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DES DIFFÉRENTES ASPECTS DE LA
VIE ÉRÉMITIQUE.
31. Personne n'ignore que dans tous les arts et
dans toutes les sciences, il y a des opinions diverses et des sentiments
différents; car les hommes ne sont pas également parfaits dans toute chose,
tantôt par défaut de travail et de diligence, tantôt par défaut
d'intelligence et de lumières. Aussi voyons-nous des gens s'empresser de
courir dans la solitude, dans l'espérance d'y trouver un port assuré de
salut; et malheureusement ils n'y rencontrent qu'un abîme sans fond qui les
engloutit : ils prétendaient y guérir leur langue de l'intempérance des
paroles et des honteuses habitudes de leurs corps, et ils y ont augmenté
leur mal. Nous en voyons d'autres voler dans les déserts, parce que, n'ayant
pu triompher de leur humeur irascible, en vivant au milieu de leurs frères,
ils espèrent en triompher plus efficacement dans la solitude; mais ils sont
dans une misérable erreur. Nous en voyons d'autres embrasser la vie
érémitique, parce que, remplis d'orgueil, ils aiment mieux vivre selon leur
propre volonté, que de se laisser conduire par un supérieur ou un directeur;
d'autres vont dans la solitude, parce qu'en vivant au milieu des occasions
dangereuses, ils n'ont pas la force d'y résister; d'autres désirent la vie
solitaire, afin de se rendre plus exacts dans l'accomplissement de leurs
devoirs; d'autres choisissent ce genre de vie, afin de pouvoir se punir plus
sévèrement de leurs fautes; d'autres ne cherchent la solitude que pour se
faire un nom devant les hommes, d'autres enfin, si toutefois le Fils de
l'homme, en venant sur la terre pour juger le monde, en trouve de
semblables, uniquement enflammer d'amour pour Dieu, et trouvant dans cet
amour des délices ineffables, se donnent à la vie érémitique comme à une
épouse uniquement aimée. Ne font-ils encore cette démarche que lorsqu'ils
ont fait un divorce absolu avec la négligence et la tiédeur. En effet
l'union de la vie érémitique avec un esprit de paresse forme une espèce de
fornication spirituelle.
32. Telles sont les différentes dispositions qui portent les hommes à la vie
érémitique: je n'ai pu en parler que d'après mon peu de lumières; c'est à
chacun devoir quelles sont celles qui lui font désirer de vivre dans la
solitude. Serait-ce pour y être plus à son aise, en ne suivant que sa propre
volonté, ou pour se procurer l'estime des hommes ? serait-ce pour mortifier
l'incontinence de la langue, ou pour triompher de la colère ? serait-ce pour
fuir les occasions de pécher, ou pour expier plus efficacement les fautes
qu'on a commises ? serait-ce pour devenir plus exact et plus fervent dans
les exercices de la piété, ou pour augmenter en soi-même le feu sacré de
l'amour de Dieu ? Les premiers seront les derniers, et les derniers seront
les premiers. Or de ces huit sortes de vie solitaire il y en a sept qui
représentent les sept jours de la semaine, et cette semaine est l'image de
la vie présente; mais les unes sont agréables, les autres sont odieuses à
Dieu, et la huitième, nous pouvons le dire hardiment : Elle est la figure du
bonheur éternel.
33. Vous qui vivez dans la solitude, observez attentivement le temps où les
bêtes féroces qui font la guerre à votre âme, ont coutume de venir vous
attaquer : autrement il vous sera impossible de leur tendre à propos les
pièges capables de les prendre et de les enchaîner. Si la paresse, à
laquelle vous aurez entièrement renoncé, n'est plus votre partage, vous
combattrez et vaincrez sans peine tous vos ennemis; mais si, au contraire,
elle règne encore en vous, je ne vois pas pourquoi et comment je pourrai
louer le genre de vie que vous avez embrassé.
34. D'où est-il arrivé qu'il n'y a pas eu autant d'hommes extraordinaires en
lumières et en sainteté dans le monastère de Tabenne que dans celui de
Scété. Comprenne qui pourra. Je ne peux en parler, ou plutôt, je ne désire
pas le faire.
35. Parmi ceux qui passent leur vie dans ces profondes solitudes, les uns
travaillent spécialement à mortifier leurs passions; les autres se livrent
au chant des psaumes et emploient la plus grande partie de leur temps au
saint exercice de la prière; les autres enfin, s'appliquent à la méditation
et à la contemplation des choses du ciel. Ceux qui voudront connaître
quelles sont les personnes les plus avancées dans la vertu et dans la
perfection de la vie érémitique, pourront le faire en se servant de la
comparaison prise des échelons d'une échelle. Que l'homme qui désirera
donner une solution à ce problème, ne s'y applique que selon les lumières
qu'il aura reçues du Seigneur.
36. Il faut avouer ici qu'il y a dans les monastères cénobitiques des âmes
lâches et paresseuses qui, trouvant le sujet et l'occasion de nourrir leur
honteuse et criminelle indolence ne marchent pas, mais courent à leur perte
éternelle comme aussi il y en a d'autres qui profitent de l'ardeur et du
zèle des personnes avec lesquelles elles vivent, pour se corriger de leur
tiédeur et de leur négligence. Mais, hélas ! ce ne sont pas seulement les
moines travaillés et dominés par la paresse , qui se perdent dans les
monastères, il arrive encore que les plus fervents se relâchent par le
mauvais exemple des négligents et des paresseux.
37. Or ce que nous disons de la vie cénobitique, nous sommes obligé de le
dire de la vie érémitique : car plusieurs personnes qui l'ont embrassée,
avant de le faire paraissaient être ferventes et propres à la pratique des
vertus les plus belles et les plus rares; mais cette vie les a gâtées et
corrompues, parce qu'elles n'y sont entrées que pour y vivre et s'y conduire
avec plus de liberté et selon leurs goûts. C'est pourquoi elles auraient dû
s'apercevoir et se reprocher de n'être que des gens amis des plaisirs et des
commodités de la vie. D'autres, au contraire, qui dès le principe n'avaient
choisi la solitude que par un esprit de paresse et de lâcheté, frappées et
épouvantées de la pensée qu'au tribunal de Dieu elles auront, elles seules ,
à répondre de toutes les actions de leur vie, se sont converties, ont fait
des prodiges dans le chemin de la vertu, et ont acquis une grande ferveur
dans les exercices de la piété.
38. Que celui qui est esclave de la colère, de l'orgueil, de la
dissimulation, de l'hypocrisie et du souvenir des injures, se garde bien de
faire un seul pas pour entrer dans la solitude; car il est grandement à
craindre pour cet homme que le seul fruit qu'il retirerait de sa témérité,
ne fût de tomber dans un funeste endurcissement. Quant à ceux qui se sont
heureusement délivrés de ces vices, ils pourront peut-être comprendre le
parti qu'ils ont à prendre; mais néanmoins je ne crois pas qu'ils le
puissent tout seuls et par eux-mêmes.
39. Les qualités, les occupations et les raisonnements des personnes qui,
pour des raisons suffisantes, ont embrassé la vie solitaire, consistent dans
le calme parfait de l'âme qui s'est mise à l'abri de toutes les tempêtes
excitées par les vents des passions, dans des pensées saintes et pures, dans
une intime union avec Dieu, dans un souvenir constant des supplices
éternels, dans la pensée de la mort qui menace de près, dans un amour
insatiable de la prière, dans la vigilance constante sur les sens, dans la
ruine entière des affections déshonnêtes, dans l'affranchissement des
appétits charnels, dans la mort à l'esprit et aux maximes du monde, dans
l'indifférence pour le manger, dans la méditation des vérités surnaturelles
dans les lumières d'un discernement sage et prudent dans le don des larmes
d'une pénitence sincère, dans le retranchement absolu des discours vains et
inutiles, et dans tout ce qui n'est pas agréable aux personnes qui ont
coutume de vivre sans ordre et sans règle.
40. Et voici, d'un autre côté, les marques auxquelles on peut reconnaître
que l'on n'a pas embrassé la vie érémitique par de bons et de louables
motifs : la privation des dons, des grâces et des richesses du ciel,
l'augmentation de la mauvaise humeur, les accès de colère, le souvenir des
injures, le refroidissement de la charité, un surcroît d'orgueil, et
plusieurs autres défauts que je passe sous silence.
41. Mais, puisque nous en sommes venus là, il me semble qu'il convient de
dire quelque chose des personnes qui vivent sous l'obéissance et la
direction d'un supérieur, d'autant plus que c'est à elles que nous adressons
ce petit ouvrage. Nous dirons donc quelles sont les marques qui distinguent
ceux qui réellement, sincèrement et avec une grande pureté d'intention, ont
embrassé cette sainte et honorée vertu d'obéissance. Or ce sont nos pères,
ces hommes si vertueux et si remplis de l'esprit de Dieu, qui nous les ont
enseignées; et quoique les qualités des heureux enfants de l'obéissance ne
doivent recevoir leur perfection qu'au temps que le Seigneur a fixé, ils ne
laisseront pas chaque jour de les augmenter et de les faire croître en eux.
Elles consistent donc, ces marques et ces qualités de la véritable
obéissance, dans une augmentation continuelle d'humilité, dans une
diminution progressive de la colère, dans l'extinction du fiel et de la
bile, dans la dissipation sensible des ténèbres de l'esprit, dans
l'accroissement de la charité, dans l'affranchissement des passions et des
penchants vicieux, dans un renoncement généreux à toute haine et à toute
aversion, dans la mortification de la chair conformément aux avis que l'on
reçoit, dans la fuite de toute paresse et de toute négligence, dans une
exacte diligence à remplir ses devoirs, dans une tendre, et efficace
compassion pour ses frères, et dans la destruction parfaite de l'orgueil.
Mais cette dernière qualité de l'obéissance, nous devons tous chercher avec
les plus grands soins à nous la procurer; et cependant bien peu la possèdent: à une fontaine sans eau peut-on donner le nom de fontaine ? Il me
comprendra facilement celui, qui sera doux d'intelligence.
42. Une jeune épouse qui viole la foi jurée à son époux profane son corps et
se déshonore; une âme qui viole la foi qu'elle avait donnée à Dieu, souille
et flétrit sa conscience. La haine publique, la bonté, les châtiments, et
par dessus tout, un déplorable divorce sont les maux que s’attire une épouse
infidèle. L'infidélité sacrilège d'une âme est suivie de mille souillures,
de l'oubli de la mort, d'une insatiable intempérance, de l’insolence et de
l'impudeur des yeux, de l'amour de la vaine gloire, de l'envie continuelle
de dormir, de l'endurcissement du cœur, de l'aveuglement de l'esprit, d'une
horrible confusion dans les pensées, d'une volonté de plus en plus portée au
péché, de l'esclavage des passions les plus viles, d'un tumulte et d'un
désordre effrayants, de l'esprit d'opiniâtreté et de contradiction, d'une
abominable affection pour les créatures, de l'infidélité dans la foi, d’une
indigne défiance envers Dieu, d'une insupportable loquacité, d'une licence
effroyable, d'une vaine confiance en soi-même, laquelle peut justement être
regardée comme le plus grand de tous les maux, et, ce qui est le comble de
la misère, de la sécheresse du cœur, qui le rend incapable du moindre
mouvement de pénitence et de componction, et qui, lorsqu'on la néglige, se
change en une stupide insensibilité, laquelle ouvre la porte à tous les
vices et à tous les crimes.
43. Nous pouvons affirmer ici que parmi les huit péchés capitaux, il y en a
cinq qui font la guerre aux anachorètes, et trois aux cénobites.
44. Un solitaire qui s'amuse à combattre la paresse d'une manière directe,
perd un temps qu'il emploierait bien mieux à la prière et à la méditation.
