Lettres
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LETTRE 21

CELERINUS A LUCIANUS

En vous écrivant cette lettre, Monsieur mon frère, je suis joyeux et triste : joyeux d'avoir appris que vous avez été appréhendé pour le Nom de notre Seigneur Jésus Christ, notre Sauveur, et même que vous avez confessé son Nom devant les magistrats de ce monde; triste, parce que, depuis le jour où je vous ai accompagné à votre départ), je n'ai reçu aucune lettre de vous. Même en ce moment, une chose fait peser sur moi une tristesse double, c'est que vous saviez que Montanus, notre frère commun, devait venir de la prison, et d'auprès de vous, et que vous ne m'avez rien mandé de votre santé et ce qui vous regarde. Mais cela arrive aux serviteurs de Dieu, surtout à ceux qui sont en train de le confesser. Je sais que chacun d'eux alors ne fait plus attention aux choses de ce monde, attendant la couronne céleste. C'est pourquoi j'ai dit que vous aviez peut-être oublié de m'écrire. Car pour vous parler aussi de moi chétif, et m'appeler du nom d'ami, on de frère, alors que je mérite seulement celui de Celerinus, moi-même, quand j'avais l'honneur d'une si glorieuse confession, je me souvenais de mes plus anciens frères, et mes lettres leur ont rappelé que mon affection antérieure pour eux durait même alors chez moi et chez les miens. Je demande cependant au Seigneur, ô mon très cher, que vous soyez lavé dans ce sang sacré du martyre, en souffrant pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ, avant que ma lettre vous touche; mais, si elle vous touche encore vivant, je souhaite que vous y répondiez : qu'à cette condition, le Maître vous couronne, dont vous avez confessé le Nom ! Je crois en effet que, quand bien même nous ne nous verrions plus en ce monde, nous nous embrasserons dans l'autre, sous les yeux du Christ. Demandez que je sois digne d'être couronné avec vous.

Sachez que je suis dans une grande tribulation. Non moins que si vous étiez auprès de moi, je pense jour et nuit à notre ancienne affection, Dieu seul le sait ! Et c'est pourquoi je vous prie d'acquiescer à mon désir et de pleurer avec moi sur la mort de ma soeur, qui est morte au Christ en le reniant dans cette tourmente. Elle a sacrifié et irrité notre Seigneur, c'est ce qui me paraît manifeste. A cause de cette conduite je pleure jour et nuit au milieu de l'allégresse de Pâques. J'ai passé et passe encore mes journées dans les larmes, le cilice et la cendre, jusqu'à ce que notre Seigneur Jésus Christ, par sa grâce ou votre intercession pieuse ou celle que vous demanderez à mes maîtres qui auront été couronnés, lui porte secours dans un si déplorable naufrage. Je me suis souvenu de votre affection antérieure et que vous pleurez avec tous les autres sur nos soeurs, que vous connaissez bien vous aussi, je veux dire Numeria et Candida. Nous devons veiller et prier pour leur péché, puisqu'elles nous regardent comme frères. Je crois en effet que le Christ, en considération de leur pénitence et des services qu'elles ont rendus à nos collègues qui sont venus ici en exil, et qui vous raconteront eux-mêmes leurs bonnes oeuvres, je crois, dis-je, que le Christ leur remettra leur faute, si vous, qui êtes ses martyrs, intercédez pour elles.

J'ai appris que vous avez assumé le ministère de la direction des glorieux confesseurs. Ô homme heureux. Jouissez de la réalisation du rêve que vous n'aviez cessé de former, même en dormant sur la terre. Vous avez souhaité d'être envoyé en prison à cause de son Nom. C'est ce qui vous arrive, selon ce qui est écrit : Que Dieu vous donne ce que votre coeur désire. Maintenant vous voilà devenu, pour eux, le représentant de l'autorité de Dieu à leur tête..., c'est-à-dire leur serviteur. Je vous prie donc, Monsieur, et je vous demande par notre Seigneur Jésus Christ, de faire un rapport à mes maîtres, vos collègues et frères, et de leur demander que ceux qui seront couronnés les premiers remettent à nos soeurs Numeria et Candida un péché de cette gravité. Pour ce qui est de Numeria, je n'ai jamais prononcé son non qu'en l'excusant, Dieu m'en est témoin, parce qu'elle a seulement donné du numéraire pour acheter un certificat afin de ne point sacrifier. Elle semble être montée seulement jusqu'aux Trois Parques [1] et être descendue de là. Elle n'a donc pas sacrifié, j'en suis sûr. Les chefs des frères, après avoir entendu la cause de ces personnes, ont décidé qu'elles resteraient ainsi quelque temps, jusqu'a ce qu'il y ait un évêque [2]. Mais nous espérons de vos saintes prières et oraisons, auxquelles nous avons confiance, que vous leur ferez tout pardonner.

