DOUZIÈME
CONSIDÉRATION
DE L'UNION DE L'ÂME
AVEC DIEU
PAR LA CONTEMPLATION
I - En quoi consiste
cette union
L'âme arrive à l'union
divine et aux noces de l'Agneau par trois de ses opérations : par la
méditation, par l'affection, et par la contemplation. La méditation
instruit l'esprit ; l'affection échauffe le cœur ; la contemplation
unit l'âme avec Dieu. La méditation la purge de ses vices et de ses
erreurs ; l'affection l’enflamme et lui fait pratiquer de bonnes
oeuvres ; la contemplation l'élève et la fait entrer dans la chambre
de l'Époux. La méditation est pour ceux qui commencent ;
l'affection, pour ceux qui avancent ; la contemplation est pour les
parfaits. Dans la méditation, l'esprit cherche ; dans l'affection,
le coeur désire ; dans la contemplation, l'âme trouve ce qu'elle
cherchait et jouit de ce qu'elle désirait. L'esprit travaille dans
la méditation ; le coeur soupire dans l'affection ; l'un et l'autre
se repose dans la contemplation. Ainsi l'union divine est une
jouissance de Dieu, que l'âme a cherché par la méditation, qu'elle a
attiré par l'affection, et qu'elle a trouvé par la contemplation. Le
mot de contemplation marque une opération d'esprit, et c'est celle
des savants. biais la contemplation chrétienne est moins dans
l'esprit que dans le coeur. C'est un repos de l'âme en Dieu, et une
jouissance tranquille, qui n'est troublée ni par aucune image de
l'esprit, ni par aucune agitation du coeur.
II - Ses degrés
L'âme qui veut être
épouse de Jésus-Christ et recevoir un baiser de sa bouche, doit
premièrement lui baiser les pieds comme la Madeleine, et se
purifier, par les larmes de la pénitence, de ses vices et de ses
méchantes habitudes. Puis elle doit lui baiser les mains, en
pratiquant quantité de bonnes oeuvres. Ensuite elle doit attendre,
dans le silence et avec un profond respect, que Jésus la fasse
entrer dans la salle du festin, pour recevoir ce baiser mystique,
c'est-à-dire ce divin Esprit, qui est, dit saint Bernard, un baiser
du Père et du Fils. D'abord elle est servante, et craint son
Seigneur ; ensuite elle devient fille, et respecte son Père'; enfin
elle devient épouse, et aime uniquement son Époux, voilà les degrés
par lesquels on monte à la contemplation et on arrive à l'union.
Saint Bernard,
expliquant ces paroles de David : « Le juste a dressé des montées
dans son coeur », marque quatre degrés de cette échelle
mystique, qui se réduisent aux trois que je viens de rapporter :
« L'homme sage, dit-il, dispose des degrés en son âme pour
monter et pour arriver à la contemplation : le premier est vers le
coeur ; le second est dans le coeur ; le troisième est du coeur ; le
quatrième est au-dessus du coeur. Dans le premier on craint le
Seigneur, dans le second on écoute le maître, dans le troisième on
désire l'époux, dans le dernier on jouit de Dieu » .
III - Ses effets
Qui pourrait
expliquer les effets de cette jouissance ? On peut dire de ce
mariage de la terre
ce que saint Paul dit de celui du ciel : que l’œil n'a point vu, ni
l'oreille entendu, ni le coeur humain conçu ce que Dieu prépare à
ceux qui l'aiment.
L'âme que la charité a blessée au cœur, sentant la douleur de sa
plaie, qui ne peut être guérie que par la main de celui qui l'a
faite, pleure inconsolablement, et brûle du désir de le trouver, et
de lui découvrir sa peine.
Après l'avoir
longtemps cherché, enfin elle est comme morte, et perd l'usage de la
parole, sans savoir plus ni que dire ni que faire. Il se fait un
silence dans le plus profond de son coeur, qui la surprend et qui
l'étonne, n'en pouvant comprendre la cause. Peu après, elle se voit
environnée de ténèbres, et d'une nuit épaisse qui lui dérobe toutes
ses lumières et tontes ses connaissances. Son imagination se trouve
sans images, son esprit sans discours, son coeur sans mouvement, sa
mémoire sans espèces, ses passions sans bruit, et ses sens sans
opération. Et c'est pendant ce silence, et durant cette nuit que le
Verbe descend du ciel, et que l'âme devient d'une manière ineffable
l'épouse de Jésus-Christ
.
