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Gertrude d’Helfta Première partie5-L’union à Dieu L’auteur du Livre 1 rappelle: une personne nous apprit dans le récit qu’elle fit d’une grâce obtenue grâce à la prière de Gertrude, que toutes les grâces reçues de Dieu par celle-ci étaient peu de chose, en comparaison de celles que le Seigneur se proposait dans la suite de répandre sur son âme. Et elle ajoute: “Elle parviendra à une si grande union avec Dieu, que ses yeux ne verront que ce que Dieu daignera voir par eux; sa bouche ne dira que ce qu'il plaira à Dieu de dire par elle; et ainsi des autres sens.” (Livre 1 ch. 16) 5-1-L’oraison de Gertrude L’oraison est destinée à préparer l’âme à la prière intérieure continue, enveloppant toute la vie, bien au-delà du temps consacré à l’oraison; l’oraison doit surtout être louange: louange de toute la vie offerte, louange du cœur, de la souffrance, de la patience, du sacrifice, louange qui fait de la moniale une eucharistie... L’auteur anonyme du livre 1 témoigne que la ferveur et la suavité apparaissent avec évidence dans les écrits de Gertrude, qui profitent à de nombreuses personnes. Gertrude était assidue aux veilles et aux heures régulières de la prière, à moins que la maladie ne la retint, ou que pour la gloire de Dieu elle travaillât au salut du prochain. Il est un point particulier qu’il faut signaler ici, c’est la liberté de son cœur,[1] car expliqua un jour le Seigneur à une personne pieuse[2]: — L’ardent amour qu’elle a pour moi est le résultat de la liberté de son cœur. Ce bien est si grand qu'il conduit à la plus haute perfection: à toute heure je trouve ma bien-aimée prête à recevoir mes dons, car elle ne supporte dans son âme absolument rien qui puisse entraver mon action. Ainsi toute la vie de Gertrude tourna à la louange et à la gloire de Dieu. 5-2-Les méthoses divines Un enseignement précieux concernant l’aridité Le chapitre 17 du Livre 1 est entièrement consacré aux rapports entre Dieu et Gertrude. Nous en donnons ici quelques extraits:
Comme il lui arrivait parfois d'être privée de la visite du Seigneur durant un certain temps sans en ressentir aucune peine, elle saisit un jour l'occasion d'en demander la raison. Le Seigneur lui répondit: — Une trop grande proximité empêche quelquefois les amis de se bien voir: par exemple s'ils se serrent dans les bras l'un de l'autre et se donnent un baiser, ils ne peuvent goûter en même temps le plaisir de se regarder. Par ces paroles elle comprit que la soustraction momentanée de la grâce augmente beaucoup les mérites, pourvu que l'homme durant cette épreuve accomplisse son devoir avec autant de courage, malgré les efforts qu'il doit faire.
Gertrude se demanda ensuite pourquoi le Seigneur ne la visitait plus de la même manière qu'autrefois: — C'est qu'alors, répondit le Seigneur, je t'instruisais fréquemment par des réponses qui te permettaient de faire connaître au prochain mon bon plaisir. Maintenant, c'est à ton intelligence seulement que je manifeste mes opérations, parce qu'il serait souvent difficile de les traduire en paroles. Je réunis dans ton âme comme dans un trésor les richesses de ma grâce, afin que chacun trouve en toi ce qu'il y voudra chercher. Tu seras comme une épouse qui connaît tous les secrets de son époux et qui, après avoir vécu longtemps avec lui, sait deviner ses volontés. Toutefois il ne conviendrait pas de révéler les secrets qu'une réciproque intimité a permis de connaître.
Elle (Gertrude) vit dans la suite la réalité de ces promesses. Lorsqu'elle priait pour une intention qui lui était fortement recommandée, il lui était impossible de pouvoir obtenir une réponse du Seigneur comme avant. Mais il lui suffisait alors de sentir en elle la grâce de prier pour telle cause: c'était une preuve assurée de l'inspiration de Dieu, aussi bien que jadis la réponse divine. De même, si quelqu'un cherchait auprès d'elle conseil ou consolation, elle sentait aussitôt que la grâce de répondre lui était donnée, et cette grâce était accompagnée d'une telle certitude, qu'elle eût été prête à subir la mort pour assurer la vérité de ses paroles. Cependant elle n'avait eu aucune connaissance de ce dont il s'agissait, ni par paroles, ni par écrit, et n'y avait même pas songé. Mais si elle ne recevait aucune révélation concernant l'objet de sa prière, elle se réjouissait de la Sagesse divine, si impénétrable, et si inséparablement jointe à l'Amour. Elle comprit que le meilleur parti était de lui abandonner toute chose. Cet abandon avait alors pour elle plus de charmes que la connaissance profonde des secrets mystères de Dieu.