45. Or voici ce qui m'est arrivé à moi-même dans le temps que je vivais dans
la solitude : un jour je fus assailli dans ma cellule d'un si grand
découragement, que j'étais sur le point de l'abandonner; mais au même
instant arrivèrent quelques étrangers qui me donnèrent tant de louanges sur
la vie que je menais, que les pensées de vaine gloire eurent bientôt chassé
mon ennui et mes pensées d'abattement. Sur cela je ne pouvais assez admirer
la manière dont se sert le démon de la vaine gloire pour enferrer les autres
démons; c'est pour eux une véritable chausse-trappe.
46. Ne manquez pas, à toute heure, d'observer les mouvements, les tours et
les détours, ainsi que la force des inclinations que vous vous sentiriez
pour la tiédeur qui s'unit si intimement à l'âme, et connaissez bien d'où
viennent toutes ces choses funestes, et où elles peuvent vous conduire; mais
n'oubliez pas qu'il n’y a guère que les personnes qui, par le secours du
saint Esprit, sont parvenues à la tranquillité du cœur, qui soient capables
de faire cet heureux discernement.
47. La première et, principale chose à
laquelle un solitaire doit s'appliquer, c'est de chasser de son esprit tous
les soins et toutes les inquiétudes que donnent les différentes affaires
bonnes ou mauvaises. En effet, celui qui s'occupera avec passion des
affaires qui sont bonnes, ne manquera pas peu à peu de s'occuper aussi de
celles qui sont mauvaises. C'est ainsi qu'il fera une chute funeste. La
seconde chose qui lui est nécessaire, c'est une prière continuelle et
fervente; la troisième, c'est une vigilance exacte sur son cœur, capable de
le rendre invulnérable. Est-il possible pour une personne qui ne connaît
même pas les lettres, de lire dans un livre ? Mais sera-t-il plus facile au
solitaire qui n'aura pas la première des trois choses que, nous venons de
nommer, de pouvoir acquérir les deux autres ?
48. Ayant eu le bonheur d'obtenir la seconde, je me trouvai parmi les êtres
qui tiennent le milieu, et l'un d'eux m'apprit les choses que je désirais
savoir. M'étant encore trouvé au milieu d'eux, je me permis de leur demander
quel était l'état dans lequel ils contemplaient le Fils de Dieu avant son
incarnation; et le même ange me répondit, et me dit qu'il ne pouvait pas
satisfaire à ma question, parce que le Fils de Dieu, prince et roi des
anges, ne le lui permettait pas. Dites-moi au moins, repartis-je, dans
quel état il est à présent. Voici la réponse qu'il me fit : Il est
dans l'état qui lui est propre, et non dans un autre. — Mais, repris-je,
quelle est donc la manière dont il est assis à la Droite de Dieu son Père
? — C'est un mystère, me répondit-il encore, incompréhensible à
l'esprit humain. Enfin je le priai de faire en sorte que j'obtinsse ce
que je désirais avec tant d'ardeur. L'heure, me dit-il, n'en est
pas encore venue; vous ne possédez pas la flamme du feu céleste. Or je
ne sais pas et je ne dois pas dire si cette vision se passa hors de mon
corps ou dans mon corps.
49. Il est rare qu'à midi, surtout pendant les chaleurs de l'été, on ne
sente pas quelque envie de dormir. Alors, et peut-être seulement alors, il
conviendrait de s'occuper d'un travail manuel.
50. Ma propre expérience m'a fait connaître que c'est le démon de l’acédie
qui se présente à nous le premier, afin de préparer les voies au démon de la
luxure. C'est pour cela qu'il saisit fortement les muscles et les nerfs de
nos corps pour les engourdir et nous plonger dans le sommeil, afin que dans
cet état il puisse nous faire tomber dans quelques fautes. Si donc vous
résistez fortement et avec courage à ces deux démons, ils vous feront une
guerre à toute outrance, et, afin de vous décourager et de vous faire
abandonner lâchement le champ de bataille, ils feront tous leurs efforts et
useront de toute sorte de moyens pour vous faire croire que vous ne recevez
aucun avantage spirituel de la vie solitaire que vous avez embrassée; mais
rien ne nous démontre plus sûrement que nous les avons vaincus, que
lorsqu'ils nous attaquent avec plus de fureur.
51. Êtes-vous obligé de sortir de votre cellule et de paraître en public ?
prenez bien garde de perdre le peu de vertu que vous avez acquis. En effet,
si vous laissez la porte d'une volière ouverte, les oiseaux ne tardent pas,
d’en sortir. Disons-en autant des bonnes œuvres d'un solitaire, s'il ouvre
la porte de son cœur à la dissipation.
52. Le plus petit objet dans les yeux fatigue et trouble la vue, et le
moindre soin inquiétant trouble la paix et le repos de la solitude; car la
vie érémitique consiste essentiellement à mettre de côté toutes les pensées
et toutes les inquiétudes de la vie présente, même celles qui paraissent
justes et permises, afin de ne s'occuper que de la grande affaire de
l'éternité.
53. Les personnes qui ont embrassé cette vie de tout leur cœur, ne se
mettent même pas en peine des besoins et des nécessités de leur corps :
elles ne peuvent ignorer qu'il est incapable de manquer à sa parole, Celui
qui S'est engagé à prendre soin de ses enfants.
54. Celui qui prétend offrir à Dieu une âme pure et digne de lui être
agréable et qui néanmoins ne laisse pas d'être agité de mille soins divers,
ressemble parfaitement à un homme qui, pour courir plus vite et marcher plus
facilement, se chargerait les pieds de chaînes pesantes.
55. Ils sont bien peu nombreux les hommes qui se sont fait un grand nom dans
les sciences et dans la sagesse de la philosophie; mais ils sont encore plus
rares ceux qui ont excellé dans la science et dans la philosophie
essentielles à la vie érémitique.
56. Il est bien loin d'être propre à cette vie, l'homme qui ne connaît pas
encore Dieu dans les communications d'une sainte familiarité, et, s'il
l'embrasse, il s'expose à une infinité de dangers; car la solitude suffoque
ceux qui n'ont aucune expérience dans les voies du Seigneur, et, n'ayant
jamais goûté les douceurs de Dieu, ils passent leur temps dans le sein des
ténèbres fatigantes, des distractions continuelles, des ennuis déchirants,
d'une tiédeur délirante et des lassitudes insupportables.
57. Quiconque possède heureusement le don de la prière, évite avec soin la
société bruyante des hommes : il la fuit avec autant d'horreur, que les
onagres; car n'est-ce pas la prière qui le rend, en quelque sorte, sauvage
lui-même, en le retirant absolument de la compagnie de ses semblables ?
58. Quiconque est encore en butte aux penchants déréglés de son cœur, doit
employer tout son temps dans la solitude, pour réprimer leurs mouvements, et
leur résister. C'est ce que m'a fait connaître le saint vieillard George
Arsilaïte, dont le nom et les vertus, mon révérend Père, ne vous sont pas
inconnus. Or voici ce qu'il me disait, lorsque, sans succès, il cherchait et
s'occupait à me former aux exercices de la vie érémitique : J'ai
remarqué, me disait-il, que les démons de la vaine gloire et de la
luxure nous attaquent surtout le matin, que c'est à midi que nous tentent
les démons de la paresse, de la colère et de la tristesse, et que c'est le
soir que le démon de l'intempérance nous fait la guerre.
59. Un cénobite pauvre vaut infiniment plus qu'un anachorète continuellement
agité par des distractions.
60. Celui qui est entré dans la solitude par des motifs justes et
raisonnables, et qui ne remarque pas chaque jour quelque progrès dans la
vertu, ou quelque avantage spirituel, doit se dire à lui-même qu'il ne s'y
conduit pas selon l'esprit de Dieu; ou bien, qu'il se laisse tromper par le
démon de l'orgueil.
61. La vie solitaire est une union continuelle avec Dieu par un amour ardent
et une adoration perpétuelle.
62. Que le souvenir de Jésus règne toujours dans votre esprit et dans votre
cœur ! et vous commencerez à connaître quel est le fruit de votre solitude.
63. Remarquez que, comme l’attachement à sa propre volonté fait tomber le
religieux qui vit sous la direction et l'autorité d'un supérieur; de même
l'omission ou l'intermission de la prière occasionne des chutes au religieux
solitaire.
64. Sachez que ce n'est pas plaire à Dieu, mais contenter votre paresse et
votre lâcheté, que d'éprouver de la joie et du plaisir, lorsqu'un grand
nombre de visiteurs viennent troubler le repos de votre cellule.
65. La prière de cette pauvre veuve qui était vexée par le créancier
impitoyable, doit être le modèle de la vôtre. Le grand Arsène, ce digne
émule des anges, est l'exemple que tous les cénobites doivent suivre;
cherchez donc à imiter dans votre solitude le genre de vie qu'il menait dans
la sienne, et ne perdez jamais de vue que cet ange de la terre, afin de ne
pas manquer aux ordres de la Providence, et de ne pas se priver des saintes
communications qu'il avait avec Dieu, ne craignait pas de congédier souvent
les personnes qui venaient le visiter pour le consulter.
66. J'ai observé plus d'une fois que les démons ont coutume de porter les
solitaires légers et inconstants, et qui ne sont entres dans la solitude que
par un esprit de vertige, à visiter souvent les anachorètes pleins de
ferveur et de recueillement; mais c'est afin que ces solitaires vagabonds
empêchent les véritables serviteurs de Jésus Christ de s'appliquer à leurs
exercices de piété. Faites attention, mon cher frère; je vous en supplie,
faites attention à ces coureurs, et n'hésitez pas de leur faire avec charité
des reproches et des réprimandes capables de les faire rougir de leur
funeste dissipation peut-être que l'humiliation que vous leur ferez, les
engagera à mettre un terme à leur vie errante et vagabonde et à se fixer
dans leurs cellules. Néanmoins, si vous mettez en pratique cet avis, vous
devez prendre garde d'attrister inconsidérément quelque âme qui, dévorée
d'une soif ardente de la grâce, viendrait auprès de vous pour y puiser l'eau
qu'elle désire et dont elle a besoin, et pour obtenir les secours pour
lesquels elle soupire. Au reste dans ces circonstances diverses il faut être
doué d'une grande sagesse el d'un discernement exquis.
67. La vie des anachorètes, ou pour mieux dire, des religieux, doit être
dirigée par les lumières d'une conscience droite et pure, et par les
sentiments et les affections d'un cœur sincèrement et solidement pieux et
dévot. Or celui qui marche ainsi dans cette illustre carrière, ne se propose
que l'accomplissement de la Volonté du Seigneur dans tous ses exercices,
dans toutes ses pensées, dans toutes ses démarches et dans tous ses
mouvements. Il n'est rien dans lui qu'il ne fasse avec un grand sentiment de
zèle et de ferveur pour la gloire de Dieu, dans le dessein de Lui plaire et
en sa sainte Présence; et celui qui n'est pas dans ces heureuses
dispositions, ou qui les abandonne, n'a pas encore acquis la vertu qui lui
est nécessaire.
68. Quelqu’un disait autrefois : Je découvrirai, en jouant sur ma
harpe, ce que j'ai à vous proposer (Ps 78,5), c'est-à-dire, je ferai
connaître ainsi mon sentiment à cause de la faiblesse de mon jugement; et
moi, j'offrirai à Dieu ma volonté tout entière dans une prière fervente et
je suis assuré qu'Il m'exaucera et me fera comprendre quels sont ses
desseins adorables sur moi.
69. La foi est une des ailes sur laquelle reposent nos prières pour monter
jusqu'au trône de Dieu; mais si celles que je lui adresserai, ne sont pas
dignes d'arriver jusqu'à lui, la tête courbée sur ma poitrine, je les
répéterai avec une nouvelle foi et une nouvelle instance (cf. Ps 34,13).
70. La foi procure à l'âme une assurance si ferme, qu'elle est inébranlable
au milieu des plus grandes adversités.