Je vous demande donc, très cher Monsieur Lucianus, de vous souvenir de moi et d'acquiescer à ma demande; qu'à cette condition, le Christ vous garde la couronne qu'Il vous a donnée non seulement dans votre confession, mais encore dans la sainteté de votre vie et pour laquelle vous avez toujours bien couru dans la carrière, exemple et champion des saints, à cette condition, dis-je, que vous parliez du fait en question à tous les confesseurs, mes maîtres et vos frères, afin qu'elles reçoivent du secours de votre intercession. Vous devez encore savoir ceci, Monsieur mon frère, que je ne suis pas seul à demander pour elles, mais qu'il y a encore avec moi Statius, Severianus, et tous les confesseurs qui sont venus ici de là où vous êtes. Elles sont en effet descendues au port à leur rencontre, elles les ont conduits dans la ville, elles en ont nourri et assisté soixante-cinq, et elles leur donnent encore toutes sortes de soins. Ils sont tous chez elles. Je ne dois pas importuner plus longtemps votre coeur si saint, sachant bien que vous êtes assez porté de vous-même à faire du bien. Macarius vous salue avec ses soeurs Cornelia et Emerita; il est heureux de votre confession glorieuse, et de celles de tous les frères, et aussi Saturninus, qui a, aussi lui, lutté avec le diable, confessé courageusement le Nom du Christ; il a, là-bas, généreusement supporté les ongles de fer, et ici il vous prie et vous supplie avec instance. Vos frères Calpurnius et Maria vous saluent ainsi que tous les saints frères. Je dois encore vous dire que j'écris également ceci pour Messieurs vos frères, et je vous prie de daigner le leur lire.

LETTRE 22

LUCIANUS A MONSIEUR CELERINUS SON COLLEGUE, SI TOUTEFOIS JE SUIS DIGNE D'ÊTRE APPELÉ : SON COLLEGUE DANS LE CHRIST, SALUT.

J'ai reçu votre lettre, Monsieur et très cher frère. Si grande a été ma peine à vous voir peiné, que cela a failli me faire perdre la grande joie de lire une lettre si longtemps souhaitée, et où vous avez daigné vous souvenir de moi, et dans votre humilité, me donner le plaisir de lire ces mots : " Si je suis digne d'être appelé votre frère", moi qui n'ai confessé le Nom de Jésus-Christ que devant de modestes fonctionnaires, et encore avec crainte; tandis que vous, avec la grâce de Dieu, vous ne l'avez pas confessé seulement, mais c'est le grand serpent [3] lui-même, le précurseur de l'antichrist que vous avez fait trembler par ces paroles et ces discours divins que je sais. Par là, comme ceux qui aiment la foi et sont zélés pour la discipline du Christ (sentiments dont la manifestation, chez vous, avec une ferveur de néophyte, m'a fait rire de plaisir), vous l'avez vaincu. Mais seulement, maintenant, très cher ami, digne d'être mis déjà au nombre des martyrs, vous avez voulu m'affliger par votre lettre, en me parlant de nos soeurs. Plût a Dieu qu'il nous fût possible de parler d'elles sans parler d'un si grand crime commis ! Assurément nous n'aurions pas à pleurer comme nous faisons maintenant.

Vous devez savoir ce qui s'est passé pour nous. Le bienheureux martyr Paul, étant encore de ce monde, m'appela et me dit : "Lucianus, je te le dis devant le Christ, si quelqu'un, après mon rappel à Dieu, te demande la paix, donne-la lui en mon nom". Mais, de plus, nous tous, que le Seigneur a daigné rappeler dans une si terrible persécution, nous avons, d'un commun accord, donné la paix à tous les lapsi en bloc. Voilà donc, frère, tant ce que Paul m'a recommandé, que ce que tous, d'un commun accord, nous avons décidé, dès avant l'épreuve présente, quand nous avons été condamnés, par ordre de l'empereur, à mourir de faim et de soif. Et nous avons été enfermés en deux cachots, sans qu'on arrivât à rien par la faim et la soif. Mais, de plus, la chaleur qui nous faisait souffrir, était telle que personne n'eût pu l'endurer. Maintenant, nous sommes en pleine lumière. Et par conséquent, frère très cher, salue Numeria et Candida, pour lesquelles selon la recommandation de Paul et des autres martyrs, dont je joins les noms : Bassus, au bureau des gages [4], Mappalicus, dans la torture, Fortunion, dans la prison, Paul, après la torture, Fortunata, Victorinus, Victor, Herennius, Credula, Hereda, Donatus, Firmus, Venustus, Fructus, Julia, Martialis, et Ariston, qui, Dieu le permettant, sont morts de faim dans la prison, et dont vous entendrez dire bientôt que nous avons partagé le sort. Car, il y a huit jours, au jour où je vous écris, que nous avons été incarcérés de nouveau. Et dans cet intervalle, en cinq jours, nous n'avons reçu qu'un peu de pain et de l'eau à la ration. Aussi, frère, je demande que quand notre Seigneur aura rendu la paix à l'Église elle-même, elles aient la paix, selon la recommandation de Paul, et notre ordonnance, après que leur cause aura été examinée devant l'évêque et qu'elles auront confessé leur faute; et non seulement elles, mais toutes celles que vous savez qui nous sont chères.

Tous mes collègues vous saluent. Pour vous, saluez de ma part les collègues qui sont avec vous, dont vous nous avez donné les noms, en particulier Saturninus avec ses compagnons, et aussi mon collègue Macarius, Cornelia et Emerita, Calpurnius et Maria, Sabina, Spesina et nos soeurs Januaria, Dativa, Donata. Nous saluons avec leur famille Saturus, Bassianus et tout le clergé, Vrnius, Alexius, Quintianus, Colonica et tous s'il vous plût; je n'écris pas les noms, tant je suis fatigué. Aussi doivent-ils me pardonner. Je souhaite que vous soyez en bonne santé, vous, Alexius, Getulicus, et les orfèvres, et nos soeurs. Recevez aussi le salut de mes soeurs Januaria et Sophia, que je vous recommande.

LETTRE 23

TOUS LES CONFESSEURS AU PAPE CYPRIEN, SALUT.

