bienheureux
JEAN DE RUYSBROECK
(1293-1381)

LES SEPT DEGRÉS DE L’AMOUR

CHAPITRE PREMIER

DU PREMIER DEGRÉ DE L'AMOUR, A SAVOIR :

LA BONNE VOLONTÉ.

Que la grâce et la sainte crainte du Seigneur soit avec nous tous !... Tout ce qui est né de Dieu dit saint Jean l’Évangéliste, obtient la victoire sur le monde : Omne quod natum est ex Deo vincit mundum. 1.Jean 5 Et la véritable sainteté est née de Dieu.

     Qu'est-ce que l'échelle de l'amour ?

Mais la vie sainte est une échelle d'amour qui a sept degrés, par lesquels on peut (gravir les collines éternelles), monter au royaume du ciel. Car la volonté de Dieu, dit l'apôtre Paul, c'est notre sanctification (1.Thes). Or donc, dès que notre volonté s'accorde avec celle de Dieu, nous occupons le premier degré de la charité de l'amour et de la vie sainte, parce que la bonne volonté est le fondement de toutes les vertus. C'est pourquoi, dit le Prophète Roi, Je me suis réfugié vers toi, ô Seigneur, apprends-moi à faire ta volonté, car tu es mon Dieu ; et ton Esprit miséricordieux me conduira dans la sûre région de la vérité et des vertus (Ps 50). Effet de la bonne volonté. Cette bonne volonté unie à la volonté de Dieu, l'emporte sur le démon, les vices et tous les péchés si elle est en effet pleine de la divine grâce et elle est la première oblation et le premier sacrifice auquel nous soyons tenus, et que nous devions offrir et rendre à Dieu, si nous voulons vivre pour lui. Celui qui est doué de bonne volonté, s'engage en lui-même, et désire ardemment aimer Dieu et le servir, non seulement en cette vie, mais pendant toute l'éternité. Cette (volonté) est sa vie et son exercice intérieur ; et par là, il jouit d'une bonne paix avec Dieu, avec lui-même et avec toutes les autres créatures. C'est pourquoi les esprits célestes, au moment de la naissance du Sauveur chantaient : Gloire à Dieu au sommet des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Lc 2). Mais, dans les bonnes œuvres, la bonne volonté ne peut jamais prendre du loisir et se reposer. Car, suivant la parole du Seigneur lui-même, l'arbre bon produit de bons fruits (Mt 7).

CHAPITRE II

DU SECOND DEGRÉ DE L'AMOUR, A SAVOIR :

LA PAUVRETÉ VOLONTAIRE.

      Louange des pauvres volontaires.

Mais le premier fruit qui naît de la bonne volonté est la pauvreté volontaire, qui est le second degré dans l'échelle de vie de celui qui aime. Celui qui est pauvre spontanément, mène une vie libre et dégagée du souci de toutes les choses temporelles qui ne lui sont pas nécessaires.

Car, comme un sage marchand, il a échangé la terre pour le ciel ; conformant ses mœurs à cette sentence du Seigneur Jésus, par laquelle il est dit : Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent (Lc 16). Et ayant abandonné et méprisé tout ce qu'il pouvait posséder d'un amour ou d'une affection terrestre, il a acheté la pauvreté volontaire, c'est-à-dire, le champs dans lequel il a découvert le royaume de Dieu.

Car, bienheureux les pauvres d'esprit, c'est-à-dire, de la volonté, ou, les pauvres volontaires, parce que le royaume des cieux est à eux (Mt 5).

      Le règne de Dieu. Qu'est-il ?

Le règne de Dieu est charité et amour, c'est le goût et l'exercice de toutes les œuvres bonnes, de telle sorte que celui qui est pauvre d'esprit, de cette manière, soit largement miséricordieux, bon, clément et charitable envers tous ceux qui ont besoin de son secours ; et qu'il s'efforce de leur être utile, de façon toutefois, qu'il puisse déclarer, en vertu du jugement du Christ, et rendre témoignage, à cause de la large bienfaisance de Dieu et des dons reçus de lui, qu'il a mis tout son zèle aux actes de miséricorde, et qu'il s'y est adonné. Car, dans les choses terrestres, il n'a rien en propre ; mais, tout ce qu'il a, est commun à Dieu et à tous ceux qui appartiennent à la famille de Dieu. Bienheureux certes le pauvre volontaire, qui ne possède rien de caduc et d'éphémère, pour suivre le Christ, et recevoir le centuple gage des vertus ; en attendant la gloire de Dieu et la vie éternelle (Mt 19). Folie de l'avare Mais au contraire, celui qui est avare est étrangement imprudent et insensé, car il échange le ciel pour la terre, bien qu'il soit certain qu'il doive la perdre bientôt : Le pauvre d'esprit escalade les cieux : l'avare se précipite dans le Tartare. (Mt 19). Si un chameau peut pénétrer par le trou d'une aiguille, l'avare aussi qui s'attache (aux biens de la terre) pourra pénétrer dans les cieux.

Et bien qu'il soit pauvre des biens terrestres, si cependant il ne préfère pas Dieu à toutes choses, s'il meurt dans l'avarice, il périra certainement.

L'avare choisit l'écorce de la noix pour l'amende, la coque pour le jaune d’œuf. Et cependant, en vérité, celui qui aime l'or et possède les biens de la terre, ne fait que se nourrir d'un poison mortel, et s'abreuver à la source de l'éternelle affliction. Et plus il boit, plus sa soif devient ardente ; et plus il regorge de biens, plus il en désire. Et bien qu'il en possède beaucoup cependant, il n'est pas content : Il lui manque en effet tout ce qui n'est pas à lui ; mais ce qu'il a, lui paraît peu de chose ou néant. Et il n'est aimé de personne. Car, comme il est en proie au mal de l'avarice, il ne mérite pas qu'on l'aime.

      Pourquoi l'avare ressemble aux serres de Satan.

