous l'avons déjà vu, que le voile du Temple se déchira en deux de haut en bas
(Mt 27, 51). Dans la Lettre aux Hébreux (He 9, 2-5), on décrit l'intérieur du
Tabernacle, ou du Temple, lequel était divisé en deux sanctuaires fermés chacun
par un voile. Le second s'appelait le Saint des Saints. Là reposait l'Arche
d'Alliance, couverte par le Propitiatoire; elle contenait la Manne, le rameau
d'Aaron et les deux Tables de la Loi. L'entrée du premier sanctuaire, qui
précédait le Saint des Saints et qui était fermé par le premier voile, n'était
permise qu'aux prêtres qui venaient y offrit leurs sacrifices. Le prêtre qui
sacrifiait pour l'expiation des péchés, ayant trempé son doigt dans le sang de
la victime offert, en faisait l'aspersion sept fois devant le voile du Saint des
Saints (Lv 4, 6 et 17). Quand au second sanctuaire, qui était toujours fermé et
inaccessible même aux regards, nul ne pouvait y entrer si ce n'est le Pontife,
et cela seulement une fois l'an, en portant le sang des victimes qu'il offrait
pour lui-même et pour le peuple (Lv 16, 12 et 14).
Tout cela était mystérieux. Le sanctuaire, toujours fermé
signifiait la séparation qui existait entre les hommes et la grâce de Dieu,
qu'ils ne pouvaient obtenir que par le moyen du grand sacrifice que Jésus-Christ
devait offrir un jour de lui-même et dont tous les anciens sacrifices étaient
des figures. C'est pourquoi notre Sauveur est appelé le Pontife des biens futurs
qui, par un tabernacle plus parfait, c'est-à-dire par le corps très saint dont
il s'est revêtu, devait entrer dans le sanctuaire de la présence de Dieu, comme
Médiateur entre Dieu et les hommes, en offrant, non le sang des boucs et des
veaux, mais son propre sang, pour consommer l’œuvre de notre rédemption et ainsi
nous ouvrir les portes du ciel (He 9, 11-12).
Considérons bien ce texte inspiré. Il y est dit que
Notre-Seigneur est le Pontife des biens futurs; à la différence d'Aaron et des
Pontifes de sa race, qui ne procuraient que des biens présents et terrestres,
Jésus-Christ devit nous obtenir les biens futurs, qui sont des biens célestes et
éternels. Il est entré dans le sanctuaire par un tabernacle plus grand et plus
parfait; telle fut la sainte humanité du Sauveur, vrai tabernacle du Verbe
divin. Ce tabernacle n'a point été fait de main d'homme, puisque le corps de
Jésus-Christ a été formé, non par la voie commune et ordinaire, mais par
l'opération du Saint-Esprit. Le Sauveur n'a pas offert le sang des boucs ou des
veaux, mais son propre sang; le sang de Jésus-Christ purifie les âmes en leur
obtenant la rémission des péchés. Et en entrant ainsi une fois dans le
sanctuaire, il nous a acquis une rédemption éternelle. Le mot acquis marque bien
que nous ne pouvions prétendre à une telle rédemption, ni l'espérer, avant la
promesse que Dieu nous en a faite; ce moyen de salut n'a pu être trouvé ou
inventé que par la Bonté divine. Enfin, notre réhabilitation ainsi opérée est
justement appelée éternelle: le pontife des Hébreux devait entrer chaque année
dans le sanctuaire pour l'expiation; mais Jésus-Christ, en offrant une fois le
sacrifice de sa vie, nous a mérité une rédemption éternelle, qui doit suffire à
jamais pour expier tous nos péchés, comme l'Écriture le déclare (He 10, 14 et 9,
12).
C'est pourquoi, continue le texte sacré, Jésus-Christ est
appelé le Médiateur du Nouveau Testament (He 9, 15). Moïse fut le médiateur de
l'Ancien Testament ou de l'Ancienne Alliance, qui n'avait pas la vertu de
réconcilier entièrement les hommes avec Dieu en opérant leur salut, car la Loi
Ancienne n'a rien conduit à la perfection (He 7, 19). Mais dans la Nouvelle
Alliance, notre Sauveur, en satisfaisant pleinement à la Justice divine pour les
péchés des hommes, leur a obtenu par ses mérites le pardon et la grâce de Dieu.
Les Juifs s'offensaient d'entendre dire que le Messie opérerait la rédemption
des hommes en subissant le supplice infâme de la croix; ils disaient que la Loi
leur avait enseigné que le Christ devait, non mourir, mais vivre éternellement (Jn
12, 34). Mais ils étaient tout à fait dans l'erreur; Jésus-Christ s'est rendu
Médiateur et Sauveur des hommes, et c'est à cause de sa mort que la promesse de
l'héritage éternel a été faite à ceux qui y sont appelés (He 9, 15).
C'est pourquoi l'Écriture nous engage à mettre toutes nos
espérances dans les mérites de la mort de notre Rédempteur (He 10, 19). Nous
avons, nous dit-elle, un puissant motif pour espérer la vie éternelle, dans le
sang de Jésus-Christ. Il nous a ouvert la voie du paradis, voie nouvelle, parce
que ce divin Sauveur l'a parcourue le premier et nous l'a frayée en sacrifiant
sur la croix sa chair sacrée, figurée par le voile du Temple. Comme le remarque
saint Jean Chrysostome, de même que le voile du Temple, déchiré à la mort de
Notre-Seigneur, a laissé ouvert le Saint des Saints, de même que la chair de
Jésus-Christ, déchirée dans sa passion, nous a ouvert le ciel, qui jusque-là
était fermé. C'est pourquoi on peut désormais nous présenter avec confiance
devant le trône de la grâce, afin d'y recevoir miséricorde (He 4, 16). Ce trône
de la grâce, c'est Jésus-Christ, en qui, si nous avons recours à lui au milieu
des périls qui nous menacent, nous trouverons miséricordes, malgré notre
indignité. (Cette pensée sera développée plus loin, au Chapitre X, section II.)
Revenons au texte de saint Matthieu que nous avons cité plus
haut. Ce déchirement du voile sacré, arrivé au moment même de la mort de
Jésus-Christ, à la connaissance de tous les prêtres et du peuple, n'a pu avoir
lieu que par une cause surnaturelle; le tremblement de terre seul n'aurait pu
déchirer ce voile entièrement de haut en bas. Par ce prodige, Dieu montra qu'il
ne voulait plus de ce sanctuaire fermé comme la Loi l'ordonnait, et qu'à
l'avenir il serait lui-même le sanctuaire ouvert à tous les hommes par
Jésus-Christ.
D'après saint Léon, par le déchirement du voile, le Seigneur
témoigna clairement de ce que dit la lettre aux Hébreux: l'ancien sacerdoce
avait pris fin pour faire place au sacerdoce éternel de Jésus-Christ, que les
anciens sacrifices étaient abolis et une loi nouvelle instituée (He 7, 12). Par
là, nous avons acquis la certitude que Jésus-Christ est le fondateur de la
première comme de la seconde loi, et que la Loi Ancienne, son tabernacle, son
sacerdoce et ses sacrifices, n'existaient qu'en vue du Sacrifice de la croix,
qui devait opérer la rédemption du genre humain. Ainsi, tout ce qu'il y avait
auparavant d'obscur et de mystérieux dans la loi, les sacrifices, les fêtes, les
promesses divines, s'est éclairci par la mort du Sauveur. Enfin, selon Euthymius,
le voile déchiré signifiait que le mur qui séparait le ciel et la terre était
renversé, et que le paradis était désormais accessible aux hommes.
- III -
Le tremblement de terre
Nous lisons encore, dans l'Évangile, que la terre trembla et
que les rochers se fendirent (Mt 27, 51). C'est un fait notoire qu'à la mort de
Jésus-Christ il y eut un tremblement de terre violent et universel, tellement
que le globe entier fut secoué, dit Paul Orose. Didyme assure que la terre
frémit jusque dans son centre. Phlégon, cité par Origène et Eusèbe, rapporte que
ce tremblement de terre causa la ruine d'un grand nombre d'édifices à Nicée. en
Bithynie. De même, Pline l'Ancien, qui vécut du temps de Tibère, sous le règne
duquel mourut Jésus-Christ, atteste qu'en Asie, à cette époque, douze villes
furent détruites par un grand tremblement de terre; ce fait est confirmé par
Suétone. Les savants prétendent qu'ainsi est accomplie la prophétie d'Aggée:
« Encore un peu de temps et j'ébranlerai le ciel et la terre » (Ag 2, 7). Saint
Paulin dit à ce sujet que notre Sauveur, du haut de la croix même à laquelle il
était cloué, montra qui il était en frappant le monde de terreur.
Adrichomius observe qu'on voit encore aujourd'hui des traces
de cet événement au mont du Calvaire même; on y découvre du côté gauche, une
ouverture assez large pour recevoir le corps d'un homme et si profonde qu'on a
jamais pu la sonder. D'après Baronius, la même cause a produit des effets
semblables dans beaucoup d'autres contrées. Notamment, au promontoire de Gaète,
on voit aujourd'hui un rocher ouvert par le milieu depuis le sommet jusqu'à la
base; on assure que cette ouverture date de la mort de Notre-Seigneur, et elle
paraît en effet manifestement prodigieuse, car elle est assez grande pour donner
passage à un bras de mer, et l'on remarque que les inégalités des deux parties
du rocher se rapportent parfaitement. La même tradition existe relativement au
mont Colombo, près de Rieti, au Montserrat en Espagne, et à plusieurs autres
montagnes voisines de Cagliari dans l'île de Sardaigne. Mais, ce qu'on trouve de
plus remarquable, c'est le mont Alverne en Toscane, où saint François reçut les
sacrés stigmates: on y voit des masses énormes de rocher roulées les unes sur
les autres, et Walding rapporte qu'un Ange a révélé à saint François que c'est
une des montagnes qui s'écroulèrent à la mort du Sauveur. Ô insensibilité des
Juifs! s'écrie saint Ambroise; les pierres se fendent, et leurs cœurs ne font
que s'endurcir.
- IV -
Résurrections et conversions
Saint Matthieu signale encore d'autres miracles arrivés à la
mort de Jésus-Christ; il dit que les sépulcres s'ouvrirent, et que plusieurs
justes, qui y reposaient, ressuscitèrent à la suite du Sauveur et apparurent à
beaucoup de personnes (Mt 27, 52). Cette ouverture des tombeaux, remarque saint
Ambroise, annonçait la défaite de la mort et la restitution de la vie aux hommes
par la résurrection.
Tout comme le vénérable Bède et saint Thomas, saint Jérôme
nous fait observer que, quoique les tombeaux se soient ouverts au moment de la
mort de Jésus-Christ, cependant les coups qu'il renfermaient ne revinrent à la
vie qu'après la résurrection de Notre-Seigneur, afin qu'il fût le premier des
ressuscités. Cela est conforme au texte de l'Apôtre, où Jésus-Christ est appelé
« le Premier-Né d'entre les morts » (Col. 1, 18). Il n'était pas convenable
qu'un autre homme ressuscitât avant celui qui avait triomphé de la mort.
L'Évangéliste dit que plusieurs justes ressuscitèrent, et
qu'étant sortis de leurs sépulcres, ils apparurent à beaucoup de personnes. Ce
furent ceux qui avaient cru et espéré en Jésus-Christ. Dieu voulut ainsi honorer
pour les récompenser de leur foi et de leur confiance dans le Messie futur,
suivant la prédiction du prophète Zacharie, qui adressait ces paroles au
Rédempteur attendu: « Toi, par le sang de ton alliance, tu renvoies les captifs
de la fosse sans eau » (Za 9, 11). Et toi, ô Christ, par le mérite de ton sang,
tu es descendu dans la prison souterraine et aride, dans les Limbes, où étaient
retenues les âmes des Saints Patriarches, où les eaux de la joie ne pouvaient
pénétrer, et tu les as délivrées pour les conduire dans la gloire éternelle!
Saint Matthieu nous apprend encore que, malgré l'aveugle
obstination des Juifs, qui ne cessèrent point d'applaudir à la mort injuste du
Sauveur, le centurion et ses soldats, qui avaient été chargés d'exécuter la
sentence, à la vue des ténèbres et du tremblement de terre, furent frappés de
ces prodiges et reconnurent pour le vrai Fils de Dieu celui qu'ils venaient de
faire mourir (Mt 27, 52). Ces soldats furent les heureuses prémices des Gentils
qui embrassèrent la foi en Jésus-Christ après sa mort; par la vertu de ses
mérites, ils eurent le bonheur de reconnaître leur faute et d'en espérer le
pardon.
Saint Luc ajoute que tous les autres qui assistaient à la
mort de Jésus-Christ, après avoir vu les prodiges qui s'opéraient, s'en
retournèrent en se frappant la poitrine, pour marquer leur repentir d'avoir
coopéré, ou du moins consenti à cette grande iniquité (Lc 23, 48). Nous voyons
en outre, dans les Actes des Apôtres, que beaucoup de Juifs, pénétrés de
componction en entendant les discours de saint Pierre, lui demandèrent ce qu'ils
devaient faire pour se sauver. Le Chef de l'Église naissante leur répondit
qu'ils devaient faire pénitence et recevoir le baptême; ce qu'ils exécutèrent
aussitôt au nombre de trois mille (Ac 2, 41).
- V -
Le cœur de Jésus est ouvert
Les soldats vinrent et rompirent les jambes aux deux larrons.
Quant à Jésus, voyant qu'il était déjà mort, ils ne lui firent point subir le
même traitement; mais l'un d'eux lui ouvrit le côté avec sa lance, et il en
sortit à l'instant du sang et de l'eau (Jn 19, 32-34).
D'après saint Cyprien, la lance alla directement frapper le
cœur de Jésus-Christ; et c'est précisément ce qui fut révélé à sainte Brigitte.
On croit par conséquent que l'eau sortit du côté de Notre-Seigneur avec le sang,
attendu que la lance, pour atteindre le cœur, a dû percer d'abord le péricarde,
qui l'enveloppe.
Saint Augustin remarque que l'Évangéliste s'est servi du mot
ouvrir parce que s'ouvrit alors dans le cœur du Sauveur la porte de la vie, et
que de là sortirent les sacrements par lesquels on arrive à la vie éternelle. On
dit que le sang et l'eau qui sortirent du côté de Jésus-Christ figurent les
sacrements, parce que l'eau est le symbole du Baptême, qui est le premier des
sacrements, et que le sang su divin Sauveur est contenu dans l'Eucharistie, qui
est le plus grand des sacrements.
