

Le Cœur de Jésus-Marie
1
Ô très cher Jésus... je ne
désire plus rien, sinon Vous aimer...
Que toute ma vie soit un perpétuel sacrifice d’amour et de louange vers Vous.
Jean Eudes est né dans le petit
village de Ri, près d’Argentan en Normandie, le 14 novembre 1601, trois ans
après l’Édit de Nantes. Son père, d’une famille de paysans, était tout à la
fois laboureur et chirurgien de village. Jean, le futur saint, était l’aîné de
sept enfants, trois garçons et quatre filles. Vers l’âge de douze ans sa foi
personnelle était déjà mûre. Il “commençait à connaître Dieu et à communier
tous les mois, après avoir fait une confession générale.” Vers l’âge de
treize ou quatorze ans, Jean consacrait son corps à Dieu par le voeu de
chasteté. Il ne commença ses études qu’à partir de 1615, chez les jésuites de
Caen.
Le 19 mars 1623 Jean Eudes fut reçu
dans la Congrégation de l’Oratoire par le Père de Bérulle, le fondateur. Il sera
ordonné prêtre le 20 décembre 1625, mais auparavant, le 20 mai 1624, il avait
prononcé, à l’invitation de Bérulle, le “voeu de servitude à Jésus”. Le 2
octobre 1629, Bérulle mourait à l’âge de 53 ans, et cette mort fut, pour Jean
Eudes, une douloureuse épreuve.
Avant de poursuivre, et pour mieux
comprendre ce que fut ensuite la vie de celui qui deviendra Saint Jean Eudes, il
convient de se replacer dans le contexte tourmenté et effervescent de son
époque. L’hérésie janséniste, commençait à se répandre en France, et déjà elle
divisait le clergé. De 1649 à 1953 la Fronde fera des ravages en France,
appauvrissant considérablement le pays déjà affaibli par des épidémies de peste.
Il en résultera des révoltes paysannes durement réprimées. Il convient de noter
également que les décisions du Concile de Trente (1545 - 1563) avaient encore
été insuffisamment appliquées, notamment en ce qui concernait la création des
séminaires pour la formation des jeunes prêtres.
Enfin, il n’est pas inutile
d’indiquer que Saint Jean Eudes fut le contemporain de Louis XIII et de
Richelieu, puis de Mazarin et de Louis XIV. Il connut certainement les travaux
de Saint François de Sales puisqu’il eut des relations très étroites avec la
Visitation mais il ne connut probablement pas Marguerite-Marie, car les
révélations dont elle fut favorisée restèrent secrètes jusqu’à la publication,
par le Père de la Colombière, du Journal des Retraites, en 1685, soit cinq ans
après la mort de Saint Jean Eudes. Parmi d’autres contemporains célèbres on peut
citer encore Monsieur Vincent, Jean-Jacques Olier, Descartes ou Galilée.
Dès 1632, Jean Eudes fut envoyé en
mission dans le diocèse de Coutances, et il se révéla vite un missionnaire
remarquable et un prédicateur de génie. Le 25 mars 1637 il fit le voeu de
martyre qui compléta son vœu de servitude. En octobre 1640, il fut nommé
supérieur de l’Oratoire de Caen. C’est en août 1641 il fut présenté à la
mystique Marie des Vallées, une paysanne qui eut, par la suite, une grande
influence dans sa vie.
Pour des raisons connues de lui
seul, et jamais expliquées, peut-être des difficultés pour créer le séminaire
tel qu’il le souhaitait, avec les oratoriens, Jean Eudes, après avoir groupé
autour de lui quelques jeunes prêtres, noyau de la future Congrégation du
séminaire de Jésus et Marie, quitta, sans crier gare et clandestinement, la
maison dont il était le supérieur, et rejoignit les huit prêtres qui
l’attendaient et qui sont considérés comme les fondateurs, avec Jean Eudes, de
la nouvelle Congrégation, de Jésus et Marie. C’était le 23 mars 1643.
