
Saint Jean-Baptiste
De La Salle
(1651-1719)
Troisième
partie
La
spiritualité de
Saint-Jean Baptiste De La Salle

Préliminaires
Spiritualité et éducation
Il est impossible de séparer la
spiritualité de saint Jean-Baptiste De La Salle de sa pédagogie tant elles sont
liées à l'histoire de sa vie et à l’impulsion, quasiment irrésistible de son
époque, qui concernait l'éducation chrétienne des peuples. Jean-Baptiste De La
Salle fut d'abord, bien malgré lui, le fondateur
d'un
des principaux mouvements consacrés à l'éducation de la jeunesse. Et, comme
plusieurs autres personnalités dévouées à l’éducation, il fut, lui aussi,
conduit à instituer une communauté qui lui a survécu.
Cependant, pour des raisons de
commodité nous étudierons sépareront la spiritualité de Saint-Jean-Baptiste De
La Salle et sa pédagogie. Mais il importe d’avoir sans cesse à l’esprit que son
œuvre est une, et que sa pédagogie s’appuie sur sa spiritualité, et
réciproquement. Si l’on méconnaît la spiritualité de Jean-Baptiste De La Salle,
on ne peut pas comprendre sa pédagogie, et inversement, il ne faut jamais
oublier que sa spiritualité, orientée vers Dieu, comme toutes les vraies
spiritualités, a toujours pour but le service et le salut des pauvres et surtout
des enfants pauvres.
NOTA: Tous les textes en
italique sont extraits des œuvres de saint Jean-Baptiste De La Salle.
La vocation des Frères.
À l'occasion de la fête de saint
Joachim, Jean-Baptiste de La Salle résume en quelque sorte ce qui fait la
vocation des Frères et toutes ses difficultés.
Dieu ne vous a pas fait moins
d’honneur qu’à saint Joachim, en vous mettant dans l’emploi où vous êtes,
puisqu’il vous a destinés pour être les pères spirituels des enfants que vous
instruisez; car si ce saint a été choisi pour être le père de la très sainte
Vierge, vous êtes destinés de Dieu pour engendrer des enfants à Jésus-Christ, et
même pour produire et engendrer Jésus-Christ dans leurs cœurs. Peut-on dire que
vous soyez entrés en cela dans les desseins de Dieu sur vous?... (MF 157)
Ce qui a fait obtenir à saint
Joachim la faveur d’être le père de la sainte Vierge ont été ses jeûnes, et ses
prières continuelles... Et on ne saurait trop se servir de ces deux remèdes
contre les peines et les tentations dont on est quelquefois accablé en cette
vie. Dieu nous fera, par ces deux moyens, toutes les grâces dont nous aurons
besoin. C’est pourquoi vous êtes obligés, dans l’emploi que vous exercez, d’y
recourir le plus souvent qu’il vous sera possible, surtout quand vous aurez
quelque chose à demander à Dieu pour ceux dont vous êtes chargés... (MF 157)
La vertu ne peut se cacher: lorsqu’elle éclate, elle attire à elle; et
l’exemple qu’on en donne fait... que la plupart sont portés à l’imiter. Est-ce
là le fruit que produisent, à l’égard de vos écoliers votre sage conduite et
votre piété? (MF 158)
Généralités
L'esprit de foi
L’esprit de foi est une
participation de l’Esprit de Dieu résidant en nous, qui fait que nous nous
réglons et nous conduisons en toutes choses par des sentiments et des maximes
que la foi nous enseigne. (LI 105)
La vocation d'éducateur telle que
la propose saint Jean-Baptiste De La Salle est exigente. Aussi doit-elle
s'appuyer sur un profond esprit de foi. En effet, la tâche, colossale, à
laquelle dut se consacrer Jean-Baptiste De La Salle, fut souvent entravée par
ceux-là mêmes qui auraient dû la soutenir, et c’est seulement grâce à sa
ténacité et à son esprit de foi remarquable qu’il put la mener à bien. La
plupart de ses écrits mettent en évidence son esprit de foi, et la première
Règle mentionnait déjà que la fidélité des membres de cette communauté dépendait
avant tout de ce qu'il appelait leur “esprit de foi”: L'esprit de cet
institut est un esprit de foi qui engage les Frères à ne rien envisager que par
les yeux de la foi, à ne rien faire que par la vue de Dieu, à attribuer tout à
Dieu.”
