Gertrude d’Helfta
(1256-1302)

QuaTrième partie

 

4-Certaines vertus aident à sauver les âmes

4-1-Les parents défunts de la communauté

Le dimanche où l'on fait mémoire des parents défunts de la communauté, celle-ci, après avoir reçu la communion, offrit l’hostie sainte au Seigneur pour le soulagement de ces âmes. Aussitôt elle en vit une multitude qui s'élevait des lieux bas et ténébreux, nombreuses comme les étincelles qui s'échappent du feu: les unes sous l'apparence d'étoiles, les autres sous d'autres formes. Comme elle demandait si dans toute cette multitude il n'y avait que de nos parents, le Seigneur répondit:

 C'est moi qui suis votre plus proche parent, votre père, votre frère, votre époux; tous mes amis sont donc vos alliés, et je ne veux pas qu'ils restent en dehors de la mémoire commune faite pour vos proches. C'est pourquoi ils se trouvent parmi eux.  (Livre 5 Ch. 17)

4-2-La bonne volonté

4-2-1-Efficacité du grand psautier[1] 

Une autre fois, comme elle priait pour les défunts, elle vit l'âme d'un chevalier mort depuis environ quatorze ans, sous la forme d'une bête monstrueuse dont le corps était hérissé d'autant de cornes que les animaux ont ordinairement de poils. Cette bête semblait suspendue au-dessus de la gueule de l'enfer, soutenue seulement du côté gauche par une pièce de bois. L'enfer vomissait contre elle, sous forme de tourbillons de fumée, toutes sortes de souffrances et de peines qui lui causaient d'indicibles tourments. Elle ne recevait des suffrages de l'Église aucun soulagement. Celle-ci, étonnée devant la forme étrange de cette bête, comprit, à la lumière de Dieu, que pendant sa vie, cet homme s'était montré orgueilleux et ambitieux. C'est pourquoi ses péchés avaient poussé sur lui comme des cornes, tellement durcies qu'elles l'empêcheraient de recevoir aucun soulagement aussi longtemps que son âme resterait dans cette peau de bête. Le pieu qui seul le soutenait encore et l'empêchait de tomber dans l'abîme, signifiait que pendant sa vie il avait eu à de rares intervalles un mouvement de bonne volonté; c'est la seule chose qui, avec l'aide de la divine miséricorde, l'avait empêché d'être englouti dans les enfers.

Celle-ci, par la faveur divine ressentit de la compassion pour cette âme, et offrit à Dieu la récitation du grand psautier pour son soulagement. Aussitôt la peau de bête disparut, car l'âme était sortie sous la forme d'un petit enfant, mais tout couvert de taches. Lorsque celle-ci eut intercédé de nouveau, l'âme se trouva transportée dans une maison où plusieurs autres âmes se trouvaient déjà réunies; là elle témoigna autant de joie que si, après avoir abandonné le sombre enfer, elle s'était envolée vers les joies du paradis. (Livre 5 Ch. 19)

4-2-2-Du mérite de la bonne volonté

Comme on célébrait la messe pour l'âme d'une pauvre femme qu'on devait enterrer ensuite, celle-ci, émue de compassion, récita pour son soulagement cinq Pater en l'honneur des cinq plaies du Seigneur. Alors, inspirée d'en haut, elle offrit encore avec charité pour cette pauvre femme le bien que la bonté divine avait daigné opérer en elle et par elle. Aussitôt après, elle vit cette âme placée avec honneur sur un trône que le Seigneur lui avait élevé dans les cieux: ce trône fut ensuite transporté à des hauteurs sublimes qui dépassaient les rangs inférieurs autant que les Séraphins sont placés au-dessus du dernier chœur des Anges.

Celle-ci demanda alors au Seigneur comment cette âme avait obtenu une si grande gloire, après quelques prières et une offrande faite pour elle. Le Seigneur répondit:

 Elle l'a méritée de trois manières :

             Premièrement parce qu'elle a toujours entretenu la volonté et le désir de me servir dans l'état religieux.

             Deuxièmement, parce qu'elle a aimé les hommes de bien et, les religieux.

             Troisièmement, parce qu'elle les a honorés et leur a fait du bien à cause de moi.

Tu peux conclure, par la gloire dont cette âme est revêtue, combien je suis heureux de trouver ces trois dispositions dans les hommes. (Livre 5 Ch. 21)

4-3-La charité accroît les mérites

Comme elle offrait à Dieu pour l'âme d'un défunt tout le bien que la bonté du Seigneur avait jamais daigné opérer en elle et par elle, elle vit ce bien présenté devant le trône de la divine Majesté sous la forme de présents magnifiques, qui semblaient réjouir Dieu et ses saints. Le Seigneur reçut volontiers ces présents, et parut heureux de les donner à ceux qui étaient dans le besoin et n'avaient rien mérité par eux-mêmes. Celle-ci vit ensuite le Seigneur prendre quelque chose dans son infinie libéralité pour l'ajouter à chacune des bonnes œuvres qu'elle avait offertes, et les lui rendre ainsi augmentées pour son éternelle récompense. Elle comprit alors que, loin de rien y perdre, l'homme gagne beaucoup à secourir les autres par charité. (Livre 5 Ch. 20)

4-4-L’obéissance

Le Seigneur lui fit voir ensuite le chemin par lequel les âmes se dirigeaient vers le ciel, sous la figure d'une planche étroite et dressée, pleine d'aspérités et difficile à escalader. Ceux qui voulaient y monter devaient s'aider des deux mains et tenir fermement la planche de chaque côté, ce qui signifiait qu'il faut aider les âmes par nos bonnes œuvres. Ceux qui avaient mérité l'aide des anges dans ce chemin, en retiraient un grand profit, car de chaque côté de la planche se tenaient d'horribles griffons, c'est-à-dire des démons qui s'efforçaient d'empêcher les âmes d'avancer. Les religieux qui avaient vécu sous l'obéissance trouvaient le long de cette planche une rampe à laquelle ils pouvaient se tenir, afin de ne pas tomber; mais quand des supérieurs négligents n'avaient pas fait marcher leurs disciples par la voie de l'obéissance, l'appui semblait manquer, et les chutes étaient à craindre. Les âmes qui s'étaient volontiers soumises à l'obéissance, marchaient avec sécurité en se tenant à la rampe, et les saints anges venaient à leur aide pour écarter tous les obstacles du chemin. (Livre 5 Ch. 20)

