

Le Combat Spirituel
CHAPITRE XLVI
De l’oraison qui se fait voie de méditation
Si vous voulez prier pendant un certain espace de temps, une
demi-heure, une heure, ou plus encore, vous devez joindre à l’oraison la
méditation de la vie et de la Passion de Jésus-Christ, en appliquant chacune de
ses actions à la vertu que vous voulez acquérir. Si vous désirez, par exemple,
obtenir la vertu de patience, vous choisirez pour sujet de méditation quelques
circonstances de la flagellation. Vous considérerez premièrement, comment les
soldats, sur l’ordre de Pilate, traînèrent le Sauveur au lieu désigné pour la
flagellation, en l’accablant de cris de haine et de railleries sanglantes.
Deuxièmement, comment les bourreaux le dépouillèrent de ses vêtements et
laissèrent son corps très pur exposé aux regards du public. Troisièmement,
comment ses mains innocentes fortement serrées l’une contre l’autre par des
liens cruels furent ensuite attachées à colonne. Quatrièmement, comment son
corps déchiré et mis en lambeaux, à coups de fouets, inonda la terre de
ruisseaux de sang. Cinquièmement, comment les coups ajoutés aux coups
renouvelaient et aggravaient sans cesse ses blessures. Vous étant ainsi proposé
pour acquérir la patience de méditer sur ces différents points, vous vous
exciterez d’abord par l’imagination à ressentir le plus vivement possible les
douleurs amères et les tourments affreux que votre bien-aimé Sauveur endurait
dans chacun de ses membres adorables et dans son corps tout entier. Passant
ensuite à son âme très sainte, vous essayerez de vous représenter la patience et
la mansuétude avec laquelle il a supporté ces incroyables douleurs, et la soif
insatiable qu’il avait de souffrir des tourments plus grands et plus atroces
encore pour la gloire de son Père et pour notre salut. Cela fait, considérez
comme votre divin Sauveur brûle du désir de vous voir endurer patiemment votre
affliction ; voyez comme il se tourne vers son Père et le conjure de vous
accorder la grâce de porter avec résignation la croix qui vous afflige en ce
moment ou tout autre qu’il lui plaira de vous envoyer. Efforcez-vous alors de
fléchir votre volonté pour l’amener à supporter patiemment ses épreuves, et
tournez votre pensée vers le Père céleste. Remerciement d’abord de l’amour
immense qui l’a poussé à envoyer son Fils unique sur la terre, afin qu’il y
souffrît d’affreuses tortures et qu’il y intercédât pour nous ; demandez-lui
ensuite la vertu de patience au nom des souffrances et des prières de son divin
Fils.
CHAPITRE XLVII
D’une autre manière de prier par voie de
méditation
Vous pourrez, pour prier et méditer, suivre une autre méthode
encore. Après avoir considéré attentivement les afflictions du Sauveur et avoir
vu des yeux de l’esprit son empressement à les embrasser, vous passerez de la
grandeur de ses tourments et de sa patience à deux autres considérations. L’une
aura pour objet ses mérites infinis. L’autre, le contentement et la gloire que
la parfaite obéissance de Jésus souffrant a procurés à son Père céleste. Vous
pourrez appliquer ce mode d’oraison non seulement à tous les mystères de la
Passion de Notre Seigneur, mais à tous les actes, soit intérieurs, soit
extérieurs, qu’il faisait en chacun de ces douloureux mystères.
CHAPITRE XLVIII
Comment nous pouvons méditer en prenant pour
sujet de méditation
la bienheureuse Vierge Marie
Outre les diverses manières de méditer et de prier que nous
venons d’indiquer, en voici une autre qui se fait en prenant la Sainte Vierge
pour sujet d’oraison. Vous la pratiquerez en tournant votre pensée d’abord vers
le Père éternel, ensuite vers le doux Jésus, et en dernier lieu vers sa très
glorieuse Mère. À l’égard du Père éternel, vous considérerez deux choses. La
première est la complaisance qu’il a eue de toute éternité en contemplant la
Vierge Marie en lui-même, avant qu’il ne l’eût tirée du néant. La seconde, les
vertus et les actions de Marie depuis le premier instant de son existence. Voici
comment vous méditerez sur le premier point. Élevez-vous par la pensée au-dessus
de tous les temps et de toutes les créatures et, pénétrant jusqu’au sein de
l’éternité et de l’entendement divin, considérez avec quelle satisfaction le
Père éternel contemplait dans son essence celle qu’il destinait pour Mère à son
Fils unique ; et trouvant Dieu lui-même en ces délices, conjurez-le, en leur
nom, de vous accorder la force dont vous avez besoin pour terrasser vos ennemis
en général, et en particulier celui qui vous presse en ce moment de ses
attaques. Passant ensuite à la considération des vertus sans nombre et des
actions héroïques de cette Mère très sainte, présentez-les à Dieu toutes
ensemble ou chacune en particulier, et demandez en leur nom à son infinie bonté
les grâces qui vous sont nécessaires. Tournant ensuite votre pensée du côté de
votre divin Sauveur, vous lui rappellerez ce sein virginal qui l’a porté durant
neuf mois ; le respect avec lequel, après sa naissance, la Vierge très pure
l’adora et le reconnut tout ensemble pour vrai homme et vrai Dieu, pour son Fils
et son Créateur ; les sentiments de compassion qu’elle éprouvait en le voyant si
pauvre, l’amour avec lequel elle le pressait sur son cœur, les baisers si doux
qu’elle déposait sur ses lèvres divines, le lait dont elle le nourrit, les
fatigues et les angoisses qu’elle soutint durant sa vie et à sa mort. En
évoquant ces souvenirs, vous ferez au cœur de son Fils une douve violence pour
l’amener à exaucer votre prière. Vous tournant enfin vers la très Sainte Vierge,
dites-lui que la Providence et la bonté divine l’ont destinée de toute éternité
à devenir la Mère de la grâce et de la miséricorde, et l’avocate des pécheurs ;
et que, par conséquent, elle est, après son divin Fils, notre plus sûr et notre
plus puissant refuge. Rappelez-lui encore cette parole écrite à son sujet et
confirmée par tant de miracles, que jamais on ne l’a invoquée avec foi sans
avoir ressenti les effets de sa miséricorde. Enfin, vous lui mettrez sous les
yeux les tourments que Jésus-Christ a endurés pour notre salut, et vous la
supplierez de vous obtenir, pour la gloire et la consolation de ce Fils si cher,
la grâce de profiter de ses souffrances.