Sachez que tous ensemble nous avons donné la paix à ceux qui vous auront rendu un compte en règle de leur conduite depuis leur faute. Nous voulons que cette décision soit portée, par vous, à la connaissance des autres évêques. Nous souhaitons que vous soyez en bonne intelligence avec les saints martyrs. En présence de deux membres du clergé, un exorciste et un lecteur, Lucianus a écrit ceci.

LETTRE 24

A CYPRIEN ET A SES CONFRERES DANS LE SACERDOCE, QUI SONT A CARTHAGE, CALDONIUS SALUT.

La gravité des circonstances nous fait un devoir de ne pas donner à la légère la paix aux lapsi. Mais il me semble utile de vous écrire à propos de ceux qui, après avoir sacrifié, ont été soumis à une seconde épreuve et se sont vu exiler. Ils me semblent avoir effacé leur première faute, en abandonnant leurs biens et leurs demeures pour suivre le Christ en pénitents. Ainsi Félix, qui faisait le service de la communauté des prêtres sous Decimus, et qui était mon voisin de captivité (je connais donc particulièrement le dit Félix) et Victoria, sa femme, et Lucius, pour être restés fidèles, ont été exilés et ont dû abandonner leurs biens qui ont été confisqués. De plus, au cours de la persécution, agissant de même, une femme, du nom de Bona, avait été entraînée par son mari à l'endroit où l'on sacrifiait. Ayant conscience de n'avoir pas commis de faute (on l'avait tenue par la main, et on avait sacrifié pour elle), elle protestait en criant : "Ce n'est pas moi qui l'ai fait, c'est vous qui l'avez fait." Elle a donc, elle aussi, été exilée. Ils me demandent tous ensemble la paix : "Nous avons, disent-ils, recouvré la foi que nous avions perdue, nous avons fait pénitence et publiquement confesse le Christ." Il me semble bien qu'ils doivent recevoir la paix : mais j'ai voulu vous consulter, et je les ai remis jusque-là, de peur de paraître agir avec une présomption inconsidérée. Si vous prenez donc ensemble quelque résolution là-dessus, écrivez-le moi. Saluez les frères qui sont avec vous : ceux d'ici vous saluent. Je vous souhaite bonheur et santé.

LETTRE 25

CYPRIEN A CALDONIUS SON FRERE, SALUT.

Nous avons reçu, très cher frère, votre lettre, qui est sage et pleine d'honnêteté et de bonne foi. Et nous ne sommes pas surpris qu'étant exercé et rompu comme vous l'êtes aux Saintes Écritures, vous agissiez en tout avec prudence et circonspection. Vous pensez juste au sujet de la paix à accorder à nos frères, puisqu'une vraie pénitence et la gloire de confesser le Seigneur la leur a fait recouvrer, en les justifiant par leurs paroles mêmes qui les avaient d'abord perdus. Puisque donc ils se sont lavés de toute souillure et qu'avec la grâce de Dieu, ils ont effacé leur première faute par le courage qu'ils ont montré ensuite, ils ne doivent pas rester plus longtemps sous le pouvoir du diable, comme s'ils étaient par terre, eux qu'ont relevés l'exil et la confiscation de leurs biens, et qui sont debout avec le Christ. Dieu veuille que les autres aussi, se repentant après leur chute, soient remis dans l'état où ils étaient antérieurement. Pour le moment, ils nous pressent et s'efforcent avec témérité et importunité d'arracher la paix. Nous avons réglé leur cas, et pour que vous sachiez comment, nous vous envoyons un écrit, avec des lettres au nombre de cinq [5], que j'ai adressées au clergé, et aux martyrs et confesseurs. Ces lettres, envoyées à beaucoup de nos collègues, leur ont plu, et ils nous ont répondu qu'ils jugeaient comme nous, conformément à la foi catholique. Vous voudrez bien le faire savoir à nos collègues, autant que vous le pourrez, afin que nous ayons unité de conduite et unanimité de sentiments, selon le précepte de notre Seigneur. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 26

CYPRIEN AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT.

Le Seigneur parle et Il dit : "Sur qui laisserai-Je tomber mon Regard, sinon sur celui qui est humble, paisible, et qui a le respect de ma parole ?" (Is 66,2). C'est ce que nous devons être tous, mais c'est ce que doivent être particulièrement ceux qui ont à travailler, après une chute grave, à se ménager par une pénitence sincère et une humilité profonde, la Bienveillance du Seigneur. Or, j'ai lu une lettre commune des confesseurs [6], qu'on me prie de porter à la connaissance de tous nos collègues, afin que la paix accordée par eux parvienne à tous ceux dont la conduite, après leur faute, aura été examinée par nous". Comme cela ressortit à nos délibérations et à notre décision à tous, je n'ose rien préjuger, ni prendre sur moi seul de régler une affaire qui relève de tous. Donc, que l'on s'en tienne provisoirement aux lettres que je vous ai envoyées dernièrement, et dont j'ai déjà fait tenir un exemplaire à nombre de nos collègues. Ils m'ont écrit que ce que j'avais décidé leur semblait bien, et qu'il ne fallait pas s'en écarter jusqu'à ce que le Seigneur nous ayant rendu la paix, nous puissions nous réunir et examiner les cas d'un chacun. D'autre part, désirant vous faire savoir ce que Caldonius, mon collègue, m'a écrit et ce que je lui ai répondu [7], je joins un exemplaire des deux lettres.

