Préface
Saint Justin était de la
province de Samarie en Judée, et naquit à Néapolis, l'ancienne Sichem. Élevé par
son père Priscus dans les erreurs du polythéisme, il annonça de bonne heure un
grand désir de s'instruire; il se mit avec ardeur à la poursuite de la vérité et
la demanda en vain aux sectes diverses de la philosophie païenne. tour à tour
disciple de Zénon, d'Aristote, de Pythagore, il finit par se jeter dans le
Platonisme; mais son âme n'était pas satisfaite; il voulait voir Dieu et la
vérité, et cette vérité lui échappait sans cesse et fuyait devant lui. La
Providence eut pitié de ses perplexités, et envoya à sa rencontre un saint
vieillard qui lui donna connaissance des prophéties et des sublimes
enseignements de la religion chrétienne. Ce qu'avaient commencé les pieuses
exhortations du vieillard, l'exemple du courage et de la constance des martyrs
l'acheva, et un défenseur de plus fut acquis à l'église; heureuse conquête dont
les résultats ne se firent pas attendre. Aussitôt que Justin eut reçu le
baptême, il se consacra à la propagation de la foi catholique, et, sans quitter
son habit de philosophe, il ne s'occupa plus, à l'exemple des apôtres, que de
répandre cette semence précieuse dans différentes contrées de l'Europe et de
l'Asie. L'infatigable soldat de Jésus-Christ ne redoutait rien, ne se rebutait
pas; il arrive à Éphèse, y trouve le fameux juif Tryphon, et aussitôt il entame
avec lui en public, sous le portique de Xyste, ces discussions célèbres qu'il
écrivit depuis sous le titre de Dialogue avec Tryphon, et où il expose avec tant
de force les preuves de la divinité de Jésus-Christ et de la vocation des
gentils. Son séjour ordinaire était à Rome, aux bains de Timothée. C'est là
qu'il composa ses deux apologies adressées aux empereurs, au sénat et au peuple
romain. Nous donnons la première, qui est la plus importante et la plus
remarquable. C'est là aussi qu'il foudroya par ses éloquentes réfutations et ses
reproches accablants un fameux cynique nommé Crescens, ennemi acharné du nom
chrétien. Le sophiste couvert de honte se vengea de son vainqueur en le faisant
mettre sur les listes des chrétiens condamnés. L'illustre confesseur reçut la
couronne du martyr à l'âge de 50 ans environ, sous la présidence de Rusticus et
l'empire d'Hadrien (vers 167 de l'ère chrétienne).
Outre les ouvrages que nous
avons déjà cités : les Dialogues avec Tryphon, les deux Apologies, et le Traité
contre Crescens, saint Justin a composé :
1 un traité de la monarchie
dont nous ne possédons que la moitié ;
2 un traité intitulé
Invective contre les Grecs ;
3 une épître à Théognète.
On a perdu le livre intitulé
le Psalmiste; ceux contre les Gentils; sur la Nature de l'Âme ; contre les
Hérésies ; contre Marcion ; de la Foi et de la Providence ; quelques Réponses
sur les difficultés, et enfin un Traité contre le premier et le deuxième livre
de la Physique d'Aristote.
PREMIERE APOLOGIE DE SAINT JUSTIN,
ADRESSÉE A ANTONIN-LE-PIEUX,
EN FAVEUR DES CHRÉTIENS.
1. A l'empereur Titus Elius
Adrien Antonin, Pieux, Auguste César; à Verissime son fils, philosophe, et à
Lucius, philosophe, fils de César par la nature et de l'empereur par adoption;
au sacré sénat; et à tout le peuple romain; pour ces hommes de toute race,
injustement haïs et persécutés, moi, l'un d'eux, Justin, fils de Priscus, fils
de Bacchius, de la nouvelle Flavie en Syrie, Palestine, j'ai écrit et présenté
la requête suivante.
2. C'est pour tous ceux qui
sont réellement pieux et sages un devoir commandé par la raison, de chérir et
d'honorer exclusivement la vérité, en renonçant à suivre les opinions anciennes
si elles s'en écartent. Car non seulement cette loi de la raison ordonne de fuir
ceux qui font et enseignent le mal, mais il faut encore que l'ami de la vérité
s'attache, fût-ce même au péril de sa vie et y trouvât-il danger de mort, à
strictement observer la justice dans ses paroles et dans ses actions. Or, vous
tous qui vous entendez partout appeler pieux et sages, gardiens de la justice et
amis de la science, il va être prouvé si vous l'êtes en effet. Car nous n'avons
pas composé cet écrit pour vous flatter ni pour gagner vos bonnes grâces: nous
venons pour vous demander d'être jugés d'après les préceptes de la saine raison,
et pour empêcher aussi qu'entraînés par la prévention, par trop de
condescendance aux superstitions des hommes, par un mouvement irréfléchi, par de
perfides rumeurs que le temps a fortifiées, vous n'alliez porter une sentence
contre vous-mêmes. Car tant que l'on ne nous convaincra pas d'être des
malfaiteurs et des méchants, on ne pourra pas nous faire de mal. Vous, vous
pouvez nous tuer, mais nous nuire, jamais.
3. Et pour que ces paroles
ne vous semblent ni téméraires ni déraisonnables, nous vous supplions de
rechercher les crimes dont on nous accuse. S'ils sont prouvés, que l'on nous
punisse comme cela est juste: que l'on nous punisse même avec plus de sévérité.
Mais aussi, si vous ne trouvez rien à nous reprocher, la saine raison ne
s'oppose-t-elle pas à ce que, sur des bruits calomnieux, vous persécutiez des
innocents, ou plutôt à ce que vous ne vous fassiez tort à vous-mêmes, en suivant
moins les inspirations de l'équité que celles de la passion? Tout homme sensé
conviendra que la plus belle garantie et la condition essentielle de la justice
est, d'une part, pour les sujets, la faculté de prouver l'innocence de leurs
paroles et de leurs actions, et, d'autre part, pour les gouvernants, cette
droiture qui leur fait rendre leurs sentences dans un esprit de piété et de
sagesse, et non pas de violence et de tyrannie. Alors souverains et sujets
jouissent d'un vrai bonheur. Car un ancien l'a dit: "Si les princes et les
peuples ne sont pas philosophes, il est impossible que les états soient
heureux." Ainsi donc c'est à nous d'exposer aux yeux de tous notre vie et notre
doctrine, pour qu'à tous ceux qui peuvent ignorer nos préceptes, nous leur
fassions connaître les châtiments que, sans s'en douter, ils encourent par leur
aveuglement: et c'est à vous de nous écouter avec attention, comme la raison
vous l'ordonne, et de nous juger ensuite avec impartialité. Car, si en pleine
connaissance de cause, vous ne nous rendiez pas justice, quelle excuse vous
resterait-il devant Dieu ?
4. Ce n'est pas sur le
simple énoncé du nom et abstraction faite des actions qui s'y rattachent que
l'on peut discerner le bien ou le mal. Car, à ne considérer que ce nom qui nous
accuse, nous sommes irréprochables. Mais, comme, au cas ou nous serions
coupables, nous tiendrions pour injuste de devoir à un nom seul notre
absolution, de même, s'il est prouvé que notre conduite n'est pas plus coupable
que notre nom, votre devoir est de faire tous vos efforts pour empêcher qu'en
persécutant injustement des innocents, vous ne fassiez affront à la justice. Le
nom seul en effet ne peut raisonnablement pas être un titre à la louange ou au
blâme, s'il n'y a d'ailleurs dans les actes rien de louable ou de criminel. Les
accusés ordinaires qui paraissent devant vous, vous ne les frappez qu'après les
avoir convaincus: et nous, notre nom suffit pour nous condamner. Et pourtant, à
ne considérer que le nom, vous devriez bien plutôt sévir contre nos accusateurs.
