LIVRE 10

DE L’ESPRIT DE PARESSE

CHAPITRE 1

Que le sixième combat est contre l'esprit de paresse. Nature de ce vice

Notre sixième combat est contre le vice que les Grecs appellent AKIDIA et que nous pouvons nommer, nous, dégoût, anxiété du coeur. Il est parent de la tristesse, et connu particulièrement des solitaires. C'est, en effet, à ceux qui demeurent dans le désert qu'il s'attaque avec le plus de violence et le plus fréquemment. Il tourmente surtout le moine vers la sixième heure, telle une fièvre réglée dont les accès consument d'un feu ardent l'âme malade à des heures régulières et déterminées.
Quelques-uns parmi les plus anciens déclarent que c'est là le démon de midi dont il est parlé au psaume 90.

CHAPITRE 2

Comment la paresse se glisse dans le coeur du moine. Dommages qu'elle cause à l'âme.

Malheureux le moine que ce démon possède ! Il commence par prendre en horreur les lieux qu'il habite; sa cellule lui est à dégoût; il n'éprouve que dédain et mépris pour les frères, pour ceux qui sont auprès comme pour ceux qui sont éloignés : ils sont si négligents, et point spirituels ! Les travaux qu'il devrait accomplir à l'intérieur, le trouvent sans entrain et sans courage. Il est incapable de demeurer dans sa cellule, de s'appliquer à la lecture.
Puis, ce sont des gémissements, des plaintes, des soupirs, des doléances répétées. A demeurer si longtemps dans la même cellule, marque-t-il quelque progrès ? Peut-il faire quelque fruit, tant qu'il sera lié à cette compagnie ? Il reste là, dénué de tout profit spirituel, stérile. Lui qui pourrait en gouverner d'autres et se rendre utile à beaucoup, il n'a encore édifié personne; pas une âme qu’il ait formée, instruite, gagnée enfin !
Là-dessus, il magnifie les monastères qui sont en d'autres parages, très loin. Il décrit ces lieux comme plus utiles au progrès, plus favorables au salut. Il y dépeint la société des frères comme pleine d'agrément, et féconde au point de vue de la vie spirituelle. Au contraire, tout ce qui l'entoure est fâcheux. Et non seulement il ne trouve aucune édification auprès des frères qui habitent en cet endroit, mais il ne peut même s'y procurer de quoi vivre sans un labeur énorme. Bref, point de salut pour lui, s'il demeure. Persévérer plus longtemps dans sa cellule, c’est se condamner à périr avec elle. Il ne reste qu'à partir au plus vite.
Autre tourment. Voici la cinquième, la sixième heure du jour. La paresse lui suscite une lassitude immense, une faim terrible. Il lui semble qu'il est épuisé, las, comme après une longue route ou un pénible travail, ou comme s'il avait jeûné deux ou trois jours. Anxieux, il promène ses regards de-ci, de-là. Hélas ! nul frère à l'horizon. Et de soupirer. Il sort, il rentre; il interroge à tout moment le soleil : qu'il est lent à s'avancer vers le couchant ! Une confusion déraisonnable s'empare de son esprit et le noie en d'épaisses ténèbres. Arrêt de la vie spirituelle, la stérilité, le vide ! Il ne voit plus de remède à un tel assaut, que de faire visite à quelque frère, ou de se consoler en dormant.
La même maladie lui suggère, sous des couleurs honnêtes et des apparences de nécessité, des politesses à porter aux frères, des visites à rendre à tels malades qui demeurent loin, fort loin. Elle lui dicte certains devoirs de piété et de religion. Il devrait s'enquérir de tels parents ou parentes, les aller saluer plus souvent. Il est telle femme pieuse et consacrée à Dieu, par-dessus tout destituée de secours du côté de ses parents : ne serait-ce pas grande oeuvre pie de la voir fréquemment ? Et, si elle a besoin de quelque chose, que la négligence de ses parents dédaigne de lui fournir, ne serait-il pas très saint de le lui procurer ? Ne faut-il pas plutôt se dépenser en ces soins pieux, que de rester immobile dans sa cellule, sans fruit et sans progrès ?

CHAPITRE 3

En combien de façons la paresse triomphe du moine

Ainsi va l'infortuné, battu par les machines de guerre de ses ennemis, jusqu'à ce que, fatigué par l'esprit de paresse, comme par un bélier puissant, il s'abandonne au sommeil, ou se laisse pousser hors de sa cellule, pour aller chercher consolation dans la visite d'un frère.
Mais le remède dont il use présentement, ne fera qu'augmenter son mal l'instant d'après. L'adversaire multiplie ses attaques et les fait plus cruelles contre celui qu'il sait devoir tourner le dos sur-le-champ, dès l'ouverture du combat, et qu'il voit espérer son salut, non de la victoire ni de la lutte, mais de la fuite. Peu à peu, il le tire hors de sa cellule. Alors, le moine commence d'oublier l'acte essentiel de sa profession, qui consiste uniquement à regarder et contempler la pureté infiniment excellente de Dieu; car celle-ci ne se trouve que dans le silence, par la persévérance dans la cellule et la méditation continuelle. Soldat fugitif, déserteur du Christ, il «s'embarrasse dans les affaires du siècle», et cesse, par le fait même, de plaire «à celui qui l'a enrôlé». (II Tim 2,4).