4-5-La maîtrise de ses paroles

Une autre défunte lui apparut avec les oreilles garnies d'une sorte de dur cartilage qu'elle devait, non sans peine, gratter avec les ongles jusqu'à ce qu'il disparût complètement: elle expiait ainsi les fautes commises en écoutant les paroles de murmure et de médisance. De plus, sa bouche était couverte intérieurement d'une peau épaisse qui l'empêchait de goûter les douceurs divines, et cela parce qu'elle-même avait parfois médit du prochain. Le Seigneur expliqua alors à celle-ci que si l'âme de la défunte souffrait de telles peines pour des fautes commises par une sorte de simplicité dont elle s'était souvent repentie, ceux qui ont eu l'habitude de commettre ces mêmes fautes subissent un plus grand châtiment. Non seulement leur bouche est garnie d'une peau épaisse, mais cette peau est hérissée de pointes qui, remontant de la langue au palais et descendant du palais à la langue, les blessent douloureusement et font suinter une matière dégoûtante: aussi ne peuvent-ils être admis à jouir de sa divine présence parce qu'ils sont odieux aux habitants du ciel. Celle-ci dit alors avec gémissement au Seigneur:

 Hélas ! Seigneur, vous aviez coutume autrefois de me révéler les mérites des âmes; maintenant vous me montrez davantage les souffrances de leur purgatoire. Le Seigneur répondit:

 C'est qu'alors les hommes étaient attirés plus facilement par les récompenses; maintenant c'est à peine si quelques-uns sont terrifiés par la vue des plus durs châtiments. (Livre 5 Ch. 22)

5-Les derniers mois et la mort de Gertrude

5-1-Une promesse de Jésus

Longtemps avant sa mort, le Seigneur avait promis à Gertrude d’être près d’elle au moment de sa mort. Sa confidente raconte:

Avant la célèbre fête de l'Ascension, Gertrude salua les plaies bénies du Seigneur Jésus en récitant cinq mille quatre cent soixante-six fois ce refrain:

Gloire à vous, ô très douce et très bénigne,
très noble et très excellente,
ô très joyeuse et très glorieuse,
ô resplendissante et toujours tranquille Trinité,
pour les plaies vermeilles de mon unique Bien-Aimé!

Le Seigneur Jésus lui apparut alors. Sa beauté surpassait celle de tous les anges et chacune de ses plaies était ornée d'une fleur d'or. II avait un visage plein de bonté; la saluant par d'aimables paroles, il lui dit:

 À l'heure de ta mort, je me montrerai à toi plein de charmes et de beauté, dans cette gloire et cette splendeur que tu vois aujourd'hui. Je couvrirai tes péchés et tes négligences d'un ornement semblable à celui dont tes prières ont décoré mes plaies, et cette faveur sera aussi accordée à tous ceux qui salueront chacune de mes plaies avec la même dévotion et les mêmes prières.  (Livre 4 Ch. 35)

5-2-Gertrude d’Helfta, le désir de la mort et la volonté de Dieu

Une autre fois, un dimanche, comme elle éprouvait encore le désir d'être délivrée de la chair, le Seigneur lui dit:

 Si je devais accomplir à ta dernière heure tout ce que tu as prémédité depuis ton enfance jusqu'à présent, ce serait peu de chose en comparaison de la grâce que ma bonté toute gratuite t'a destinée sans que tu l'aies désirée. Le Seigneur ajouta:

 Choisis ce que tu veux: sortir de ton corps, ou embellir encore ton âme par une longue maladie, quoique tu craignes beaucoup, je le sais, cette poussière des négligences qui s'attache facilement à l'âme pendant une longue infirmité.

Mais elle, inclinée devant la condescendance divine, répondit: 

 Ô mon Seigneur, que votre volonté s'accomplisse!

 Il est juste que tu me laisses ce choix, reprit le Seigneur, mais si pour mon amour tu consens à demeurer encore ici-bas, moi je demeurerai en toi, et je te réchaufferai sur mon sein comme la colombe dans son nid, jusqu'à ce que je te conduise dans les régions de l'éternel printemps.

Plus tard, son désir se réveilla, et elle demanda au Seigneur d'aller bientôt vers lui. II répondit:

 Quelle véritable épouse peut avoir un si grand désir d'arriver dans un lieu où elle sait que son Époux n'ajoutera plus rien à sa parure, et où elle ne pourra plus offrir de présents à son Bien-Aimé? 

En effet, l'âme après la mort ne croît plus en mérites, et ne travaille plus pour Dieu. (Livre 5 Ch. 23)

5-3-Avant le grand départ

5-3-1-Cependant Gertrude s’informe et reprend:

 Quel est le char qui me conduira lorsque je suivrai cette voie royale qui mène à vous, ô mon unique Bien-Aimé?

Le Seigneur répondit:

 Ce sera le trait puissant du désir divin qui s'échappera des profondeurs de mon amour, et se dirigera vers toi pour te ramener ensuite à moi.

Elle demanda encore:

 Sur quel siège pourrai-je m'asseoir ?

 La confiance pleine et entière qui te fera tout espérer de ma bonté, sera ton siège pour ce voyage.

 Et qu'est-ce qui servira de rênes ?

 Ce sera l'amour très ardent qui te fait désirer mes embrassements. 

Elle reprit :

 Comme j'ignore tout à fait le reste de ce qui compose un équipage, je ne sais plus ce que je dois demander pour accomplir ce voyage tant désiré.

Le Seigneur répondit: 

 Tu peux pousser tes recherches aussi loin que possible, je t'assure que tu auras la joie de les voir dépassées, car l'esprit humain est incapable de s'imaginer tous les biens que je prépare pour mes élus, et cette impuissance fait mes délices.  (Livre 5 Ch. 24)

5-3-2-La flèche d’amour

Nous connaissons bien la familiarité avec laquelle Gertrude s’adresse à son Seigneur et Maître. Cette familiarité n’est pas un manque de respect mais une manifestation particulière de l’amour que Jésus sait reconnaître, et qu’il apprécie, comme le prouve l’anecdote suivante.

Un certain Frère, prêchant un jour dans la petite chapelle, dit cette parole:

 L'amour est une flèche d'or, et l'homme est maître en quelque sorte de tout ce qu'il atteint avec cette flèche. C'est donc folie d'attacher son cœur aux choses de la terre et de négliger celles du ciel.  Ces mots embrasèrent celle-ci d'une grande ardeur et elle s'écria:

 Ô mon unique Bien-Aimé, que ne puis-je avoir cette flèche? Je la lancerais aussitôt afin de vous en transpercer et de m'emparer de vous pour toujours! Elle vit à l'instant le Seigneur qui s'apprêtait à décocher sur elle une flèche d'or:

 Tu voudrais, dit-il, me transpercer si tu avais une flèche d'or. Moi je la possède. Je vais te blesser de telle sorte que tu ne guériras jamais! 