Saint Bernard ajoute que Jésus-Christ voulut recevoir cette
blessure visible pour nous donner à entendre que son cœur portait une blessure
invisible d'amour envers les hommes. Qui donc, conclut-il, n'aimera pas ce cœur
blessé d'amour?
Enfin, saint Augustin observe, en parlant de l'Eucharistie,
que le saint sacrifice de la Messe n'est pas moins efficace aujourd'hui devant
Dieu que ne le fut alors celui du sang et de l'eau qui jaillirent de la blessure
du Sauveur.
- VI -
Sépulture et Résurrection de Jésus-Christ
Terminons ce chapitre par quelques réflexions sur la
sépulture et la résurrection de notre divin Rédempteur.
Le Fils de Dieu est venu au monde non seulement pour nous
racheter, mais encore pour nous enseigner par son exemple toutes les vertus, et
principalement l'humilité et la sainte pauvreté, compagne inséparable de
l'humilité. C'est pour cela qu'il a voulu naître pauvre dans une grotte, vivre
pauvre dans une boutique durant trente ans, et enfin mourir pauvre et nu sur une
croix, après avoir vu ses propres vêtements partagés entre les soldats, sous ses
yeux, avant d'expirer. Et lorsqu'il fut mort, il lui fallut recevoir en aumône
un linceul pour être enseveli. Que les pauvres se consolent donc, en voyant
Jésus-Christ, le Roi du Ciel et de la terre, vivre et mourir si pauvre, pour
nous enrichir de ses mérites et de ses biens, comme le dit l'Apôtre (2 Co 8, 9).
Aussi, les Saints, désirant se rendre semblables à Jésus pauvre, ont méprisé
toutes les richesses et tous les honneurs terrestres, afin d'aller un jour, avec
leur divin Maître, jouir des richesses et des honneurs célestes, que Dieu a
préparés pour ceux dont il est aimé, biens ineffables dont saint Paul nous
apprend que l'homme ne peut se faire aucune idée ici-bas (1 Co 2, 9).
Jésus-Christ ressuscita ensuite avec la gloire de posséder,
non seulement comme Dieu, mais encore comme homme, tout pouvoir dans le ciel et
sur la terre, de sorte que tous les Anges aussi bien que les hommes sont ses
sujets. Réjouissons-nous donc de voir ainsi glorifié notre Sauveur, notre Père,
et le meilleur Ami que nous ayons. Réjouissons-nous-en pour nous-mêmes, puisque
la résurrection de Notre-Seigneur est un gage certain de notre propre
résurrection et de la gloire que nous espérons avoir un jour dans le ciel, pour
en jouir en corps et en âme. Cette espérance donna aux Saints Martyr le courage
et la force de souffrir avec joie tous les maux de cette vie et les tourments
les plus cruels inventés par les tyrans. Mais il faut se persuader que, pour
être uni à Jésus-Christ dans la joie du paradis, il est nécessaire de prendre
part à ses souffrances ici-bas: on ne peut être couronné qu'après avoir combattu
comme on le doit (2 Tm 2, 5). Tel est l'avertissement que nous donne l'Apôtre;
mais soyons persuadés en même temps de ce qu'il ajoute, que toutes les peines de
cette vie sont bien courtes et légères en comparaison des récompenses immenses
que nous espérons dans la vie future (2 Co 4, 17). Soyons donc attentifs à nous
maintenir toujours dans la grâce de Dieu et à lui demander sans cesse la
persévérance; car sans la prière, et une prière continuelle, nous n'obtiendrons
pas la persévérance, et sans la persévérance, nous ne parviendrons pas au salut.
Ô doux, ô aimable Jésus, comment avez-vous pu tant aimer les hommes que, pour
leur témoigner votre amour, vous ayez consenti à mourir épuisé de douleurs sur
un bois infâme? et comment, après cela, y a-t-il si peu d'hommes qui vous aiment
cordialement? Ah! mon cher Rédempteur, je veux être de ce petit nombre! Par le
passé, j'ai eu le malheur de perdre le souvenir de votre amour, et de renoncer à
votre grâce pour de misérables plaisirs; je reconnais ma faute, je m'en repens
de tout mon cœur, je voudrais en mourir de douleur. Maintenant, ô mon Sauveur,
je vous aime plus que moi-même, et je suis prêt à souffrir mille morts plutôt
que de perdre votre amitié! Je vous remercie des lumières que vous me donnez.
Mon Jésus, mon Espérance, ne m'abandonnez pas à moi-même, continuez à m'aider
jusqu'à la mort!
Ô Marie, Mère de Dieu, priez Jésus pour moi!
CHAPITRE IX
SUR LA RECONNAISSANCE QUE NOUS DEVONS
À JÉSUS-CHRIST POUR SA PASSION
- I -
Jésus est mort pour nous;
nous devons vivre et mourir pour lui
Saint Augustin dit que Jésus-Christ, en donnant le premier sa
vie pour nous, nous a obligé à donner notre vie pour lui. Puis le saint Docteur
ajoute que lorsque nous nous approchons de la Sainte Table pour communier, comme
nous allons nous nourrir du corps et du sang de Notre-Seigneur, nous devons
également, être prêts à donner, s'il le fallait, notre sang et notre vie pour sa
gloire.
« L'amour de Jésus-Christ nous presse », dit l'Apôtre (2 Co
5, 14). Et qu'exige-t-il de nous? Que nous l'aimions! Écoutons les belles
paroles de saint François de Sales sur ce texte: « Sachant que Jésus-Christ,
vrai Dieu, nous a aimés jusqu'à souffrir pour nous la mort, et la mort de la
croix, n'est-ce pas cela avoir nos cœurs sous le pressoir, et les sentir presser
de force, et en sentir exprimer de l'amour par une contrainte d'autant plus
violente qu'elle est tout aimable? ... Mon Jésus est tout à moi, et je suis tout
à lui! Je vivrai et mourrai sur sa poitrine; ni la mort ni la vie ne me
sépareront jamais de lui! »
Afin que nous n'oublions pas la reconnaissance que nous
devons à notre Sauveur, saint Pierre nous rappelle que nous n'avons par été
rachetés de l'esclavage de l'enfer à prix d'or ou d'argent, mais par le précieux
sang de Jésus-Christ, immolé pour nous, comme un innocent agneau, sur l'autel de
la croix (1 Pi. 1, 18). Grand sera donc le châtiment de ceux qui auront répondu
par l'ingratitude à un tel bienfait. Il est vrai que le Fils de Dieu est venu au
monde pour sauver tous les hommes de l'état de perdition où ils étaient (Lc 19,
10). Mais, ce qui est vrai aussi, ce sont les paroles prophétiques prononcées
par saint Siméon dans le Temple, lorsque Jésus Enfant y fut présenté par Marie:
« Cet enfant est pour la ruine et pour la résurrection de beaucoup d'âmes, et
pour être en butte à la contradiction » (Lc 2, 34). Le mot résurrection
annonçait le salut que Jésus-Christ devait procurer à ceux qui croiraient en
lui, et qui, par la foi, ressusciteraient de la mort du péché à la vie de la
grâce; mais, par le mot ruine, le saint vieillard a prédit en même temps que
bien des malheureux ne feraient qu'empirer leur état par leur ingratitude envers
le Fils de Dieu, descendu sur la terre pour s'exposer aux traits de ses ennemis.
Cela se vérifia littéralement lorsque le Sauveur supporta toutes les calomnies,
toutes les injures et tous les mauvais traitements que les Juifs tramèrent
contre lui. À présent, Jésus-Christ est en butte à la contradiction, non
seulement des Juifs qui refusent de le reconnaître pour Messie, mais encore des
chrétiens qui répondent à son amour par des offenses et par le mépris de ses
préceptes.
Notre Rédempteur, dit saint Paul, est allé jusqu'à donner sa
vie pour nous, afin de se rendre maître absolu de nos cœurs, par le moyen de
l'amour qu'il nous a témoigné en mourant pour nous (Rm 14, 9). Ainsi, conclut
l'Apôtre, après nous avoir rachetés par le sang de Jésus-Christ, nous ne nous
appartenons plus à nous-mêmes; « soit que nous vivions, soit que nous mourions,
nous sommes au Seigneur » (Rm 14, 8). Il s'ensuit que, si nous ne l'aimons pas,
si nous n'observons pas ses préceptes, dont le premier est de l'aimer, nous
sommes non seulement ingrats, mais injustes, et nous méritons un double
châtiment. Le devoir d'un esclave racheté par Jésus-Christ des mains du démon
est de se consacrer tout entier à l'amour et au service de son divin Maître, à
la vie et à la mort.
Saint Jean Chrysostome fait une belle réflexion sur le
passage cité de saint Paul: « Dieu, dit-il, s'occupe de nous plus que nous ne
nous en occupons nous-mêmes. Il regarde notre vie comme un bien et notre mort
comme un mal pour lui; si donc nous venons à mourir spirituellement, notre mort
est une perte, non seulement pour nous, mais encore pour Dieu ». Oh! quelle
gloire et quelle consolation pour nous de pouvoir dire, en vivant dans cette
vallée de larmes, au milieu de tant d'ennemis et de tant de périls qui nous
menacent: « Nous appartenons à Jésus-Christ, nous sommes son bien; il aura soin
de nous conserver dans sa grâce en cette vie, et de nous tenir éternellement
unis à lui dans la vie future ».
- II -
Ce que c'est que vivre et mourir pour Jésus
Jésus-Christ est donc mort pour chacun de nous, afin que
chacun de nous vive uniquement pour son Rédempteur, qui a donné sa vie pour
l'amour de lui. « Il est mort pour nous tous, afin que les vivants ne vivent
plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Co
5, 15). Celui qui vit pour lui-même se fait l'objet de tous ses désirs, de
toutes ses craintes, de toutes ses douleurs, et met en lui-même sa félicité;
mais celui qui vit pour Jésus-Christ, n'a d'autre joie que de lui plaire ni
d'autre crainte que de lui déplaire; il ne s'afflige que de voir son Jésus
méprisé, il ne se réjouit que de le voir aimé des autres. Voilà ce qui s'appelle
vivre pour Jésus-Christ, et ce qu'il exige justement de ce chacun de nous: il
n'a voulu souffrir tant de peines pour nous qu'afin de gagner tout notre amour.
Est-ce là une prétention excessive? Non, certes, répond saint
Grégoire; c'est à bon droit que le Seigneur veut être ainsi aimé de nous, après
nous avoir donné de telles preuves de son amour qu'il semble nous avoir aimé
jusqu'à la folie. Il s'est donné à nous tout entier, sans réserve; il a donc
raison de prétendre que nous nous donnions entièrement à lui et que nous lui
consacrions tout notre amour. Si nous lui en ôtons une partie, en aimant quelque
chose hors de lui ou non pour lui, il a juste sujet de se plaindre de nous; car
alors, nous ne l'aimons pas comme nous le devons, dit saint Augustin.
Que pouvons-nous aimer hors de Jésus-Christ, sinon des
créatures? Et auprès de Jésus-Christ, les créatures sont-elles autre chose que
vers de terre, fange, fumée, vanité? Le tyran qui martyrisa saint Clément,
évêque d'Ancyre, lui ayant offert un monceau d'argent, d'or et de pierreries,
pourvu qu'il renonçât à Jésus-Christ, le Saint poussa un profond soupir et
s'écria: « Ah! mon Jésus! vous qui êtes un bien infini, comment souffrez-vous
que les hommes vous estiment moins que la boue? »
Certes, dit saint Bernard, ce n'est pas la témérité ou la
démence qui portait les Martyrs à braver les chevalets, les lames ardentes, et
tous les supplices les plus cruels; c'est l'amour dont ils brûlaient pour
Jésus-Christ, en le voyant mort sur la croix pour leur amour. Contentons-nous de
citer l'exemple de saint Marc et de saint Marcellien: après leur avoir fait
clouer les mains et les pieds, le tyran leur reprochait comme une folie de
vouloir souffrir un tel tourment plutôt que de renier Jésus-Christ; mais ils
répondirent qu'ils n'avaient jamais éprouvé de délices plus douces que celles
qu'ils goûtaient en se voyant percés de ces clous pour leur divin Maître. Tous
les Saints, pour plaire à Jésus-Christ, si maltraité et si humilié pour nous,
ont embrassé avec joie la pauvreté, les persécutions, les mépris, les maladies,
les douleurs et la mort. Les âmes qui ont épousé le Sauveur sur la croix ne
trouvent rien de plus glorieux que de porter les insignes de Jésus crucifié: ces
insignes sont les souffrances.
Écoutons ce que dit saint Augustin: « À nous, qui croyons par
la foi qu'un Dieu est mort en croix pour notre amour, il n'est pas permis de
l'aimer faiblement; aucune affection ne doit trouver place dans notre cœur, si
ce n'est pour celui qui a voulu mourir crucifié pour l'amour de nous ».
Unissons-nous donc tous à saint Paul, et répétons avec lui:
« J'ai été crucifié avec Jésus-Christ; si je vis, ce n'est plus moi qui vis,
c'est Jésus-Christ qui vit en moi, lui qui m'a aimé au point de se livrer pour
moi » (Ga 2, 19-20). Saint Bernard, commentant ces paroles, s'exprime ainsi:
« Voici ce que l'Apôtre fait entendre, et ce que doit dire comme lui quiconque
aime Jésus crucifié: J'ai cessé de vivre pour moi-même depuis que je sais que
Jésus-Christ a daigné mourir pour moi, en prenant sur lui la peine de mort qui
m'était due; c'est pourquoi je suis mort à toutes les choses du monde, je suis
inattentif et insensible comme un mort à tout ce qui n'est pas pour
Jésus-Christ. Mais s'il se présente des choses qui regardent son bon plaisir et
sa gloire, elles me trouvent vivant et prêt à embrasser quoi que ce soit, les
travaux, les humiliations, les souffrances, et la mort même ». « Ma vie c'est le
Christ » (Ph 1, 21) ajoutait saint Paul, c'est-à-dire: Jésus-Christ est ma vie;
car il est mon unique pensée, mon unique but, mon unique espérance, mon unique
désir, parce qu'il est tout mon amour.