CHAPITRE 4

La paresse aveugle l'esprit et empêche la contemplation des vertus

Le bienheureux David a très heureusement exprimé tous les inconvénients de cette maladie dans cet unique verset : «Mon âme, dit-il, s'est assoupie d'ennui.» (Ps 113,28). Il dit : «Mon âme», et non pas : «Mon corps»; et rien n'est plus juste. Car l'âme est assoupie en vérité pour ce qui touche la contemplation des vertus et le regard vers les pensées spirituelles, lorsqu'elle a été blessée par le trait de cette passion.

CHAPITRE 5

L'attaque de la paresse est double

Le véritable athlète du Christ, qui désire combattre selon les règles le combat de la perfection, doit donc expulser promptement cette maladie, comme les autres, des retraites de son âme, et, combattre de droite et de gauche contre ce fatal esprit de paresse, c'est-à-dire, ne point tomber, vaincu par le trait du sommeil, ni se laisser pousser hors de la clôture du monastère et s'éloigner comme un déserteur, sous quelque pieuse apparence que ce soit.

CHAPITRE 6

A quelle chute aboutissent ceux qui commencent à se laisser vaincre par la paresse

Dès qu'en effet la paresse a réussi à triompher du moine par quelque endroit, ou bien elle le laisse demeurer dans sa cellule, mais inerte et soumis à sa discrétion, ou bien elle le pousse dehors et en fait pour le reste du temps un instable et un vagabond. Lâche à tout travail, il parcourt sans cesse les cellules des frères et les monastères, uniquement soucieux de l'endroit, du prétexte qui lui fournira l'occasion d'un repas - l'oisif n'a de pensée que pour son ventre. Il finira quelque jour par rencontrer, soit un homme, soit une femme, en proie à la même tiédeur; une amitié se nouera. Et de s'embarrasser dans leurs affaires, dans leurs nécessités. Le filet des préoccupations malfaisantes l'enveloppe de toutes parts. Il est pris comme dans les spires d'un serpent. C'est fini, jamais il ne s'en pourra dénouer, pour retourner à la perfection de son premier état.