Or, cette flèche semblait armée de trois pointes: une en avant, une au milieu, et une à l’extrémité, pour indiquer le triple effet d'amour que sa blessure opère dans une âme.

 La première pointe de la flèche transperce l'âme, elle la rend pour ainsi dire languissante et lui fait perdre le goût des choses passagères au point qu'elle n'y trouve plus ni plaisir ni consolation.

 La deuxième transperce l'âme, fait d'elle une sorte de malade fiévreux qui demande avec impatience le remède à sa grande douleur: cette âme en effet brûle d'un si ardent désir de s'unir à Dieu, qu'il lui devient impossible de respirer et de vivre sans lui.

 La troisième pointe transperce l'âme et l'emporte vers des biens si inestimables qu'on ne peut dire autre chose, sinon que cette âme est alors comme séparée de son corps et boit à longs traits aux torrents enivrants de la Divinité. (Livre 5 Ch. 25)

5-3-3-Les préparatifs des noces

Une fois dans la prière, elle implora la miséricorde  de Dieu pour l'heure de sa mort et reçut cette réponse:

 Comment n'achèverais-je pas heureusement en toi ce que j'ai si bien commencé ?

Elle reprit:

 Ô Seigneur, si vous m'aviez enlevée de ce monde lorsque, d'après vos paroles, je m'attendais à mourir, je crois que, votre grâce aidant, vous m'eussiez trouvée mieux disposée. Mais il est à craindre que, par suite de vos délais, je sois devenue négligente et tiède.

Le Seigneur répondit :

 Toutes choses ont leur temps dans les sages dispositions de ma providence. Aussi, tout ce que tu as déjà fait pour te préparer à mourir sera fidèlement gardé par ma bonté, et rien de ce que tu y ajouteras dans la suite ne sera perdu pour toi.

Par ces paroles elle comprit que le Seigneur agissait comme on le fait dans le monde: lorsqu'un seigneur se dispose à célébrer des noces, il a soin, au temps de la moisson, d'amasser le blé pour la fête prochaine, et répand partout la nouvelle de cette fête. II agit de même à l'époque de la vendange, il fait des provisions de vins: tout est gardé dans les celliers et les greniers jusqu'aux jours des noces, et bien qu'on ne parle plus de la fête, les réserves ne diminuent cependant pas, et elles seront distribuées avec largesse en temps voulu. C'est ainsi que Dieu inspire parfois à ses élus de se préparer à la mort, bien que leur heure doive être encore longue à venir. (Livre 5 Ch. 26)

5-3-4-Gertrude se prépare à la mort

Longtemps auparavant, Gertrude avait composé un exercice destiné à se préparer soigneusement à la mort. Cet exercice était destiné à être renouvelé tous les ans. Le premier jour de cet exercice était consacré à la dernière maladie, le second à la confession, le troisième à l'extrême-onction, le quatrième à la communion, et le cinquième à la mort.

Gertrude, alors très malade, se disposa à pratiquer ce qu’elle avait enseigné aux autres et implora l’assistance divine. Le Seigneur lui dit :

 Viens t'étendre sur moi, comme le prophète Élisée s'est étendu sur l'enfant qu'il voulait ressusciter. Elle demanda:

 Comment faire cela ?

Le Seigneur répondit :

 Applique tes mains sur mes mains, c'est-à-dire confie-moi toutes tes œuvres. Applique tes yeux sur mes yeux; applique tous tes membres à mes membres sacrés, c'est-à-dire unis à mes membres très saints tous les membres de ton corps avec tous leurs actes, en sorte qu'à l'avenir ils n'agissent que pour ma gloire, ma louange et mon amour. 

Elle obéit, et vit aussitôt sortir du cœur de Dieu comme une ceinture d'or qui, entourant son âme, l'attacha au Seigneur par le lien d'un indissoluble amour. Vers l'heure de la communion, comme elle se rappelait qu'elle se serait volontiers confessée la veille si elle l'avait pu, et qu'elle aurait désiré obtenir le pardon de ses péchés et de ses négligences, le Seigneur parut faire sortir de chacun de ses membres comme de petits crochets d'or, puis saisir et enfermer en lui cette âme bienheureuse par la force de son incomparable Divinité, comme l'on enchâsse dans l'or une pierre précieuse.

Le lendemain, comme sa faiblesse augmentait, elle récita deux fois le psaume Quemadmodum et l'hymne Jesu nostra redemptio, en mémoire de l'union de l'Humanité et de la Divinité réalisée dans le Christ pour le salut des hommes. Il lui sembla alors que les crochets d'or qui faisaient saillie sur les membres du Seigneur afin d'enchâsser l'âme, étaient comme doublés.

Le troisième jour, elle récita trois fois le même psaume pour honorer l'union du Christ avec la Trinité toujours adorable, union qui amène notre glorification, et les crochets d'or parurent triplés

À la quatrième férie, comme elle célébrait la mémoire de sa dernière maladie avec grande dévotion et en récitant les prières assignées à cet exercice, son âme parut attachée au Christ crucifié comme une pierre précieuse enchâssée dans l'or. Cet or avait des fleurons en forme de feuilles de vigne, ils se recourbaient sur les bords de la pierre précieuse pour la faire mieux ressortir. Elle comprit alors que la Passion de Jésus-Christ, en union de laquelle sa dernière maladie venait d'être offerte au Seigneur, rendait son âme agréable aux yeux de la sainte Trinité.

La cinquième férie, s'étant mise en présence du Seigneur, elle se remémora ses péchés sous forme de confession dans l'amertume de son cœur: à mesure qu'elle en évoquait le souvenir, la bonté divine les lui pardonnait...

En la sixième férie, comme elle faisait mémoire de l'extrême-onction, le Seigneur parut l'assister avec une grande tendresse: des profondeurs de son Cœur sacré, il laissait découler une liqueur qui devait purifier par son onction, les yeux, les oreilles, la bouche et les autres membres de cette élue. Afin d'accroître sa beauté, il lui donna pour ornement les mérites des membres sacrés de son Humanité déifiée, et il lui dit:

 Confie-moi cette parure; comme la mère la plus fidèle, je la garderai jusqu'au temps propice, afin que tu ne puisses la ternir désormais par un péché ou une négligence. 

Elle suivit avec dévotion ce conseil, et le Seigneur enferma cette parure dans son Cœur sacré comme dans une cassette bien close.

