

Nous sommes en 1841. La ville de
Turin s’agrandissait rapidement, et les entreprises de construction embauchaient
de nombreux jeunes
apprentis venus du Piémont et de la Lombardie. Mais ceux qui
ne pouvaient pas être pris, -pour la plupart des enfants, et ils étaient
nombreux- erraient oisifs, abandonnés par leurs parents, livrés à la mendicité
et aux vices. La misère était profonde et la graine de prison abondante. À la
suite de don Cafasso qui visitait les prisons, don Bosco découvrit ces milieux
sordides où les “plus vieux” achevaient de corrompre les plus jeunes.
Souvent, le soir, Jean rencontrait
cette jeunesse abandonnée de tous. Il se heurtait à des bandes de voyous sales,
qui se battaient, jouaient à des jeux d’argent; et il était fort triste. Un soir
cependant un déclic se fit dans son esprit: ces scènes, il les connaissait, il
les avait déjà vues. Mais dans ses songes, ces loups devenaient des agneaux
quand un ami leur fut envoyé du ciel... Don Bosco ne serait-il pas cet ami?
Le 8 septembre 1841, jour consacré
à la Sainte Vierge, un garçon inconnu, pauvrement habillé, entra dans la
sacristie où don Bosco se préparait pour sa messe. Le sacristain se hâta de le
chasser, mais don Bosco le retint:
— Approche, mon ami. je ne te
ferai pas de mal. Comment t’appelles-tu?
— Barthélemy Garelli.
— De quel pays es-tu ?
— D’Asti
— Quel est ton métier ?
— Maçon.
— Tu as encore ton père ?
— Non, il est mort ?
— Et ta mère ?
— Morte aussi.
— Quel est ton âge ?
— Seize ans.
— Sais-tu lire ? Écrire ?
— Ni l’un ni l’autre...
— Chanter ? Siffler ?
L’adolescent se mit à rire,
l’amitié naissait. La conversation continua pendant quelques instants, puis
don Bosco demanda au garçon de l’attendre pendant qu’il dirait sa messe.
Dès que l’enfant se fut éloigné,
don Bosco se mit à genoux et récita un Ave Maria. Après la messe, don
Bosco emmena son jeune ami dans un réduit attenant à la sacristie et commença sa
première leçon de catéchisme. Une grande œuvre était en train de naître: oui,
c’est vers ces petits qu’il irait désormais.
La première leçon que don Bosco
donna à Barthélemy Garelli dura à peine une demi-heure, mais don Bosco lui
demanda de revenir le dimanche suivant, avec des copains. Ce jour-là, ils
étaient neuf: Barthélemy et six amis amenés par lui, et deux autres envoyés par
don Cafasso. Quelques mois après ils furent quatre vingt, puis cent. Une
question se posa alors: où mettre à l’abri cette jeunesse tapageuse? Don Guala
et don Cafasso, les supérieurs de don Bosco, l’hébergèrent dans la cour du
Convitto, le Collège ecclésiastique. Le premier patronage de don Bosco était né:
il lui donna le nom d’Oratoire[1].
Cela dura trois ans, puis don Bosco
ayant achevé ses études, il fallut partir. Heureusement, la marquise de Barolo,
veuve dotée d’une immense fortune et d’un excellent cœur accueillit don Bosco et
sa bande dans le Refuge Sainte Philomène qu’elle était en train de créer
pour recueillir des orphelines. Mais, dès que les orphelines arrivèrent,
don Bosco dut encore partir avec ses trois cents garçons...
Où, maintenant, abriter son
patronage ?
Le patronage de don Bosco qui se
réunissait tous les dimanches devint alors le Patronage volant.
Don Bosco rencontra mille et une
difficultés, sans compter les attaques et les calomnies. Bientôt il y eut quatre
cents garçons autour de lui. C’est alors que survint un épisode qui aurait pu
être dramatique mais que l’humour du Seigneur transforma pour nous en éclat de
rire: don Bosco dérangeait trop, il voyait trop grand: c’était un vrai cas de
mégalomanie... Il fallait l’arrêter avant qu’il ne soit encore plus malade...
d’autant plus qu’il osait déclarer à son ami, l’abbé Borel :
— D’ici peu, je serai à la tête
d’un vrai patronage.