71. L'homme qui a la foi, n'est pas précisément celui qui croit que Dieu
peut tout, mais celui qui est persuadé qu'il obtiendra du Seigneur toutes
les demandes qu'il lui adressera.
72. La foi met à notre portée ce que nous n'aurions même pas osé espérer. Le
bon larron lui-même donne la preuve.
73. Ce qui ouvre la porte de notre âme à la foi ce sont l'adversité et la
droiture du cœur; l'adversité en nous rendant fermes et constants; et la
droiture, en nous perfectionnant dans la constance et la fermeté.
74. La foi est mère de la vie érémitique; peut-on concevoir comment les
solitaires pourraient aimer la solitude, s'ils ne croyaient pas ?
75. Un criminel en prison tremble sans cesse à la seule pensée des
magistrats qui doivent le juger et le condamner; or un cénobite dans sa
cellule, pourrait-il ne pas craindre le Seigneur ? Le criminel n'a pas
autant de raisons de redouter le lieu où il doit être jugé, que le
solitaire, le tribunal de Dieu où il faudra comparaître. Mon cher Frère,
dans votre solitude cette crainte salutaire vous est absolument nécessaire,
afin que vous puissiez chasser et rejeter loin, de vous la tiédeur et la
négligence; et c'est le moyen le plus sûr et le plus efficace pour y
réussir.
76. Quand un criminel a été condamné, il a sans cesse dans l'esprit qu'on
vient le chercher pour le conduire au supplice, mais un véritable serviteur
de Dieu ne perd pas de vue le moment où il plaira au Seigneur de le tirer de
la prison de soit corps. Un criminel est en proie tous les jours à la
douleur la plus poignante, et un solitaire pleure continuellement ses
égarements et ses fautes.
77. Si tu prends le bâton de la patience, elle vous servira pour éloigner
loin de vous les chiens et pour les empêcher d'aboyer autour de vous.
78. La patience met une âme dans un heureux état, elle peut, sans se laisser
abattre travailler à son salut et à sa perfection au milieu des rigueurs et
des difficultés fatigantes et opiniâtres de ses travaux.
79. La patience est une limite posée à la tribulation, du fait qu’elle
l’accueille jour après jour.
80. Un homme patient est donc incapable de tomber, ou s'il lui arrive
quelques chutes, ces chutes mêmes lui fournissent les moyens de se relever
avec avantage et de terrasser l'ennemi qui l'a fait tomber.
81. Or la patience est une forte et généreuse détermination à souffrir tous
les sujets d'affliction qui, chaque jour, peuvent arriver; elle est un
retranchement sévère de toutes les occasions capables de nous détourner de
l'accomplissement de nos devoirs; elle est une vigilance exacte surtout ce
qui regarde le salut.
82. Le religieux a moins besoin de pain pour conserver la vie du corps, que
de patience pour conserver la vie de l'âme : c'est, en effet, par la
patience qu'il mérite la vie éternelle; et il n'arrive que trop que la
nourriture du corps contribue à lui faire perdre cette vie éternelle.
83. L’homme qui pratique la patience, est mort avant de mourir; sa, cellule
est son tombeau.
84. L'espérance et la douleur des péchés produisent la patience dans les
cœurs; car celui qui ne possède pas ces deux vertus, est ordinairement le
vil esclave de la paresse.
85. L’athlète du Christ doit connaître quels sont ceux de ses ennemis qu'il
ne doit combattre que de loin, et quels sont ceux qu’il lui est utile
d'attaquer de près. Quelquefois le combat nous fait mériter des couronnes,
et d'autres fois la fuite du combat fait de nous des gens mauvais et
corrompus , mais ici nous ne pouvons pas entrer dans tous les détails pour
bien faire comprendre ces choses. En effet, nous n'avons pas tous les mêmes
inclinations, nous ne sommes pas tous affectés de la même manière, et nous
n'avons pas les mêmes habitudes ni les mêmes dispositions.
86. Tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'il est pour nous de la dernière
importance d'observer et de connaître quel est le chef des ennemis qui nous
font la guerre; car il ne nous laisse ni trêve ni repos : il nous poursuit
sans cesse; nous le rencontrons partout, soit que nous nous arrêtions, soit
que nous marchions, soit que nous nous reposions, soit que nous nous
donnions du mouvement, soit que nous soyons à table, soit que nous n'y
soyons pas, soit que nous prions, soit que nous dormions.
87. Quelques-uns de ceux qui ont embrassé la vie solitaire, ne cessent de
méditer ces paroles du psalmiste : Je regardais continuellement le
Seigneur, et je l'avais toujours devant les yeux (Ps 15,8). Mais, comme
les pains faits avec le froment du ciel pour nourrir les âmes, ne sont pas
tous faits de la même manière, d'autres trouvaient leur nourriture
spirituelle dans la méditation de ce précepte de Jésus-Christ : Vous
posséderez vos âmes dans la patience (Lc 21,19) d'autres, dans cet autre
précepte : Veillez et priez sans cesse (Mt 26,41); d'autres :
Disposez au dehors vos affaires, et préparez votre champ avec grand soin,
afin que vous puissiez bâtir votre maison (Pro 24,27); d'autres avaient
continuellement dans l'esprit ces paroles : Parce que j'ai été humble, le
Seigneur a pris soin de moi et m'a délivré (Ps 114,6); quelques autres
repassaient sans cesse dans leur mémoire cette belle sentence : Les
souffrances de la vie présente n'ont aucune proportion avec la gloire future
que nous en attendons (Rom 8,18); d'autres pensaient à cette sentence :
Vous qui tombez dans l'oubli de Dieu, comprenez ces choses, et craignez
qu'il ne vous enlève tout d'un coup, et que personne ne puisse vous délivrer
de ses mains (Ps 49,22). Tous courent a dans la même carrière; mais il
n'y en a qu'un seul qui remporte le prix.
88. Quiconque a fait des progrès dans les voies de la vie érémitique,
pratique la vertu avec une grande facilité, non seulement pendant son
réveil, mais encore pendant son sommeil. C'est ainsi qu'il arrive à
certaines personnes de chasser ignominieusement, dans leurs songes, les
démons qui cherchent à les porter au péché, et d'exhorter à la pratique de
la chasteté des personnes qu'en rêvant elles se figurent porter à violer
cette vertu céleste.
89. Cependant ne vous attendez pas à ces sortes de tentations, comme si
elles devaient vous arriver, et ne vous préparez pas à faire des discours
aux personnes que vous supposeriez devoir tendre des pièges à votre
innocence; car la vie d'un solitaire doit être simple, libre et exempte de
tout embarras.
90. Celui qui veut bâtir la tour céleste de cette vie, ne doit se mettre à
l'œuvre qu'après avoir longtemps examiné et pesé devant Dieu s'il a les
matériaux nécessaires et les autres choses indispensables pour achever son
ouvrage, et qu'après avoir recommandé au Seigneur, par des prières
ferventes, le succès, de son entreprise, il doit craindre qu'ayant jeté les
fondements de cet édifice spirituel, il ne soit pas capable de le terminer,
et qu’ainsi il ne devienne la risée et le triste jouet de ses ennemis, et
une pierre d'achoppement et de scandale pour les personnes qui seraient dans
le dessein d'entreprendre le même ouvrage.
91. Donnez une attention spéciale à la suavité et aux délices intérieures
que vous éprouvez; car il est à craindre pour vous que ce ne soient des
médecins cruels, ou plutôt, des ennemis dangereux qui fassent sentir ces
douceurs à votre âme, et qu'ils ne vous trompent par cette suavité
imaginaire.
92. Vous devez pendant la nuit consacrer à la prière et à la méditation tout
le temps dont vous pourrez disposer. Quant à la psalmodie, vous n'y
emploierez que quelques moments. Préparez-vous ensuite à bien remplir tous
vos exercices de la journée.
93. Rien ne contribue plus à éclairer et à recueillir l'esprit que les
saintes lectures : ce sont les paroles mêmes du saint Esprit; elles donnent
l'intelligence et la sagesse aux personnes qui les lisent et les méditent.
94. Dans l'état que vous avez embrassé, il faut que vos lectures soient
propres à vous encourager à en remplir exactement les obligations; car la
résolution ferme et généreuse de les accomplir fait qu'on n'a plus besoin
que des secours nécessaires pour être fidèle à cette résolution.
95. Vous trouverez plus sûrement le salut dans la pratique des bonnes œuvres
que dans la lecture des livres.
96. Vous devez éviter de lire les livres étrangers et surtout opposés au
genre de vie que vous menez, mais ne perdez jamais de vue qu'avant toute
chose vous avez besoin d'être instruit de la science et d'être fortifié par
la vertu de l'Esprit saint. Les paroles toujours obscures des hommes ne sont
propres qu'à obscurcir de plus en plus les faibles lumières de notre
intelligence.
97. Pour connaître la qualité du vin, il suffit de goûter un peu; ainsi un
seul entretien peut souvent faire comprendre à ceux qui ont du discernement,
quel est l'état et quelles sont les dispositions d'un anachorète.
98. Gardez-vous bien de jamais cesser de vous défier du démon de l’orgueil,
et de vous précautionner contre ses ruses; car c'est le plus adroit et le
plus subtil ennemi de votre vertu. 99. Sortez-vous de votre cellule, veillez
attentivement sur votre langue; car elle est capable de vous faire perdre en
un instant tout le fruit des bonnes œuvres que vous avez pratiquées avec
tant de peines et de travaux.
100. Abstenez-vous scrupuleusement de toute occupation qu'une vaine
curiosité vous proposerait : elle vous serait au moins inutile; car la
curiosité pour tant de choses est ce qu'il y a de plus capable de troubler
et de souiller le saint repos d'un solitaire.
101. Soit pour l'âme, soit pour le corps, donnez aux personnes qui viennent
vous visiter toutes les choses qui sont en votre pouvoir. Si c'étaient des
religieux puissants en vertus et en sagesse, nous nous contenterions de leur
faire connaître ce que nous sommes, et nous les écouterions en silence; si,
au contraire, ce n'étaient que de simples religieux, nous nous
entretiendrions avec eux dans un esprit de modestie et de modération, et
nous n'oublierions pas qu'il nous est très utile de penser et de croire que
les autres valent mieux que nous.
102. J'avais dessein de conseiller ici aux personnes nouvellement entrées
dans un monastère, de s'appliquer à des travaux incapables de les détourner
de la prière; mais l'exemple de ce religieux qui pendant la nuit portait du
sable dans son manteau, m'en a empêché.
103. Comme ce que la foi nous enseigne de la très sainte, éternelle et
adorable Trinité, est différent de ce qu'elle nous propose à croire sur
l'Incarnation du Fils de Dieu, qui est une des trois personnes de la
glorieuse Trinité, puisque ce qui est au nombre pluriel dans la sainte
Trinité, est au nombre singulier dans le Fils de Dieu fait homme, et que ce
qui est au nombre singulier dans la sainte Trinité, est au nombre pluriel
dans le Christ; de même il y a des exercices qui conviennent à la vie
érémitique, et il y en a d'autres qui conviennent à la vie cénobitique.
104. Le divin Apôtre a dit : Quel est l'homme qui connaît les pensées et
les conseils du Seigneur ? (Rom 11,34) Pour moi, je dis : Quel est
celui qui peut comprendre les pensées d'un homme qui, d'esprit et de corps,
passe sa vie dans la solitude ?
105. La puissance d'un roi consiste dans l'abondance et la richesse de ses
trésors et dans le nombre de ses sujets; mais la puissance d'un solitaire
consiste dans l'abondance de ses prières.
VINGT-HUITIÈME
DEGRÉ
De la
prière, sainte et féconde source de vertus;
du recueillement de l'esprit et du repos du corps qui lui sont nécessaires.