Nous sommes chrétiens : voilà pourquoi l'on nous accuse: il est pourtant injuste
de persécuter la vertu. Que si quelqu'un de nous vient à renier sa qualité et à
dire: Non, je ne suis pas chrétien, vous le renvoyez comme n'ayant rien trouvé
de coupable en lui: qu'il confesse, au contraire, courageusement sa foi, cet
aveu seul le fait traîner au supplice, tandis qu'il faudrait examiner et la vie
du confesseur et la vie du renégat, et les juger chacun selon leurs oeuvres.
Car, si ceux qui ont appris du Christ leur maître à ne pas se parjurer donnent
par leur fermeté dans les interrogatoires le plus persuasif exemple et la plus
puissante exhortation, ceux-là aussi qui vivent dans l'iniquité fournissent
peut-être un prétexte à toutes les accusations d'impiété et d'injustice que l'on
intente aux chrétiens; mais ce n'est certes pas là de l'équité. En effet, parmi
tous ceux qui se parent du nom et du manteau de philosophes, il en est beaucoup
aussi qui ne font rien de digne de ce titre, et vous n'ignorez pas que, malgré
la plus complète contradiction dans leurs idées et leurs doctrines, les maîtres
anciens ont tous été compris sous la dénomination unique de philosophes.
Quelques-uns d'entre eux ont enseigné l'athéisme. Dans leurs chants, vos poètes
célèbrent les incestes de Jupiter avec ses enfants. Et à tous ceux qui donnent
de pareilles leçons, vous ne leur fermez pas la bouche: que dis-je? Pour prix de
leurs pompeuses insultes, vous les comblez d'honneurs et de récompenses!
5. Pourquoi donc tant de
haine contre nous? nous nous déclarons les ennemis du mal et de toutes ces
impiétés, et vous n'examinez pas notre cause: loin de là, victimes de votre
aveugle emportement, tournant sous le fouet des génies du mal, vous vous
inquiétez peu de nous punir au mépris de toute justice. Or écoutez: car il faut
que la vérité se fasse jour. Quand autrefois les génies du mal eurent manifesté
leur présence en enseignant l'adultère aux femmes, la corruption aux enfants, et
en frappant les hommes d'épouvante; alors, sous le coup de cette immense
terreur, le monde entier, abdiquant les conseils de la raison, cédant à
l'effroi, et aussi ignorant la pernicieuse méchanceté de ces démons, le monde en
fit des dieux et les révéra sous le nom qu'ils s'étaient eux-mêmes choisi. Et
si, dans la suite, Socrate, avec la puissance et la droiture de sa raison, tenta
de dévoiler ces choses et d'arracher les hommes au joug des démons, ceux-ci
mirent aussitôt en oeuvre la malignité de leurs adorateurs, et Socrate, accusé
d'enseigner le culte de génies nouveaux, fut condamné à mort comme impie et
comme athée. Même conduite envers nous. Car ce n'est pas seulement au milieu des
Grecs que le Verbe a fait, par l'organe de Socrate, de semblables révélations;
il a parlé au milieu des barbares; mais alors il était incarné: il s'était fait
homme et s'appelait Jésus-Christ. Et nous, qui avons mis notre foi dans ce
Verbe, nous disons que tous ces démons-là, loin d'être bienfaisants, ne sont que
de perfides et de détestables génies, puisqu'ils agissent comme ne ferait pas un
homme quelque peu jaloux de pratiquer la vertu.
6. De là vient qu'on nous
appelle athées. Athées; oui certes, nous le sommes devant de pareils dieux, mais
non pas devant le Dieu de vérité, le père de toute justice, de toute pureté, de
toute vertu, l'être de perfection infinie. Voici le Dieu que nous adorons, et
avec lui son fils qu'il a envoyé et qui nous a instruits, et enfin l'esprit
prophétique; après eux, l'armée des bons anges, ses satellites et ses compagnons
reçoivent nos hommages. Devant eux nous nous prosternons avec une vraie et juste
vénération. Voilà ce culte tel que nous l'avons appris et tel que nous sommes
heureux de le transmettre à tous ceux qui sont désireux de s'instruire.
7. On nous dira peut-être:
Des chrétiens arrêtés ont été convaincus de crime. Ne vous arrive-t-il pas sans
cesse, quand vous avez examiné la conduite d'un accusé, de le condamner? Mais,
si vous le condamnez, est-ce parce que d'autres ont été convaincus avant lui?
Nous le reconnaissons sans peine, en Grèce la dénomination unique de philosophes
s'est étendue à tous ceux qui ont été les bienvenus à y exposer leurs doctrines,
toutes contradictoires qu'elles pussent être; de même, parmi les barbares une
qualification accusatrice s'est attachée à tous ceux qui se sont mis à pratiquer
et à enseigner la sagesse: on les a tous appelés chrétiens. C'est pour cela que
nous vous supplions d'examiner les accusations dont on nous accable, afin que,
si vous rencontrez un coupable, il soit puni comme coupable et non pas comme
chrétien; mais que, si vous trouvez un innocent, il soit absous comme chrétien
et comme innocent. Alors, croyez-le bien, nous ne vous demanderons pas de sévir
contre nos accusateurs; ils sont assez punis par la conscience de leur perfidie
et par leur ignorance de la vérité.
8. Remarquez-le d'ailleurs;
c'est uniquement à cause de vous que nous donnons ces explications. Car à vos
interrogatoires nous pourrions nous contenter de répondre non; mais nous ne
voudrions pas de la vie achetée par un mensonge. Tous nos désirs tendent à cette
existence, éternelle, incorruptible, au sein de Dieu le père et le créateur de
l'univers; et nous nous hâtons de le confesser hautement, persuadés fermement
que ce bonheur est réservé à ceux qui par leurs oeuvres auront témoigné à Dieu
leur fidélité à le servir et leur zèle ardent à conquérir cette céleste demeure,
inaccessible au mal et au péché. Voilà en peu de mots quelles sont nos
espérances, les leçons que nous avons reçues du Christ et les préceptes que nous
enseignons. Platon a dit de Rhadamanthe et de Minos que les méchants étaient
traduits à leur tribunal et y recevaient leur châtiment: nous, nous disons cela
du Christ; mais, selon nous, le jugement frappera les coupables en corps et en
âme, et le supplice durera, non pas seulement une période de mille années, comme
le disait Platon, mais l'éternité tout entière. Que si cela paraît incroyable,
impossible, nous répondrons que c'est là tout au plus une erreur sans
conséquence dangereuse, et qu'il n'y a pas là matière au plus léger reproche.
9. Si nous ne nous
couronnons pas de fleurs, si nous ne sacrifions pas de victimes en l'honneur de
tous ces dieux que la main des hommes a taillés et qu'elle a dressés dans les
temples, c'est que dans cette matière brute et inanimée nous ne voyons rien qui
ait même une ombre de divinité (en effet, il nous est impossible de croire que
Dieu ressemble à ces images que l'on prétend faites en son honneur). Non, ce
sont là les simulacres et les insignes de ces génies du mal dont nous parlions
naguère. Est-il donc besoin de vous le dire, et ne savez-vous pas bien comment
les artistes travaillent la matière, comme ils la taillent et la sculptent,
comme ils la fondent et la battent? Et combien de fois les vases les plus
ignobles, n'ayant fait sous la main de l'ouvrier que changer de forme et de
figure, ne sont-ils pas devenus des dieux? Voilà ce qui à nos yeux est une
absurdité, et, de plus, un outrage à la majesté divine, puisqu'au mépris de la
gloire et de l'ineffable substance de Dieu, son saint nom est prostitué à de
viles et corruptibles créations. Tous ces artistes eux-mêmes, ce sont des
impies, vous ne l'ignorez pas. Ils sont livrés à tous les vices; et, pour n'en
citer qu'un trait, ne vont-ils pas jusqu'à outrager les jeunes filles qui
partagent leurs travaux? Stupidité incroyable! C'est à des débauchés qu'il est
donné de créer et de faire ces dieux devant qui le monde va se prosterner! Et
voilà les gardiens du sanctuaire de ces divinités! et on ne comprend pas tout ce
qu'il y a de criminel à penser et à dire que des hommes sont les gardiens des
dieux!
