Les esprits de la suprême hiérarchie, à savoir :
les Trônes, les Chérubins et les Séraphins, ne luttent pas avec nous
contre nos vices, afin que nous l'emportions sur eux, mais ils
vivent avec nous, dès que nous nous sommes élevés au-dessus du
combat, demeurant toujours avec Dieu dans la paix, dans la
contemplation et dans l'amour. Mais les esprits de la hiérarchie
moyenne, à savoir : les Principautés, les Puissances et les
Dominations, combattent avec nous, contre les démons, le monde, tous
les genres de vices, et tout ce qui, dans le service de Dieu, peut
s'opposer à nous ; et de même ils nous disposent, nous règlent, nous
modèrent, et nous sont secourables, pour (parachever) accomplir la
vie éternelle ornée de toutes les vertus.
C'est pourquoi si, munis de la divine grâce et de
l'aide des anges, nous vainquons le monde et nous méprisons tout ce
qui est dans le monde, nous sommes déjà les rois et les princes du
monde, le royaume des cieux est à nous ; et l'ordre des
Principautés, qui est le quatrième, nous sert pour l'honneur de
Dieu. Et si pour l'honneur de Dieu, du fond du cœur, nous nous
mettons au-dessous de toutes les créatures, nous nous condamnons et
nous nous humilions, alors nous sommes les vainqueurs du démon et de
toute sa puissance : les Puissances, qui constituent le cinquième
chœur ou le cinquième ordre, sont nos compagnons ; et ils nous
servent dans les exercices intérieurs, pour notre victoire et la
dignité de Dieu.
Mais, si quelqu'un se méprise et se met
au-dessous de tous ceux qui sont bons, de telle sorte qu'il n'ose se
comparer à aucun homme de bien par ses vertus, celui qui ne veut
juger personne et ne condamner que lui-même, et quelque vertu qu'il
professe, trouve qu'il a fait peu de chose ou rien, de telle sorte
que, tant les esprits de la divine justice que ceux de son humilité,
ne le laissent pas en repos, lui rappelant toujours dans son cœur,
qu'il vive pour Dieu et le serve, rongeant le cœur de ses entrailles
et consumant les moelles de ses os, parce que sa faim et son désir
de servir Dieu est si grand, que tout ce qu'il peut faire de bien il
le fait incessamment, et qu'il n'est pas tranquille et paisible,
qu'il s'indigne et s'insurge contre lui-même, de ce qu'il n'a pu
accomplir cette œuvre, de telle sorte qu'elle lui paraisse
suffisante, car toute complaisance naturelle envers lui-même et
toutes les créatures est morte et évanouie en lui, et il ne connaît
et ne sent rien autre chose que ces voix puissantes qui résonnent
dans son cœur et lui disent : Vis et sers Dieu ! et lorsqu'il ne
peut le faire selon son vœu, il n'éprouve pour lui-même que haine et
mépris, parce que l'esprit du Seigneur demande sans cesse de son
désir, une nouvelle marque de soumission, un nouveau témoignage
d'honneur ; et il peut l'accomplir et le rendre beaucoup mieux que
lui-même ; car tout ce qu'il donne lui fait une obligation plus
étroite ; et de là vient, que ce même désir se change en une
certaine impatience : Alors ce qui est exigé par Dieu, l'homme
humble s'aperçoit et considère qu'il ne peut le faire ; et prosterné
humblement aux pieds du Seigneur, il dit : Je ne puis faire assez
pour toi, ô Seigneur ! c'est pour quoi me méprisant moi-même, je me
donne à toi ; fais avec moi tout ce que tu voudras.
Dans cette humble résignation, le Seigneur répond
ainsi : Tu me plais assez par ta résignation et ta confiance ; c'est
pour quoi je te communique mon esprit de liberté et de vérité, afin
que moi seul je te plaise uniquement, plus que tous les actes bons
et tous les exercices des vertus.
Cette complaisance entre Dieu et l'homme ainsi
libéré et humble, est la racine de la charité et de toute sainteté,
dans la vie intérieure. Et dans cet exercice de complaisance, celui
qui est ainsi ne peut être combattu et tenté par aucun vice ; car
tous les ennemis fuient loin de lui, comme les serpents de la vigne
fleurissante. De même, cette mutuelle complaisance entre Dieu et un
homme de cette sorte, est une action et une œuvre excellente et très
belle dans la vie intérieure ; et par elle, toutes les vertus et
toutes les bonnes œuvres sont bien traitées et parfaitement
ordonnées. Car Dieu donne sa grâce, et l'homme intérieur donne à son
tour à Dieu toutes ses œuvres ; et ainsi, aussi bien la grâce que
les actes bons, augmentent toujours et se renouvellent. Colloques
amicaux de Dieu et de l'homme en esprit. Car Dieu parle
intérieurement à l'homme intérieur : Voici que je communique ma
grâce, donne à ton tour tes œuvres. Et de nouveau, il parle dans la
complaisance de son libre désir : Lorsque tu t'es donné à moi, je me
donne à toi. Si tu veux être mien, je serai tien. Ces amicales
questions et réponses sont faites et rendues, non extérieurement par
des paroles, mais intérieurement, en esprit. Alors l'âme aimante
répond à Dieu : Tu vis en moi, en vérité, ô Seigneur, par ta grâce ;
et tu me plais uniquement et au-dessus de tout. Je suis contraint de
t'aimer, de te rendre grâces et de te louer, et je ne puis ne pas le
faire, puisque c'est ma vie éternelle. Tu es ma nourriture et mon
breuvage, et plus je mange de cette nourriture et plus je me
désaltère de ce breuvage, plus j'ai faim et j'ai soif ; plus je
possède, plus je désire. Tu es plus doux à mes lèvres que le miel.
Et parce que je ne puis te consumer, la faim et le désir durent
toujours en moi. Je ne vois pas clairement si tu me manges, ou si tu
es mangé par moi, lorsque je parais éprouver les deux, au fond de
moi-même.
Mais tu exiges que je sois un avec toi ; et cela
est pour moi une dure croix, car je ne veux pas quitter mes
exercices, et ne pas dormir dans tes bras. Je ne puis pas en effet
ne pas te louer, ne pas te rendre grâces, ne pas t'honorer puisque
c'est là ma vie éternelle. Je sens en moi une certaine impatience et
j'ignore ce que c'est. Si, en vérité, je pouvais arriver à ne faire
qu'un avec toi ; afin de persévérer toujours dans mes actes, je ne
demanderais pas autre chose. Mais toi, ô Seigneur, qui connais les
nécessités de tous, tu fais avec moi tout ce que tu trouves bon, je
me mets entre tes mains, pour que je devienne forte et magnanime
dans tous les afflictions et toutes les souffrances. A cela l'esprit
du Seigneur répond, non en vérité extérieurement par des paroles,
mais intérieurement, pour faire sentir (son action) dans les replis
les plus intimes de l'âme qui est ainsi : Je suis en effet, à toi,
très chère âme, et toi tu es à moi, et je me donne intérieurement à
toi, au-dessus de tous mes dons, et j'exige aussi que tu viennes en
moi au-dessus de toutes tes actions. Alors, dès que l'âme dévote et
adonnée à la vie intérieure satisfait à ce divin traité, en se
livrant librement à l'esprit de Dieu, elle éprouve un amour
inépuisable et infini qui la pénètre entièrement : et, dès qu'elle
est élevée dans l'esprit de Dieu au-dessus d'elle-même et de tous
les dons, elle goûte une joie infinie, qu'elle ne peul contenir, et
dans laquelle elle est comme plongée et liquéfiée. Ainsi donc l'âme
dévote et adonnée à la vie intérieure, sous les aspects de l'amour,
est environnée et comme enveloppée d'un immense et inépuisable amour
et d'une joie infinie. Mais cela ne dure que peu d'instants.
