Gertrude d’Helfta
(1256-1302)

dEUXièMe partie

La spiritualité de sainte Gertrude

 

Préliminaires-Présentation du Livre 3

Nous savons déjà que sainte Gertrude n’a écrit que le Livre 2 du Héraut de l’Amour divin. Les Livres 3, 4 et 5 ont été rédigés du vivant de Gertrude, probablement par une religieuse d’Helfta, sous sa dictée. On peut lire en effet, dans la préface[1]  du Livre 3: “La vierge Gertrude, à cause de sa grande humilité, n'a pas écrit elle-même le troisième livre ni les suivants; mais on peut dire plutôt qu'elle les a dictés, car, forcée par un ordre divin, elle révéla à une docte vierge ce que celle-ci devait écrire. Gertrude se trouvait indigne de raconter elle-même ces grâces célestes, car elle croyait les perdre et les négliger. Mais à ces raisons, néanmoins, se joignit l'autorité des supérieurs, obligeant l'une à faire connaître ses révélations, et l’autre à les écrire... Avec le livre troisième commence la deuxième partie de l’œuvre de sainte Gertrude, qui fut achevée en 1301, c’est-à-dire vingt ans après la réception des premières faveurs, comme il a été dit dans le prologue du premier livre.” (Note de l'édition latine.)

Rappel: le Livre 1, qui est la biographie de sainte Gertrude, a été rédigé après sa mort, par un auteur anonyme, certainement une religieuse d’Helfta.

Les évènements rapportés dans le Livre 3 concernent le plus souvent sainte Gertrude elle-même ainsi que le développement de sa formation mystique mise en œuvre par le Seigneur. Jésus et parfois Marie et quelques grands saints, la conseillent, la rassurent et lui permettent de comprendre la raison d’être des difficultés qu’elle rencontre, concernant entre autres:

– la valeur des épreuves et de la souffrance,

– L’Eucharistie,

– la volonté d’être en accord avec la volonté de Dieu,

– les grandes vertus évangéliques.

Nous constaterons que peu à peu le dialogue entre Jésus et Gertrude prend la forme d’une sorte de catéchisme questions-réponses.  Gertrude s’étonne, pose une question, et Jésus répond. C’est ainsi que de très nombreux thèmes de la spiritualité chrétienne ont été abordés.[2] 

Comme dans toute bonne éducation, et malgré le désordre apparent, l’enseignement que reçoit Gertrude est progressif. Ainsi, après la lecture parfois fastidieuse de nombreux passages concernant l’Eucharistie ou l’importance de faire la volonté de Dieu, on découvre  soudain l’immensité de la bonté de Dieu, de sa miséricorde et de l’amour qu’Il a pour tous les hommes. Le lecteur attentif peut même aller jusqu’à la compréhension de ce qu’est la véritable union à Dieu et les richesses que réserve l’intimité divine, le Cœur à cœur avec Dieu.

Les visions de sainte Gertrude

Il est impossible de rapporter toutes les visions de Gertrude, visions qui, nous semble-t-il, sont le plus souvent intellectuelles. Par ailleurs, les visions de Gertrude sont riches de couleurs, d’objets divers, de présences angéliques ou de saints. Les objets, les couleurs de ces objets, les vêtements des personnages  leurs formes et leurs nuances sont tous symboliques. Grâce à ces symboles, Jésus fait comprendre à Gertrude leur signification, éclairant ainsi des pensées ou des sentiments plus abstraits. Nous donnerons quelques exemples.

Remarques

1-Les évènements relatés dans les livres 3, 4 et 5, ne sont pas datés, et les quelques mentions indiquées, relatives le plus souvent à des fêtes liturgiques, ne donnant pas l’année, il est presque impossible de suivre un ordre chronologique valable. Toutefois, les souvenirs et les confidences de sainte Gertrude ayant été regroupées dans cet ouvrage, selon des thèmes précis, il ne sera pas difficile de suivre l’évolution spirituelle de cette mystique exceptionnelle.

2-La plupart des visions ou des grâces insignes reçues par Gertrude lui ont été accordées presque toujours pendant la messe. Cela ne sera pas redit à chaque fois, sauf cas exceptionnel ou particulièrement important.

3-Le Héraut de l’amour divin est une œuvre fondamentalement mystique. Mais contrairement à ce que beaucoup de personnes pourraient croire, on ne peut manquer de constater que, dans ces pages, un solide bon sens est partout présent.

1-La vie quotidienne de Gertrude d’Helfta

1-1-L’Eucharistie à Helfta[3] 

1-1-1-Importance de la communion

À l’époque où vivait Gertrude d’Helfta, on ne communiait pas tous les jours, et quand on le faisait, on s’y préparait longtemps à l’avance. Souvent même on s’abstenait de recevoir le Corps du Christ par scrupule, par respect excessif, ou même par crainte. Certes il faut respecter le Corps du Christ, mais sans toutefois manifester une crainte exagérée. Ainsi, le jour de la fête de saint Maurice, pendant la messe, au moment où le prêtre allait prononcer à voix basse les paroles de la consécration, Gertrude comprit l’importance du respect que l’on devait à l’Eucharistie du Christ,  (Livre 3 Ch. 6) Cependant, à plusieurs reprises le Seigneur dut intervenir pour supprimer cette crainte excessive qui n’était peut-être qu’une tentation. Ainsi, comme en ce jour des saints Innocents, une personne s'était abstenue de la sainte communion sans raison sérieuse, celle-ci [4] dit au Seigneur:

— Pourquoi avez-vous permis, ô Dieu plein de miséricorde, qu'elle soit tentée ainsi?

Le Seigneur répondit:

— II ne faut pas m'en accuser, car elle a si bien couvert ses yeux du voile de son indignité, qu'elle n'a plus même aperçu la tendresse de mon amour paternel.