CHAPITRE 7

Témoignages de l'Apôtre contre l'esprit de paresse

En vrai et spirituel médecin qu'il est, le bienheureux Apôtre, soit qu'il vît déjà se glisser parmi les fidèles de son temps cette maladie, fille de l'esprit de paresse, soit que, par une révélation de l'Esprit saint, il l'aperçût de loin surgissant dans l'avenir, s'empresse de la prévenir par les médicaments salutaires de ses préceptes.
Il écrit aux Thessaloniciens. Et d'abord, comme un habile et parfait praticien, il fomente le mal de ses clients avec des paroles pleines de caresses et de douceur. Il commence par le sujet de la charité; et sur ce point, il les loue. Il attend qu'adoucie par ce lénitif, et toute irritation d'amour-propre ayant disparu, leur mortelle blessure soit capable de supporter un traitement plus énergique. «Pour ce qui regarde la charité fraternelle, point n'est besoin que je vous en écrive. Car vous-mêmes avez été instruits de Dieu à vous aimer les uns les autres. Et vraiment, vous le faites à l'égard de tous les frères, par toute la Macédoine». (I Thess 4,9-10)
Il a fait précéder le calmant très doux de la louange. Leur oreille est gagnée. Ils sont favorables désormais, et prêts à accueillir la parole qui sauve. Il ajoute : «Mais nous vous prions, frères, d'abonder de plus en plus.» (Ibid. 10) De nouveau, des caresses et des douceurs. Il s'applique à les charmer, de crainte de ne pas les trouver encore suffisamment disposés au traitement parfait. Quelle est cette demande, ô bienheureux Apôtre ? En quoi doivent-ils abonder de plus en plus ?
En la charité, dont il a dit plus haut : «Pour ce qui regarde la charité fraternelle, point n'est besoin que je vous en écrive.»
Mais quelle nécessité, ô grand saint, de leur dire : «Nous vous prions d'abonder de plus en plus,» s'ils n'ont pas besoin qu'on leur en écrive ? Étant donné surtout que vous donnez la raison pour laquelle ils n'en ont pas besoin : «Vous-mêmes avez été instruits de Dieu à vous aimer les uns les autres.» Vous ajoutez même quelque chose de plus fort : non seulement ils ont été instruits de Dieu, mais ils font ce qui leur a été enseigné : «Et vraiment,, vous le faites;» non point pour un ou deux, mais «à l'égard de tous les frères»; et non seulement en faveur de vos concitoyens et connaissances, mais «par toute la Macédoine». Dites-nous donc enfin à quel dessein des préliminaires si précautionnés !
Il a ajouté : «Mais nous vous prions, frères, d'abonder de plus en plus.» Et à peine laisse-t-il paraître enfin ce qu'il ourdissait depuis longtemps : «Étudiez-vous à vivre en repos.» (I Thess 4,11) C'est la première chose. Voici la seconde : «Occupez-vous de vos propres affaires;» (Ibid.) puis, la troisième : «Travaillez de vos mains, ainsi que nous vous l'avons ordonné;» (Ibid.) la quatrième : «Tenez une conduite honnête aux yeux de ceux du dehors;» (Ibid) et la cinquième : «N'ayez besoin de personne.» (Ibid.)
Cette hésitation, ces préambules, ces délais, qu'enfantaient-ils dans son coeur ? que voyons-nous ? «Étudiez-vous à vivre en repos.» C'est-à-dire : Restez dans vos cellules, sans vous inquiéter ni inquiéter les autres des diverses rumeurs qu'engendrent les désirs et les vains contes des oisifs.
«Occupez-vous de vos propres affaires.» Ne cédez pas à la curiosité; ne vous mettez pas en quête de ce qui se fait dans le monde; ne scrutez pas la vie les uns des autres, tout occupés de médire de vos frères, au lieu d'employer votre peine à vous corriger et à poursuivre la vertu.
«Travaillez de vos mains, ainsi que nous vous l'avons ordonné.» Quelle était donc la cause des travers contre lesquels nous l'avons entendu les prévenir : ne point s'agiter, ni s'occuper des affaires d'autrui, ni se conduire d'une façon qui ne soit pas honorable aux yeux de ceux du dehors, ni ne demander rien à personne ? Il l'explique maintenant : «Travaillez de vos mains, ainsi que nous vous l’avons ordonné.» C'est dire clairement que les pratiques qu'il blâme ont leur source dans l'oisiveté. Nul, en effet, ne peut vivre dans l'agitation ni s'occuper des affaires d'autrui, si ce n'est celui qui ne consent point à travailler de ses mains.
Et voici un autre vice, le quatrième de la liste, qui naît également de l'oisiveté : l'Apôtre ne veut pas qu'ils se conduisent de façon peu honorable, et il leur dit : «Tenez une conduite honnête aux yeux de ceux du dehors.» Or, est incapable de se conduire jamais avec, honneur, même aux yeux des gens du monde, quiconque ne se plaît point à demeurer dans le cloître de sa cellule, appliqué au travail des mains. Mais fatalement, il arrive qu'il manque aux bienséances, en quêtant de quoi vivre; qu'il donne dans la flatterie; qu'il coure les nouvelles; qu'il cherche les occasions de racontars et de bavardages, afin de se ménager par là une entrée et de pouvoir pénétrer dans les maisons de toutes sortes de gens.
Enfin, dit-il, «n'ayez besoin de personne.» Mais comment ne guetter pas avec avidité les dons et les présents, lorsqu'on n'a pas le goût de gagner sa vie de ses propres mains, par un labeur pieux et tranquille ?
Tant de vices, si graves, si honteux, tirent, vous le voyez, leur origine du seul fléau de la paresse.
Dans cette première épître, l'Apôtre avait recours aux paroles douces et caressantes. Les lénitifs étant demeurés sans effet, dans la seconde épître il entreprend de guérir les Thessaloniciens par des remèdes plus sévères et plus caustiques. Point de douceurs ni de calmants préliminaires. Ce n'est plus la voix flatteuse et pleine de tendresse tout à l'heure, fia dresse - «Nous vous prions, frères;» mais : «Nous vous notifions, frères, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, de vous séparer de tout frère qui se conduit d'une manière déréglée, et non selon la tradition qu'il a reçue de nous.» il priait; il ordonne maintenant. A l'affection qui caresse, a succédé la sévérité qui adjure et menace. «Nous vous notifions, frères.» Vous avez dédaigné d'écouter nos prières; obéissez du moins à nos injonctions.
De plus, il ne se contente pas d'exprimer ses ordres en termes purs et simples; mais il prend à témoin le nom de notre Seigneur Jésus Christ, et les revêt ainsi d'une majesté redoutable. Un commandement tout uni ne risquerait-il pas d'être pris pour la parole d'un homme, et de ne rencontrer, comme la première fois, que le dédain ? Ne penserait-on pas qu'il n'y a point lieu d'attacher tant de prix à son observation ?
Puis aussitôt, en praticien consommé, il essaye de guérir par le tranchant du glaive les membres gangrenés sur lesquels vient d'échouer un traitement plus doux : «Séparez-vous de tout frère qui se conduit d'une manière déréglée, et non selon la tradition qu'il a reçue de nous.» Il prescrit que l'on se retire de ceux qui ne veulent pas travailler, et qu'on les ampute, comme des membres gâtés par la pourriture de l'oisiveté, de peur que le virus de la paresse, telle une contagion mortelle, ne gagne de proche en proche et n'en vienne à corrompre même les parties saines. Et veuillez remarquer le ton qu'il prend, pour parler de ceux qui ne veulent point travailler de leurs mains ni manger leur pain en silence, et dont il ordonne qu'on se retire. Quelles flétrissures il leur imprime dès le principe !
Tout d'abord, ce sont, dit-il, des hommes déréglés, et qui ne marchent pas selon ses instructions. En d'autres termes, il les désigne comme des opiniâtres, dès là qu'ils ne veulent pas se conformer à ses enseignements; et comme dépourvus d'honorabilité, parce que, qu'il s'agisse de sortir, de rendre une visite, de parler, de choisir son temps, ils ne saisissent pas les opportunités dictées par la raison et l'honnêteté. Tous vices qui sont l'apanage obligé de quiconque se conduit sans règle.
«Et non selon la tradition qu'ils ont reçue de nous.» Ici encore, le bienheureux Apôtre les note, pour ainsi dire, de rébellion et de mépris; car ils dédaignent de suivre la tradition qu'ils ont reçue de lui, et ne veulent pas imiter ce qu'ils se souviennent que leur maître leur a enseigné, et mieux encore, qu'il a pratiqué : «Vous savez vous-mêmes ce que vous avez à faire, pour nous imiter.» C'est mettre le comble au reproche, d'affirmer qu'ils n'observent pas ce dont leur mémoire conserve le souvenir, ce que sa doctrine leur a appris à imiter, ce que son exemple surtout les entraînait à faire.