En l'octave du Dimanche de la Résurrection, comme on lisait dans l'Évangile que le Seigneur donna le Saint-Esprit à ses disciples en soufflant sur eux, elle pria dévotement le Seigneur de lui communiquer aussi cet Esprit plein de douceur. Il répondit: — Si tu désires recevoir le Saint-Esprit, il faut auparavant qu'à l'exemple des disciples, tu me touches le côté et les mains. À ces paroles elle comprit que celui qui désire recevoir le Saint-Esprit doit d'abord toucher le côté du Seigneur, c'est-à-dire, considérer avec reconnaissance l'amour du Cœur de Dieu, car c'est par son amour que Dieu nous a prédestinés de toute éternité pour être ses fils et les héritiers de son royaume; et c'est encore par cet amour qu'il nous comble de bienfaits infinis, malgré notre indignité et notre ingratitude. Il faut aussi toucher les mains du Seigneur, c'est-à-dire se rappeler avec reconnaissance les œuvres accomplies pour notre rédemption, rédemption à laquelle le Seigneur a travaillé avec amour pendant trente-trois années, principalement par sa Passion et par sa mort. Lorsque, à ces souvenirs, l'homme se sentira brûler d'ardeur, qu'il offre son cœur pour l'accomplissement du bon plaisir divin, en union de cet amour par lequel le Seigneur a dit: “Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie.” Il devra encore ne vouloir et ne désirer que la volonté divine, et se montrer prêt à accomplir et à souffrir tout ce que Dieu ordonnera. Celui qui aura agi de la sorte recevra le Saint-Esprit, dans les sentiments qu'éprouvèrent les disciples, lorsqu'il leur fut communiqué par l'insufflation du Fils de Dieu. Alors le Seigneur souffla sur elle et lui donna aussi le Saint-Esprit en disant: — Recevez en vous le Saint-Esprit; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez. (Jean, 20, 22.) Elle dit: — Seigneur, comment cela peut-il se faire, puisque le pouvoir de lier et de délier n'appartient qu'aux prêtres? Le Seigneur répondit: — Lorsque, guidée par mon Esprit, tu jugeras que quelqu'un n'est pas coupable, moi aussi je l'estimerai innocent; et celui que tu jugeras coupable le sera également à mes yeux, parce que je parlerai par ta bouche. — Seigneur, dit-elle, comme vous avez daigné m'accorder souvent ce don, qu'est-ce que j'obtiens de plus maintenant que vous me le concédez de nouveau? Le Seigneur répondit: — Celui qui après avoir été diacre est ordonné prêtre, ne perd pas pour cela la qualité de diacre, mais il reçoit l'honneur plus grand du sacerdoce. De même, lorsqu'un don est réitéré à une âme, il se trouve comme affermi en elle, et sert à augmenter sa béatitude. (Livre 4 Ch. 32) 5-3-Vivre en union avec Dieu Le Seigneur n’abandonne jamais ses enfants. Gravement malade, Gertrude, un matin, était seule, et le Seigneur se présenta à elle: Il montrait son côté gauche d'où jaillissait, comme des profondeurs intimes de son Cœur sacré, une source d'eau pure, solide comme le cristal. En s'écoulant, elle recouvrait ce sein béni à la manière d'un collier précieux, offrant tour à tour aux regards le brillant de l'or ou l'éclat de la pourpre. Le Seigneur lui dit ces paroles: — La maladie qui te fait souffrir a sanctifié ton âme, en sorte que toutes les fois que, pour mon amour et par condescendance pour le prochain, tu sembleras t'éloigner de moi par tes actes, tes pensées ou tes paroles, tu ne t'en écarteras pas plus en réalité que cette source ne s'éloigne de mon Cœur. Et comme tu as vu l'or et la pourpre briller à travers le pur cristal, de même la coopération de ma divinité figurée par l'or, et la patience parfaite de mon humanité représentée par la pourpre, rendront toutes tes actions agréables à mes yeux. Et Gertrude s’étonne de l’immense dignité de l’homme et de son âme: Ô dignité de cet infime grain de poussière pour que cette Pierre divine, la plus précieuse que renferment les trésors des cieux, ait daigné s'y enchâsser après l'avoir tiré de la boue des chemins! Ô beauté de cette humble petite fleur que le rayon du soleil a fait germer d'une terre fangeuse, afin de lui communiquer sa splendeur! Ô bonheur de cette âme comblée de bénédictions, et que le Dieu de Majesté a jugée digne d'assez d'estime pour que lui, dont la puissance est sans bornes, se soit abaissé à la créer; de cette âme, dis-je, qui, bien que parée de l'image et de la ressemblance divine, est cependant distante de Dieu, comme toute créature l'est de son Créateur! C'est pourquoi mille fois bienheureuse celle à qui il a été donné de demeurer dans cette union à laquelle je crains, hélas! de n'être jamais parvenue un seul moment! C’est pourquoi je prie la divine clémence de m'accorder quelque grâce que ce soit, par les mérites de ceux qu'elle a conservés, comme je l'espère, dans un tel état pendant un si long temps.Ô Don qui surpasse tout don!... Puis Gertrude rend grâce: Je glorifie et j'exalte la sagesse et la bonté de votre Toute-Puissance. Je loue et j'adore la Toute-Puissance et la bonté de votre Sagesse. Je rends grâces à la toute puissance et à la sagesse de votre Bonté et je vous bénis, ô mon Dieu, car j'ai toujours reçu de votre largesse toutes les grâces qui pouvaient m'être accordées, et cela dans une mesure qui dépassait infiniment mes pauvres mérites. 6- Les grâces mystiques Remarque importante: Gertrude avertit son lecteur: — Les choses invisibles de Dieu peuvent être perçues par l'intelligence au moyen des images sensibles. Ainsi que déjà je l'ai remarqué, il me sembla que de cette partie de la poitrine sacrée du Seigneur, en laquelle, au jour de la Purification, il avait reçu mon âme sous la forme d'une cire amollie au feu, il me semble que s'échappaient avec violence des gouttes de sueur, comme si la substance de cette cire se fût entièrement liquéfiée par l'excès de la chaleur enfermée dans le sein de mon Dieu. Et ce divin Cœur absorbait ces gouttes avec une vertu ineffable et incompréhensible. II semblait évident que l'amour, dont le propre est de se répandre, avait enfermé sa force victorieuse dans les profondeurs de ce Cœur sacré. 