Gertrude alla communier, et comme elle rendait à Dieu de dévotes actions de grâces, le véritable Ami des hommes lui dit:

— Aujourd'hui, par un mouvement de volonté propre, tu ne songeais qu'à me rendre le devoir d'un vulgaire serviteur qui apporte à son maître le mortier, la paille et les briques. Mais je t'ai élue dans mon amour, et je t'ai placée parmi les heureux convives qui se rassasient à ma table royale.  (Livre 3 Ch. 10)

1-1-2-Les bienfaits de l’Eucharistie

            — La sève merveilleuse

Après avoir reçu le corps du Christ, elle vit son âme sous la forme d'un arbre qui aurait sa racine plantée dans la blessure du sacré côté de Notre-Seigneur, et sentit d'une façon admirable que l'arbre puisait en cette plaie bénie une sève merveilleuse, qui de la racine montait dans les branches, les feuilles et les fruits, pour leur communiquer la vertu de la Divinité et de l'Humanité de Jésus-Christ. Ainsi la très sainte vie du Seigneur prenait en cette âme un nouvel éclat, comme l'or parait plus brillant à travers le cristal. La bienheureuse Trinité et tous les saints ressentirent à cette vue une joie merveilleusement douce. Les saints se levèrent pleins de respect, fléchirent les genoux et présentèrent chacun leurs mérites en forme de couronnes qu'ils suspendirent aux rameaux de l'arbre. Ils voulaient par cet hommage glorifier et louer Celui qui daignait resplendir à travers sa créature et procurer ainsi à tous les saints une nouvelle jouissance.

            — Une âme lumineuse

Elle rendit aussitôt grâces au Seigneur qui la comblait de ses bienfaits, et reçut encore cette lumière: toutes les fois qu'une personne assiste à la messe avec dévotion, s'unissant à Jésus-Christ qui s'immole lui-même pour le rachat du monde, Dieu le Père la regarde avec la même complaisance que l'hostie sainte. Cette âme devient alors resplendissante et lumineuse, comme une personne qui, au sortir des ténèbres, se trouve éclairée subitement par les rayons du soleil. Celle-ci demanda alors au Seigneur:

— Mais si l'on tombe dans le péché, n'est-on pas aussitôt privé de cette lumière, comme la personne qui fuit la clarté du soleil se trouve plongée dans les ténèbres?

Le Seigneur répondit:

— Non, car si celui qui pèche, met pour ainsi dire l'ombre d'un nuage entre lui et ma miséricorde, ma bonté, lui conserve cependant pour la vie éternelle un reste de cette bénédiction qu'il verra croître et se multiplier, chaque fois qu'il s'approchera avec dévotion des saints mystères. (Livre 3 ch. 18)

            — Un cristal très pur

Plus tard, Gertrude reçut encore le corps du Seigneur. Son âme lui parut semblable à un cristal très pur, et plus brillante que la neige. La divinité du Christ qu'elle venait de recevoir paraissait en cette âme comme un or très pur qui resplendit à travers le cristal. Elle y produisait des opérations si merveilleuses et si douces que la très adorable Trinité et tous les saints ressentirent à cette vue d'ineffables délices. Celle-ci expérimenta alors la vérité de cette parole: que tout ce qui a été perdu spirituellement peut se recouvrer par une digne réception du corps du Christ. (Livre 3 Ch. 37)

1-1-3-Il ne faut pas omettre la communion lorsqu'on a commis des fautes légères.

Gertrude priait pour une personne qui s'était abstenue de la sainte communion dans la crainte de scandaliser ceux qui l'auraient vue accomplir une légère faute. Le Seigneur lui répondit par une comparaison:

— Quand on remarque une tache sur ses mains, on les lave aussitôt. Ensuite la tache a non seulement disparu, mais les mains entières sont plus nettes. C'est ce qui arrive parfois à mes élus: je permets qu'ils tombent dans des fautes légères afin que leur repentir et leur humilité les rendent plus agréables à mes yeux. Mais il y en a qui contrarient ce dessein de mon amour, en n'estimant pas la beauté intérieure qui s'acquiert par la pénitence et rend agréable à mes yeux, et en recherchant une rectitude tout extérieure uniquement basée sur le jugement des hommes. Ceci a lieu lorsqu'ils se privent de l'immense grâce qu'apporte la réception de la sainte Eucharistie dans la crainte d'être blâmés par ceux qui ont été témoins de leurs légères fautes et n'ont pas vu le repentir qui les a lavées. (Livre 3 ch. 18)

1-1-4-Comment se préparer à recevoir l’Eucharistie

            — Comment l'âme doit-elle se revêtir pour recevoir dignement la sainte communion?

Elle se trouvait un jour peu préparée à recevoir la sainte communion, et comme le moment approchait, elle adressa la parole à son âme en ces termes: voici déjà l'Époux qui t'appelle; et comment pourras-tu aller au-devant de lui sans être parée des mérites nécessaires à ceux qui veulent le recevoir dignement? La pauvreté de son âme la frappant davantage, elle perdit encore plus confiance en elle-même et mit tout son espoir en Dieu. À quoi me sert d'attendre, dit-elle? Quand j'y emploierais mille années, je ne serais pas encore suffisamment disposée, puisque rien en moi n'a la valeur voulue pour enrichir ma préparation. J'irai au-devant du Seigneur avec humilité et confiance, et lorsqu'il m'apercevra de loin, son puissant amour l'excitera à m'envoyer les biens nécessaires à une âme qui désire le recevoir dignement. C'est avec de tels sentiments qu'elle s'avança vers Dieu, tenant les yeux toujours fixés sur sa bassesse et sa pauvreté. (Livre 3 ch. 18)

            — Gertrude nous confie un triple moyen de se préparer à recevoir l’Eucharistie:

— Premièrement, le regard divin purifie l'âme, lui enlève toute tache et la rend plus blanche que la neige; c'est l’humble connaissance des défauts qui produit ce résultat.