CHAPITRE 8

Celui qui ne veut pas travailler de ses mains devient nécessairement un agité

«Nous n'avons pas été inquiets parmi vous,» (II Thess 3,7) dit encore l'Apôtre. Il veut prouver qu'il n'a pas été inquiet parmi eux, par ce fait qu'il a travaillé : ce qui donne bien à comprendre que ceux qui ne veulent rien faire se condamnent, par leur oisiveté, à une agitation continuelle.
«Et nous n'avons mangé gratuitement le pain de personne.» (Ibid. 3,8-2.) Le reproche grossit à chaque parole du docteur des Gentils. Lui, prédicateur de l'Évangile, il affirme n'avoir mangé gratuitement le pain de personne. Il connaît pourtant le commandement du Seigneur : «Que ceux qui annoncent l'Évangile, vivent de l'Évangile»; (I Cor 9,14) «L'ouvrier mérite sa nourriture.» (Mt 10,10) Or, il annonçait l'Évangile; il se consacrait à cette oeuvre si sublime et spirituelle : l'ordre du Seigneur l'autorisait à revendiquer son entretien; il n'y avait pas là l'ombre de gratuité. Que ferons-nous donc, nous à qui nulle prédication n'a été confiée, qui n'avons reçu mandat pour aucune âme que la nôtre ? Où prendrons-nous la confiance de manger gratuitement notre pain dans l'oisiveté, lorsque ce vase d'élection, pris comme il était par les sollicitudes de l'Évangile et la prédication, ne l'ose pas sans travailler de ses mains ? «Mais nous avons travaillé, dit-il, nuit et jour, dans la peine et la fatigue, afin de n'être à charge à aucun de vous.» (II Thess 3,8) Ces mots ajoutent encore à sa réprimande. Il ne dit pas simplement : «Nous n'avons mangé gratuitement le pain de personne d'entre vous.» S'il s'en tenait là, on pourrait croire qu'il vécût de ses ressources, mais sans travailler, avec de l'argent mis en réserve; ou bien qu'il fût entretenu par d'autres, sinon par les Thessaloniciens. Mais il déclare : «Nous avons travaillé nuit et jour dans la peine et la fatigue.» C'est-à-dire : C'est notre travail, et rien d'autre, qui a fourni à notre entretien. Du reste, nous ne le faisions pas afin de satisfaire notre humeur; ni par goût, comme un repos et un exercice pour le corps mais contraints par la nécessité et le manque de nourriture, et non sans une immense fatigue. Car ce n'était pas seulement le jour, mais encore la nuit, qui est le temps du repos, que nous devions pousser activement le travail, afin de pourvoir à notre subsistance.

CHAPITRE 9

Ce n'est pas seulement l'Apôtre, mais aussi ses compagnons, qui ont travaillé de leurs mains

Toutefois, l'Apôtre témoigne qu'il ne fut pas seul à tenir cette conduite au milieu d'eux. L'idéal qu'il présentait n'eût peut-être
paru, ni assez imposant, ni assez général, s'il avait été seul à en donner l'exemple. Il assure donc que tous ses compagnons dans le ministère de l'Évangile, c'est-à-dire Silas et Timothée, qui écrivent cette épître de concert avec lui, se livraient également au travail.
Avec cela, ces paroles «Afin de n'être à charge à aucun de vous» sont bien de nature à confondre les Thessaloniciens. Si l'Apôtre, qui prêchait l'Évangile, en l'autorisant de signes et de prodiges, n'ose manger son pain gratuitement, afin de n'être à charge à personne : eux, qui ne craignent pas de le manger tous les jours dans la paresse et l'oisiveté, comment pourront-ils penser qu'ils ne sont pas à charge ?

CHAPITRE 10

L'Apôtre a voulu travailler de ses mains, afin de nous donner l'exemple.

«Ce n'est pas, continue-t-il, que nous n'en eussions le pouvoir; mais nous voulions vous donner en notre personne un modèle à imiter.» (II Thess 3,9) Il fait connaître la raison pour laquelle il a voulu s'imposer un tel labeur : «Nous voulions, dit-il, vous donner en notre personne un modèle à imiter,» afin que, si vous veniez à oublier la doctrine si souvent redite à vos oreilles, du moins votre mémoire retint les exemples que vous auriez vus de vos yeux.
Le reproche n'est pas léger. Il n'a pas eu d'autre motif que de donner l'exemple, pour se soumettre à tant de labeurs et de fatigues, de jour et de nuit. Eux, néanmoins, ne veulent pas se laisser instruire, bien que ce fût pour eux qu'il s'imposât de si grandes peines. Et cela, sans y être forcé. En effet, dit-il, nous avions un droit incontestable; nous pouvions prétendre sur vos richesses et sur vos biens; je savais tenir de notre Seigneur la permission d'en user. Cependant, je ne me suis pas servi de ce pouvoir, de peur que ce qui eût été correct chez moi, et licite, ne devînt aux autres un exemple de funeste oisiveté. Prêchant l'Évangile, j'ai préféré vivre de mes mains et de mon travail. Vous désiriez marcher par le chemin de la vertu : j'ai voulu vous ouvrir la voie de la perfection, et vous donner, dans mon labeur, un modèle de vie.