Car l'amour ne peut rester oisif : c'est pourquoi
il crie à haute voix dans cette âme : Rends grâces et louanges, et
honore ton Dieu ; et l'amour ne le conseille pas seulement, mais il
le commande.
Ce mode d'exercice intérieur est très parfait,
très excellent, et proche je de la vie contemplative. Lorsque nous
l'avons atteint, nous sommes semblables aux esprits du sixième
ordre, que l'on appelle Dominations, parce qu'ils dominent les cinq
ordres d'anges inférieurs. Et ce mode est supérieur et plus
excellent, que tous les exercices que l'on peut suivre dans la vie
intérieure.
Le Christ Jésus, Fils du Dieu vivant, nous a
enseigné, non seulement en paroles mais aussi en exemples, deux
voies par lesquelles nous sommes conduits à la vie éternelle, si
toutefois nous ne refusons pas de le suivre.
La première voie est celle des commandements,
l'autre celle des conseils. Car il dit lui-même : Si tu veux être
parfait et devenir mon disciple, abandonne tout ce que tu possèdes
(Mt 19-21) par amour, ton père, ta mère, tes sœurs, tes frères, tes
enfants, ta maison, ton patrimoine, tout ce que le monde possède et
qui peut te nuire dans les exercices intérieurs envers Dieu. Car il
importe que tu laisses et que tu méprises tout cela, si tu veux
m'imiter et suivre mon exemple (Jn 20-2). Et de même que mon Père
m'a envoyé, moi je t'envoie (Lc 9-3). Moi-même je n'ai pas eu de
quoi reposer ma tête. Ainsi donc il ne te sera pas permis, à toi non
plus, de conserver et de retenir ce que tu possèdes avec affection,
délectation et amour ; mais tu dois renier et répudier toutes
choses, si tu veux progresser dans la vie intérieure (2 Cor. 6). Si
tu peux le faire, tu es certainement mon disciple ; et pauvre
d'esprit, tu es le roi et le seigneur du monde entier que tu as
vaincu. Et bien que tu n'aies rien en propre, cependant tu possèdes
tout en Dieu, de qui tu as reçu les forces et la faculté de vaincre.
Et de nouveau le Christ parle : Abandonne tout ce que tu possèdes
avec amour, viens et suis-moi ; c'est-à-dire, par cela même que tu
as abandonné toutes choses, ne te complais pas en toi-même, mais
attribue l'honneur à Dieu. Ainsi fit le Christ, comme en témoignent
les paroles dans lesquelles il dit : Je ne cherche pas ma gloire,
mais j'honore mon Père. Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est
rien (Jn 8-50). Celui qui agit ainsi, est semblable, pour
cela même, au fils de Dieu qui donne la sagesse aux humbles. Or, le
Christ dit : Celui qui veut venir après moi, qu'il se renonce
soi-même, porte sa croix tous les jours, et Me suive (Lc 9-23).
Notre Seigneur Jésus-Christ fit cela lui-même, lorsque, se
renonçant, il livra aux mains de ses ennemis son corps, pour qu'il
subit la mort, et il résigna sa volonté entre les mains du Père. Et
ensuite, après qu'il eut résigné tout ce qu'il était et tout ce
qu'il pouvait, il s'écria d'une voix haute : Tout est consommé ! et
ayant incliné la tête, il rendit l'esprit (Jn 19-30).
C'est ce que nous devons faire nous aussi, si
nous voulons être parfaits dans la charité et la vie intérieure. Il
importe, en effet, que nous nous renoncions, que nous nous
résignions à la gracieuse volonté de Dieu, et que nous soyons prêts
à souffrir volontairement la mort, soit pour l'honneur de Dieu, soit
pour la cause du prochain, si par là nous pouvons les conserver pour
la vie éternelle.
C'est ainsi, en effet, que nous avons une
parfaite charité envers Dieu et le prochain, et que nous sommes
semblables au Saint-Esprit, qui exerce tous les actes de l'amour, et
les perfectionne en vue de la vie éternelle. Ces trois choses
observées sans feinte devant Dieu, sont les conseils de Dieu, et les
voies cachées qui conduisent vers lui, ne sont découvertes et
explorées que par un petit nombre. Car, si la pauvreté extérieure
est destituée des exercices intérieurs et des autres vertus, elle ne
peut découvrir cette route. Au contraire, si quelqu'un use
prudemment et religieusement des richesses, et les distribue
libéralement aux pauvres pour l'honneur de Dieu, il peut trouver
cette voie inexplorée et inconnue de ceux qui feignent, et qui sont
pauvres malgré eux et contre leur volonté.
Mais la vie commune, qui nous conduit à Dieu, est
le chemin des commandements de Dieu, desquels le Christ dit : Si tu
veux rentrer dans la vie, observe mes commandements (Mt 19, 9-17).
Si vous observez mes commandements, vous resterez dans ma dilection,
comme moi, j'ai observé les commandements de mon Père, et je reste
dans sa dilection (Jn 15, 10). Car la charité ou l'amour est le
premier et le plus grand commandement(Mt 22, 37-39). Mais celui-là
seul peut aimer, qui a la foi chrétienne. Tout est possible au
croyant, mais l'infidèle, l'incrédule, est un tison de l'enfer. Si
donc tu veux observer les préceptes de Dieu, il est nécessaire que
tu croies et que tu te confies à Dieu.
Mais ne pense pas que ce soit assez, en outre, il
faut que tu expurges ta conscience des péchés, selon le décret de la
loi chrétienne, la règle et l'institution de l’Église Catholique :
pour cela, il faut que tu sois doué de bonne volonté, et que tu sois
soumis et obéissant, non seulement à Dieu, mais à tes évêques dans
toutes leurs institutions, leurs règles, et les exercices auxquels
on vaque communément dans la sainte Église ; et cela, selon la
faculté et le véritable discernement de tes forces, selon les usages
et les coutumes des hommes justes avec lesquels tu vis, du pays et
de la région où tu habites. Apprends les dix commandements, et
conformes-y ta vie. Fuis et évite les sept péchés mortels, de peur
qu'ayant offensé Dieu, tu mérites les peines de l'enfer. Observe le
jeûne, sanctifie les jours de fêtes ; et montre-toi prompt et
obéissant dans toutes les œuvres bonnes. Sois fidèle à ton Dieu et à
toi-même dans tous les actes bons, comme un bon serviteur à son
maître, jusqu'à ce qu'il te reçoive, près de lui.
C'est là, la vie des commandements de Dieu à
laquelle nous sommes tous obligés. Et pour ce motif, tous les anges
d'ordre inférieur nous servent, afin de nous conduire, immaculés et
purs de tous vices, en la présence de Dieu notre Seigneur. Et c'est
le premier degré et le mode inférieur dans la vie active par
laquelle nous sommes semblables aux esprits inférieurs du ciel, qui
sont appelés anges, c'est-à-dire envoyés. Suit un deuxième degré et
une voie plus haute de la vie active, à savoir : la patience
innocente. Car l'innocence est fille de la charité, et la patience
est sa sœur ; et par ces trois (vertus), avec la grâce de Dieu, se
font toutes les œuvres bonnes ; car elles répriment et modèrent tous
les penchants désordonnés de la nature. Toute distinction des vertus
est simple dans la patience innocente. Celui qui est tout à la fois
innocent et patient, vit dans la paix du Seigneur : si toutefois il
est humble, doux, obéissant, bon, pieux, libéral, honnête de mœurs,
simple, patient, facile et aisé dans toutes les bonnes œuvres. Il
n'est pas seulement docile, mais encore le disciple du Seigneur
lui-même, recevant toujours de Dieu la discipline de la paix
véritable. De cette manière, dès que tu seras établi et bien affermi
dans les vertus, tu atteindras le deuxième degré, et tu seras
semblable au deuxième ordre, celui des Archanges qui gouvernent et
dominent les esprits inférieurs de la première hiérarchie. Et tu es
alors élevé au-dessus de tous ceux qui sont placés dans l'ordre
inférieur des bonnes actions et des bonnes œuvres, dans lequel on
peut se sauver.