Je vous prie de lire le tout à nos frères, afin que, de plus en plus, ils se fassent patients et qu'ils n'aillent pas, à une faute précédente, ajouter une autre faute, comme ils feraient en ne nous permettant pas d'obéir à l'évangile, et d'examiner leurs causes comme l'indique la lettre de tous les confesseurs. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez bien et que vous vous souveniez de nous. Saluez toute la communauté des frères.

LETTRE 27

CYPRIEN AUX PRETRES, AUX DIACRES, QUI SONT A ROME, SALUT.

Nous vous avions écrit, frères très chers, pour vous exposer notre conduite, et vous faire connaître, si modestes soient-ils, notre zèle pour la discipline, et nos efforts : mais voici qu'un autre fait se produit, qui ne doit pas non plus être ignoré de vous. Notre frère Lucianus, confesseur lui aussi, homme d'une foi ardente et d'un courage robuste, mais moins ferme sur l'Écriture Sainte, a fait une entreprise fâcheuse. Il a pris, et cela depuis longtemps, l'initiative de faire distribuer en masse des billets écrits de sa main au nom de Paul. Cependant Mappalicus, qui est martyr, mais prudent et discret, se souvenant de la loi et de la discipline, n'a point écrit de lettre à l'encontre de l'évangile, mais seulement dans un sentiment de piété familiale, a mandé de donner la paix à sa mère et à sa soeur qui sont tombées; de même, Saturninus, encore en prison, après avoir souffert la torture, n'a point mis en circulation de lettre de ce genre. Lucianus, au contraire, non seulement adonné des billets écrits de sa main, au nom de Paul, alors que celui-ci était encore en prison, mais, de plus, après sa mort il a continué d'agir au nom du martyr, disant qu'il en avait reçu mandat de lui, et ignorant qu'il vaut mieux obéir au Maître qu'à un compagnon d'esclavage. Beaucoup de billets ont été donnés aussi au nom du jeune Aurelius, qui a souffert la torture, billets écrits de la main de Lucianus, Aurelius ne sachant pas écrire.

Pour mettre un frein de quelque manière à ce désordre, je leur ai écrit des lettres [8] que je vous ai fait transmettre avec le précédent courrier, où je ne cesse de demander et de conseiller que l'on tienne compte de la loi du Seigneur et de l'évangile. Après ces lettres, comme si elles montraient trop de modération et de mesure, Lucianus a écrit au nom de tous les confesseurs une lettre [9] de nature à détruire complètement le lien de la foi, la crainte de Dieu, les ordres du Seigneur, la sainteté et la fermeté de la loi évangélique. Il a, dis-je, écrit au nom de tous, "que d'un commun accord, ils avaient donné la paix et voulaient que cette décision fût portée par moi à la connaissance des autres évêques", je vous ai fait passer un exemplaire de sa missive. Il y est bien dit qu'on donne la paix à ceux dont la conduite depuis leur faute aura été examinée", mais cela même nous donne de l'odieux, en faisant que, par l'examen des cas particuliers, nous semblons refuser à plusieurs ce qu'ils se vantent tous d'avoir reçu des martyrs et des confesseurs.

Ce désordre a déjà commencé à se manifester. Dans un certain nombre de villes de notre province, les lapsi se sont portés en foule vers les dépositaires de l'autorité et les ont forcés à leur donner, sur-le-champ, la paix qu'ils criaient leur avoir été accordée à tous par les martyrs et les confesseurs. Usant ainsi d'intimidation, ils ont forcé la main à des chefs qui n'avaient pas assez de force d'âme ou de vigueur de foi pour résister. Chez nous, quelques turbulents, qui se laissaient à peine gouverner par nous dans le passé, et dont on remettait le cas au moment où nous serions présent, enflammés par cette lettre comme par un brandon, se sont emportés davantage et ont cherché à arracher la paix qui leur avait été donnée. Je vous ai envoyé un exemplaire de la lettre que j'ai écrite à leur sujet au clergé. Ce n'est pas tout : je vous ai fait tenir, pour que vous le lisiez, ce que Caldonius, mon collègue, m'a écrit avec son honnêteté et sa foi coutumière, et ce que je lui ai répondu [10]. De même, la lettre de Celerinus, bon et vaillant confesseur, au même confesseur Lucianus, et la réponse de celui-ci [11], je vous les ai envoyées, afin que vous puissiez voir que nous nous occupons de tout avec soin. Vous comprendrez aussi, en les lisant, combien le confesseur Celerinus est modéré, prudent, a l'humilité et la réserve qui convient à notre religion, tandis que Lucianus n'a guère, ainsi que je l'ai dit, l'intelligence des Écritures divines, et montre une facilité indiscrète qui jette de l'odieux sur notre réserve. En effet, alors que le Seigneur a dit a que les nations sont baptisées au nom du Père, du Fils et du saint Esprit, et que les péchés passés sont remis par le baptême, lui, ignorant le précepte et la loi, mande que l'on donne la paix, et que l'on remette les péchés au nom de Paul; il prétend que c'est ce que Paul lui a mandé, comme vous le pourrez remarquer dans la lettre dudit Lucien à Celerinus. En cela il n'a pas assez considéré que ce ne sont pas les martyrs qui font l'évangile, mais que c'est l'évangile qui fait les martyrs. L'apôtre Paul, que le Seigneur appelle un vase de son choix, n'a-t-il pas dit dans une épître : "Je m'étonne que vous vous détourniez si vite de celui qui vous a appelé à la grâce de Jésus Christ pour passer à un autre évangile; non certes, qu'il y ait un autre évangile; seulement il y a certaines gens qui vous troublent et essaient de pervertir l'évangile du Christ. Mais quand nous-même, quand un ange venu du ciel vous annoncerait un autre évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème. Nous l'avons dit, et je le répète : Si quelqu'un vous annonce un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème". (Gal 1,6).