6-1-L’empreinte du sceau de la Trinité Gertrude, malade, venait de recevoir la communion dans son lit; elle priait et se plaignait à cause de sa faiblesse, lorsque la Vierge Marie vint la consoler. Voici ce qui se passa ensuite: “Je fus soulagée en écoutant ces douces paroles... et comme j'étais attentive à la présence de Dieu en moi, je vis que mon âme, semblable à une cire doucement amollie sous l'action du feu, se présentait devant la poitrine sacrée du Seigneur comme en face d'un sceau dont elle allait recevoir l'empreinte. Tout à coup, ce sceau divin fut apposé sur elle et mon âme fut alors introduite dans ce trésor sacré où la plénitude de la divinité habite corporellement pour y être marquée du sceau de la resplendissante et toujours tranquille Trinité... Ô mon Dieu... s’écria Gertrude, sans rien perdre de votre feu, vous vous êtes arrêté sur le terrain humide et glissant de mon âme, pour dessécher en elle les flots des joies humaines. Vous l'avez ensuite dégagée de cet attachement à sa propre volonté, attachement que le temps n'avait fait que fortifier. Ô vrai feu consumant qui ne brûlez les vices de l'âme que pour y instiller la douce onction de la grâce! C'est en vous seul que nous trouvons la force de nous réformer selon l'image et la ressemblance divine. Ô fournaise ardente dont les feux éclairent la douce vision de la paix! Votre puissante opération change les scories en or pur et choisi, dès que l'âme, fatiguée d'illusions, cherche enfin avec ardeur le souverain Bien qu'elle ne trouve qu'en vous seul, ô vraie vérité! Un peu plus tard, s’étonnant de la bonté de Dieu pour elle, si indigne, Gertrude s’extasie: — Alors m'apparut la bonté et l'humanité de Dieu notre Sauveur, non à cause des œuvres de justice par lesquelles mon indignité eût pu mériter cette faveur, mais à cause de son ineffable miséricorde qui me justifiait par la régénération adoptive (Tit., III, 4) et me préparait à cette union plus intime avec vous, ô mon Dieu! Union en vérité étonnante et redoutable, digne d'admiration, céleste et inestimable! En vertu de quels mérites de ma part, ô mon Dieu, et par quel mystérieux jugement ai-je obtenu une si grande faveur?... Vous êtes l'Amour même. Est-ce donc cette charité qui vous aura engagé à tirer de son extrême indignité une misérable créature, méprisable par sa vie et ses mœurs, pour l'élever à la participation de votre royale et divine grandeur? Vous vouliez par là augmenter la confiance de tous les membres de l'Église, et c'est ce que je souhaite et désire pour tout chrétien, espérant que nul ne fera comme moi un si mauvais usage des dons de Dieu, et ne donnera autant de scandale à son prochain... Ô Solstice éternel, demeure pleine de sécurité, lieu qui renferme toutes les délices, paradis des joies éternelles, source jaillissante d'inexprimables délectations, vous attirez par les fleurs variées d'un doux printemps; vous charmez par les notes suaves ou plutôt par le doux concert d'une harmonie toute spirituelle; vous ranimez par le souffle parfumé des vivifiants aromates; vous enivrez par la douceur liquéfiante des saveurs mystiques; vous transformez par les caresses merveilleuses de vos saints embrassements! Ô trois fois heureux, quatre fois bienheureux et, si je puis parler ainsi, mille fois saint celui qui, dirigé par la grâce, mérite d'approcher de ce lieu béni avec un cœur pur, des mains innocentes et des lèvres sans souillure! Comment redire ce qu'il voit, ce qu'il entend, ce qu'il respire, ce qu'il goûte et ce qu'il ressent? Pourquoi ma langue impuissante s'efforcerait-elle d'en balbutier quelque chose? Sans doute, par un effet de la bonté divine, j'ai été admise à jouir de ces faveurs mais, enveloppée comme d'une peau épaisse par l'écorce de mes fautes et de mes négligences, je ne pouvais les saisir que très imparfaitement, car toute la science réunie des anges et des hommes ne saurait fournir un seul mot qui exprimât si peu que ce soit la suréminente grandeur d'une si sublime union. (Livre 2 Ch. 8) 6-2-La stigmatisation Gertrude d’Helfta a-t-elle été stigmatisée? Peut-être, au moins avec des stigmates invisibles. Gertrude priait, lorsque... Écoutons-la s’adresser au Seigneur: — Je sentis que, malgré mon indignité, je recevais par une opération toute divine les faveurs souhaitées depuis longtemps. Il me fut donné de connaître spirituellement que vous veniez d'imprimer les stigmates adorables de vos très saintes plaies sur des places réelles de mon Cœur. Par ces blessures, vous avez guéri mon âme, et vous m'avez présenté à boire la coupe enivrante qui contient le nectar de l'amour... Outre ces largesses, vous avez achevé de donner à mon âme la grâce de lire en vos précieux stigmates et vos douleurs et votre amour. Ce fut, hélas! pour peu de temps, non que vous m'ayez retiré ces faveurs, mais parce que, et je le déplore ici, je les perdis par mon ingratitude et ma négligence. Toutefois, votre immense miséricorde et votre généreuse tendresse ont paru ne pas remarquer mes oublis, et m'ont conservé jusqu'à ce jour, malgré mon indignité, le premier et le plus grand de ces dons qui est l'empreinte de vos plaies sacrées. Pour cette faveur, ô mon Dieu, honneur et puissance, louange et jubilation vous soient rendus dans les siècles éternels! (Livre 2 Ch. 4) 6-3-La présence continuelle de Dieu Gertrude, à la fin du Livre 2 dans une immense action de grâce pour les faveurs reçues de Dieu, laisse deviner une grâce étonnante: — Pour continuer ce commerce d'amour, vous avez bien des fois visité mon âme de diverses manières, surtout en la vigile de l'Annonciation et avant l'Ascension, où, commençant dès le matin à me faire sentir la douceur de votre paix, vous avez le soir achevé votre œuvre. C'est alors que vous n'avez conféré ce don si merveilleux, digne d'être admiré par toute créature; je veux dire que depuis ce jour mon âme n'a pas cessé, un seul instant, de jouir de votre douce présence: quand je descends en moi-même, toujours je vous y trouve, excepté une fois où je ne vous trouvai pas pendant onze jours. Comme les paroles me manquent pour exprimer le nombre et la valeur des dons qui accompagnèrent celui de votre salutaire présence, donnez-moi, ô Dispensateur de toute grâce, de vous offrir en esprit d'humilité un sacrifice de jubilation et d'actions de grâces au sujet de cette habitation que vous avez préparée dans mon âme, afin d'y trouver votre joie et de m'y faire goûter à moi-même d'incomparables douceurs... Pour ajouter à ces faveurs, vous m'avez encore admise à l'incomparable familiarité de votre tendresse, en m'offrant l'arche très noble de votre divinité, c'est-à-dire votre Cœur sacré, pour que j'y trouve mes délices: vous me le donniez gratuitement, ou vous l'échangiez contre le mien comme marque plus évidente encore de votre tendre intimité. Par ce Cœur divin j'ai connu vos secrets jugements, par lui vous m'avez donné de si nombreux et de si doux témoignages de votre amour, que si je ne connaissais votre ineffable condescendance, je serais dans l'étonnement de vous les voir prodiguer à votre bienheureuse Mère elle-même, quoiqu'elle soit la créature la plus excellente et qu'elle règne avec vous dans le Ciel. (Livre 2 Ch. 23) 6-4-La blessure d’amour Sept ans plus tard (ou sept ans après la stigmatisation) avant la communion, Gertrude priait ainsi: — Par votre Cœur transpercé, ô Seigneur très aimant, veuillez transpercer mon cœur des traits de votre