Il dit encore: « La promesse est certaine: si nous mourons
avec Jésus-Christ, nous vivrons éternellement avec lui; si nous supportons
patiemment les souffrances avec Jésus-Christ, nous régnerons avec Jésus-Christ »
(2 Tm 2, 11-12). Les rois de la terre, après la victoire, font part des biens
acquis à ceux qui ont combattu avec eux; de même, au jour du jugement,
Notre-Seigneur fera part des biens célestes à tous ceux qui auront travaillé et
souffert pour sa gloire. Mourir avec Jésus-Christ qui, au grand jour des
comptes, si nous l'avons renié, nous reniera justement à son tour; il refusera
de nous reconnaître pour siens (2 Tm 2, 12). Il faut observer ici que nous
renonçons à Jésus-Christ, non seulement quand nous renions la foi, mais encore
quand nous refusons de lui obéir en ce qu'il exige de nous, comme de remettre au
prochain, pour son amour, un affront reçu, de ne pas tenir au vain point
d'honneur, de rompre une liaison qui nous met en danger de perdre l'amitié de
Jésus-Christ, de mépriser la crainte de passer pour ingrats devant les hommes,
puisque nous devons être avant tout reconnaissants envers Jésus-Christ, qui a
donné son sang et sa vie pour nous, ce que n'a fait aucune créature.
Ô Amour de Dieu! comment peux-tu être si méprisé des hommes?
Ô hommes! voyez sur cette croix le Fils de Dieu s'immolant comme un innocent
agneau, pour expier vos péchés et gagner ainsi votre amour; regardez-le,
contemplez-le et aimez-le!Mon Jésus infiniment aimable! ne permettez plus que je
sois ingrat envers vous après tant de bonté. Par le passé, j'ai vécu dans
l'oubli de votre amour et de tout ce que vous avez souffert pour moi; mais à
l'avenir, je ne veux plus penser qu'à vous aimer. Ô Plaies de Jésus, blessez-moi
d'amour! Ô Sang de Jésus, enivrez-moi d'amour! Ô Mort de Jésus, faites-moi
mourir à tout amour qui n'est pas pour Jésus! Mon Jésus! je vous aime par-dessus
toutes choses, je vous aime de toute mon âme, je vous aime plus que moi-même! Je
vous aime, et parce que je vous aime, je voudrais mourir de douleur, en pensant
que j'ai tant de fois méprisé votre grâce. Ah! par vos mérites, mon Sauveur
crucifié, donnez-moi votre amour, et faites que je sois tout à vous!
Ô Marie, mon Espérance, faites-moi aimer Jésus-Christ, je ne
vous demande rien de plus!
CHAPITRE X
SUR NOTRE ESPÉRANCE ENTIÈRE
DANS LES MÉRITES DE JÉSUS-CHRIST
- I -
Jésus crucifié est notre ressource dans tous nos besoins
« Tout notre salut, dit saint Pierre, est en Jésus-Christ » (Ac
4, 12). C'est lui qui, par le moyen de la croix, où il a sacrifié sa vie pour
nous, nous a ouvert la voie pour espérer de Dieu tous les biens, si nous sommes
fidèles à ses préceptes.
Écoutons ce que dit de la croix saint Jean Chrysostome: « La
croix (ou Jésus crucifié) est l'espérance des chrétiens, l'appui des boiteux, la
consolation des pauvres, la ruine de l'orgueil, la victoire sur les démons,
l'école des commençants, le guide des navigateurs, le port ouvert, le conseiller
des justes, le repos des affligés, le remède des malades, la gloire des
martyrs ». Chacune de ces appellations mérite un bref commentaire.
L'espérance des chrétiens. Sans Jésus-Christ, nous n'aurions
aucun espoir de salut.
L'appui des boiteux. Dans notre état présent, qui est un état
de dégradation, nous sommes tous spirituellement boiteux; nous n'avons d'autre
force pour marcher dans la voie du salut que celle que nous recevons de la grâce
de Jésus-Christ.
La consolation des pauvres. Comment un chrétien ne se
dirait-il pas pauvre? Tout ce que nous avons, nous le devons à la charité de
Jésus-Christ.
La ruine de l'orgueil. Les disciples de Jésus crucifié ne
sauraient être orgueilleux en voyant leur divin Maître mourir sur la croix comme
un malfaiteur.
La victoire sur les démons. Le seul signe de la croix suffit
pour mettre les démons en fuite.
L'école des commençants. Quels beaux enseignements la croix
donne à ceux qui commencent à marcher dans les voies de Dieu!
Le guide des navigateurs. Oh! comme la croix nous dirige bien
au milieu des tempêtes de la vie présente.
Le port ouvert. Tous ceux que les tentations ou de violentes
passions mettent en danger de se perdre trouvent un abri sûr au pied de la
croix.
Le conseiller des justes. Que de salutaires conseils ne
puise-t-on pas dans la croix, c'est-à-dire dans les tribulations qu'on éprouve
durant la vie!
Le repos des affligés. Où les personnes affligées
trouvent-elles plus de consolation qu'au pied de la croix, sur laquelle elles
voient un Dieu qui souffre pour leur amour?
Le remède des malades. Ceux qui embrassent la croix dans les
maladies sont bientôt guéris de toutes les plaies de leur âme.
La gloire des Martyrs. Ce qui fait surtout la gloire des
Martyrs, c'est de ressembler à Jésus crucifié, Roi des Martyrs.
En un mot, toutes nos espérances sont dans les mérites de
Jésus-Christ. Paraphrasant à peine l'Apôtre (Ph 4, 12-13), on peut dire:
Instruit par le Seigneur, je sais comment je dois me conduire en toutes
circonstances. Quand Dieu m'humilie, je sais me résigner à sa volonté, et quand
il m'élève, je sais lui en rendre tout l'honneur. S'il me fait jouir de
l'abondance, je sais le remercier, et s'il me fait souffrir de la pénurie, je le
bénis encore; mais je n'agis pas ainsi pas ma propre vertu, c'est l'effet de la
grâce que Dieu me donne. Celui qui se défie de lui-même et se confie en
Jésus-Christ acquiert par son secours une force invincible.
Le Seigneur rend tout-puissants ceux qui mettent en lui leur
confiance. Ainsi parle saint Bernard, et il ajoute qu'une âme qui ne présume
point de ses propres forces, mais qui est fortifiés par Jésus-Christ, pourra
devenir tellement maîtresse d'elle-même qu'elle ne se laissera dominer par aucun
péché. Il en conclut que, si quelqu'un s'appuie sur Jésus-Christ, il n'y a ni
violence, ni fraude, ni plaisir qui puisse l'abattre.
L'Apôtre ayant prié Dieu par trois fois de le délivrer d'une
épreuve qui le tenaillait, le Seigneur lui répondit que sa grâce le suffisait,
et que la vertu se perfectionne dans la faiblesse (2 Co 12, 7-9). Mais, comment
se fait-il que la vertu se perfectionne dans la faiblesse? Saint Thomas nous
l'explique avec saint Jean Chrysostome: Plus nous sommes faibles et enclins au
mal, plus Dieu nous communique de force, dès que nous recourons à lui avec
confiance. C'est pourquoi l'Apôtre ajoute immédiatement: « Je me glorifierai
donc volontiers de mes faiblesses, puisque ainsi la vertu de Jésus-Christ
s'établira mieux en moi ». Et il continue: « Je me plais conséquemment dans mes
faiblesses, souffrant avec joie, pour Jésus-Christ, les injures, la pauvreté,
les persécutions, les angoisses; car plus je me trouve faible, plus je me confie
en lui, et j'en deviens d'autant plus fort ». (2 Co 12, 9-10).
Saint Paul dit encore que la croix paraît une folie à ceux
qui suivent la voie de la perdition, mais que pour nous, qui marchons dans la
voie du salut, c'est la force de Dieu (1 Co 1, 18). Par ces paroles, il nous
engage à ne pas imiter les mondains, qui mettent leur confiance dans les
richesses, ou dans les parents et leurs amis, et qui regardent comme insensés
les saints, qui font peu de cas des appuis terrestres. Au contraire, imitons ces
derniers en plaçant comme eux toutes nos espérances dans l'amour de la croix,
c'est-à-dire de Jésus crucifié, qui procure tous les biens à quiconque se confie
en lui.
Il faut remarquer ici que la puissance du monde diffère
entièrement de celle de Dieu: celle-là s'acquiert par les richesses et les
honneurs, tandis que celle-ci s'obtient par l'humilité et la patience. Ce qui
fait dire à saint Augustin que notre force est dans la connaissance de notre
faiblesse et dans l'humble aveu de notre misère. Et, selon saint Jérôme, toute
la perfection de la vie présente consiste à reconnaître ses imperfections. En
effet, dès que nous nous reconnaissons imparfaits comme nous le sommes, nous
défiant alors de nos propres forces, nous nous abandonnons entre les bras de
Dieu, qui protège et sauve ceux qui se confient en lui, comme en témoigne le
Psalmiste (Ps 17, 31 et 16, 7). Celui qui met sa confiance dans le Seigneur,
ajoute-t-il, devient fort comme une montagne; tous les efforts de ses ennemis ne
sauraient l'ébranler (Ps 124, 1). De là, saint Augustin nous donne cet avis que,
dans les tentations, lorsque nous sommes en danger de pécher, nous devons
recourir à Jésus-Christ et nous appuyer entièrement sur lui; loin de se retirer
et de nous laisser tomber, il nous tiendra dans ses bras et remédiera à notre
faiblesse.
En prenant sur lui les misères de notre humanité,
Jésus-Christ nous a mérité une force qui surpasse notre faiblesse; car, ayant
été lui-même tenté, dit l'Écriture, il peut nous secourir dans les tentations (He
2, 18). Comment cela? c'est que notre Sauveur, après avoir éprouvé les
tentations, en est plus porté à compatir à nos maux et à nous aider lorsque nous
sommes tentés. Cette explication nous est donnés dans un autre passage du même
texte: « Nous n'avons pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos
faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout d'une manière semblable, à l'exception
du péché » (He 4, 15). L'auteur nous exhorte conséquemment à recourir avec
confiance au trône de la grâce, c'est-à-dire à la croix, pour recevoir du
Sauveur, qui y est attaché pour nous, les secours dont nous avons besoin (He 4,
16).
L'Évangile atteste que Jésus-Christ, dans le jardin de
Gethsémani, la nuit qui précéda sa mort, fut en proie à la crainte, à l'ennui, à
la tristesse (Mc 14, 33; Mt 26, 37). En se soumettant à ces peines, notre
Sauveur nous a mérité le courage de résister aux menaces de ceux qui veulent
nous pervertir, la vigueur nécessaire pour surmonter l'ennui que nous éprouvons
dans l'oraison, dans les mortifications, et dans les autres exercices de piété,
et la force de souffrir en paix la tristesse qui nous afflige dans les
adversités.
Nous savons en outre que, dans cette même circonstance, à la
vue des douleurs et de la mort désolée qu'on lui préparait, il voulut bien
éprouver, dans son humanité, une telle faiblesse qu'il dit à ses disciples:
« L'esprit est prompt, mais la chair est faible » (Mt 26, 41) et qu'il alla
jusqu'à prier Dieu son Père d'éloigner de lui cet horrible supplice. Mais il
ajouta aussitôt: « Néanmoins, non comme je veux, mais comme vous voulez » (Mt
26, 42). Durant tout le temps de sa pénible oraison dans le jardin des Olives,
il ne fit que répéter la même prière. Ce Fiat nous mérita et nous obtint la
résignation dans tout ce qui nous arrive de contraire, et valut aux Martyrs et
aux Confesseurs de la foi la force de résister à toutes les persécutions et à
toute la cruauté des tyrans, comme l'enseigne saint Léon.
De même, par l'horreur qu'il eut alors de nos péchés, et qui
lui cause une si dure agonie (Lc 22,43), Jésus nous a mérité la grâce de la
contrition. Par l'abandon qu'il souffrit ensuite sur la croix, de la part de son
Père, il nous a mérité la grâce de ne pas nous décourager dans les désolations
et les obscurités spirituelles. En inclinant la tête, au moment d'expirer sur ce
gibet pour obéir à la volonté de son Père (Ph 2, 8), il nous a mérité toutes les
victoires que nous obtenons contre les passions et les tentations, ainsi que la
patience dans les maux de cette vie, et principalement dans les douleurs et les
angoisses qui accompagnent la mort. En un mot, dit saint Léon, Jésus-Christ est
venu prendre sur lui nos infirmités et nos misères, pour nous communiquer sa
vertu et sa constance.
L'Écriture nous assure que le Fils de Dieu a appris
l'obéissance par tout ce qu'il a souffert (He 5, 8). Cela ne signifie pas que
Jésus-Christ ait appris dans sa passion ce que c'est que la vertu d'obéissance,
comme s'il l'eût ignoré auparavant; mais on entend par là, suivant l'explication
de saint Anselme, que Notre-Seigneur, outre la connaissance qu'il en avait déjà,
apprit par expérience, dans sa passion, combien était douloureuse la mort qu'il
devait souffrir pour obéir à son père. Il éprouva aussi alors combien est grand
le mérite de l'obéissance, puisque, par elle, il obtint pour lui-même le plus
haut degré de gloire, qui est d'être assis à la droite de son Père, et pour nous
le salut éternel. C'est pourquoi l'auteur sacré ajoute qu'ayant exercé une
obéissance parfaite, en endurant patiemment tout ce qu'il eut à souffrir dans sa
passion, Jésus-Christ a mérité la grâce du salut à tous ceux qui se montrent
obéissants envers lui, en supportant avec patience les maux de la vie présente (He
5, 9).
C'est cette patience du divin Sauveur qui a procuré aux
Saints Martyrs le courage et la force d'embrasser avec patience les tourments
les plus atroces que la cruauté des tyrans ait pu inventer, et non seulement
avec patience, mais avec joie et avec le désir de souffrir encore davantage pour
l'amour de Jésus-Christ. Qu'on lise la célèbre lettre que saint Ignace Martyr,
condamné aux bêtes, écrivit aux Romains avant d'arriver au lieu de son supplice:
« Mes enfants, leur dit-il, je suis le froment de Dieu; laissez-moi broyer par
les dents des bêtes féroces, afin que je devienne un pain agréable à mon
Rédempteur. Je ne cherche que celui qui est mort pour nous. Permettez que
j'imite la passion de mon Dieu. Il est l'unique objet de mon amour, il a été
crucifié pour moi; l'amour que je lui porte, me fait désirer d'être crucifié
pour lui ». Saint Léon dit du martyr saint Laurent, que le feu qui brûlait son
corps sur le gril était moins ardent que celui dont son âme était embrasée.
Eusèbe et Pallade rapportent de sainte Potamiène, vierge d'Alexandrie, qu'étant
condamnée à être jetée dans une chaudière de poix bouillante, et désirant
souffrir davantage pour l'amour de son Époux crucifié, elle pria le tyran de l'y
faire descendre peu à peu, afin que sa mort fût plus douloureuse. Elle obtint ce
qu'elle demandait: on commença par lui plonger les pieds dans la poix, de sorte
que son tourment dura trois heures; elle n'expira que lorsque la poix lui fut
arrivée au cou. Telles sont la patience et la force que les Martyrs reçurent de
la passion de Jésus-Christ.