Vos lettres au clergé que j'ai reçues sont venues à point ainsi que celles que les bienheureux confesseurs Moïse, Maxime, Nicostratus et autres ont envoyées à Saturninus et à Aurelius. On y trouve la pleine vigueur de l'évangile et la ferme doctrine de la loi du Seigneur. Dans l'épreuve que nous subissions ici et dans la lutte que nous soutenions avec toutes les forces de notre foi contre les assauts des mécontents, nous avons été singulièrement aidés par vos paroles. Grâce à elles le ciel a abrégé les choses, et avant que la lettre que je vous ai envoyée ait eu le temps de vous parvenir, vous nous avez fait connaître que selon la règle de l'évangile vous nous étiez fermement et unanimement unis de sentiment. Je souhaite, frères très chers et très regrettés, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 28

CYPRIEN AUX PRETRES MOISE ET MAXIME, ET AUX AUTRES CONFESSEURS SES FRERES TRES CHERS, SALUT.

Je connaissais depuis longtemps, de reputation, votre foi glorieuse et votre courage, et je m'étais réjoui grandement et hautement de ce qu'une grâce de choix de notre Seigneur vous avait, par la confession de son Nom, préparés à la couronne. C'est vous qui, marchant au premier rang, dans la bataille qui se livre aujourd'hui, avez levé les enseignes de la milice céleste. C'est vous qui, par vos actes de bravoure, avez commence le combat spirituel que Dieu veut qui soit livré maintenant. C'est vous qui, au début de la guerre, avez opposé aux premières charges une vigueur infrangible, une fermeté inébranlable, et les avez brisées. De là, les débuts heureux des hostilités; de là des auspices de victoire. Il est arrivé ici que l'on a consommé des martyres au milieu des tourments; mais celui qui, dans la lutte, a marché devant les autres en donnant à ses frères un exemple de vaillance, partage la gloire des martyrs. Vos mains ont tressé des couronnes que vous leur avez transmises, et vous avez bu d'abord à la coupe salutaire avant de la passer à vos frères.

A cette gloire d'avoir confessé le Christ dès le début, à cette milice inaugurée sous des auspices de victoire, s'ajoute une fidélité ininterrompue à la discipline; je l'ai reconnue à la vigueur de la lettre que vous avez récemment envoyée à ceux de vos collègues qu'unit à vous la gloire commune d'avoir confessé le Seigneur, pour leur recommander, avec une sollicitude inquiète, de garder généreusement et fermement les saints préceptes de l'évangile, et les instructions de vie qui nous ont été une fois données. Voilà donc pour vous un degré nouveau et fort élevé de gloire, voilà un double titre à la Bienveillance divine qui s'ajoute a votre confession : vous restez fermes et en place devant une attaque qui tend à forcer l'évangile, et vous repoussez, d'une foi constante, ceux qui, d'une main impie, s'efforcent de ruiner les préceptes du Seigneur; après avoir donné le signal des actes de courage, vous donnez maintenant des leçons de sage conduite. Le Seigneur, après sa Résurrection, envoyant ses apôtres leur donne ses instructions et leur dit : "Tout pouvoir M'a été donné dans le ciel et sur la terre : allez donc et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du saint Esprit, leur apprenant à pratiquer tout ce que Je vous ai commandé". (Mt 28,18-20). Et l'apôtre Jean, se souvenant du commandement, écrit plus tard dans son épître : "Nous nous rendons compte que nous le connaissons, si nous gardons ses commandements. Celui qui dit qu'il le connaît et ne garde pas ses commandements est un menteur, et la vérité n'est point en lui". (Jn 2,3-4). Ces préceptes vous les faites observer, ces commandements divins et célestes, vous les gardez. C'est là être confesseur du Seigneur, c'est là être martyr du Christ, de conserver dans ses paroles une fermeté toujours inviolable et entière; ce n'est point l'être, que de rendre témoignage au Seigneur par le martyre et de s'efforcer ensuite de détruire les commandements du Seigneur, de se servir contre lui des grâces qu'il nous a faites, et d'user en quelque sorte des armes qu'il nous a confiées pour se révolter contre Lui. Ceci c'est vouloir confesser le Christ, et en même temps nier l'évangile du Christ. Je suis donc heureux à cause de vous, frères très vaillants et très fidèles, et autant je félicite les martyrs qui ont eu l'honneur de souffrir ici de la gloire que leur a value leur courage, autant je vous félicite, vous, de la couronne que vous méritez pour votre fidélité à la discipline. Le Seigneur répand sur nous ses bienfaits par des largesses de plusieurs genres. Il distribue à ses bons soldats la gloire spirituelle avec une riche variété. Nous avons part à l'honneur de votre conduite. Votre gloire est notre gloire, et nous avons cette heureuse fortune qu'il nous est donné de voir, de notre temps, des serviteurs de Dieu loués, et des soldats du Christ couronnés. Je souhaite, très vaillants et très heureux frères, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous.

LETTRE 29

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT.