Le samedi, comme elle s'était préparée aussi bien qu'elle le pouvait à la dernière communion, quatre glorieux princes de la milice angélique apparurent pendant la messe à l'élévation de l'hostie, devant le trône de la divine Majesté:deux de ces princes se plaçant, l'un à la droite, l'autre à la gauche du Seigneur, le conduisaient en l'entourant de leurs bras; les deux autres anges amenèrent l'âme et la présentèrent au Seigneur, qui l'accueillit avec tendresse, la fit reposer sur son sein, la couvrit ainsi que lui-même du vivifiant sacrement de l'autel (qu'il tenait dans ses mains sous la forme d'un voile), et se l'unit dans un ineffable bonheur.

Le dimanche, elle évoqua la pensée du jour où elle rendrait le dernier soupir; et comme elle récitait avec ferveur les prières assignées à cet exercice, le Seigneur daigna encore lui apparaître avec la même bonté. De sa main vénérable il bénit chacun de ses membres, qui devaient un jour mourir au monde, et qu'elle lui offrait afin qu'ils vécussent désormais uniquement pour sa gloire et son amour. En recevant cette bénédiction, chaque membre se trouva marqué d'une croix d'or si fortement imprimée, qu'elle semblait le traverser de part en part. Ces croix étaient d'or pour signifier que tous les actes et les mouvements de cette élue devaient être désormais relevés et ennoblis par la vertu de l'union divine ; c'étaient des croix, parce que toutes les souillures que la fragilité humaine lui ferait contracter encore, devaient être effacées sans retard par la vertu de la Passion du Christ. (Livre 5 Ch. 27)

À l'élévation de l'hostie, comme elle offrait à Dieu son cœur si près maintenant de mourir au monde, elle demanda au Seigneur, par sa très sainte Humanité, de rendre son âme pure et libre de tout péché, et par sa très haute Divinité de l'orner de toutes les vertus; enfin elle le pria, par l'amour qui avait uni la Divinité suprême à la très sainte Humanité, de daigner la disposer à recevoir ses faveurs. Aussitôt le Seigneur parut ouvrir de ses deux mains son divin Cœur, l'appliquer et l'unir avec un amour inexprimable au cœur de celle-ci, ouvert de la même manière devant lui; la flamme de l'amour divin, s'échappant de la fournaise ardente du Cœur sacré, embrasa tellement cette âme bienheureuse qu'elle sembla se liquéfier et s'écouler dans le Cœur de Dieu.

Alors, du milieu de ces deux cœurs, si heureusement appliqués l'un à l'autre, sortit comme un arbre d'une merveilleuse beauté: son tronc était formé de deux tiges, l'une d'or, l'autre d'argent, qui s'enroulaient admirablement comme les ceps d'une vigne, et s'élançaient à une grande hauteur. Ses feuilles brillaient et semblaient illuminées par les rayons du soleil: leur splendeur glorifiait l'éclatante et toujours tranquille Trinité, et procurait à tous les habitants du ciel un bonheur ineffable.

Le Seigneur disait:

 Cet arbre a germé par l'union de ta volonté à la mienne.

La tige d'or figurait la Divinité, et la tige d'argent l'âme unie au Seigneur.

Comme elle priait pour les personnes qui lui étaient recommandées, cet arbre parut produire des fruits auxquels les flammes de l'amour divin donnaient une couleur vermeille. Ces fruits s'inclinaient comme d'eux-mêmes, vers chacun de ceux pour qui elle priait, de sorte qu'ils pouvaient les cueillir par le désir et la dévotion, et en retirer un grand profit pour leur salut éternel. (Livre 5 Ch. 27)

Elle se sentit ensuite très faible, et s'étendit sur sa couche pour prendre du repos... Elle demanda au Seigneur s'il daignerait la retirer de cet exil par la maladie dont elle souffrait alors... Le Seigneur lui fit comprendre qu’elle devait demeurer encore dans ce château jusqu'au jour des noces où il la conduira enfin suivie d'un brillant cortège d'honneur dans sa demeure royale. Bientôt il lui dit au revoir, en disant:

 Et moi parce que je suis ton Dieu, le Seigneur qui t'aime d'un amour fort et jaloux, je suis avec toi, et je supporte réellement en toi toutes les douleurs de ton cœur et les souffrances de ton corps...

Le Seigneur décrit ensuite la prochaine mort de Gertrude:

 Lorsque tu auras mérité la place à laquelle tu es prédestinée, et que tes forces épuisées te feront pressentir l'approche de la mort, alors je te donnerai devant tous les saints le baiser très suave et l'anneau des épousailles, c'est-à-dire le sacrement de l'extrême-onction. Ce sera un baiser, parce que je répandrai vraiment l'onction en toi par la douceur de mon souffle divin; cette onction pénétrera tellement ton âme, que la moindre poussière de péché ou de négligence qui détournerait un instant de toi mes regards, ne pourra désormais s'attacher à ton âme.

 Plus tu hâteras le moment de l'extrême-onction, plus ta félicité sera grande; et dans cet état tu demeureras si près de moi, qu'à l'heure où je me disposerai à te conduire en mon royaume éternel, tu en seras avertie intérieurement à cause de cette proximité, et tout ton être tressaillira d'allégresse dans l'attente de ma venue. Je viendrai tout débordant de délices, et te serrant entre mes bras, je te ferai traverser le torrent de la mort temporelle pour te conduire, te plonger et t'absorber dans l'océan de ma Divinité où, devenue un même esprit avec moi, avec moi aussi tu régneras dans les siècles des siècles. C'est alors que, pour les douces harmonies que tes souffrances m'avaient si agréablement fait entendre pendant la route, les mélodies célestes résonneront à tes oreilles. Tu partageras les délices que mon Humanité déifiée goûte maintenant en récompense des douleurs que j'ai endurées sur la terre pour le salut des hommes. (Livre 5 Ch. 27)

5-4-Gertrude a vécu sa mort par avance[2] 

5-4-1-La mort: un doux repos sur le Cœur de Jésus

Le Seigneur Jésus lui apparut comme celui dont la beauté surpasse d'une manière incomparable la beauté des enfants des hommes. Il semblait la recevoir avec tendresse entre ses bras et lui préparer un lieu de repos sur son côté gauche, près de son Cœur sacré, source de toute béatitude.

             Il y mettait pour lit de repos les cruelles douleurs que son corps très saint avait endurées sur la croix pour le rachat du monde, et l'âme devait y trouver le salut éternel.

             Il mettait sous sa tête, comme oreiller, la douleur que son très doux Cœur avait ressentie sur la croix, en voyant que sa Passion et sa mort amère, ignominieuse et sainte, serait infructueuse pour un grand nombre.