10. Quant à nous, nous
savons que Dieu n'a pas besoin des offrandes matérielles des hommes, lui qui
possède toutes choses; mais nous avons appris et nous tenons pour véritable
qu'il agrée ceux qui tâchent d'imiter ses perfections et de pratiquer la pureté,
la justice, la charité, enfin toutes les perfections de ce Dieu ineffable. C'est
lui qui dans sa bonté souveraine a daigné tirer le monde du chaos primitif pour
le donner aux hommes; c'est lui qui leur a promis aussi, s'ils se montrent par
leurs oeuvres dignes des desseins de la Providence, de leur accorder, dans le
sein de sa gloire la couronne incorruptible de l'immortalité. Car, si dans
l'origine, lorsque nous n'étions pas encore, il a bien voulu nous créer, de même
aussi il accordera l'éternelle jouissance de sa gloire à ceux qui se seront
efforcés de choisir les moyens de lui plaire. En effet, il ne dépendait pas de
nous d'être créés; tandis que, pour nous attacher à ce qui peut plaire à Dieu,
il suffit d'employer les forces de la raison qu'il nous a donnée, il suffit de
céder aux inspirations et aux lumières de la foi que sa grâce nous prodigue
chaque jour. Aussi regardons-nous comme de la plus haute importance pour tous
les hommes, non seulement de ne pas être détournés de ces enseignements, mais
d'y être, au contraire, puissamment encouragés. Car ce que n'avaient pas pu
faire les lois humaines, l'esprit divin l'aurait fait, si les démons, appelant à
leur aide la nature perverse et les mauvaises passions de chacun, n'avaient
inventé et répandu contre nous, malgré notre innocence, les plus odieuses
calomnies et les plus perfides accusations.
11. Quand vous nous entendez
parler de ce royaume, objet de nos espérances, vous vous imaginez bien à tort
qu'il s'agit d'un royaume humain: non, nous parlons du royaume de Dieu. Ce qui
le prouve, c'est que nous confessons hautement devant vous notre titre de
chrétien, quoique nous n'ignorions pas que cet aveu vaut la mort. Et ne
voyez-vous pas que, si nous attendions une couronne humaine, nous renierions
notre foi, nous prendrions le plus grand soin de nous cacher pour conserver
notre vie et pour arriver au but de nos désirs? Mais non, nos espérances ne sont
pas dans le temps, et alors nous nous rions des bourreaux; car, après tout, ne
faut-il pas mourir?
12. Certes vous trouvez en
nous les plus utiles amis et les plus zélés partisans de l'ordre et de la paix,
puisque, d'après notre doctrine, nul ne peut se soustraire aux regards de Dieu:
le méchant, l'avare, le perfide, pas plus que le vertueux et le juste, et qu'en
raison de ses oeuvres, chacun marche au supplice ou au salut éternels. Si tous
les hommes étaient bien persuadés de cette vérité, quel est celui qui voudrait
commettre un crime d'un instant avec la conscience d'avoir à l'expier par les
tourments du feu éternel? Avec quel soin, au contraire, chacun ne se
contiendrait-il pas, ne s'ornerait-il pas de toutes les vertus, autant pour
éviter le châtiment que pour mériter la récompense promise! Ce n'est jamais la
crainte de vos lois et de vos peines qui fait chercher au coupable le moyen de
se cacher; car il sait bien, quand il commet son crime, que vous êtes des
hommes, et que l'on échappe à votre justice. Mais, s'il était persuadé que Dieu
ne peut rien ignorer, pas une action, pas même une pensée, alors peut-être
l'imminente frayeur du supplice lui ferait pratiquer la vertu; vous n'en
disconviendrez pas. Et pourtant il semblerait que vous redoutez de voir tous vos
sujets vertueux, que vous craigniez de n'avoir plus à frapper. Ce serait là agir
en bourreaux, et non pas en bons princes. Tout cela, nous le croyons fermement,
est l’œuvre de ces perfides démons, divinités auxquelles sacrifient les méchants
et les insensés. Mais vous, princes, qui aimez la piété et la sagesse, vous
n'agirez pas ainsi contre toute raison. Que si, dans un semblable esprit de
démence, vous préfériez écouter le préjugé et faire taire la vérité, déployez
alors toute votre puissance. Les princes eux-mêmes, quand ils sacrifient la
vérité à l'opinion, ne sont pas plus forts que de misérables brigands dans le
désert. Et prenez-y garde, car il vous en arrivera malheur: c'est le Verbe
lui-même, de tous les princes le plus royal et le plus saint avec Dieu son père,
qui vous le déclare. Or comme personne n'est jaloux de recueillir en héritage la
pauvreté, la douleur ou la honte, tout homme sensé se gardera bien de suivre les
voies interdites par le Verbe. D'ailleurs toutes ces persécutions dont j'ai
parlé, elles ont été prédites par notre maître, le fils et l'envoyé du père et
du souverain de l'univers, Jésus-Christ, à qui nous devons notre glorieux nom de
chrétien. Et, nous vous le demandons, notre foi dans sa parole ne devient-elle
pas inébranlable quand nous voyons toutes ses prédictions se réaliser? C'est là
l’œuvre de Dieu: il parle, il annonce l'avenir, et l'événement s'accomplit tel
qu'il l'a prédit. Ici nous pourrions nous arrêter et ne plus rien ajouter; nous
avons prouvé la bonté de notre cause et la justice de nos réclamations. Mais il
est difficile, nous le savons, de convaincre un esprit possédé par l'ignorance.
Aussi, pour achever de convaincre les sincères amis du vrai, nous avons résolu
d'ajouter encore quelques mots, dans la persuasion que l'éclat de la vérité
pourra dissiper les ténèbres de l'erreur.
13. Est-il maintenant un
homme raisonnable qui oserait dire que nous sommes des athées, nous qui adorons
le créateur de l'univers? Notre Dieu n'a pas besoin de sang, ni de parfums, ni
de libations: les offrandes dignes de lui sont des hymnes de piété et de
reconnaissance. La vraie manière de l'honorer, ce n'est pas de consumer
inutilement par le feu les choses qu'il a créées pour notre subsistance, mais de
nous servir de ces aliments, de les partager avec les pauvres, et aussi, dans un
juste sentiment de gratitude, de célébrer la gloire divine par de saints
cantiques: nous le savons , et en conséquence nous le bénissons de toutes nos
forces et nous lui rendons grâces pour la vie qu'il nous a donnée, pour les
soins qu'il prend de notre existence, pour les diverses qualités des choses,
pour les changements des saisons, et surtout pour cette immortalité future,
magnifique récompense promise à notre foi. Avec ce Dieu suprême nous adorons
encore deux autres personnes: celui qui est venu pour nous enseigner sa
doctrine, Jésus-Christ notre maître, crucifié en Judée sous Ponce Pilate, du
temps de Tibère-César, véritablement fils de Dieu; et enfin l'Esprit
prophétique, culte éminemment raisonnable, comme nous vous le démontrerons. A ce
propos on crie à la folie: quelle absurdité, en effet, de placer à côté du Dieu
immuable et éternel, à côté du créateur du monde, un homme crucifié! C'est qu'il
y a là un mystère que vous ignorez: nous allons vous le découvrir. Écoutez et
prêtez-nous toute votre attention.