Une telle attitude peut paraître
surprenante, mais n’oublions pas que les oratoriens n’étaient pas liés par des
voeux, et pouvaient en conséquence partir quand ils le souhaitaient. Une autre
explication concernant le départ d’Eudes a été avancée: la pénétration des idées
jansénistes au sein de l’Oratoire.
Dès le début les nouveaux frères
prirent l’habitude de réciter en commun une prière composée par Jean Eudes, et
adressée “au Coeur très aimant de Jésus et de Marie.” Il faut remarquer
que “au coeur” est au singulier, Jean Eudes considérant en effet que la
communion d’amour entre Jésus et sa Mère est telle que leurs deux Coeurs n’en
font, en réalité, qu’un seul.
Dès lors, celui qui deviendra Saint
Jean Eudes commence, comme tous les fondateurs d’ordres religieux, un long
parcours du combattant qui ne s’achèvera qu’à sa mort, le 19 août 1680. Jean
Eudes a été béatifié en 1909 par le pape Pie X, et canonisé en 1925 par le pape
Pie XI.
L’œuvre de Saint Jean Eudes est
considérable. Outre l’organisation de nombreuses missions et la fondation de la
Compagnie de Jésus et Marie (les Eudistes), Saint Jean Eudes créa, en 1641, la
Maison de Notre-Dame du Refuge pour les femmes repenties ou les filles en
difficulté. Il participa aussi à la fondation de plusieurs congrégations
féminines dont: l’Institut de N.D. de Charité, la Congrégation de N.D. de
Charité du Bon Pasteur, la Congrégation des Soeurs de la Providence d’Évreux. Il
institua la fête du Coeur de Marie et la fête du Coeur de Jésus et rédigea les
Offices de ces deux fêtes.
Saint Jean Eudes rédigea aussi des
Offices propres à sa Congrégation et de nombreux ouvrages, dont: Le Royaume de
Jésus, Le Catéchisme de la Mission, des Avertissements aux Confesseurs
Missionnaires, le Contrat de l’Homme envers Dieu par le Baptême, l’Enfance
Admirable de la Mère de Dieu, et les douze Livres consacrés au Coeur Admirable
de la Très Sacrée Mère de Dieu. Le douzième volume de ce dernier ouvrage, achevé
le 25 juillet 1680, soit quelques jours seulement avant la mort de Jean Eudes,
est entièrement consacré au Coeur de Jésus.
Il semble à peu près certain que
c’est Saint Jean Eudes qui inaugura le culte aux sacrés Coeurs de Jésus et de
Marie. Les liens entre Jean Eudes et les Coeurs de Jésus et de Marie furent très
étroits tout au long de sa vie. Il travailla beaucoup à l’institution des fêtes
du Coeur de Marie et du Coeur de Jésus, et, dans son testament rédigé en 1671,
il chargea ses “enfants” de “continuer la mission d’honorer et de faire
honorer ces divins Coeurs, mission qu’il avait reçue le premier et qu’il avait
remplie avec zèle et succès.”
[1]
Voici quelques extraits de ce
testament :
“De toute l’étendue de ma
volonté, je me donne à l’amour incompréhensible par lequel mon Jésus et ma toute
bonne Mère m’ont donné leur très aimable Coeur d’une manière spéciale, et, en
union de ce même amour, je donne ce même Coeur, comme une chose qui est à moi et
dont je puis disposer pour la Gloire de mon Dieu. Je le donne à la petite
Congrégation de Jésus et Marie pour être le partage, le trésor, le patron
principal, le coeur, la vie et la règle des vrais enfants de cette Congrégation.
.. Je supplie mes bien-aimés frères... de se donner à Jésus et à Marie dans
toutes leurs actions et exercices pour les faire dans l’amour, dans l’humilité
et dans toutes les autres dispositions de leur Sacré Cœur (au singulier :
les Cœurs de Jésus et de Marie n’en font qu’un)... afin qu’ils soient selon
le Cœur de Dieu et les vrais enfants du Coeur de Jésus et de Marie. Je
donne aussi ce Coeur très précieux à toutes mes chères filles, les Religieuses
de Notre-Dame de Charité, aux carmélites de Caen, à tous mes enfants
spirituels...”