On peut le comparer, non sans raison, aux serres du démon. Car tout ce dont il s'empare, il ne veut plus le lâcher : mais il retient mordicus, jusqu'au dernier soupir, tout ce qu'il peut acquérir même par la ruse et la fraude. Alors, qu'il le veuille ou non, il perd toutes choses ; et la douleur éternelle s'empare aussitôt de lui : et cela justement certes, puisqu'il est semblable à l'enfer qui, quel que soit le nombre des damnés qu'il reçoive, ne dit jamais : c'est assez (Pr 30) ; et bien qu'il en ait englouti un grand nombre, ne s'améliore pas pour cela. Mais tout ce qu'il saisit, il le retient fortement, et toujours, la gueule béante, il attend de nouveaux hôtes pour le Tartare.

C'est pourquoi, prenons bien garde de ne pas contracter la peste de l'avarice, (1 Tm 6) qui est comme la racine de tous les vices, de toute improbité, et de toute malice.

CHAPITRE III

DU TROISIÈME DEGRÉ DE L'AMOUR, A SAVOIR :

DE LA CHASTETÉ.

Suit le troisième degré dans l'échelle d'amour, à savoir : l'innocence, la chasteté de l'âme et la pureté du corps. Que le lecteur prête toute son attention, je l'en supplie :

      Ce qui est nécessaire pour celui qui veut obtenir la chasteté.

Pour que l'âme [1] de celui dont il est parlé soit chaste et pure, il est nécessaire qu'il déteste et méprise pour l'amour de Dieu, tout amour, tout penchant, toute affection désordonnée envers soi-même, envers son père et sa mère, envers toutes les créatures ; de telle sorte qu'il n'aime soi-même et les autres créatures, que pour le culte et le service de Dieu. Alors, il pourra dire avec le Christ : Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère : (Mt 12) ; et ainsi, il aimera son prochain, comme lui-même, et se conservera pur. Qu'il ne souffre pas non plus de se laisser entraîner, captiver et enchaîner par personne, soit en vertu de paroles, d'actes, de présents, d'invitations, d'obséquiosités, de services, ou sous les aspects de la sainteté. Car, bien que souvent ils n'envisagent que l'esprit, ils se retournent enfin vers la chair ; et on ne peut s'appuyer sûrement sur eux. Qu'il n'ait un amour violent pour personne, et qu'il ne veuille en inspirer à personne ; car, quoique cet amour ait l'apparence du bien, il a une mauvaise fin, et dégénère en poison. Qu'il soit vigilant, plein d'attention et de prudence, pour n'être pas trompé. S'il se laisse captiver et entraîner, il se sentira abusé et joué. Qu'il fasse tout ce qui dépend de lui, et prenne soin de lui-même, et qu'il aime Jésus comme son unique époux. Qu'il lui reste uni fermement, à l'exclusion de tous les hôtes étrangers, quels qu'ils soient, et demeure avec lui d'une manière stable, en jouissant de sa bienveillance. Qu'il le reçoive en lui-même ; et que, mettant en œuvre toutes ses facultés, il satisfasse avidement son amour. Il sera instruit, nourri et dirigé par lui ; car il est lui-même son propre fruit. Bien plus, malgré tous ses proches, il sera conduit par lui dans le sein du Père, où il trouvera et expérimentera la plus grande fidélité ; et il se sentira relevé et remis de toute affliction et de toute nécessité. C'est la vie de l'âme pure et chaste. — Reste la chasteté corporelle.

      De quoi se compose l'homme.

Pour en dire quelque chose, il faut savoir que l'homme a été composé par Dieu de deux natures, (parties) à savoir : l'âme et le corps, ou la chair et l'esprit. Et ces deux ne font qu'une personne dans la nature humaine, conçue et née dans le péché. Et, bien que Dieu ait fait l'âme pure et immaculée, cependant étant unie au corps, elle est souillée de la tache du péché originel. Et de cette manière, nous sommes nés dans le péché, dès le sein maternel (Jn. 3). Car, ce qui est né de la chair, est chair, et ce qui est né de l'esprit, est esprit. Et quoique l'esprit aime sa chair, en vertu de sa génération naturelle, cependant, dans la régénération, où la naissance se fait en vertu de l'esprit de Dieu, le corps et l'âme sont opposés, (Ga. 5 ; Rm. 8) et ils se contrarient en luttant l'un contre l'autre, la chair étant pleine de concupiscence contre Dieu et l'esprit, et l'esprit étant avec Dieu contre la chair. Donc, si nous vivons suivant les penchants et les appétits de notre chair, nous mourons dans le péché ; mais si, au contraire, nous mortifions en esprit les élans de la chair et nous l'emportons sur eux, nous vivons dans la vertu.

      Le corps doit être aimé et haï.

Il nous faut donc haïr et mépriser notre corps, comme l'ennemi capital qui désire nous éloigner de Dieu, pour nous entraîner au péché. Et, de même, nous devons aimer et estimer notre corps et la vie sensitive, en tant qu'il est l'instrument par lequel nous servons Dieu. Car, sans le corps, nous ne pouvons pas honorer Dieu et le servir par les actes extérieurs, à savoir : le jeûne, la veille, la prière et les autres bonnes œuvres de cette sorte, qu'il nous faut justement et méritoirement accomplir ; à tel point que nous devons librement nourrir notre corps, le désaltérer, le vêtir ; afin que nous puissions alors être utiles à Dieu, à nous-mêmes et au prochain.

      Nous devons fuir trois vices de la chair.

Et cependant, nous devons avoir un soin attentif, pour éviter diligemment trois vices qui règnent dans la chair, à savoir : la paresse, la gourmandise, la luxure, par lesquels un grand nombre, doués même de bonne volonté, sont tombés dans des fautes graves.

      Remèdes de la gourmandise

Contre la gourmandise nous devons choisir et embrasser amoureusement la modération, la tempérance et la sobriété ; nous privant toujours de quelque chose, prenant moins qu'il nous est permis de le faire, de manière que nous soyons contents du nécessaire et d'une modeste réfection.