             Les draps très blancs qu'il plaça dans ce lit étaient l'extrême désolation où il fut réduit, lorsque lui, l'ami le plus fidèle, se vit abandonné de tous ses amis, arrêté cruellement comme un voleur, lié sans pitié, traîné à la mort, et de plus, insulté, moqué et outragé par ses ennemis.

Le Seigneur la couvrit ensuite de tout le fruit de sa précieuse mort, afin qu'elle fût sanctifiée au gré de la divine Bonté.

Tandis qu'elle reposait doucement sur le côté gauche du Fils de Dieu, tournée vers son Cœur très aimant, elle vit ce Cœur divin, réceptacle de tous les biens, s'étendre devant elle comme un jardin céleste où s'épanouissait le gracieux sourire de toute beauté spirituelle.

             Le souffle qui s'échappait des lèvres de la sainte Humanité du Christ y faisait germer une herbe verdoyante, en même temps que les pensées de son Cœur très saint, sous la forme de roses, de lis, de violettes et d'autres fleurs magnifiques y répandaient leurs parfums.

             Les vertus du Seigneur paraissaient comme une vigne féconde, la vigne d'Engaddi, dont les fruits sont si doux... Le Seigneur semblait nourrir l'âme du fruit de ces arbres, et la désaltérer par le doux jus de la vigne.

             Trois ruisseaux d'une eau très pure semblaient jaillir du centre du cœur divin, mais dans leur cours merveilleux, ils mélangeaient leurs eaux.

Le Seigneur lui dit :

 À l'heure de ta mort tu boiras de cette eau et ton âme y puisera une perfection si achevée, qu'il ne te sera plus possible de demeurer dans la prison de la chair; en attendant, contemple ces ruisseaux avec délices afin d’accroître tes mérites pour l'éternité.

Gertrude demanda au Père:

 Donnez-moi, ô Père très aimant, la douce bénédiction de votre tendresse.

Et le Seigneur, étendant sa main toute-puissante, traça le signe de la croix. Cette bénédiction remplie de grâces parut former au-dessus de sa couche une tente dorée où étaient suspendus des tambours, des lyres, des cymbales et autres instruments de musique, tous en or: ils figuraient les fruits inestimables de la très sainte Passion du Christ, et procuraient à cette élue des réjouissances nouvelles et variées.

Tandis qu'elle prenait son repos parmi tant de délices, ce n'était plus une malade retenue sur son lit de douleurs, mais une épouse très aimée, goûtant les joies des noces, ou plutôt une âme altérée de Dieu, qui, après avoir reçu la fécondité de Lia, buvait avidement les douceurs des baisers si longtemps désirés par Rachel. Doucement caressée par le souffle de la divine miséricorde, elle se rappelait la longue stérilité de ses efforts passés. Ce souvenir était non seulement sans amertume, mais très joyeux à cause des biens dont le Seigneur la comblait. L'abondance des gras pâturages où Dieu l'avait placée, lui permettait de réparer ses négligences passées, et d'augmenter aussi la perfection et la beauté de ses œuvres...

Elle s'efforça dans la suite de payer une par une, en raison des promesses que la Vérité infaillible lui avait faites, toutes les dettes contractées. Sa confiance était invincible, cependant elle n'oubliait jamais sa misère, et s'appliquait par toutes ces petites prières à se rendre moins indigne des faveurs qu'elle espérait fermement recevoir de la libéralité de Dieu.

Dans l'abondance des délices dont son esprit se nourrissait si souvent, elle s'épanchait en prières et en exhortations si douces, devant les personnes qui la visitaient, que c'était un plaisir de la servir, afin de jouir et de profiter de ses entretiens. Ce fut pour cette raison que plusieurs demandèrent au Seigneur de prolonger cette précieuse existence ; et il n'est pas douteux que Dieu (qui ne méprise pas les prières des humbles) lui ait conservé la vie pour accroître ses mérites et favoriser la charité des sœurs. (Livre 5 Ch. 30)

5-4-2-Gertrude vit sa mort en vision

À cette époque elle prit la coutume de s'éloigner tous les vendredis, vers l'heure de None, de toute occupation extérieure, comme si elle avait besoin de se reposer, afin de n'être dérangée par personne. Elle dirigeait alors son intention vers Dieu seul, avec une ferveur profonde, et accomplissait pour elle-même tout ce que l'on a coutume de faire auprès des personnes à l'agonie, dépassant même, par sa ferveur et ses saintes méditations, ce que l'on peut souhaiter pour ce moment suprême. Elle pratiquait cet exercice depuis quelque temps avec une grande dévotion, lorsqu'un vendredi, après s'être recueillie, elle se trouva dans un doux repos d'esprit, et le Seigneur infiniment bon, qui, à de grands bienfaits en ajoute souvent de plus grands encore, lui montra par avance, dans une sorte d'extase, les heureuses circonstances dont il voulait entourer sa sortie de ce monde.

Il lui sembla donc qu'elle reposait pendant son agonie sur le sein du Seigneur, appuyée contre son Cœur sacré... Une multitude infinie d'anges et de saints arrivèrent avec grande joie... Comme celle-ci invoquait la sainte Vierge par l'antienne: “Salut, ô Marie, accordez-nous de vous ressembler”, le Seigneur appela sa bienheureuse Mère pour qu'elle se préparât à venir consoler son élue. Alors la Reine des vierges, éclatante d'une nouvelle beauté, s'inclina, et, de ses douces mains, soutint avec une admirable tendresse la tête de la malade. Son saint ange gardien était aussi présent...

La malade ayant invoqué saint Michel archange, ce grand prince lui offrit ses services, et se prépara à la défendre contre les embûches des démons qui étaient là aussi... Alors, le fervent amour contenu dans le cœur de la malade parut sortir de ses lèvres sous la forme d'une colonne de feu qui monta jusqu'au glorieux trône de la Majesté divine avec une telle vertu que, dès lors, l'âme n'eut plus besoin de la protection des saints anges pour se défendre contre les embûches du démon, car ceux-ci, effrayés et confondus par la force de la dévotion qui s'échappait ainsi de ses lèvres, prenaient la fuite en cherchant où se cacher...

Comme la malade appelait à son secours tous les chœurs des saints, ainsi que le fait l'Église auprès des agonisants, chaque chœur vint en grande révérence se mettre à son service: les patriarches, les saints prophètes, le disciple bien-aimé, Jean, apôtre et évangéliste; ce disciple bien-aimé passa avec affection deux cercles d'or au doigt annulaire de Gertrude. Tous les apôtres le suivaient; et après eux, les saints martyrs... et les saints confesseurs, et les saintes vierges...