— Secondement, Ie regard de la divine Bonté assouplit l’âme et la dispose à recevoir les dons spirituels, à la façon de la cire qui s’amollit sous les rayons du soleil et devient propre à recevoir une empreinte: cet effet s'obtient par une parfaite bonne volonté.

— Troisièmement, le regard le Dieu féconde l'âme, qui produit alors les fleurs des vertus, comme 1a terre nous donne ses fruits variés et savoureux, lorsqu'elle a été réchauffée par les rayons vivifiants de l'astre du jour : on atteint ce but par un abandon complet à la miséricorde du Seigneur, une foi très ferme en la bonté divine qui fait tout concourir à notre bien, l'adversité comme la prospérité.  (Livre 3 Ch. 38)

1-1-5-L’amour du Seigneur dans le Saint-Sacrement

 Avec quel amour le Seigneur se donne dans le Saint-Sacrement.

Après avoir reçu la sainte communion, elle se recueillit et le Seigneur lui apparut sous l'image si connue du pélican qui avec le bec s'ouvre le flanc. Cette image la ravit d'admiration et elle s'écria:

— Ô Seigneur, que voulez-vous m'enseigner? Le Seigneur répondit:

— Je désire que tu considères quel ardent amour presse mon coeur lorsque j'offre aux âmes un don si Précieux: si je pouvais ainsi parler, je préférerais mourir après avoir communiqué un si grand bienfait, plutôt que de le refuser à une âme aimante.

Un jour que plusieurs membres du convent n'avaient pas reçu la sainte communion, celle-ci, nourrie des saints mystères, offrait à Dieu de vives actions de grâces:

— Vous m’avez invitée à votre banquet sacré, disait-elle, et j'y suis venue en chantant vos louanges.

Le Seigneur répondit avec des paroles plus douces que le miel:

— Apprends que je te désirais de tout l'amour de mon cœur. Ô Seigneur, dit-elle, quelle gloire et quelle joie reviennent donc à votre Divinité de ce qu'avec mes dents indignes je broie vos sacrements immaculés?

Le Seigneur répondit:

— L'affection que l'on ressent pour un ami fait trouver du charme dans toutes ses paroles; ainsi mon amour me fait trouver chez mes élus des douceurs qu'ils ne ressentent pas toujours eux-mêmes. (Livre 3 ch. 18)

1-1-6-Les péchés de la langue rendent indignes de la communion.

Après avoir reçu la sainte communion, elle pensait à la vigilance qu'il est bon d'avoir pour éviter les péchés de la langue, puisque c'est la bouche qui a l’insigne honneur de recevoir les précieux mystères du Christ. Cette comparaison l'instruisit: si quelqu'un n'interdit pas à sa bouche les paroles vaines, mensongères, honteuses et médisantes, et s'approche sans regret de la sainte communion, il reçoit le Christ comme on recevrait un hôte en lui jetant des pierres amassées par hasard à l'entrée de la maison, ou en lui assenant un coup de bâton sur la tête.

Que celui qui lira ces lignes considère en versant des larmes de compassion, d'un côté la dureté du coeur humain, de l'autre la bonté d'un Dieu venant avec une si grande bonté sauver les hommes qui le persécutent si cruellement. (Livre 3 ch. 18)

1-1-7-Par la sainte communion nous pouvons obtenir le soulagement des âmes du purgatoire.

Un jour où elle devait communier, elle éprouva un grand désir de se plonger dans la vallée de son humilité, et de s'y cacher profondément pour honorer l'ineffable condescendance du Seigneur, qui nourrit ses élus de son corps et de son sang précieux. Elle comprit alors le sublime abaissement du Fils de Dieu lorsqu'il descendit dans les limbes pour en délivrer les captifs. Tandis qu'elle faisait effort pour s'unir à cette humiliation, elle se trouva comme plongée dans les abîmes du Purgatoire, et, s'abaissant de plus en plus, elle comprit ces paroles que lui adressait le Seigneur:

— Par la réception du Sacrement de vie, je t'attirerai à moi de telle sorte que tu entraîneras avec toi toutes les âmes auxquelles parviendra l'incomparable parfum des saints désirs, qui s'échappe de tes vêtements en si grande abondance.   (Livre 3 ch. 18)

1-2-La volonté de Dieu

1-2-1-Gertrude choisit la volonté de Dieu

Sainte Gertrude souhaitait, plus que tout, accomplir la volonté de Dieu. Sa prière allait fréquemment dans ce sens. Ainsi, un jour, le Seigneur lui dit, dans sa bonté:

— Qu'ordonnes-tu, ô ma Reine et Maîtresse?

Elle répondit:

— Je demande, ô mon Roi, et je désire de tout cœur que votre adorable volonté s'accomplisse entièrement en moi.

— Et pour toi, ajouta le seigneur, que désires-tu que je fasse?

— Je souhaite par-dessus tout voir votre aimable et pacifique volonté se réaliser en moi et dans toutes les créatures.

Dans ses maladies il lui arrivait souvent qu'après de fortes transpirations, la fièvre montait ou baissait. Une nuit qu'elle se demandait avec anxiété si son mal allait augmenter ou diminuer, le Seigneur Jésus lui apparut avec tous les charmes d'une fleur fraîchement éclose. II portait la santé dans sa main droite, dans sa gauche la maladie et il tendait les deux mains à sa bien-aimée. Elle ne prit ni l'une ni l'autre, mais s'élança vers le Cœur très doux du Seigneur, source de tout bien, pour montrer qu'elle ne voulait autre chose que l'adorable volonté de Dieu. Aussi le Seigneur la saisit-elle entre ses bras, et il la fit reposer sur son Cœur. Tout en laissant sa tète appuyée sur le Cœur divin, elle se détourna bientôt pour ne plus voir le Seigneur et lui dit:

— Regardez, Seigneur, je détourne mon visage pour vous montrer combien je désire sincèrement que vous ne regardiez plus jamais ma volonté propre, mais qu'en tout ce qui me concerne vous accomplissiez toujours uniquement votre bon plaisir.