CHAPITRE 11

L'Apôtre a prêché le travail, non seulement par son exemple, mais aussi en paroles.

Travailler en silence, enseigner par l'exemple : c'était bon. Mais l'Apôtre prétend bien ne pas laisser croire qu'il ne les ait pas instruits également par ses préceptes. Il ajoute : «Aussi bien, lorsque nous étions auprès de vous, nous vous déclarions que si quelqu'un ne veut pas travailler, il ne doit pas non plus manger.»
Il souligne encore leur apathie : sachant que, comme un' bon maître, il a travaillé de ses mains, en vue de les instruire et de les former, ils négligent de l'imiter. Et il souligne d'autre part ses soins assidus et sa prudence. Car il ne s'est pas borné, dit-il, à les enseigner d'exemple, mais il leur a prêché constamment aussi en paroles. Et quoi donc? Que celui qui ne vent pas travailler, ne doit pas non plus manger.

CHAPITRE 12

Sur ces paroles : «Si quelqu'un ne veut pas travailler, il ne doit pas non plus manger»

Ce n'est plus le docteur ni le médecin qui conseille; c'est le juge qui prononce en toute rigueur. Il reprend son pouvoir apostolique; et, comme du haut de son tribunal, il rend sa sentence contre les contempteurs de ses ordres.
Je veux parler de ce pouvoir que, dans une épître menaçante aux Corinthiens, il affirme lui avoir été donné de Dieu, lorsqu'il les avertit d’avoir à se corriger avant son arrivée: «Je vous en prie, leur recommande-t-il, que je ne sois pas obligé, quand je serai présent,
d'user avec pleine assurance, contre certains, de cette autorité qui m'a été donnée sur vous !» (I Cor 10,2) Et, de nouveau : «Si je voulais me glorifier quelque peu du pouvoir que le Seigneur m'a donné pour votre édification, et non pour votre destruction, je n'aurais pas à en rougir.» (Ibid. 8.)
C'est, dis-je, par ce pouvoir qu’il prononce maintenant : «Si quelqu'un -ne veut pas travailler, il ne doit pas non plus manger.»
Il ne voue pas les Thessaloniciens au glaive charnel; mais, en vertu de l'autorité du saint Esprit, il leur interdit la substance de ce monde. Si, insoucieux du châtiment de la mort éternelle, ils veulent persévérer, par amour de l'oisiveté, dans leur conduite opiniâtre, que du moins les exigences de la nature et la crainte de la mort temporelle les réduisent, et les forcent d'accueillir ses préceptes salutaires !

CHAPITRE 13

Sur ces paroles : «Nous apprenons qu'il y a parmi vous des gens inquiets»

Après cet exemple de sévérité et de rigueur évangéliques, il ex-pose le pourquoi de tous ces avertissements : «Nous apprenons qu'il y a parmi vous des gens inquiets, qui ne travaillent point, mais s'occupent de choses vaines.» (II Thess 3,11)
Nulle part, il ne se contente de signaler en ceux qui ne veulent pas s'adonner au travail, un vice unique. Dans sa première Épître, il les qualifiait de gens déréglés et qui ne marchent pas selon la tradition qu'ils ont reçue de lui; il les disait encore inquiets, et déclarait qu'ils mangeaient leur pain gratuitement. Il reprend ici : «Nous apprenons qu'il y a parmi vous des gens inquiets.» Puis aussitôt, il joint une seconde maladie, qui est la racine de cette inquiétude : «Qui ne travaillent point;» une troisième enfin, qui sort aussi de la précédente, comme le rameau de la branche : «Mais s'occupent de choses vaines.»

CHAPITRE 14

Que le travail des mains retranche bien des vices

Au foyer de tant de vices, voici qu'il se hâte maintenant d'appliquer le traitement approprié. Il dépose l'autorité apostolique, dont il avait usé peu auparavant, et revient aux sentiments de miséricorde d'un père plein de tendresse, d'un médecin indulgent et bon. Comme à des fils, comme à ses malades, il donne, dans ce conseil salutaire, le remède qui peut les rendre à la santé : «Pour ceux qui vivent de la sorte, nous leur ordonnons et nous les conjurons dans le Christ Jésus de travailler en paix, afin de manger un pain qui soit à eux.» (II Thess 3,12)
Médecin habile entre tous, il guérit tant d'ulcères, qui proviennent de la racine de l'oisiveté, par le seul précepte du travail. Il sait bien que toutes les maladies qui pullulent d'une souche commune disparaissent aussitôt, si l'on peut écarter l'infection principale.

CHAPITRE 15

Qu'il faut pratiquer la charité, même à l'égard des oisifs et des négligents

Cependant, perspicace et prévoyant, le bienheureux Apôtre ne désire pas seulement guérir les malades de leurs blessures; il donne de plus à ceux qui sont en santé des préceptes convenables, pour se conserver toujours dans le même état : «Pour vous, dit-il, ne vous lassez pas de faire le bien.» (Ibid. 13) Vous qui marchez à notre suite dans les voies que nous vous avons tracées; vous qui reproduisez par votre vie les exemples qui vous ont été laissés, et n'imitez en aucune façon la paresse et l'inertie des autres; «ne vous lassez pas de faire le bien;» c'est-à-dire, continuez de répandre sur eux votre charité, même s'ils négligent d'observer ce que nous avons dit.
Il a corrigé les malades, de peur qu'énervés par l'oisiveté, ils ne s'adonnent à l'inquiétude et à la vaine curiosité. Il avertit maintenant ceux qui sont sains, de ne pas refuser leurs bons offices aux pervers qui ne voudraient pas se convertir à la saine doctrine, conformément au précepte du Seigneur, qui nous ordonne d'être charitable pour les bons et les méchants. Il ne veut pas qu'ils cessent de leur faire du bien ni de les soutenir, les consolant et reprenant, leur témoignant aussi l'obligeance et la charité accoutumées.