      De la paresse.

Contre la paresse ou la torpeur, dans toutes les nécessités, nous éprouverons une certaine commisération intérieure, de la fidélité et de la bonne volonté ; et nous serons intrépides et vigilants, prêts à toutes les œuvres qui réclament notre action et notre concours ; et cela, avec la sage modération et la discrétion qu'exigent nos forces et la droite raison.

      De la luxure.

Contre la luxure, enfin, nous éviterons et nous fuirons les fréquentations déshonnêtes, et les stimulants de la passion ; intérieurement nous éloignerons les fantômes impurs et les images déshonnêtes ; de peur de nous y arrêter, et de nous y complaire avec joie et délectation ; il se fera ainsi que nulle image ne se gravera en nous, et que nous ne contracterons aucune souillure naturelle.

      Comme nous imprimons le Christ en nous ?

Mais nous nous convertirons intérieurement au Seigneur, et en Notre Seigneur Jésus-Christ ; nous considérerons sa passion, sa mort, et les très larges effusions de son sang pour nous, en vertu de son amour. Et, nous nous exercerons en ces choses, nous imprimerons leur image dans nos cœurs, dans nos âmes, dans nos corps et dans toute notre nature ; comme le sceau est imprimé dans la cire.

Mais alors, le Christ nous entraînera avec lui dans la vie sublime, où nous sommes unis à Dieu, et où notre âme pure et chaste adhère, par amour, au Saint-Esprit, et demeure en lui, où coulent les sources de miel de la rosée céleste et de toute grâce ; et, les ayant goûtées, la chair et le sang, tout ce qui est du monde, paraît insipide. Et tant que notre vie sensible est élevée et unie à l'esprit, où nous honorons Dieu et nous le recherchons intentionnellement et amoureusement, aussi longtemps nous sommes chastes, purs et innocents, de corps et d'âme.

Mais, quand derechef nous revenons vers les choses inférieures, et nous nous servons des sens, le goût doit être préservé du vice de la gourmandise ; le corps et l'âme, de la torpeur et de la paresse ; et la nature, des penchants obscènes et libidineux.

      Éviter les mauvaise fréquentations

Il faut aussi éviter la société déshonnête, comme celle de ceux qui s'abandonnent aux mensonges, aux exécrations, aux malédictions ; qui aiment jurer et vomir le blasphème contre Dieu ; qui sont impurs et obscènes, soit en paroles, soit en actions ; et qu'il faut fuir comme de mauvais esprits. Il faut aussi préserver et garder ses yeux et ses oreilles ; de peur de voir ou d'entendre des choses qu'il est défendu de faire. Que chacun s'efforce de se conserver pur ; qu'il soit librement avec lui-même qu'il fuie le changement et la multitude qu'il honore les temples saints ; et qu'il exerce de ses mains, les bonnes œuvres ; qu'il exècre et qu'il déteste la paresse ; qu'il évite les trop grandes commodités, et se considère comme n'étant rien. Qu'il aime la vérité et la vie ; et bien qu'il se sente chaste (Lc 1), qu'il fuie cependant les occasions de pécher : (Jn 3) qu'il aime les œuvres de pénitence et le travail ; (Mc 6) qu'il considère le précurseur du Seigneur, Jean-Baptiste, qui, bien qu'il fût sanctifié avant sa naissance, cependant, dès sa tendre jeunesse, fuyant son père et sa mère et abandonnant les honneurs et les richesses du monde, la foule des cités et les occasions de pécher, se retira dans les antres du désert. Et cependant il était innocent et d'une pureté angélique, et il honora et embrassa la vérité soit dans sa vie, soit en l'enseignant aux autres par la parole ; et enfin, pour la cause de la justice, il fut livré à la mort ; et il est exalté et glorifié pour une sainteté de vie bien au-dessus de toute autre. — Qu'il considère aussi les Pères qui demeuraient jadis dans le désert d'Égypte, afin d'abandonner le monde, de crucifier et d'affliger leur chair et leur nature, en résistant aux vices, en faisant pénitence, en s'abstenant pour supporter la faim et la soif, et en se privant de tout ce dont ils pouvaient se passer. Ensuite, qu'il rappelle à sa mémoire le souvenir de la sentence et du jugement porté par le Seigneur contre le riche, revêtu de pourpre et de fin lin, et faisant chaque jour de splendides festins, sans jamais rien donner aux pauvres, et qui étant parti de chez les vivants, fut enseveli dans l'enfer, où il brûle dans les tourments des flammes du Tartare, et, bien qu'il le demande instamment, il ne peut obtenir même une goutte d'eau, pour rafraîchir sa langue brûlante. Mais au contraire, le mendiant Lazare qui, tourmenté de la faim et de la soif et plein d'ulcères, gisait à la porte de ce riche, demandant que les miettes qui tombaient de sa table lui fussent données, sans toutefois l'obtenir, après sa mort, fut porté par les anges dans le sein d'Abraham, où sont les joies immenses sans mélange de douleur, et une vie éternelle que la mort ne peut plus atteindre.

CHAPITRE IV

DU QUATRIÈME DEGRÉ DE L'AMOUR, A SAVOIR :

DE L'HUMILITÉ.

      L'humilité semblable à une fontaine.

Ensuite, le plus proche degré dans notre échelle céleste, est la véritable humilité, qui est, dans l'ordre spirituel, l'abaissement de soi à la dernière place, et par laquelle (humilité) nous vivons dans la paix véritable, Dieu étant avec nous et nous avec Dieu :

      La source de l'humilité.

Elle est elle-même, en effet, le fondement vital de toute sainteté ; et nous la comparons à la fontaine qui coule des quatre sources de l'éternelle vie et de toutes les vertus, parmi lesquelles l'obéissance occupe la première place, la douceur la seconde, la patience la troisième, le renoncement à la volonté propre, la quatrième. La première source ou le premier fruit qui provient de l'humilité ou d'un fonds humble, comme nous l'avons dit, est l'obéissance.