Plein de ce courage que Jésus crucifié inspire à ceux dont il
est aimé, saint Paul s'écriait qu'aucune peine, aucune privation, aucun danger,
aucun supplice, n'était capable de le séparer de l'amour de Jésus-Christ (Rm 8,
35). Il espérait triompher de tout par la grâce et pour l'amour de son divin
Maître (Rm 8, 37). L'amour des Martyrs envers Jésus-Christ était invincible,
parce qu'il recevait sa force de celui qui ne saurait être vaincu. Et ne pensons
pas qu'un miracle les ait rendus insensibles aux tourments, ni que les
consolations célestes aient absorbé la douleur qu'ils éprouvaient; cela a pu
arriver quelquefois, mais d'ordinaire ils sentaient très bien leurs douleurs; on
en voyait qui, par faiblesse, cédaient à la violence des tortures. Quant à ceux
qui avaient la constance de résister jusqu'à la fin, c'est Dieu qui leur donnait
la patience et la force nécessaire pour tout souffrir.
Le premier objet de notre espérance est la félicité
éternelle, c'est-à-dire la jouissance de Dieu, comme l'enseigne saint Thomas.
Quant aux moyens d'arriver à cette suprême béatitude, tels que le pardon des
péchés commis, la persévérance finale dans la grâce de Dieu et la bonne mort,
nous devons tout attendre des mérites et du secours de Jésus-Christ, sans
compter sur nos propres forces ni sur nos bonnes résolutions. Ainsi, pour que
notre confiance soit ferme, nous devons avoir la certitude infaillible que nous
ne pouvons obtenir ces moyens de salut que par les mérites de notre Sauveur, et
que nous en pouvons tout espérer.
- II -
De l'espérance que nous avons en Jésus-Christ
d'obtenir le pardon de nos péchés
Nous savons que c'est pour procurer aux pécheurs le pardon et
le salut que le Fils de Dieu est venu sur la terre, comme il l'a déclaré
lui-même (Mt 18, 11). Et lorsque saint Jean-Baptiste annonça aux Juifs la
présence du Messie qu'ils attendaient, il s'exprima ainsi, en le montrant:
« Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde » (Jn 1, 29).
Il dit l'Agneau, avec l'article défini, d'après le texte grec; c'est donc comme
si le saint Précurseur eût parlé de cette manière: Voici l'Agneau divin prédit
par Isaïe (Is 53, 7) et par Jérémie (Jr 11, 19). Voici l'Agneau préfiguré par
Moïse dans l'agneau pascal, ainsi que dans le sacrifice de l'agneau qu'on
offrait à Dieu chaque matin, suivant la Loi, et dans plusieurs autres qui se
faisaient le soir pour les péchés. Mais tous ces agneaux ne pouvaient abolir un
seul péché; ils ne servaient qu'à représenter le sacrifice de l'Agneau divin,
qui devait laver nos âmes de son sang, et les délivrer par ce moyen, tant de la
tache du péché que de la peine éternelle encourue par le péché, notre Sauveur
prenant sur lui la charge de satisfaire pour nous à la justice de Dieu par sa
mort, selon ce qu'Isaïe a prédit: « Le Seigneur a fait retomber sur lui les
crimes de nous tous » (Is 53, 6). C'est ce qui fait dire à saint Cyrille:
Jésus-Christ a voulu se dévouer à la mort, pour gagner à Dieu tous les hommes
qui étaient perdus.
Combien donc ne sommes-nous pas obligés envers ce généreux
Rédempteur! Si, au moment où un condamné à mort est conduit au supplice, la
corde au cou, un ami venait le délivrer en prenant sur lui la corde fatale pour
mourir à sa place, quel droit cet ami n'aurait-il pas à sa reconnaissance et à
son amour! Eh bien! voilà ce que Jésus a fait pour nous; il est mort sur la
croix pour nous délivrer de la mort éternelle.
Notre-Seigneur, dit saint Pierre, s'est chargé de tous nos
péchés et les a portés sur la croix, pour les expier par sa mort, nous en
obtenir le pardon, et nous rendre ainsi la vie que nous avions perdue (1 Pi. 2,
24). Qu'y-a-t-il de plus admirable, s'écrie saint Bonaventure, que de voir les
plaies de l'un guérir les plaies des autres, et la mort d'un seul rappeler à la
vie tous ceux qui étaient morts? Saint Paul dit que, des pécheurs que nous
étions, odieux et abominables, Dieu nous a rendus, par Jésus-Christ, agréables
et aimables à ses yeux; car, par les mérites de son sang, il nous a remis nos
péchés, et nous a communiqué surabondamment les richesses de sa grâce (Ep 1, 6).
Tel fut l'effet du pacte de Jésus-Christ avec son Père: le Seigneur nous a
pardonné nos fautes et nous a reçus dans son amitié, en considération des
souffrances et de la mort de son Fils bien-aimé.
C'est dans ce sens que l'Écriture appelle Jésus-Christ
Médiateur du Nouveau Testament (He 9, 15). Dans nos Saints Livres, le mot
Testament se prend en deux sens: celui de pacte, ou d'accord entre deux parties
qui étaient en opposition, et celui de promesse, ou de disposition de dernière
volonté, par laquelle on transmet son bien à des héritiers, disposition qui ne
devient irrévocable que par la mort du testateur. Nous parlerons plus loin, à la
section IV de ce chapitre, du Testament considéré comme promesse. Ici, il ne
s'agit que du Testament considéré comme pacte, tel que l'entend l'Écriture
lorsqu'elle dit que Jésus-Christ est le Médiateur du Nouveau Testament.
Le péché avait rendu l'homme débiteur envers la Justice
divine et ennemi de Dieu. Le Fils de Dieu vint sur la terre, se revêtit de la
chair humaine, et, dès qu'il fut tout à la fois Dieu et Homme, se fit Médiateur
entre l'homme et Dieu, agissant comme Dieu et comme Homme. Afin de rétablir la
paix entre eux, en obtenant pour l'homme la grâce de Dieu, il offrit de payer à
la justice de Dieu, au prix de son sang et de sa mort, la dette de l'homme.
Cette merveilleuse réconciliation avait été figurée d'avance, sous l'Ancien
Testament, dans tous les sacrifices qui se faisaient alors, et dans tous les
symboles que Dieu avait ordonnés, tels que le tabernacle, l'autel, le voile, le
chandelier d'or, l'encensoir, et l'arche qui renfermait le rameau d'Aaron et les
tables de la Loi. Tous ces objets étaient des signes et des figures de la
rédemption promise. Comme cette rédemption devait s'accomplir par le sang de
Jésus-Christ, Dieu avait prescrit que le sang des animaux, représentant celui de
l'Agneau divin, fût versé dans tous les sacrifices, et que tous les objets
symboliques que nous venons de mentionner fussent arrosés de ce sang (He 9, 18).
Le premier Testament, c'est-à-dire l'alliance, le pacte, ou
la médiation, qui se fit dans l'Ancienne Loi, et qui représentait la médiation
de Jésus-Christ dans la Loi Nouvelle, fut scellé par le sang des veaux et des
boucs, que Moïse prit avec de la laine rouge et de l'hysipe (He 9, 19). La laine
rouge était aussi une figure de notre Sauveur: comme la laine est naturellement
blanche, et qu'elle ne devient rouge que par la teinture, de même Jésus, blanc
par sa nature et par son innocence, parut tout rougi de son sang sur la croix,
où il fut supplicié comme un malfaiteur. Ainsi s'est vérifié ce que l'Épouse des
Cantiques disait de lui: « Mon Bien-Aimé éclate par sa blancheur et par sa
rougeur » (Ct 5, 10). L'hysope, qui est une plante basse, marquait l'humilité de
Jésus-Christ.
Le texte continue en ces termes: « Moïse ayant pris du sang
des victimes, en jeta sur le livre où l'alliance était écrite, et sur tout le
peuple, en disant: “C'est le sang su Testament que Dieu a fait pour vous”. Il
jeta encore du sang sur le tabernacle et sur tous les vases sacrés. Enfin, selon
la Loi, presque tout se purifie avec le sang et les péchés ne sont pas remis
sans effusion de sang ». (He 9, 19-22), En parlant ainsi aux Hébreux, l'auteur
sacré a voulu répéter plusieurs fois le mot de sang, afin d'imprimer dans
l'esprit et dans le cœur de tous les hommes que, sans le sang de Jésus-Christ,
il n'y aurait aucun espoir de pardon. Et comme, sous l'Ancienne Loi, le sang des
victimes purifiait les Hébreux de la tache extérieure des fautes qu'ils
commettaient contre la Loi, et leur remettait la peine temporelle que la Loi
imposait, de même, sous la Loi Nouvelle, le sang de Jésus-Christ nous lave de la
tache intérieure de nos péchés, suivant l'expression de saint Jean (Ap 4, 5), et
il nous délivre de la peine éternelle de l'enfer.
Dans le présent contexte, il convient de reprendre ce qui a
été dit plus haut, au Chapitre VII, section II. Le Pontife de l'Ancienne Loi
entrait par le tabernacle dans le Saint des Saints et, au moyen de l'aspersion
du sang des animaux, il purgeait les délinquants de la tache extérieure qu'ils
avaient contractée et de la peine temporelle seulement. Pour obtenir la
rémission de la coulpe et de la peine éternelle, il était absolument nécessaire
aux Hébreux d'avoir la contrition avec la foi et l'espérance dans le Messie
futur, qui devait mourir pour procurer aux hommes le pardon de leurs péchés;
mais Jésus-Christ, le Pontife de la Loi Nouvelle, par un tabernacle plus grand
et plus parfait, c'est-à-dire par son corps adorable, offert en sacrifice sur la
croix, est entré dans le sanctuaire du ciel, qui nous était fermé et qu'il nous
a ouvert par la rédemption.
Ensuite, pour porter à espérer le pardon de toutes nos
fautes, en mettant notre confiance dans les mérites de notre Sauveur, le texte
ajoute que, si le sang des animaux offerts en sacrifice avait la vertu d'ôter
les souillures légales, à bien plus forte raison le sang de Jésus-Christ, qui
s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, doit purifier notre
conscience des oeuvres mortes et nous rendre capables de servir Dieu comme il
convient. Notre divin Rédempteur s'est offert lui-même à Dieu, pur de toute
tache, sans aucune ombre de faute; autrement, il n'eût pas été un digne
médiateur, propre à réconcilier Dieu avec l'homme pécheur, et son sang n'eût pas
eu la vertu de purifier notre conscience des oeuvres mortes, c'est-à-dire des
péchés, qui sont des oeuvres mortes, ou sans mérites, et des oeuvres de mort,
dignes des peines éternelles. Le Seigneur ne nous pardonne qu'à la condition que
nous emploierons le reste de notre vie à le servir et à l'aimer.
Voilà pourquoi, conclut notre passage de la Lettre aux
Hébreux, Jésus-Christ est le Médiateur du Nouveau Testament. Ainsi, notre
Rédempteur, poussé par l'amour immense qu'il nous portait, a voulu nous racheter
de la mort éternelle au prix de son sang; c'est par ce moyen qu'il nous a obtenu
de Dieu le pardon de nos péchés, sa grâce en cette vie, et l'éternelle félicité
en l'autre, si nous le servons fidèlement jusqu'à la mort. Tel fut le Testament,
médiation ou pacte, entre Jésus-Christ et Dieu son Père, en vertu duquel le
pardon et le salut nous furent promis. (Cf. He 9 passim.)
Cette promesse du pardon qui devait nous être accordé en
considération des mérites du sang de Jésus-Christ, nous a été confirmée par
notre Sauveur lui-même, la veille de la mort lorsqu'il dit en instituant le
sacrement de l'Eucharistie: « Ceci est mon Sang, le Sang de la Nouvelle
Alliance, qui sera répandu pour plusieurs pour la rémission des péchés » (Mt 26,
28). Par le mot « répandu », il annonçait que son sacrifice était prochain, et
qu'il devait y laisser son sang, non en partie, mais entièrement, pour expier
nos péchés et nous en obtenir le pardon. Notre-Seigneur a voulu ensuite que ce
divin sacrifice se renouvelât tous les jours, à chaque Messe qui serait
célébrée, afin que son sang intercédât continuellement en notre faveur.
C'est pour cela que Jésus-Christ fut appelé Prêtre selon
l'ordre de Melchisédech (Ps 109, 4). Aaron offrit des sacrifices d'animaux,
tandis que le sacrifice de Melchisédech fut de pain et de vin, figure du
Sacrifice de l'autel. Notre Sauveur institua cet auguste mystère lors de la
dernière cène, en offrant à Dieu, sous les espèces du pain et du vin, son corps
et son sang, qu'il devait sacrifier le lendemain dans sa passion, pour continuer
ensuite à les offrir tous les jours par la main des prêtres, renouvelant sans
cesse par leur ministère le Sacrifice de la croix.
La Lettre aux Hébreux explique pourquoi David appelle
Jésus-Christ, non seulement Prêtre, mais Prêtre éternel. La mort mettait fin au
sacerdoce des anciens Pontifes; mais, comme Jésus-Christ demeure éternellement,
son sacerdoce est éternel (He 7, 24). Et si l'on demande comment Notre-Seigneur
continue dans le ciel l'exercice de son sacerdoce, le texte sacré fournit les
réponses au verset suivant: « Du fait qu'il demeure pour l'éternité, il a un
sacerdoce éternel » (He 7, 25). Le grand Sacrifice de la croix, représenté et
perpétué par le Sacrifice de l'autel, ne cesse pas d'avoir la vertu de sauver
tous ceux qui, dûment disposés par la foi et les bonnes oeuvres, s'approchent de
Dieu par l'entremise de Jésus-Christ. Ce sacrifice, disent saint Ambroise et
saint Augustin, le Fils de Dieu continue comme homme de l'offrir pour nous à son
Père, ne cessant point de faire dans le ciel, comme il le faisait sur la terre,
l'office de notre Avocat et Médiateur, et même de notre Pontife, office qui
consiste à intercéder en notre faveur, suivant les dernières paroles du texte.
Saint Jean Chrysostome dit que les plaies de Jésus-Christ
sont autant de bouches ouvertes, pour implorer de Dieu le pardon de nos péchés.