CHAPITRE 16

C'est par amour et non par haine que nous devons reprendre ceux qui font mal

Mais il ne faudrait pas que sa douceur fût une invitation pour quelques-uns à refuser l'obéissance à ses ordres. Il y mêle donc derechef la sévérité apostolique : «Si quelqu'un n'obéit pas à ce que nous vous mandons par cette lettre, notez-le, et n'ayez plus de commerce avec lui, afin de le confondre.» (II Thess 3,14)
Il les avertit de ce qu'il faut observer par révérence pour sa personne et en vue du bien commun, du soin qu'il convient d'apporter à garder les commandements apostoliques. Mais aussitôt, il y joint la douceur d'un père rempli d'indulgence, et leur apprend les sentiments qu'ils doivent conserver envers les délinquants, eu égard à la charité fraternelle : «Toutefois, ne le considérez pas comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère.» (Ibid. 15.)
A la sévérité du juge, il allie la tendresse du père, et modère la rigueur apostolique de sa sentence par une mansuétude toute clémente. Il ordonne de noter celui qui dédaigne d'obéir à ses ordres, et de cesser tout commerce avec lui. Néanmoins, tout cela doit se faire, non par haine, mais par charité fraternelle et en vue de sa correction : «N'ayez plus de commerce avec lui, afin de le confondre.» Si mes avis, qui respirent la douceur, ne réussissent pas à le corriger, que du moins cet ostracisme public de la part de la communauté tout entière le fasse rougir, et commence à le ramener enfin dans la voie du salut !

CHAPITRE 17

Textes divers, dans lesquels l'Apôtre fait un précepte du travail, ou se montre travaillant lui-même

L'Apôtre donne encore le précepte du travail dans l'Épître aux Éphésiens : «Que celui qui dérobait ne dérobe plus; mais plutôt qu'il s'occupe à travailler de ses mains à quelque ouvrage honnête, afin d'avoir de quoi donner à ceux qui sont dans le besoin.» (Éph 4,28) Et, dans les Actes des Apôtres, nous trouvons qu'il ne s'est point borné à enseigner ces choses, mais qu'il les a pratiquées. Arrivé à Corinthe, il ne voulut pas demeurer ailleurs que chez Aquila et Priscille, parce qu'ils étaient du même métier qu'il exerçait lui-même; «Après cela, Paul sortit d'Athènes et vint à Corinthe. Il y trouva un Juif du nom d'Aquila, originaire du Pont, et sa femme Priscille. Il les alla voir, parce qu'il exerçait le même métier, demeura chez eux et y travailla. Il était, en effet, tisseur de tentes.» (Ac 1,1-3)

CHAPITRE 18

L'Apôtre travaillait autant qu'il fallait pour suffire, non seulement à lui-même, mais à ceux qui étaient avec lui

Plus tard, il se rend a Milet, et de là envoie à Éphèse, pour convoquer les anciens de cette Église. Il leur enseigne comment ils doivent gouverner l'Église de Dieu en son absence : «Je n'ai désiré l'argent ni l'or de personne. Vous-mêmes savez que mes mains ont fourni à tout ce qui m'était nécessaire, et à ceux qui étaient avec moi. Je vous ai montré de toutes manières que c'est en travaillant de la sorte qu'il faut soutenir les faibles, et se rappeler la parole du Seigneur Jésus, car Il a dit Lui-même : Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir.» (Ac 20,33-35)
Il nous laisse, dans sa propre conduite, un grand exemple, lorsqu'il atteste qu'il a travaillé, non seulement pour faire face à ses
propres besoins, mais de manière à suffire encore à ceux qui étaient avec lui, et qui, occupés journellement à des ministères indispensables, n'avaient pas la faculté de gagner, comme lui, leur vie de leurs propres mains.
Et, de même qu'il avait dit aux Thessaloniciens : «J'ai travaillé, afin de vous donner en ma personne un modèle à imiter,» ajoute ici quelque chose de pareil : «Je vous ai montré de toutes manières que c'est en travaillant de la sorte qu’il faut soutenir les faibles; (Ac 20,35) ce qui signifie les faiblesses de l'âme comme celles du corps. C’est donc à l'aide de notre travail que nous devons nous empresser de réconforter les faibles, et par le moyen des ressources gagnées à la sueur de notre front, plutôt que de notre abondance et de nos réserves, et même que des largesses et du bien d'autrui.