      Qu'exige l'obéissance ?

Elle exige de nous, que nous nous méprisions et que nous nous soumettions à Dieu, à ses préceptes, et à toutes les créatures ; de telle sorte que, tant dans le ciel que sur la terre, nous choisissions la dernière place et la plus mauvaise ; et que nous n'osions nous comparer à personne, en vertu et en sainteté de vie ; et que nous désirions d'être foulés aux pieds de la puissance de Dieu, comme un socle vil ; et que nous ayons des oreilles soumises et humbles, pour percevoir la vérité et la vie, de la part de la divine sagesse ; et des mains promptes et allègres pour accomplir la très agréable volonté de Dieu.

      Qu'est ce que la très douce volonté de Dieu ?

Mais cette très douce volonté de Dieu consiste en ce qu'ayant répudié et méprisé la sagesse du monde (2 Co 8), nous suivions et nous imitions le Christ qui est la sagesse de Dieu. Lequel, comme il était riche, se fit pauvre, afin de nous enrichir par sa pauvreté ; il devint serviteur des autres, afin que nous soyons les maîtres ; il mourut, afin que nous vivions. Or, il nous a marqué la manière dont nous devons vivre, lorsqu'il dit : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se méprise lui-même, qu'il porte chaque jour sa croix, et qu'il me suive (Lc 9). Et de nouveau : Si quelqu'un veut me servir, qu'il me suive ; et, où je suis, là doit être mon serviteur (Jn 12). Et il nous enseigne ailleurs, comme nous devons le suivre, en disant : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 5).

Or, être doux, posséder la douceur, c'est la seconde source des vertus, qui jaillit du fonds de l'humilité. Bienheureux les doux, parce qu'ils posséderont pacifiquement la terre, c'est-à-dire, le corps et l'âme. Car, l'esprit du Seigneur repose sur celui qui est doux et humble. Et, dès que notre esprit s'élève et s'unit à l'esprit de Dieu, le joug du Christ nous parait suave et léger, et nous portons son fardeau facilement et aisément. Car son amour n'est pas laborieux. Et plus nous aimons, plus le fardeau que nous portons est léger ; puisque nous portons l'amour, et que l'amour nous porte et nous élève au-delà de tous les cieux, jusqu'au bien-aimé (Ps 118). Car l'esprit qui aime, s'envole où il veut, tous les cieux lui étant ouverts ; et il a toujours son âme dans ses mains ; et il la conduit partout où il veut. Et enfin il trouve en lui le trésor de son âme, à savoir, le Christ, qui est sa seule affection et son unique amour. Si donc, ô homme chrétien, le Christ vit en toi et toi dans le Christ, suis-le dans ta vie, tes paroles, tes actions, et les afflictions que tu dois supporter :

Celui qui aime
Fait tout sans peine ;
Ou bien, la peine
Il l'aime 
(Saint Augustin).

Sois bon, doux, clément, miséricordieux et pieux, envers tous et chacun de ceux qui ont besoin de toi. N'aie de haine pour personne, ne jalouse personne, ne méprise personne, n'accable personne par des paroles dures et cruelles, et pardonne du fond de l'âme. Ne confonds personne ; et, ni par parole, ni par action, ni par signe, ni par quelque geste que ce soit, garde-toi de mépriser personne et de le couvrir d'ignominie. Ne sois ni acerbe, ni sévère, ni morose, mais de mœurs sages, d'un visage gai et serein. Écoute librement, et apprends de quiconque, ce qui est nécessaire à ton instruction. N'aie de mauvais soupçons sur personne, ne te défie de personne, et ne juge pas témérairement les choses cachées. N'aie de différend avec quiconque l'emporte sur toi par la sagesse. Embrasse la douceur de l'agneau, qui ne s'irrite même pas lorsqu'on le livre à la mort. Sois soumis et obéissant, et tout ce que les autres te font, supporte-le en silence.

     La patience

Or, de cette douceur de l'âme, coule la troisième source, qui est la patience. Mais la patience consiste à supporter librement l'adversité, sans refus ni murmure.

      Utilité des afflictions.

L'affliction et la souffrance sont les messagères de Dieu, par lesquelles il a coutume de nous visiter ; lorsque nous les recevons avec un esprit joyeux, le Seigneur lui-même vient avec elles.

        Il le lui affirme à lui-même par le Prophète : Je suis avec lui, dit-il, je l'arracherai de la tribulation et je le glorifierai (Ps 90 15). Quelle est la robe nuptiale du Christ. Car la souffrance, patiente du Seigneur Jésus fut la robe nuptiale qu'il revêtit, lorsqu'il épousa la sainte Église sur l'autel de la croix ; et il revêtit de la même robe (d'innocence) toute sa famille, qui le suivit depuis le commencement du monde. Car, tous les élus souffrirent librement les afflictions, lorsqu'ils virent que le Christ, la sagesse de Dieu, avait choisi la vie humble, vile, méprisée, dure et cruelle. Et pour cela, tous les ordres religieux et monastiques furent fondés et institués : (bien que ceux qui aujourd'hui mènent la vie monastique, méprisant la vie du Christ et sa robe nuptiale, imitent, non certes tous, mais une grande partie, le monde, autant qu'ils le peuvent, dans les soins du corps et dans leurs vêtements).

      Comment les vices dominent aujourd'hui dans les monastères.

Car l'orgueil, la vaine complaisance, de même l'avarice, l'envie, la gourmandise, la luxure, la paresse, et tous les genres de maux, ne dominent pas moins aujourd'hui, dans beaucoup de monastères et d'ordres religieux, que dans le monde. J'appelle monde, ceux qui vivent dans les péchés mortels. C'est pourquoi, soyez honteux et rougissez maintenant, vous qui êtes voués au service de Dieu, et qui, ayant oublié vos règles et vos vœux, vivez une vie qui ne diffère nullement de celle de la bête, et servez l'esprit du mal infâme, qui vous donnera la même récompense que lui-même a méritée pour ses crimes.

