Saint Jean-Baptiste De La Salle
(1651-1719)

Première partie

4
État de la société à l’époque
de saint Jean-Baptiste De La Salle

Jean-Baptiste de la Salle, né à Reims le 30 avril 1651 appartenait à une des familles les plus aisées, on dirait aujourd’hui, nanties, de Reims. En 1654 le roi Louis XIV sera sacré dans la cathédrale de Reims et la famille De La Salle sera présente à la cérémonie. Peu à peu, grâce à son cousin et directeur de conscience, Nicolas Roland, Jean-Baptiste va se libérer de ses attaches aristocratiques et découvrir le monde des pauvres. Mais qui sont ces pauvres du grand Siècle de Louis XIV?

4-1-La France du grand siècle

Nous avons vu que le Concile de Trente, achevé en 1563, avait été peu à peu appliqué en France, grâce à l’action et à la volonté de quelques grands saints dont François de Sales, Bérulle, Alain de Solminihac, le saint évêque de Cahors, (décédé l’année où naissait Jean-Baptiste De La Salle), ou encore Jean-Jacques Olier, et tant d’autres…

Les enfants des familles nobles ou bourgeoises étaient généralement accueillis dans les collèges des Jésuites, des oratoriens, etc, et de nombreux séminaires avaient été ouverts. La France se rechristianisait, mais, curieusement, les enfants du peuple étaient le plus souvent délaissés.

4-1-1-La situation sociale du peuple

La démographie française était en expansion; des manufactures se créaient et se développaient. Cependant les famines, très nombreuses en raison de conditions climatiques effroyables et des grands froids des hivers trop rigoureux qui ruinaient les récoltes, ainsi que les épidémies, de peste notamment, entraînaient une mortalité importante et une dramatique paupérisation. C’est ainsi qu’en 1684 Jean-Baptiste De La Salle vendit tous ses biens pour essayer de nourrir ceux qui mouraient de faim et de leur venir en aide.

Ne pouvant plus vivre dans les campagnes, nombre de paysans émigraient vers les villes, espérant une vie meilleure... Et le petit peuple, était, par ailleurs, écrasé par une fiscalité en progression constante. On estime que les prélèvements représentaient entre 20 à 50% des revenus des paysans. La misère du peuple était grande et gagnait tout le pays.

4-1-2-Les pauvres

Dans le sombre tableau que l’on vient d’esquisser, il est certain qu’il y avait des degrés dans la pauvreté. On estime que 75% de la population française ne pouvait plus subvenir à ses besoins vitaux quand les prix augmentaient. Et dans cette masse énorme, il y avait la 22ème classe, la dernière, la plus pauvre. Qui sont-ils ces plus pauvres de France, ceux qui seront les moins imposés par la capitation, le nouvel impôt mis en place en 1695? Ce sont les soldats, les manœuvres, les journaliers, les laquais, les bergers et autres valets...

À ceux-là il faut ajouter les divers commis, et tous les barbiers, apothicaires, cabaretiers, porteurs d’eau, colporteurs, ainsi que les ouvriers et les artisans[1].

Les artisans, les ouvriers, et, d’une manière générale, tous les pauvres, tous très peu instruits, étaient occupés tout le jour à travailler dur pour gagner leur vie et celle de leur famille: les horaires journaliers variaient entre 12 et 16 heures. L’homme et la femme étaient obligés de travailler pour survivre: comment, dans ces conditions, auraient-ils pu s’occuper de leurs enfants? Ils n’avaient même aucun espoir de voir leurs enfants s’en sortir et acquérir un minimum de qualification professionnelle, puisque l’apprentissage était généralement payant. Il faut ajouter que de nombreux enfants pauvres des classes inférieures, étaient embauchés dans les manufactures dès l’âge de  six à sept ans, et pour des salaires dérisoires. Les autres erraient dans les rues, exposés à tous les dangers, y compris à la prostitution. Complètement abandonnés à eux-mêmes, les enfants pauvres des villes étaient souvent considérés comme de futurs délinquants.

4-1-3-Que sont ces enfants?

J.B. Blain, biographe de Jean-Baptiste De La Salle dira d’eux: “Ces enfants pauvres de l’un et l’autre sexe... sont des vagabonds qui courent les rues, qui ne savent que jouer, faire des polissonneries,... se battre et se quereller... Ces enfants qui ne paraissent à l’église que pour y causer du tumulte et du scandale,... ces enfants qui en croissant deviennent des jureurs, des ivrognes, des libertins de profession, et qui en remplaçant leurs pères, continuent la génération des hommes sans foi, sans religion et sans usage de la raison... Ainsi ces enfants familiarisés avec le vice et presque naturalisés avec lui n’en aperçoivent plus le mal et en perdent l’horreur avec l’âge.”

4-2-Que faire pour sauver ces enfants? Les écoles de charité

Quelques curés de paroisses s’étaient émus de cette situation, et ils avaient ouvert des “écoles de charité”, sortes de garderies ou d’ateliers protégés. Ces écoles étaient gratuites, mais pour éviter le désœuvrement des enfants, en dehors du temps réservé à l’alphabétisation et au catéchisme, des heures de travail leur étaient imposées, surtout de la couture ou du tissage. Les maîtres étaient choisis par le curé. La plupart du temps ils étaient eux-mêmes peu instruits, pas formés à leur métier d’enseignants, peu considérés et très peu rémunérés. Ils étaient des pauvres au milieu des pauvres, souvent aussi frustes et grossiers que leurs élèves. C’est parmi ces pauvres maîtres que Jean-Baptiste De La Salle choisira ses premiers frères.

Nous verrons plus loin que ces premiers frères quittèrent presque tous Jean-Baptiste De La Salle, ne pouvant supporter la vie trop stricte qui leur était imposée.

C’est sans l’avoir voulu, et presque malgré lui, que Jean-Baptiste De La Salle avait été conduit à s’occuper de ces enfants pauvres. Il avait  d’abord logé quelques maîtres chez lui, et peu à peu avait compris que les enfants du petit peuple ne pourraient avoir accès à l’école que si elle était entièrement gratuite. Par ailleurs, ces enfants ne pourraient être sauvés que si leur école gratuite était également chrétienne, car pour lui, comme pour beaucoup de gens d’église de son époque, l’évolution sociale ne pouvait s’établir que sur des bases chrétiennes. Jean-Baptiste découvrait sa vraie vocation, et celles de ceux qu’il appellera bientôt “les Frères”.


[1] Ce qui différencie l’artisan de l’ouvrier, c’est que l’artisan a un titre qui lui permet de participer à des réunions publiques et de figurer dans les processions; il est indépendant car il possède l’outil de son travail et il est maître de ses fabrications; enfin sa compétence professionnelle est reconnue. Par contre, l’ouvrier travaille sur des outils qui ne lui appartiennent pas, c’est un non-professionnel, un non-qualifié. Mais, artisans et ouvriers sont des travailleurs manuels peu considérés dans la société du XVIIème siècle, et presque aussi pauvres les uns que les autres.

    

pour toute suggestion ou demande d'informations