C'est bien ce qu'affirme l'Écriture lorsqu'elle indique que son précieux sang
parle bien plus efficacement en demandant miséricorde pour nous que celui d'Abel
en réclamant la vengeance divine contre Caïn (He 12, 22). On lit dans les
révélations de sainte Marie-Madeleine de Pazzi que Dieu lui adressa un jour ces
paroles: « Ma justice s'est changée en clémence par la vengeance qu'a prise sur
la chair innocente de mon Fils. Son Sang ne me crie pas vengeance comme celui
d'Abel; il ne demande que miséricorde et, à sa voix, ma justice ne peut
résister; le sang de Jésus lui lie les mains, de sorte qu'elle ne peut plus les
lever pour punir les péchés comme auparavant ».
Le Seigneur nous avait promis la rémission de nos péchés et
la vie éternelle; mais, remarque saint Augustin, il a fait pour nous plus qu'il
avait promis. Pour nous accorder le pardon et le paradis, il n'en eût rien coûté
à Jésus-Christ; mais, pour nous racheter, il a dû donner son sang et sa vie.
L'apôtre saint Jean nous exhorte à fuir le péché; mais, de
peur que nous perdions la confiance envers Dieu, à cause des fautes que nous
avons commises, il nous en fait espérer le pardon, pourvu que nous ayons la
ferme résolution de n'y plus retomber. À cet effet, il nous dit que nous avons
affaire à Jésus-Christ qui, non seulement est mort pour nous pardonner, mais de
plus, après sa mort, s'est fait notre Avocat auprès de Dieu son Père (1 Jn 2,
1). Nos péchés, selon la justice, méritent la disgrâce de Dieu et la damnation
éternelle; mais la passion du Sauveur réclame pour nous la grâce et le salut, et
cela en toute justice. Car le Père éternel, en considération des mérites de son
Fils, lui a promis de nous pardonner et de nous sauver, dès que nous sommes
disposés à recevoir sa grâce et à observer ses commandements, selon ce que dit
l'Écriture (He 5, 9). Ainsi, Jésus-Christ, en mourant sur la croix consumé de
douleurs, a obtenu le salut éternel à tous ceux qui observent sa loi. De là
cette exhortation: Courons avec ardeur, armés de courage et de patience, au
combat contre les ennemis de notre salut, en tenant toujours les yeux fixés sur
Jésus crucifié, qui, renonçant à une vie de plaisirs sur la terre, a préféré d'y
passer ses jours dans des travaux pénibles, terminés par une mort pleine de
douleurs et d'opprobres et a voulu accomplir ainsi l’œuvre de notre rédemption (He
12, 1-2).Ô précieux Sans de mon Sauveur, vous êtes mon espérance; purifiez un
pauvre pécheur qui se repent de ses fautes! Mon Jésus! mes ennemis, après
m'avoir entraîné à vous offenser, me disent que je n'ai plus rien à espérer de
vous, qu'il n'y a plus de salut pour moi (Ps 3, 3). Mais au contraire, plein de
confiance dans le sang que vous avez répandu pour moi, je vous dirai avec David
que vous êtes mon refuge (Ps 3, 4). Mes ennemis cherchent à me troubler, en
disant qu'après tant de péchés, si je recours à vous, je serai repoussé; mais
saint Jean me rassure par votre promesse de ne point rejeter celui qui revient à
vous (Jn 6, 37). Je recours donc à vous avec une entière confiance. Vous, mon
Sauveur, qui avez répandu tout votre sang avec tant de douleur et tant d'amour
pour ne pas me voir perdu à jamais, ayez pitié de moi, pardonnez-moi et
sauvez-moi!
- III -
De l'espérance que nous avons en Jésus-Christ
d'obtenir la persévérance finale.
Pour persévérer dans le bien, nous ne devons pas nous fier
aux résolutions que nous avons prises, ni aux promesses que nous avons faites à
Dieu. Dès que nous comptons sur nos propres forces, nous sommes perdus. C'est
dans les mérites de Jésus-Christ que nous devons placer toute notre espérance
pour nous maintenir dans l'état de grâce; son secours nous fera persévérer
jusqu'à la mort, fussions-nous combattus par toutes les puissances de la terre
et de l'enfer. Quelquefois, sans doute, nous nous trouverons tellement abattus
et assaillis de tant de tentations que notre ruine nous paraîtra presque
inévitable; gardons-nous alors de perdre courage et de nous abandonner au
désespoir; recourons à Jésus crucifiés, et il nous empêchera de tomber.
Le Seigneur permet que les saints eux-mêmes aient quelquefois
à subir de pareilles tempêtes. Saint Paul assure que les afflictions et les
craintes qu'il souffrit en Asie étaient telles qu'il avait pris du dégoût pour
la vie (2 Co 1, 8). L'Apôtre déclare ainsi ce qu'il était selon ses propres
forces, pour nous apprendre que Dieu nous laisse de temps en temps dans la
désolation, afin que nous connaissions notre misère et que, nous défiant de
nous-mêmes, et implorant humblement son assistance, nous obtenions de lui la
force qui nous manque pour ne pas succomber (2 Co 1, 9). Il s'exprime plus
clairement encore dans un autre endroit, où il dit: « Nous nous sentons
oppressés par la tristesse et par les passions, mais sans nous abandonner au
désespoir; nous sommes jetés sur des eaux agitées, mais sans y être submergés;
car le Seigneur, par sa grâce, nous donne la force de résister à tous nos
ennemis » (2 Co 4, 8). Mais en même temps, l'Apôtre nous recommande de ne jamais
oublier que nous sommes fragile, que nous pouvons facilement perdre le trésor de
la grâce, et que le moyen de le conserver ne vient pas de nous, mais de Dieu
seul (2 Co 4, 7).
Soyons donc fermement persuadés qu'en cette vie nous devons
toujours nous garder d'avoir la moindre confiance en ce que nous pouvons faire.
Notre arme la plus forte, avec laquelle nous ne manquerons jamais de remporter
la victoire dans nos luttes contre l'enfer, c'est la prière. Elle fait la
principale force de cette divine armure dont parle saint Paul, en nous
recommandant d'en être sans cesse revêtus, pour triompher des ruses de nos
ennemis, car, ajoute-t-il, nous n'avons pas à combattre contre les hommes,
créatures de chair et de sang, mais contre les puissances infernales (Ep 6,
11-12). Tâchons de bien comprendre la description que l'Apôtre donne ici de
l'armure du chrétien (Ep 6, 14-17).
Que la vérité soit la ceinture de vos reins. — Allusion à la
ceinture que les soldats portaient comme une marque de la fidélité qu'ils
avaient jurée à leur souverain. La ceinture du chrétien doit être la vérité de
la doctrine de Jésus-Christ, suivant laquelle ils sont obligés de réprimer tous
les mouvements déréglés, et surtout les mouvements impurs, qui sont les plus
dangereux.
Que la justice soit votre cuirasse. — Le chrétien doit avoir
pour cuirasse une bonne vie; sans quoi, il sera incapable de résister aux
attaques de ses ennemis.
Que votre zèle à propager l'Évangile de la paix soit vos
chaussures. — La chaussure militaire dont un chrétien doit faire usage pour
arriver promptement où le bien l'appelle, à la différence de celui qui, allant
pieds nus, marche avec peine et lenteur, c'est d'être toujours prêt à pratiquer
les saintes maximes de l'Évangile et à les insinuer aux autres par son exemple.
Servez-vous surtout du bouclier de la foi, afin de pouvoir
éteindre tous les traits enflammés de Satan. — Le bouclier qui doit protéger le
soldat de Jésus-Christ contre les flèches ennemies, lesquelles pénètrent comme
le feu, c'est une foi constante, animée par la sainte espérance et
principalement par la divine charité.
Prenez encore le casque du salut, et l'épée de la parole de
Dieu. - Le casque, selon saint Anselme, c'est l'espérance du salut éternel.
Enfin, l'épée de l'esprit doit être la parole sacrée par laquelle le Seigneur
nous a promis plusieurs fois d'exaucer nos prières: « Invoque moi et je te
répondrai » (Jr 33, 3), « Demandez et vous recevrez » (Mt 7, 7), « Quiconque
demande reçoit » (Lc 11, 10).
L'Apôtre termine son tableau par ces paroles remarquables:
Invoquant le Seigneur en esprit et en tout temps, par toute sorte de
supplications et de prières, et cela avec vigilance, avec instance et
persévérance, en priant aussi pour tous les saints (Ep 6, 18). La prière est
donc notre arme principale; c'est par elle que nous obtenons de Dieu la victoire
sur toutes nos mauvaises inclinations et sur toutes les tentations de l'enfer.
Mais il faut qu'on prie en esprit, c'est-à-dire non seulement de bouche, mais
encore de cœur. Il faut en outre prier en tout temps, durant toute la vie; comme
nous avons toujours à combattre, notre prière ne doit jamais cesser. Il faut
prier avec instance et persévérance: si la tentation ne cède pas à la première
prière, on doit en faire une deuxième, une troisième, une quatrième; et si elle
persiste malgré cela, il faut prier avec gémissements, avec larmes, jusqu'à
l'importunité et la violence, comme si nous voulions forcer le Seigneur à nous
accorder la grâce de la victoire; telle est la signification de ces mots. Enfin,
l'Apôtre ajoute pour tous les Saints, ce qui veut dire que nous devons prier,
non seulement pour nous, mais encore pour la persévérance de tous les fidèles,
spécialement pour celle des prêtres, afin qu'ils travaillent avec zèle et avec
fruit à la conversion des infidèles et de tous les pécheurs. Il faut supplier
fréquemment Notre-Seigneur, dans nos oraisons, d'éclairer ceux qui sont aussi
dans les ténèbres et dans les ombres de la mort, selon ce que Zacharie annonçait
dans son Cantique (Lc 1, 79).
Il est fort utile, pour triompher dans les combats
spirituels, de les prévenir dans nos méditations, en nous disposant d'avance à
résister de toutes nos forces aux attaques qui peuvent nous surprendre. C'est
ainsi qu'on a vu les Saints parler avec douceur ou garder le silence, sans
éprouver aucun trouble, en recevant une injure grave, en se voyant tout à coup
persécutés avec violence, saisis d'une vive douleur dans le corps ou dans l'âme,
en perdant un objet de grande valeur ou une personne chérie. De telles victoires
sur soi-même ne s'obtiennent pas ordinairement sans avoir cette fermeté qu'on
puise dans une vie bien réglée, dans la fréquentation des sacrements, et dans un
continuel exercice de méditations, de lectures spirituelles et de prières. On ne
les voit guère chez ceux qui ne sont pas fort attentifs à fuir les occasions
dangereuses, ou qui sont attachés aux vanités ou aux plaisirs du monde et
pratiquent peu la mortification des sens; chez ceux, en un mot, qui mènent une
vie molle. Saint Augustin enseigne que, dans le combat spirituel, on doit
vaincre d'abord le plaisir, et ensuite la douleur. Lorsqu'on est abandonné aux
plaisirs sensuels, on résiste difficilement à une passion vive ou à une violente
tentation; et lorsqu'on aime trop l'estime du monde, on ne peut guère essuyer un
affront grave sans perdre la grâce de Dieu.
Il est vrai que c'est de Jésus-Christ seul, et nullement de
nous-mêmes, que nous devons attendre la force nécessaire pour éviter le péché et
faire de bonnes oeuvres; mais, pour obtenir cette grâce, il faut que nous
prenions grand soin de ne pas nous rendre, par notre faute, de plue en plus
faible. Certains défauts dont nous ne tenons pas compte peuvent être cause que
la lumière divine nous manque, et que le démon devienne plus fort contre nous.
Tels sont, par exemple, le désir de passer dans le monde pour savant ou pour
noble, la vanité dans les habits, la recherche des commodités superflues,
l'habitude de se piquer de toute parole choquante ou d'un simple manque
d'attention, l'envie de plaire au monde au dépens du bien spirituel, la
négligence des pratiques de piété par respect humain, les petites
désobéissances, les petits murmures, les petites aversions conservées dans le
cœur, les légers mensonges, les légères dérisions, le temps perdu en des
conversations ou des curiosités inutiles. En un mot, tout attachement aux biens
terrestres, tout acte d'amour-propre désordonné, peut servir à notre ennemi pour
nous entraîner dans quelque précipice. Par suite de pareilles fautes commises de
propos délibéré, Dieu nous privera de ses secours abondants, sans lesquels nous
ferons bientôt quelque lourde chute.
Nous nous plaignons de nous trouver plein de sécheresse et de
dégoût dans l'oraison, dans la communion, et dans tous les exercices spirituels;
mais, comment Dieu voudrait-il nous faire jouir de sa présence et nous prodiguer
les marques de sa tendresse, lorsque nous sommes si avare envers lui et si
négligent dans son service? L'Apôtre nous en avertit: « Celui qui sème peu
moissonnera peu » (2 Co 9, 6). Si nous donnons à Dieu tant de déplaisirs, quel
droit avons-nous à ses consolations célestes? Tant que nous ne serons pas
entièrement détachés de la terre, nous ne serons jamais tout entiers à
Jésus-Christ; et qu sait où cela nous conduira? Et cependant, notre Sauveur nous
a mérité, par son humilité, la grâce de vaincre l'orgueil; par sa pauvreté, la
force de mépriser les biens terrestres; par sa patience, le courage de supporter
les affronts et les injures. Ah! s'écrie saint Augustin, où en sommes-nous, si
les exemples du Fils de Dieu, et tant de grâces qu'il nous a obtenues, ne
peuvent nous guérir de nos vices? Si, d'un côté, nous laissons refroidir notre
amour envers Jésus-Christ, et si nous négligeons de le prier sans cesse de nous
secourir, tandis que, de l'autre, nous nourrissons dans notre cœur quelque
affection terrestre, il nous sera bien difficile de persévérer dans la bonne
voie. Prions donc, prions toujours; par la prière, nous obtiendrons tout. Ô
Rédempteur du monde! ô mon unique Espérance! par les mérites de votre passion,
délivrez-moi de toute affection impure et de tout ce qui pourrait faire obstacle
à l'amour que je vous dois. Faites que je vive entièrement dépouillé de désirs
mondains, et que je n'aspire qu'à vous posséder, vous qui êtes le bien suprême,
le seul digne d'être aimé. Par vos plaies sacrées, guérissez les infirmités de
mon âme, et accordez-moi la grâce de tenir éloigné de mon cœur tout sentiment
qui n'est pas pour vous; c'est à vous que sont dues toutes mes affections.
Jésus, mon Amour, vous êtes mon espérance! Ô douces paroles! ô douce
consolation! Jésus, mon Amour, vous êtes mon espérance!
- IV -
De l'espérance que nous avons en Jésus-Christ
d'obtenir la félicité éternelle.