Suit un troisième degré, dans lequel toute la vie
active agréable à Dieu est accomplie et consommée.
Lorsque donc l'homme simple et craignant Dieu
observe la loi et les préceptes de Dieu, non par une habitude
stérile, ni guidé par la crainte, mais parce que Dieu le veut et
l'ordonne : alors il est bon et il plaît dans l'ordre inférieur de
la bonne vie.
Ensuite, dès qu'il monte plus haut et qu'il est
orné intérieurement de nombreuses vertus, afin de se rendre
semblable à Dieu, aux esprits angéliques, aux saints et à tous les
bienheureux ; et que pour des vertus, il expérimente la haine des
vices, la vie éternelle, la paix de la conscience, la tranquillité
et la joie qui se trouvent dans une vie non feinte : celui-là, est
beaucoup plus agréable à Dieu, et lui plaît davantage, que les
hommes vulgaires d'un ordre inférieur. Et tandis qu'ayant levé les
yeux en haut, au-dessus de toutes les bonnes actions extérieures et
de toutes les vertus intérieures, il considère et contemple
fidèlement dans la foi chrétienne, son Dieu, le recherchant
intentionnellement et amoureusement, au-dessus de toute chose ; et
que, persévérant dans cette recherche il en fait sa préoccupation
constante, alors il atteint le troisième degré, dans lequel toute
vie active est consommée : et on le compare avec raison, au
troisième chœur de la hiérarchie intérieure des anges.
Alors, en effet, toutes les vertus sont
parfaites, lorsque quelqu'un s'offre à Dieu par ce pacte, le
contemplant et l'aimant plus que tous les autres biens. Ainsi nous
avons une vie active, parfaite et absolue, de trois ordres, pour
nous conduire à la vie éternelle, par des degrés toujours plus
hauts, suivant que nous sommes plus méritants en grâce, et plus
dignes devant Dieu. Si tu expérimentes en toi cette vie, et si tu
désires t'y assujettir et t'y soumettre, il importe que tu sois
libre et dégagé de toi-même et de toutes créatures, de toute
sollicitude désordonnée et de tous soins, sans nulle complaisance
propre ; et que tu considères Dieu, que tu le recherches
amoureusement et intentionnellement, que tu le serves et que tu
l'honores, et que tu désires sa gloire au-dessus de tout. De cette
manière tu pourras te maintenir et demeurer stable et ferme en sa
présence, avec une révérence et une vénération éternelle.
Il y en a beaucoup qui se complaisent en
eux-mêmes, et qui pensent qu'ils sont élevés dans les hautes régions
de vie et devant les yeux de Dieu, lorsque cependant ils sont
engagés dans de multiples erreurs. Ceux, en effet, qui sont
immortifiés et irrésignés de leur nature, ne sont nullement élevés
en grâce, ni exercés à vivre devant l'excellence de la divine
Majesté.
Et bien qu'ils soient doués d'une intelligence
vive, et subtils pour la lumière de la raison, cependant ils se
complaisent sur eux-mêmes, et ils désirent de plaire aux autres, ce
qui est le moyen de se détourner de Dieu, et la racine principale de
tous les vices. Et de là vient qu'ils désirent l'emporter sur les
autres, et bien plus, être choisis de préférence à tous, pour les
dominer s'il se peut. Ils ne se soumettent et n'obéissent volontiers
à personne, mais ils désirent plutôt que tous les mortels
souscrivent à leur jugement et les secondent, quand ils sont livrés
à la contention et à la volonté propre. Ils pensent que toujours
leurs jugements sont justes, et que tous ceux qui les contredisent
sont dans l'erreur. Ils s'émeuvent facilement, se troublent, se
fâchent, non seulement par des gestes et des paroles, mais
méchamment par des actes ; et se conduisent dédaigneusement et
sévèrement ; ce qui fait qu'on ne peut avoir avec eux une vie
paisible. Mais pour l'amour d'eux-mêmes et de leur tranquillité, ils
sont très habiles.
Car ils observent attentivement et diligemment
tous les autres, mais eux-mêmes nullement. Pour ce motif, ils sont
agités de mille soupçons de jalousie, de déplaisir et de mépris
envers ceux qui ne leur sourient pas assez : ils sont comme piqués
d'un aiguillon, tourmentés et troublés en eux-mêmes de dissensions
intérieures et de vices.
Car ils sont persuadés, qu'ils connaissent mieux
les choses et qu'ils les font mieux que les autres. Ils sont prompts
à instruire, à régler, à réprimander, à infecter de calomnies les
autres ; mais eux-mêmes ne souffrent d'être instruits, dirigés,
réprimandés par personne, car ils se croient les plus sages de
l'univers. Ils persécutent et méprisent les inférieurs et les égaux,
qui ne les honorent pas ou qui ne les estiment guère. Ils infestent
et maudissent les autres, et souvent ils sont d'un esprit tortueux,
insensible et cruel, parce qu'ils manquent intérieurement de
l'onction du Saint-Esprit. Quand ils sont avec les autres, même ceux
qui sont bons et craignent Dieu, ils revendiquent pour eux, dans le
discours, la première place : car ils pensent que ceux qui parlent
les premiers sont les plus dignes, comme étant les plus sages selon
leur jugement, ainsi que je l'ai dit. Ils cachent leur orgueil par
des manières et des gestes humbles, et leur envie sous les aspects
et les apparences de la justice. Ils se montrent très amis et très
unis de ceux qui les adulent et leur font du bien. S'ils ont quelque
affaire à traiter ou à expédier, ils sont préoccupés et distraits
intérieurement, et ils sont tourmentés de soins et d'une sollicitude
immodérée.
Ils contractent parmi les choses terrestres,
comme les hommes mondains, tantôt de la joie, tantôt de la
tristesse. Quand ils sont loués ou blâmés en face, ils trahissent
facilement ce qu'ils sont. Ils sont pris d'une sollicitude anxieuse,
et ils craignent beaucoup pour eux de la maladie, de la mort, de
l'enfer, du purgatoire, du jugement, et de la justice de Dieu. Et
parce qu'ils sont curieux en eux-mêmes, ils ont peur, ils tremblent,
et ils augurent mal de tout ce qui peut arriver. Car ils s'aiment
d'une manière désordonnée, non pour Dieu et à cause de lui ; et
c'est pourquoi ils sont timides par nature, et ne sont ni libres ni
expérimentés dans les choses de Dieu. Ils sont affligés de toutes
sortes de craintes, de soins superflus et étrangers, pour les choses
temporaires et mondaines. Ils appréhendent les mauvais maîtres ;
craignent d'être privés de leur fortune et de leur vie ; que leurs
biens soient enlevés furtivement et détenus par les autres ; ou
qu'ils soient mal payés ; et qu'ainsi, réduits à l'indigence,
malheureux et méprisés, ils soient atteints par la vieillesse et les
maladies, enfin privés du soutien, du soulagement des amis, et des
biens temporels. Tous ces soins sont vains, superflus et insensés,
ils consument les vieillards avares et insensés, et en privent
quelques-uns même de leurs facultés.
On trouve même des hommes ainsi faits dans les
ordres monastiques et les maisons religieuses : ils appartiennent à
la foule de ceux qui, non seulement obéissent à leur volonté propre
et ne sont pas morts à eux-mêmes, mais craignent et redoutent, que
de leur vivant, on découvre ou l'on n'institue des prélats et des
supérieurs qui les répriment et les condamnent ; et ils pensent ne
pouvoir supporter avec longanimité (cette disgrâce). Et c'est ainsi
qu'ils songent en leur âme, quand quelqu'un leur est contraire :
S'il m'arrive que cet homme devienne mon maître, pourrai-je lui être
soumis et obéissant ? Car il ne m'aime pas, et toutes les fois qu'il
le pourra il m'affligera, m'accablera et me méprisera ; et tous ceux
qui seront ses amis, penseront comme lui, et seront mes adversaires.