Jean-Baptiste De La Salle revient
souvent sur la foi, et il multiplie ses conseils: “Que votre premier soin
soit de vous conduire par esprit de foi... par la foi et par la parole de
Jésus-Christ, la faisant la règle de votre conduite... Fuyez la nouveauté,
suivez la tradition de l’Église... Que votre foi soit agissante et animée de la
charité... car le premier effet de la foi est de nous attacher fortement
à la connaissance, à l’amour, à l’imitation et à l’union de Jésus-Christ. (R
15, 1, 1 à 3)
Jean-Baptiste n’hésitera pas à dire
“que la foi doit toujours accompagner l’obéissance, qu’elle doit en être le
principe et la fin unique, sans quoi elle ne serait pas une vertu chrétienne et
religieuse, telle qu’elle doit l’être pour convenir à l’état des Frères.”
(R 15, 2, 4) Il dira aussi à ses Frères: Votre foi doit être pour vous
une lumière qui vous guide partout et une lumière ardente pour ceux que vous
instruisez, pour les conduire dans la voie du Ciel. (MF 178)
Ainsi, vouloir conduire ses élèves
sur le chemin du Ciel est une décision audacieuse de la part des Frères. C'est
aussi leur vocation, vocation redoutable qui exige une spiritualité profondément
ancrée dans la prière et l'oraison.
Le zèle
Pour Jean-Baptiste De La Salle,
“regarder avec les yeux de la foi“ signifie d'abord nouer une relation avec
“Quelqu'un”. Notre Dieu n’est pas un Dieu lointain. "L'Esprit de foi
s'épanouit chez les Frères en un zèle ardent pour ceux qui leur sont confiés,
afin de les disposer à l'accueil du salut révélé en Jésus-Christ."
De cette spiritualité jaillira le
zèle, nécessaire quand il s'agit de l'éducation des enfants pauvres,
matériellement ou spirituellement. Ce zèle devra être fortement appuyé sur une
pédagogie adaptée, tendrement aimante, constamment ferme, voire intransigeante.
Ainsi, chez saint Jean-Baptiste De La Salle, spiritualité et pédagogie sont
indissociables. Cependant, pour des raisons de clarté, spiritualité et pédagogie
seront traitées séparément.
Dans le recueil des différents
traités de Jean-Baptiste De La Salle, (R) il est écrit au paragraphe (R 11,
1,6): L’esprit de cet Institut consiste dans un zèle ardent d’instruire les
enfants et de les élever dans la crainte de Dieu, de les porter à conserver leur
innocence, s’ils ne l’ont pas perdue, et de leur donner beaucoup d’éloignement
et une très grande horreur pour le péché et pour tout ce qui leur pourrait faire
perdre la pureté.
Pour Jean-Baptiste de La Salle, la
relation essentielle entre la “foi” et le “zèle” apparaît dans la plupart de
ses écrits, l'une des références les plus explicites se trouvant dans la
Méditation n° MF
87 concernant Saint Etienne, le premier martyr: “C'est ainsi que la foi vous
doit faire agir, et que vous devez faire connaître, comme lui, par votre
conduite, que vous étes de véritables disciples de Jésus-Christ, n'ayant que
Dieu en vue de vos actions, et annonçant, avec autant de hardiesse et
d'intrépidité que lui, les maximes du Saint Evangile. Et ce qui doit en cela
fortifier votre zèle, aussi bien que votre foi, c'est que vous les annoncez en
qualité de ministres de Dieu.”
À l’occasion de la fête de saint
Cyprien, Jean-Baptiste rappelle la nécessité, pour les Frères, de méditer
constamment les maximes de l’Évangile, tant pour travailler à leur
sanctification que pour procurer celle des autres... Saint Cyprien avait
surtout un soin particulier pour les pauvres. Quand on s’est fait volontairement
pauvre pour imiter Jésus-Christ, on aime aussi, comme lui, ceux que Dieu a faits
pauvres. Vous avez tous les jours des enfants pauvres à instruire; aimez-les
tendrement comme a fait ce saint, suivant en cela l’exemple de Jésus-Christ...