Pour qu'il n'y ait rien qui ne soit connu de vous, je vous envoie, mes très chers frères, un exemplaire de la lettre qui m'a été écrite, et un de ma réponse. Je crois que ma réponse ne vous déplaira pas. Mais, de plus, je dois ici porter à votre connaissance que pour un motif urgent j'ai écrit au clergé qui habite Rome. Et parce qu'il m'a fallu faire tenir mes lettres par des clercs, sachant qu'un grand nombre d'entre eux sont absents et que le petit nombre de ceux qui restent ici suffit à peine à la besogne quotidienne, il a été nécessaire d'en ordonner quelques nouveaux pour les envoyer. Sachez donc que j'ai ordonné lecteur, Saturus, et sous-diacre, Optatus le confesseur. Nous les avions déjà, d'un commun accord, rapprochés de la cléricature, quand nous avons deux fois chargé Saturus de faire la lecture au jour de Pâques; et, dernièrement, quand, examinant soigneusement les lecteurs avec les prêtres catéchistes, nous avons mis Optatus au rang des lecteurs de ceux qui instruisent les catéchumènes. Nous avions examiné s'ils présentaient les qualités que doivent avoir ceux qui sont destinés à la cléricature. Je n'ai donc rien fait de nouveau en votre absence, mais simplement mis en pratique ce que nous avions décidé d'un commun accord. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous. Saluez la communauté des frères. Adieu.

LETTRE 30

AU PAPE CYPRIEN LES PRETRES ET LES DIACRES HABITANT ROME, SALUT.

Celui qui a conscience d'avoir bien agi, et observé sans défaillance la discipline de l'évangile, celui qui se peut rendre le témoignage d'être resté fidèle à là loi divine, a coutume de se contenter du jugement de Dieu, et ne recherche les éloges ni ne redoute les critiques d'autrui. Cependant, ceux-là méritent une double louange qui y tout en sachant qu'ils ne doivent soumettre leur conscience qu'à Dieu, son seul juge, désirent néanmoins que leur conduite soit soumise à l'approbation de leurs frères. Il n'est pas étonnant que telle soit votre façon d'agir, frère Cyprien; avec la modestie et le zèle qui vous sont des dons de nature, vous avez voulu que nous fussions moins les juges que les associés de vos résolutions, partageant la gloire de votre administration en l'approuvant, et devenant les bénéficiaires des résultats de vos mesures, en les faisant nôtres. On croira que nous avons tous collaboré à une même chose, quand on nous verra tous d'accord pour y appliquer les mêmes principes disciplinaires.

Qu'y a-t-il de si convenable dans la paix, de si nécessaire dans la guerre de la persécution, que de garder la juste sévérité de la discipline ? Quand on s'en relâche, il est inévitable qu'on aille au hasard dans une course errante, que l'on se perde dans les vicissitudes des affaires, et que, comme si l'on s'était laissé arracher le gouvernail des mains, on s'expose à briser le navire de l'Église sur des rochers. Et ainsi, il apparaît bien que l'on ne peut pourvoir au salut de l'Église qu'en repoussant ceux qui sont contre elle comme des flots contraires, et qu'en gardant les règles toujours observées de la discipline comme une sorte de gouvernail pour se diriger dans la tourmente. Et ce ne sont point là des sentiments connus depuis peu de temps, ni des secours nouveaux contre les méchants venus tout récemment. Mais chez nous la sévérité est antique, antique la foi, la discipline antique. Et en effet, l'Apôtre ne nous aurait pas loués si fort qu'il l'a fait en disant : "On parle de votre foi par toute la terre", (Rom 1,8) si, des ce moment-là, notre vigueur n'avait eu ses racines dans la foi de ces temps. Et vraiment, dégénérer de cette gloire est un très grand crime. l y a, en effet, moins de déshonneur à n'avoir jamais reçu d'éloge glorieux qu'à tomber du faîte de la gloire. Il est moins blâmable de n'avoir jamais été honoré d'un bon témoignage que d'avoir perdu l'honneur des bons témoignages. Il est moins dommageable de n'avoir point été célèbre pour ses vertus et d'être resté sans gloire et inconnu que d'avoir perdu l'héritage de la foi, et sa propre gloire. Ce que l'on dit, en effet, en l'honneur de quelqu'un, s'il ne s'applique à en rester digne par des efforts pleins de sollicitude, se tourne en mécontentement contre lui, et lui devient le sujet des reproches les plus amers.

Que nous ayons raison de parler ainsi, c'est ce qu'établissent nos lettres antérieures. Nous y avons clairement exposé notre sentiment, d'abord à l'égard de ceux qui se sont montres infidèles par la déclaration coupable consignée dans des billets criminels [12] : ils croyaient peut-être, par la, échapper aux filets du démon, mais il ne les tenait pas moins que s'ils s'étaient réellement approchés des autels sacrilèges, par cela seul qu'ils déclaraient l'avoir fait. Notre sentiment s'y est aussi fait connaître à l'égard de ceux qui ont reçu de tels billets, bien qu'ils n'aient pas été présents lorsqu'on les faisait, attendu que de demander qu'on les écrivît, c'était faire acte de présence. On n'est pas innocent d'un crime, quand on a demandé qu'il fût commis, et l'on n'est pas étranger à un délit, quand, ne l'ayant pas commis, on consent à se le laisser attribuer dans un acte lu publiquement. Quand tout le mystère de la foi se résume à confesser le Nom du Christ, celui qui cherche, pour s'y dérober, de fallacieux prétextes, l'a nié, et celui qui veut paraître avoir satisfait à des édits ou à des lois portés contre l'évangile y a obéi en effet, par cela même qu'il a voulu paraître y avoir obéi. A l'égard aussi de ceux qui, en prenant part à des sacrifices coupables, ont souillé leurs mains et leur bouche, après avoir d'abord souillé leurs âmes d'une souillure dont celle-ci a procédé, nous avons montré notre foi et notre accord. A Dieu ne plaise, en effet, que l'église Romaine se relâche de sa vigueur par une facilité profane, et énerve la sévérité de la discipline, au détriment de l'honneur de la foi; à Dieu ne plaise qu'elle aille, alors que les morceaux de notre communauté non seulement sont encore par terre, mais tombent toujours, donner avec précipitation le remède de réconciliations à coup sûr inefficaces; et par une miséricorde de mauvais aloi, ajouter aux blessures de la faute de nouvelles blessures, enfonçant les malheureux davantage, et leur enlevant même la pénitence. Comment la médecine de l'indulgence pourra-t-elle réussir, si le médecin lui-même, en empêchant la pénitence, favorise le danger, s'il ne fait que recouvrir la blessure, sans permettre au nécessaire remède du temps de la cicatriser. Ce n'est pas là guérir : si nous devons dire le vrai mot, c'est tuer.