Revenons à la Lettre aux Hébreux, où on dit que Jésus-Christ
est le Médiateur du Nouveau Testament, afin que, par sa mort, nous recevions
l'héritage éternel qu'il nous a promis (He 9, 15). Dans la section II du présent
chapitre, on a parlé du Nouveau Testament comme pacte; ici, il en sera question
comme promesse, ou disposition de dernière volonté, par laquelle Notre-Seigneur
nous a institués héritiers du royaume des cieux. Or, un testament n'étant valide
qu'après la mort du testateur, il était nécessaire que Jésus-Christ mourût, pour
que nous pussions, comme ses héritiers, entrer en possession du paradis (He 9,
16-17).
En vertu des mérites de Jésus-Christ, notre Médiateur, nous
avons reçu la grâce d'être élevés, par le Baptême, à la dignité d'Enfants de
Dieu, tandis que les Hébreux, dans l'Ancien Testament, quoiqu'ils fussent le
peuple élu de Dieu, n'étaient cependant que ses serviteurs (cf. Ga 4, 24). La
première médiation eut lieu sur le mont Sinaï, lorsque Dieu promit aux Hébreux,
par l'entremise de Moïse, l'abondance des biens temporels, s'ils observaient la
loi qu'il leur donnait. Quant aux chrétiens, écoutons saint Paul: « Vous, mes
frères, à la manière d'Isaac, vous êtes mes enfants de la promesse » (Ga 4, 28).
Si donc, nous chrétiens, nous sommes les enfants de Dieu, il s'ensuit, toujours
d'après l'Apôtre, que nous sommes aussi ses héritiers; car tous les enfants
doivent avoir part à l'héritage paternel; et l'héritage auquel nous avons droit
— cohéritiers de Jésus-Christ — c'est la gloire éternelle du paradis, que
Jésus-Christ nous a méritée par sa mort (Rm 8, 17).
Cependant, saint Paul ajoute aussitôt une condition. Il est
vrai qu'en vertu du titre d'enfants de Dieu, que notre Sauveur nous a acquis au
prix de son sang, nous avons droit au paradis; mais cela s'entend, si nous
correspondons fidèlement à la grâce par la pratique des bonnes oeuvres, et
surtout par la patience. C'est pourquoi l'Apôtre dit que, pour obtenir la gloire
éternelle comme Jésus-Christ l'a obtenue, nous devons souffrir sur la terre
comme Jésus-Christ y a souffert (Rm 8, 17). Il marche en avant comme notre Chef
avec sa croix; c'est sous cette bannière que nous devons le suivre, chacun
portant sa croix, ainsi qu'il nous l'a déclaré lui-même par ces paroles: « Si
quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa
croix, et qu'il me suive » (Mt 16, 24).
L'Apôtre nous exhorte ensuite à souffrir avec constance,
soutenus comme nous le sommes par l'espérance du ciel; il nous assure que la
gloire qui nous attend dans l'autre vie, sera incomparablement plus grande que
le mérite de toutes nos souffrances d'ici-bas, si nous les supportons avec
résignation à la volonté de Dieu (Rm 8, 18). Quel indigent serait assez insensé
pour ne pas donner avec joie tous ses haillons pour acquérir un grand royaume?
Nous ne jouissons pas à présent de cette gloire, parce que nous ne sommes pas
encore sauvés, n'ayant pas encore terminé notre vie dans la grâce de Dieu; mais
ce qui doit nous sauver, continue saint Paul, c'est l'espérance dans les mérites
de notre Rédempteur. Il ne manquera pas de nous accorder toutes les grâces dont
nous avons besoin pour nous sauver, si nous lui sommes fidèles, et si nous
persévérons à les lui demander, vu la promesse qu'il a faite d'exaucer quiconque
le prie (Lc 11, 10). On me dira peut-être: Je ne crains pas que Dieu refuse de
m'exaucer, si je le prie; mais je crains de ne pas savoir prier comme il faut.
Saint Paul répond qu'on ne doit pas craindre cela non plus, car, lorsque nous
prions, Dieu vient lui-même au secours de notre faiblesse, et nous fait prier de
manière à être exaucés (Rm 8, 26). L'Esprit-Saint prie pour nous, c'est-à-dire,
selon saint Augustin, nous fait prier.
L'Apôtre augmente encore notre confiance en disant que tout
contribue au bien de ceux qui aiment Dieu (Rm 8, 28). Il nous fait entendre par
là que les opprobres, les maladies, la pauvreté, les persécutions, ne sont point
des disgrâces, comme le pensent les gens du monde; car Dieu les fait tourner au
bien et à la gloire de ceux qui les supportent avec patience. Saint Paul dit
enfin que le Seigneur a prédestinés ses élus pour être conformes à l'image de
son divin Fils (Rm 8, 29). Par ces paroles, il veut nous persuader que, pour
nous sauver, il faut que nous prenions la résolution de tout souffrir plutôt que
de perdre la grâce de Dieu; car nul ne peut être admis à la gloire des
Bienheureux si, au jour du jugement, sa vie ne se trouve pas avoir été conforme
à celle de Jésus-Christ.
Mais, de peur que cette sentence ne décourage les pécheurs et
ne les jette dans le désespoir au souvenir des fautes qu'ils ont commises, saint
Paul les rassure en disant que le Père éternel n'a pas voulu pardonner à son
propre Fils, qui s'était offert à expier nos péchés, et qu'il l'a livré à la
mort sans miséricorde, afin de pouvoir pardonner aux pécheurs. Et pour accroître
encore la confiance de ceux qui se repentent, il ajoute: « Qui donc condamner?
Le Christ Jésus qui est mort? », comme s'il disait: Pécheurs, vous qui détestez
vos fautes, pourquoi craignez-vous d'être condamnés à l'enfer? Dites-moi: qui
est-ce qui doit vous juger? n'est-ce pas Jésus-Christ? Et comment pouvez-vous
craindre d'être condamnés à la mort éternelle par ce tendre Sauveur, qui, pour
n'avoir pas à vous condamner, a voulu se condamner lui-même au supplice
ignominieux de la croix? (Cf. Rm 8, 31-34). Ce langage s'adresse, bien entendu,
à ceux qui, pénétrés d'un sincère regret, ont purifié leurs âmes dans le sang de
l'Agneau sans tache, suivant l'expression de saint Jean (Ap 7, 14).Mon Jésus!
quand je considère mes péchés, j'ai honte de vous demander le ciel, après y
avoir tant de fois renoncé en votre présence pour des plaisirs indignes et
fugitifs. Mais, quand je vous vois attaché à cette croix, je ne puis m'empêcher
d'espérer le paradis, sachant que vous avec voulu mourir sur ce gibet douloureux
pour expier mes péchés et m'obtenir le bonheur céleste que j'ai méprisé. Ah! mon
doux Rédempteur, j'ai la confiance que, par les mérites de votre mort, vous
m'avez déjà pardonné les offenses que je vous ai faites; je m'en suis repenti,
et maintenant encore je voudrais en mourir de douleurs. Hélas! comment ne pas
penser que, quoique vous m'ayez pardonné, il sera toujours vrai que j'ai eu
l'ingratitude de vous causer ces graves déplaisirs, à vous qui m'avez tant aimé!
Malheureusement, ce qui est fait, est fait. Au moins, Seigneur, pour le temps
qu'il me reste à vivre, je veux vous aimer de toutes mes forces, je ne veux plus
aimer que vous, je veux être tout à vous, tout entier et pour toujours. Mais
c'est à vous de faire qu'il en soit ainsi: détachez-moi de touts les objets
terrestres, et donnez-moi les lumières et la force dont j'ai besoin pour ne plus
chercher que vous, mon unique Bien, mon unique Amour, mon Tout!
Et vous, ô Marie, qui êtes l'espérance des pauvres pécheurs,
vous devez m'aider par vos prières; priez donc, ô ma Mère, priez pour moi, et ne
cessez pas de priez que vous ne me voyiez tout à Dieu!
CHAPITRE XI
SUR LA PATIENCE QUE NOUS DEVONS PRATIQUER
À LA SUITE DE JÉSUS-CHRIST POUR PARVENIR AU SALUT
- I -
Il est nécessaire de souffrir, et de souffrir avec
patience
Parler de patience et de souffrance, c'est tenir un langage
dont n'usent guère les personnes qui aiment le monde, et qu'elles n'entendent
même pas; il n'est à la portée et à l'usage que des âmes qui aiment Dieu.
« Seigneur! disait saint Jean de la Croix à Jésus-Christ, je ne vous demande pas
autre chose que de souffrir et d'être méprisé pour vous ». Sainte Thérèse
s'écriait souvent: « Mon Jésus! ou souffrir ou mourir! » et sainte
Marie-Madeleine de Pazzi: « Souffrir, et ne pas mourir! » Ainsi parlent les âmes
éprises d'amour pour Dieu; c'est qu'elles savent qu'on ne peut donner à Dieu une
preuve plus certaine de son amour qu'en souffrant de bon cœur pour lui plaire.
Telle est aussi la plus grande preuve que Jésus-Christ nous ait donnée de son
amour pour nous. Comme Dieu, il nous a témoigné de son amour en nous créant, en
nous comblant de biens, en nous appelant à partager la gloire dont il jouit;
mais rien ne montre mieux combien il nous aime que la charité qu'il a eue de se
faire homme et de s'assujettir pour nous à une vie si pénible et à une mort si
pleine de douleurs et d'ignominies. De notre côté, comment pouvons-nous montrer
notre amour envers ce tendre Sauveur? Est-ce en menant une vie remplie de
plaisirs et de jouissances terrestres?
Gardons-nous de penser que Dieu jouisse de nos souffrances;
il n'est pas d'une humeur si cruelle qu'il se plaise à voir les douleurs et à
entendre les gémissements de ses créatures. C'est un Maître d'une bonté infinie,
qui ne désire que de nous voir pleinement satisfaits et heureux; il est toute
douceur, toute affabilité, toute compassion envers ceux qui l'invoquent (Ps 85,
5). Mais notre malheureux état de pécheurs et la reconnaissance que nous devons
à Jésus-Christ exigent que nous renoncions, pour son amour, aux plaisirs
d'ici-bas, et que nous embrassions de bon cœur la croix qu'il nous donne à
porter en cette vie, pour le suivre dans la voie où il nous précède, chargé
d'une croix beaucoup plus pesante que la nôtre; tout cela, afin de nous faire
jouir, après notre mort, d'une vie bienheureuse qui ne finira jamais. Dieu
n'aime donc point à nous voir souffrir; mais, comme il est la souveraine
Justice, il ne peut laisser nos fautes impunies; c'est pourquoi, afin que nos
fautes soient expiées et que nous parvenions un jour à la félicité éternelle, il
veut qu'en souffrant avec résignation, nous purgions nos consciences et
méritions d'être éternellement heureux. Quel ordre de choses plus beau et plus
doux que la divine Providence eût-elle pu inventer pour que la justice fût
satisfaite et que nous fussions en même temps sauvés et heureux?
Nous devons donc mettre toutes nos espérances dans les
mérites de Jésus-Christ, et attendre de lui tous les secours dont nous avons
besoin pour vivre saintement et nous sauver; nous ne pouvons douter que son
désir ne soit de nous voir parvenir à la sainteté (1 Th 4, 3). Tout cela est
vrai; cependant, nous ne devons pas négliger de faire ce qui dépend de nous pour
réparer les injures dont nous sommes coupables envers Dieu, et pour mériter la
vie éternelle au moyen des bonnes oeuvres. C'est ce qu'indique l'Apôtre,
lorsqu'il dit: « J'accomplis dans ma chair ce qui manque à la passion de
Jésus-Christ » (Col 1, 24). S'ensuit-il que la passion de Jésus-Christ ait été
incomplète, et qu'elle n'ait pas suffi elle seule pour nous sauver? Non,
certainement; elle fut entière et complète quant à sa valeur, et plus que
suffisante pour sauver tous les hommes; néanmoins, pour que ses mérites nous
soient appliqués, dit saint Thomas, nous devons coopérer de notre côté, en
souffrant patiemment les croix que le Seigneur nous envoie, afin de nous rendre
conformes à Jésus-Christ, notre Chef, selon ce que le même Apôtre écrivait aux
Romains: « Ceux qu'il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire
l'image de son Fils, afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de frères » (Rm 8,
29). Il faut toutefois ne jamais perdre de vue, comme le Docteur Angélique nous
en avertit, que toute la vertu qu'ont nos oeuvres, expiations, pénitences, leur
est communiquée par les mérites de Jésus-Christ. C'est ainsi qu'on répond à ceux
qui prétendent que nos pénitences font injure à la passion du Sauveur, comme si
elle n'eût pas été suffisante pour expier nos fautes.
Nous disons qu'afin de pouvoir participer aux mérites de
Jésus-Christ, il est nécessaire que nous nous efforcions d'observer les
commandements de Dieu, jusqu'à nous faire violence pour ne pas céder aux
tentations de l'enfer; c'est ce que Notre-Seigneur nous fait entendre lorsqu'il
déclare que le royaume des cieux souffre violence, et que ce sont les violents
qui l'emportent (Mt 11, 12). Il faut, dans les occasions, se faire violence à
soi-même, et mortifier ses sens, pour n'être pas vaincu par l'ennemi. Si l'on se
trouve coupable de quelque faute, dit saint Ambroise, on doit faire violence au
Seigneur, par les prières et les larmes, pour obtenir son pardon. Le même Saint
ajoute, pour nous encourager: Ô heureuse violence, que Dieu ne punit point avec
colère, mais qu'il accueille avec miséricorde! Il dit encore que, plus cette
sorte de violence est grande, plus elle est agréable à Jésus-Christ. Et il
conclut en affirmant que nous devons d'abord régner sur nous-mêmes, en domptant
nos passions, pour pouvoir un jour conquérir le ciel, que notre Sauveur nous a
mérité. Il faut donc se faire violence, soit pour souffrir les contrariétés ou
les persécutions, soit pour vaincre les tentations et les mauvais penchants.
Le Seigneur nous avertit que, pour ne point perdre notre âme,
nous devons nous tenir prêts à subir toutes les épreuves, et même à mourir,
quand cela est nécessaire; mais il promet en même temps de combattre pour
quiconque est ainsi disposé, et de renverser ses ennemis (Si 4, 28). Saint Jean
a vu devant le trône de Dieu une grande multitude de Saints, vêtus de robes
blanches, car rien de souillé ne peut entrer dans le ciel, et tous portant à la
mais des palmes, symbole du martyre (Ap 7, 9). Quoi! les Saints sont-ils donc
tous martyrs? Oui, tous les adultes qui se sauvent, doivent être au moins
martyrs de patience, en résistant aux attaques du démon et aux appétits déréglés
de la chair. Les plaisirs charnels entraînent en enfer une foule innombrable
d'âmes; il faut qu'on prenne la résolution de les mépriser avec une constance
invincible. Soyons persuadés que, si l'âme ne subjugue le corps, ce sera le
corps qui subjuguera l'âme.