Ce trait nous apprend que l'âme fidèle doit se confier tellement à la divine Providence, qu'il lui est doux d'ignorer en tout les desseins de Dieu sur elle, afin d'accomplir plus parfaitement la volonté divine. (Livre 3 Ch. 53)

Désirer faire la volonté de Dieu est un désir très louable que le Seigneur bénit. Ainsi, en raison de ses infirmités, Gertrude avait relâché son attention pendant le chant de l’office. Quand elle eut remarqué sa négligence, elle éprouva un grand regret et résolut de confesser sa faute au Seigneur avec une humble dévotion... À l'instant même elle sentit la bonté divine s'incliner vers elle et lui dire dans un embrassement plein d'amour:

— Ma fille, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.

Ces paroles lui firent comprendre que si l’homme, par suite de sa fragilité, néglige de diriger son intention vers Dieu, la tendre miséricorde du Seigneur ne laisse pas de juger toutes ses actions dignes d'une récompense éternelle, pourvu que la volonté ne se détourne pas de Dieu, et que l'on se repente fréquemment de ses fautes. (Livre 3 Ch. 30)

Un autre jour, tandis que Gertrude priait pour des personnes qu’on lui avait recommandées, le Seigneur lui dit:

— Que souhaites-tu pour celle-ci, et pour celle-là, et encore pour cette autre qui a sollicité particulièrement tes suffrages?

— Ô mon Dieu, dit-elle, je ne demande autre chose pour elles, que l'accomplissement parfait de votre volonté sainte.

— Et pour toi, ajouta le seigneur, que désires-tu que je fasse?

— Je souhaite par-dessus tout voir votre aimable et pacifique volonté se réaliser en moi et dans toutes les créatures; et pour cela j'exposerais volontiers aux supplices chaque membre de mon corps.

L'infinie bonté de Dieu, qui lui avait inspiré de si parfaits désirs, voulut aussi l'en récompenser et Jésus répondit:

— Il me plaît de reconnaître par un don spécial ce zèle plein d'amour avec lequel tu as souhaité l'accomplissement de mon divin vouloir; aussi dès ce moment tu seras agréable à mes yeux, comme si tu n'avais jamais transgressé ma volonté sainte. (Livre 3 Ch. 11)

Une autre fois, elle constata qu’elle s'était relâchée pendant quelques jours dans son attention habituelle vers Dieu à cause de ses infirmités. Quand elle eut remarqué sa négligence, elle éprouva un grand regret et résolut de confesser sa faute au Seigneur avec une humble dévotion. Cependant elle craignait d'avoir à travailler longtemps pour retrouver les douceurs de la grâce céleste; mais à l'instant même elle sentit la bonté divine s'incliner vers elle et lui redire dans un embrassement plein d'amour: ma fille, tu es toujours avec moi...

Ces paroles lui firent comprendre que si l’homme, par suite de sa fragilité, néglige de diriger son intention vers Dieu, la tendre miséricorde du Seigneur ne laisse pas de juger toutes ses actions dignes d'une récompense éternelle, pourvu que la volonté ne se détourne pas de Dieu, et que l'on se repente fréquemment de ses fautes. Dieu seul connaît l'intention de chacun et il juge d'après cette intention, à l'inverse des hommes qui souvent ne jugent que d'après les dehors. (Livre 3 ch. 30)

Gertrude désirait recouvrer au plus tôt la santé nécessaire pour suivre avec ferveur l'observance de l'Ordre. Le Seigneur lui répondit avec bonté:

— Mon épouse voudrait-elle m'importuner en s'opposant à ma volonté?

 Elle reprit:

— Trouvez-vous, Seigneur, que je vous résiste, par ce désir où il me semble chercher uniquement votre gloire? 

Le Seigneur répondit:

— Je tiens pour parole d'enfant ce que tu dis en ce moment, mais je serais contrarié si tu insistais davantage.

À ces mots elle comprit qu'il est bien de désirer la santé uniquement pour servir Dieu, mais qu'il est beaucoup plus parfait de s'abandonner entièrement à sa divine volonté, persuadé que, par l'adversité ou la prospérité, Dieu prépare à chacun ce qui lui est le plus salutaire. (Livre 3 Ch. 50)

1-2-2-Les effets de la bonne volonté.

Entraînée une fois par la ferveur de son amour, elle s'écria:

— Comme je voudrais, ô mon Dieu, voir un feu ardent brûler mon âme et la rendre semblable à une substance liquide qui pourrait s'écouler facilement en vous! 

Le Seigneur répondit:

— Ta volonté sera ce feu puissant.

Elle comprit alors que, par le seul mouvement de sa volonté, on peut obtenir le plein effet des désirs qui ont Dieu pour objet. En effet, la volonté d'avoir de bons désirs supplée à leur absence, et quand le cœur contient un tel désir, c'est-à-dire la volonté d'avoir un désir, Dieu trouve plus de délices à habiter en lui que nous ne pouvons goûter de joie à la vue des fleurs qui naissent au printemps. (Livre 3 Ch. 30)

Moi aussi, dit un jour Jésus, je prends plaisir à proposer à mes élus plusieurs difficultés qui ne se présenteront jamais, afin d'éprouver leur fidélité et leur amour. Je les récompense alors pour une infinité de mérites qu'ils n'auraient jamais pu acquérir, parce que je considère comme accomplis les désirs de leur bonne volonté. J'ai excité dans ton âme le désir de la mort et par conséquent celui de l'extrême-onction. (Livre 3 Ch. 64)

1-3-Les grandes vertus évangéliques

1-3-1-La confiance

Le jour des saints Innocents, comme elle implorait le secours divin, elle reçut du Seigneur cette miséricordieuse réponse:

— Si une âme éprouvée par la tentation se réfugie près de moi, c'est bien d'elle que je puis dire: “Ma colombe est unique, choisie entre mille; par un seul de ses regards elle a transpercé mon divin Cœur.”