— D’un patronage!
— Comme je te le dis. Je le
vois, je le touche des yeux, détail par détail: église, cour, préau, rien n’y
manque.
— Mais où ça ?
— Je ne puis encore le dire;
mais ça existe , nous le posséderons.
Tout ce que faisait ou racontait
Jean Bosco étonnait, dérangeait... Pauvre don Bosco! Il était vraiment malade;
déjà on pensait en haut lieu à lui procurer quelques semaines de repos. C’est
alors que l’on vit atterrir chez don Bosco deux vénérables chanoines venus
s’enquérir de ses projets d’avenir. Et don Bosco dévoila ses projets: œuvre
immense avec des cours, des classes du soir, des ateliers, une église pouvant
contenir au moins 500 enfants. Et pour l’aider, des prêtres, des catéchistes,
des surveillants, des professeurs, des chefs d’atelier,...
— Toute une armée, quoi !
— C’est le mot...
— Songeriez-vous à fonder un
ordre religieux ?
— Vous l’avez dit.
C’est sûr, don Bosco était bien
malade!... Et sur cette pensée les deux visiteurs se retirèrent, dûment
convaincus: c’était l’idée fixe bien caractérisée. Il fallait agir vite.
Et l’on agit vite.
À quelques jours de là, deux grands
personnages, deux ecclésiastiques: le curé de la Paroisse saint Augustin de
Turin, et un autre dont l’histoire a pudiquement oublié le nom, se présentèrent
chez don Bosco. On parla de la pluie et du beau temps, puis des projets de don
Bosco. Et notre ami répéta ce qu’il avait déjà dit et exposé. C’est vrai, il
déraille pensèrent nos deux compères; il faut se hâter. La voiture qui les avait
amenés était toujours là, à la porte:
— Don Bosco, n’auriez-vous pas
envie de faire une petite promenade? Nous avons en bas un excellent fiacre.
— Mais bien sûr, mes bons
messieurs! Enchanté! Je suis à vous tout de suite.
Deux minutes plus tard les trois
prêtres arrivaient devant la portière du fiacre:
— Montez donc, don Bosco, dirent
les deux complices.
— Oh! je n’en ferai rien ; je
connais trop le respect que je vous dois.
— Mais non, mais non, montez.
— Non, non, après vous, je vous
en prie.
Les deux chanoines durent
s’exécuter et monter les premiers. À peine le deuxième avait-il franchi la
portière que don Bosco la ferma brusquement et jeta un ordre impérieux au
cocher:
— Vite, à la maison de santé.
Le cocher, qui avait été dûment
chapitré, démarra immédiatement et arriva bientôt à la maison de santé dont le
personnel, alerté, ferma soigneusement le portail d’entrée, et se précipita pour
accueillir le malade. Curieux! Il y en avait deux, criant, gesticulant d’une
manière bien désordonnée:
— Mais ils sont en pleine crise!
Il ne sera pas facile de les maîtriser sans moyen violent, pensèrent les
employés.
Les cris ameutèrent tout le
personnel: les médecins, le directeur, l’aumônier... Au bout d’un certain temps
le mystère fut éclairci, et certains durent bien rire. Mais plus jamais personne
ne parla de l’incurable folie de don Bosco...
Cependant cet épisode burlesque ne
fit pas cesser les difficultés et le patronage pérégrina pendant plus de
dix-huit mois, jusqu’au jour où on lui proposa un hangar pompeusement appelé “La
maison Pinardi”, situé dans un quartier pauvre de Turin, le Valdocco. Nous
sommes en 1846.
Don Bosco était à bout de forces et
en juillet 1846 une pneumonie grave avec hémoptysie le conduisit aux portes de
la mort. Il reçut les derniers sacrements et tout le monde attendait son départ
vers le ciel... Mais c’était sans compter avec la force de la prière.
