Saint Jean-Baptiste De La Salle
(1651-1719)

Première partie

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Quelques rappels historiques

Pour bien comprendre saint Jean-Baptiste De la Salle ainsi que son œuvre, il faut d’abord se resituer dans le contexte historique et social de son époque. Nous sommes en 1680. Jean-Baptiste commence son œuvre. Que s’était-il passé durant les cent années précédentes?

3-1-Situation de l’Église en Europe

3-1-1-Le Concile de Trente (1545-1563)

En 1517, un moine augustin allemand, Martin Luther, professeur à l'université de Wittemberg, avait publié une déclaration en 95 points contenant de nombreux points contestables, voire hérétiques. De son côté, Calvin, réfugié à Bâle, publiait, en 1535, L’Institution chrétienne. Appelé à Genève qu’il gouvernait en dictateur[1], il faisait condamner au feu ceux qui ne partageaient pas ses idées. Au début du 16ème siècle, l’Église, après l’affaire des indulgences et la réforme protestante, se trouvait dans un état lamentable. Face aux hérésies, l’Église catholique se devait de clarifier sa doctrine, mais surtout de se réformer elle-même. Ce fut l’œuvre du Concile de Trente (1545-1563), des grands papes du XVIe siècle et de deux saints évêques: Saint Philippe Néri, (1515-1595), contemporain du Concile de Trente et Saint Charles Borromée, (1538-1584)

On peut considérer que Philippe Néri et Charles Borromée furent les tout premiers hommes d’Église à mettre en application les grandes décisions du Concile de Trente afin de réaliser les réformes demandées. Ces dispositions générales adoptées par le Concile peuvent se résumer comme suit : volonté de réforme de la part de l'ensemble du corps épiscopal, guerre déclarée aux abus de toutes sortes, actions à  engager pour fonder un clergé de qualité et efforts à accomplir en faveur de l'instruction religieuse des fidèles.

3-2-La situation en France

3-2-1-Les guerres de religion

Le roi François II (1559-1560), très jeune et malade, succéda à Henri II et les Guises prirent la direction des affaires en même temps que la défense du catholicisme. À la tête des protestants on trouvait Condé, Coligny, et le roi de Navarre, Antoine de Bourbon.

Charles IX (1560-1574) succéda à son frère, mais ce fut sa mère, Catherine de Médicis qui gouverna en son nom. Pour éviter une guerre civile, un rapprochement fut tenté entre catholiques et protestants: le Colloque de Poissy. Ce fut un échec, et, après le Massacre de Vassy (1562), la guerre civile éclata. Il y eut huit guerres dites de religion, qui durèrent en tout 36 ans. Les deux partis se livrèrent à d’horribles massacres. Condé livra Le Hâvre aux Anglais (1562). François de Guise fut assassiné durant le siège d’Orléans en 1562. La Paix de Saint Germain terminait la 3ème guerre en 1570: quatre place de sûreté étaient accordées aux réformés. En 1572, Charles IX autorisa le Massacre de la Saint Barthélémy, et bientôt, les protestants allaient obtenir une nouvelle place forte: La Rochelle.

Après la mort de Charles IX, son frère Henri III (1574-1589)  accorda aux protestants la paix avantageuse de Beaulieu. La mort du duc d’Anjou, frère d’Henri III faisait du roi de Navarre l’héritier du trône. Mais la France ne voulait pas d’un roi protestant... Ce fut la guerre dite des Trois Henri, entre Henri III, Henri de Navarre, et Henri de Guise. Henri III fit assassiner le duc de Guise (1588) et fut lui-même poignardé par un moine fanatique. (1589)

3-2-2-Fin des guerres de religion en  1598

Henri de Navarre (1589-1610), successeur de Henri III, roi légitime bien que protestant, commença la conquête de son royaume ravagé par les guerres de religion. Face aux prétentions du roi d’Espagne Philippe II, Henri IV dut abjurer l’hérésie en 1593 pour rétablir la paix. Il chassa les Espagnols à la bataille de Fontaine Française en 1595, et promulga l’Édit de Nantes en 1598.

3-2-3-La France sous Henri IV (1589-1610) et Louis XIII (1610-1643)

La paix était enfin rendue à la France, mais la misère était partout affreuse. Henri IV travailla au rétablissement de la prospérité et améliora la condition des paysans. Mais il fut assassiné par Ravaillac, le 14 mai 1610. Louis XIII (1610-1643)  était âgé de neuf ans à la mort de Henri IV. Marie de Médicis nommée régente, donna toute sa confiance à l’italien Concini. Mais Condé et les “grands” de la noblesse se révoltèrent et les protestants devenaient menaçants. En 1624, le Cardinal de Richelieu fut appelé au pouvoir. Jusqu’à sa mort il poursuivit un triple but: abaisser le parti protestant, la noblesse et la maison d’Autriche. Malgré l’appui de l’Angleterre, les protestants perdirent leur place-forte de La Rochelle (1628). Les grands durent se soumettre, et tous les pouvoirs furent concentrés entre les mains du roi. À la mort de Louis XIII, en 1643, l’unité de gouvernement était bien établie dans la France entière.