En effet, le Seigneur est miséricordieux, et  à celui qui a confiance en Lui, le Seigneur ne peut résister:

— Cette confiance fait pour ainsi dire violence à ma tendresse, et je deviens impuissant à lui résister. (Livre 3 Ch. 7)

Gertrude s’étonnait que ce qui concerne les âmes du Purgatoire demeurait parfois caché à ses yeux. Jésus lui dit:

— Souviens-toi que souvent mes dons ne servent qu'à t'humilier, car tu t'en juges indigne, tu sembles les recevoir comme un mercenaire dont on paie les services. Tu crois volontiers que la fidélité dépend uniquement de ces bienfaits, et alors tu exaltes les âmes qui, sans aucune faveur spéciale, se montrent néanmoins fidèles en toutes choses...

Et Gertrude comprit par la contemplation de cette bonté divine, que Dieu, tantôt déverse sur nos âmes le fleuve impétueux de ses grâces, tantôt refuse de moindres faveurs pour garder plus sûrement ces mêmes grâces.

Et voici un exemple: Lorsque le médecin fait prendre à son malade une potion salutaire, répondit le Seigneur, ceux qui le soignent ne peuvent en constater sur l'heure le bon effet, et le malade ne se sent pas guéri à l'instant. Cependant le médecin, qui connaît la vertu de son remède, en voit aussi à l'avance l'heureux résultat. (Livre 3 Ch. 9)

1-3-2-La charité

Afin d’expliquer à Gertrude l’importance de la vertu de charité, Jésus utilisa une vision:

L’arbre de la charité

Pendant la messe, au moment même de l'élévation, elle se trouva comme assoupie et moins attentive à la prière. Mais le son de la cloche l'éveilla soudain, et elle vit le Seigneur Jésus qui tenait entre ses mains un arbre dont le tronc avait été coupé au niveau du sol; les fruits de cet arbre étaient magnifiques, chacune de ses feuilles brillait comme une étoile et projetait des rayons lumineux. Le Seigneur secoua l'arbre au milieu de la cour céleste, et les saints goûtèrent ses fruits avec une grande joie. Peu après, il le planta au milieu du cœur de Gertrude comme dans un jardin, afin qu'elle lui fît produire des fruits, et quelle y trouvât l'ombre rafraîchissante avec la nourriture de vie.

Aussitôt que l'arbre fut planté, elle s'occupa de ses fruits, c'est-à-dire pria pour une personne qui lui avait fait de la peine. Elle demandait à supporter de nouveau cette même peine afin d'obtenir de Dieu des grâces plus abondantes pour celle qui en était cause. Au même moment elle aperçut au sommet de l'arbre une fleur magnifique qui devait produire son fruit à condition que celle-ci mit en œuvre sa bonne volonté. Cet arbre symbolisait donc la charité qui produit non seulement les fruits des bonnes œuvres, mais aussi les fleurs des bons désirs et les feuilles rayonnantes des saintes pensées; c'est pourquoi les habitants du ciel se réjouissent quand ils voient un mortel prendre pitié de ses frères et secourir leur misère. (Livre 3 Ch. 15)

1-3-3-Un autre aspect de la charité est la correction fraternelle qui soigne les plaies du Corps mystique du Christ.

Le Seigneur aborda un jour un sujet auquel on pense peu, et qui pourtant est la manifestation d’une grande charité: la correction fraternelle. Parlant de ces personnes imparfaitement charitables, il dit:

— Si elles voulaient du moins, en soignant les plaies de leurs amis, apprendre à guérir les ulcères de mon corps, qui est l'Église c'est-à-dire à corriger les défauts du prochain! II faut d'abord, pour obtenir ce résultat, les toucher avec précaution et par des admonitions charitables, les dégager de leurs imperfections. Si on voit que ces moyens n'amènent aucun résultat, on doit alors les reprendre avec une fermeté croissante afin de les guérir. Mais il y en a qui n'ont aucun souci de mes plaies: ce sont ceux qui connaissent les défauts du prochain et le méprisent à cause de ses vices; mais ils ne veulent pas l'avertir par un seul mot, dans la crainte de s'attirer quelque ennui. Ils apportent cette vaine excuse de Caïn: “Suis-je le gardien de mon frère?” (Gen. 4, 9) Ceux-là semblent poser sur mes plaies un onguent qui les envenime au lieu de les guérir, et engendre la corruption; car, sous le couvert du silence, ils laissent croître dans l'âme du prochain des défauts qu'ils auraient pu corriger par quelques paroles dites à propos. (Livre 3 Ch. 75)

1-3-4-La foi

            — La foi est portée par la confiance

Au second dimanche d'août, qui amenait tout à la fois la fête de saint Laurent et l'anniversaire de la Dédicace de l'Église, elle priait pendant la messe pour certaines personnes qui avaient sollicité son intercession, lorsqu'elle vit un vigoureux cep de vigne descendre du trône de Dieu jusque sur la terre, et les feuilles du cep servaient comme d'échelons pour remonter jusqu'au sommet. Cette échelle figurait la foi par laquelle les élus s'élèvent vers les régions célestes. Gertrude comprit que nul ne pouvait monter par cette échelle mystique de la foi, s'il n'était porté par les ailes de la confiance, et que cette personne en avait bien peu.

Alors elle demanda:

— Seigneur, j'ai remarqué que le peu de confiance de cette âme provient de son humilité, vertu sur laquelle vous répandez d'ordinaire vos grâces avec profusion.