Les jeunes du patronage se
relayaient sans cesse, nuit et jour, au pied du Saint-Sacrement; beaucoup
jeûnaient au pain et à l’eau. Ils imploraient Dieu, nuit et jour; pourtant ils
travaillaient dur dans la journée pour gagner leur vie! Le Seigneur les
entendit, et contre toute attente don Bosco guérit.
Don Bosco était guéri, mais faible
et il dut se reposer quelques semaines aux Becchi. Puis il regagna la maison
Pinardi, mais pas seul. Désormais maman Marguerite assistera son fils dans ses
tâches matérielles. Et Dieu sait qu’elles ne manqueront pas ces tâches!
Le patronage avait un toit... Mais
don Bosco voulait poursuivre les cours du soir qu’il avait inaugurés l’année
précédente: ses “enfants” devaient savoir lire. Don Bosco ouvrit donc une salle
de lecture, et pour cette tâche, il se fit aider par les plus grands et les plus
capables qu’il formait peu à peu à leur tâche d’instituteur. Les futurs cadres
de l’Œuvre émergeraient bientôt.
En 1847, don Bosco accueillait
près de 600 jeunes. Il fallut essaimer, et c’est ainsi que naquirent, après
celui du Valdocco, les nouveaux patronages de Saint-Louis, et de
L’Ange Gardien. Bientôt on proposa à don Bosco d’acheter la maison
Pinardi... mais avec quel argent?
La façon dont don Bosco réussissait
à payer ses factures tient souvent du miracle. Ainsi, il avait été conclu entre
le propriétaire et don Bosco du prix de la maison Pinardi: l’équivalent de 30
000 francs payables en huit jours.
Don Bosco n’avait pas le moindre
centime, mais une confiance illimitée en la Providence et en Marie
Auxiliatrice... Don Cafasso apporta 10 000 francs, don de la comtesse Ricardi.
Le lendemain un religieux vint consulter don Bosco sur l’emploi d’une somme qui
venait de lui être confiée: 20 000 francs. Et le banquier paya les 3 000 francs
de frais. Le 19 février 1851, la maison Pinardi était acquise...
Don Bosco allait pouvoir ouvrir
largement son internat. Bientôt, il y eut 30 pensionnaires, les premiers
internes des futures maisons de don Bosco. Les anciens de ses premiers fils qui
avaient connu ces temps héroïques diront plus tard: “On manquait de tout,
mais qu’on était heureux!” Maman Marguerite, âgée de 65 ans s’occupait de
tout le matériel, lavant, cousant, reprisant pour que les pensionnaires aient
des habits décents. Quelle sainteté!
La chapelle-hangar étant devenue
trop petite, il fallut construire une église qui fut achevée et livrée au culte
en juin 1852. Il fallait aussi remplacer la vieille maison Pinardi, délabrée,
mal commode et surtout trop petite. Terminé en octobre 1853, le nouveau bâtiment
pouvait abriter 65 élèves. Bientôt don Bosco pourra réaliser son rêve: ouvrir un
cours d’enseignement secondaire, des ateliers de cordonnerie, de tailleur, de
menuiserie, de serrurerie, et enfin une imprimerie.
Bientôt les cadres et le personnel
enseignant de la future première maison salésienne seront prêts. À ceux qui le
félicitaient don Bosco répondait:
— Je me suis laissé conduire par
les événements.
En octobre 1854 don Bosco rencontra
Dominique Savio pour la première fois. Après un bref examen, don Bosco accepta
son admission sans délai au vu de ses qualités tant intellectuelles que
spirituelles. Don bosco avait, en effet, été "stupéfait de découvrir l'œuvre
que la grâce divine avait déjà accomplie en un garçon si jeune." (voir
annexe 4)
Le 25 novembre 1856, la sainte
maman Marguerite s’en allait vers le Seigneur. À la demande exprès de don Bosco,
c’est la Vierge Consolatrice qui la remplacera et qui veillera sur le troupeau.
Mais que de chemin parcouru depuis 10 ans! Beaucoup de personnes commençaient à
croire aux rêves de don Bosco... (voir Annexe 1)
[1] Appelé
aussi Patronage

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