3-2-4-L’Église en France

Le concile de Trente s’était achevé en 1563. Ce n’est qu’après une longue période de latance, que vint, en France, une période riche en saintetés, appelée plus tard L’École Française de Spiritualité. Malheureusement la venue du jansénisme et son austérité désespérante freinèrent les immenses efforts entrepris, et il fallut la volonté, la prière et la souffrance de nombreux saints pour que l’on redécouvre l’immense miséricorde de Dieu et tout l’amour de son Cœur Sacré. Parmi ces nombreux saints, nous pouvons citer: saint Jean Eudes (1601-1680), Jean-Jacques Olier (1608-1657) fondateur du séminaire de Saint Sulpice, saint Claude La Colombière (1641-1682), sainte Marguerite-Marie (1647-1690), saint Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716) et, enfin, Jean-Baptiste De La Salle (1651-1719).

3-3-Après la Guerre de Trente ans et jusqu’en 1715

Pendant tout ce temps, l’Europe entière était ravagée par la Guerre de trente ans (1618-1648). En effet, depuis Luther, l’Allemagne était, elle aussi, déchirée par les querelles religieuses. Les conflits se multipliaient. La Réforme avait pénétré en Bohême et en Hongrie. L’empereur Rodolphe II était impuissant à rétablir la paix entre les deux ligues, plus politiques que religieuses. En France, un nouveau conflit allait éclater: la Fronde.

3-3-1-La Fronde (1648)

En 1648, la guerre de Trente ans se terminait, mais, en France, la Fronde allait éclater. Louis XIV n’avait que 5 ans à la mort de Louis XIII en 1643. Mazarin fut appelé par la Régente, Anne d’Autriche. C’est alors que le Parlement décida de modifier la Constitution, ce qui entraîna une guerre civile. La première Fronde appelée Fronde parlementaire se termina par la paix de Rueil en 1649. Vint ensuite la Fronde féodale. Condé mécontent, s’allia aux Espagnols et Mazarin dut s’exiler à Cologne. C’est dans ce contexte que naquirent, en 1647, Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690) à qui le Seigneur Jésus révélera son Sacré-Cœur, et en 1651, Jean-Baptiste De La Salle, fondateur des Frères des Écoles Chrétiennes.

3-3-2-La France et l’Europe jusqu’en 1661

En 1653, Louis XIV, âgé de quinze ans, put rentrer à Paris et Mazarin revint. L’Espagne fut enfin vaincue aux Dunes en 1658, et la paix des Pyrénées fut signée. Louis XIV épousa Marie-Thérèse fille de Philippe IV d’Espagne. Sur le plan politique l’œuvre entreprise par Richelieu se concluait bien. Cependant les rivalités multiples et les guerres, qui continuaient à ravager l’Europe, permirent qu’à la mort de Mazarin en 1661, la France apparût comme le premier pays européen. Le siècle de Louis XIV pouvait s’épanouir, mais la misère du peuple était effroyable. Les guerres et les fêtes versaillaises achevaient de ruiner la France.

3-3-3-Le Siècle de Louis XIV

La religion catholique était la religion du royaume de France. En vertu du Concordat de 1516, le roi nommait les évêques et les abbés. Peu à peu l’esprit du Concile de Trente s’imposait. Beaucoup d’Ordres anciens se réformèrent et de nouveaux Ordres furent fondés, surtout dans le but de soulager les misères terribles, tant matérielles que spirituelles. On peut citer, parmi beaucoup d’autres: la Visitation de saint François de Sales et de sainte Jeanne de Chantal, l’Oratoire du Cardinal de Bérulle, la Société des Prêtres de Saint Sulpice fondée par Mr Olier, les Lazaristes et les Filles de la Charité de saint Vincent de Paul, et, enfin, les Frères des Écoles Chrétiennes de Jean-Baptiste De La Salle...  Ce sont ces mouvements spirituels exceptionnels tant par leur nombre que par leur efficacité qui ont constitué ce que l’on a appelé plus tard “L’École Française de Spiritualité”. C’est dans ce mouvement spirituel intense que va œuvrer  Saint Jean-Baptiste de La Salle.