D'ailleurs, les confesseurs qui sont encore en prison ici à cause de leur confession glorieuse, et à qui leur foi a valu déjà des couronnes dans le combat pour l'évangile, vous ont écrit une lettre qui a le même esprit que les nôtres. Ils y ont soutenu la sévérité de la discipline évangélique, et repoussé des demandes illégitimes, ne voulant pas s'exposer, en y acquiesçant à ne pouvoir pas facilement réparer les ruines de la discipline. A personne en effet, il ne convient autant de garder intacte la vigueur évangélique qu'à ceux qui, pour l'évangile, se sont laissé meurtrir et torturer à des furieux. Ils n'ont pas voulu perdre l'honneur du martyre, comme ils l'auraient perdu justement, si, à l'occasion du martyre, ils avaient prévariqué au regard de l'évangile. Car, celui qui ne garde pas ce qu'il possède dans ce qui en est la source en détruisant ce qui est la source du bien qu'il possède perd ce bien lui-même.

Et ici nous devons vous rendre et nous vous rendons les plus grandes, les plus abondantes action de grâces. Vous avez, par votre lettre, illuminé les ténèbres de leur prison, vous êtes venu auprès d'eux dans la mesure où vous l'avez pu, vous avez relevé par vos paroles leurs âmes vaillantes dans leur foi et leur confession, allumé en eux, en louant dignement leur bonheur, un désir beaucoup plus ardent de la gloire céleste, vous avez donné le branle à leur bon mouvement, animé par l'énergie de votre langage, ceux qui sont (je le crois du moins et le souhaite) de futurs vainqueurs. Bref, bien que tout cela soit l'oeuvre de la foi des confesseurs et de la grâce divine, pourtant ils semblent bien, pour une part, vous être redevables-de leur martyre. Mais, pour en revenir au point dont nous semblions nous écarter, vous aurez sous les yeux copie de la lettre que nous avons envoyée aussi en Sicile. Pour nous, cependant la nécessité s'impose plus impérieusement de remettre la chose à plus tard, puisque, depuis la mort de Fabianus, de très illustre mémoire, les difficultés des circonstances nous ont empêchés d'avoir un évêque, qui dirige toutes ces affaires, et qui puisse s'occuper des lapsi avec autorité et sagesse. D'ailleurs, dans une cause si importante nous aimons ce que vous avez dit, à savoir qu'il faut attendre d'abord que la paix soit rendue à l'Église et alors régler l'affaire des lapsi après en avoir délibéré en commun avec les évêques, les prêtres, les diacres, les confesseurs et les laïcs restés fidèles. C'est, en effet, une charge facilement impopulaire et un lourd fardeau que d'avoir, sans être en nombre, à examiner la faute d'un grand nombre et d'être seul à prononcer la sentence, quand beaucoup de personnes ont commis le crime; d'ailleurs, une décision ne peut avoir grande force, qui ne semblerait pas avoir réuni les suffrages d'un grand nombre de délibérants. Considérez que le monde presque entier a été ravagé et que l'on voit partout à terre des débris et des ruines, et qu'ainsi la situation réclame pour le jugement des assises aussi considérables que la propagation même du délit. Que le remède ne soit pas moindre que la blessure, ni les moyens de salut moindre que les morts. Ceux qui sont tombés sont tombés parce qu'une aveugle témérité les avait rendus imprudents; que de même ceux qui s'occupent de régler cette affaire usent de toute la prudence et de toute la sagesse possibles, de peur qu'une décision, prise autrement qu'il ne faut, ne soit jugée sans valeur par tout le monde.