Car, le disciple n'est pas au-dessus du maître (Lc 6-40). Et celui-ci reconnaît bien ses disciples ; et ils habiteront avec lui dans le feu du Tartare, où il y aura les pleurs des yeux et les grincements de dents, et où les misères éternelles n'auront jamais de fin. Mais, ceux que le Christ aura revêtus de lui-même et de ses dons, demeureront sans fin, avec lui, dans la gloire de son Père. Sois donc doux et patient, tu le dois à la passion du Seigneur. Si tu veux être exalté, il est nécessaire que tu souffres : la Vérité elle-même t'enseignera cela.

      Renoncement à la volonté propre.

De là, la quatrième et dernière source de la vie humble, est l'abnégation de la volonté propre et de toute propriété ; et cette source coule de la souffrance endurée avec patience. C'est pourquoi, lorsque l'homme humble est touché intérieurement, ému, consumé et entraîné ou ravi en l'esprit de Dieu, il prend des forces, et renonce à sa volonté propre ; se livre et s'offre entièrement de ses mains à Dieu ; et ainsi il a, avec Dieu, une seule volonté ; et sa volonté se change, en quelque sorte, en une volonté et une liberté divine ; et il ne peut plus désormais vouloir autre chose, que ce que Dieu veut : ce qui est le fonds même de l'humilité. Car, quand Dieu nous touche par sa grâce, de telle sorte que nous nous renonçons nous-mêmes, que nous répudions notre volonté propre, et que nous l'abandonnons pour faire la très agréable volonté de Dieu : alors, la volonté de Dieu est la nôtre. Et, parce que la volonté de Dieu est libre, ou plutôt la liberté elle-même, l'esprit de crainte servile nous étant enlevé, qu'elle vienne de nous-mêmes, ou de toute frayeur et de toute crainte qui puisse nous attrister et nous accabler, pour le temps ou l'éternité, elle nous rend libres et dispos ; et elle nous communique l'esprit des fils d'adoption ou des élus de Dieu, par lequel, ne faisant qu'un avec le fils, nous crions : (Abba,) notre Père (Rm 8-15), et l'esprit même du fils rend témoignage à notre esprit que nous sommes les fils de Dieu, cohéritiers avec le fils dans le royaume du Père, où nous nous voyons élevés et exaltés dans la sublimité de Dieu, mais humbles et rabaissés en nous-mêmes ; et dans l'union avec Dieu, pleins de grâce et des dons divins. Et là, la suprême liberté et l'extrême humilité s'unissent dans une seule personne. Quant aux exercices qui sont propres à l'humilité et à la sublimité, ceux qui leur sont étrangers n'en ont pas la science et la sagesse.

      Celui qui est vraiment humble est un vase d'élection.

Celui qui est vraiment humble, est un vase d'élection pour Dieu, plein et débordant de tous les dons : quiconque lui demandera avec foi, en obtiendra tout ce qu'il désire et tout ce dont il a besoin.

      Il faut fuir les hypocrites.

Mais il faut prendre garde à l'espèce de simulateurs, qui pensent être quelque chose, lorsque, en vérité, ils ne sont que des ballons gonflés de vent, qui, si on les presse, rendent un son imperceptible et peu agréable. Ainsi eux mêmes, comme ils sont orgueilleux et dissimulés et qu'ils se sont persuadés être des saints, dès qu'ils sont affligés ou opprimés ils se brisent et ils éclatent : car ils ne peuvent supporter, et ils ne souffrent pas d'être réprimandés et instruits. En effet, ils sont mauvais et durs, et ils méprisent et dédaignent les autres. Ils ne se soumettent à personne, mais ils se préfèrent à tous ceux qui leur sont comparés. Et il sera permis de dire d'eux, qu'ils sont faux et dissimulés, toujours immortifiés intérieurement, et livrés à leur volonté propre. Sois donc humble, ô homme, obéissant, doux et d'une volonté résignée ; et tu seras vainqueur dans le jeu de l'amour. Considère aussi ce qui est nécessaire à ton salut ; car, bien que tu sois aidé du secours divin, et que peut-être tu l'aies emporté en esprit, par les vertus, sur les vices et tous les péchés ; cependant, vivent encore la nature et les sens, toujours portés vers les vices et les fautes, contre lesquels il faut lutter et combattre, tant que le corps ne sera pas glorieux mais mortel.

CHAPITRE V

DU CINQUIÈME DEGRÉ DE L'AMOUR, QUI EST :

L'ATTENTE ET LE DÉSIR DE L'HONNEUR DE DIEU.

      Quelle est la noblesse de toutes les vertus et des bonnes œuvres.

Vient ensuite le cinquième degré dans l'échelle de l'amour spirituel, qui est l'excellence ou la noblesse de toutes les vertus, et de tous les actes ou de toutes les œuvres bonnes. Mais avoir la noblesse des vertus et de toutes les bonnes actions, c'est désirer l'honneur de Dieu au-dessus de toutes choses. Cette vertu, la première de toutes, s'exerce dans les cieux par les Anges ; et sur la terre dans les entrailles maternelles (de l’Église), par l'âme du Christ ; et c'est elle que nous devons offrir et donner à Dieu, si nous voulons lui plaire. Elle est le fondement et l'origine de toute sainteté ; et où elle fait défaut, il n'y a rien de bon. Désirer l'honneur de Dieu et le rechercher amoureusement et intentionnellement, c'est la vie éternelle, et le premier et le principal sacrifice pour lequel nous soyons requis par Dieu. Mais celui qui se complaît en lui-même, désire et recherche son propre honneur, celui-là ne peut plaire à Dieu. Car, lorsque Dieu nous comble de ses dons, il se complaît en lui-même, il agit selon sa bonté ; et nous, lorsque ayant reçu de lui des dons, nous le payons de retour, en honorant les vertus pour son honneur, nous lui sommes agréables, parce que nous lui sommes soumis.