A cause de cette crainte anxieuse, leur sang se
révolutionne, ils deviennent impatients, et se parlent ainsi à
eux-mêmes : Je ne pourrai supporter cela, sans devenir totalement
fou, ou sans changer de monastère. Et ce sont des craintes
insensées, et une prudence désordonnée qui tire son origine du fond
d'un cœur superbe.
Mais ceux qui seraient préposés au-dessus des
autres, accableraient et mépriseraient tous ceux qui leur seraient
contraires, et ne s'inclineraient pas devant leur sentiment ; et
cela, parce qu'ils croient pouvoir mieux que quiconque, ordonner et
régler sagement et justement toute chose. Ce qui fait que souvent
ils accusent et calomnient leurs prélats et leurs supérieurs, qui
leur demandent des offices ; et cela, non seulement dans leurs
propres cœurs, mais auprès de ceux qui écoutent librement de telles
choses. Ils supportent malaisément que quelqu'un soit loué de ceux
qui sont présents, car ils pensent qu'ils perdent ainsi une part de
leur considération. Et on ne peut leur persuader de quelqu'un, qu'il
a un genre de vie plus sublime qu'ils ne l'envisagent et ne le
comprennent eux-mêmes. Ils se croient donc plus prudents et plus
sages que tous ceux qui vivent avec eux, bien qu'ils soient
entièrement incapables, inhabiles, inexpérimentés et désordonnés,
dans l'art d'obtenir la vraie sainteté. Que chacun donc éprouve,
examine, considère et juge son esprit, sa nature ; pour savoir si,
par hasard, il ne reconnaît et ne découvre en lui quelqu'un de ces
vices. Car tout ce qui est de cette sorte doit être détruit,
combattu et vaincu, si l'on veut atteindre la sainteté. Il est
nécessaire que nous mourions aux vices, si nous voulons vivre pour
Dieu. Il importe que ni la prospérité ni l'adversité ne nous
retiennent et ne nous amusent de vaines images, si nous voulons
entrevoir le royaume des cieux. Il faut que nos cœurs, nos
affections et nos désirs, étant détournés des choses terrestres,
soient portées vers le vrai Dieu et les choses éternelles. Afin que
nous soyons dignes de goûter Dieu, il nous faut abandonner tout le
monde : ce que Dieu aime doit être aimé ; ce qu'il déteste doit être
détesté ; afin que nous puissions être mis en puissance et en
possession de Dieu. Enfin, il importe que nous nous renoncions
nous-mêmes, si l'Esprit de Dieu doit avancer en nous, pour nous
justifier et nous dégager de tout : cela fait, nous pourrons alors
le souffrir, le suivre au-delà de tout les cieux, et nous unir sans
division avec lui ; et par là nous le bénirons, et dans la paix,
nous entendrons la mélodie céleste raisonnant d'une sextuple voix et
de multiple harmonies.
Car notre Père céleste nous a appelés et nous a
élus dans son fils très aimant, de toute éternité, et il a inscrit
nos noms, par le doigt de sa charité, dans le livre de vie de la
sagesse éternelle, et nous lui répondrons à lui, l'Éternel, par
toutes nos facultés, avec un respect infini et un désir constant de
vénération : ce qui est le commencement de tout cantique, soit de la
part des anges, soit de la part des hommes justes ; et ce cantique
n'aura pas de fin.
Mais le premier mode de la céleste mélodie, est
l'amour de Dieu et du prochain ; et pour nous l'apprendre, Dieu, le
Père, daigna envoyer dans le monde son fils ; et c'est lui qui nous
l'a enseigné. Quiconque est inexpérimenté et ignorant de ce chant,
ne pourra pas s'unir aux chœurs célestes : car celui qui n'est doué
ni de la science, ni de la manière qui convient à ces chœurs, en
sera toujours exclu. Le Seigneur Jésus lui-même qui nous a aimés
d'un amour éternel, ayant été conçu dans le sein très pur de sa très
digne mère, a chanté en esprit, gloire et honneur à Dieu son Père,
et paix et bonheur à tous les hommes de bonne volonté ; et les
esprits Angéliques chantèrent aussi la même cantilène, en cette même
nuit où il naquit de la vierge Mère ; et la Sainte Église
Catholique, non oublieuse de ce (mystère), chante en ces deux fêtes
ce même cantique.
En effet, aimer Dieu et le prochain pour Dieu, à
cause de Dieu et en Dieu, c'est la plus haute et la plus douce voix,
qui puisse se faire entendre dans le ciel et sur la terre.
Mais le mode et la science de ce chant c'est le
Saint-Esprit. Or, le Christ Jésus, qui est notre chantre suprême,
notre maître et notre modérateur, a chanté dès le commencement, et
il nous chantera éternellement le cantique de fidélité et
d'éternelle charité ; et nous le suivrons dans cette vie et dans le
chœur de la gloire de Dieu, par toute la vertu de nos forces.
Sans doute, la charité véritable, sincère,
nullement feinte, est ce chant commun, pour lequel il importe que
nous tous nous soyons habiles, si nous voulons être admis dans le
chœur du royaume des cieux, avec les esprits angéliques. La charité,
en effet, est au dedans la source et la racine de toutes les
vertus ; mais au dehors, elle est l'ornement et la véritable
manifestation de toutes les bonnes œuvres. La charité est sa propre
vie et sa propre récompense. L'exercice de l'amour ne peut errer,
que le Christ lui-même, avec tous ses élus, nous a enseigné par sa
vie, ses discours, ses exemples, que nous devons tous imiter, si
nous voulons être sauvés et jouir avec eux de la béatitude.
Et c'est le premier mode des cantiques célestes,
que l’Éternelle sagesse de Dieu enseigne, par le Saint-Esprit, à
tous ses disciples qui se conforment à sa règle. Il y a ensuite une
autre méthode de la céleste mélodie qui est : le mépris sincère et
non simulé de soi-même, que nul ne peut relever ni diminuer, car
elle est la racine, le fond sans fond de tout l'édifice spirituel,
le ton et la clef de tout chant céleste, s'harmonisant
merveilleusement et suavement avec toutes les vertus ; étant le
manteau et l'ornement de la charité, et la voix très douce qui se
fait entendre en la présence de Dieu. Ses harmonies sont si suaves,
si douces, si prenantes et d'un tel attrait, qu'elles ont engagé le
Fils de Dieu lui-même, qui est la sagesse éternelle, à prendre notre
nature. Car, après que la Vierge très pure eut proféré ces paroles :
Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre
parole ; Dieu fut à ce point vaincu, qu'il voulut remplir de son
éternelle sagesse, le très humble lit nuptial de cette même Vierge
très sainte ; et par cela même, celui qui est le Très Haut, bien
plus, la grandeur même, se fit très petit et très humble, le Fils de
Dieu s'abaissant et se faisant serviteur, et nous élevant jusqu'à la
forme divine : au point de descendre et de s'humilier au-dessous de
tous les mortels et, s'étant méprisé lui-même, de nous servir
jusqu'à vouloir souffrir la mort. Celui qui désire se conformer à
lui et le suivre, doit nécessairement se renoncer et se mépriser,
jusqu'au point de chanter ce cantique d'humilité nullement feinte et
déguisée ; et il faut aussi qu'il désire et qu'il aime être ignoré,
méprisé, et rejeté au-dessous de tous les mortels. Car l'humilité
n'est troublée ni par la prospérité, ni par l'adversité, ni par la
joie, ni par la tristesse, par l'honneur ou l'ignominie, ni par rien
de ce qui n'est pas elle. Elle est le don très excellent, et le très
bel ornement que Dieu donne à l'âme qui aime s'abaisser. Elle est
enfin la plénitude de toute grâce et de tous les dons ; et quiconque
reste et se complaît en elle, ne fait qu'un avec elle, et trouve la
paix éternelle.