amour, afin que rien de terrestre n'y demeure, et qu'il soit rempli par la seule vertu de votre Divinité. Soudain après la communion, il me sembla voir partir du côté droit du crucifix qui était peint sur mon livre, comme un rayon de soleil dont l'extrémité avait la forme d’une flèche. Ce rayon jaillissait avec force, se retirait en lui-même, puis s'élançait de nouveau et demeurait fixe un moment afin d'attirer doucement à lui toute mon affection. Quelques jours plus tard Gertrude vit apparaître devant elle le Crucifié qui lui fit une blessure au cœur en disant ces mots: — Que toutes les affections de ton âme viennent se concentrer ici; c'est-à-dire que l'ensemble de tes plaisirs, de tes espérances, de tes joies, de tes douleurs, de tes craintes et de tous tes autres sentiments se fixent dans mon amour. Puis, il lui fut conseillé d'honorer par une constante dévotion l'amour du Cœur percé sur la Croix, de puiser, à cette source de charité qui jaillit sous l'effort d'un amour ineffable, l'eau de la vraie piété qui lave toute offense, de prendre dans l'effusion de tendresse qui découle d'un tel amour l'huile de la reconnaissance, comme remède à toute douleur; enfin de trouver, dans cette œuvre de charité que vous avez consommée avec un incompréhensible amour, la bandelette de justification pour diriger vers vous toutes mes pensées, mes paroles et mes œuvres, et vous demeurer inséparablement unie. (Livre 2 Ch. 5) 6-5-Le mariage spirituel Il est certain qu’il y eut entre Gertrude d’Helfta et Jésus-Christ, un évènement mystique que l’on appelle généralement “mariage spirituel”. Gertrude ne semble pas avoir raconté les circonstances de cet épisode fondamental de sa vie. Cependant, dans le Livre 4, on trouve le texte suivant mentionnant le renouvellement du mariage spirituel qui eut lieu durant le temps pascal: En la troisième férie, comme elle (Gertrude) devait encore communier, elle désira que par ce sacrement vivifiant, le Seigneur daignât renouveler en son âme le mariage spirituel qui l'unissait à lui par la foi et par la religion, aussi bien que par l'intégrité de la pureté virginale. Le Seigneur lui répondit avec une douce bonté: — Je le ferai assurément. Et s'inclinant, il l'attira à lui dans une douce étreinte et donna à son âme un baiser très doux. Par ce baiser il renouvela en elle l'opération intérieure de l'esprit, tandis que par la douce étreinte il semblait avoir imprimé sur sa poitrine un joyau brillant orné de pierres précieuses et de magnifiques émaux. C'est ainsi qu'il répara sa négligence dans les exercices spirituels. (Livre 4 Ch. 29) De quels exercices spirituels s’agit-il ici? Peut-être de ceux que Gertrude a écrits et dans lesquels on trouve des passages brûlant d’amour, très étonnants, ainsi que des prières et des chants de fiançailles mystiques. Ainsi, dans le troisième exercice, on peut lire, sous le titre “Les Fiançailles et la Consécration au jour anniversaire de la sainte Profession”, les paroles du Seigneur: — Toute âme donc qui voudra m’aimer, je veux me la fiancer, je veux la chérir et l’aimer fortement. Je lui enseignerai le cantique des Vierges, qu’elle chantera doucement l’ayant appris de moi, et par lequel elle sera contrainte à s’unir à moi par le lien très suave de l’amour. Ce que je suis, moi, par nature, elle le deviendra par grâce. Je l’embrasserai des bras de mon amour, la serrant dans les tendresses de ma divinité, afin que par la vertu de mon amour brûlant, elle se fonde comme la cire devant le feu. Ma colombe bien-aimée, si tu veux être à moi, il est nécessaire que tu m’aimes doucement, sagement et fortement, afin que tu puisses éprouver en toi la suavité de ces bienfaits. Donc, éveille-toi, ô âme. Jusqu’à quand dormiras-tu? Écoute la nouvelle que je t’apporte. Par-delà les cieux il est un roi qui est épris de ton amour. Il t’aime d’un coeur entier, il t’aime sans mesure. Il t’aime si doucement, il te chérit si fidèlement, que pour toi il a humblement quitté son royaume. Il t’a cherchée, et en te cherchant il a souffert d’être arrêté comme un voleur. Son amour pour toi lui tient tant au coeur, il te chérit si fort, te désire si doucement, te jalouse si efficacement, que joyeusement il a pour toi livré à la mort son corps à la fleur de l’âge. Voici que l’âme répond: — Ô Jésus, l’unique bien-aimé de mon coeur, doux ami, bien-aimé, bien-aimé, bien-aimé, par-dessus tout ce qui a jamais été bien-aimé! Ô jour de printemps, toujours vivant et florissant, après toi soupire, après toi languit le désir amoureux de mon coeur. Oh! si j ‘avais ce bonheur, de te devenir unie de plus près; alors, ô vrai Soleil, sous ton action germeraient les fleurs et les fruits de mon avancement spirituel. Je t’attends, je t’attends. Viens donc à moi, comme le tourtereau à sa tourterelle. De ta beauté, de ta splendeur, tu as blessé l’intime de mon coeur. Mon bien-aimé, mon bien-aimé, si je ne te suis unie, je n’aurai point de joie de toute l’éternité. Donc, ton désir et mon désir, accomplis-le effectivement, ô ami, ami, ami ! Jésus poursuit: — Par mon Saint-Esprit, je te ferai ma fiancée, je t’attacherai à moi par une union inséparable. Tu demeureras chez moi, je t’enfermerai dans mon vivant amour. Je te revêtirai de la pourpre glorieuse de mon sang précieux. Je te ferai une couronne d’un or choisi, de l’or de ma mort douloureuse. Pour moi-même j’accomplirai ton désir, et aussi je te réjouirai pour l’éternité. Et Gertrude de conclure cet exercice: — C’est là notre Dieu, qui nous a aimés d’un amour invincible, d’une charité inestimable, d’une dilection inséparable, qui s’est uni la substance d’un corps de notre terre, pour qu’il pût être Époux, pour qu’il pût avoir une épouse. Il nous a aimés de tout lui-même, et l’aimer c’est être son épouse. Quelques prières du sixième exercice, de louanges et d’action de grâces, vont confirmer ces fiançailles, et même faire allusion au mariage d‘une âme avec le Fils de Dieu: — Ô amour unissant, Dieu de mon cœur, louange et jubilation de mon esprit! Mon Roi et mon Dieu! Mon bien-aimé choisi entre mille! Époux très aimable de mon âme! Seigneur des armées, unique amour, et souhait, et désir de mon coeur! De grâce, ô amour Dieu, sois pour moi dans le temps une dot pleine de la bénédiction de la douceur divine. Qu’à toi, en un esprit, en une respiration, en une seule volonté et charité, mon esprit soit attaché, jusqu’à ce qu’il devienne un même esprit avec toi pour toujours. Ô amour brûlant, sois pour moi une bénédiction vive et efficace, douce et embrassante, en ce mien pèlerinage, afin que mon âme, et toute ma puissance et substance, brûle sans s’éteindre jamais, comme une vraie étincelle, en la flamme de ta charité. Ô amour vivant, sois toi-même pour moi une bénédiction en qui je trouve mon achèvement et ma perfection, et qui amène devant toi mon âme comme une digne épouse. (Traduction du Père Emmanuel, OSB oliv. Paris 1919) 6-6-Saint Jean et sainte Gertrude A plusieurs reprises Gertrude entendit la plainte d’un cœur blessé, méconnu, mal aimé, dévoré de passion pour tous les hommes et elle ressentait au fond d’elle même les violentes pulsations de son propre cœur qui s’en allaient frapper le cœur de son Amant, cœur ruisselant de suavité. Et comme les très saintes pulsations qui faisaient battre sans cesse le cœur divin lui causaient une jouissance indicible, elle demanda à Saint Jean s’il n’avait pas ressenti la même chose quand il reposa sur la poitrine de Jésus. Jean répondit affirmativement mais explicita sa mission de l’époque: seulement faire connaître le Verbe incréé de Dieu le Père. La révélation du Cœur de Jésus “était réservée aux temps actuels... pour que le monde puisse retrouver sa ferveur.” 