Quand celle-ci fut ornée des fleurs de toutes ces vierges, le Seigneur s'inclina vers son épouse, et elle demeura jointe à lui par des agrafes d'or qui lui procurèrent autant de doux sentiments sur la Bonté divine. Elle fut heureuse alors de comprendre la béatitude que peut nous procurer la faveur de ces vierges illustres, lorsque, pour l'amour de leur céleste Époux, elles daignent se montrer bienveillantes à l'égard d'une âme.

Vinrent ensuite les saintes veuves et tous les autres saints, et les saints Innocents... Enfin le Fils du Très-Haut, le Roi de gloire, s'inclina avec une tendresse infinie, comme pour embrasser l'épouse qui reposait ainsi délicieusement sur son sein. Le soleil dans la chaleur de son midi absorbe et fait disparaître la petite goutte de rosée; de même le Fils de Dieu, par sa vertu divine, attira en lui cette âme bienheureuse, ornée de tous les biens que les saints lui avaient offerts. Le fer soumis à l'action du feu devient aussi incandescent que le feu lui-même, ainsi le Seigneur, en l'enveloppant et la pénétrant tout entière, la rendit semblable à lui. (Livre 5 Ch. 32)

5-5-Quelques conseils du Seigneur destinés à ceux qui vont mourir

Le Seigneur daigna donner quelques conseils à ceux qui se préparent à bien mourir:

 Si quelqu'un désire être consolé à ses derniers moments par une visite semblable, qu'il ait soin chaque jour de se revêtir d'habits magnifiques, c'est-à-dire d'imiter les œuvres de ma très sainte vie.

 Qu'il monte sur le char de son corps et se laisse guider en tout par l'esprit.

 Qu'il s'efforce de subjuguer son corps et place dans mes mains les rênes du coursier, c'est-à-dire la direction de sa volonté propre, croyant avec confiance que ma bonté le conduira dans le bien et l'encouragera paternellement;

 Qu'il offre pour ma gloire toutes ses peines et ses souffrances, et en retour, je le parerai de pierres précieuses, et d'ornements variés

 S’il arrive que la fragilité humaine lui fasse parfois ressaisir les rênes qu'il m'avait confiées pour suivre sa volonté propre, qu'il efface aussitôt cette faute par la pénitence et remette de nouveau sa volonté entre mes mains; alors la droite de ma miséricorde le recevra et le conduira avec gloire et honneur au royaume de l'éternelle lumière. (Livre 5 Ch. 27)

Une promesse du Seigneur

Nous serons jugés tels que nous serons trouvés à notre dernier moment; aussi, rien ne nous est plus nécessaire que de prier Dieu pour obtenir une bonne mort. Mais nous sommes tellement chargés du poids de nos péchés que Dieu ne nous exauce pas ; c'est pourquoi, si nous voulons avoir une heureuse fin, nous devons prier le Seigneur de nous accorder par son épouse bien-aimée une mort plus sainte que celle que nous aurions pu obtenir par nous-mêmes. En effet le Seigneur lui a juré, par les saintes douleurs de sa Passion (et il a scellé sa promesse par sa mort innocente) que celui qui s'adresserait à elle durant sa vie soit au moment de sa mort, soit dans la suite des âges afin d'obtenir une heureuse fin, serait exaucé au delà de ses désirs. (Livre 5 Ch. 29)

6-Réflexions concernant la mort

6-1-L’Eucharistie et la mort

6-1-1-L’Eucharistie garante d’une bonne mort

L’auteur du Livre 3 rapporte une confidence de Gertrude d’Helfta sur l’importance de l’Eucharistie au moment de la mort.

Si, en vertu de l’union que la sainte Eucharistie établit entre Dieu et l'homme, tous les biens de ce dernier prennent une plus grande valeur, combien davantage, à l’heure de la mort et après la réception du Corps du Christ, tous les actes accomplis dans une intention pure seront-ils méritoires! Souffrir avec patience, manger ou boire, tout cela mettra le comble aux mérites éternels de l'âme, en vertu de cette union incomparable contractée avec Dieu dans le Sacrement de vie. (Livre 3 Ch. 35)

6-1-2-L’Eucharistie et la mort des prêtres

Un jour, Gertrude se prit à soupirer:

 Ah! pensait-elle, les prêtres jouiront d’une gloire bien plus grande que la nôtre, eux qui, en raison de leur ministère, communient tous les jours!

 Certainement, reprit le Seigneur, une gloire éclatante est réservée à ceux qui me reçoivent dignement. Mais il ne faut pas confondre l'amour d'une âme qui communie avec la gloire dont est revêtu celui qui célèbre les mystères. Les récompenses sont diverses: autre pour le cœur brûlant d'amour et de désirs, autre pour celui qui me reçoit avec crainte et révérence, autre encore pour ceux qu'une longue et fervente préparation dispose à se nourrir de ma chair sacrée. Mais aucune de ces trois n'est réservée au prêtre qui célébrerait les divins mystères avec froideur et par routine. (Livre 3 Ch. 36)

6-1-3-La communion fait la joie du Seigneur

Gertrude se préparait à mourir, mais l’Époux tardait. Alors elle demanda:

 Et quand daignerez-vous, ô Dieu très fidèle. me conduire de la prison de l'exil au repos de la béatitude ?

Le Seigneur, étonné, répondit :

 Quelle royale épouse a jamais été si pressée d'entendre les acclamations et les souhaits de bienvenue de son peuple, qu'elle ait songé à se plaindre d'un retard que son époux charmait par les caresses et les baisers de son amour ?

 Seigneur, dit-elle, quelles délices trouvez-vous donc en moi, rebut de toute créature, pour les comparer aux marques d'affection mutuelle de l'époux et de l'épouse ?

Le Seigneur répondit en donnant un enseignement très précieux sur le sacrement de l’Eucharistie :

 Ces délices je les trouve en me donnant à toi par le sacrement de l'autel, dans cette union qui n'existera plus après cette vie; elle a pour moi des charmes infinis, dont les démonstrations de l'amour humain ne peuvent donner la moindre idée. Les affections terrestres passent avec le temps; mais la douceur de cette union par laquelle je me donne à toi dans le sacrement de l'autel ne peut s'affaiblir. Au contraire, plus elle se renouvelle, plus elle prend de vigueur et d'efficacité. (Livre 5 Ch. 28)

6-2-Que se passe-t-il au moment de la mort?