14. Avant tout, nous vous en
prévenons, prenez bien garde de ne pas vous laisser séduire par la malice des
démons soulevés contre nous; prenez garde qu'ils ne vous détournent de nous lire
et de nous comprendre (car ils emploient tout leur pouvoir à vous vaincre, à
vous asservir; et par les visions du sommeil comme par les prestiges de la
magie, ils enveloppent et saisissent tous ceux qui ne veillent pas et ne
combattent pas pour leur salut). Aussi, dès que nous avons cru au Verbe, nous
sommes-nous éloignés d'eux, et les avons-nous fuis pour nous attacher
invinciblement par Jésus-Christ au Dieu incréé. Autrefois nous prenions plaisir
à la débauche, aujourd'hui la chasteté seule fait nos délices. Nous avions
recours aux sortilèges et à la magie, et maintenant nous nous dévouons tout
entier au Dieu bon et immortel. Au lieu de cette ambition et de cette insatiable
avidité qui nous dévoraient, maintenant une douce communauté nous réunit; tout
ce que nous possédons, nous le partageons avec les pauvres. Les haines, les
meurtres dévastaient nos rangs; la différence de mœurs et d'institutions nous
faisaient refuser à l'étranger l'hospitalité de notre foyer; et maintenant,
depuis la venue du Christ, une fraternelle charité nous unit; nous prions pour
nos ennemis; ceux qui nous persécutent, nous tâchons de les convaincre: nous
nous efforçons de leur persuader que tous ceux qui suivent les divins préceptes
du Christ ont droit d'espérer comme nous la récompense promise par le maître de
l'univers. Mais pour que l'on ne nous accuse pas de vouloir vous payer de
paroles, il ne sera pas inutile, je pense, de vous rappeler, avant d'en venir à
la démonstration, quelques-uns des préceptes du Christ; et nous nous en
remettrons à vous comme à de puissants et d'équitables princes, pour juger si
nos enseignements sont conformes à ceux que nous a donnés notre maître. Ses
maximes sont brèves et concises; car ce n'était pas un sophiste, mais la
puissance de la parole de Dieu était en lui.
15. Voici ce qu'il dit de la
chasteté: "Quiconque aura regardé une femme pour la convoiter a déjà commis
l'adultère dans son cœur." Et: "Que si votre oeil droit vous scandalise;
arrachez-le et jetez-le loin de vous; il vaut mieux n'avoir qu'un oeil et entrer
dans le royaume des cieux, qu'avoir deux yeux et être jeté dans le feu éternel."
Et: "Celui qui épouse la femme répudiée par un autre homme commet un adultère."
Et: "Il y a des eunuques sortis tels du sein de leur mère; il y en a que les
hommes ont fait eunuques, et il y en a qui se sont faits eunuques eux-mêmes en
vue du royaume des cieux; mais tous n'entendent pas cette parole." Ainsi ceux
qui, selon la loi des hommes, contractent un second mariage après leur divorce,
comme ceux qui regardent une femme pour la convoiter, sont coupables aux yeux de
notre maître; il condamne le fait et jusqu'à l'intention de l'adultère; car Dieu
voit non seulement les actions de l'homme, mais même ses plus secrètes pensées.
Et pourtant combien d'hommes et de femmes sont parvenus à plus de soixante et
soixante-dix années, qui, nourris depuis leur berceau dans la foi du Christ,
sont restés purs et irréprochables durant leur longue carrière! Ce fait se
retrouve dans les peuples de toute contrée; je m'engage à le prouver. Et faut-il
à ce propos rappeler la multitude innombrable de ceux qui ont rompu avec le vice
pour se captiver sous l'obéissance de la foi? car ce ne sont pas les hommes
chastes et saints que le Christ convie au repentir, se sont les impies, les
débauchés, les méchants. Il le dit lui-même: "Je ne suis pas venu appeler les
justes à la pénitence, mais les pécheurs; car le Père céleste aime mieux le
repentir que le châtiment du pécheur. Écoutez maintenant ce que dit le Christ
sur la charité envers tous: "Si vous aimez ceux qui vous aiment, que faites-vous
de nouveau? Les impudiques en font autant. Mais moi je vous dis: Aimez vos
ennemis; faites du bien à ceux qui vous haïssent; bénissez ceux qui vous
maudissent; et priez pour ceux qui vous calomnient." Sur l'obligation de donner
aux pauvres et de ne rien faire pour la vaine gloire, voulez-vous savoir ce qui
nous est prescrit: "Donnez à celui qui vous demande: Ne refusez pas à celui qui
veut emprunter de vous; car si vous prêtez à ceux de qui vous croyez recevoir,
quel gré vous en saura-t-on? Les publicains en font autant. N'amassez pas de
trésors sur la terre, où la rouille et les vers dévorent, et où les voleurs
fouillent et dérobent; mais amassez des trésors dans le ciel, où ni la rouille
ni les vers ne dévorent; car que sert à un homme de gagner l'univers entier et
de perdre son âme? Et qu'est-ce que l'homme donnera en échange pour son âme?
Amassez donc des trésors dans le ciel, où ni les vers ni la rouille ne
dévorent." Et: "Soyez doux et miséricordieux comme votre Père est doux et
miséricordieux; lui qui fait lever son soleil sur les bons comme sur les
méchants . Ne vous inquiétez point pour votre vie de ce que vous mangerez, ni
pour votre corps où vous trouverez des vêtements. Ne valez-vous pas mieux que
les oiseaux et les bêtes? et Dieu les nourrit. Ne vous inquiétez donc pas pour
votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps où vous trouverez des
vêtements; car votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela.
Cherchez le royaume de Dieu, et ces choses vous seront données par surcroît.
L'âme de l'homme est là où est son trésor." Et: "Ne faites pas ces choses pour
être en spectacle aux hommes; car autrement vous ne gagnerez pas la récompense
promise par votre Père qui est dans les cieux."
16. Faut-il nous rendre
humbles, serviables, patients? Voici ses préceptes: "Si l'on vous frappe sur une
joue, tendez l'autre; si l'on vous enlève votre manteau, donnez aussi votre
tunique. Celui qui se met en colère s'expose au feu éternel. Si quelqu'un vous
force à le suivre pendant un mille, accompagnez-le pendant deux; et que vos
bienfaits brillent aux yeux des hommes, de sorte que, les voyant, ils admirent
votre Père qui est dans les cieux." Dieu ne nous permet pas de nous révolter: il
ne veut pas que nous nous fassions les imitateurs des méchants; au contraire, il
nous engage à employer la patience et la douceur pour arracher les hommes à
l'avilissement des mauvaises passions. C'est ce dont nous pourrions facilement
trouver des preuves parmi vous, en vous citant tous ceux qui ont changé leurs
habitudes de violence et de tyrannie, vaincus par l'expérience journalière et
par l'exemple de la pureté de leurs voisins; par la vue de leur admirable
patience à supporter les outrages, ou enfin par l'examen de leur conduite et de
leurs mœurs. Nous ne devons pas jurer, et nous sommes obligés de dire toujours
la vérité. Écoutez: "Ne jurez en aucune manière: que si c'est oui, dites oui;
que si c'est non, non; ce que vous ajouteriez de plus serait mal." La loi de
l'adoration d'un seul Dieu, voici comme il nous l'impose: "C'est ici le plus
grand commandement: tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu rendras à lui seul
le culte souverain de tout ton cœur et de toute ta force, car c'est ton Seigneur
Dieu qui t'a fait." Un homme s'approche de Jésus, en lui disant: "Maître
parfait! Nul n'est parfait que Dieu seul, le créateur du monde, " répond Jésus.
Et pour être reconnu comme chrétien, il ne suffit pas de proclamer de bouche la
doctrine du Christ, il faut la suivre dans toutes les actions de la vie; car ce
n'est pas à ceux qui parlent, mais à ceux qui agissent que le salut éternel est
promis. Écoutez: "Tous ceux qui me disent: Seigneur, Seigneur, n'entreront pas
dans le royaume des cieux: celui-là y entrera qui fait la volonté de mon Père
qui est dans les cieux; car celui qui m'écoute et fait ce que je dis écoute
celui qui m'a envoyé. Il y en a beaucoup qui me disent: Seigneur, Seigneur,
est-ce que nous n'avons pas bu et mangé en votre nom? est-ce que nous n'avons
pas fait des miracles? Et alors, moi je leur dirai: Loin de moi, artisans
d'iniquité! Et alors, il y aura là des pleurs et des grincements de dents; et
les justes brilleront comme le soleil, et les méchants seront précipités au feu
éternel. Et, en effet, vous en verrez beaucoup venir en mon nom, qui au-dehors
seront revêtus de peaux de brebis, et au-dedans sont des loups ravissant. Vous
les connaîtrez par leurs oeuvres; et tout arbre ne portant pas de bons fruits
sera coupé et jeté au feu." Châtiez donc tous ces gens qui ne sont chrétiens que
de nom, et se conduisent en dépit des enseignements du Christ; châtiez-les, nous
vous le demandons.