Le troisième mode de la céleste mélodie, c'est
lorsque nous renonçons à la volonté propre, et aussi à toute
propriété ; et nous soumettons avec résignation notre nature à la
gracieuse volonté de Dieu, prêts à supporter tout ce qui dépendra de
sa volonté. Et bien que, en ces choses, la nature souffre et se
plaigne, en portant la croix et en suivant le Christ jusqu'à la
mort, l'esprit cependant se réjouit, en faisant un sacrifice si
volontaire. Et bien que la nature, quand nous sommes affligés et
accablés, pleure et geigne, après cela, nous exulterons dans la
gloire de Dieu, lorsque le Seigneur Jésus essuiera toutes les larmes
de nos yeux ; et nous montrera qu'il nous a achetés de son Père par
son sang précieux, et qu'il a payé notre (dette) et satisfait (à sa
justice) par sa mort ; lorsque nous chanterons avec lui par la
souffrance volontaire, la chansonnette émérite, qui convient à la
nature humaine, et non à la nature angélique ; et que pour la
grandeur et la multitude de nos labeurs, de nos tourments et de nos
souffrances, l'honneur, la gloire et la récompense seront infinis.
Et le Christ jouera le rôle de chantre et d'intonateur ; et il
chantera avant nous, parce qu'il est le prince (l'instigateur) de
toute souffrance volontaire et libre, qui ait jamais été tolérée par
amour, pour la gloire de Dieu ; et sa voix est claire et très belle
et d'un son très agréable, et il est très expert dans les chants
célestes ; il connaît bien les tons, les modulations et les variétés
des chants. Et nous chanterons tous ensemble avec lui, et nous
ferons entendre des actions de grâce et des louanges à Dieu le Père
céleste, qui nous l'a envoyé. Car il fallait que le Christ souffrît
et qu'il entrât ainsi dans sa gloire (Lc 24, 26) ; et ainsi,
nous-mêmes nous devons souffrir librement, afin de nous rendre
semblables à lui, et de le suivre dans sa gloire et celle de son
Père, avec lequel il ne fait qu'un dans la même jouissance du Saint
Esprit, où nous tous, nous chanterons au nom de notre Seigneur
Jésus-Christ, chacun spécialement en son esprit, suivant le mérite
d'un chacun et sa dignité auprès de Dieu.
Suit de là le quatrième mode des chants célestes,
le plus intime, le plus excellent et le plus élevé, se consumer en
la louange de Dieu.
Notre Père céleste est avare et libéral : Car il
donne libéralement à ses bien aimés, qui s'élèvent en esprit et
marchent en sa présence, sa grâce, ses dons et ses présents ; et à
son tour, il exige de chacun qu'il lui rende grâce, qu'il le loue et
s'acquitte des bonnes œuvres, en tant que chacun a été comblé
extérieurement ou intérieurement par Dieu. Car la grâce de Dieu
n'est pas donnée en vain et inutilement.
Si nous la prenons en considération, elle se
répand continuellement sur nous, et elle nous comble de ce dont nous
avons besoin ; et à son tour, elle nous réclame tout ce que nous
sommes capables de donner ; et dans ces deux actes, toutes les
vertus sont exercées et cultivées.
Et au-dessus de toutes les actions et de tous les
exercices des vertus, notre Père céleste manifeste spécialement à
ceux qui lui sont chers, en donnant et en exigeant, non seulement
qu'il est libéral et avare, mais qu'il est l'avarice et la
libéralité même, car il veut se donner tout entier et tout ce qu'il
est à nous ; et il demande, à son tour, que nous nous donnions à lui
entièrement et tout ce que nous sommes ; et ainsi, son esprit et sa
volonté est, que nous soyons entièrement siens et qu'il soit
entièrement nôtre, chacun toutefois restant ce qu'il est. Car nous
ne pouvons pas en effet devenir Dieu, mais nous sommes unis à Dieu
par un moyen (medium), et sans moyen (absque medio).
Nous lui sommes unis par sa grâce, et nos bonnes
œuvres ; et par un mutuel amour ; c'est-à-dire, par sa grâce et nos
vertus, lui-même vit en nous et nous en lui : nous lui sommes soumis
et obéissants ; et pour cela, d'une seule volonté avec lui, en tout
bien. Son esprit et sa grâce opèrent toutes nos bonnes œuvres, même
plus particulièrement que nous-mêmes. Sa grâce en nous, et notre
charité envers lui, est une œuvre à laquelle nous contribuons
ensemble. Et, en vérité, notre amour envers lui-même est une action
très élevée et très excellente, que nous pouvons éprouver entre Dieu
et nous. L'esprit de Dieu exige de notre esprit, que nous aimions
Dieu, et que nous lui témoignions nos louanges et nos actions de
grâce, en raison de sa grandeur et de sa sublimité ; mais en cela,
tous les esprits d'amour, au ciel et sur la terre, sont impuissants,
car ils s'épuisent eux-mêmes et ils consument tous leurs forces,
devant l'infinie et l'immense hauteur du Dieu tout puissant. Et
c'est le moyen (de communication) le plus noble et le plus élevé
entre Dieu et nous ; et ici la grâce de Dieu avec toutes les vertus
se perfectionne et se consomme. Or, au-dessus de ce moyen, au-dessus
de la grâce et de toutes les vertus, nous sommes unis à Dieu sans
moyen. Si toutefois nous gravons profondément l'image de Dieu dans
notre âme, et par là nous sommes unis à Dieu sans moyen, nous ne
devenons pas Dieu, mais nous gardons toujours sa ressemblance, et
lui-même vit en nous et nous en lui par sa grâce et nos bonnes
œuvres. Ainsi donc nous sommes unis à Dieu en dehors du moyen,
au-dessus de toutes les vertus, dès que nous portons son image dans
les plus hautes régions de notre essence créée. Mais cependant nous
restons toujours en nous mêmes, unis et semblables à lui, soit par
sa grâce, soit par notre vie vertueuse. Et par ce pacte nous
demeurons éternellement semblables à Dieu, dans la grâce et dans la
gloire ; et au-dessus de la ressemblance, nous sommes un avec lui,
notre éternel idéal et notre exemplaire. Et cette unité de vie ou
cette union avec Dieu est dans notre essence, et nous ne pouvons la
saisir et la comprendre. Elle prélude à toutes nos puissances, et
réclame de nous que nous soyons un avec Dieu, sans moyen. Mais cela
nous ne pouvons pas le faire. Nous suivons donc Dieu dans un certain
repos de notre essence. Et, dans ce repos, l'esprit du Seigneur avec
tous ses dons se complaît et pénètre de sa grâce et de ses dons
toutes nos puissances, et réclame de nous l'amour, la louange,
l'action de grâce ; et lui-même habite dans notre essence, il exige
de nous le repos (la quiétude) et que nous lui soyons unis au-dessus
de toutes les vertus.
Ce qui fait que nous ne pouvons rester en nous
avec les actes bons, ni au-dessus de nous avec Dieu, dans le repos.
Et c'est là le jeu intime de l'amour. Car l'esprit du Seigneur agit
sans cesse et il veut que nous aussi nous agissions toujours, et que
nous lui soyons semblables. Et cette paix, cette jouissance du Père,
du Fils et de tous leurs bien-aimés, est la même dans l'éternel
repos. Or la jouissance est supérieure à nos actes, et nous ne
pouvons la saisir et la comprendre, et nos actions sont toujours
au-dessous de la jouissance, et nous ne pouvons les amener à la
jouissance. Nous défaillons toujours dans l'action, et nous ne
pouvons en effet aimer Dieu suffisamment. Mais dans la jouissance,
c'est assez et il nous suffit, et nous sommes là ce que nous
voulons.