[2]
Saint Jean Eudes a été le premier
théologien de la dévotion au Sacré Coeur et le premier chantre liturgique,
s’appuyant, pour ce faire, sur la pensée de Saint Bernardin de Sienne qui, comme
le fait également Sainte Gertrude d’Helfta, compare le Cœur de Jésus à une
fournaise d’amour très ardente pour enflammer et embraser tout l’univers.
Le Père Eudes expose l’Amour que
Jésus nous a témoigné dans sa Passion, et celui qu’Il nous témoigne dans
l’Eucharistie où “pourtant nous l’abreuvons de tant d’ingratitude.”
Le Père Eudes montre aussi que le
“Cœur de Jésus ne forme avec le Cœur du Père et du Saint-Esprit qu’une
fournaise d’Amour à notre égard.”
La
Vierge Marie et Saint Jean Eudes
Le culte qu’on rend à Marie aboutit
toujours au Coeur de Jésus, puisque le rôle de Marie est de servir de médiatrice
entre Jésus et nous.
Pour bien comprendre l’amour du P.
Eudes pour le Coeur de Jésus et le Coeur de Marie, il faut essayer de pénétrer
un peu dans sa vie mystique. C’est assez difficile car Jean Eudes, théologien,
missionnaire très actif et fondateur d’Ordres particulièrement controversé,
voire persécuté par ses anciens amis de l’Oratoire, est resté plus que discret
sur ce sujet.
Pourtant un incident arrivé chez
les Ursulines de Caen, en 1670, mérite d’être rapporté ici. Jean Eudes
s’entretenait avec la supérieure d’un couvent: Mère Renée de Sainte Agnès et lui
parlait des bontés de la Sainte Vierge. “Soudain il s’arrêta et demeura ravi
durant un quart d’heure. Quand il revint à lui elle prit la liberté de lui dire:
“Mon Révérend Père, la bonne Vierge est venue là ?” Il lui avoua que c’était
vrai et qu’aussitôt qu’Elle approchait de lui, il perdait ainsi pendant quelque
temps l’usage de ses sens; qu’alors Elle lui marquait beaucoup de tendresse par
les différents noms qu’Elle voulait bien lui donner, de fils, de serviteur, et
quelquefois de père et d’époux; et qu’Elle avait pour lui des bontés
inexplicables... Après quoi, craignant de s’être trop ouvert à cette bonne
religieuse, il lui recommanda de ne point parler de ce qui s’était passé.” Ce
qu’elle fit, mais elle en mit cependant par écrit le souvenir émerveillé.[3]
Il semble que le Père Eudes qui
vivait habituellement uni avec Marie -on a parlé d’union mystique- ait connu
fréquemment ce type d’expérience spirituelle. Ainsi,en 1654, il reçut, de Marie,
Saint Jean l’Évangéliste “pour être le protecteur, le modèle et le directeur de
ses missionnaires, particulièrement en ce qui regarde la charité...” Ce sont
les paroles avec lesquelles il a consigné cette grâce. Marie avait reçu Jean, de
Jésus au Calvaire. C’est Elle qui le donnait au Père Eudes et à sa Congrégation.
C’est probablement cette intimité du prêtre qu’il était avec Marie et Jésus qui
fit écrire au Père Eudes: “Jésus-Christ a voulu mettre entre nos mains ce qu’il
y a de plus précieux... ce qui Lui est plus cher que la prunelle de ses yeux, le
coeur de son Corps mystique, c’est-à-dire les ecclésiastiques.”
[4]
Marie est discrètement présente
dans les liturgies et les textes d’offices liturgiques écrits par Saint Jean
Eudes, notamment ceux écrits pour la fête du Cœur de Jésus. Comment en serait-il
autrement ? C’est en Marie que s’est accompli le mystère dont le coeur est
l’expression. “’Le Cœur de Marie reçoit du Cœur de Jésus tout ce qu’il possède
de vie et de perfection. Par la force même des choses, le culte qu’on lui rend
aboutit toujours au Coeur de Jésus, puisque le rôle de Marie est de servir de
médiatrice entre Jésus et nous.”