7-Les grandes orientations de la pensée de sainte Gertrude Avant d’entrer plus loin, dans les détails de la pensée de Gertrude d’Helfta, on doit ici en préciser le schéma. 7-1- Les grandes lignes de la pensée de Gertrude Trois grandes lignes se dégagent, indissolublement liées entre elles: — La théologie spéculative, indispensable. Mais si l’homme s’arrête à cette théologie, son cœur se dessèche et l’esprit peut s’égarer. En effet, on n’enferme pas Dieu dans une pensée humaine; la théologie ne peut que préparer la mystique, c’est-à-dire des relations d’amour entre Dieu et les hommes. La vraie théologie conduit obligatoirement à la mystique. — La mystique, qui ouvre le cœur de l’homme à l’Amour de Dieu. La mystique ouvre le cœur de l’homme, révèle Dieu et découvre l’Esprit: Amour du Père et du Fils. Ainsi, la mystique révèle la Sainte Trinité. Elle fait aussi entrer dans la Passion de Jésus, d’où la nécessité pour la mystique de s’appuyer à la fois sur la théologie et sur les Écritures. — La psychologie de l’homme est transformée par l’Amour que la mystique permet de découvrir. Découvrant la grandeur de Dieu, l’âme devient plus humble, plus défiante d’elle-même. Noyée dans l’Amour de Dieu, l’âme se tourne vers son prochain pour le servir, l’aider, et si possible, lui faire découvrir l’immensité de la miséricorde divine. La Sainte Trinité révèle d’abord à l’âme la réalité de son néant, puis fait jaillir un immense émerveillement. Enfin, la mystique faisant entrer dans le mystère de la Passion du Christ, l’âme éprise de Jésus sera inévitablement amenée, d’une façon ou d’une autre, à partager ses souffrances, physiques, morales ou psychologiques. 7-2-Le Cœur de Jésus Après saint Bernard et Catherine de Sienne, mais bien avant Marguerite-Marie, Gertrude d’Helfta fut une grande confidente de Jésus qui lui révéla les richesses de son Sacré-Cœur. Il convient de se rappeler que Gertrude était une grande intellectuelle théologienne. Ses expériences mystiques ne détruisirent pas sa culture, qui, au contraire, soutint sa vie mystique et l’illumina. Théologie spéculative et mystique ne s’excluent pas, au contraire, elles se complètent. Les grandes révélations reçues par sainte Gertrude d’Helfta tournent très souvent autour des points suivants:
Pour commencer, Jésus révèla à Gertrude “combien son Cœur immaculé de Médiateur était inséparablement uni à celui de sa Mère, médiatrice elle aussi.” (Livre 2)
Gertrude reçut ensuite de nombreuses grâces jusqu’au jour où, malade et venant de recevoir l’Eucharistie, son âme, réchauffée par la Présence réelle devint semblable à une cire appliquée sur la poitrine du Christ. Elle y pénètra et reçut l’empreinte du sceau trinitaire, Feu d’Amour,... Feu Glorieux qui triomphera de sa volonté propre, Feu transformant ses scories en or pur et précieux, Puissante Fournaise. C’est alors que se produisit une réalité mystérieuse, expérimentée seulement par quelques rares mystiques: l’échange des cœurs. Gertrude évoque “le cœur déifié de Jésus, livré généreusement ou même, -signe plus précieux encore, de mutuelle intimité- échangé contre le sien. Peut-on dire qu’il s’agit ici d’un mariage spirituel?
Gertrude implorait souvent la Très Sainte Trinité, et, quand elle eut reçu l’empreinte de la Sainte Trinité, elle eut la première révélation du Cœur de Jésus: elle vit son adorable main désigner sa poitrine, l’invitant à connaître le mystère de “l’excès du feu intérieur caché.” Puis Jésus lui fit comprendre que depuis l’Incarnation, le nouveau Lieu de rencontre entre Dieu et son peuple, c’est la Personne du Verbe fait chair, vrai Dieu et vrai homme. Tous les hommes sont invités à demeurer en LUI. Car le Cœur de Jésus est vraiment une demeure: “Qui entre dans le Cœur du Christ trouve sa demeure et ne désire plus en sortir.” Et le Seigneur introduisit Gertrude dans cette demeure admirable, le Cœur de Jésus-Christ, et lui dit: — Parce que tu t’efforces souvent de M’offrir ton cœur, J’ai jugé opportun... de te découvrir mon propre Cœur, Moi, Dieu, qui suis tout en tous: force, vie, science, vêtement, nourriture, et tout ce que peut désirer une âme qui aime. Le Cœur de Jésus est l’instrument infiniment doux de la Trinité adorable.
Les visions de Gertrude sont souvent symboliques comme en témoigne ce qui suit. Gertrude voit le Fils de Dieu, au sein de la glorieuse Trinité, présenter son Cœur sous la forme d’une cithare. Il sembla à Gertrude que la toute resplendissante et toujours tranquille Trinité daignait s’incliner vers le très noble Cœur de Jésus. En présence de cette très Sainte Trinité, Il était comme une cithare touchée avec un art merveilleux et résonnant avec douceur. Le Cœur de Jésus se montra aussi à Gertrude comme une “lampe ardente” qui dissipe toutes nos obscurités et nos tristesses débilitantes, puis comme un “encensoir d’or” d’où monte vers le Père la prière embrasée du Sauveur du monde.. Et les oraisons de l’Église universelle se mêlent à la fumée odoriférante qui s’élève de l’encensoir du cœur divin et montent avec elle. Plus tard le Fils de Dieu apparut à Gertrude offrant à Dieu son Père le cœur de Gertrude, uni à son divin Cœur, à la manière d’un calice dont une cire joindrait les deux parties. Gertrude vit les âmes des religieux, qui, sur la terre, chantaient. Selon leur degré d’ardeur spirituelle, leurs chants résonnaient plus ou moins: Ceux qui psalmodiaient sans dévotion particulière, mais seulement par routine... ne produisaient qu’un sourd murmure sur les cordes basses. Mais ceux qui s’appliquaient dévotement à chanter la louange de la vénérable Trinité, ceux-là semblaient faire retentir au moyen du Cœur très saint de Jésus-Christ, une mélodie sublime et des sons très suaves, sur les cordes les plus sonores.