Quelle que soit d'ailleurs notre manière ou notre règle de vie, quoique notre vie paraisse excellente et nos œuvres sublimes, si nous n'envisageons que notre propre honneur et non celui de Dieu, nous nous trompons grandement, car il nous manque la charité. En effet, dès que, de notre fonds d'humilité nous désirons, de corps et d'âme, l'honneur de Dieu de toutes nos forces, et que notre intention s'y porte : c'est la charité qui est la racine et la source de toutes les vertus et de toute sainteté.

      Racine de tous les vices.

Mais celui qui néglige l'honneur de Dieu et n'en a cure, ne s'occupant que du sien, celui-là est l'esclave du vice de l'orgueil, qui est la racine de tous les vices, de toute improbité et de toute malice. Lorsque donc l'esprit de Dieu touche le cœur humble, il le pénètre de sa grâce, et il exige cette ressemblance de lui qui est obtenue par les vertus ; et, au-dessus de toutes les vertus, l'unité avec lui ou l'union de charité. Alors, l'Âme vivante (vigoureuse) et le cœur aimant se réjouit à cette exaltation, bien qu'il ignore comment satisfaire à cette vocation ou à cette exaltation, et payer la dette qui est exigée et réclamée par l'amour.

      Quelle est la plus belle vertu.

Et parce que cette même âme aimante comprend, que l'honneur et le respect dus à Dieu constituent la plus belle des vertus, et le chemin le plus court pour aller à Dieu, à cause de cela, elle choisit, et prend comme exercice constant, au-dessus de toutes les bonnes œuvres et de toutes les vertus, la manifestation de l'honneur et de la révérence dus à Dieu, se proposant d'y persévérer sans fin : ce qui est certes la vie céleste, très agréable à Dieu.

      Ce qui nous excite à l'honneur de Dieu.

Si toutefois, pour l'exaltation de Dieu et la satisfaction de notre âme vigoureuse, non seulement toutes nos forces, mais encore le cœur, les sens et tout ce qui vit dans l'homme, se réjouit : alors toutes les forces de l'âme, dis-je, s'épanouissent, toutes les vertus s'égaient, et le sang s'échauffe par le désir de réaliser l'honneur de Dieu. Lorsque en effet, selon la foi de la religion chrétienne, nous considérons et nous pesons diligemment, que Dieu notre père tout-puissant a créé le ciel, la terre et toutes les créatures pour son éternel honneur ; et que par son fils qui est sa sagesse coéternelle, il nous a faits, refaits et réparés, et qu'il a ordonné et réglé toutes choses pour son éternel honneur ; et par le Saint-Esprit, qui est la volonté et l'amour du Père et du Fils, qu'il a accompli toutes choses pour son éternel honneur, et les a consommées ; et que de cette manière, il y a trois personnes dans l'unité de nature, et l'unité de nature dans la Trinité de personnes, ensemble un seul et véritable Dieu tout puissant : par la considération de ces choses, dis-je, nous comprenons assez, avec combien de justice et de raison nous devons adorer et vénérer, de toutes nos facultés, ce même Seigneur notre Dieu.

      Nous devons honorer le Christ.

Il nous faut honorer aussi notre très doux Seigneur Jésus, Dieu et homme, sous une seule personne. Car Dieu lui-même honora son humanité, qui ne fait qu'une avec la nôtre, au-dessus de toute créature, il la bénit, l'éleva, l'exalta et l'unit à lui ; et par cette union sublime avec Dieu, le corps et l'âme du Christ furent complets ; bien plus, cette (âme) est la plénitude de toute grâce et de tous les dons : et de cette plénitude, tous ceux qui sont ses disciples et ses imitateurs reçoivent la grâce, et tout ce qui est nécessaire pour mener une vie sainte. Et la très sainte humanité du Seigneur Jésus elle-même, avec toute sa famille, se porte par toutes ses facultés et (celles) des siens, à rendre à Dieu le Père l'honneur avec la louange, l'action de grâce et le respect 1 Rois, 2.

      Pourquoi Dieu veut être honoré par nous.

Et de la sorte, Dieu le Père, honore son Fils et tous ceux qui le suivent et lui sont unis. Car celui qui honore Dieu est honoré par Dieu. Honorer et être honoré, c'est l'exercice de l'amour : non que Dieu ait besoin de nos manifestations honorifiques, puisqu'il est lui-même son honneur, sa gloire, son immense béatitude, mais il veut être honoré de nous et en être aimé, afin que nous lui soyons unis et que nous soyons heureux. Que le lecteur considère les raisons que je lui donne, pour lesquelles Dieu doit être honoré et loué par nous. Lorsque Dieu se manifeste lui-même, par la lumière infuse, à notre regard intellectuel, il manifeste sa puissance par des images, comme dans un miroir où les formes, les ressemblances, et les similitudes de Dieu reluisent et apparaissent pour se faire connaître. Mais sa substance, telle qu'elle est, nous ne pouvons la voir que par lui-même, ce qui est au-dessus de nous et au-dessus de tous les exercices des vertus. Et, pour ce motif, nous devons certes nous exercer librement à contempler Dieu dans ses formes, ses images et ses divines ressemblances ; afin qu'il nous élève et nous entraîne au-dessus de nous-mêmes, dans une certaine unité et union avec lui, où il n'y a plus alors de similitudes. Or, dans ce même miroir qui est nôtre, sous des formes, des images et des similitudes, nous contemplons Dieu (qui est) la grandeur, la hauteur, la puissance, la force, la sagesse, la vérité, la justice, la clémence, la piété, l'opulence, la bonté, la miséricorde, la fidélité, l'inépuisable amour, notre vie et notre couronne, la gloire infinie et l'éternelle béatitude ; mais d'autres appellations de ce genre lui conviennent que nous ne pouvons suffire à énumérer. Dans ces considérations, la raison et l'intelligence sont saisies d'admiration et de stupeur ; et notre amour s'émeut dans le désir de rendre à Dieu l'honneur et la louange, en raison de sa dignité.