1. Si vous envisagez la prière en elle-même,
dites que c'est une sainte conversation, une douce union avec Dieu; mais si
vous considérez sa vertu et sa puissance, il faut dire que c'est elle qui
conserve le monde, réconcilie la terre avec le ciel, produit les larmes
sincères du repentir et en naît quelquefois, efface les péchés, triomphe des
tentations, nous console et nous protège pendant le temps fâcheux des
afflictions, met une fin et un terme aux guerres cruelles que nous font nos
ennemis, exerce dans nous les fonctions des anges, devient la nourriture des
esprits, procure les joies futures, entretient le coeur dans une action
continuelle, fait acquérir les vertus, obtenir les dons célestes, et avancer
à grands pas dans les voies de la perfection; il faut ajouter qu'elle est le
vrai froment de l'âme, la lumière de l'esprit, la ruine du désespoir, la
maîtresse de l'espérance, le fléau de la tristesse, la fortune des
religieux, le trésor des solitaires, l'extinction de la colère, le miroir des
progrès dans la vertu, la démonstration certaine des règles qu'on doit
suivre, la manifestation de l'état de notre âme, la notion claire des biens
futurs et l'indice de la gloire éternelle; il faut enfin avouer qu'elle est,
dans la personne qui prie, une espèce de palais et de tribunal où le
souverain Juge, sans attendre le dernier jour, rend à tout moment ses arrêts
de justice et de miséricorde.
2. Levons-nous et écoutons avec attention cette reine des vertus qui nous
appelle et qui nous adresse ces paroles à haute voix : Venez à Moi, vous
tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et Moi je vous soulagerai. Prenez
sur vous mon joug, et vous trouverez le repos pour vos âmes et la guérison
de vos blessures. Car mon joug est doux, (Mt 11,28-30) et J'ai le
pouvoir d'effacer les plus grandes fautes.
3. Lorsque nous nous présentons devant notre Roi
et notre Dieu, pour Lui adresser nos voeux et nos supplications, ayons soin
de nous être préparés à cette importante action, et craignons que, nous
voyant venir de loin sans les armes spirituelles et sans les autres
ornements qu'Il exige de nous, Il ne commande aux exécuteurs de sa justice
de nous chasser honteusement de sa Présence, de nous charger de chaînes et
de nous conduire en exil, après avoir déchiré sous nos yeux et jeté au
visage nos requêtes et nos prières.
4. Allez-vous faire à Dieu quelques prières, revêtez avec soin votre âme des
habits qui lui conviennent, dépouillez votre esprit et votre cÏur de tout
souvenir et de tout sentiment des injures que vous auriez reçues de vos
frères; car ce souvenir et ce sentiment paralyseraient absolument l'effet de
votre supplication.
5. Faites en sorte qu'elle soit simple, sincère et sans affectation — une
seule parole eut jadis le pouvoir de réconcilier avec Dieu le publicain et
l'enfant prodigue.
6. Les personnes qui se présentent devant Dieu pour prier, y paraissent
presque toutes dans la même posture; mais elles ne prient pas toutes de la
même manière, car les formes et les variétés de la prière sont innombrables.
En effet les unes parlent et agissent avec Dieu, comme elles le feraient
avec un ami ou un maître plein de bienveillance; et, en Lui offrant l'encens
de leurs voeux et de leurs louanges, elles ne pensent pas seulement à elles,
mais s'occupent des besoins et des nécessités de leurs frères; d'autres
conjurent avec ardeur le Seigneur de leur accorder les grâces, les faveurs
spirituelles, la gloire céleste, et d'augmenter en elles la confiance
qu'elles ont en sa Bonté; d'autres lui demandent tous les secours dont elles
ont besoin pour triompher, et se délivrer entièrement des efforts de leurs
ennemis; d'autres sollicitent avec instance quelque avantage spirituel
qu'elles désirent avec beaucoup d'ardeur; d'autres expriment à Dieu combien
elles désirent pouvoir êtres déchargées des inquiétudes cruelles que leur
fait éprouver le souvenir des dettes qu'elles ont eu le malheur de
contracter vis-à-vis de sa justice; d'autres énoncent combien elles
souhaitent de sortir de la prison de leur corps; d'autres se contentent de
postuler le pardon des fautes qu'elles ont commises.
7. Témoigner à Dieu une vive et sincère reconnaissance des bienfaits que
nous avons reçus de Lui, est la première chose que nous avons à faire et à
laquelle nous ne devons jamais manquer au commencement de nos prières; une
humble et humiliante confession de nos péchés, est la seconde; exprimer à
Dieu de tout notre coeur l'horreur et la douleur que nous avons de ms
péchés, est la troisième. Or, après que nous aurons rempli ces trois
premières qualités de la prière, nous continuerons ce saint exercice, en
demandant au Roi de l'univers toutes les grâces que nous désirons et dont
nous sentons que nous avons besoin. C'est sûrement là la meilleure manière
de faire nos prières; aussi un ange l'a-t-il révélée à un fervent moine.
8. Avez-vous jamais comparu devant un juge de la terre ? rappelez-vous de
quelle manière vous en avez agi pour gagner votre procès, et conduisez-vous
de même en vous présentant devant Dieu. Si au contraire vous n'avez point
paru en présence d'un juge mortel ou que vous n'ayez pas eu occasion de voir
les autres à son tribunal, que les malades à qui l'on va faire une opération
par le fer et par le feu, vous apprennent à prier Dieu. Voyez avec quelle
ardeur, et quelles paroles ils conjurent leur médecin de prendre soin d'eux
et de ne pas trop les faire souffrir.
9. Gardez-vous bien de rechercher dans vos prières des mots élégants et bien
arrangés; car très souvent les paroles simples et entrecoupées des enfants
leur ont attiré l'amitié et les bonnes grâces de leur Père qui est dans les
cieux.
10. N'employez pas non plus de longs discours, lorsque vous priez; car le
soin et la peine que vous prendriez pour trouver les mots capables
d'exprimer vos pensées et vos sentiments, dissiperaient votre esprit et vous
feraient perdre le recueillement qui vous est nécessaire. Une seule parole
ne mérita-t-elle pas au publicain la plénitude des Miséricordes du Seigneur
? une seule parole ne procurât-elle pas le salut au bon larron sur la croix
et au moment d'expirer ? Les grands mots et les belles phrases ne sont
propres qu'à remplir l'esprit d'illusion et de dissipation; tandis que
quelques paroles dictées par un coeur plein de foi, ont forcé l'esprit à
rentrer dans le recueillement et dans l'attention.
11. Vous Sentez-vous ému et touché par quelque pensée ou quelque sentiment
que vous exprimez à Dieu, ne passez pas outre : demeurez-y, arrêtez-vous-y;
car c'est une preuve que votre ange gardien prie avec vous.
12. Avez-vous de solides raisons de croire que votre coeur est pur et
innocent, ne parlez pas pour cela à Dieu avec trop de familiarité, mais avec
une humilité profonde, et cette humilité fortifiera votre confiance en sa
Miséricorde.
13. Quand même vous auriez acquis toutes les vertus, ne cessez de demander
pardon à Dieu de vos péchés. Saint Paul ne dit-il pas lui-même qu'il est le
premier des pécheurs (cf. 1 Tim 1,15) ?
14. On assaisonne les viandes avec du sel et de l'huile; mais c'est avec la
tempérance et les larmes de la pénitence, qu'on assaisonne la prière.
15. Lorsque vous aurez acquis une douceur parfaite, et que vous aurez
complètement triomphé de l'aigreur et de la colère, vous n'aurez que peu de
violence à vous faire pour être délivré de tout trouble et de toute
agitation dans vos prières.
16. Tant que nous n'avons pas acquis la véritable prière, nous sommes
semblables aux petits enfants à qui l'on apprend à marcher.
17. Travaillez donc à élever votre esprit jusqu'au ciel, ou plutôt, à le
fixer dans la méditation de certaines paroles qui se trouvent dans vos
prières; et, bien qu'à cause de la faiblesse de votre enfance spirituelle,
il vous arrive de faire des chutes, relevez-vous promptement et reprenez
courageusement votre chemin. Hélas ! malheureusement l'inconstance n'est que
trop le funeste apanage de l'esprit humain ! mais le Tout-Puissant peut
changer cette inconstance en une constance et une fermeté inébranlables. Or,
si vous ne cessez pas de lutter contre l'instabilité de votre esprit, Dieu,
qui a fixé des bornes aux flots agités de la mer, en donnera Lui-même aux
agitations de votre esprit, et leur dira : Vous viendrez jusque là, mais
vous n'irez pas plus loin. (Job 38,11) Il est impossible à l'homme
d'enchaîner la légèreté de l'esprit; mais tout est possible à Dieu, car
c'est Lui qui a créé l'esprit.
18. Si vous avez jamais considéré Dieu, qui est le soleil de justice, vous
pourrez vous entretenir avec Lui selon le respect qui Lui est dû; mais si
vous n'avez pas encore eu le bonheur de Le voir et de Le connaître, comment
vous sera-t-il donné de pouvoir traiter avec Lui ?
19. Pour mériter ce grand bien, ayez soin de ne jamais commencer vos prières
qu'après avoir désavoué et rejeté d'un grand courage toutes les distractions
qui vous arriveraient; continuez-les ensuite en appliquant fortement votre
esprit à la méditation des paroles dont elles sont composées; enfin tâchez
de les terminer par un saint ravissement en Dieu.
20. Les douceurs et la joie qu'éprouvent dans le saint exercice de la prière
les religieux qui vivent avec leurs frères, sont toutes différentes des
douceurs et de la joie que goûtent les religieux qui vivent dans la
solitude. Les premiers, se trouvent exposés aux illusions de la vanité;
tandis que les solitaires n'y sont point exposés, puisqu'ils n'ont que Dieu
pour témoin de leur prière, la sainte humilité, devient l'âme de leurs
communications avec le Seigneur.
21. Vous serez recueilli partout, même à table, si, par des efforts
constants et par une attention soutenue, vous vous entretenez dans le
recueillement, et que vous veniez à bout de ramener promptement votre
esprit, quand il s'égare. Si, au contraire, vous laissez à votre imagination
la liberté de folâtrer et de se dissiper, vous serez incapable de la
maîtriser, quand même il s'agira de remplir un devoir avec une sérieuse
attention.
22. Voilà pourquoi saint Paul, cet homme d'une prière si sainte et si
parfaite, n'hésite pas de nous assurer qu'il préfère dans la prière ne
dire que cinq paroles du fond du coeur, que d'en dire dix mille de la bouche.
(1 Cor 14,19). Mais cette perfection ne peut pas être de suite le partage
des jeunes religieux, ni de ceux qui ne font que de commencer à servir Dieu.
Ainsi il nous convient, tant que nous serons obligés de nous compter parmi
les imparfaits, de nous servir dans nos prières d'un certain nombre de
paroles : cette manière de prier nous conduira peu à peu à une autre plus
parfaite. En effet, Dieu voyant nos efforts pour rendre nos prières dignes
de Lui, bien que réellement elles soient imparfaites, nous accordera le
secours dont nous avons besoin pour prier comme il faut.
23. Mais ici faisons attention qu'il y a une grande différence entre ce qui
souille nos prières, ce qui les anéantit, ce qui nous les dérobe, et ce qui
les dissipe. En effet, nous souillons nos prières en nous laissant aller à
des pensées vaines et ridicules; nous les anéantissons, en devenant les
esclaves et les jouets des soins inutiles et superflus; nous nous laissons
dérober nos prières, en livrant notre esprit, sans vouloir nous en
apercevoir, à des pensées vagues et indifférentes; enfin nous nous faisons
illusion dans nos prières, lorsqu'en priant, nous nous laissons emporter par
quelques mouvements impétueux.