Et le Seigneur dit:

— Je descendrai, et je communiquerai mes faveurs à cette âmes et à d'autres encore, que je verrai plongées dans la vallée de leur misère.  (Livre 3 ch. 17)

1-3-5-La patience

Gertrude demanda un jour au Seigneur sur quel sujet il désirait qu'elle fixât son attention, et le Seigneur répondit:

— Je désire que tu apprennes la patience.   (Livre 3 ch. 30)

2-Gertrude d’Helfta et la Vierge Marie

Gertrude, comme elle le raconte elle-même, a, tout au long de sa vie, bénéficié de la protection bienveillante de la Vierge Marie. Une révélation lui avait appris que pour croître en mérite, elle souffrirait l’adversité. Cette annonce l'avait remplie de crainte à cause de sa fragilité, mais le Seigneur eut pitié d’elle et lui donna sa Mère, l'auguste Reine des cieux, comme dispensatrice de la grâce nécessaire, pendant cette adversité: il voulait que si le fardeau de la souffrance dépassait ses forces, elle invoquât cette Mère de miséricorde qui lui accorderait un puissant secours. (Livre 3 Ch. 1)

2-1-Premières rencontres avec Marie: les fleurs.

Jésus conseille:

— Tiens-toi près de ma Mère qui est assise à côté de moi et exalte-la par tes louanges. 

Et Gertrude obéit: Alors Gertrude salua la Reine du ciel par ces mots: “Paradis de délices”... Elle la félicita d'avoir été la très agréable habitation de la sagesse infinie de Dieu, laquelle, prenant de toute éternité ses délices dans le sein du Père et connaissant toute créature, avait daigné la choisir pour demeure. Elle pria la Mère de Dieu de lui donner un cœur orné de si agréables vertus, que Dieu pût aussi l'habiter avec délices. La bienheureuse Vierge parut s'incliner pour planter dans le cœur de celle qui la priait, la rose de la charité, le lis de la chasteté, la violette de l'humilité, le tournesol de l'obéissance et d'autres fleurs encore. Celle-ci comprit alors que la Mère de Dieu est toujours prête à exaucer les prières de ceux qui l'invoquent.

Le lendemain à l'heure de la prière, la Vierge Marie lui apparut sous la forme d'un lis magnifique éclatant de blancheur. Ce lis était composé de trois feuilles, dont l'une, droite, s'élevait au milieu et les deux autres étaient recourbées de chaque côté. Elle comprit par cette vision que la bienheureuse Mère de Dieu est appelée à bon droit “Lis blanc de la Trinité”, car elle a participé plus que toute créature aux vertus divines et ne les a jamais souillées par la moindre poussière du péché. La feuille droite représentait la toute-puissance du Père, et les deux feuilles inclinées figuraient la sagesse du Fils et la bonté du Saint-Esprit, vertus que la bienheureuse Vierge possédait à un degré éminent.  (Livre 3 ch. 19)

2-2-L'amour que l’on a pour Marie rapproche de son Fils

Gertrude avait l’habitude (qui existe du reste entre ceux qui s'aiment) de tout rapporter ce qui lui paraissait beau et agréable à son Bien-Aimé. Ainsi, lorsqu'elle entendait lire ou chanter en l'honneur de la bienheureuse Vierge et des autres saints des paroles qui excitaient son affection, c'était vers le Roi des rois, son Seigneur choisi entre tous et uniquement aimé, plutôt que vers les saints dont on faisait mémoire, qu'elle dirigeait les élans de son cœur. II arriva, en la solennité de l'Annonciation, que le prédicateur se plut à exalter la Reine du ciel et ne fit pas mention de l'incarnation du Verbe, œuvre de notre salut. Celle-ci en éprouva de la peine et, passant après le sermon devant l'autel de la Mère de Dieu, elle ne ressentit pas, en la saluant, la même tendresse douce et profonde mais son amour se porta par contre avec plus de force vers Jésus, le fruit béni du sein de la Vierge. Comme elle craignait d'avoir encouru la disgrâce d'une si puissante Reine, le Consolateur plein de bonté dissipa doucement son inquiétude en disant: 

— Ne crains rien, ô ma bien-aimée, car il est très agréable à ma Mère qu'en chantant ses louanges et sa gloire, tu diriges vers moi ton attention.  (Livre 3 ch. 20)

Un jour, à cause d’un doute concernant une personne consacrée, Gertrude se trouvait dans la désolation. Dans ce doute elle recourut à la Consolatrice des affligés et reçut cette réponse: “Donne largement tout ce que tu as, car mon Fils est assez riche pour te rendre avec surabondance ce que tu auras dépensé pour sa gloire.” (Livre 3 Ch. 1)

3-Gertrude d’Helfta et le Cœur de Jésus

Il est quasiment impossible de décrire comment se développa l’intimité qui peu à peu se mit en place entre le Cœur de Jésus et Gertrude. Nous savons seulement que Gertrude, souvent très malade, racontait, sur ordre de ses supérieurs, ses souvenirs à une moniale amie et  confidente. Quand Gertrude se souvenait de quelque chose, elle racontait, et la moniale notait. Plus tard, cette même moniale rédigea. le Livre 3 des souvenirs de sainte Gertrude, sans véritablement remettre ses notes dans l’ordre chronologique.

Contrairement à l’auteur du Livre 3, nous ne connaissons pas Gertrude. Il nous est donc très difficile de présenter des faits et, encore plus malaisé de raconter des expériences mystiques ayant profondément influencé la vie spirituelle de Gertrude. Aussi, pour faciliter la lecture de ces textes difficiles, les avons-nous classés selon un ordre arbitraire, mais apparemment raisonnable. Le lecteur saura bien s’y retrouver, et même s’émerveiller des grâces que le Seigneur prodigue à ses saints.