CHAPITRE VI

TROIS MODES D'EXERCICES SPIRITUELS ET SPÉCIALEMENT
DU PREMIER, DONT LES PARTIES SONT L'ADORATION,
L'HONNEUR ET L'AMOUR DE DIEU.

Mode 1 2 3

C'est pourquoi, comme nous le désirons, l'esprit du Seigneur nous enseigne trois modes d'exercices, par lesquels nous pouvons nous appliquer à la vénération et à la manifestation d'honneur que nous devons rendre à Dieu. Le premier de ces moyens nous unit à Dieu sans intermédiaire ; l'autre nous unit à la divine volonté, et cela par la grâce et nos bonnes œuvres ; le troisième nous conserve dans notre union avec Dieu, et nous fait croître et augmenter en grâce, en vertus et en tous genres de sainteté.

      Qu'est-ce que l'Adoration de Dieu.

Le Premier mode comprend trois choses, qui nous unissent à Dieu, et qui sont l'adoration, l'honneur et l'amour. Le Second mode semblablement comprend trois choses, à savoir : le désir, la prière et la demande. Le Troisième mode également a trois parties ; à savoir : la louange, l'action de grâce et la bénédiction. Mais voyons d'abord ce que c'est qu'adorer Dieu : c'est, dans la foi chrétienne, avec un grand respect, considérer Dieu, au-dessus de la raison, en notre esprit, comme l'éternelle puissance, le créateur et le Seigneur du ciel et de la terre et de toutes créatures. Et c'est la première partie du premier mode.

      Honorer Dieu qu'est-ce ?

L'autre, c'est honorer Dieu, c'est-à-dire se mépriser et s'oublier soi-même et toutes les créatures, et suivre Dieu avec une vénération et une révérence infinie ; et cela sans cesse, abstraction faite de toute autre considération. La Troisième (partie), c'est posséder et poursuivre Dieu intentionnellement et amoureusement, non pour quelque intérêt propre d'honneur, de béatitude, ou de toute autre chose, que lui-même peut satisfaire, mais pour l'unique et l'éternel honneur de lui-même. Et c'est la parfaite charité, par laquelle nous nous unissons et ne faisons qu'un avec Dieu, et nous restons et nous habitons en lui, et lui en nous.

CHAPITRE VII

D'UN AUTRE MODE (OU MÉTHODE) D'EXERCICES
SPIRITUELS QUI CONSISTE DANS LE DÉSIR,
L'ORAISON ET LA DEMANDE (OU REQUÊTE).

Du désir de la grâce.

De cette charité, un autre mode d'exercice spirituel procède, qui se compose de trois parties, à savoir l'attrait ou le désir, l'oraison et la demande. Le désir vient du cœur, l'oraison de la bouche, la requête de l'esprit. Car nous devons désirer la grâce et le secours de Dieu ; et cela avec une grande dévotion, pour son honneur et pour notre nécessité ; afin que, par eux, nous puissions le servir. Et ce désir s'embrasera dans notre âme par la faculté d'exercer, par attrait et par amour et de tous nos moyens, la gracieuse volonté de Dieu ; et de là provient l'oraison qui se fait du cœur et des lèvres.

      Dieu doit être prié.

Certes, il nous faut prier notre père céleste, de qui descend vers nous toute grâce excellente et tout don parfait (Jc 1-17), afin qu'il nous donne l'esprit de crainte chaste et filiale, pour que nous nous conduisions avec respect à son égard, et que nous rougissions et nous tremblions de l'offenser par le péché ; qu'il nous donne aussi l'esprit de piété, pour qu'en son nom, nous soyons avec une vertu et une probité véritables, doux, pieux, humbles, bons envers tous ceux qui ont besoin de nous : Nous devons prier encore, afin de recevoir l'esprit de science, par lequel, devant lui et devant les hommes, nous marchions et nous soyons toujours honnêtes et véritables, de mœurs et de paroles, dans l'action, dans l'omission, dans la patience ; et bien réglés en toutes choses, afin, non seulement, de n'être un sujet de scandale pour personne, mais aussi de toutes manières, pour que les autres soient corrigés et provoqués à un état meilleur ; afin qu'en outre il nous accorde l'esprit de force, par lequel nous soyons vainqueurs de tous (nos ennemis) à savoir, le démon, le monde et notre propre chair ; et que, les ayant combattus, nous vivions en paix avec Dieu. Il nous faut aussi prier le Père des lumières et de toute vérité, qu'il infuse en nous l'esprit de conseil ; afin que, dotés de cet esprit, nous suivions le Christ au-delà de tous les cieux, qu'ayant méprisé le monde et foulé aux pieds tout ce qui est de soi, nous soyons les vrais disciples et les vrais imitateurs de Jésus-Christ notre Seigneur. Pour cela, nous désirerons et nous supplierons Dieu, qu'il nous donne le véritable esprit d'intelligence ; afin que, notre raison étant illuminée, nous connaissions et nous comprenions toute la vérité qui nous est nécessaire dans le ciel et sur la terre. Enfin, nous devons prier notre Père céleste, et Jésus-Christ son Fils sempiternel et très cher, qu'il nous donne l'esprit de sagesse. Et, l'ayant reçu, tout ce qui est caduc et temporaire nous paraîtra insipide et ennuyeux ; et nous verrons alors, nous goûterons, nous sentirons la suavité immense et inépuisable de Dieu ; et, en même temps, nous invoquerons et nous requerrons librement le Saint-Esprit Seigneur de toute grâce et de toute gloire, maître de tous les dons et de toute sainteté, tant dans le ciel que sur la terre, qu'il vienne en nous. C'est là, l'autre mode par lequel nous devons agir sur notre Père céleste, par le désir, l'oraison et la requête, afin de lui devenir semblables et d'imiter le Christ son fils, et avec eux, de posséder sans fin, dans l'unité du Saint-Esprit, leur propre gloire.