24. Faisons-nous nos prières en présence de plusieurs personnes,
efforçons-nous intérieurement d'humilier notre âme de la même manière que
ceux qui adressent et présentent des requêtes aux princes, humilient
extérieurement leur corps. Sommes-nous seuls, lorsque nous prions et sans
directeur, ne nous dispensons pas des dispositions corporelles et
extérieures qui conviennent à la prière; car l'esprit se conforme assez au
corps dans les personnes qui ne sont pas encore fort avancées dans les voies
de Dieu.
25. Tous ceux qui se présentent devant le Roi éternel, mais surtout les
personnes qui veulent obtenir le pardon de leurs péchés, doivent, dans leurs
intérêts spirituels, Lui offrir les sentiments sincères d'un coeur contrit
et humilié. Tant que nous serons dans notre corps, nous sommes obligés
d'observer l'ordre et le conseil que l'ange donna autrefois à saint Pierre
(cf. Ac 12,8).
26. Ceignez-vous donc de la ceinture de l'obéissance; dépouillez-vous
entièrement de votre propre volonté, et, mort à vous-même, présentez-vous
devant Dieu pour Lui offrir l'encens de vos prières. Car si nous ne nous
étudions qu'à connaître et à suivre la Volonté du Seigneur, nous sentirons
qu'Il viendra visiter notre âme et la conduire sans danger jusqu'à la vie
éternelle.
27. Si vous vous élevez au dessus de l'amour du siècle et des plaisirs de la
terre, vous rejetterez loin de vous toutes les inquiétudes de la vie
présente, vous débarrasserez votre esprit de toutes les pensées vaines et
inutiles, et vous renoncerez à votre propre corps. La prière, en effet,
n'est autre chose qu'un renoncement parfait à tout ce qui tient à ce mondé
présent; c'est un oubli de toutes les choses que nous y voyons ou que nous
n'y voyons pas, de celles qui sont corporelles, ainsi que de celles qui sont
incorporelles. Disons donc à Dieu : Qu'y a-t-il dans le ciel pour moi, ô
mon Dieu ? rien; eh ! qu'ai-je à désirer sur la terre, si ce n'est vous, ô
le Dieu de mon coeur et mon unique partage pour l'éternité ? Ce que je
désire uniquement, c'est d'être si fortement uni à vous par la prière, que
je ne puisse jamais en être séparé. Que les uns souhaitent et cherchent les
richesses et les grandes possessions; les autres, la gloire et les honneurs
: pour moi je n'ai d'autre bien ni d'autre avantage à désirer que d'être uni
et attaché à mon Dieu et de placer en Lui seul toutes mes espérances et
toute l'impassibilité de mon âme. (cf. Ps 72,25-28).
28. C'est la foi qui donne des ailes à la prière; car sans elle, elle ne
pourrait pas pénétrer jusqu'au ciel.
29. Qui que nous soyons, éprouvons-nous les troubles et les agitations que
donnent les passions et les mauvais penchants, ne nous décourageons pas,
mais demandons à Dieu avec une foi ferme et avec instance d'en être
délivrés, et ne perdons pas de vue que toutes les personnes qui sont enfin
parvenues à la tranquillité du coeur, n'y sont arrivées qu'en passant par
cette mer de troubles et d'agitations.
30. Quoiqu'un juge puisse ne pas craindre le Seigneur, il rend néanmoins
justice à cause des instantes importunités dont il se voit fatigué; ainsi en
agit le Seigneur à notre égard : en voyant notre âme, que nous Lui
exposerons, dépouillée de sa grâce par le péché, Il lui accordera de
triompher de son corps, qui est son redoutable adversaire, et de se venger
des démons, ses cruels ennemis.
31. Ce bon et charitable dispensateur de dons et de faveurs exauce, sans
différer, les âmes ferventes et reconnaissantes, et les fait entrer de suite
dans le palais sacré de son Amour; mais Il laisse les âmes froides et sans
reconnaissance souffrir longtemps la faim et la soif, afin que ces douleurs
les forcent, pour ainsi dire, à persévérer dans la prière. Ces âmes
malheureuses ne ressemblent que trop à des chiens qui n'ont pas plus tôt
reçu un morceau de pain, qu'ils s'éloignent de la personne qui le leur a
donné.
32. Ne dites pas que, quoique vous ayez fait de longues prières, vous n'avez
cependant fait aucun progrès, ne devez-vous pas voir que cette constance,
fut-elle toute seule, serait déjà pour vous un très grand avantage ? En
effet peut-il y avoir pour vous rien de plus précieux que cette union que
vous avez avec Dieu et que cette persévérance dans le saint exercice de la
prière ?
33. Un criminel et un condamné au supplice tremblent moins au souvenir de la
sentence qui a été ou qui sera prononcée par leurs juges, qu'un chrétien qui
est possédé du désir de faire de bonnes prières, ne tremble de les faire
d'une manière qui soit indigne du Seigneur. Aussi la seule pensée de la
prière dans une personne sage et fervente pour son salut, suffit pour
étouffer en elle tout ressentiment et tout souvenir des injures qu'elle a
reçues, réprimer les mouvements de la colère, bannir les soins superflus,
négliger les affaires purement temporelles, ne donner aucune attention aux
afflictions et aux peines de la vie, garder une exacte tempérance, triompher
des tentations, et se préserver des mauvaises pensées.
34. C'est par une prière continuelle du coeur que vous devez vous préparer à
la prière intérieure et extérieure par laquelle vous voulez, en vous
présentant devant Dieu, Lui offrir vos voeux et vos supplications. En vous
conduisant de la sorte, n'en doutez pas, vous ferez de grands progrès en peu
de temps. J'ai vu des personnes éminentes dans la vertu d'obéissance, qui,
selon les forces et l'attention dont elles pouvaient jouir, se conservaient
fidèlement en la présence de Dieu, lesquelles en se présentant avec leurs
frères pour prier, avaient en un instant recueilli et leur esprit et leur
coeur, et répandaient des torrents de larmes. C'était l'obéissance qu'elles
pratiquaient avec tant de perfection, qui les avait si bien préparées à la
prière.
35. La psalmodie qui a lieu dans la communauté, peut, il est vrai, exposer à
des distractions et à des pensées de trouble, tandis que la psalmodie des
solitaires n'est pas sujette aux mêmes inconvénients; mais la présence de
nos frères recueillis et fervents peut nous procurer de la ferveur et nous
tirer de la négligence, tandis que la paresse et la lâcheté des solitaires
n'ont pas les mêmes remèdes.
36. La guerre que soutient un roi contre ses ennemis, lui fait connaître
l'amour et l'attachement que les soldats lui portent; la prière manifeste
l'amour et la tendresse que nous avons pour Dieu.
37. Elle montre à nous-mêmes le véritable état de notre âme. Ce n'est donc
pas sans raison que les théologiens l'appellent le miroir de l'âme du moine.
38. Quiconque, ayant commencé un ouvrage, le continue, lorsque l'obéissance
l'appelle à la prière, se trompe grossièrement : il ne suit que
l'inspiration des démons; car ces infâmes voleurs nous dérobent, une à une,
les heures de notre vie.
39. Quoique -vous n'ayez pas le don de prière, si quelqu'un se recommande à
vous lorsque vous prierez Dieu, ne refusez pas cette recommandation; car
souvent la foi vive de la personne qui nous demande le secours de nos
prières, obtient pour celui à qui cette recommandation a été faite, la grâce
d'une sincère contrition qui justifie et qui sauve.
40. Dieu, lorsque vous priez pour vos frères, exauce-t-Il vos prières,
prenez bien garde de vous livrer à la vaine gloire : pensez que c'est leur
foi qui a donné cette vertu et cette efficacité.
41. Chaque jour les précepteurs obligent leurs élèves à rendre un compte
exact des leçons qu'ils leur donnent; de même Dieu nous demandera compte de
la force et de la vertu qu'Il aura données à toutes nos prières. C'est
pourquoi, lorsque nous prions avec le plus de ferveur, nous devons veiller
sur nous avec une attention toute particulière; car c'est alors que les
démons nous attaquent avec le plus de violence par des mouvements
d'impatience, afin de nous faire perdre le fruit de nos prières.
42. Nous devons, sans aucun doute, pratiquer toutes les bonnes oeuvres avec
une grande affection de coeur; mais c'est surtout à la prière que nous
devons cette disposition de notre âme; et nous pouvons dire qu'une âme prie
avec cette sainte affection du coeur, lorsqu'elle a parfaitement triomphé de
là colère.
43. Ah ! qu'ils sont solides et durables les biens spirituels que nous avons
acquis par beaucoup de prières et par de longues années d'épreuves, de
travaux et de peines !
44. Quand on a le bonheur d'être uni à Dieu, on ne s'inquiète guère de
quelles paroles on se servira pour Lui parler dans l'oraison; car l'Esprit
saint prie Lui-même, par des gémissements ineffables dans une, personne qui
se trouve dans cet heureux état. (cf. Rom 8,26).
45. Lorsque vous priez, chassez exactement de votre esprit toutes les
représentations et les images qui s'y présentent, afin de ne pas tomber dans
l'aveuglement et dans l'insensibilité.
46. C'est la prière, même qui vous fera connaître, et qui vous donnera
l'assurance, que vos prières auront été exaucées. Or cette assurance est une
grâce que nous fait le saint Esprit, par laquelle Il nous ôte tout doute et
toute hésitation.
47. Avez-vous un véritable désir que vos prières soient exaucées ? soyez bon
et rempli de commisération pour vos frères; car ce sera la miséricorde que
nous aurons exercée envers le prochain, qui nous fera obtenir le centuple en
ce monde, et la vie éternelle en l'autre. (cf. Mt 19,29).
48. Le feu céleste enflamme de ses bienfaisantes ardeurs les prières que
nous sommes résolus de faire avec amour et révérence; et, une fois qu'elles
sont ainsi réchauffées, elles montent jusqu'au ciel, et en font descendre
dans une âme qui prie dans ces heureuses dispositions, des flammes
nouvelles, qui,la purifient et la sanctifient de plus en plus.
49. Il est des personnes qui pensent que la prière est plus utile que la
méditation de la mort et de ce qui la suivra; pour moi, je loue ces deux
pratiques de piété, et les regarde comme également salutaires. Je crois même
qu'elles ont toutes deux la même nature.
50. Observons, que plus un cheval fort et ardent s'avance vers le but où on
le dirige, plus il s'anime, s'élance et, par la rapidité de sa course,
s'efforce d'arriver. Telle doit être la conduite d'une âme dans l'exercice
sacré de la prière. Or par la course que fait, cette âme qui prie, j'entends
les louanges qu'elle rend à Dieu. Ainsi, lorsque cette âme généreuse et
ardente voit arriver l'heure du combat, elle s'anime, s'encourage, saisit
ses armes, vole sur le champ de bataille et se montre invincible.
51. Il est bien pénible pour une personne dévorée par les ardeurs d'une soif
brûlante, de se voir enlever l'eau dont elle allait se désaltérer; mais il
est bien plus cruel pour une âme qui prie avec de grands sentiments de
componction, être obligée d'interrompre son union et sa conversation avec
Dieu, lesquelles lui faisaient goûter tant de douceurs et de consolations et
qu'elle avait désirées avec une si grande ardeur.
52. Ne mettez pas fin à
votre prière, pendant que vous éprouverez en vous-même les ardeurs du feu
que Dieu y a mis, et qu'il ne fera pas tarir Lui-même la source des larmes
que sa grâce vous fait répandre; car peut-être dans toute votre vie vous ne
rencontrerez pas une occasion aussi favorable pour vous faire mériter et
pour obtenir le pardon de vos fautes.
53. Il n'arrive que trop souvent que des personnes, après avoir reçu de Dieu
le don d'une oraison parfaite, après avoir même goûté quelque temps les
délices et les consolations célestes, souillent misérablement leur
conscience par des paroles inconsidérées et téméraires, et cherchent ensuite
sans succès ce qu'elles avaient coutume de trouver dans leurs prières.