17. Nous sommes les premiers
à payer les tributs entre les mains de ceux que vous avez préposés à la levée
des impôts, car c'est encore là un précepte du Christ. Des Juifs étant venus un
jour lui demander s'il fallait payer le tribut à César: "Dites-moi, je vous
prie, de qui cette pièce d'argent porte-t-elle l'effigie? De César, "
répondirent-ils. "Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à
Dieu." Aussi nous n'adorons que Dieu, et pour tout le reste nous vous obéissons
de grand cœur, nous plaisant à reconnaître en vous les princes et les chefs des
peuples, et priant Dieu de vous accorder avec la souveraine puissance le don de
la sagesse et de la raison. Que si, après tout, vous dédaignez nos prières, si
vous méprisez nos suppliques et nos discours, nous ne nous en plaindrons pas et
nous n'y perdrons rien; car, nous le croyons avec toute l'énergie de la
conviction, chacun expiera ses actes dans le feu de l'éternité, chacun rendra
compte en raison de ce qu'il aura reçu. C'est le Christ qui nous l'enseigne par
cette parole: "Celui qui aura reçu davantage, il lui sera demandé davantage."
18. Tournez les regards vers
les empereurs qui vous ont précédés. Ils ont suivi la loi commune; ils sont
morts comme tous les hommes. La mort devait-elle les plonger dans
l'insensibilité du néant? Non, ce serait pour les méchants une faveur
exorbitante. L'existence n'abandonne pas ceux qui ont vécu, et les supplices
éternels les saisissent au sortir de ce monde. Écoutez, prêtez la plus grande
attention: croyez surtout; car tout ceci est la vérité. Tous les prestiges de la
nécromancie, l'inspection du cadavre palpitant d'un enfant, l'évocation des âmes
humaines, le ministère de tous ceux que les magiciens appellent les
dispensateurs et les satellites des songes, les opérations de ces adeptes, en
est-ce assez pour vous faire croire que l'âme après la mort conserve sa
sensibilité? faut-il vous parler de ceux que vous voyez saisis et subjugués par
les âmes des morts, furieux et démoniaques aux yeux de tous, oracles à vos yeux,
les Amphiloques, les Pythies, les Dodonées et mille autres? Voulez-vous les
témoignages des écrivains, d'Empédocle et de Pythagore, de Platon et de Socrate?
Et le gouffre infernal d'Homère, et la descente d'Ulysse dans ce Tartare, et
tant d'autres auteurs? Eh bien! nous ne vous demandons qu'une chose, c'est de
nous mettre à l'égal de tous ces écrivains, nous qui croyons autant et bien plus
qu'eux en la divinité, puisque nous espérons voir un jour nos corps eux-mêmes,
cadavres enfouis dans la terre, se relever pour nous recevoir une seconde fois;
car, nous le disons, rien n'est impossible à Dieu.
19. Certes, à y réfléchir
attentivement, ne nous semblerait-il pas incroyable, si nous n'avions pas nos
corps, d'entendre quelqu'un nous dire: Vous voyez ces chairs, ces os, ces nerfs,
toute cette substance de l'homme, quelques gouttes de liqueur séminale suffisent
pour la former et la produire? Or, raisonnons dans cette hypothèse: oubliez un
instant votre humanité et votre origine, et supposez que l'on présente à vos
regards, d'un côté l'image d'un homme, et de l'autre cette faible semence, et
qu'on vous dise: Ceci peut produire cela; croiriez-vous une pareille assertion
avant de l'avoir vue réalisée? Personne n'osera dire que oui. Eh bien!
cependant, vous ne croyez pas à la résurrection des morts. Nous n'avons pas vu
de mort ressusciter, dites-vous? Et la possibilité de la génération par des
moyens aussi débiles, vous ne l'auriez pas crue d'abord; cependant vous en voyez
partout le phénomène accompli chaque jour. Conséquemment vous devez admettre la
possibilité d'une résurrection pour ces cadavres corrompus que la dissolution a
presque réduits à l'état de semence. Vous devez croire qu'à la parole de Dieu
ils pourront bien, au jour marqué, se redresser et revêtir l'immortalité. Et, en
effet, serait-ce donner une idée convenable de la puissance divine que de dire
avec certaines gens: Chaque chose retourne à l'élément d'où elle est sortie, et
Dieu même ne peut rien faire de contraire à cette loi? Non, nous ne pouvons
accorder une opinion semblable. Mais ce que nous en concluons, c'est que ceux
qui la défendent n'auraient jamais cru à la possibilité de leur propre création,
de celle du monde entier, tel qu'il est, et avec l'origine qu'ils lui voient.
Plutôt que de partager leur incrédulité, ajoutons foi à ces mystères
incompréhensibles pour notre humaine nature: c'est le parti le plus sage, c'est
la doctrine de Jésus-Christ; car ne nous a-t-il pas dit: "Ce qui est impossible
à l'homme est possible à Dieu." Et: "Ne craignez pas ceux qui vous tuent, ils ne
peuvent rien au-delà. Mais craignez celui qui, après la mort, peut précipiter
votre corps et votre âme dans la géhenne." Or, cette géhenne, c'est le lieu où
sont torturés ceux qui ont vécu dans l'iniquité et qui n'ont pas cru à la
réalisation des paroles que Dieu nous a fait annoncer par le Christ.
20. Et la Sibylle et
Hystaspe vous disent que toute la nature corruptible périra par le feu; et les
philosophes de l'école stoïcienne prétendent que Dieu lui-même se résoudra en
feu, et qu'après la ruine universelle le monde renaîtra de nouveau. Mais nous,
combien ne sommes-nous pas supérieurs à ces doctrines versatiles, avec notre
croyance en un Dieu créateur de l'univers? Ainsi, non seulement nos doctrines
ressemblent à celles des philosophes et des poètes le plus en honneur auprès de
vous, mais même, dans de certains points, nous parlons un langage plus vrai et
plus saint. Seuls enfin, nous prouvons nos assertions. Pourquoi donc maintenant
sommes-nous injustement poursuivis de la haine de tous? Dire que Dieu a tout
créé et tout ordonné dans le monde, n'est-ce pas répéter un dogme de Platon?
L'idée de l'embrasement universel nous est commune avec les stoïciens. Croire
que les âmes des méchants conservent la sensibilité après la mort, et qu'elles
sont châtiées pour leurs crimes, tandis que celles des justes évitent les
supplices et jouissent de la félicité, ce n'est que partager le sentiment des
poètes et des philosophes. Quand enfin nous détournons les hommes d'adorer des
êtres pires qu'eux, nous ne faisons que rappeler les paroles de Ménandre le
poète comique, et de tous ceux qui ont écrit dans le même sens. Tous en effet
ont proclamé que le créateur était plus grand que la créature.