Et c'est là le quatrième mode des chants
célestes, le plus excellent et le plus élevé de tous ceux qui se
font entendre dans les cieux et sur la terre. Mais il faut savoir
que ni Dieu, ni les anges, ni les âmes des bienheureux, ne chantent
avec des voix corporelles, puisque ce sont des esprits, et qu'ils
n'ont ni bouche, ni oreilles, ni langue, ni gosier, avec lesquels
ils puissent chanter. Néanmoins, l'écriture divine affirme que Dieu,
avant de prendre la nature humaine, parla de diverses manières avec
des paroles sensibles, à Abraham, à Moïse, aux Patriarches et aux
Prophètes. Et la Sainte Église déclare que les Anges chantent sans
fin : Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu des armées (Ap 4,-8).
De même l'Archange Gabriel apporta la nouvelle à la Vierge très
sainte, qu'elle enfanterait le Fils de Dieu par la vertu du
Saint-Esprit (Lc, 1-26). L'on dit aussi que les anges enlevèrent au
ciel, avec des cantiques, l'âme du bienheureux évêque Martin. Enfin
la très sainte Marie Magdeleine se repaissait tous les jours des
cantiques des anges. Les bons et les mauvais esprits et les âmes
dépouillées de corps, peuvent donc, avec la permission de Dieu,
apparaître aux hommes sous n'importe quelle forme ; mais cela n'est
nullement nécessaire dans la vie éternelle.
Là, en effet, nous contemplerons, de la manière
que nous le voudrons et comme nous le désirerons, de nos yeux
intellectuels, la gloire en commun de Dieu, des anges, et des
saints, et les récompenses et la gloire d'un chacun en particulier.
Mais au jour du jugement dernier, après que, par la vertu du
Seigneur Jésus, nous serons ressuscités avec nos corps glorieux, nos
mêmes corps seront comme une neige très blanche et très pure, plus
resplendissants et plus lumineux que le soleil, et transparents
comme le cristal. Et chacun aura ses signes, ses marques
particulières d'honneur et de gloire, suivant les multiples manières
par lesquelles il aura enduré, volontairement et librement, les
peines du martyre, où les autres afflictions et douleurs, pour
l'honneur de Dieu. Car chaque chose aura son rang et sa récompense,
comme le décidera l'éternelle sagesse de Dieu, et suivant
l'excellence et la noblesse de nos bonnes œuvres.
Et le Christ Jésus, notre chantre, celui sur
lequel nous devons nous guider, chantera de sa voix glorieuse et
suave, l'éternel cantique, à savoir : l'hymne d'honneur et de
louange à son très saint Père céleste ; et nous tous nous
continuerons, pour le poursuivre éternellement, le même cantique
dans l'allégresse de nos âmes et avec des voix harmonieuses. Mais la
joie et la gloire de nos âmes rejaillira sur nos sens, et par eux
pénétrera tous nos membres, et nous nous contemplerons mutuellement
avec des yeux (illuminés) de gloire, et nous entendrons la louange
de notre Dieu, et nous la proclamerons, et nous la chanterons de nos
voix jamais défaillantes. Et le Christ Jésus nous servira, et nous
montrera sa face resplendissante et son corps glorieux, avec ses
stigmates d'amour et de fidélité ; et de même nous contemplerons
tous les corps glorieux, et tous les signes de l'amour avec lesquels
ils servirent Dieu, depuis le commencement du monde ; et toute notre
vie sensible intérieure et extérieure sera remplie de la gloire de
Dieu, et nos cœurs pleins de vie brûleront d'un ardent amour envers
Dieu et tous les saints ; toutes les puissances de nos âmes seront
remplies de gloire, ornées des dons de Dieu, et de toutes les vertus
qui ont été réalisées depuis le commencement. Et au-dessus de toutes
ces choses nous serons absorbés, en esprit, dans la gloire
incompréhensible de Dieu, qui n'a ni fond, ni borne, ni mesure ; et
nous en jouirons éternellement avec Dieu.
Mais le Christ dans l'humaine nature dirigera le
chœur de droite, à savoir : celui qui est le plus élevé et le plus
illustre de tous ceux qui ont été créés par Dieu ; et à ce chœur
appartiendront tous ceux dans lesquels il vit, et qui vivent en lui.
L'autre chœur est assigné aux esprits angéliques. Car bien qu'ils
soient d'une nature plus excellente et supérieure, cependant nous
sommes comblés de dons plus sublimes, dans le Christ Jésus avec
lequel nous ne sommes qu'un. Et c'est pourquoi, le Christ Jésus sera
le Pontife suprême, entre les chœurs des anges et des hommes, devant
le trône de la Toute-Puissance de Dieu ; et il renouvellera, pour
les offrir à nouveau, tous les sacrifices qui ont été offerts en
tout temps, soit par les anges, soit par les hommes ; ils seront
renouvelés sans fin pour la gloire de Dieu, et ils resteront fixés
éternellement.
Ainsi nos corps et nos sens avec lesquels nous
servons Dieu, seront remplis, de gloire et de béatitude, comme le
corps du Christ avec lequel il a servi Dieu, et nous, est glorieux ;
et les esprits de notre âme seront glorieux, avec lesquels nous
servons Dieu maintenant et pour toute l'éternité, et nous rendrons
louange et gloire, comme l'âme du Christ et les anges et tous les
esprits qui aiment et louent Dieu, en lui rendant grâces, sont
bienheureux et glorieux. Enfin, par le Christ, nous l'emporterons
sur tous en esprit et en Dieu, et nous serons un avec lui, jouissant
avec lui de l'éternelle béatitude. Mais c'est assez parler du
cinquième degré de notre échelle céleste.
Montons enfin au sixième degré : c'est la claire
et lucide contemplation ou vision, la pureté de l'esprit et le
dépouillement de l'âme, qui sont les trois propriétés de l'âme
contemplative, qui découlent de la source de vie, où nous sommes
unis à Dieu, au-dessus de la raison et de tous les exercices de
l'amour. Quiconque désire en faire l'expérience, doit nécessairement
offrir à Dieu toutes ses vertus et toutes ses bonnes œuvres,
s'offrir et se résigner à la libre puissance de Dieu, même sans la
considération d'aucune récompense, au-dessus de toute chose ; et il
faut qu'il procède sans cesse dans l'ardente vénération de Dieu sans
vue rétrospective.
C'est ainsi qu'il devra se préparer, par la
divine grâce, à la vie contemplative, s'il veut l'atteindre. Il
importe que sa vie extérieure et sensible soit bien réglée, et bien
ordonnée, dans tous les actes bons, envers tous les hommes ; et que
sa vie intérieure soit pleine de grâce et de charité, exempte de
toute simulation, douée d'une intention droite et riche de toutes
les vertus. Que sa mémoire soit libre, délivrée des soins, de toute
sollicitude, des préoccupations, et dépouillée de toute vaine
imagination ; son esprit libre, ouvert et élevé au-dessus de tous
les cieux ; son âme tranquille de toute considération, et dénuée en
Dieu qui est la citadelle et l'enclos des esprits aimants, où tous
les esprits purs se réunissent dans la simple pureté ; et c'est
l'habitacle de Dieu en nous, et nul autre que Dieu seul ne peut y
pénétrer. Cette pureté est éternelle, et en elle il n'y a ni temps,
ni lieu, ni passé, ni avenir, mais elle est toujours présente,
disposée et manifestée aux esprits purs élevés jusqu'à elle. En elle
nous sommes un, vivant en Dieu et Dieu en nous. Cette unité simple
est toujours claire et manifeste, pour les yeux de l'âme, dans la
pureté de l'esprit ; et là l'air est pur et serein, éclairé de la
lumière divine ; et, les yeux transformés et illuminés, nous
contemplons là, attentivement, l'éternelle clarté ; et là tout est
un, une la vérité, une l'image dans le miroir de l'éternelle
sagesse.