[5] C’est Marie
qui, la première, eut avec Jésus, son Fils, un seul et même coeur. C’est en elle
que se sont formés le Corps et le Cœur de Jésus. Et c’est elle qui, aujourd’hui
encore, nous donne le Cœur de Jésus, toujours associé et uni à son coeur à elle.
Cela nous fait comprendre que pour Saint Jean Eudes, “la bienheureuse Vierge
Marie n’a qu’un même Coeur avec son Fils bien-aimé.”
[6] Ou encore:
“Jésus, le très saint Cœur de Marie, est la vie et la joie de nos coeurs pour
jamais.”
[7]
Mais, Marie révèle que le Cœur de
son Fils, c’est son Cœur, et qu’en célébrant la fête de son Coeur, on célèbre la
fête du très adorable Cœur de son Fils. C’est ce que Jean Eudes exprime
particulièrement bien dans l’Office qu’il a lui-même rédigé pour la fête du Cœur
de Marie: “Dieu règne dans le Cœur de Marie, venez, adorons-le; c’est lui notre
amour et notre vie.” Et encore : “Heureuse Marie, qui as formé le Christ en ton
Cœur par la foi et l’amour, tu es bénie entre les femmes, et Jésus, fruit de ton
Cœur, est béni.”
Le Christ, la grande Victime, qui
s’est offert au Père une fois pour toutes sur l’autel de la Croix, “s’est offert
bien des fois sur l’autel du coeur de Marie.” Ce thème est repris dans l’oraison
de la messe : “Dieu, tu as voulu que ton Fils unique éternellement vivant en ton
propre Coeur, vive et règne dans le Coeur de Marie. Donne-nous de célébrer cette
vie très sainte de Jésus et de Marie en un seul Cœur, de n’avoir qu’un seul
coeur entre nous et avec eux, et d’accomplir en tout ta volonté avec amour et de
grand coeur.”
[8] Comme Jean
Eudes l’écrivait, “D’elle-même et par elle-même, Marie n’est rien, mais son Fils
Jésus est tout en elle: il est son être, sa vie, sa sainteté, sa gloire, sa
puissance et sa grandeur.”
Dans le dernier livre du “ Cœur
Admirable” le Cœur de Jésus est présenté comme une fournaise d’amour à l’égard
de Marie sa Mère, fournaise “dont les flammes éclatent dans les dons merveilleux
qu’Il a voulu lui faire.”
[9]
Pour Jean Eudes, le Cœur de Marie
est une mer immense, dont la charité n’a point de bornes et qui fait aimer tout
ce que Dieu aime et de la manière qu’Il l’aime, et qu’il faut prier: “ô coeur
tout aimable de ma très honorée Mère, que le divin amour a dilaté et étendu
presque jusqu’à l’infini, que par votre entremise ce même amour prenne une
pleine et absolue possession de mon coeur. Qu’il le dilate de telle sorte que je
coure avec allégresse dans la voie des commandements de mon Dieu; qu’il me le
fasse aimer fortement, purement et uniquement, en tout lieu, en tout temps, en
toutes choses et par-dessus toutes choses, et si ardemment que je sois toujours
disposé à tout faire, à tout souffrir, à tout quitter pour son amour, et à lui
donner et sacrifier toutes choses, afin que je puisse lui dire avec vérité: mon
coeur est prêt ô mon Dieu, mon coeur est prêt.”
[10]
Pour conclure ce chapitre sur Marie
et Jean Eudes, on peut rapporter ici quelques aspects de la théologie de Saint
Jean Eudes telle qu’elle est abordée dans ses ouvrages. Jean Eudes “situe le
coeur de Marie au sein de la vie trinitaire où elle puise sa vie et reflète, en
parfaite transparence, la multiple splendeur de Dieu.”
[11] Ou encore:
“Dans le coeur de Marie, le Père établit le règne de son amour; le Fils unique
s’y prépare une demeure ; et l’Esprit, plénitude de l’Amour, en fait son Temple.
Il est l’Arche où se cachent les mystères de Dieu en notre humanité.”