21. Et quand nous parlons du
Verbe engendré de Dieu avant tous les siècles; quand nous disons qu'il est né
d'une vierge sans aucune coopération étrangère; qu'il est mort, et qu'après être
ressuscité il est monté au ciel; nos récits ne sont pas plus étranges que
l'histoire de ces personnages que vous appelez fils de Jupiter. Vous n'ignorez
pas en effet combien vos plus célèbres auteurs lui donnent d'enfants. C'est un
Mercure, son interprète, son verbe, chargé de tout apprendre au monde; c'est un
Esculape, qui, foudroyé pour avoir exercé son art de médecin, est enlevé au
ciel; un Bacchus, qui est mis en pièces; Hercule, qui se brûle pour faire cesser
ses travaux; les Dioscures, fils de Léda; Persée, fils de Danaé; Bellérophon,
que le coursier Pégase ravit du milieu des mortels. Parlerai-je d'Ariane et de
tous ceux qui comme elle sont devenus des astres? Et tous vos empereurs, à peine
sont-ils morts que vous vous hâtez d'en faire des immortels, et ne trouvez-vous
pas au besoin un témoin tout prêt à jurer qu'il a vu César s'élever
resplendissant de son bûcher vers les cieux? Au reste, il n'est pas nécessaire
de faire ici l'historique des hauts faits attribués à tous ces enfants de
Jupiter; vous les savez assez bien, et d'ailleurs ces récits n'ont été écrits
que pour corrompre et dépraver l'esprit qui les étudie, puisque chacun pense
qu'il ne peut mieux faire que d'imiter les dieux. Y a-t-il rien de plus
contraire à la saine idée de la divinité que de représenter Jupiter, le
souverain et le père des dieux, comme fils d'un parricide et parricide lui-même,
livré aux plus honteuses débauches, poussant la brutalité jusqu'à abuser de
Ganymède, jusqu'à déshonorer ce prodigieux nombre de femmes d'où lui naquirent
tous ces enfants, dignes imitateurs de leur père? Ne voit-on pas là l’œuvre des
génies du mal? Pour nous, notre doctrine nous apprend que l'immortalité est
réservée à ceux qui tâchent de ressembler à Dieu par la sainteté de leur vie et
la pratique de la vertu; tandis que le supplice du feu éternel attend ceux qui
s'obstinent à demeurer dans l'iniquité.
22. Quant à Jésus-Christ,
que nous appelons le fils de Dieu, ne fut-il qu'un simple mortel, sa sagesse lui
mériterait ce titre; puisque tous les auteurs s'accordent à donner à la divinité
le nom de père des dieux et des hommes; que si, le croyant engendré d'une
manière toute particulière et surhumaine, nous l'appelons le Verbe de Dieu, nous
ne faisons que lui appliquer la dénomination affectée à Mercure, puisqu'on en
parle comme du verbe, messager de Dieu. Nous objectera-t-on qu'il a été
crucifié; nous dirons qu'en cela il ressemble à tous ceux des fils de Jupiter
qui, selon vous, ont eu des tourments à souffrir. Loin d'être uniforme, leur
genre de mort a été très différent. Jésus aussi a eu son agonie à part. Il ne le
leur cède pas même en cela. Combien au contraire ne les surpasse-t-il pas en
tout! Hâtons-nous de le prouver, ou plutôt la preuve est déjà faite; car c'est
par les actions que se constate la supériorité. Jésus est né d'une vierge? oui,
il a cela de commun avec Persée. Il guérissait les boiteux et les paralytiques,
les infirmes de naissance; il ressuscitait les morts. C'est ce que vous racontez
d'Esculape.
23. Mais, remarquez-le bien,
si nous avons employé ce genre de preuves et ces assimilations, c'est que nous
voulions vous démontrer que la vérité se rencontre uniquement dans les leçons du
Christ et des prophètes ses prédécesseurs, plus anciens que tous vos écrivains;
et quand nous demandons d'être crus, ce n'est pas en raison de ces
ressemblances, c'est en raison de la vérité que nous annonçons, c'est parce que
nous vous disons que Jésus-Christ est le fils unique du Père, son premier-né, sa
puissance, son Verbe; qu'il s'est fait homme par sa propre volonté, et qu'il est
venu nous instruire pour le salut et la régénération du monde. Or, avant qu'il
parût parmi les hommes, ces génies du mal, les démons dont nous avons déjà
parlé, se sont servis des poètes pour fausser d'avance le récit de ces grands
événements, comme s'ils eussent déjà eu lieu; et ainsi ils sont parvenus à
inventer et à faire croire contre nous les accusations les plus odieuses sans la
moindre preuve et sans un seul témoin. Voilà la raison de notre argumentation.
24. Ainsi donc, en premier
lieu, nous ne faisons que ce que font les Grecs, et pourtant seuls nous
souffrons persécution pour le nom du Christ. Nous ne commettons aucun crime, et
on nous tue comme des scélérats. Tout autour de nous on adore des arbres, des
fleuves, des chats, des souris, des crocodiles, des animaux de toute espèce. Et
ce culte n'est pas universel; non, chacun a son idole, en sorte que pour son
voisin, dont il ne partage pas la croyance, c'est un impie. Et le seul chef
d'accusation que l'on puisse invoquer contre nous, c'est que nous n'adorons pas
vos dieux, que nous ne faisons aux morts ni libations ni offrandes; que nous ne
consacrons aux idoles ni couronnes ni victimes; des victimes! mais vous
n'ignorez pourtant pas que ce qui est ici une victime, là est un dieu, plus loin
une brute.
25. En second lieu,
remarquez-le bien, tandis que le genre humain entier se prosternait aux pieds de
Bacchus et d'Apollon, dont les infâmes débauches font horreur; tandis qu'il
adorait Proserpine et Vénus, dont vous célébrez dans vos mystères le honteux
amour pour le jeune Adonis; tandis qu'il rendait un culte à Esculape et à toute
cette multitude de prétendus dieux; nous, au nom de Jésus-Christ et au péril le
notre vie, nous avons foulé aux pieds ces divinités, et embrassé la foi à ce
Dieu incréé, inaccessible au mal, et qui jamais ne descendit sur terre pour
séduire une Antiope ou abuser d'un Ganymède; non, jamais notre Dieu n'eut
besoin, pour se délivrer de ses chaînes, que Thétis implorât le secours du géant
à cent bras; jamais pour prix d'un tel service il ne sacrifia des milliers de
Grecs à la colère d'Achille furieux de l'enlèvement de sa Briséis. Ceux qui
croient à de pareilles fables nous font pitié, et nous n'y pouvons reconnaître
que l’œuvre des démons.
26. En troisième lieu,
lorsque par son ascension le Christ eut été enlevé au ciel, les démons
suscitèrent des hommes qui se prétendirent dieux: et vous, bien loin de les
poursuivre, vous les avez comblés d'honneurs. Un certain Simon, du bourg de
Gitton, vint à Rome du temps de l'empereur Claude. Aidé par les malins esprits,
il fit dans votre ville impériale quelques prodiges de magie, et aussitôt on le
prit pour un dieu, on lui éleva une statue comme à un dieu. Cette statue est
dans l'île du Tibre, entre les deux ponts, et elle porte cette inscription
latine: Simoni Deo sancto. Presque tous les Samaritains et quelques hommes
d'autres nations le reconnaissent et l'adorent comme leur première divinité. Et
vous savez ce qu'on rapporte de cette Hélène, qu'il avait retirée d'une maison
de prostitution pour en faire sa compagne et son expression intellectuelle,
comme il le disait. Ménandre de Capparetée, Samaritain aussi et disciple de
Simon, ne parvint-il pas, toujours par l'assistance des démons, à séduire par
ses magiques opérations les habitants d'Antioche, au point de persuader ses
adeptes qu'ils ne mourraient jamais? et nous voyons encore nombre de ses
sectateurs. Marcion de Pont, qui vit encore, n'enseigne-t-il pas la croyance à
un dieu supérieur au créateur du monde? C'est là encore une oeuvre des génies du
mal, qui se sont servis de lui pour répandre le blasphème sur la terre, pour
faire nier aux hommes que le créateur tout-puissant fut le père du Christ, et
pour leur faire professer, au contraire, l'existence d'un être dont la puissance
supérieur avait créé des ouvrages plus merveilleux. Tous les disciples de ces
imposteurs sont, comme nous l'avons dit, compris sous la dénomination générale
de chrétiens, de la même manière que le nom de philosophes s'applique à une
foule de gens qui ne partagent pas les mêmes idées philosophiques. Maintenant
ces sectaires se rendent-ils coupables des crimes atroces dont la malignité
publique nous accuse, comme ces extinctions de lumières, ces mélanges confus des
sexes, ces repas de chair humaine? Nous l'ignorons; mais ce que nous savons
bien, c'est qu'au moins, vous, vous ne leur faites pas un crime de leurs
opinions et vous ne les massacrez pas. Au reste, nous avons composé un livre
contre toutes les hérésies, et si vous voulez, nous vous en donnerons
connaissance.