CHAPITRE VIII

DU TROISIÈME MODE DES EXERCICES SPIRITUELS
ET DE SES PARTIES, A SAVOIR : L'ACTION DE GRACE,
LA LOUANGE, ET LA BÉNÉDICTION.

Or, le troisième mode pour nous perfectionner dans les Vertus et dans tous les ornements de la vie sainte, a également trois parties, à savoir, l'action de grâce envers Dieu, la louange et la bénédiction.

      Louanges et actions de grâce à Dieu.

Rendons donc des louanges et des grâces à Dieu, car celui qui a créé le ciel et la terre et tout ce qu'ils renferment, nous a faits à son image et à sa ressemblance, et nous a donné l'empire de tout ce qui est dans le monde (Gn 1).

Et, bien qu'Adam notre premier père, selon la nature, ayant violé son précepte soit tombé dans le consentement du péché (Gn 3), et nous tous en même temps en lui, cependant notre Père éternel et tout-puissant a, par sa bonté et sa grâce, couvert et dissimulé nos péchés, nous ayant donné son Fils, qui reçut, pour le porter lui-même, le fardeau (de nos misères), nous traça lui-même, par sa vie, le chemin de la vérité, nous l'enseigna, et nous en fit la démonstration. Il nous servit également, en obéissant humblement jusqu'à la mort ; afin que nous vivions éternellement avec lui dans sa gloire (Ph, 2). Certes, nous devons avec juste raison rendre grâces, et bénir notre père céleste et son fils très doux, en les adorant en esprit, de ce qu'ils ont accompli en notre nature, par amour, ces étonnantes merveilles. Mais nous bénirons et nous rendrons grâces à notre très aimable Seigneur Jésus-Christ qui est un avec le Père, de ce qu'il nous a donné et livré sa chair, son sang et sa vie excellente et glorieuse dans le très Auguste sacrement, dans lequel nous trouvons, plus abondamment que nous ne pourrions le désirer, la nourriture, le breuvage et la vie éternelle, et tout ce que nous pouvons ambitionner.

      Comment le Fils doit être offert au Père ?

Avec cela, nous offrirons à Dieu, notre Père, son Fils accablé de blessures, crucifié et mort par amour pour nous : nous l'offrirons avec tous les saints sacrifices, qui ont été offerts en son nom par tous les bons prêtres ; et nous offrirons, en même temps, à la divine Majesté, tout le culte et le ministère (sacré) de la Sainte Église catholique, et de tous les justes, du premier jusqu'au dernier. En outre, nous rendrons grâces et nous louerons notre Seigneur-Jésus, avec l'excellence et la dignité de sa très aimable mère Marie toujours Vierge, Luc 1. qu'il a choisie de toute éternité, seule du monde entier, pour sa très digne mère, et par laquelle il a daigné être conçu du Saint-Esprit, être porté dans ses chastes entrailles, et naître sans tache et sans douleur, d'elle tout à la fois Mère et Vierge, et sucer ses chastes mamelles. Et lorsque les anges chantaient pour lui : Gloire à Dieu au plus haut des cieux : Gloria in excelsis, lui, posé dans une crèche, faisait entendre aux oreilles de sa mère de plaintifs vagissements. Mais sa très pieuse mère l'adorait, et le considérait comme Dieu et son Fils. Et ensuite, elle le servait très amoureusement avec beaucoup de respect ; et lui-même, à son tour, se montrait le fils le plus aimant de la plus douce et plus suave des mères.

Elle le priait comme son Dieu, et lui commandait comme à son fils ; et l'on ne vit jamais chose plus admirable.

      Quelle est l'excellence de la Vierge Marie ?

Mais on ne peut écrire et raconter quelle fut l'excellence et la dignité de cette bienheureuse vierge, soit par ses vertus, soit par la sainteté de vie. Car elle est profonde en humilité, sublime en pureté et en chasteté, immense en charité, inépuisable en miséricorde envers tous les pécheurs qui réclament son secours. Elle est en vérité la mère de toute grâce, de piété et de miséricorde, notre avocate et notre médiatrice, intercédant entre nous et son fils, qui ne peut rien refuser à sa mère suppliante, qui est assise à sa droite, reine couronnée avec lui, maîtresse puissante dans le ciel et sur la terre, exaltée au-dessus de toutes les créatures, et proche de lui. Pour ce très grand honneur et cette dignité attribuée par lui (le Christ) à son aimable mère, et en elle à la nature humaine de nous tous, nous devons lui rendre grâces et le célébrer par nos louanges. Car, l'ingratitude dessèche la source de la divine piété. Et nous devons rendre grâces, louer, vénérer, et honorer Dieu, parce que ce qui n'avait jamais été accompli par les créatures, s'étant opéré une fois, durera éternellement.

     L'origine du drame sacré de l'Incarnation et de la Rédemption.

Son origine fut dans les cieux : Lorsqu'en effet Michel et ses anges combattirent avec Lucifer et ses légions, pour savoir qui obtiendrait le ciel, Lucifer fut vaincu avec toute son armée ; et, à l'instar de la foudre et d'une flamme ardente, étant tombé du sommet des cieux, (car celui qui s'exalte sera humilié), tous les chœurs et les ordres des bons anges, les puissances, les vertus et les dominations des cieux se réjouirent, et le souverain esprit de l'ordre Séraphique rendit une éternelle louange à Dieu, et après lui toutes les légions du ciel rendirent grâces à Dieu de la victoire, l'adorant et le louant de ce qu'il était leur Dieu : et ils l'aiment et jouissent éternellement de sa gloire.

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[1] L'âme (de celui qui veut gravir les degrés de l'échelle de la perfection ou de l'amour divin).

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