Le Cœur de Jésus est un “foyer embrasé.“ La flamme du divin amour en jaillit, touche le cœur de Gertrude et le rend comme une source brûlante qui reflue vers la poitrine en feu du Seigneur, dans ce pays promis de délices. Les voici unis (ces deux cœurs) sans fusion ni confusion, cimentés, soudés indissolublement. Le signe de cet amour mutuel est un arbre immense et débordant de fruits qui s’élève des deux cœurs unis. Deux tiges entrelacées, l’une d’or, l’autre d’argent. C’est le même bouleversant message qui sera révélé quatre siècles plus tard, le 27 décembre 1673, à Sainte Marguerite-Marie. Chaque saint montre une facette du Christ, à condition qu’il soit humble et qu’il réponde à l’appel qui lui est personnellement adressé. À Gertrude, Jésus conseille ce qui suit: — Pour confirmer ton amour, confie-toi et abandonne-toi tout entière au pouvoir de l’Amour, en adhérant tout entière à Dieu qui t’aime; ainsi tu seras pour Lui un instrument qui délectera parfaitement son divin Cœur; et toi en Lui et Lui en toi, qu’Il te conserve pour Lui-même dans la vie éternelle... Le maître mot c’est: l’aimer pour devenir son épouse. Celui qui s’étendit sur le lit de la Croix pour nous épouser veut nous élever à l’union qui ne souffre pas de séparation.
Beaucoup de mystiques ont parlé de la nécessité de “consoler” le Cœur de Jésus. Qu’est-ce que cela signifie au juste? Voici une expérience de Gertrude. Un dimanche de Carême, pendant la messe, le Seigneur lui fit comprendre qu'après avoir souffert les injures et les outrages de la part de plusieurs personnes, il demandait asile dans son cœur. Et, poursuit Gertrude, pendant les trois jours suivants, chaque fois que je descendais en mon âme, je voyais Jésus reposer comme un pauvre malade, doucement appuyé sur ma poitrine. (Livre 2 Ch. 14) 7-3-La fécondité spirituelle Gertrude a reçu beaucoup de grâces exceptionnelles. Mais elle sait que ces grâces ne sont pas pour ellle seule, et qu’elle a le devoir de les partager. Sa vie doit être féconde, mais elle est souvent malade: aussi s’inquiète-t-elle et pendant le temps pascal, elle demande au Seigneur de la rendre féconde en toutes sortes de bonnes œuvres par la réception de son Corps sacré. Le Seigneur répondit: — Je te ferai certainement porter des fruits en moi-même, et par toi j'en attirerai plusieurs à mon amour. Elle reprit: — Seigneur, comment pourrez-vous en attirer d'autres par une âme aussi indigne que la mienne? J'ai déjà perdu en grande partie le don que j'avais autrefois de parler et d'instruire. Le Seigneur lui dit: — Si tu avais encore le don de la parole, tu attribuerais peut-être à ton éloquence cette facilité avec laquelle tu attires les âmes à moi. Je t'en ai privée en partie pour t'apprendre que ce pouvoir ne vient pas de toi, mais qu'il t'est donné par une grâce spéciale. Le Seigneur ouvrit alors sa bouche très sainte et attira le souffle en disant: — Comme je viens d'aspirer mon souffle, ainsi j'attirerai vers moi tous ceux qui, pour mon amour, se porteront vers toi, et je les ferai avancer de jour en jour dans la perfection. (Livre 4 Ch. 30) 7-4-L’Eucharistie La vie d’union à Dieu de Gertrude, conduisait son cœur vers l’Eucharistie: aucune vie mystique, en effet, ne peut exister sans entrer dans le Mystère eucharistique. Lorsque Gertrude se souvient des grâces étonnantes qu’elle reçut, il lui semble que cela se passait toujours au moment de l’Eucharistie: Cependant, écrit-elle, je ne me souviens pas avoir éprouvé ces délices en d'autres jours que ceux où vous m'appeliez au banquet de votre table royale.[3] L’Eucharistie est le secret de l’union à Dieu, ou union mystique. C’est le sacrement de l’union par excellence. L’Eucharistie conforme l’être humain au Verbe fait chair. Le vieil homme disparaîtra progressivement pour devenir cette jeune épousée unie au Bien-Aimé de l’âme, envahie par la divinité, sanctifiée par pure grâce, amenée lentement d’Eucharistie en Eucharistie, jusqu’à l’union transformante, et déjà, en espérance, exaltée dans la gloire avec le Roi auprès du Père. Plus tard le Seigneur ajouta: — Nulle part tu ne pourras me trouver plus affectueusement sur terre que dans le sacrement de l’autel, et, pareillement, dans le cœur et l’âme de cette âme mienne sur qui s’est portée, d’une manière admirable, toute la délectation de mon divin Cœur.