Dans un même sentiment, dans les mêmes prières et les mêmes larmes, nous tous, et ceux qui, comme nous, semblent avoir jusqu'à présent échappé à ces défaillances, et ceux qui sont tombes dans cette tempête désastreuse, implorons la divine Majesté, et demandons la paix pour l'Église et son peuple. En priant les uns pour les autres, aidons-nous, gardons-nous, armons-nous. Prions pour ceux qui sont tombés afin qu'ils se relèvent, prions pour ceux qui sont debout, pour qu'ils ne succombent pas à l'épreuve; prions pour que ceux dont on nous apprend la chute, reconnaissant la grandeur de leur faute, comprennent que ce n'est pas une cure brève et hâtive qu'elle réclame; prions pour que le pardon accordé aux lapsi soit efficace comme venant après la pénitence, afin que, comprenant bien leur culpabilité, ils consentent à faire preuve de patience en attendant, et n'agitent pas une Église encore vacillante; qu'ils craignent de paraître allumer une persécution intestine, et de mettre le comble à leur culpabilité en se montrant incapables de rester tranquilles. La modestie convient à ceux-là surtout dont les fautes sont l'effet fâcheux de sentiments étrangers à la modestie. Qu'ils frappent à la porte, mais qu'ils ne la brisent pas; qu'ils s'approchent du seuil de l'Église, mais qu'ils ne sautent point par-dessus. A la porte du camp de Dieu, qu'ils montent la garde, mais armés de modestie, montrant par elle qu'ils ont conscience d'avoir été des déserteurs. Qu'ils reprennent la trompette de la prière, mais qu'ils n'exécutent pas d'airs de bravoure. Qu'ils prennent les armes de la modestie; et ce bouclier de la foi, que la crainte de la mort leur a fait abandonner en apostasiant, qu'ils le reprennent, armés maintenant pour faire la guerre au diable, non à l'Église qui pleure encore leur chute. Ils tireront grand profit d'une prière modeste, d'une supplication respectueuse, d'une humilité nécessaire, d'une patience qui ne sera pas oisive. Qu'ils envoient, comme représentants de leur douleur, des larmes; que des gémissements sortis du fond du coeur soient leurs intercesseurs, et prouvent le regret du crime commis, et la honte qu'ils en ont.

Ou plutôt, s'ils frémissent à la vue du déshonneur mérité, s'ils explorent, avec la main du médecin sérieux, la plaie mortelle de leur conscience et de leur coeur, les replis sinueux de leur profonde blessure, qu'ils rougissent même de demander la paix : si ce n'est qu'il y a plus de péril et de honte à ne pas l'avoir demandée. En tout cas, s'ils la demandent, que tout se passe dans les formes, que l'on tienne compte de la loi de la demande et du juste temps requis; que la demande elle-même soit modeste, que la requête soit humble; car on doit adoucir, non irriter celui à qui on demande, et comme on doit se souvenir de la divine Clémence, aussi doit-on se souvenir de la divine Justice. S'il est écrit : "Je t'ai fait remise de toute ta dette, parce que tu m'en as prié", (Mt 18,32) il est écrit également : "Celui qui me niera devant les hommes, Je le nierai devant mon Père et devant ses anges" (Mt 10,33). Dieu, sans doute, est indulgent, mais Il contrôle aussi, et même rigoureusement, l'observation de ses préceptes, et s'Il invite au festin, il est vrai aussi que celui qui n'a pas la robe nuptiale, Il le fait prendre par les mains et les pieds, et jeter hors de l'assemblée des saints.Il a préparé le ciel, mais il a préparé aussi l'enfers. Il a préparé un lieu de rafraîchissement, mais il a aussi préparé des supplices éternels. Il a préparé une lumière inaccessible, mais il a préparé une nuit perpétuelle et des ténèbres immenses et sans fin.

Désirant tenir la juste balance en ces matières, il y a longtemps qu'à plusieurs, avec des évêques de régions voisines, et d'autres venus de provinces lointaines d'où la violence de la persécution les avait chassés, nous avons pensé qu'il ne fallait rien faire de nouveau avant l'élection d'un évêque. Nous avons estimé qu'il convenait de tenir à l'égard des lapsi, une ligne de conduite moyenne : en attendant que Dieu nous donne un évêque, laisser en suspens les causes de ceux qui peuvent attendre; quant à ceux qui sont au terme de leur vie, et dont la fin prochaine ne permet pas de délai, quand ils auront manifesté leur repentir et déclaré à plusieurs reprises regretter leur conduite, donné par leurs larmes, leurs gémissements, leurs sanglots, les marques d'une âme véritablement pénitente, à l'heure où humainement il ne restera aucun espoir de salut, alors, mais alors seulement, leur venir en aide avec prudence et discrétion. Dieu sait ce qu'Il doit faire de ceux qui sont dans ce cas, et comment Il les doit peser dans les balances de sa Justice. Quant à nous, en agissant ainsi, nous éviterons un double écueil : que des pervers ne louent chez nous une facilité trop grande, ou que des lapsi vraiment pénitents ne nous accusent d'une dureté cruelle. Nous souhaitons, pape bienheureux et très glorieux, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous.


[1] Cet endroit, qui doit sans doute son nom à un groupe représentant les trois Parques, était près de la Voie sacrée, là où se trouve l'église des Saints Cosme et Damien.

[2] Le siège était vacant depuis le 20 janvier.

[3] C'est l'empereur Dèce qui est ici visé.

[4] Il faut sans doute entendre par "pignerarium", un local où on déposait des gages, pignera, pour emprunter de l'argent.

[5] Il s'agit des lettres 15,16,18,19.

[6] Lettre 23.

[7] La lettre de Caldonius est la 24e, la réponse de saint Cyprien la 25e.

[8] Lettres 15,16,17.

[9] Cette lettre de Lucianus est la lettre 23.

[10] Probablement la lettre 24 et 25.

[11] Lettres 21 et 22.

[12] Il s'agit ici de deux catégories de lapsi qui n'avaient pas sacrifié personnellement : l. ceux qui se rédigeaient, ou se faisaient rédiger, un certificat, attestant qu'ils avaient sacrifié, et le faisaient contresigner par les magistrats . 2. Ceux à qui on offrait de tels certificats, et qui les acceptaient.

    

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