54. Il y a une grande différence entre méditer intérieurement en
s'entretenant avec son propre coeur, et conduire ce même coeur en suivant
les lumières de la partie supérieure de l'âme qui, étant éclairée par la
foi, devient reine et capable d'offrir au Christ des hosties qui lui soient
agréables. C'est donc avec raison qu'un de nos pères qui, par leur science,
ont mérité le titre de théologiens, a dit, qu'un feu saint et céleste
descend dans les personnes qui se livrent à la méditation pour les
enflammer, et les purifier des impuretés et des souillures qui leur restent
encore, et que ce même feu descend aussi dans les âmes de celles qui ont
réglé leur coeur selon les lumières de la foi, pour les éclairer de plus en
plus et les faire avancer dans les voies de la perfection. C'est pourquoi ce
feu salutaire est justement appelé une lumière qui consume et qui éclaire.
Aussi voyons-nous quelquefois des personnes sortir du saint exercice de la
prière comme d'une fournaise ardente, et sentir elles-mêmes qu'elles ont été
purifiées de leurs souillures et de leurs imperfections, et délivrées de la
concupiscence, ce terrible et funeste foyer des péchés; et que d'autres en
sortent toutes remplies de lumières, revêtues des riches habits de
l'humilité et inondées d'une joie céleste. Ils ont donc prié de corps plutôt
que de coeur, ceux qui dans l'oraison n'ont pas éprouvé plus ou moins l'un
ou l'autre de ces deux effets; leur prière a donc été une prière judaïque.
55. Si les corps sont capables de changer en touchant d'autres corps,
comment pourrait-il demeurer dans le même état, l'homme qui aurait avec une
âme et des mains pures touché Dieu dans la prière ?
56. Nous trouvons dans la conduite des rois de la terre une image de la
conduite de notre Roi suprême et éternel. En effet Il distribue souvent
Lui-même les récompenses qu'Il accorde à ses serviteurs; d'autres fois, il
les leur fait distribuer par le ministère de quelques favoris; d'autres fois
il n'emploie, pour faire, cette distribution, que le ministère de quelques
officiers inférieurs; enfin quelquefois Il ne les donne que d'une manière
secrète et cachée. Mais remarquons que toutes ces distributions de
récompenses se font selon l'humilité qui règne dans les coeurs.
57. Un roi de la terre ne manquerait pas d'avoir en horreur un sujet qui,
tandis qu'il serait devant lui, détournerait le visage pour parler à son
ennemi; or quelle horreur le Roi du ciel ne doit-Il pas avoir d'une personne
qui dans la prière se détourne de Lui pour s'entretenir avec de mauvaises
pensées et les approuver ?
58. Si le démon vient vous distraire pendant vos prières, chassez-le loin de
vous, comme vous chasseriez un chien, et ne cédez jamais à ses importunités.
59. Demandez à Dieu ses dons et ses grâces par les larmes du repentir et de
la pénitence; mais rappelez-vous que ce sera par l'obéissance que vous les
recueillerez, et que c'est par une patience pleine de persévérance que vous
devez frapper à la porte de ses Miséricordes : or cette porte est bientôt
ouverte à celui qui frappe de cette manière; et tôt ou tard il obtient
l'objet de ses désirs et de ses voeux, celui qui prie Dieu dans ces
dispositions.
60. Je vous conseille fortement de ne pas vous charger imprudemment de prier
pour une femme; car il est à craindre, que le démon ne se serve de cette
occasion pour pénétrer dans votre coeur et vous enlever le trésor précieux
des grâces dont Dieu vous a orné et vous a doté.
61. Une autre précaution que vous avez à prendre, c'est de ne pas considérer
en particulier et de ne pas examiner scrupuleusement les fautes corporelles
que vous avez faites; car vous devez craindre que votre ennemi ne vous tende
encore des pièges, et ne se serve de vous-même pour vous faire tomber dans
ses embuscades.
62. Le temps que vous devez employer aux exercices et aux affaires
spirituelles et nécessaires, ne le prenez pas pour le consacrer à la prière;
ce serait encore là une ruse par laquelle le démon voudrait vous empêcher
d'obtenir ce qu'il y a de plus avantageux et de plus salutaire dans la vie
religieuse.
63. Quiconque a soin de marcher en s'appuyant toujours sur le bâton fort et
puissant de la prière, ne fera pas de chutes ou, s'il a le malheur de faire
quelques faux pas, sa chute ne sera pas entière. Au reste, la prière est une
douce et sainte violence que nous faisons à Dieu.
64. Or les victoires et les triomphes que nous remporterons sur eux, nous
feront connaître et sentir quelles sont la puissance et la vertu de la
prière. Voilà, pourquoi David s'écrie : J'ai connu, ô mon Dieu, quel a
été votre Amour pour moi, parce que vous m'avez donné l'assurance que, dans
la guerre que je soutiens, mes ennemis n'auront aucun sujet de s'applaudir
des avantages qu'ils auront remportés sur moi ( Ps 40,12). C'est encore
pour cette raison que le psalmiste dit : J'ai crié de tout mon coeur,
c'est-à-dire de toutes mes forces : Exaucez-moi, Seigneur, et je
rechercherai la justice de vos ordonnances (Ps 118,145). C'est enfin
pour nous faire comprendre cette importante vérité que le Christ nous fait
entendre cette sentence : Lorsque deux ou trois personnes se trouvent
réunies ensemble en mon Nom, Je me trouve au milieu d'elles (Mt 18,20).
65. Toutes les personnes, et par rapport au corps et par rapport à l'âme, ne
sont pas dans les mêmes dispositions pour chanter les louanges de Dieu; car
les unes aiment à chanter les psaumes avec une certaine célérité, et les
autres avec une certaine lenteur : les premières en agissent de la sorte,
afin, disent-elles, d'éviter les distractions et de s'en délivrer, et les
dernières, parce qu'elles ont de la difficulté à bien prononcer et à
comprendre les paroles qu'elles chantent.
66. Si vous implorez assidûment le secours du Roi du ciel contre vos
ennemis, soyez bien assuré qu'ils ne vous fatigueront pas; car ils se
retireront bien vite et d'eux-mêmes ils ne craignent rien tant que de vous
fournir des occasions de vous procurer de nouveaux triomphes et de nouvelles
couronnes dans les combats où vous les vaincriez en vous servant contre eux
de l'arme puissante de la prière. La prière, semblable à un feu brûlant, les
éloignera et les fera fuir loin de vous.
67. Ayez donc toujours une ferme confiance en Dieu, et Il sera Lui-même le
maître qui vous apprendra l'art salutaire de bien prier. Nous ne pouvons
absolument pas nous donner la faculté de voir; c'est Dieu qui nous l'a
donnée en nous créant, mais tous les hommes ensemble seront-ils capables de
nous faire discerner et connaître quelle est l'excellence de l'oraison ? Ah
! c'est Dieu seul qui peut, dans l'exercice même de la prière, nous faire
comprendre et son excellence et les avantages qu'elle nous procure; oui,
c'est Dieu qui donne à l'homme toute la science dont il est doué, qui
accorde à celui qui prie la grâce de bien prier, et qui répand les
bénédictions de sa Tendresse sur les âmes justes et saintes.
VINGT-NEUVIÈME
DEGRÉ
Du
ciel terrestre, c'est-à-dire de la paix de l'âme,
qui la rend semblable à
Dieu en la perfectionnant
et en lui procurant la résurrection avant la résurrection générale.
1. Voici que, malgré mon ignorance profonde,
malgré les ténèbres épaisses que mes passions répandent sur mon esprit,
malgré enfin les ombres de la mort de mon corps, j'ai la témérité et la
hardiesse de parler du ciel terrestre. Or si les étoiles sont le superbe
ornement du firmament, les vertus sont celui de la tranquillité du cÏur.
C'est pour cette raison que je pense et dis que la paix ou la tranquillité
de l'âme n'est rien d'autre sur la terre qu'un véritable ciel dans lequel
une âme qui le possède, ne considère plus les ruses et la méchanceté des
démons que comme des jeux et de vains amusements.
2. Il est donc vraiment délivré et maître en même temps de tous les troubles
et de toutes les agitations de son âme, l'homme qui a purifié sa chair de
toute sorte de taches et de souillures, et qui, par ce moyen, l'a rendue, en
quelque façon, incorruptible; qui a su élever ses affections et ses
sentiments au dessus des choses créées, et soumettre tous ses sens à
l'empire de la raison et de la foi; qui enfin, par une force surnaturelle, a
pu placer son âme face à face devant Dieu et la lui consacrer avec une
délicieuse confiance.
3. Certains soutiennent que cet heureux état de l'âme est une résurrection,
c'est-à-dire un retour de l'âme à son véritable état, avant la résurrection
du corps qu'elle anime. Il en est d'autres qui vont jusqu'à dire que la paix
et la tranquillité de l'âme donnent de Dieu une connaissance semblable à
celle que les anges en ont.
4. Cet heureux état de l'âme, quoiqu'il soit la perfection des coeurs
parfaits, est néanmoins susceptible de s'augmenter sans cesse et presque
jusqu'à l'infini. C'est cette tranquillité, ainsi que m'en a assuré un grand
serviteur de Dieu qui en avait fait lui-même la délicieuse expérience,
laquelle sanctifie et purifie tellement une âme, la détache et la délivre si
victorieusement de toutes les affections pour les choses de la terre, que,
par un ravissement tout divin, elle l'élève jusque dans les cieux, et
qu'après l'avoir conduite au port du salut, elle lui fait contempler Dieu
même. Eh ! n'est-ce point de ce ravissement céleste qu'il avait peut-être
éprouvé, que David veut parler, lorsqu'il dit : que les dieux puissants
de la terre ont été extraordinairement élevés (Ps 46,10). C'est encore
ce qu'avait éprouvé ce saint religieux d'Égypte, qui, au milieu de ses
frères, priait presque toujours les bras étendus vers le ciel.
5. Cependant cette admirable paix de l'âme n'est pas la même dans tous ceux
qui la possèdent; car elle est plus ou moins éminente et parfaite dans les
uns que dans les autres. Il y en a, par exemple, qui ont une horreur extrême
pour le péché; d'autres, qui sont dévorés par le désir de s'enrichir de
vertus.
6. On appelle avec raison la chasteté paix de l'âme; car cette vertu
angélique est le principe de la résurrection générale, de l'incorruptibilité
et de l'immortalité des créatures devenues par le péché corruptibles et
mortelles.
7.
Eh ! n'était-ce pas de la tranquillité de l'âme que voulait parler saint
Paul, en disant : Quel est l'homme qui a connu l'Esprit du Seigneur
(1 Co 2,16) ? N'était-ce pas encore cette vertu que voulait signaler un
solitaire d'Égypte, en disant qu'il n'avait plus de crainte du Seigneur ?
Voulait-il marquer une autre chose que la paix de l'âme, ce religieux qui
priait Dieu de lui permettre d'être encore éprouvé par le feu des tentations
? Quelle est donc encore la personne qui, avant la gloire future, puisse
être jugée plus digne de cette tranquillité du coeur, que ce Syrien qui,
tandis que David, si illustre parmi les prophètes, disait à Dieu :
Accorde-moi , Seigneur, dans le cours de mon pèlerinage, quelque relâche et
quelque repos, afin de recevoir quelque rafraîchissement avant que je parte
de ce monde (Ps 38), disait lui même : Modère, Seigneur, les
effusions surabondantes de grâces et de consolations dont Tu inondes mon âme
?
8. Une âme possède réellement cette précieuse paix, lorsqu'elle est portée
au bien et identifiée avec la vertu, comme les méchants sont portés au mal
et absorbés dans les plaisirs des sens.