Il faut donc, je le répète, il faut se faire violence pour se
sauver. Mais, dira quelqu'un, je n'en suis pas capable, si Dieu ne me fortifie
pas sa grâce. Saint Ambroise lui répond: Vous dites bien: si vous regardez vos
propres forces, vous ne pouvez rien; mais, si vous mettez votre confiance en
Dieu, en le priant de vous aider, il vous donnera la force de résister à tous
vos ennemis du monde et de l'enfer. Toutefois, cela ne se peut faire sans
souffrir, il n'y a aucun moyen d'échapper à cette nécessité. L'Écriture même
nous le déclare: Si nous voulons entrer dans la gloire des Élus, il faut
auparavant que nous supportions avec patience beaucoup de tribulations et de
peines (Ac 14, 21). Aussi, comme saint Jean contemplait la gloire des Saints
dans le ciel, il lui fut dit: « Voilà ceux qui sont venus ici après avoir passé
par la grande tribulation, et qui ont lavé et blanchi leurs robes dans le sang
de l'Agneau » (Ap 7, 14). Il est donc vrai que tous se trouvaient au nombre des
Bienheureux pour avoir été purifiés par le sang de Jésus-Christ, mais aucun
d'eux n'était arrivé là qu'après avoir beaucoup souffert en cette vie.
Soyez assurés, écrivait saint Paul à ses disciples, que Dieu
est fidèle à ses promesses; il ne permettra jamais que vous soyez tentés
au-dessus de vos forces (1 Co 10, 13). Or, ce que le Seigneur a promis, c'est de
nous donner son secours pour vaincre toutes les tentations, pourvu que nous
l'invoquions: « Demandez et l'on vous donnera » (Mt 7, 7). Cette parole est
infaillible. Des hérétiques ont osé prétendre que Die commande des choses que
nous sommes dans l'impossibilité d'observer. Le Concile de Trente, en condamnant
cette détestable erreur, répond que Dieu n'ordonne rien d'impossible; quand il
ordonne, il nous avertit de faire ce que nous pouvons, et de demander son
secours pour ce que nous ne pouvons pas; et alors il nous aide à tout accomplir.
Si les hommes, dit sait Ephrem, n'ont pas la cruauté de charger leurs bêtes de
somme de plus lourds fardeaux qu'elles n'en peuvent porter, à bien plus forte
raison Dieu, qui aime tant les hommes, ne souffrira pas qu'ils aient à subir des
tentations auxquelles ils ne sauraient résister.
On lit dans l'Imitation de Jésus-Christ: « La croix t'attend
partout, il est nécessaire pour toi de prendre patience partout si tu veux avoir
la paix. Si tu portes volontiers la croix, elle portera vers la fin désirée ».
Chacun ici-bas désire la paix et voudrait la trouver sans souffrir, mais cela
est impossible dans notre état présent; il faut souffrir, en quelque lieu que
nous portions nos pas, nos croix nous attendent partout. Comment donc
trouverons-nous la paix au milieu de toutes ces croix? En embrassant avec
patience celle qui se présente à nous. Selon sainte Thérèse, la croix semble
pesante, fût-elle bien légère, lorsqu'on la traîne malgré soi; mais, quand on
l'embrasse de bon cœur, quelque grande qu'elle soit, on ne la sent pas. Et
Thomas a Kempis affirme que, si quelqu'un porte sa croix avec résignation, elle
le conduira au but auquel tout chrétien doit tendre, et qui est de plaire à Dieu
en cette vie et de l'aimer éternellement en l'autre.
Le même auteur se demande quel saint a été admis dans le ciel
sans qu'il portât le signe de la croix. Et comment pourrait-on y entrer sans
croix, si la vie de Jésus-Christ, notre Chef et notre Rédempteur, a été une
croix, un martyre continuel? Ainsi, tandis que Jésus, innocent, saint, Fils de
Dieu, a voulu souffrir durant toute sa vie, nous rechercherions les plaisirs et
le repos? Tandis que lui, pour nous enseigner la patience par son exemple, a
voulu mener une vie pleine d'ignominies et de souffrances, extérieures et
intérieures, nous voudrions nous sauver sans souffrir, ou en souffrant sans
patience, ce qui est souffrir doublement, et cela sans fruit et avec un surcroît
de châtiment? Mais, comment pourrions-nous penser que nous aimons Jésus-Christ,
si nous refusons de souffrir pour l'amour de Jésus-Christ, qui a tant souffert
pour l'amour de nous? Comment pourrons-nous nous glorifier d'être disciples de
Jésus crucifié, si nous repoussons ou ne subissons qu'avec répugnance les fruits
de la croix, tels que les souffrances, les humiliations, la pauvreté, les
douleurs, les maladies et tout ce qui contrarie l'amour-propre?
- II -
La vue de Jésus crucifié nous console et nous soutient
dans les souffrances
Ne perdons point courage, regardons constamment les plaies de
Jésus crucifié; nous y puiserons les forces nécessaires pour souffrir les maux
de cette vie, non seulement avec patience, mais encore avec joie et allégresse,
comme ont fait les saints et comme l'annonçait Isaïe: « Vous puiserez de l'eau
avec joie aux sources du salut » (Is 12, 3). Suivant le commentaire de saint
Bonaventure, les sources du salut sont les plaies de Jésus-Christ. C'est
pourquoi le Docteur Séraphique nous engage à tenir sans cesse les yeux de notre
cœur fixés sur Jésus mourant en croix, si nous voulons vivre toujours unis à
Dieu et conserver en nous la véritable dévotion. La dévotion consiste, selon
saint Thomas, dans la disposition à nous conformer en tout à ce que Dieu demande
de nous.
Voici la belle instruction que nous donne l'Écriture pour
nous maintenir dans une continuelle union avec Dieu et pour supporter patiemment
toutes les tribulations. Parlant de Jésus, elle dit: « Songez à celui qui a
enduré de la part des pécheurs une telle contradiction, afin de ne pas défaillir
par lassitude de vos âmes » (He 12, 3). Pour souffrir avec résignation et en
paix les maux présents, il ne suffit pas de penser légèrement, et quelquefois
seulement dans l'année, à la passion de Jésus-Christ, il faut y réfléchir
souvent et jeter au moins chaque jour un regard sur les peines que
Notre-Seigneur a souffertes pour l'amour de nous. Et quelles sont ces peines? La
contradiction que Jésus-Christ essuya de la part de ses ennemis fut telle qu'il
devint, ainsi que le Prophète l'avait prédit, le dernier des hommes, un homme de
douleurs (Is 53, 3). On alla jusqu'à le faire mourir de pure douleur, rassasié
d'opprobres, sur un gibet réservé aux plus grands scélérats. Et pourquoi notre
Sauveur a-t-il voulu endurer tant de tourments et d'outrages? C'est afin que,
voyant tout ce qu'un Dieu a daigné souffrir pour nous donner l'exemple de la
patience, nous soyons prêts à tout supporter, sans jamais perdre courage, pour
nous délivrer du péché.
Et la Lettre aux Hébreux nous demande ensuite, pour exciter
notre ardeur, de songer que Jésus-Christ, dans sa passion, a épuisé pour nous
tout son sang dans la violence des tortures. Elle dit aussi que les Saints
Martyrs, à l'exemple de leur Roi, ont enduré avec constance les lames ardentes,
les ongles de fer, qui leur ont déchiré jusqu'aux entrailles. Mais vous,
ajoute-t-elle, vous n'avez pas encore donné une goutte de votre sang pour
Jésus-Christ, bien que vous soyez obligés d'être toujours prêts à sacrifier même
votre vie plutôt que d'offenser Dieu (cf. He 12, 4 et 11, 37-38). Telles étaient
les dispositions de saint Edmond: « Je sauterais sur un bûcher ardent plutôt que
de commettre un péché contre mon Dieu ». Et saint Anselme, archevêque de
Cantorbéry, disait: « Si je devais endurer tous les corporels de l'enfer ou
commettre un péché, je choisirais l'enfer ».
Durant toute notre vie, le lion infernal ne cesse de tourner
autour de nous, cherchant à nous dévorer. Pour résister à ses attaques, saint
Pierre nous engage à nous armer du souvenir continuel de la passion de
Jésus-Christ (1 P 4, 1). En effet, dit saint Thomas, le seul souvenir de la
passion est une puissante défense contre toutes les tentations de l'enfer. Si
Notre-Seigneur eût connu pour nous un autre moyen de salut, préférable à celui
des souffrances, il nous l'aurait indiqué; mais, en marchant devant nous avec sa
croix sur les épaules, il nous a montré que, le meilleur moyen pour parvenir au
salut, c'est de souffrir avec patience et résignation; et il a voulu nous en
donner lui-même un exemple dans sa personne.
Saint Bernard dit qu'en voyant les grandes afflictions de
Jésus crucifié, nous devons trouver les nôtres légères. Il demande si quelque
chose peut nous paraître dur quand nous considérons les peines endurées par
notre divin Maître. Saint Elzéar, interrogé un jour par sa vertueuse épouse,
sainte Delphine, comment il supportait tant d'injures avec un esprit si
tranquille, il répondit: « Quand je reçois des injures, je pense à celles de mon
Sauveur, et je ne perds point de vue cette pensée jusqu'à ce que je me retrouve
tout à fait dans le calme ».
Lorsqu'une âme désire plaire à Jésus-Christ, dit encore saint
Bernard, les outrages qu'elle reçoit, loin de l'affliger, lui sont agréables.
Qui, en effet, ne sera pas disposé à embrasser avec joie les opprobres et les
persécutions, s'il considère seulement les outrages que notre Sauveur souffrit
au commencement de sa passion, lorsque, dans cette cruelle nuit qu'il passa chez
Caïphe, on prit plaisir à lui donner des coups de poing et des soufflet, à lui
cracher au visage, et à le tourner en dérision comme un faux prophète en lui
bandant les yeux, ainsi que le rapporte saint Matthieu? (Mt 26, 67).
Comment les Martyrs pouvaient-ils supporter avec tant de
patience la cruauté des bourreaux? On leur déchirait le corps avec le fer, on
les brûlait vifs sur des grils...; n'étaient-ils pas des hommes de chair comme
nous, ou étaient-ils devenus insensibles? Pierre de Blois répond que les Martyrs
ne regardaient pas leurs propres plaies, mais celles de leur divin Rédempteur,
et qu'ainsi ils sentaient peu la douleur qu'ils éprouvaient; les tourments ne
laissaient pas de les affliger, mais leur amour pour Jésus-Christ les leur
faisait mépriser. Il n'est point de souffrance, si violente qu'elle soit, ajoute
le même auteur, qu'on n'accepterait avec empressement à la vue de Jésus mort sur
la croix.
L'Apôtre nous déclare que, par les mérites de Jésus-Christ,
nous avons été enrichis de toutes sortes de biens (1 Co 1, 5). Mais
Notre-Seigneur exige que, pour obtenir toutes les grâces que nous désirons, nous
ayons recours à Dieu par la prière, et que nous lui demandions de nous exaucer
par les mérites de son Fils. Jésus nous promet que, si nous faisons ainsi, son
Père nous accordera tout ce que nous lui demanderons (Jn 16, 23). Ainsi
faisaient les Martyrs; quand, dans les tortures, la douleur était fort aiguë,
ils recouraient à Dieu, et le Seigneur leur donnait la patience dont ils avaient
besoin. Saint Théodore, au milieu de tant de cruautés qu'on exerça sur lui,
éprouvant surtout une vive douleur causée par des fragments de poterie rougis au
feu, qu'on appliquait sur ses plaies, pria Jésus-Christ de lui donner la force
de souffrir cet horrible supplice, et il remporta la couronne du martyre.
Ne craignons donc point les combats que nous avons à soutenir
contre le monde et l'enfer; si nous avons toujours soin de recourir à
Jésus-Christ par la prière, il nous procurera tous les biens désirables, la
patience dans les épreuves, la persévérance, et enfin une bonne mort.
- III -
La passion du Sauveur fait notre force
dans notre dernière lutte
Ce sont de grandes tribulations que celles qu'on souffre au
moment de la mort. Jésus-Christ seul peut nous donner la constance nécessaire
pour les supporter avec fruit. C'est alors surtout que nous avons à redouter les
attaques de l'enfer; il s'efforce d'autant plus de nous perdre qu'il nous voit
près de notre fin. Rainaldi rapporte de saint Elzéar, qui avait mené une vie si
pure, qu'aux approches de sa mort les démons lui livrèrent d'horribles assauts,
et qu'il dit alors: « Les tentations infernales sont bien grandes en ce moment,
mais Jésus-Christ, par les mérites de sa passion, de leur ôte leur force ».
Aussi saint François voulut qu'à l'heure de sa mort on lui lût la Passion du
Sauveur; et saint Charles Borromée, se voyant près de mourir, fit placer autour
de lui des images représentant la Passion; c'est en considérant les souffrances
de Jésus-Christ qu'il voulut rendre à Dieu son âme bénie.
La Sainte Écriture affirme que le Fils de Dieu a voulu mourir
pour nous, afin d'abattre par ce moyen la puissance du démon, qui exerçait
l'empire de la mort, de nous soustraire ainsi à sa domination, et de nous
délivrer par conséquent de la crainte de la mort éternelle (He 2, 14). Et le
texte poursuit: « Il a dû devenir en tout semblables à ses frères... car du fait
qu'il a lui-même souffert par l'épreuve, il est capable de venir en aide à ceux
qui sont éprouvés » (He 2, 17-18). Le Seigneur a donc daigné prendre toutes les
conditions et les infirmités de la nature humaine, hormis toutefois l'ignorance,
la concupiscence, et le péché; et cela à quelle fin? Pour qu'en éprouvant en
lui-même nos misères, il devint plus compatissant envers nous. On connaît
beaucoup mieux les maux en les souffrant soi-même qu'en les considérant
seulement dans les autres; l'expérience propre de Jésus devait le rendre plus
disposé à nous secourir, lorsque nous sommes tentés en cette vie, et surtout au
moment de la mort. C'est à cela que saint Augustin fait allusion dans ce passage
que nous avons déjà cité: Jésus-Christ, aux approches de la mort, a voulu sentir
la peine d'en être troublé, afin que, si nous éprouvons quelque trouble à notre
mort, nous n'aillions pas jusqu'à perdre confiance, puisque nous devons nous
souvenir alors que notre Sauveur lui-même est passé par cette épreuve.