Au temps de Gertrude les fidèles étaient peu admis à recevoir l’Eucharistie. Gertrude en était très affectée, elle qui avait un tel attrait pour le Seigneur-Eucharistique. Cependant le Seigneur l’encouragea souvent à communier alors qu’elle hésitait, perdue dans ses scrupules. Le Seigneur s’adressant probablement à Mechtilde, l’anonyme chargée d’écrire ce que dictait Gertrude rapporta quelques paroles de Jésus adressées à Gertrude: — Je considérerai avec une affection spéciale celui qu'elle aura engagé à se nourrir de mon corps et de mon sang. Quand elle jugera graves ou légères les fautes de ceux qui la consulteront, ma divine Sagesse ne portera pas une autre sentence. Et comme il y en a trois dans le ciel qui rendent témoignage, à savoir le Père, le Verbe et le Saint-Esprit (I Jean, v, 7), elle devra toujours aussi appuyer ses décisions sur une triple assurance: 1-Lorsqu'il s'agira d'instruire le prochain, qu'elle cherche si la voix de l'Esprit l'inspire intérieurement, 2-qu'elle considère si celui à qui elle parle regrette sa faute ou désire la regretter, 3-s’il a de la bonne volonté. Dès que ces trois signes se rencontreront, elle pourra dans ses réponses suivre en toute sécurité son inspiration, parce que je ratifierai sans aucun doute les engagements qu'elle aura pris au nom de ma bonté. Et le Seigneur ajouta: — Si elle doit parler à quelqu'un, qu'elle attire en son âme par un profond soupir le souffle de mon divin Cœur, et tout ce qu'elle dira portera le cachet de la certitude. Elle ne pourra se tromper ni tromper les autres; bien plus, tous connaîtront par ses paroles les secrets de mon Cœur. (Livre 1 ch. 16)
Le Cœur de Jésus est aussi dans l’Eucharistie, et c’est au cours de la célébration de l’Eucharistie et de l’office divin que Gertrude recevait la plupart des révélations concernant le Cœur de Jésus. Jésus fit comprendre à Gertrude que la tendresse des époux n’est qu’un pâle signe d’une réalité mystique infiniment plus forte: plus elle communiera, plus cette étreinte divine sera intense et efficace. Jésus dit encore: — Nulle part tu ne pourras me trouver plus affectueusement sur terre que dans le sacrement de l’autel... Le sacrement de l’union ne peut connaître de refroidissement. La flamme qui sort de l’hostie consacrée vient directement du Cœur de Jésus, fournaise trop méconnue... le Cœur de l’Amour brûle sans arrêt pour toutes les générations de la terre. Ses battements ont étonné et enivré Saint Jean. Le Feu Eucharistique veut absolument se répandre dans les corps, les âmes, les cœurs, jusqu’à la fine pointe de l’esprit de l’homme... Jésus compare cette rencontre de son Cœur avec celui de l’homme, à l’union indissoluble de deux métaux précieux fondus ensemble... Il s’agit d’une rencontre de deux cœurs, de deux amours, donc d’une alliance, d’un mariage... union mystérieuse où l’homme est peu à peu divinisé par son adhésion au Christ plein de grâce. Ces paroles semblent bien être confirmées par une autre révélation qui eut lieu pendant la messe, durant la consécration, vers la fin de sa vie: Un jour, au moment de l'élévation, elle offrit la sainte hostie pour suppléer aux négligences commises dans sa vie spirituelle, quand elle n'avait pas suivi le mouvement de l'Esprit, ou quand elle l'avait étouffé. Elle vit alors l'hostie salutaire produire autour d'elle-même des rameaux magnifiques: le Saint-Esprit les réunissait et semblait en former comme une haie autour du trône de la Trinité toujours adorable. Ces rameaux sortis de l'hostie montraient à celle-ci que les négligences de sa vie étaient complètement réparées par la grandeur de ce Sacrement. Et du trône une voix se fit entendre qui disait: Qu'elle approche avec confiance de la chambre nuptiale, celle qui réjouit l'Époux par les charmes de ces fleurs. (Livre 4 Ch. 39) Un autre jour Jésus dit: — Lorsque, par pure bonté, et poussé par la tendresse de mon Cœur, Je m’incline par le sacrement de vie de l’autel, vers une âme qui soit sans péché mortel, tous les habitants du Ciel, de la Terre et du Purgatoire reçoivent un accroissement de bienfaits insignes... Jésus eut aussi une parole empreinte d’une grande tristesse: — Quand le Fils de l’homme reviendra, trouvera-t-Il encore la foi sur la terre? Gertrude entendit cette plaine sortie d’un Cœur blessé. D’autres mystiques, après Gertrude, comme Jean Eudes, Monsieur Olier, Marguerite-Marie, etc, entendront aussi cette plainte et transmettront le même message d’amour: “Les grandes eaux ne pourront éteindre l’Amour ni les fleuves le submerger?” (Ct 8, 7)
C’est surtout pendant la messe que Satan attaquait Gertrude. Parfois Gertrude parle de Satan et de ses tentations, mais c’est relativement rare. En effet, généralement Gertrude ne mentionne l’action de Satan vis à vis d’elle, que lorsqu’elle est assaillie de pensées de vaine gloire. Un jour donc que j'assistais à une messe où je devais communier vous avez daigné me faire sentir votre douce présence, et, vous servant pour m’instruire d'une comparaison sensible, je vous vis semblable à une personne haletante de soif qui me demandait à boire. Comme je me plaignais de ne pouvoir vous secourir, puisque, malgré tous mes efforts, je ne parvenais pas à tirer de mon cœur, ne fût-ce que quelques gouttes de compassion, je vis que vous me présentiez de votre propre main une coupe d'or. Aussitôt mon cœur se liquéfia sous l'effet de l'amour, et mes yeux versèrent un flot de larmes brûlantes. Mais, en même temps, je vis à ma gauche un odieux personnage qui me glissait en cachette dans la main un objet amer et empoisonné, et m'excitait avec force, (quoique toujours en secret), à le jeter dans cette coupe pour empoisonner le vin pur qu'elle contenait. Aussitôt s'éleva en moi un si grand mouvement de vaine gloire, qu'il me fut aisé de comprendre la ruse employée contre nous par l'antique ennemi, quand les dons que vous nous faites excitent son envie. Mais grâces soient rendues à votre fidélité, ô mon Dieu,... Vous ne permettez pas que nous soyons tentés au delà de nos forces, quoique vous laissiez, parfois à l'ennemi la liberté de nous attaquer, afin de nous exercer et de nous faire progresser... Et dans l'usage de vos dons vous ne permettez pas que l'ennemi ait pouvoir sur notre libre arbitre, et vous nous en laissez aussi le plein usage pour l'accroissement de nos mérites. (Livre 2 Ch. 11) 8-Quelques mots sur la vie spirituelle et mystique de Gertrude d’Helfta (d’après le Livre 2) Remarque préliminaire importante: On doit remarquer une constante dans la vie d’union à Dieu de Gertrude: l’auteur du livre 1 précise que lorsque Gertrude dit que le Seigneur lui apparaît, il s’agit pour elle d’exprimer une réalité qui ne se différencie pas essentiellement de sa vie de prière permanente et intime, vie de prière qui connaît parfois des grâces exceptionnelles. En fait, les phénomènes physiques et visibles sont rares et discrets chez Gertrude. “Sa conversion” l’a conduite à s’intérioriser, c’est-à-dire à être attentive à la réalité de la présence divine en elle, pour mieux trouver Dieu. Car, se recueillir, c’est chercher Dieu et son Verbe, là où le Verbe a voulu s’unir aux hommes: le cœur de l’homme. Comme la plupart des mystiques, Gertrude, ne pouvant exprimer les réalités divines qui lui sont révélées, utilisera, comme nous l’avons déjà dit, de nombreuses images sensibles ou poétiques. Incontestablement, c’est très imparfait, mais comment dire l’indicible, comment exprimer l’inexprimable? 