Nous avons été créés par Dieu, afin de retrouver
cette image, de la connaître et de la posséder dans notre essence et
la pureté de notre esprit ; et lorsque nous la voyons et nous
l'éprouvons, dans la divine lumière de ces mêmes yeux simples de
l'âme, alors nous sommes parvenus à la vie contemplative. Mais là,
quelque chose est encore requis, c'est la pureté de l'esprit.
Si l'esprit en repos est dépouillé de formes et
d'images, si la contemplation est claire et évidente dans la lumière
de Dieu, et si l'âme est pure et élevée en la présence de Dieu : ces
trois choses, dis-je, unies ensemble, sont vraiment la vie
contemplative dans laquelle nul ne peut errer. Car le pur esprit
s'incline toujours, et suit avec un amour sans réserve
l'intelligence claire et illuminée dans son principe. Mais notre
Père céleste est le principe et la fin de tout ce qui est. En lui
nous commençons tout bien, dans le dépouillement de l'esprit, et
dans la vision claire des images. Or dans son Fils nous contemplons
toute vérité, dans la divine lumière avec une intelligence claire et
illuminée. Et dans le Saint-Esprit, nous perfectionnons et nous
consommons tous nos actes, dès que nous nous élevons en la présence
de Dieu, par l'amour sans réserve des esprits ; et en même temps,
nous nous dépouillons de la multitude des choses terrestres et de
toute préoccupation. C'est là, en vérité, la vie contemplative si
importante. Car l'amour conseille à tout moment de commencer et de
finir. Et c'est le sixième degré de notre échelle céleste.
Procède de là le septième et dernier degré
au-dessus duquel, ni dans le temps, ni dans l'éternité, il ne se
peut obtenir rien de plus excellent et rien de plus sublime ; et
c'est lorsque au-dessus de toute connaissance et de toute science,
nous découvrons et nous sentons en nous, quelque chose d'infini, un
abîme sans fond ; quand au-dessus de toutes les appellations et de
tous les noms, que nous attribuons soit à Dieu soit aux créatures,
nous passons outre dans la mort, et nous excédons dans l'éternité
quelque chose d'incompréhensible et sans nom, en nous perdant dans
ce même être ; et lorsque au-dessus de tous les exercices de vertu,
nous entrevoyons et nous expérimentons en nous un certain repos
éternel, dans lequel il n'est plus de labeur ; et au-dessus de tous
les esprits bienheureux une béatitude immense et infinie, dans
laquelle nous tous nous sommes un ; et cette unité (autant qu'il est
possible à la créature), qui est la béatitude même ; et lorsque nous
voyons enfin tous les esprits bienheureux plongés et perdus
essentiellement, (ayant laissé leur être dans la supra substantielle
essence), dans un tout inconnu et sans borne. En outre nous devons
contempler le Père, le Fils et le Saint-Esprit en trois personnes,
en nature un seul Dieu véritable, créateur du ciel et de la terre et
de toutes les choses créées ; et lui témoigner éternellement la
louange, l'amour et l'action de grâces. Car il nous a faits à son
image et à sa ressemblance (Gn 1-26), ce qui procure une immense
joie à tous les grands et purs esprits. Sa divinité n'agit pas,
puisqu'elle est une simple et paisible essence ; et si nous
possédions ce repos avec Dieu, nous serions alors avec lui le repos,
et nous nous élèverions dans sa sublimité et au-dessus de tous les
degrés et de toutes les échelles célestes ; nous serions avec
lui-même par la grâce dans sa divinité, la paisible essence et
l'éternelle béatitude, Mais les personnes divines, qui ne forment
qu'un seul Dieu, dans la fécondité de leur nature, sont toujours
opérantes ; et dans la simplicité de leur essence, sont la divinité
et l'éternelle béatitude ; et ainsi Dieu dans les personnes est
l'éternelle opération, mais dans l'essence et le perpétuel repos est
l'éternelle paix.
Or, entre l'action et le repos, vivent l'amour et
la jouissance. L'amour veut agir sans cesse, car il est l'action
éternelle avec Dieu. La jouissance est toujours en repos ; car elle
est au-dessus du vouloir et du désir du bien-aimé dans le bien-aimé,
dans l'ignorance de la forme et dans le simple amour, où le Père
avec le Fils, embrasse ses bien-aimés dans l'unité abondante de son
esprit, au-dessus de la fécondité de la nature ; et le même Père dit
à chaque esprit avec une éternelle complaisance : Tu es à moi et je
suis à toi : je suis tien et tu es mien, car je t'ai choisi de toute
éternité.
Lorsque la joie mutuelle et la complaisance entre
Dieu et les esprits qui lui sont unis par la charité est si grande,
que ces esprits défaillent, se fondent et se perdent en lui et
deviennent un seul esprit avec Dieu, jouissant avec lui, l’Éternel,
plongés dans l'infinie béatitude de son essence : C'est le premier
mode de jouissance des hommes ardemment contemplatifs. En outre, il
y a une autre manière d'aboutir à la jouissance de Dieu, pour les
hommes intérieurs, voués à Dieu et parfaits en charité, par la
gracieuse volonté de Dieu.
Sont ainsi ceux qui se méprisent eux-mêmes et se
renoncent, ainsi qu'à toute créature qu'ils peuvent posséder avec
délectation et amour, et à toutes les œuvres de Dieu, en tant
qu'elles peuvent devenir l'objet de quelque occupation ou de quelque
empêchement, dans la vie intérieure par laquelle ils servent Dieu et
sont portés et élevés vers lui ; et cela avec un intime amour du
cœur, avec une âme ardente, avec un esprit élevé au-delà de tous les
cieux, avec toutes les ardeurs brûlantes de l'amour, et avec une âme
dégagée de tout fantôme et de toute imagination, lorsque la loi de
charité est accomplie et toutes les vertus achevées ; et nous sommes
dans le repos, et Dieu notre Père céleste demeure et habite en nous
avec la plénitude de sa grâce, et nous en lui, vaquant à la
jouissance (de Dieu) au-dessus de toutes nos actions ; lorsque
également le Christ Jésus vit en nous et nous en lui ; et par sa
vie, nous vainquons le monde et tout ce qui est péché ; et avec lui,
nous sommes élevés par amour vers notre Père céleste.
Enfin, le Saint-Esprit opère en nous tous nous
actes bons, et nous avec lui ; et lui-même fait entendre en nous,
sans l'éclat des paroles, cette sonore voix : Aimez l'amour
éternellement aimant ! Mais sa clameur nous touche et nous émeut
intérieurement, dans notre esprit. Et cette voix est plus terrible
que le tonnerre, et les éclairs qui en jaillissent découvrent le
ciel, nous font paraître la lumière et l'éternelle vérité. Son
attouchement et les effluves de son amour sont si puissants, qu'ils
peuvent nous brûler jusqu'au fond de nous-mêmes ; et cet instinct ou
cet attrait nous crie sans cesse : Payez votre dette ! Aimez l'amour
qui vous aime de toute éternité ! De là naît une grande impatience
d'amour au dedans de nous, et des gestes sans règle. Car plus nous
aimons, plus il nous est loisible d'aimer ; et plus nous nous
acquittons de ce que veut l'amour, plus notre dette (envers l'amour)
s'accroît. L'amour ne se tait jamais, mais il crie sans cesse :
Aimez l'amour ! Ceux qui vivent extérieurement et sont livrés aux
sens, ignorent entièrement ce combat de l'amour.