[12]
N’oublions pas non plus que c’est
en Marie, la Mère, “que s’est accompli le mystère dont le coeur est le signe et
le langage. La première, elle a eu avec son Fils un seul et même coeur, et elle
nous associe à cette communion. Et puis c’est en elle que se sont formés ce
corps et ce coeur en qui nous est donné toute plénitude, et c’est elle encore
qui le donne.”
[13]
La révélation est close depuis la
mort du dernier apôtre. Pourtant, la connaissance de Dieu, de Jésus et de sa
sainte Mère n’a cessé de s’affiner au cours des siècles. Cela est
particulièrement vrai pour le dogme de l’Immaculée Conception. A ce propos,
laissons parler Jean Eudes: “ Je ne m’étonne pas s’il y a eu quelques saints
docteurs qui n’ont pas eu autrefois les sentiments que l’Église a maintenant
touchant la Conception Immaculée de la bienheureuse Vierge, parce que la vérité
de ce mystère n’était pas alors en son jour comme elle l’est aujourd’hui, la
lumière de la foi que Dieu a donnée à son Église n’étant pas semblable à un
soleil dans son midi, mais à une belle aurore qui s’avance peu à peu sur
l’horizon de la même Église.”
[14]
La
théologie du Coeur de Jésus
selon Saint Jean EUDES
Le Cœur de Jésus est le Cœur, le
grand Cœur de tout son Corps.
Il nous est donné, il nous appartient.
Saint Jean Eudes est le premier
théologien du Coeur de Jésus. Nous rapportons ci-dessous les éléments principaux
de cette doctrine. Ce qui paraît essentiel dans cette théologie, ce sont les
liens existant entre le Père, le Coeur de Marie, et le Coeur du Fils.
Dès 1648, rédigeant l’Office du
Cœur de Marie, Saint Jean Eudes situe Marie au sein de la Trinité, et, sans le
dire encore explicitement, dans le Cœur de Jésus. “Dans le Cœur de Marie, le
Père établit le règne de son Amour; le Fils unique s’y prépare une demeure; et
l’Esprit, plénitude de l’Amour, en fait son Temple: il est l’Arche où se cachent
les mystères de Dieu en notre humanité.”
Déjà Jean Eudes considère que le
Cœur du Fils, c’est le Coeur de Marie, sa Mère:“Jésus règne dans le Cœur de
Marie: venez, adorons-Le; c’est lui notre amour et notre vie.” Car Jésus,
sacrifice parfait, avant de s’offrir sur la Croix,“s’est offert bien des fois
sur l’autel du Cœur de Marie.” Et Dieu a voulu que son fils
unique,“éternellement vivant en son propre Coeur (le Cœur du Père) vive et règne
dans le Cœur de Marie.”
[15]
Dans l’Office de la fête du Cœur de
Jésus, qui fut célébrée probablement pour la première fois le 20 octobre 1672,
Jean Eudes a fait passer les grands thèmes de sa théologie du Cœur de Jésus.[16]
Le premier de ces thèmes, c’est
l’attention au coeur de chair de Jésus, ce coeur de chair manifestant
l’Incarnation du Seigneur: “Jésus avait, comme sa Mère, un vrai coeur humain que
les émotions faisaient battre plus vite et plus fort.” C’est contre ce coeur de
chair que le disciple bien-aimé a reposé sa tête.
Le deuxième thème traite du cœur,
signe de l’intériorité. Dans le langage biblique, le coeur désigne la mémoire,
ou l’entendement, ou la liberté profonde, ou mieux, la pointe de l’esprit par
laquelle se fait la contemplation”, plus globalement, “tout l’intérieur de
l’homme. C’est au centre de son Cœur que Jésus vit sa relation aimante avec le
Père qui est tout le sens de sa vie. C’est aussi dans le secret de son Coeur
qu’Il nous aime et nous attire à Lui.” Le Cœur, c’est l’intérieur de Jésus qui
nous est donné pour être en nous plus intime que nous-mêmes. C’est en ce sens
que nous demandons au Père la grâce de n’avoir qu’un seul coeur avec Jésus et
entre nous.