Êtes-vous dans cette disposition? Elle vous est nécessaire si vous voulez faire
du fruit dans votre emploi. (MF 166)
La vie parfaite et
l'oraison
Le zèle des Frères, intimement lié
à l’esprit de foi doit donc être très grand. Pour que ce zèle soit celui que
Dieu désire, “il faut, dit Jean-Baptiste De La Salle, faire ses
actions avec la perfection que Dieu demande de nous; il faut surtout prendre
garde et n’en faire aucune avec légèreté et précipitation. Pour cela,
Jean-Baptiste De La Salle propose et développe pour ses Frères un certain nombre
de méthodes concernant le lever et le début de la matinée, l’oraison, soutien
de toutes les vertus, l’office, la sainte messe, l’examen de conscience, le
silence, etc... En ce qui concerne l’oraison on retrouve chez saint
Jean-Baptiste De La Salle une des dominantes de l’École Française de
Spiritualité: l’austérité. Il écrit:
Ne cherchez rien de sensible dans l’oraison, attachez-vous à ce qui est de la
foi et qui porte à la haine et à la destruction du péché, au détachement des
choses créées, à l’imitation de Jésus-Christ et à l’exercice des vertus qu’il a
pratiquées, tâchant de l’imiter le plus parfaitement qu’il vous sera possible...
Persévérez continuellement dans
l’oraison... Portez-vous-y même avec plus d’affection lorsque vous êtes dans les
sécheresses et dans les tentations, quelque peine ou quelque difficulté que vous
y ayez... Croyez que vous êtes trop heureux que Dieu ne vous abîme point pour
vos péchés et que c’est beaucoup pour vous qu’il vous souffre en sa sainte
présence.
Et pour parfaire cette rigueur, le
fondateur des Frères des Écoles Chrétiennes insiste sur la nécessité de se bien
préparer à la sainte messe et de lire les Livres saints: Pour entrer dans les
dispositions du prêtre au commencement de la sainte messe, il faut se tenir dans
une profonde humilité, se présentant à Dieu comme un misérable accablé du poids
de ses péchés, et indigne pour cet effet d’assister à son saint sacrifice et de
lui rendre l’honneur et les devoirs d’adoration que lui rend l’Église par le
prêtre et avec le prêtre...
Si vous voulez être pleins de
l’Esprit de Dieu, et tout à fait capables de votre emploi, faites surtout votre
étude des saints livres de l’Écriture, et particulièrement du Nouveau Testament,
afin qu’il serve de règle de conduite, et à vous, et à tous ceux que vous
instruisez... Vous êtes obligés de savoir pour enseigner; mais persuadez-vous
que vous apprendrez plus l’Évangile en le méditant qu’en l’apprenant par cœur.
(MF 170)
Cependant il convient d'ajouter
qu'aucune vie d'oraison n'est possible sans le recueillement intérieur. Voici un
conseil important: Estimez et gardez volontiers le silence, car il est le
gardien de toutes les vertus et l’obstacle à tous les vices, puisqu’il empêche
les médisances et toutes les paroles contre la charité, la vérité et la
modestie, et qu’il fait qu’on ne s’occupe que des choses nécessaires, et qu’on
ne se dissipe pas par des entretiens trop extérieurs et par des paroles
inutiles. Considérez souvent qu’un homme qui n’est pas retenu en paroles ne peut
pas devenir spirituel, et qu’un moyen sûr pour être bientôt parfait est de ne
pas pécher par sa langue. (R, 14, 11, 1)
Enfin, il convient d’ajouter que,
outre le silence, le saint fondateur insiste sur d’autres vertus comme la
régularité, la mortification de l’esprit et des sens, sur la patience, la
modestie, la tempérance, la pauvreté, toutes vertus chrétiennes. Mais il revient
sans cesse à l’humilité: “Considérez cette vertu comme le fondement de toutes
les autres vertus morales, sans laquelle on ne peut avoir aucune solide piété,
puisque la piété sans humilité n’est ordinairement qu’une pure hypocrisie ou
illusion. Pour acquérir cette vertu, il faut travailler fortement à se
connaître: connaître ce qu’on a été par le passé... ce que l’on est
présentement, ce qu’on sera à l’avenir, le néant d’où nous sommes tirés, les
péchés que nous avons commis, la colère de Dieu que nous avons irrité, et enfin
l’enfer que nous avons mérité.
Souvenez-vous souvent et soyez
persuadé que vous êtes le plus faible et le plus imparfait de tous... Considérez
que Dieu se sert de vous comme d’un vil instrument et que vous n’êtes propre
qu’à attirer sa malédiction... Fuyez les louanges et les approbations des
hommes... Souffrez au contraire, humblement, les mépris et les rebuts que l’on
fera de vous comme d’une chose très juste. (R 15, 8)



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