Aimer et jouir, c'est agir et souffrir. Mais Dieu
par sa grâce vit en nous, il nous enseigne, nous conseille et nous
ordonne d'aimer. Et nous, nous vivons en lui au-dessus de la grâce
et au-dessus de nos actes, ou nous le souffrons et nous jouissons de
lui. En nous vit l'amour, la connaissance, la contemplation,
l'attrait, et au-dessus de tout cela, la jouissance.
Notre devoir, c'est d'aimer Dieu, notre
jouissance, est de souffrir Dieu et d'être pénétrés de son amour. Il
y a là même différence entre l'amour et la jouissance, qu'entre Dieu
et la grâce de Dieu. Où nous nous unissons à Dieu par amour, là nous
nous spiritualisons ; mais où lui-même nous entraîne dans l'élan de
l'esprit et nous transforme par son esprit, là, pour ainsi parler,
nous sommes la jouissance. Et l'esprit de Dieu lui-même nous pousse
dehors, par son souffle, afin que nous aimions et que nous
accomplissions les actes des vertus ; et de nouveau, il nous attire
à lui, afin que nous vaquions au repos et à la jouissance ; et cela
est la vie éternelle ; comme la vie de notre corps subsiste par
l'aspiration et la respiration. Et bien que notre esprit défaille et
soit privé de son action, dans la jouissance et la béatitude,
toujours cependant il est renouvelé par la grâce, la charité et les
vertus. Entrer donc dans la jouissance paisible, et en sortir pour
les actes bons, et rester toujours uni à l'Esprit de Dieu, c'est ce
qui fait l'objet de mon discours.
Dès qu'en effet nous ouvrons nos yeux sensibles
pour voir, nous les fermons de nouveau rapidement ; ainsi, nous
mourons en Dieu et nous vivons de Dieu, et nous demeurons toujours
un avec Dieu. Nous devons donc, dans notre vie sensible, sortir
dehors, et rentrer avec l'amour, nous unir à Dieu, et rester avec
lui immobiles. Nous ne pouvons éprouver ni comprendre rien de plus
excellent dans notre esprit ; et toutefois, nous devons toujours
monter et descendre les degrés de notre échelle céleste ; et cela,
soit par nos bonnes actions intérieures, soit par les extérieures,
selon les préceptes de la loi divine et les constitutions de la
Sainte Église, ainsi qu'il est dit plus haut. Mais par la
ressemblance des bonnes œuvres, nous sommes unis à Dieu dans la
fécondité de sa nature, dans la Trinité des personnes toujours
agissante, et qui accomplit tous biens dans l'unité de son esprit,
où nous sommes morts aux vices et aux péchés, étant devenus un seul
esprit avec Dieu, et où nous naissons de nouveau, en vertu du
Saint-Esprit, pour devenir les fils de Dieu ; et dans la défaillance
de notre esprit, le Père nous fait participants avec le Fils de
l'amour et de la jouissance éternelle. Et cette œuvre est toujours
nouvelle, ensemble agissante et parfaite ; et là, nous sommes
heureux, connaissant, aimant et jouissant avec Dieu. Par la
jouissance, en effet, nous sommes dans le repos, Dieu seul étant
l'artisan de cette joie, lorsqu'il élève toutes les âmes aimantes
au-dessus d'elles-mêmes, les transforme et les consume dans l'unité
de son esprit, où nous formons une seule flamme d'amour, plus
immense que tout ce qui a jamais été créé par Dieu.
Chaque esprit est un charbon ardent, embrasé par
Dieu au foyer de son infinie charité ; et nous tous, unis ensemble,
nous formons un foyer ardent et qui ne doit jamais s'éteindre, avec
le Père et le Fils dans l'unité du Saint-Esprit, où les divines
personnes se surpassent elles-mêmes, pour ainsi parler, dans l'unité
de leur essence, dans l'abîme infini et sans fond de la simple
béatitude, où ne se trouve ni le Père, ni le Fils, ni le
Saint-Esprit, ni aucune créature, mais seulement l'éternelle
essence, qui est la substance des divines personnes, où nous tous
nous sommes un et incréés (selon nos idées), et la jouissance dans
la béatitude essentielle est consommée et parfaite ; où aussi, Dieu
dans son essence simple, est le repos éternel sans opération, sans
borne, une existence sans nom, et pour ainsi dire la super essence
de toutes les créatures, sa simple et son infinie béatitude et celle
de tous les êtres créés. Or, dans la fécondité de la divine nature,
le Père, en effet, est le Dieu tout puissant, le créateur et
l'artisan du ciel de la terre et de toutes les choses créées. Mais
lui-même de sa nature engendre son Fils, c'est-à-dire son éternelle
sagesse, un avec lui en nature, mais autre (deuxième) personne, Dieu
de Dieu, par qui tout a été fait. Jean 1. Et le Saint-Esprit,
troisième personne divine, procède du Père et du Fils, un avec eux
en nature, amour infini des deux, par lequel ils se complètent, en
s'aimant et en jouissant dans une réciprocité éternelle ; et nous
tous, nous sommes environnés d'eux de toute part, ne faisant qu'une
seule vie, un seul amour, une seule jouissance. Dieu donc est Un par
nature, Trois par sa fécondité, à savoir : trois personnes
distinctes ; et les mêmes dans l'unité de nature, et dans leur
propriété, par la fécondité de la nature divine, forment la Trinité.
Trois propriétés, sont trois personnes, séparées de nom et de
distinction, mais uniques par nature et opération. Et chaque
personne a en soi toute la divine nature, et ainsi chacune est le
Dieu Tout-Puissant, et cela par la vertu de la nature, non par la
distinction de personne : ces trois personnes, dis-je, ont une
indivise et inséparable nature divine, et ne sont qu'un seul Dieu en
nature, non trois dieux dans la distinction des Personnes. Ainsi
Dieu est trois de noms et de personnes, mais Un en nature, et
Trinité dans la fécondité de nature.
Et cette Trinité est la propriété des personnes,
comme l'unité est la propriété de nature : notre Père céleste est le
créateur tout puissant du ciel et de la terre et de toutes les
choses créées, qui vit et règne en nous, unité dans la Trinité, et
Trinité dans l'unité, Dieu puissant dans les hauteurs de notre
essence créée, et nous devons le chercher, le découvrir et le
posséder, munis de sa grâce et de l'aide du Christ Jésus, et cela
dans la foi Catholique, avec une intention droite et une charité non
feinte : Et par notre vie vertueuse et la grâce de Dieu, nous vivons
dans ce Père qui est notre créateur, et lui en nous avec tous ses
saints ; et ainsi, nous tous avec lui nous sommes une unité formée
et cimentée par l'amour ; et le Père et le Fils dans l'unité du
Saint-Esprit nous ont rassemblés, unis, transformés, et nous sommes
avec les personnes divines un seul amour, une seule jouissance
consommée dans l'essence sans borne de la divinité, où nous tous
avec Dieu nous sommes la béatitude simple et essentielle, où il
n'est ni Dieu ni créature, quant à la distinction des personnes,
mais tous avec Dieu, sans distinction perceptible, nous sommes la
simple et infinie béatitude, et tous nous avons laissé (notre
personnalité) nous sommes confondus pour nous perdre dans un tout
(un assemblage) mystérieux.
C'est la chose la plus sublime qui puisse être
obtenue dans l'éternelle béatitude, en vivant, en mourant, en
aimant, en jouissant ; et quiconque enseigne le contraire se trompe
certainement. Priez Dieu, pour celui qui a composé et écrit ces
choses par la grâce de Dieu, et pour tous ceux qui doivent les
écouter ou les lire, afin que Dieu se donne lui-même à nous
éternellement. Ainsi soit-il.