Ne me demandez point comment cela se fait, interrogez ceux qui en
ont l'expérience. Tout ce que je puis vous dire, c'est que cette âme
sort de ces unions, si remplie de Dieu et si pénétrée de son Esprit,
qu'elle ne se sent plus, et ne se connaît plus elle-même ; et comme
les fleuves se perdent dans la mer, elle se voit toute perdue et
tonte abîmée en Dieu.
Alors tontes les
créatures disparaissent de devant ses yeux, connue des ombres à la
présence du soleil. Elle ne voit plus que la beauté de son divin
Époux qui demeure dans le fond de son coeur, elle n'entend plus rien
que sa voix, elle ne goûte plus que la douceur de son entretien et
de sa compagnie. Elle ne peut plus comprendre qu'on finisse aimer et
rechercher antre chose.
Dieu appela Moïse
du haut de la montagne de Sinaï, et le fit entrer dans un lien
secret tout couvert de nuées et de ténèbres. C'est dans ces
obscurités, effroyables à la nature, que Dieu fait entrer une âme
qui aspire à l'union. Il lui semble d'abord qu'elle va tomber du
haut de cette montagne dans des précipices affreux ; mais après
qu'elle s'est plongée et ensevelie dans ces ténèbres, elle voit
Jésus transfiguré, et contemple Dieu pour ainsi dire à découvert.
Elle le sent quelquefois, sans le voir, qui s'imprime sur son coeur
comme un cachet sur la cire, et qui grave de son doigt une loi
d'amour qui dissipe tontes ses craintes et ses tristesses. Elle
goûte pendant ce temps-là des plaisirs si purs et des consolations
si fortes, qu'elle ne saurait dire, non plus que saint Paul, si elle
est an ciel on sur la terre
;
et si cela durait, la nature succomberait aux violents efforts de
l'amour. Après ces unions et ces communications divines, l'âme
descend de cette montagne de la contemplation, comme Moïse de celle
de Sinaï, toute éclatante de lumière, toute embrasée d'amour, toute
pénétrée de Dieu, toute parfumée d'odeurs célestes qui embaument le
coeur de tous ceux qui l'entendent parler ou qui la voient prier.
IV - État mystique
C'est à minuit,
les portes des sens étant fermées, que l’Époux entre dans le coeur
de son épouse, sans qu'elle sache ni par où ni comment il y est
entré ; car son esprit, souvent, étant dans de profondes ténèbres,
elle s'aperçoit néanmoins qu'on fait des noces dans son coeur, et
que l'eau froide et insipide de la dévotion
est changée en un vin très délicieux. Elle sent quelquefois (si l'on
peut parler ainsi) dans le plus profond de son âme, des opérations
de la divinité, si fortes, si vives, si pénétrantes, et si
délicieuses, qu'il lui est impossible de les exprimer.
V - Festin de l'âme
Tout retentit
alors des cantiques de joie que la chaste épouse chante à la gloire
de son Époux. Elle boit ou plutôt elle s’enivre du vin des
consolations, qui la font paraître insensée aux yeux de ceux qui
n'ont pas assisté à ces noces. Alors Madeleine dit aux disciples :
J'ai vu le Seigneur, et elle l'assure constamment
.
Bien qu'on la traite de visionnaire. Alors Philippe transporté de
joie s'écrie : Il m'a fait voir son Père, c'est assez, je ne désire
plus rien. Alors Moïse mène son troupeau et toutes ses puissances
dans le fond du désert, pour n'être vu de personne. Alors l’Époux
dresse un festin à son épouse dans une salle fermée à toutes les
créatures,- Les sens y sont quelquefois invités, et le plaisir
qu'ils y goûtent est si grand qu'il pénètre même jusqu'à la moelle
des os, lesquels tout durs et insensibles qu'ils sont, sont obligés
de s'écrier : O Seigneur, qui est semblable à vous?