CHAPITRE 19

Comment il faut entendre cette parole : Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir»

Il y a là, selon l'Apôtre, un commandement du Seigneur. «Car, déclare-t-il, Il a dit Lui-même - c'est-à-dire le Seigneur Jésus -: Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir.»
Oui, la libéralité de celui qui donne est plus heureuse que l'indigence de celui qui reçoit : non point lorsqu'elle se pratique avec l'argent réservé par l'infidélité et la défiance, ou les trésors amassés par l'avarice; mais lorsqu'elle prend sur le fruit de son travail et de ses sueurs pieuses. «Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir,», car, ayant la pauvreté commune avec celui qui reçoit, celui qui donne met une sollicitude et un empressement pieux à gagner par son travail, «non seulement de quoi subvenir à ses propres besoins, mais de quoi faire largesse aux nécessiteux. Une double grâce resplendit en sa personne : par le renoncement à tous ses biens, il possède le parfait dépouillement du Christ; et grâce à son labeur, il déploie la munificence et montre les sentiments d'un riche. Mais, tandis qu'il honore Dieu de ses justes labeurs et lui fait un sacrifice des fruits de sa justice, celui qui reçoit, au contraire, énervé comme il est par la torpeur et l'inertie de la paresse, prouve, selon la sentence de l'Apôtre, qu'il ne mérite pas son pain : en osant le manger dans l'oisiveté, malgré l'interdiction apostolique, il se rend coupable du péché de révolte.

CHAPITRE 20

D'un frère paresseux qui sollicitait les autres à sortir du monastère

Je connais un frère, dont je pourrais dire le nom, si les âmes en devaient recevoir plus d'instruction. Vivant dans un monastère de cénobites, force lui était bien de remettre chaque jour à l'économe la somme de travail déterminée. Mais sa grande crainte était qu’un frère plus ardent ne fît augmenter la tâche accoutumée, ou ne lui devint, par son exemple, un sujet de confusion. Aussi, lorsqu'il voyait entrer quelque frère que l'ardeur de sa foi poussait à fournir un surplus de travail, s'efforçait-il de le retirer de ce dessein par des insinuations clandestines. S'il n'y pouvait réussir, il ne ménageait ni les mauvais conseils ni les murmures, afin de le persuader de quitter le monastère. Pour l'éloigner plus aisément, il feignait de vouloir partir, lui aussi, depuis longtemps : les causes d'offense ne lui manquaient pas; il n'attendait que de trouver un compagnon de route. Lorsque, à force de calomnies secrètes contre le monastère, il l'avait amené à consentir, il lui fixait une heure pour sortir, ou bien un endroit, pour l'y précéder et l'attendre; quant à lui, il suivait immédiatement, disait-il. Mais il ne bougeait d'une semelle. L'autre, cependant, honteux de son départ, n'osait plus demander d'être agrégé de nouveau à un monastère dont il s'était échappé, tandis que l'artisan de sa fuite y demeurait tranquillement.
Cet exemple suffira sur cette sorte de gens, pour inviter les commençants à la prudence. Il fait aussi mieux voir quels maux l'oisiveté engendre dans l'âme du moine, selon la parole de l'Écriture, et comment «les méchants entretiens corrompent les bonnes moeurs» (I Cor 15,33).

CHAPITRE 21

Témoignages divers de Salomon contre la paresse

Le sage Salomon stigmatise très clairement ce vice de l'oisiveté en bien des endroits : «Celui qui aime l'oisiveté, dit-il, sera dans une profonde indigence.» (Pro 28,19)
Indigence temporelle et spirituelle à la fois. L'oisif en est la victime obligée; car, en proie aux vices les plus divers, il est à jamais exclu de la contemplation divine et des richesses spirituelles, desquelles le bienheureux Apôtre dit : «Vous avez été comblés en lui de toutes les richesses, en tout don de parole et de science.» (I Cor 1,5) Il est également écrit, ailleurs, de cette pauvreté de l'oisif : «Et tout somnolent sera vêtu de haillons.» (Pro 23,21) Car, pour le vêtement d'incorruptibilité, au sujet duquel nous lisons ce précepte de l'Apôtre : «Revêtez-vous de notre Seigneur Jésus Christ» (Rm 13,14), «Soyez revêtus de la cuirasse de la justice et de la charité,» (I Thess 5,8) et dont le Seigneur parle à Jérusalem par le prophète : «Réveille-toi, réveille-toi, Jérusalem, revêts les vêtements de ta gloire» (Is 52,1), celui-là assurément ne méritera point de s'en parer, qui se laisse vaincre à la torpeur de l'oisiveté et de la paresse, et préfère se couvrir des haillons de l'indolence, plutôt que des vêtements gagnés par son labeur.
Ces haillons, il les coupe de la plénitude parfaite et du corps des Écritures, non comme un vêtement de gloire, mais comme un voile ignominieux qu'il ajuste à sa lâcheté. C'est, en effet, une coutume, chez ceux que cette mollesse a énervés et qui ne veulent pas vivre de ce travail des mains que l’Apôtre n’a cessé de pratiquer et de recommander, c’est, dis-je, une coutume, d’user de certains témoignages des Écritures, pour voiler leur paresse. “Il est écrit, disent-ils : Cherchez à acquérir, non l’aliment qui périt, mais celui qui demeure pour la vie éternelle; (Jn 6,27) et Ma nourriture est de faire la Volonté de mon Père.” (Ibid. 4,34.)
Mais ces textes sont comme des haillons pris de l’intégrale plénitude de l’Évangile, et que nous cousons, afin de couvrir l’ignominie de notre oisiveté et de ménager notre pudeur, plutôt que pour nous réchauffer et nous parer de ce vêtement précieux et parfait des vertus, que, selon les Proverbes, cette femme pleine de sagesse, revêtue de force et de beauté, fit pour soi et son mari : d’où il est dit ensuite : “Elle a été revêtue de force et de beauté, et elle s’est réjouie dans les derniers jours.” (Pro 31,25.)
Le même Salomon fait encore mémoire en ces termes de cette maladie de l’oisiveté : “Les chemins du paresseux sont pavés d’épines,” (Ibid. 15,19.) c’est-à-dire des vices que l’Apôtre nous a montrés plus haut pullulant de l’oisiveté, et d’autres de même sorte. Il déclare de nouveau : “Tout oisif est plein de désirs,” (Pro 13,4.) de ces désirs dont l’Apôtre parle, quand il dit : “N’ayez rien à désirer de personne.” (I Thess 4,11) Et enfin : “l’oisiveté est la mère de tous les vices.” (Ec 33,29) Ces vices, l’Apôtre les a énumérés clairement dans les passages que nous avons expliqués plus haut : “il y a parmi vous, disait-il, des gens qui ne travaillent point, mais s’occupent de choses vaines.” (II Thess 3,11) Puis, à ce vice, il en a ajouté un autre : “Étudiez-vous à vivre en repos.” (I Thess 4,11) Et ensuite : “Occupez-vous de vos propres affaires, tenez une conduite honnête aux yeux de ceux qui sont dehors, et n’ayez besoin de personne.” (Ibid.) De plus, il stigmatise les oisifs comme des gens déréglés et des rebelles, et commande que les zélés se séparent d’eux : “Séparez-vous de tout frère qui se conduit d’une manière déréglée, et non selon la tradition qu’il a reçue de nous.” (II Thess 3,6)