Le troisième thème présente le Cœur
de Jésus comme un feu: le cœur, c’est l’amour, c’est le feu de l’amour. “Mon
Cœur, dit Jésus, mon Cœur est amour: qui demeure dans l’amour demeure en mon
Coeur, et mon Coeur demeure en lui... Demeurez dans mon Amour... Aimez-vous les
uns les autres...” L’amour est la loi de feu de la vie de tous les chrétiens.
“Ce feu nous consume, et c’est le sacrifice.” Les images utilisées par le Père
Eudes, fournaise, brasier, flammes dévorantes, expriment l’offrande à laquelle
Dieu nous invite en Jésus : il faut aimer, aimer Dieu et notre prochain, aimer
en pardonnant comme Jésus le fit Lui-même. “Telle est notre mort de feu, notre
communion à la vie intense et lumineuse de Dieu.”
Résumons en reprenant les termes
mêmes de Saint Jean Eudes : “L’objet de la dévotion au Coeur de Jésus embrasse à
la fois le coeur corporel de l’Homme-Dieu, son Cœur spirituel et son Cœur divin.
En l’Homme-Dieu, nous adorons trois coeurs qui ne sont qu’un même coeur... Le
premier coeur de l’Homme-Dieu, c’est son coeur corporel qui est déifié, ainsi
que toutes les autres parties de son sacré corps, par l’union hypostatique
qu’elles ont avec la Personne du Verbe éternel. Le second, c’est son Cœur
spirituel, c’est-à-dire la partie supérieure de son âme sainte qui comprend sa
mémoire, son entendement et sa volonté, et qui est particulièrement déifiée par
la même union hypostatique. Son Cœur spirituel, c’est la volonté sainte de son
âme sainte, laquelle est une faculté purement spirituelle dont le propre est
d’aimer ce qui est aimable et de haïr ce qui est haïssable... Le troisième,
c’est son Cœur divin...Trois coeurs qui ne sont qu’un Cœur, parce que son Coeur
divin étant l’âme, le coeur et la vie de son coeur spirituel et de son coeur
corporel... ces trois coeurs ne sont qu’un Cœur très unique, qui est rempli d’un
amour infini au regard de la très Sainte Trinité et d’une charité inconcevable
au regard des hommes.”
[17]
La contemplation de Saint Jean
Eudes va plus loin encore: le Coeur de Jésus, c’est un Coeur nouveau, un Coeur
immense, un Cœur transpercé, un Coeur douloureux. Le Cœur de Jésus est plénitude
du don; il est manifestation de l’amour fou de Dieu pour nous: “Il n’y a qu’un
seul sacrifice, celui de Jésus, le Fils bien-aimé qui nous englobe tous, nous
ses membres, et tout l’univers qui est son corps dans l’élan de son oui
filial...” C’est le thème du Corps mystique: “Le Cœur de Jésus est le coeur, le
grand Cœur de tout son Corps. il nous est donné, il nous appartient.”
[18]
Dans une lettre de 1672 adressée à
sa congrégation, Jean Eudes écrit: “Quel coeur plus adorable, plus admirable et
plus aimable que le Cœur de cet Homme-Dieu qui s’appelle Jésus ?... Ce Cœur
auguste qui est la source de notre salut, qui est l’origine de toutes les
félicités du Ciel et de la terre, qui est une fournaise immense d’Amour vers
nous et qui ne songe, jour et nuit, qu’à nous faire une infinité de biens, et
qui est enfin crevé de douleur pour nous en la Croix, ainsi que le Fils de Dieu
l’a déclaré à sainte Brigitte.”
[19]En effet,
selon le Père Eudes, “Jésus est mort de douleur et d’amour pour chacun de nous,
et on peut dire, à la lettre, qu’il fut une victime d’amour et de douleur.”
[20]
Dieu avait dit à
Ézéchiel:”J’enlèverai votre coeur de pierre, et je vous donnerai un coeur
nouveau, un coeur de chair. Jean Eudes paraphrase :”Je mettrai en vous mon
Esprit et mon Cœur pour que vous aimiez Dieu d’un grand coeur, avec beaucoup
d’amour.”