9. Si le dernier comble de l'intempérance consiste à se faire violence pour
manger et boire, quand on est parfaitement rassasié, la perfection de la
tempérance et de la sobriété consiste à se priver de manger et de boire,
lorsqu'on en a un très grand besoin; or une âme ne parvient à ce degré de
vertu que par la puissance et l'autorité qu'elle a prises sur les appétits
et les inclinations du corps.
Si le plus exécrable des excès auquel la luxure puisse porter l'homme
qu'elle tient dans son honteux esclavage, est de chercher à contenter sa
passion avec des bêtes et des objets inanimés, le plus haut degré de la
chasteté est de n'être pas plus touché ni ému par les créatures animées que
par celles qui ne le sont pas.
Si le dernier terme de l'avarice consiste à ne jamais cesser de travailler
pour augmenter les richesses que l'on possède déjà et à ne jamais savoir se
contenter, assurément la preuve la plus frappante qu'on aime et qu'on
pratique la pauvreté, doit être de ne pas même épargner son propre corps. Se
croire dans un état doux et tranquille au milieu des afflictions les plus
cruelles, sera la preuve de la plus héroïque patience.
Le comble de la fureur et de la colère est bien certainement de se livrer
aux emportements, lorsqu'on est seul; le comble de la douceur et de la
modération doit donc être de demeurer dans le calme, soit en l'absence, soit
en la présence des calomniateurs.
Si le dernier degré du délire auquel puisse faire arriver la vaine gloire,
consiste à penser et à croire qu'on mérite d'être loué, et qu'on reçoit des
louanges que personne ne donne ni ne peut donner; la marque la plus sûre
qu'on a foulé aux pieds tout sentiment de vanité, c'est de ne pas en
éprouver le plus léger mouvement au milieu même des éloges qu'on nous donne
pour les bonnes oeuvres que nous avons eu le bonheur de pratiquer.
Si le vrai caractère de l'orgueil, cette maudite peste des âmes, est de nous
faire élever au-dessus des autres, quelque vils et méprisables que nous
soyons, ne faut-il pas convenir que le caractère essentiel de l'humilité,
cette mère féconde des vertus, consiste à conserver des sentiments
d'abjection et de mépris pour soi-même au milieu des plus grandes
entreprises et des actions les plus honorables et les plus éclatantes ?
Si c'est un témoignage irréfragable qu'on est esclave de toutes les
passions, quand, sans aucune résistance, on succombe à toutes les tentations
du démon, c'est, à mon avis, une marque certaine qu'il est parvenu à la
bienheureuse paix de l'âme, l'homme qui peut dire ouvertement avec David :
Je ne connaissais pas le méchant qui s'éloignait de moi, cf. Ps
100,4), et ajouter : Je ne sais ni comment ni pourquoi il est venu, ni
comment il s'est retiré ; car étant uni à mon Dieu par des liens si forts
qu'ils ne me permettront pas de me séparer de Lui, je suis insensible à
toutes ces choses et à d'autres semblables.
10. Or les personnes auxquelles Dieu a daigné accorder cette grâce si
sublime, quoique revêtues d'une chair fragile, deviennent et sont des
temples vivants de la Divinité, qui les dirige et les conduit dans leurs
paroles, leurs actions et leurs pensées, et qui, par les lumières abondantes
dont elle éclaire leur esprit, leur fait exactement connaître quelle est son
adorable Volonté; et, supérieures à toutes les instructions des hommes, ces
âmes fortunées s'écrient dans les sentiments d'un ravissement céleste :
Mon âme est toute brûlante de soif pour mon Dieu, qui est le Dieu fort et
vivant; quand viendrai-je et quand paraîtrai-je devant la Face de mon Dieu
? (Ps 41,3); et elles ajoutent : Je ne peux plus supporter la violence du
désir qui me presse; ô mon Dieu, je désire, je cherche et je demande cette
beauté immortelle que Tu m'avais donnée avant cette chair de boue.
11. Mais que pouvons-nous dire de plus ? quiconque possède cette
suréminente tranquillité de l'âme, n'est-il pas autorisé à dire avec saint
Paul : Je vis, mais ce n'est pas moi qui vis, c'est Jésus Christ qui vit
en moi (Ga 2,20), et à dire encore avec le même apôtre : J'ai
combattu le bon combat, j'ai achevé la course, j'ai gardé la foi. (2 Tm
4,7)
12. Il y a plus d'une pierre précieuse pour orner le diadème des rois, et la
paix de l'âme n'est pas formée par une seule vertu, mais par la réunion de
toutes les vertus — elle ne pourrait exister par l'absence d'une seule.
13. Soyez bien persuadé que cette paix est, en quelque sorte,
la cour et le palais du Roi des cieux : or dans ce palais
comparable à une grande cité, il y a différentes habitations pour les âmes
justes : le mur qui entoure cette nouvelle Jérusalem, c'est la rémission de
nos péchés. Courons donc, ô mes frères, arrivons jusqu'au lit qui nous est
préparé dans ce palais céleste : nous devons y trouver un repos parfait. Eh
! si par un malheur à jamais déplorable nous nous trouvons encore chargés du
poids de nos mauvaises habitudes, ou que nous soyons embarrassés par les
affaires de la vie qui est si courte, appliquons-nous au moins à nous
procurer une place autour du lit nuptial de l'Époux céleste. Si notre
tiédeur et notre négligence nous privent encore de cet honneur et de cet
avantage, faisons du moins en sorte d'entrer dans l'enceinte de ce palais;
car, hélas ! il sera condamné à vivre éternellement dans une désespérante
solitude avec les démons, l'homme qui, avant sa mort ne sera pas entré dans
cette enceinte, ou plutôt qui n'aura pas escaladé les remparts de cette cité
céleste pour pénétrer dans son enceinte. Il faut donc de toute nécessité
qu'avec une détermination forte et sincère, nous disions avec David :
C'est avec le secours de mon Dieu que je veux traverser le mur, (Ps
17,30); et ce mur, le Prophète nous enseigne que ce sont nos péchés : Vos
iniquités, dit-il, ont établi un mur de séparation entre vous et votre Dieu.
(Is 59,2) Travaillons avec courage, ô mes amis, pour renverser ce mur de
séparation que nous avons si malheureusement élevé par nos désobéissances.
Procurons-nous à tout prix la rémission de nos péchés; car personne dans
l'enfer ne pourra nous donner les moyens de payer les dettes que nous avons
contractées en les commettant. Soyons donc pleins de zèle, ô mes chers
frères, pour les intérêts de notre salut; car c'est pour cette fin que Dieu
nous fait la grâce de nous enrôler dans sa milice sainte. Soyons bien
convaincus que nous ne pouvons nous excuser de n'être pas animés de cette
ardeur, ni sur les chutes que nous avons faites, ni sur les circonstances
pénibles du temps, ni sur la difficulté de porter le joug du Seigneur; car
tous ceux qui, comme nous, ont été revêtus de Jésus Christ dans le sacrement
de la régénération, Dieu leur a donné le pouvoir de de devenir et d'être ses
enfants (cf. Jn 1,12), et c'est à eux qu'Il adresse ces paroles : Quittez
vos téméraires entreprises, considérez et reconnaissez que Je suis votre
Dieu (cf. Ps 45,11), et que : Je suis la paix solide et véritable des
coeurs. Or c'est à ce Dieu de paix que nous devons gloire et honneur dans
les siècles des siècles. Amen.
14.
Cette sainte tranquillité transporte de la terre au ciel une âme qui connaît
et qui sent sa misère, et réveille le courage d'un pécheur rempli
d'humilité, pour le faire sortir de l'ordre de ses passions. Mais l'amour,
qui est au-dessus de toute louange, accorde aux personnes qui en sont ornées
le pouvoir d'être placées parmi les anges qui sont les princes du peuple de
Dieu.
TRENTIÈME DEGRÉ
De la
réunion des trois vertus théologales, la foi, l'espérance et la charité.
1. Après avoir parlé de toutes les choses qui
nous ont occupés jusqu'à présent, nous pouvons dire avec l'Apôtre qu'il nous
reste à considérer la foi, l'espérance et la charité, vertus qui sont le
fondement et le lien de toutes les vertus chrétiennes et religieuses. Or la
plus grande et la plus belle de ces trois vertus, c'est la charité; car Dieu
même est appelé Amour.
2. Nous envisagerons la foi comme un rayon du soleil qui nous éclaire;
l'espérance, comme la lumière de ce rayon qui nous dirige et nous encourage;
et la charité, comme ce soleil tout entier qui nous enflamme et féconde en
nous tout le bien que nous faisons. Cependant nous devons dire que ces trois
vertus concourent à former la même lumière et la même splendeur.
3. La foi nous rend capables d'exécuter tout ce qu'elle nous fait
entreprendre. La miséricorde de Dieu affermit et fortifie l’espérance, et ne
souffre pas que cette vertu soit troublée ni confondue. La charité ne fait
point de chute, ne s'arrête pas dans sa course et ne permet pas à celui
qu'elle a blessé de ses divines flèches, de se donner du repos ni de cesser
de se livrer à des actions que l'esprit du monde regarde comme
déraisonnables et insensées; mais c'est ici une sage et heureuse folie.
4. Toutes les fois qu'on veut parler de la charité, c'est de Dieu même.
Qu'on juge par là combien est grande, difficile et périlleuse la chose que
désirent entreprendre les personnes qui ne feraient pas attention à la
grandeur de ce qu'elles vont commencer, en voulant parler de Dieu.
5. Les anges connaissent l'excellence de la charité selon le degré de
lumière que le Seigneur leur a communiqué.
6. Dieu est amour (1 Jn 4), et celui qui prétendrait expliquer dans
ses paroles ce que c'est que Dieu, serait plus insensé et plus aveugle
qu'une personne qui voudrait compter tous les grains de sable qui sont sur
les bords et dans les abîmes de la mer.
7. La charité est donc quelque chose de semblable à Dieu, et par sa
puissance elle rend les hommes qui la possèdent semblables à lui, autant que
leur nature peut en être susceptible. Les effets qu'elle produit dans une
âme qui en est ornée, c'est de la livrer à une sainte et délicieuse ivresse,
d'être pour elle une fontaine intarissable de foi, un abîme de justice et de
patience, et un océan d'humilité.
8. La charité chasse de l'esprit toute pensée désavantageuse au prochain;
elle ne pense jamais mal de personne (1 Cor 13,5).
9. La charité, la paix du cœur,
et l’adoption que Dieu fait de nous au baptême pour être ses enfants chéris,
sont trois choses qui ne diffèrent entre elles que de nom, à peu près de la
même manière que le feu, la lumière et la flamme. Elles ont toutes les trois
la même nature, la même action et les mêmes effets : telle est l'idée que
vous devez en avoir
10. On a plus ou moins de crainte, selon que la charité est plus ou moins
parfaite. Il est rempli de charité, ou bien cette vertu est entièrement
éteinte dans lui, le chrétien qui ne craint plus rien.
11. Je crois ne pas faire une chose inutile, que de me servir ici de
comparaisons tirées des actions humaines afin de donner à comprendre quelle
est la crainte, l'ardeur, le zèle, les soins, l'empressement, le respect,
l'obéissance et l'amour que nous devons avoir pour Dieu. Heureux donc
l'homme qui aime Dieu avec une affection aussi ardente qu'un amant insensé
chérit la beauté qui a si misérablement ravi son cœur ! Heureux encore celui
qui n'a pas pour Dieu moins de crainte, qu'un criminel n’en a pour les juges
qui doivent le juger et le condamner ! Heureux encore le chrétien dont le
zèle et l'ardeur dans les voies de Dieu enflamment le cœur autant que
l'ardeur et le zèle enflamment celui des serviteurs fidèles et dévoués à
leurs maîtres temporels ! Heureux encore celui qui n'a pas pour la pratique
des vertus une affection moins prononcée ni moins ardente que les maris
jaloux n'en ont pour leurs épouses qu'ils adorent ! Heureuses encore les
personnes qui, dans leurs prières, se présentent à Dieu avec le même respect
que les officiers se présentent devant leur souverain ! Heureuses enfin les
âmes qui s'appliquent à plaire à Dieu avec la même attention, que les hommes
eux-mêmes s'étudient à plaire à d'autres hommes !