27. Quant à nous, loin de
commettre aucune impiété, aucune vexation, nous regardons comme un crime odieux
l'exposition des enfants nouveau-nés; parce que d'abord nous voyons que c'est
les vouer presque tous, non seulement les jeunes filles, mais même les jeunes
garçons, à une prostitution infâme; car de même qu'autrefois on élevait des
troupeaux de bœufs et de chèvres, de brebis et de chevaux, de même on nourrit
aujourd'hui des troupes d'enfants pour les plus honteuses débauches. Des femmes
aussi et des êtres d'un sexe douteux, livrés à un commerce que l'on n'ose
nommer, voilà ce qu'on trouve chez toutes les nations du Globe. Et au lieu de
purger la terre d'un scandale pareil, vous en profitez, vous en recueillez des
tributs et des impôts! D'ailleurs ne peut-il pas résulter de cet odieux et
sacrilège commerce un mélange affreux des pères avec leurs enfants, des frères
avec leurs frères? Il est des misérables qui prostituent leurs filles et leurs
femmes: il en est qui se mutilent pour cette infâme turpitude, pour les mystères
de la mère des dieux; et à chacune de vos divinités vous donnez pour attribut ce
grand et mystérieux symbole du serpent. Voilà ce qui se fait chez vous à la face
du soleil: voilà votre culte: Et vous nous imputez vos actes; et vous prétendez
que nous étouffons toutes les lumières divines! Au reste ce n'est pas à nous que
peut nuire une calomnie de ce genre; elle retombe sur ceux qui commettent tous
ces crimes et osent nous les imputer.
28. Parmi nous, le prince
des génies malfaisants s'appelle le serpent, le tentateur, Satan; et vous pouvez
vous en assurer par la lecture de nos saintes lettres. C'est lui qui sera
précipité avec toute son armée et avec les hommes ses adorateurs dans le feu
éternel pour y brûler à jamais: le Christ nous l'a prédit. Si un sursis a été
accordé à cette condamnation, c'est en faveur de l'homme; c'est en considération
de son salut. Car Dieu sait bien que plusieurs se repentent déjà, et que bien
d'autres qui sont à naître se repentiront aussi. Quand Dieu créa la nature
humaine, il la fit intelligente et libre de choisir le bien et de s'y attacher,
en sorte qu'à l'homme raisonnable et intelligent il ne restât aucune excuse
devant la justice divine. Aussi prétendre que Dieu ne se met point en peine des
choses de ce monde, c'est dire qu'il n'y a pas de Dieu, ou que, s'il y en a, il
ne se plaît que dans le mal ou dans une insensibilité de pierre; c'est dire
qu'il n'y a ni vice, ni vertu, et que le bien et le mal ne sont que des
distinctions chimériques inventées par l'imagination humaine, ce qui est une
haute impiété et une odieuse injustice.
29. Quant à l'exposition des
enfants, il est un motif encore qui nous la fait abhorrer. Nous craindrions
qu'ils ne fussent pas recueillis, et que notre conscience restât ainsi chargée
d'un homicide. Au reste, si nous nous marions, c'est uniquement pour élever nos
enfants; si nous ne nous marions pas, c'est pour vivre dans une continence
perpétuelle. Naguère, un de nos frères, pour vous persuader qu'il n'y a parmi
nous ni mystères impurs, ni mélanges infâmes, présenta à Félix, préfet
d'Alexandrie, une requête afin d'obtenir de se faire enlever les organes de la
génération. Les médecins de la ville prétendaient ne pouvoir exécuter cette
opération sans la permission du préfet. Félix ne voulut pas obtempérer à cette
demande, et le jeune homme fort de sa conscience et content de cet hommage rendu
à sa foi, conserva sa pureté et vécut dans la chasteté avec tous ceux qui
partageaient sa croyance. Et à ce propos, il me semble assez curieux de faire
mention ici de cet Antinous qui parut il y a peu de temps, imposteur effronté
que l'on adorait déjà comme un dieu, quoiqu'on sût bien qui il était et d'où il
venait.
30. Maintenant pour que
personne ne tente de nous opposer que le personnage nommé par nous Christ n'est
qu'un homme, fils d'un homme, et que ses miracles ne sont que des sorcelleries
et des oeuvres de magie à l'aide desquelles il a réussi à se faire passer pour
le fils de Dieu, nous allons commencer notre démonstration sur ce point, et vous
prouver que ce n'est pas sur des on-dit que notre foi est fondée, mais sur des
prophéties publiées bien avant l'événement et sur la réalisation certaine et
indubitable de ces faits annoncés, réalisation à laquelle nous avons assisté, à
laquelle nous assistons encore. Et ce sera là une magnifique et irréprochable
démonstration, nous en avons la ferme confiance.
31. Il s'est rencontré chez
les Juifs des hommes prophètes de Dieu, et dont l'Esprit saint se servait comme
de hérauts pour annoncer l'avenir. Leurs prophéties, à mesure qu'elles étaient
prononcées, étaient soigneusement recueillies par les rois du moment, qui en
possédaient les textes; écrits en hébreu de la main même des prophètes. Quand
Ptolémée, roi d'Égypte, composa sa fameuse bibliothèque, il eut connaissance de
ces livres prophétiques, et il envoya une ambassade à Hérode, alors roi des
Juifs, pour les lui demander. Hérode donna le texte hébreu; mais cette langue
étant inconnue aux Égyptiens, une nouvelle députation vint solliciter du roi des
Juifs des hommes capables d'en faire une traduction grecque. Cette oeuvre fut
exécutée, et ces livres sont restés jusqu'à présent aux mains des Égyptiens,
comme ils sont par toute la terre entre celles des Juifs. Mais c'est en vain que
les Juifs les lisent, ils ne les comprennent pas; au contraire, ils nous
traitent comme leurs ennemis déclarés; ils nous persécutent autant qu'il est en
leur pouvoir; ils nous infligent comme vous les supplices et la mort: vous
pouvez en avoir facilement la preuve. Voyez la dernière guerre de Judée,
Barcochébas, le chef de la révolte, ne sévissait-il pas contre les chrétiens et
contre eux seuls? Ne les accablait-il pas des plus cruelles tortures s'ils ne
renonçaient pas à Jésus-Christ et s'ils ne blasphémaient pas son saint nom?
C'est pourtant dans les livres des prophètes qu'est annoncée la venue du Christ.
Il y est dit qu'il doit naître d'une vierge; que, parvenu à l'âge d'homme, il
guérira toutes les maladies et toutes les douleurs et ressuscitera les morts:
que méconnu, persécuté, il sera mis en croix, qu'il mourra et se ressuscitera
pour remonter au ciel. Il y est dit qu'il est le fils de Dieu et qu'il sera
reconnu pour tel; qu'il enverra par tout le genre humain des hérauts pour
l'annoncer, et que toutes les nations croiront à sa parole. Et tout cela a été
prophétisé cinq mille, trois mille, deux mille, mille et enfin huit cents années
avant l'événement, car telle est la succession des temps où ont paru les
prophètes.