CHAPITRE 22

Comment, en, Égypte, les frères travaillent assez pour satisfaire à leurs propres besoins et subvenir encore à ceux des prisonniers

Instruits par ces exemples, les pères d'Égypte ne permettent pas que les moines, et surtout les jeunes, demeurent oisifs. C'est, au contraire, sur l'assiduité au travail qu'ils jugent de la vie intérieure et du progrès dans la patience et l'humilité. Ils ne souffrent pas que l'on reçoive d'autrui aucune des choses nécessaires à l'existence. Bien plus, non contents de restaurer du fruit de leur travail visiteurs et étrangers, ils rassemblent quantité de vivres, et les dirigent, soit vers la Lybie, pays de stérilité et de famine, soit vers les cités, pour les malheureux qui languissent dans la misère des cachots. Ils ont cette confiance, d'offrir par là au Seigneur un sacrifice spirituel et véritable, du produit de leurs mains.

CHAPITRE 23

L'oisiveté est cause qu'il n'y a pas de monastères de cénobites en Occident

De là vient que nous ne voyons pas, dans nos régions, se fonder de monastères avec une telle multitude de frères. Les moines n'ont pas les ressources de leur travail, pour pouvoir y demeurer toujours; et, supposé que la libéralité d'autrui leur procure vaille que vaille les moyens suffisants, le plaisir de l'oisiveté et la divagation du coeur ne leur permettent point de persévérer longtemps dans le même lieu. D'où cette sainte maxime, qui a cours en Égypte et vient des anciens Pères : Le moine qui travaille n'a qu'un démon pour le tenter, mais une infinité d'esprits mauvais dévastent l'âme de l'oisif.

CHAPITRE 24

De l'abbé Paul qui, tous les ans, livrait au feu le produit de son travail

L'abbé Paul, de tous les Pères le plus consommé en sainteté, habitait un vaste désert, dit de Porphyrion. Les fruits des palmiers, un modeste jardin lui fournissaient la nourriture suffisante, et lui donnaient sur ce point toute sécurité. D'autre part, il lui était impossible de se livrer à quelque ouvrage dont il pût gagner sa vie; car ce désert est séparé des villes et de toute terre habitable par sept journées de marche et plus, et le transport eût coûté plus cher que le travail ne pouvait valoir. Il recueillait néanmoins des feuilles de palmier, et s'imposait une tâche quotidienne, comme s'il eût dû en vivre. Au bout de l'an, sa grotte était pleine de corbeilles. Alors, il y mettait le feu, et ce qui lui avait coûté tant de soins et de labeur devenait la proie des flammes.
Il était si convaincu que, sans le travail des mains, le moine ne peut durer en place ni s'élever jamais jusqu'au sommet de la perfection, que, n'y étant aucunement obligé par la nécessité de vivre, il ne laissait pourtant point de s'y livrer, en vue d'obtenir la pureté du coeur, la solidité des pensées, la persévérance dans la cellule et la victoire complète sur la paresse elle-même.

CHAPITRE 25

Paroles que me disait l'abbé Moïse sur le remède de la paresse.

Débutant au désert, je confiais à l'abbé Moïse que j'avais été fort travaillé la veille par le mal de la paresse, et que je n'avais pu m'en délivrer qu'en recourant aussitôt à l'abbé Paul.
«Non, dit-il, tu ne t'en es pas délivré, mais plutôt tu t'es abandonné à son pouvoir et à sa discrétion. L'adversaire, qui te connaît maintenant pour un déserteur et un fuyard, et qui t'a vu plier, puis t'échapper du combat, ne manquera pas de t'attaquer plus violemment. Désormais, une fois la lutte engagée, plutôt que de songer à dissiper ses furieux assauts par la désertion de ta cellule ou la torpeur du sommeil, tu devras apprendre à en triompher par la patience et par la lutte.»
Ainsi, l'expérience prouve qu'il ne faut pas fuir devant l'attaque de la paresse, mais la surmonter en lui résistant.

    

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