Pour l'esprit, il
demeure ordinairement à la porte du coeur, où se fait ce festin de
noces, sans y pouvoir entrer. Il sait que l’Époux est dedans ; mais
il ne peut comprendre ce qui s'y passe, jusqu'à ce que les portes de
la salle lui soient ouvertes. Et lorsque cette grâce lui est
accordée, ô mon Dieu, quelles extases ! Quels ravissements ! Quelle
joie à ce pauvre disciple de Jésus, de voir son Seigneur, qu'il
croyait mort, vivant et ressuscité ! L'âme alors transportée
d'amour, s'écrie avec saint Pierre, sans savoir ce qu'elle dit :
Seigneur, il fait bon ici ! O que je suis contente, et que je suis
heureuse ! Dressons trois tentes en ce lieu : l'une à la foi,
l'autre à l'espérance, et la troisième à la charité
.
Mais cela ne dure pas longtemps : une nuée céleste lui dérobe tout
d'un coup la vue de ce beau soleil, lequel, par une merveille
étrange, se cachant à son esprit, s'enferme pour ainsi dire dans son
coeur, et l'embrase du feu de son amour. C'est là le lit de l’Époux,
où il repose agréablement ; c'est là qu'il découvre à son épouse les
secrets les plus cachés de la divinité, et qu'il lui fait des
caresses incompréhensibles à l'esprit humain.
Heureuses les chastes
épouses qui sont appelées à ces noces de l'Agneau ! Heureux les
morts qui meurent dans le Seigneur ! Morts à leurs lumières et à
leurs raisonnements ; morts à leurs soins et à leurs inquiétudes ;
morts à leurs désirs et à leurs craintes. Ils passeront de la
crainte à l'espérance, de l'espérance à l'amour, de l'amour à la
jouissance, de la jouissance à l'union, et de l'union à la
transformation. Alors Dieu essuiera leurs larmes, et l'Esprit leur
dira qu'ils se reposent de leurs travaux, parce qu'ils jouiront
désormais d'une paix qui ne sera plus troublée par aucun accident de
la vie.
Mon coeur ! quand
seras-tu dans ce silence mystérieux ? Quand te plongeras-tu dans ces
obscurités sacrées ? Quand entreras-tu dans ce royaume de paix ?
Venez âmes saintes, à
ces noces de Cana. Jésus vous y attend, et vous invite. Si le vin
vous manque, Marie y suppléera, et priera son Fils de faire un
miracle en votre faveur. Venez, âmes savantes, étudier dans cette
école d'amour ; laissez là vos beaux discours, et renoncez à vos
propres lumières. Cette science ne s'apprend point par l'étude, mais
par l'expérience. C'est l'onction qui l'enseigne, et non pas la
doctrine. C'est une science du coeur, et non pas de l'esprit. Goûtez
et voyez combien le Seigneur est doux. On voit les vérités
naturelles avant que de les goûter ; niais il faut goûter celles-ci
pour les voir et pour les comprendre.
VI - Dispositions
pour arriver à l'union
Pour obtenir cette
grâce d'union qui fait le paradis de la terre, il faut beaucoup de
mortification et de recueillement : de mortification, pour détacher
le coeur des créatures ; de recueillement. pour s'unir à Dieu. Il
faut s'abandonner à sa Providence, sans s'inquiéter ni du présent ni
de l'avenir ; et se laisser gouverner par ses supérieurs, sans rien
demander et sans rien refuser de ce qui peut plaire ou déplaire à la
nature. Il faut renoncer à son propre sens, mortifier sa volonté,
combattre ses passions, et obéir fidèlement à la grâce en tout ce
qu'elle désire de nous.