32. Moïse, le premier de
tous, a parlé ainsi: "il ne manquera pas de prince de Juda, ni de chef de cette
race jusqu'à ce que vienne celui qui est attendu: celui-là sera l'espérance des
nations; il attachera son ânon à la vigne, et il lavera sa robe dans le sang de
la grappe." Et voyez et recherchez avec soin jusqu'à quelle époque les Juifs ont
eu un roi de leur nation. C'est justement celle où parut Jésus-Christ, notre
maître, l'interprète des mystérieux oracles; et en lui s'est accompli ce que
l'Esprit prophétique avait annoncé par la bouche de Moïse, à savoir que le
prince ne manquerait pas chez les Juifs jusqu'à ce que fut venu celui à qui le
royaume était réservé. Car Juda est le patriarche des Juifs, et c'est de lui
qu'ils ont pris leur nom. Aussitôt la venue du Messie, vous avez commencé à
régner sur les Juifs, et vous avez soumis tout leur pays à votre domination.
Cette parole, il sera l'espérance des nations, signifiait que par toutes les
nations il se trouverait des hommes qui soupireraient après sa venue. C'est là
un fait que vous démontre votre propre expérience. Ne voyez-vous pas que dans
toutes les nations on espère en ce crucifié de la Judée, après la mort duquel la
terre des Juifs a été prise et livrée entre vos mains? Cette autre parole, "il
attachera son ânon à la vigne, et il lavera sa robe dans le sang de la grappe, "
est un symbole qui figure en partie ce qui devait arriver au Christ, en partie
ce que lui-même devait accomplir. Car il y avait à l'entrée d'un village un ânon
attaché à une vigne, et le Christ ordonna à ses disciples de le lui amener: il y
monta et fit son entrée à Jérusalem, où était ce grand et magnifique temple que
vous avez détruit depuis. Après cela il fut crucifié, pour que le reste de la
prophétie fût accompli. Car cette robe lavée dans le sang de la grappe" était
l'annonce des douleurs qu'il devait endurer, pour racheter par son sang tous
ceux qui croient en lui. La robe dont parle l'Esprit de Dieu représente les
hommes qui ont foi en Jésus-Christ, et dans lesquels habite le Verbe, cette
semence de Dieu. Le sang de la grappe signifiait aussi que le Messie aurait du
sang, non pas du sang de la semence humaine, mais de la puissance divine. La
puissance souveraine avec le Père et le maître de l'univers, c'est son fils,
c'est le Verbe. Il a pris chair, il s'est fait homme, nous le dirons ensuite.
Or, maintenant, comme ce n'est pas l'homme mais Dieu qui a fait le sang de la
grappe, de même le sang du Christ était ainsi clairement désigné comme ne
pouvant pas résulter de la semence humaine, mais de la vertu de Dieu, comme nous
l'avons dit déjà. Un autre prophète a dit exactement la même chose en termes
différents, c'est Isaïe: "Une étoile sortira de Jacob, et une fleur poussera sur
la tige de Jessé, et les nations espéreront en son bras." N'est-ce pas une
étoile brillante, n'est-ce pas une belle fleur sur la tige de Jessé, que notre
Seigneur Jésus-Christ? La vertu de Dieu l'a engendré, et il est né d'une vierge
de la race de Jacob, le père de Juda (et nous avons vu que Juda est le
patriarche des Juifs). Jessé aussi fut; selon les saints oracles, un aïeul du
Christ, fils lui-même de Jacob et de Juda, comme le prouve la suite de sa
généalogie.
33. Écoutez maintenant comme
Isaïe annonce que le Christ naîtra d'une vierge. Voici ses paroles: "La vierge
sera enceinte, et elle enfantera un fils, et les hommes appelleront ce fils,
Emmanuel, Dieu avec nous." Or c'étaient des choses incroyables et impossibles à
l'homme que Dieu faisait prédire par l'esprit de prophétie; en sorte qu'à
l'événement on ne leur refusât pas créance, et qu'au contraire on leur accordât
une confiance illimitée. Actuellement, pour que dans l'ignorance du sens
véritable de cette prophétie, l'on ne vienne pas confondre nos paroles avec les
récits de vos poètes, qui représentent Jupiter descendant des cieux; pour se
livrer à un commerce impur avec des femmes mortelles, nous allons entrer dans
l'explication. Une vierge, dit Isaïe, sera enceinte: c'est-à-dire qu'elle
concevra sans coopération humaine; car si ce commerce avait eu lieu, elle ne fût
pas demeurée vierge. Mais ici la vertu de Dieu est descendue sur cette vierge et
l'a environnée comme d'un nuage sacré, et restant toujours vierge, elle est
néanmoins devenue enceinte. Ce fut un ange de Dieu qui fut alors envoyé vers
cette vierge, et qui lui annonça cette bonne nouvelle en disant: "Voici que vous
concevrez du Saint-Esprit et que vous enfanterez un fils, et il sera appelé le
fils du Très-Haut, et vous le nommerez Jésus; car il sauvera son peuple de ses
péchés." C'est ce que nous apprennent ceux qui ont écrit la vie et les oeuvres
de Jésus-Christ, notre Sauveur; et c'est là ce que nous croyons; car c'est la
réalisation de ce qu'avait prédit le Saint-Esprit par la bouche d'Isaïe. Donc
cet esprit et ce souffle de Dieu n'est autre chose que son Verbe, son
premier-né: il est impossible de penser autrement, et le prophète Moïse l'a
clairement annoncé. C'est lui qui s'est répandu sur la vierge et l'a enveloppée
de son ombre; c'est lui qui l'a rendue féconde, non par les voies humaines, mais
par la vertu de Dieu. Le nom hébreu de Jésus se traduit par Sauveur: de là vient
que l'ange dit à la vierge: "Vous l'appellerez Jésus, et il sauvera son peuple
de ses péchés." Il n'est pas besoin, je pense, de vous faire remarquer que
l'Esprit de Dieu peut seul dicter des prophéties pareilles: c'est une vérité que
vous ne contesterez pas.
34. Quant au lieu de la
naissance du Christ, écoutez ce qu'en a dit Michée, un autre prophète: "Et toi,
Bethléem, terre de Juda, tu ne seras pas toujours la dernière parmi les princes
de Juda; car de toi sortira le chef, le pasteur de mon peuple." Or Bethléem est
un bourg dans la terre de Judée, situé à trente-cinq stades de Jérusalem: c'est
là que le Christ est né; vous pouvez vous en assurer par les tables du
recensement que leva en Judée Cyrénius, le premier des présidents de cette
province.
35. Après sa naissance, le
Christ devait rester caché aux yeux des hommes jusqu'à l'âge de virilité: c'est
ce qui arriva. Mais écoutez la prédiction: "Un petit enfant nous est né, et un
jeune adolescent nous a été donné, et la marque de l'empire est sur ses
épaules." Cette marque, c'est la croix qu'il porta au jour de sa passion, comme
nous le dirons dans la suite de ce discours. Voici sur le même sujet des paroles
de ce divin prophète Isaïe: "J'ai étendu mes mains vers le peuple incrédule et
contradicteur, vers ceux qui marchent dans la voie mauvaise; et maintenant ils
demandent que je les juge, et ils osent approcher de Dieu." Et encore ces autres
paroles: "Ils ont percé mes mains et mes pieds, et ils ont jeté le sort sur ma
robe." Et certes ce n'est pas David, le roi-prophète, d'où ces paroles sont
tirées, qui a souffert ces tourments. Mais c'est le Christ Jésus, dont les mains
furent étendues quand il fut crucifié par les Juifs, ces incrédules qui niaient
sa divinité. Comme le prophète l'avait dit, il fut placé par dérision sur un
tribunal, et le peuple lui disait: Juge-nous. Ces mots :Ils ont percé mes mains
et mes pieds, étaient l'annonce de ces clous qui, sur la croix, percèrent et ses
pieds et ses mains. Après qu'on l'eut crucifié, ses bourreaux tirèrent ses
vêtements au sort et se les partagèrent. Vous pouvez voir tout ce récit dans les
Actes de Ponce Pilate. Outre ce qui a été déjà rapporté sur l'ânon du Christ et
son entrée à Jérusalem, voici encore des paroles d'un autre prophète, Sophonias:
"Réjouissez- vous, fille de Sion; chantez, fille de Jérusalem, voici votre roi
qui vient humblement à vous, monté sur une ânesse et sur son ânon."
|