6-2-1-La présence inévitable de Satan

Elle apportait une fois moins de zèle et de soin à la récitation des heures canoniales, lorsqu'elle aperçut, à son côté, l'antique ennemi du genre humain qui s’efforçait de l'imiter par dérision, et achevait le psaume 118, Mirabilia testimonia tua... en précipitant et en supprimant les syllabes et les mots. Après avoir terminé le verset, il lui dit:

 Vraiment ton Créateur, ton Sauveur, l'Ami de ton âme a bien placé ses dons en t'accordant une si grande facilité d'élocution! Ta bouche a le talent de prononcer d'admirables discours sur n'importe quel sujet; mais lorsque tu t'adresses à Dieu, tes paroles sortent avec une telle précipitation, que dans un seul psaume, tu as omis: tant de lettres, tant de syllabes et tant de mots !

Elle comprit alors que si cet ennemi rusé avait compté si exactement et par le menu, les lettres et les syllabes omises dans la psalmodie, il pourrait, au moment de la mort, porter une terrible accusation contre ceux qui réciteraient habituellement les heures avec négligence et précipitation. (Livre 3 Ch. 32)

6-2-2-Saint Michel Archange

Gertrude fit aussi une révélation sur la présence des anges au moment de la mort, et spécialement de l’archange saint Michel qui chasse les démons. Gertrude est de nouveau malade et se prépare à la mort. Sa confidente raconte:

La malade ayant invoqué saint Michel archange, ce grand prince se présenta avec une multitude d'anges. Il lui offrit ses services, et se prépara à la défendre contre les embûches des démons qui étaient là aussi comme dans un coin de la chambre, sous forme de crapauds et de serpents. On les voyait toutefois si impuissants, qu'ils ne pouvaient lever la tête ou tenter le moindre effort contre l'âme, sans retomber aussitôt vaincus et déconcertés par la gloire d'une si haute majesté; l'âme éprouvait à cette vue une grande consolation.

Alors, le fervent amour contenu dans le cœur de la malade parut sortir de ses lèvres sous la forme d'une colonne de feu qui monta jusqu'au glorieux trône de la Majesté divine avec une telle vertu que, dès lors, l'âme n'eut plus besoin de la protection des saints anges pour se défendre contre les embûches du démon, car ceux-ci, effrayés et confondus par la force de la dévotion qui s'échappait ainsi de ses lèvres, prenaient la fuite en cherchant où se cacher. (Livre 5 Ch. 32)

7-Conclusions

7-1-Gertrude offre son Livre

Ô Christ Jésus, Lumière qui êtes la source des lumières éternelles, je vous offre dans ce livre le nectar précieux de votre bonté infinie, que la douceur efficace de votre insondable Divinité a fait jaillir des sources profondes de votre Cœur si rempli d'amour, pour qu'il arrose, féconde, béatifie, attire et unisse inséparablement à vous le cœur et l'âme de votre élue...

Je vous prie, avec le désir et l'affection de toutes les créatures, d'attirer en vous ce livre par l'amour de votre Esprit très suave...

Je vous l'offre comme une action de grâces suffisante pour toute la félicité que vous avez donnée, que vous donnez encore et que vous donnerez dans l'avenir à ceux qui liront ces pages, et qui, selon votre promesse, y puiseront consolation, inspiration, instruction, et même à ceux qui y trouveraient tous ces biens, si votre bonté, ô mon Dieu, voyait en eux quelque disposition à les recevoir... Je vous l'offre en expiation des outrages et des mépris que, par suite de la fragilité humaine, ou par une instigation du diable, on déversera (ce dont votre miséricorde nous préserve) sur votre bonté infinie, qui se montre si clairement dans ces pages et s'y fait goûter avec tant de douceur.

Je vous l'offre, afin d'obtenir toutes les grâces que l'amour et la gratitude de votre Cœur divin peuvent donner à tous ceux qui, pour l'amour de votre amour, reliront ce livre avec humble dévotion et tendre reconnaissance, et s'efforceront de pratiquer les enseignements qu'il contient, par révérence pour le Dieu dont tous les biens émanent.

En voyant que votre bonté infinie, ô Dieu de mon cœur, a daigné me choisir pour faire connaître des grâces si sublimes, moi, vil atome, ou pour parler plus exactement, vrai rebut de tout l'univers, et considérant aussi que, dans ma pauvreté, je ne puis rien vous rendre en retour, je vous offre votre Cœur très doux, seul don infiniment précieux, avec toute la richesse qu'il contient, la divine reconnaissance et la suprême perfection de la béatitude. (Livre 5 Ch. 35)

7-2-Jésus accepte l’offrande du Livre et fait une précieuse promesse

Mais rien ne devra jamais être changé à ce texte.

Une autre fois, comme la sœur[3]  qui a recueilli tout ce qui précède devait communier et voulait offrir son travail à Dieu en louange éternelle, elle cacha le livre dans la manche de son vêtement, à l'insu de tout le monde, et le présenta ainsi au Seigneur.

Tandis que, selon la coutume, elle était agenouillée et profondément inclinée devant le Corps du Seigneur, une autre personne vit ce divin Seigneur s'élancer vers elle dans l'empressement de son amour infini, l'entourer tendrement de ses bras et lui dire avec effusion:

 Je pénétrerai de la douceur de mon divin amour, et je rendrai fécondes toutes les paroles du Livre qui m'est offert, car il a été écrit, en vérité, sous l'impulsion de mon Esprit. Quiconque viendra à moi d'un cœur humble et voudra lire ces pages pour l'amour de mon amour, je le prendrai dans mes bras et je lui montrerai, comme du doigt, les passages qui lui seront utiles. En outre, je m'inclinerai vers lui avec une grande bonté...

Mais celui qui, poussé par une vaine curiosité, voudra scruter et fausser le sens de ce livre, je le traiterai comme un insolent qui se penche pour lire par-dessus mon épaule; certes, je ne supporterai ni son poids gênant, ni même sa présence, et je n'hésiterai pas à le confondre par ma force divine. (Livre 5 Ch. 34)

7-3-Jésus recommande “son” Livre, “Le Héraut” 

Lorsque cet ouvrage fut terminé, le Seigneur Jésus  apparut à celle-ci[4]: il tenait le Livre serré contre lui et disait:

 Je presse mon Livre contre ma poitrine sacrée, afin que tous les mots qu'il contient soient pénétrés jusqu'aux moelles par la douceur de ma Divinité, comme une bouchée de pain frais est pénétrée par l'hydromel. Celui qui lira ce Livre avec une humble dévotion y trouvera le fruit du salut éternel.

Elle demanda alors au Seigneur de daigner, pour son honneur et sa gloire, préserver cet ouvrage de toute erreur. Le Seigneur, étendant la main, marqua le Livre du signe de la Croix en disant:

 Comme, à la messe, j'opère la transsubstantiation[5] du pain et du vin pour le salut des hommes, ainsi je sanctifie en ce moment par ma céleste bénédiction tout ce qui est écrit ici, afin que tous ceux qui liront trouvent le salut.