VII - Détachement
Il est bien difficile
de converser avec Dieu et avec les hommes. Il est impossible d'être
recueilli, ne demeurant jamais chez soi ; d'être libre d'esprit et
esclave de coeur ; d'aimer toutes choses et de ne penser à rien ;
d'être rempli d'affections et vide de distractions ; d'être
spirituel, menant une vie sensuelle; d'être homme d'oraison et homme
de conversation. Depuis que Moïse eut parlé à Dieu, il ne pouvait
plus parler aux hommes ; sa langue était comme liée et empêchée,
c'est la manière dont il s'exprime, pour faire connaître que, pour
jouir de la compagnie de Dieu, il faut fuir la compagnie des hommes
; du moins que, pour converser utilement avec les hommes, il faut
avoir longtemps conversé avec Dieu.
VIII - La méditation
et l'affection
nécessaires pour arriver à l'union
Que je crains pour ces
âmes présomptueuses qui veulent être épouses sans avoir été
servantes, et se reposer sans avoir travaillé ! L'action doit
précéder la contemplation ; la méditation doit exciter l'affection ;
l'affection doit préparer à l'union. C'est par le travail que l'on
arrive au repos. La crainte soutient l'amour ; la pénitence appuie
l'espérance ; l'humanité de Jésus est la porte par où l'on entre
dans le palais de la divinité. Son enfance attendrit le coeur ; sa
Passion l'anime à la souffrance ; sa beauté le ravit ; sa bonté le
charme; ses bienfaits l'attirent ; son amour l'embrase, l'unit et le
transforme.
Avez-vous médité, âme
dévote, avant que de contempler ? Avez-vous travaillé avant que de
vous reposer ? Pouvez-vous dire que votre paix est le fruit de vos
combats et le prix de vos victoires ? N'êtes-vous point
d'intelligence avec vos passions ? Ne les avez-vous point assoupies
et endormies au lieu de les faire mourir ? N’avez-vous point fait
trêve avec les ennemis de Dieu, au lieu de les détruire et de les
assujettir à l'empire de la grâce ? Craignez Dieu pour le connaître
; mortifiez-vous pour Je goûter ; quittez tout pour le posséder ;
renoncez à vos lumières et à vos connaissances pour le voir et pour
le contempler ; car il a protesté que nul homme vivant ne le verra.
O que je meure donc, Seigneur, au plus tôt, afin que j'aie le bien
de vous voir ! O quand viendra ce jour, quand sera-ce que
j'entrerai dans la maison du Seigneur, ou que je le ferai entrer.
Dans la mienne, pour m'entretenir avec lui, seul à seul, les portes
fermées, sans être aperçu de personne ?
IX - Grâces prêtées
et non pas données
Une grâce de
visite ne fonde pas un état
.
Il y a, dit saint Bernard, des grâces qui sont prêtées, il j en a
qui sont données ; il y en a qui sont des attraits, il y en a qui
sont des récompenses. Les grâces d'attrait précédent le mérite ; les
grâces de récompense suivent l'attrait et couronnent le mérite. Les
grâces d'attrait sont pour un temps, les grâces de récompense sont
pour toujours au regard des âmes fidèles. Il ne faut pas se tenir en
assurance pour avoir vu une fois Jésus transfiguré sur le Thabor. Il
ne faut pas se croire épouse pour avoir assisté une fois aux noces
de Cana. Un pénitent qui commence à servir Dieu, peut quelquefois,
par une grâce spéciale, jouir de Dieu, sans être pour cela en état
de jouissance. Pour vous être trouvé une fois ou deux dans une voie
d'oraison extraordinaire, il ne faut pas pour cela quitter
l'ordinaire. Craignez, désirez, soupirez, travaillez, combattez,
espérez, mais ne présumez jamais de vos mérites.
X - Âmes
présomptueuses
Il y a, dit saint
Bernard, des âmes téméraires et présomptueuses qui ont la hardiesse
d'entrer dans la chambre de l'Époux et qui osent lui dire d’un air
hardi et impudent : Qu'il me donne un baiser de sa bouche ! Elles
n'ont point encore de robe nuptiale et ne craignent point d'entrer
dans la salle des noces. L’Époux les ayant remarquées les fait
enlever du festin, et leur ayant lié les pieds et les mains les fait
jeter dans les ténèbres extérieures, pour les punir de leur
témérité. Une âme chargée de plaies n'a pas besoin d'un époux, niais
d'un médecin. Elle doit chercher des remèdes, et non pas demander
des baisers. Il n'y a que les chastes amantes, les âmes saintes,
pures et mortifiées, qui puissent prétendre à cette faveur de
chanter le cantique de l'épouse : Qu'il me donne un baiser do sa
bouche. Il n'y a que les âmes pacifiques et victorieuses de leurs
passions qui aient droit d’aspirer à la jouissance et à l'union. O
qui oserait la demander ! O qui pourrait ne pas la désirer !