3-1-Le Cœur de Jésus devient la demeure de l’âme de Gertrude

Ce jour-là, Gertrude s’efforçait d'apporter à chaque mot et à chaque note de l'office divin la plus grande attention. Mais, voyant sa bonne volonté contrariée par la faiblesse de la nature, elle se dit avec tristesse: quel fruit retirerai-je d'un labeur où je montre tant d'inconstance? Le Seigneur, ne pouvant souffrir qu'elle se désolât, lui présenta, de ses propres mains, son Cœur divin semblable à une lampe ardente, en lui disant:

— Voici que j'offre aux yeux de ton âme mon Cœur Sacré, organe de l'adorable Trinité, afin que tu le pries de réparer l'imperfection de ta vie et de te rendre parfaitement agréable à mes yeux. Car de même qu’un fidèle serviteur se tient toujours prêt à exécuter la volonté de son maître, ainsi mon Cœur sera désormais à ta disposition pour réparer à chaque heure tes négligences.

Cette condescendante bonté du Seigneur la remplit d'étonnement et d'admiration. En effet, elle ne pouvait comprendre que le Cœur du Sauveur, trésor sacré de la Divinité, et source de tous les biens, daignât la visiter ainsi. Mais Jésus lui dit:

— Mon Cœur Sacré, qui connaît la fragilité et l'instabilité humaines, attend et désire que tu l'invites, soit par tes paroles, soit même par un signe, à accomplir et à parfaire avec toi les actes de ta vie; et comme il est doué d'une puissance infinie, que, de plus, son insondable sagesse connaît toutes choses, de même aussi par suite de la douceur et de la bonté qui lui sont naturelles, il désire te rendre ce service avec une joie pleine d'amour.  (Livre 3 ch. 25)

Et quelques jours plus tard, pendant l’office des Vêpres, le Seigneur ajouta:

— Dirige-toi vers mon Cœur, il sera vraiment ton temple. De plus, choisis dans les diverses parties de mon corps d'autres demeures où tu puisses mener la vie régulière, car je veux désormais que mon Corps sacré soit le cloître où tu habites. (Livre 3 ch. 28)

3-2-Quelques visions

3-2-1-La lampe ardente

— Ô mon Dieu, s’écria Gertrude, Vous qui opérez tant de merveilles,  comment se fait-il que parfois je considère votre Cœur sacré comme une Lampe ardente suspendue au milieu de mon cœur, si vil, hélas! et si indigne? Comment se fait-il que Dieu tout-puissant, qui habite au plus haut des cieux, trouve également ses délices à répandre sur les humbles, la rosée de sa grâce?

À ce moment, Dieu parut faire sortir de son Cœur Sacré un tuyau d'or qui, semblable à une lampe ardente, illumina son âme abîmée dans son néant. Par ce canal mystérieux, Dieu faisait découler sur elle toute l'affluence admirable de ses grâces. Après qu'elle s'y fut tenue quelque temps dérobée, pour ainsi dire, à tous les regards, le Dieu tout-puissant qui habite au plus haut des cieux, et trouve également ses délices à répandre sur les humbles la rosée de sa grâce, parut faire sortir de son Cœur Sacré un tuyau d'or qui, semblable à une lampe ardente, illumina cette âme abîmée dans son néant. (Livre 3 ch. 26)

3-2-2-La lance

Un jour que Gertrude s'efforçait de chanter le plus dévotement possible les heures canoniales en l'honneur de Dieu et du saint dont on célébrait la fête, elle vit les paroles de la divine louange s'élancer de son cœur vers le Cœur de Jésus sous la forme d'une lance aiguë qui le pénétrait profondément et lui procurait d'ineffables délices. De la pointe de la lance s'échappaient des rayons lumineux semblables à de brillantes étoiles. Ces rayons se dirigeaient sur chacun des saints, et les enrichissaient d'un nouveau reflet de gloire; mais le bienheureux dont on célébrait la fête paraissait revêtu d'une splendeur plus merveilleuse. La partie inférieure de la lance laissait couler en abondance une pluie bienfaisante, qui procurait aux hommes une augmentation de grâce et donnait aux âmes du purgatoire un rafraîchissement salutaire. (Livre 3 ch. 24)

3-3-L’Échange des cœurs

3-3-1-Le Cœur du Seigneur Jésus est le cloître de l’âme

Tandis qu’on chantait à vêpres ces paroles: “Vidi aquam egredientem de templo”, le Seigneur lui dit:

— Dirige-toi vers mon Cœur, il sera vraiment ton temple. De plus, choisis dans les diverses parties de mon corps d'autres demeures où tu puisses mener la vie régulière, car je veux désormais que mon corps sacré soit le cloître où tu habites.

Elle répondit:

— Ô Seigneur! quelle demeure chercherais-je? J'ai trouvé une telle abondance de douceurs dans ce Cœur sacré que vous daignez appeler mon temple, qu'il m'est impossible de quérir hors de lui la nourriture et le repos nécessaires à l'entretien de la vie.

Le Seigneur lui dit:

— Si tu le désires, tu trouveras en effet ces deux biens dans mon cœur, car tu as pu lire de certains de mes saints, comme de mon serviteur Dominique, par exemple, qu'ils ne s'éloignaient pas du temple, mais qu'ils y mangeaient parfois et y dormaient. Empresse-toi cependant de choisir dans mon corps les lieux où tu mèneras ta vie claustrale.

Pour obéir aux ordres de Dieu, elle résolut d'établir son promenoir dans les pieds du Seigneur, dans ses mains sacrées, le lieu de son travail; sa bouche divine lui servirait de salle de chapitre et de parloir; par ses yeux bénis, elle lirait et étudierait; ses oreilles enfin seraient le tribunal où elle déclarerait ses péchés. Le Seigneur l'invita à monter après chaque faute vers ce tribunal sacré comme par cinq degrés d'humilité qu'elle trouverait indiqués en ces cinq mots: “Moi, vile, pécheresse, pauvre, mauvaise, indigne, j'accours à cet abîme débordant de la miséricorde infinie afin d'être lavée de toute tache et purifiée de tout péché. Ainsi soit-il.”