Et le Seigneur ajouta:

 La personne qui a écrit mon Livre a fait un travail aussi agréable pour moi que si elle m'avait environné de flacons de parfums aussi nombreux que les lettres ici tracées.

Trois choses me plaisent spécialement dans ce Livre:

            J'y goûte l'inexprimable douceur de mon divin amour, source véritable de tout ce qu'il contient ;

            J'y respire l'agréable parfum que dégage la volonté bonne de la personne qui l'a écrit;

            Enfin je me réjouis d'y voir retracés presque à chaque page les effets de ma bonté infinie.

Comme mon amour t'a inspiré les choses écrites dans ce Livre, de même il les a gardées dans la mémoire de celle à qui tu en as fait le récit; elle les a rassemblées, disposées et écrites selon mon désir. C’est pourquoi je veux que mon Livre ait pour couverture ma très sainte vie, pour ornements les joyaux vermeils de mes cinq plaies. De plus ma bonté divine le scellera  par les dons du Saint-Esprit comme par sept sceaux, en sorte que nul ne puisse l'arracher de mes mains. (Livre 5 Ch. 33)

7-4-Conclusion générale du “Héraut”

7-4-1-L’assistance divine

Ce Livre a été écrit pour la louange et la gloire du Dieu qui aime à sauver les hommes. Pour l'abréger, nous avons omis un nombre de traits presque infini. Toutefois il a été achevé avec un secours si évident et si miraculeux de la miséricorde divine, que cette assistance seule suffirait à montrer le fruit qu'en attend pour les âmes Celui qui nous prévient et nous comble de ses meilleurs dons.

7-4-2-L’utilisation des images et des symboles

Le courant des divines effusions ne s'est pas épuisé en se dirigeant vers cette élue, mais tout en nous distribuant la grâce qui nous convenait, il a conduit son élue, par les diverses images qui lui ont été présentées, comme par une suite de degrés ascendants, jusqu'aux sources mystérieuses de la divine Sagesse; sources très excellentes et très pures, où elle a puisé des lumières qu'aucune image sensible ne pourrait transmettre aux intelligences qui n'ont rien éprouvé de semblable.

7-4-3-Conseils pour la lecture de ce Livre

Que la bonté infinie de Dieu fasse fructifier, pour le salut des âmes, toutes ces grâces et tout ce que ce Livre renferme. Que ces âmes produisent du fruit au centuple et méritent d'être inscrites au livre de vie. Enfin, que les commençants, trop faibles pour nager dans le fleuve de l'amour divin, se servent de ces pages comme d'un véhicule qui les aide à cheminer vers Dieu. Que la vue des grâces accordées à d'autres âmes les conduise comme par la main, à la lecture, à la méditation et à la contemplation, afin qu'ils commencent à goûter combien le Seigneur est doux, et combien est vraiment heureux l'homme qui espère en Dieu et jette en lui toute sa sollicitude.

Qu'il daigne en sa bonté nous accorder cette grâce, Celui qui, étant Dieu, vit et règne dans une Trinité parfaite dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il. (Livre 5 Ch. 36)

Prière de Gertrude attendant la mort

(Passages d’un hymne de l’office)

Vous, mille fois désiré,
Ô mon Jésus, quand viendrez-vous ?
Quand me rendrez-vous heureux ?
Quand pourrai-je me rassasier de vous ?

Venez, venez, ô le meilleur des rois,
Père de la gloire infinie ;
Apportez-nous la joie et la lumière ;
Nous attendons depuis longtemps.

Que votre tendre amour vous presse
De triompher de notre malice ;
Pardonnez, comblez nos vœux
Et rassasiez-nous par la vue de votre face.


Quelques repères chronologiques

1054-Le grand schisme d’occident

1248-1254-Septième croisade

1256 (6 janvier)-Naissance de Gertrude d’Helfta

1261-La petite Gertrude de cinq ans est remise au monastère d’Helfta, situé près d’Eisleben, en Saxe. Personne ne connaîtra ni ses parents, ni son nom.

1268-1270-Huitième croisade

1268-Prise de Jaffa et Antioche par les Mamelouks.

1270-Entrée au monastère d’Helfta de la béguine Mechtilde de Magdebourg.

1281 (27 janvier)-Conversion de Gertrude

1289-Gertrude commence à écrire le Livre 2 du Héraut

1291-Mort de l’abbesse Gertrude de Hackeborn

1291(18 mai)-Entrée des armées musulmanes à Saint-Jean d'Âcre.

1291(28 mai)-Chute de Saint-Jean d'Âcre.

1296-L’interdit

1301 (17 novembre)-Mort de sainte Gertrude d’Helfta

1343-Pillage du monastère

1525-Destruction du monastère

1536-Les Chartreux de Cologne publient une première édition du Héraut de l’amour divin

1673-Apparitions du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie

Quelques grands contemporains
de sainte Gertrude d’Helfta

1170-1221-Saint Dominique

1186-1226-Saint François d’Assise

1193-1253-Sainte Claire d’Assise

1195-1231-Saint Antoine de Padoue

1214-1270-Saint Louis, Roi de France

1221-1274-Saint Bonaventure

1225-1274-Saint Thomas d’Aquin

1265-1321-Dante

1285-1314-Philippe le Bel, roi de France

Bibliographie

Œuvres de Gertrude d’Helfta

– Œuvres spirituelles

Le Héraut - Livres 1 à 3. Traduction de Pierre DOYÈRE (moine de l’Abbaye Saint Paul de Wisques) – Éditions du Cerf 1968

– Les Exercices de Sainte Gertrude d'Hefta. Traduction du Père Emmanuel, OSB oliv., Paris 1919

– Le Héraut de l’Amour Divin. Livres 1 à 5 Traduction de “Insinuationes divinæ pietatis” par des moines bénédictins en 1884


[1] C’est-à-dire le psautier tout entier, soit les 150 Psaumes.
[2] Bien que cette vue anticipée de la mort de Gertrude d’Helfta ne puisse être donnée comme récit historique, cependant elle en est l'exposition mystique, comme ce livre entier est l’histoire mystique de sa bienheureuse vie. Ceci nous semble avoir été écrit peu de temps avant sa mort, qui eut lieu vers l'an 1302 (Note de l'édition latine.)
[3] Probablement la confidente auteur des livres 4 ou 5.
[4] Gertrude d’Helfta.
[5] Il est bon de noter que le mot transsubstantiation était déjà usité dans la patrie de Luther en l'an 1300.

    

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