XI - Soupirs d'une
future épouse
Hélas, Seigneur,
il y a longtemps, par votre grâce, que je pleure mes péchés, et que
je les lave dans les eaux sacrées de la pénitence. Il y a longtemps
que j'embrasse vos pieds avec Madeleine la pénitente, que je les
baise et que je les arrose de mes larmes. Vous m'avez aussi, par
votre grâce, quelquefois présenté votre main à baiser, pour
m'exciter à faire de bonnes oeuvres. Puis-je espérer après cela de
voir un jour votre face adorable et de recevoir, je le dis en
tremblant, un sacré baiser de votre bouche ? Oui, vous le pouvez,
âme dévote, pourvu que vous soyez humble et obéissante, pure et
mortifiée ; pourvu que vous ne songiez qu'à vous abaisser et non pas
à vous élever ; pourvu que vous n'ayez point d'autre volonté que
celle de Dieu et de vos supérieurs ; pourvu que vous vous
abandonniez à sa Providence, et que vous ne désiriez être dans le
temps et dans l'éternité que ce qu'il veut que vous soyez ; pourvu
enfin que vous vous rendiez digne de cette grâce et que vous vous en
jugiez éternellement indigne
.
Car l'humilité est le fondement de cette tour de perfection, et on
ne monte en haut qu'en descendant dans l'abîme de ses misères.
XII - Humilité
nécessaire pour devenir épouse
O que j'estime
une âme qui s'élève à la contemplation de Dieu par la contemplation
de soi-même ! Jamais vous n’arriverez à l'union, que vous ne soyez
persuadé, non seulement en spéculation, mais encore en pratique, et
par une longue expérience de vos misères, que Dieu est tout et que
vous n'êtes rien, qu'il n'est que lumière. et que vous n'êtes que
ténèbres ; qu'il n'est que sagesse et que vous n'êtes que folie ;
qu'il n'est que force et que vous n'êtes qu'infirmité ; qu'il n'est
que bonté et que vous n'êtes que malice. Si vous n'êtes, dis-je,
pénétré de ces vérités ; si vous remarquez en vous quelque autre
chose qu'un abîme infini de défauts et d'imperfections, vous êtes
bien éloigné du lieu où vous voulez aller. Si vous ne croyez de
bonne foi et sans feinte que vous êtes le plus faible de tous les
hommes, le plus ingrat de tous les chrétiens, et le plus grand de
tous les pécheurs, vous avez encore bien du chemin à faire pour
arriver à l'union. O que j'ai peu d'estime d'une âme qui ne remarque
en elle que des vertus et des mérites, et qui est en peine de savoir
ce qui lui manque ! Tout manque à celui qui croit ne manquer de
rien. Vous serez en état d'arriver à la contemplation, lorsque vous
serez persuadé que vous êtes en quelque manière aussi méchant que
Dieu est bon ; et, comme il est la plénitude de tous les biens, que
vous êtes en votre manière la plénitude de tous les maux. O le beau
mariage que celui du tout avec le rien, de l'abondance avec
l'indigence, du plein avec le vide ! Jusqu'à, ce que vous soyez un
homme semblable à Jérémie qui voit sa pauvreté, Dieu ne vous
enrichira point de ses grâces ; et si vous ne vous videz entièrement
de l'estime de vous-même, vous ne serez jamais rempli de l'Esprit de
Dieu, qui est le père des unions, et le lien sacré qui unit l'âme à
Jésus-Christ dans les ombres de la foi, dont il la couvre
lorsqu'elle s'abandonne entièrement à la volonté de Dieu, et qu'elle
dit avec la sainte Vierge : Voici la servante du Seigneur, qu’il
me soit lait selon votre parole
.