3-3-2-Donne-moi ton cœur

Quelque temps plus tard le Seigneur Jésus apparut à celle-ci et lui demanda son coeur:

— Ma fille, donne-moi ton coeur.

Elle l'offrit avec joie, et il lui sembla que le Seigneur appliquait son coeur sur son Coeur sacré, comme sous la forme d'un tube qui descendait jusqu'à terre. pour répandre avec abondance sur les hommes les effusions de la Bonté divine. Le Seigneur lui dit ensuite: 

— Je prendrai désormais plaisir à me servir de ton coeur. II sera le canal qui, de la source jaillissante de mon Coeur sacré, répandra des torrents de divine consolation sur tous ceux qui se disposeront à recevoir ces effusions, c'est-à-dire qui auront recours à toi avec confiance et humilité.

Nous verrons bientôt quelques-uns des touchants effets de ces paroles. (Livre 3 Ch. 67)

3-4-Les battements du Cœur de Jésus

Comme Gertrude, retenue au lit, voyait les autres sœurs se rendre au sermon, elle se plaignit au Seigneur en ces termes:

— Vous savez, ô mon Bien-Aimé, que j'aimerais entendre le sermon si je n'étais retenue par la maladie.

Le Seigneur répondit:

— Veux-tu, ma Bien-Aimée, que je te prêche moi-même?

— Très volontiers, dit-elle.

Le Seigneur l'attira alors vers lui, de telle sorte que son cœur reposait sur le Cœur divin. Quand elle eut goûté ainsi un doux moment de repos, elle sentit battre le Cœur du Seigneur de deux battements admirables et souverainement doux. Le Seigneur lui dit:

— Chacun de ces battements opère le salut des hommes: le premier opère le salut des pécheurs, le second celui des justes.

            Par le premier battement d'amour, j'invoque sans cesse Dieu le Père, je l'apaise et l’incline à la miséricorde. Ensuite, j’excite mes saints à prier pour ces pauvres âmes. En troisième lieu je m'adresse au pécheur lui-même, je l'appelle miséricordieusement à la pénitence, attendant ensuite sa conversion avec un désir ineffable.

            Par le second battement, j'invite d'abord Dieu le Père à se réjouir avec moi de ce que j'ai si utilement répandu mon sang pour la rédemption des élus, puisque je prends maintenant mes délices dans leurs âmes. En second lieu, j'excite la milice céleste à me remercier, tant pour les bienfaits dont je les ai gratifiés que pour ceux dont je les gratifierai encore. Enfin je m'adresse aux justes eux-mêmes, je leur donne des preuves très douces de mon amour, et je les excite avec une invincible persévérance à progresser de jour en jour et d'heure en heure. (Livre 3 Ch. 51)

3-5-Invitation à établir son nid dans le Cœur sacré de Jésus-Christ.

Alors qu’elle priait pour une personne, Gertrude reçut à son sujet un enseignement précieux pour qu’elle règle mieux sa vie: lorsqu'elle aura établi son nid dans le creux de la muraille, c'est-à-dire dans le Cœur Sacré du Seigneur Jésus, qu'elle prenne son repos dans la profondeur de cette caverne et savoure le miel de la pierre, c'est-à-dire la bienveillance des aspirations de ce Cœur déifié. Qu'elle médite attentivement dans les Écritures la vie admirable du Christ et s'efforce d'imiter ses exemples, principalement sur trois points:

            1-le Seigneur passait souvent les nuits en prière; cette personne doit donc en toutes ses tribulations avoir recours à l'oraison.

            2-le Seigneur s'en allait prêchant par les villes et les bourgades; elle doit chercher à donner le bon exemple au prochain, non seulement par ses paroles, mais aussi par ses actions, son attitude et sa démarche.

            3-le Christ répandait ses bienfaits sur tous ceux qui venaient vers lui; elle-même doit accomplir le bien comme il suit: lorsqu'elle, se disposera à agir ou à parler, elle recommandera son action au Seigneur et l'unira aux œuvres très parfaites du Fils de Dieu, afin qu'elle soit réglée et ordonnée selon son adorable volonté et pour le salut du genre humain. L’œuvre achevée, elle l'offrira de nouveau pour que le Seigneur la perfectionne et la présente à Dieu le Père comme tribut d'éternelle louange.

Gertrude reçut encore un autre enseignement: chaque fois que cette personne voudra sortir de son nid, elle devra se servir de trois appuis: sur le premier elle marchera, elle s'appuiera à droite sur le second et à gauche sur le troisième:

            — Le premier appui est l'ardente charité par laquelle elle s'efforcera d'attirer à Dieu tous les hommes et de leur être utile pour la gloire du Seigneur, en union avec l'amour par lequel Jésus-Christ a opéré le salut du monde

            — Le second appui qui soutiendra sa droite est l'humble sujétion qui la soumettra à toute autorité à cause de Dieu. Elle aura soin en outre que ses paroles et ses actions ne scandalisent ni ses supérieurs ni ses inférieurs.

            — Le troisième appui, celui de gauche, est la vigilance exacte sur elle-même, grâce à laquelle ses pensées, ses paroles et ses actes seront préservés de toute souillure capable d'offenser Dieu. (Livre 3 Ch. 74)


[1] Les textes utilisés dans notre étude ont été traduits par des moines bénédictins, en 1884, à partir du texte latin “Insinuationes divinæ pietatis” . Ces textes ont reçu les imprimatur suivants:
-Ryde, le 16 septembre 1904, Fr. P. DELATTE Abbé de Solesmes
-Tours le 16 février 1926, C. BERGEAULT Vicaire général.
[2] Ces thèmes abordés seront complétés et approfondis dans les livres 4 et 5.
[3] Tous les textes en italique sont des citations extraites du Héraut.
[4] Chaque fois que l’auteur du Livre 3 utilise cette expression: “celle-ci”, il s’agit toujours de sainte Gertrude.

    

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