A une religieuse, Jean Eudes
écrivait, vers la fin de sa vie : “Ma fille, savez-vous bien que vous avez deux
coeurs, un grand et un petit? Celui-ci, c’est le vôtre, mais le grand est celui
de notre bon Sauveur, qui est encore le vôtre, puisque le Père éternel vous l’a
donné et que Lui-même s’est donné à vous. Or c’est par cet adorable Coeur qu’il
faut aimer Dieu, car que pouvez-vous faire avec votre petit cœur ? Dorénavant
dîtes donc: mon Dieu, je vous aime, mais avec et de tout votre grand Cœur.“ Dès
lors, si petits que nous soyons, le don que nous offrons est immense, aussi
grand que l’univers, car le Cœur du Christ nous appartient, et avec Lui, le Père
nous a tout donné. “L’Amour du Christ atteint tous les êtres et les fait vivre:
rien n’échappe à la chaleur de son Amour. Oui, Coeur de feu, diffuse-toi par
tout l’univers !”
Le Cœur de Jésus, en effet, est
plénitude et il est centre: “centre de la Croix, lien de la terre et du Ciel,
icône d’unité. En revenant au Cœur, nous allons droit à l’essentiel,” car
l’Amour fou de Dieu se manifeste dans le Cœur humain de son Fils bien-aimé. Le
Cœur que nous contemplons au centre de la Croix, le Coeur de chair de Jésus est
là, brisé, percé par la lance. “C’est dans le drame de la Croix et dans le Coeur
ouvert que s’est révélée la gloire de l’Amour, et sa victoire définitive sur la
mort; c’est de la blessure du Cœur que l’eau vivifiante a coulé sur le monde.
Même si une femme oubliait son enfant, moi je ne vous oublierais pas: voyez, je
vous ai gravés dans mes mains et dans mon Coeur.”
[21]
Jean Eudes s’arrête sur la Passion
du Seigneur pendant laquelle son Coeur a été ”navré d’une infinité de plaies
très sanglantes et très douloureuses... Ces plaies provenaient, les unes des
innombrables péchés du monde...les autres des peines et des souffrances de ses
enfants. Le divin Maître fut le premier à en savourer l’amertume, car il en
avait la vue très nette dès le moment de son entrée dans le monde... Au jour de
sa Passion, toutes ces douleurs d’ordre moral s’ajoutèrent aux tortures
physiques que lui firent endurer ses bourreaux.”
[22]
N’oublions pas non plus que le Cœur
du Seigneur est un trésor “un trésor immense, inépuisable, qui enrichit le Ciel
et la terre d’une infinité de biens...” C’est aussi notre modèle: “le Fils de
Dieu nous donne son Cœur pour être le modèle et la règle de notre vie, mais
aussi pour être notre coeur, afin que, par ce Coeur immense, infini et éternel,
nous puissions rendre à Dieu tous nos devoirs et satisfaire à toutes nos
obligations envers sa divine Majesté d’une manière qui soit digne de ses
perfections infinies.” Car, dit Jean Eudes, s’adressant à Jésus: “ Vous nous
avez donné votre Coeur afin que nous aimions, votre Père et Vous, du même coeur
et du même amour dont Vous vous aimez, et que nous fassions usage de ce grand
Coeur pour vous rendre nos adorations, nos louanges, nos actions de grâces et
tous nos autres devoirs d’une manière digne de vos grandeurs infinies.”
[23]
Dès lors, ayant longuement
contemplé le Cœur de Jésus, cette fournaise ardente, avec beaucoup d’amour et
d’humilité, nous pourrons nous écrier avec Saint Jean Eudes : “Oh! qu’heureux
sont les coeurs qui se perdent dans ces divines flammes! Mais elles demandent
(ces flammes) des coeurs humbles, purs, détachés de tout, charitables, fidèles,
soumis, embrasés d’un grand désir de plaire à Dieu et tout pleins de confiance
en la bonté infinie du Fils de Marie et en la bénignité incomparable de la Mère
de Jésus.”
[24]
[1] “Le
Bienheureux Jean Eudes et le culte public du Coeur de Jésus” de CH.
LEBRUN - édité chez Lethielleux- Chapitre 5



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