12. Une mère dont le cœur
est tout de tendresse, n'aime pas tant à serrer dans ses bras et à presser
sur son sein maternel l'enfant à qui elle a donné le jour et qu'elle
nourrit, qu'un enfant véritable de la charité ne se complaît à s'unir à son
Dieu.
13. Une personne qui en aime ardemment une autre, s'imagine voir toujours
l'objet de son ardent amour, le couvre dans elle-même des baisers les plus
tendres et les plus affectueux, et le sommeil même n'est pas capable de
détourner son esprit ni son cœur de cet objet chéri : l'amour qu'elle a pour
cette personne, la lui représente dans des songes. Or ce qui arrive
ordinairement dans l'ordre naturel, arrive aussi dans les choses d'un ordre
surnaturel. C'est ce qu'a merveilleusement bien exprimé une âme qui avait
été blessée de la flèche de l'amour de Dieu : Je dors, disait-elle, parce
que je suis obligée de céder aux besoins de mon corps; mais mon cœur veille
toujours à cause de la grandeur de mon amour (Cant 5,2).
14. Mais remarquez, ô vous à qui l'on peut se fier, que l'âme, semblable à
un cerf, après avoir donné la mort à toutes les bêtes féroces qui voulaient
la dévorer, est brûlée d'une soif ardente pour le Seigneur; et, percée du
trait de son amour, elle soupire sans cesse après lui comme après une source
d'eau rafraîchissante, tombe en défaillance et semble vouloir se perdre et
s'anéantir dans Dieu.
15. Il n'est pas toujours facile de reconnaître quelle est la cause et quel
est le principe de la faim qu'on éprouve; mais on ne peut pas en dire autant
de la soif : elle paraît ouvertement, et fait assez voir au dehors les
ardeurs dont elle tourmente intérieurement la personne qui la souffre. C'est
pourquoi un grand serviteur de Dieu a dit : Mon âme est toute brûlante de
soif pour Dieu, qui est le Dieu fort et vivant (Ps 118) .
16. Si la présence d'un ami que nous chérissons bien tendrement, produit en
nous un changement remarquable, si elle nous rend joyeux et contents, et
qu'elle soit capable d'éloigner de nos cœurs toute peine et tout chagrin;
quel changement, je vous le demande, ne doit pas opérer la Présence de Dieu
dans une âme pure, sainte et enflammée d'amour pour Lui, lorsqu'Il se
présente à elle d'une manière invisible, il est vrai, mais qui n'en est pas
moins sensible ni délicieuse ?
17. La crainte de Dieu qui vient d'un sentiment profond du cœur, a coutume
de laver et de purifier une âme de toutes ses souillures. C'est pourquoi le
psalmiste adresse au Seigneur cette prière admirable : Transperce, ô mon
Dieu, mes chairs de ta crainte comme avec des clous (Ps 118). Mais il en
est que le saint amour de Dieu dévore et consume, selon cette parole de
Salomon : Tu m'as percé le cœur, oui, tu m'as percé le cœur. (Cant
4,9). On en rencontre d'autres que l'amour de Dieu éclaire tellement de ses
lumières qu'ils sont tout transportés de joie et d'allégresse, et s'écrient
: Mon cœur a mis dans le Seigneur, toute son espérance, et j'ai été
secouru, et ma chair a comme refleuri (Ps 27). Eh ! n'en soyons pas
étonnés : la joie du cœur ne répand-elle pas sur le visage une fraîcheur
semblable à celle d'une fleur ? Lorsqu'une personne a le bonheur d'être
enflammée par les ardeurs de la charité, et, en quelque sorte identifiée
avec cette vertu céleste, on voit dans elle, comme dans un miroir, la beauté
de son âme. N'est-ce pas ce qui arriva au conducteur du peuple de Dieu ?
Moïse, cet homme extraordinaire avait souvent contemplé la Face de Dieu,
mais ne fut-il pas publiquement environné de sa Gloire ?
18. Ceux qui sont parvenues au degré de charité, qui est propre aux anges,
oublient jusqu'à la nourriture que réclament les besoins de leur corps, et
n'y pensent même pas. Eh ! ne voyons-nous pas souvent que dans le cours des
choses purement naturelles, une passion violente est capable de faire perdre
la pensée de manger ? Ce que nous avons dit de la charité n’a donc rien
d'étonnant.
19. Je pense même que les corps de ceux que la charité rend, en quelque
façon incorruptibles, sont moins exposés aux maladies; car la flamme toute
pure de la charité les ayant purifiés, après avoir éteint dans eux les feux
de la concupiscence, fait qu'ils ne sont pas exposés à la corruptibilité.
20. C'est pourquoi j'ose assurer, parce que j'en suis intimement convaincu,
que ces personnes prennent leur nourriture sans goût et sans plaisir; car,
si l'humidité de la terre nourrit et conserve les plantes, le feu sacré de
l'amour de Dieu nourrit et conserve les âmes.
21. L'accroissement de la crainte de Dieu est le commencement de la charité;
mais la perfection de la chasteté est le commencement des véritables
connaissances théologiques.
22. Dieu, par une parole mystérieuse et secrète, instruit Lui-même les
personnes qui Lui sont parfaitement unies dans toutes les puissances de leur
âme et de leur corps; mais pour celles qui ne sont pas unies à Dieu de cette
manière, il leur est très difficile de pouvoir parler de Lui.
23. Le Verbe de Dieu donne une chasteté parfaite, et, par sa Présence dans
un cœur, il donne la mort à la mort même. Or la destruction de la mort donne
à ceux qui aspirent à la connaissance des mystères, les lumières nécessaires
pour y parvenir.
24. Ainsi lorsque c'est par l'Esprit de Dieu que nous parlons à Dieu, nos
paroles sont, en quelque sorte, les paroles de Dieu même lesquelles sont
toutes saintes et doivent subsister éternellement.
25. La chasteté élève donc
véritablement un homme à la connaissance des mystères célestes; de manière
qu'il conçoit la doctrine qui nous enseigne le mystère d'un seul Dieu en
trois personnes.
26. Quiconque aime Dieu sincèrement, ne manque pas d'aimer son prochain, car
c'est l'amour que nous avons pour nos frères qui manifeste et démontre celui
que nous avons pour Dieu.
27. Cet amour de notre prochain ne nous permet pas de souffrir que devant
nous on parle mal des autres, de nous livrer nous-mêmes à la médisance : ce
vice nous fait horreur et nous craignons plus de nous en rendre coupables,
que de tomber dans le feu.
28. Nous pouvons comparer une personne qui nous assure qu'elle aime Dieu, et
qui néanmoins nourrit dans son cœur des sentiments de colère et d'animosité,
à un homme qui pendant son sommeil s'imagine voyager et courir.
29. La charité se fortifie par l'espérance; car c'est cette dernière vertu
qui nous fait attendre le prix et la récompense de notre charité.
30. Or l'espérance est un don du ciel qui nous enrichit de biens spirituels
et invisibles.
31. C'est un trésor assuré que nous possédons en ce monde, et qui doit nous
mettre en possession du trésor immense et éternel que nous attendons dans
l'autre.
32. Cette divine vertu nous console et nous soutient dans nos peines et nos
travaux, nous ouvre la porte de la charité, chasse de nos cœurs tout
sentiment de désespoir; et, quoique les biens éternels ne soient pas encore
en notre disposition, elle nous les fait, en quelque façon, posséder et
goûter sur la terre.
33. La charité périt dès que l'espérance se retire et
manque. C'est l'espérance qui nous encourage à supporter avec une héroïque
patience les peines et les chagrins de la vie présente; c'est elle qui nous
fait aimer nos sueurs et nos travaux; c'est elle qui nous environne des
Miséricordes du Seigneur.
34. C'est par sa puissante protection que le religieux étouffe la tiédeur,
et triomphe parfaitement de la paresse et de l'ennui.
35. Le goût que nous avons pour les faveurs et les dons célestes fait naître
en nous les sentiments de l'espérance. La personne qui ne les goûte pas,
dans le fond de son âme, ces dons célestes court de grands dangers de ne pas
persévérer.
36. L'espérance et la colère sont deux ennemis irréconciliables.
En effet l'espérance ne couvre jamais de confusion, et la colère nous couvre
de honte.
37. La charité obtient le don de prophétie et de miracles elle est une
source intarissable de lumières divines, un foyer de flammes célestes qui
plus elles se répandent en abondance dans notre cœur, plus elles
l'enflamment et le consument; elle fait maintenant le bonheur des anges, et
nous fait avancer nous-mêmes en gloire pour l'éternité.
38. Ô belle vertu ! ô la plus belle des vertus ! dis-nous, nous t’en
supplions, dis-nous : Où tu mènes paître tes chères brebis, où tu prends ton
repos pendant les ardeurs du midi. (cf. Cant 1,7). Éclaire-nous ! répands
sur nous ta divine rosée, dirige-nous, conduis-nous et tire-nous enfin à
toi; car nous désirons ardemment de monter jusqu'au palais que tu habites.
Tu commandes à toute chose, tu règne sur tout; mais tu as blessé mon cœur
(cf. Cant 4,9); je ne peux plus contenir les ardeurs dont tu l'as embrasé,
et je brûle du désir de vous louer; je vous dirai donc: Tu domines sur
la puissance de la mer, et, quand il te plaît, tu adoucis et calmes le
mouvement et la violence de ses flots; tu humilies et tu brises les superbes
dans leur orgueil, comme des hommes percés de traits; et par la force de ton
bras, tu as dispersé tes ennemis (Ps 88,9-10), et tu as rendu
invincibles ceux qui t’aiment. Que ne m'est-il donné de te contempler, comme
le saint patriarche Jacob put le faire, lorsque tu étais appuyée sur cette
échelle mystérieuse qu'il vit !
Ah ! aimable charité, daigne te rendre favorable à ma prière — apprends-moi,
s'il te plaît, dans quel état je dois être pour pouvoir monter sur cette
échelle et arriver jusqu'à toi ? quel est le moyen qu'il me faut employer
pour cela, quel est le prix et quelle est la récompense que mérite la
personne qui t’aime, et qui, pour monter cette échelle dont les échelons
sont autant de vertus, les arrange et les dispose dans son cœur avec une
grande activité ? Je désirerais encore savoir quel est le nombre de ces
échelons, et combien de temps il faut pour parvenir au dernier. Jacob, qui
lutta autrefois avec un ange et qui mérita de voir cette échelle, nous a
bien dit quels sont ceux qui doivent nous conduire pour y monter; mais il
n'a pas voulu, ou plutôt pour parler plus correctement, n'a pas pu nous
apprendre quelque chose de plus sur ce mystère.
Après donc que j'eus parlé de la sorte, il me sembla que la charité se
montra à moi du haut des cieux et fit entendre ces paroles à mon âme : Tant
que tu ne seras pas délivré de la prison de ton corps, il ne te sera pas
possible, malgré ton amour pour Dieu, de voir et de contempler les traits de
ma beauté : contente-toi donc de savoir que cette échelle, au haut de
laquelle tu me vois appuyée, te marque par ses échelons l'ordre et
l'enchaînement des vertus, ainsi que vous l'a dit ce grand homme qui, dès
son vivant même, fut initié dans les mystères de Dieu; car c'est lui qui
t’apprend qu'à présent ces trois vertus, la foi, l'espérance et la
charité demeurent et sont nécessaires; mais que la charité est la plus
excellente des trois. (1 Co 13,13). |