8-1-La crainte de Dieu Gertrude craint de s’égarer vers les passions humaines, mais le Seigneur lui a donné “une verte houlette”, l’esprit de crainte. Le Seigneur lui fit comprendre qu’il lui avait donné cet esprit de crainte, afin que, demeurant toujours avec lui, sans sortir un seul instant de ses bras, elle évite de s'avancer dans ces contrées désertes où s'égarent les affections humaines. Et le Seigneur ajouta que si quelque influence s'insinuait dans son esprit pour le forcer à incliner ses affections, soit à droite par l'espérance et la joie, soit à gauche par la crainte, la douleur ou la colère, elle devait, grâce à la houlette de sa crainte, ramener aussitôt cette affection au centre de son cœur par la garde de ses sens... 8-2-Le mystère de la Croix et la souffrance Le mystère de la Croix se manifeste chez Gertrude par la souffrance: maladies, douleurs physiques et morales, solitude et les nombreuses malveillances dont elle eut à souffrir. Dès lors, pour Gertrude, souffrir c’est accepter patiemment la volonté de Dieu et s’unir plus profondément et d’une manière plus intime avec Jésus en partageant ses souffrances à lui. Paroles de Gertrude à Jésus Votre grâce daigna éclairer mon entendement et me révéler plusieurs fois que l'âme, enfermée dans l'enveloppe de son corps, se trouve comme plongée dans un nuage, de la même façon qu'une personne, enfermée dans une petite chambre où s'échapperait de la vapeur, en serait enveloppée de toutes parts. Quand le corps éprouve une souffrance, l'âme reçoit de la partie souffrante comme une atmosphère toute pénétrée des rayons du soleil et qui lui communique une admirable clarté. Plus la souffrance est intense et universelle, plus l'âme reçoit de lumière purifiante Mais, entre toutes les autres souffrances, les douleurs et les épreuves du cœur, supportées avec patience et humilité, augmentent d'autant plus la pureté de l'âme qu'elles l'atteignent de plus près et plus profondément. Toutefois, la pratique de la charité lui donne encore plus d'éclat et de lumière. (Livre 2 Ch. 15) 8-3-La tendresse de Dieu Après avoir contemplé le soleil, le cœur de Gertrude fut soudain troublé, plein d’incertitudes. Jésus lui dit alors: — En quoi serait exaltée ma toute-puissance, si je n'avais d'abord le pouvoir, partout où je suis, de me contenir en moi-même, afin de n'être perçu et vu que dans la mesure la plus convenable au temps, au lieu et à la personne? Car dès le commencement de la création du ciel et de la terre et dans toute l’œuvre de la Rédemption, j'ai manifesté la sagesse de mon amour plus que la force de ma puissance, et cette sagesse éclate particulièrement lorsque je supporte les imparfaits pour les attirer ensuite dans le chemin de la perfection, sans porter aucune atteinte à leur liberté. Mais, en retour, Dieu demande l’amour de ses créatures Au cours d’une étonnante vision, Gertrude s’adressa à Dieu Tout-Puissant et Éternelle sagesse: — Tandis que vous sembliez descendre du trône impérial de sa majesté pour vous incliner avec douceur et bonté, et lorsque vous descendiez ainsi, des ruisseaux de la plus douce liqueur se répandaient dans toute l'étendue des cieux. Les saints, se prosternant avec reconnaissance, se désaltéraient pleins de joie aux torrents du précieux nectar, et laissaient échapper de leurs âmes les mélodies de la divine louange. Pendant ce temps j'entendais ces paroles: — Remarque avec quelle harmonie cette louange arrive aux oreilles de la divine Majesté, pour pénétrer jusqu'aux profondeurs intimes de mon Cœur sacré si rempli d'amour pour les hommes. À l'avenir ne souhaite donc plus avec tant d'ardeur la délivrance des liens de cette chair, dans laquelle je t'accorde maintenant les dons de ma bonté toute gratuite; car plus est indigne celui vers qui je m'incline, plus grand est l'honneur que je reçois de toute créature. (Livre 2 Ch. 19) Puis Gertrude se souvient. C’était un dimanche de Carême, pendant la messe. Elle raconte: — Mon âme se trouva illuminée par l’ineffable et merveilleux éclat de la lumière divine, et je vis devant ma face comme une autre face qui lui était appliquée. C'est d'elle que saint Bernard a dit: “Elle ne reçoit pas la lumière, mais la donne à tout; elle ne frappe pas les yeux du corps, mais réjouit le cœur; elle est agréable non par l'éclat du teint, mais par les dons de son amour.” Gertrude poursuit sa narration en s’adressant à Jésus: — En cette vision où vos yeux, brillants comme le soleil, semblaient placés directement devant mes yeux, vous seul connaissez, ô Douceur de ma vie, à quel point votre suavité pénétra non seulement mon âme, mais mon cœur et tous mes membres... Lors donc que vous avez appliqué contre mon indigne visage votre face très désirable où se révèle l'abondance de toute Béatitude, je sentis que de vos yeux divins sortait une incomparable et suave lumière. Cette lumière passant par mes yeux et pénétrant l'intime de mon être, semblait agir en tous mes membres avec une vertu merveilleuse que je ne puis exprimer: c'était d'abord comme si elle eût enlevé la moelle de mes os, puis anéantissant mes os eux-mêmes avec ma chair, on eût dit que toute ma substance n'était plus autre chose que cette splendeur divine, qui, se jouant en elle-même avec un charme incomparable, remplissait en même temps mon âme d'une grande douceur et sérénité... Parfois lorsque j'étais assise au chœur pensant à vous dans l'intime de mon âme, ou lorsque je récitais les heures canoniales ou l'office des défunts, il arrivait que vous déposiez sur mes lèvres, dix fois et plus, durant un seul psaume, le baiser de l'amour, baiser sacré dont la suavité l'emporte sur les parfums les plus exquis et le miel le plus doux. Souvent aussi, j'ai remarqué l'amour du regard que vous arrêtez sur moi, et mon âme a senti la puissante étreinte de vos embrassements... (Livre 2, Ch. 21)
9-Un privilège étonnant À plusieurs reprises Gertrude reçut de Dieu l’assurance que celui qui se recommanderait à ses prières avec humilité et dévotion obtiendrait certainement tout le fruit qu'on peut attendre d'une intercession fraternelle. Dieu ajouta un autre bienfait à Gertrude: Parmi les excès de votre libéralité, ô mon Dieu, vous m'avez encore donné cette assurance: lorsque, après ma mort, une âme se recommandera à mes indignes prières, se souvenant de la divine familiarité dont vous m'avez honorée, vous l'exaucerez volontiers, pourvu qu'en réparation de ses propres négligences, cette âme vous rende grâces avec une humble dévotion pour cinq bienfaits particuliers dont vous m'avez enrichie. (Livre 2 Ch. 20)
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