Malheureusement la paix religieuse fut encore troublée par de nouvelles querelles, souvent proches de l’hérésie: le Gallicanisme, le Jansénisme, ou le Quiétisme. Cependant, malgré ses difficultés, l’Église pousuivait ses missions lointaines: le pape Grégoire XV institua la Congrégation de la propagande, en 1622. En 1663, le Séminaire de la société des Missions étrangères s’ouvrait à Paris, consacré essentiellement à l’Extrême-Orient. Des jésuites français fondèrent des missions au Canada. Les franciscains étaient presque partout dans le monde. Bientôt l’œuvre des Écoles chrétiennes et gratuites de Jean-Baptiste De La Salle pourra se développer.

3-4-L’École Française de spiritualité

Après le Concile de Trente, l’Église catholique disposait de tous les moyens nécessaires pour se réformer. Il aurait fallu se hâter, mais,  curieusement, malgré les efforts de quelques saints, de nombreux responsables hiérarchiques ne semblaient pas tellement pressés de suivre les conseils préconisés par le Concile. Sur le plan social, la misère à cette époque était immense: la France  était sans cesse ravagée par de multiples guerres et des froids intenses suscitant des épidémies et des famines. Sur le plan spirituel et moral, les populations n’étaient plus évangélisées, et le clergé qui ne recevait presque aucune formation, vivait dans un grand laisser-aller. Et pour couronner le tout, les populations rurales, affamées et démunies de tout, se réfugiaient dans les grandes villes, croyant trouver la solution à leur misère. C’est ainsi que se forma une population très pauvre, ancêtre de ce que l’on appellera plus tard la classe ouvrière.

Ainsi tout était à refaire dans la société chrétienne en péril: mais seuls la prière et le sacrifice dans ce qu’ils ont de plus fort, et une solide et rigoureuse éducation donnée aux enfants, pouvaient la sauver. C’est ce à quoi vont s’attacher les nombreux saints que Dieu va susciter. Leur action spirituelle et humanitaire s’étalera sur tout le XVIIème siècle, et c’est cette spiritualité sévère, source des innombrables œuvres accomplies, que l’on appellera plus tard l’École Française de Spiritualité. Cette richesse de sainteté est probablement ce qui a permis à l’Église d’affronter de nouvelles et graves hérésies, comme le quiétisme ou le jansénisme.

Quelqu’un de non averti pourrait être tout à fait décontenancé par la spiritualité de ceux qui ont “fait” l’École Française de Spiritualité: radicalité des conversions, mise en valeur, que nous pouvons juger excessive, de la souffrance, de la pénitence et des mortifications. La spiritualité de l’École Française est en effet très rude, et dans un premier temps elle peut sembler décourageante: la sainteté qu’elle propose n’est pas à notre portée. L’austérité des saints de cette époque était telle que, parfois, on ne peut s’empêcher, toutes questions théologiques évitées, de penser au jansénisme, cette hérésie qui oubliait l’amour de Dieu et la tendresse du Christ. Mais tout était à refaire, et il fallait prendre les grands moyens.    

Quand les efforts entrepris et les nombreuses missions réalisées eurent porté tous leurs fruits, on vit apparaître, rayonnante et souveraine, toute la tendresse du Cœur de Jésus. C’est comme si le long et rude travail des maîtres de l’École Française, n’avait été mené que dans un seul et unique but: révéler, grâce à saint Jean Eudes et à Marguerite-Marie, les merveilles des Cœurs de Jésus et de Marie, et toute la tendresse du Sacré-Cœur. Le terrain pour les écoles chrétiennes et gratuites se préparait.

3-5-Le jansénisme

Cornelius Jansen, professeur à l’université de Louvain, puis évêque d’Ypres en 1636, ami intime de Jean Duvergier de Hauranne, Abbé de Saint-Cyran, avait prolongé ses réflexions et entamé, vers 1628, la rédaction d’un énorme ouvrage destiné à développer la pensée de Saint Augustin. Le Jansénisme, issu de ce courant théologique augustinien, fut introduit en France par l’intermédiaire de Saint-Cyran. Mais ce n’est pas l’évêque Jansen qui répandra ce que l’on considérera bientôt comme une grave hérésie: son livre, l’Augustinus (1300 pages), ne fut, en effet, publié qu’après sa mort en 1640.

Pour être bref tout en restant précis, le jansénisme, c’est, grossièrement, une doctrine erronée sur la grâce, conduisant à une rigueur morale extrême. Selon Jansen, l’homme est définitivement corrompu par la faute originelle. Irrémédiablement entraîné vers le mal, il ne peut être sauvé que par une grâce gratuite de Dieu.


[1] La ville de Genève était entrée dans la Confédération suisse en 1530. Elle s’était orientée vers la nouvelle foi, sous la direction de Calvin, qui se croyait, lui aussi, appelé à rétablir le christianisme dans sa pureté primitive.

 

    

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