Ainsi, dans nos derniers moments, l'enfer mettra tout en
oeuvre pour nous faire désespérer de la divine miséricorde, en nous remettant
devant les yeux tous les péchés de notre vie; mais le souvenir de la mort de
Jésus-Christ nous portera à nous confier en ses mérites et nous ôtera la crainte
de la mort, selon ce que dit saint Thomas sur le texte de la Lettre aux Hébreux
que nous venons de citer. Voici comment le Docteur Angélique s'exprime: Lorsque
nous considérons que le Fils de Dieu a bien voulu souffrir la mort pour nous
obtenir le pardon de nos fautes, la crainte de la mort s'éloigne de nous et fait
place au désir de mourir. Pour les incrédules, rien n'est plus redoutable que la
mort, parce qu'ils la regardent comme la fin de tous les biens; mais pour nous,
la mort de Jésus-Christ nous donne la ferme espérance que, si nous mourons dans
la grâce de Dieu, nous passerons de la mort à la vie éternelle. Saint Paul nous
montre combien cette espérance est fondée, en disant que le Père éternel a livré
son propre Fils à la mort par tous les hommes, et que par là il leur a tout
donné (Rm 8, 32). Nous ayant donné son propre Fils, Dieu ne peut rien nous
refuser; il nous accordera certainement le pardon de nos péchés, la persévérance
finale, son amour, une bonne mort, la vie éternelle, et tous les biens.
Si donc le démon cherche à nous troubler, soit dans le cours
de la vie, soit à l'heure de la mort, en nous représentant les fautes de notre
jeunesse, répondons-lui avec saint Bernard: Ce qui manque en moi-même pour aller
en paradis, je le prends dans les mérites de Jésus-Christ, qui a daigné souffrir
et mourir précisément pour me procurer la gloire éternelle, dont j'étais
indigne. Ajoutons les paroles suivantes de l'Apôtre, paroles bien consolantes
pour les pécheurs: « C'est Dieu qui justifie; qui donc nous condamnera? Le
Christ Jésus, celui qui est mort, que dis-je? ressuscité, qui est à la droite de
Dieu, qui intercède pour nous? » (Rm 8, 34). Dieu lui-même pardonne nos péchés
et nous justifie par sa grâce; or, si Dieu nous rend justes, qui pourra nous
condamner comme coupables? est-ce Jésus-Christ qui nous condamnera, lui qui,
pour ne pas nous condamner, s'est livré à la mort, et qui continue d'intercéder
pour nous devant le trône de son Père; lui qui a versé son sang pour effacer nos
péchés, et nous retirer de la corruption? (Ga 1, 4).
L'Apôtre vient de nous assurer que le Fils de Dieu, après
s'être chargé de nos péchés, et avoir daigné les expier lui-même en mourant pour
nous, afin de nous délivrer de ce monde d'iniquités et de nous conduire dans son
royaume, s'y fait encore, en attendant, notre Avocat auprès de son Père éternel.
Saint Thomas, expliquant ces paroles, dit que, dans le ciel, Jésus-Christ
intercède pour nous en présentant à son Père les plaies qu'il a souffertes pour
notre amour. Saint Grégoire le Grand ne fait pas difficulté d'affirmer, chose
que tous n'osent pas admettre, que notre divin Rédempteur, comme homme
proprement, n'a pas cessé de prier, même après sa mort, pour l'Église militante,
qui se compose de tous les fidèles sur la terre. Tel est aussi le sentiment de
saint Grégoire de Naziance. Saint Augustin dit que Jésus-Christ prie pour nous
dans le ciel, non comme demandant pour nous quelque grâce nouvelle, puisqu'il
nous a obtenu pendant sa vie tout ce qu'il pouvait nous obtenir, mais comme
exigeant de son Père, en vertu de ses mérites, notre salut déjà obtenu et
promis.
- IV -
Confiance et Amour envers Jésus-Christ
Revenons à la confiance que nous devons avoir en Jésus-Christ
relativement au salut. Saint Augustin continue de nous encourager, en disant que
ce bon Maître, qui nous a rachetés au prix de tout son sang, ne veut pas que
nous nous perdions. Si nos fautes nous séparent de Dieu, et nous rendent dignes
d'en être méprisés, notre Sauveur ne saurait mépriser le sang qu'il a répandu
pour nous. Suivons donc avec confiance le conseil de la Lettre aux Hébreux: ne
cesseront point de courir par la patience dans la carrière qui nous est offerte
par Jésus-Christ lui-même, notre Maître et notre Modèle, préférant à tout comme
lui les souffrances et les humiliations, et persévérant jusqu'au dernier soupir
(He 12, 1). Il nous servira peu d'avoir bien commencé, si nous ne continuons pas
jusqu'à la fin; c'est par la patience et la persévérance dans le combat que nous
obtiendrons la victoire et la couronne promise au vainqueur.
Cette patience même sera pour nous une cuirasse, qui nous
protégera contre les traits de nos ennemis. Mais, comment acquerrons-nous cette
vertu? En tenant constamment, durant la lutte, nos regards sur Jésus crucifié (He
12, 2), qui, comme le remarque saint Augustin, a méprisé tous les biens de la
terre pour nous apprendre à les mépriser et à ne pas chercher en eux notre
bonheur, mais qui a voulu, au contraire, souffrir tous les maux d'ici-bas, pour
nous apprendre à ne pas les craindre. Voilà pourquoi ce divin Maître s'est
soumis lui-même à toutes les misères de cette vie, à la pauvreté, à la faim, à
la soif, aux faiblesses, aux ignominies, aux douleurs et jusqu'à la mort de la
croix.
Ensuite, par sa résurrection glorieuse, il a voulu nous
affermir contre la crainte de la mort; puisque, si nous lui sommes fidèles
jusqu'à notre dernier soupir, nous entrerons alors dans la vie éternelle, qui
est exempte de tous les maux et pleine de tous les biens. C'est ce que
signifient les paroles du texte sacré, où Jésus-Christ est appelé « l'Auteur et
le Consommateur de la foi » (He 12, 2). En effet, comme il est pour nous
l'Auteur de la foi, en nous enseignant ce que nous devons croire, et en nous
donnant la grâce nécessaire pour le croire, il est aussi le Consommateur de la
foi, en nous promettant de nous faire jouir un jour de cette vie bienheureuse
que maintenant il nous enseigne à croire. Et afin que nous soyons assurés de
l'amour que ce divin Rédempteur nous porte et de la volonté qu'il a de nous
sauver, le passage de l'Écriture termine en nous rappelant ce qu'il a fait pour
nous: « Jésus, au lieu de la joie qui lui était proposée, endura une croix, dont
il méprisa l'infamie » (He 12, 2). Saint Jean Chrysostome, expliquant ces
dernières paroles, dit que Jésus-Christ pouvait nous sauver en menant sur la
terre une vie douce et heureuse; mais, pour nous rendre plus certains de son
affection, a préféré une vie pénible et une mort ignominieuse, au point d'être
condamné comme un malfaiteur et de subir le supplice de la croix.
Tâchons donc, ô âmes reconnaissantes envers Jésus crucifié,
tâchons, le reste de notre vie, d'aimer autant que nous le pouvons notre aimable
Rédempteur, et de souffrir pour celui qui a daigné tant souffrir pour nous!
Supplions-le sans cesse de nous accorder le don de son saint amour! Quel bonheur
pour nous, si nous parvenons à avoir un ardent amour envers Jésus-Christ! Un
grand serviteur de Dieu, le vénérable Père Vincent Carafa, dans une lettre
adressée à quelques jeunes gens zélés et pieux, s'exprimait ainsi: « Pour
réformer toute notre vie, nous devons nous adonner entièrement à l'exercice de
l'amour divin. La charité envers Dieu, quand elle entre dans un cœur et qu'elle
parvient à le posséder, suffit pour le délivrer de tout affection déréglée et le
rendre aussitôt pur et docile. Le cœur est pur, dit saint Augustin, lorsqu'il
est vide de tout désir terrestre. Saint Bernard disait pareillement: Celui qui
aime Dieu, ne souhaite pas autre chose que de l'aimer, et bannit de son cœur
tout ce qui n'est pas Dieu. Et ainsi un cœur vide devient un cœur pleine,
c'est-à-dire, rempli de Dieu, qui apporte avec lui tous les biens. Alors les
choses terrestres, ne trouvant plus aucune place dans son cœur, n'ont plus la
force de l'entraîner. Quelle force peuvent avoir sur nous les plaisirs de la
terre, quand nous jouissons des consolations divines? Que peut la passion des
vains honneurs et des richesses de ce monde, quand nous avons l'honneur d'être
aimés de Dieu, et quand nous commençons à posséder les trésors du ciel? Si donc
nous voulons mesurer le progrès que nous avons fait dans les voies de Dieu,
examinons celui que nous avons fait dans son amour. Voyons si nous produisons
souvent, dans la journée, des actes d'amour envers Dieu, si nous parlons souvent
de l'amour divin, si nous tâchons de l'inspirer aux autres, si nous faisons nos
dévotions uniquement pour plaire à Dieu, si nous supportons avec une entière
résignation à la volonté divine tout ce qui nous arrive de fâcheux, les
maladies, les souffrances, la pauvreté, les mépris, les persécutions. Les Saints
disent qu'une âme qui aime véritablement Dieu a besoin d'aimer autant que le
corps a besoin de respirer; car la vie de notre âme, dans le temps comme dans
l'éternité, consiste à aimer le Bien suprême, qui est Dieu ».
Mais soyons-en persuadés, nous n'arriverons jamais à un haut
degré d'amour divin que par le moyen de Jésus-Christ et par une dévotion
spéciale envers sa passion, qui nous a fait rentrer en grâce avec Dieu. Tout
accès près de lui nous serait fermé, à nous pécheurs, et nous ne serions pas
admis à lui demander des faveurs, sans l'entremise de Jésus-Christ: « Par lui
nous avons accès auprès du Père » (Ep 2, 18). C'est Jésus qui nous ouvre la
porte, dit l'Apôtre, c'est lui qui nous introduit auprès de son Père, et qui,
par les mérites de sa passion, nous obtient le pardon de nos péchés et de toutes
les grâces que nous recevons. Que nous serions malheureux, si nous n'avions pas
Jésus-Christ! Pourrons-nous jamais assez louer et reconnaître dignement l'amour
et la bonté de ce généreux Rédempteur envers nous, pauvres pécheurs, pour qui il
a daigné mourir, et qu'il a délivrés par ce moyen de la mort éternelle? À peine
trouverait-on quelqu'un qui consentit à mourir pour un homme juste, tandis que
Jésus-Christ a bien voulu donner sa vie pour nous, quand nous étions plongés
dans l'iniquité (Rm 5, 7).
Ainsi parle saint Paul. Ensuite il nous assure que, si nous
sommes déterminés à aimer Jésus-Christ à tout prix, nous devons en espérer tous
les secours dont nous auront besoins et toutes les faveurs. Voici comment il
raisonne: Si, lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés
avec lui par la mort de son Fils, à bien plus forte raison, étant maintenant
réconciliés, nous serons sauvés par ce même Fils (Rm 5, 10). Ceux qui aiment
Jésus-Christ doivent donc remarquer ici que c'est faire injure à l'amour que
nous porte ce bon Sauveur de craindre qu'il ne leur refuse les grâces
nécessaires pour se sauver et se sanctifier. Et afin que nous ne perdions pas
confiance à cause de nos péchés, l'Apôtre ajoute que la miséricorde de Dieu est
infiniment plus grande que notre indignité. Par ces paroles, il veut nous faire
entendre que nous recevons plus de bien du don de la grâce qui nous est acquise
par la passion de notre Rédempteur que le péché d'Adam ne nous a fait de mal;
car les mérites de Jésus-Christ ont plus de pouvoir pour nous faire aimer de
Dieu que n'en a eu le péché d'Adam pour nous en faire haïr. En un mot, dit saint
Léon, nous avons plus gagné par la grâce ineffable de notre Sauveur, que nous
n'avions perdu par la malice du démon.
Terminons. Âmes dévotes, aimons Jésus-Christ, aimons ce divin
Rédempteur qui mérite tant d'être aimé, et qui nous a tant aimés, et qui a tant
fait pour gagner notre amour qu'il semble ne pouvoir rien faire de plus. C'est
assez de savoir que, pour notre amour, il a voulu mourir consumé de douleurs sur
une croix. Et non content de ce grand sacrifice, il s'est donné lui-même à nous
dans le sacrement de l'Eucharistie, où il nous présente à manger ce même corps
qu'il a immolé pour nous sur la croix, et à boire ce même sang qu'il a répandu
pour nous dans sa passion. Nous sommes donc coupables d'une extrême ingratitude
envers un tel Bienfaiteur, non seulement quand nous l'offensons, mais encore
quand nous l'aimons peu, quand nous ne lui consacrons pas tout notre amour. Ô
mon Jésus! que ne puis-je me consumer tout entier pour vous, comme vous vous
êtes consumé tout entier pour moi! Ah! puisque vous m'avez tant aimé, et que
vous m'avez tant obligé à vous aimer, faites maintenant que je ne sois pas
ingrat envers vous! Et je serais bien ingrat, si j'aimais autre chose que vous!
Vous m'avez aimé sans réserve, je veux vous aimer aussi sans réserve. Je laisse
tout, je renonce à tout, pour me donner tout à vous, et pour n'avoir dans mon
cœur aucun autre amour que le vôtre. De grâce, mon Amour, acceptez-moi, sans
vous souvenir de tous les déplaisirs que je vous ai donnés par le passé; ne
voyez en moi qu'une de ces brebis pour lesquelles vous avez répandu votre sang!
Mon cher Sauveur, oubliez toutes les offenses que je vous ai faites!
Punissez-moi selon votre volonté, pourvu que vous m'épargniez le malheur de ne
plus pouvoir vous aimer; disposez de moi comme il vous plaît. Privez-moi de
tout, mais mon Jésus, ne me privez pas de vous, qui êtes mon unique bien!
Faites-moi connaître ce que vous demandez de moi; je veux tout accomplir,
moyennant votre grâce. Faites que j'oublie tout, pour ne me souvenir que de vous
et de toutes les peines que vous avez endurées pour moi. Faites que je ne pense
plus qu'à vous plaire et à vous aimer. Ah! regardez-moi avec cet amour avec
lequel vous m'avez regardé du haut du Calvaire en agonisant pour moi sur la
croix, et exaucez-moi! Je remets en vous toutes mes espérances, ô mon Jésus, mon
Dieu, mon Tout!
Ô vierge Sainte, ma Mère et mon Espérance, tendre Marie,
recommandez-moi à votre divin Fils, et obtenez-moi la fidélité à l'aimer jusqu'à
la mort!
FIN
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