CHAPITRE XLIX
De quelques considérations qui doivent nous
engager à recourir
avec foi et confiance à la Vierge Marie
Si vous voulez, dans vos nécessités, recourir avec foi et
confiance à la Vierge Marie, voici quelques considérations qui vous seront d’un
grand secours. Premièrement, l’expérience nous montre que les vases où il y a eu
du musc ou du baume en retiennent le parfum, surtout si la substance odorante y
a séjourné longtemps et s’il en reste quelque peu. Et cependant le musc et les
parfums les plus précieux n’ont qu’une vertu limitée et finie. De même, encore,
celui qui est demeuré près d’un grand feu en conserve la chaleur longtemps après
s’en être éloigné. Cela étant, de quel feu de charité, de quels sentiments de
clémence et de miséricorde ne doivent pas être embrasées et remplies les
entrailles de cette Vierge incomparable qui a porté durant neuf mois dans son
sein virginal, et qui porte encore dans son cœur et dans son amour celui qui est
par essence charité, clémence et miséricorde, le Verbe incréé dont la vertu ne
connaît ni bornes ni limites. De même qu’on ne peut approcher d’un grand feu
sans participer à la chaleur qu’il dégage, ainsi et à plus forte raison encore,
on ne peut approcher avec humilité et confiance du foyer de charité, de
miséricorde et de clémence qui brûle sans cesse au cœur de la Vierge Marie, sans
en recevoir une multitude de faveurs et de bienfaits précieux. Plus nous nous en
approcherons souvent, plus notre confiance sera vive, et plus aussi seront
abondantes les grâces que nous en retirons. Deuxièmement, jamais aucune créature
n’eut autant d’amour pour Jésus-Christ, autant de soumission à sa volonté que sa
très sainte Mère. Si donc ce divin Sauveur qui a souffert durant toute sa vie,
qui s’est sacrifié tout entier pour le salut de pauvres pécheurs comme nous, si
ce Sauveur, dis-je, nous a donné pour mère et avocate sa propre Mère, afin
qu’elle nous vînt en aide et fût après lui la médiatrice de notre salut, comment
comprendre jamais que cette Mère et cette avocate nous abandonne et devienne à
ce point rebelle à la volonté de son Fils ? Recourez donc dans toutes vos
nécessités à la Vierge, Mère de Dieu, avec une confiance sans bornes. Cette
confiance sera pour vous un trésor inépuisable, un refuge assuré et une source
intarissable de grâce et de miséricorde.
CHAPITRE L
Comment nous pouvons dans l’oraison nous
aider du secours
et de l’intermédiaire des anges et des saints
Pour vous servir dans l’oraison du secours et de la
protection des anges et des saints voici les deux moyens que vous pouvez
prendre. Le premier, c’est de vous adresser au Père éternel, de lui représenter
l’amour et les louanges dont l’honore toute la cour céleste ; les fatigues et
les peines que les saints ont endurées sur la terre pour son amour ; et de
conjurer en leur nom sa divine majesté de vous accorder les secours qui vous
sont nécessaires. Le second moyen, c’est de recourir à ces esprits glorieux qui,
non contents de désirer notre perfection, nous souhaitent une gloire plus élevée
que celle dont ils jouissent dans le ciel ; vous les prierez donc instamment de
vous aider à vaincre vos passions et à triompher de vos ennemis, et de vous
défendre à l’article de la mort. Mettez-vous parfois aussi à considérer les
grâces nombreuses et privilégiées qu’ils ont reçues du Créateur souverain ;
excitez en votre cœur de vifs sentiments d’amour pour eux, et réjouissez-vous
des dons que Dieu leur a prodigués, comme s’ils vous avaient été accordés.
Réjouissez-vous même, si c’est possible, de ce que ces faveurs leur ont été
accordées de préférence à vous-même, parce que telle a été la volonté de Dieu ;
que ce soit là pour vous un motif de le louer et de le remercier. Pour pratiquer
cet exercice avec méthode et facilité, vous pourrez partager les jours de la
semaine entre les divins ordres des bienheureux et consacrer de la sorte :
• Le
dimanche aux neufs chœurs des anges.
• Le lundi à saint Jean-Baptiste.
• Le
mardi aux patriarches et aux prophètes.
• Le mercredi aux apôtres.
• Le jeudi
aux martyrs.
• Le vendredi aux pontifes et aux autres saints.
• Le samedi aux
vierges et aux autres saintes.
Mais n’oubliez pas de recourir chaque jour à la
Vierge Marie, Reine de tous les saints, à votre saint ange gardien, à saint
Michel archange et à tous vos saints protecteurs. Chaque jour aussi, demandez à
la Sainte Vierge, à son divin Fils et au Père éternel qu’ils daignent vous
donner pour principal avocat et protecteur Saint Joseph, époux de Marie ; et
vous adressant ensuite à ce grand saint, priez-le avec confiance de vous
recevoir sous sa protection. Innombrables sont les merveilles que l’on rapporte
avoir été opérées par cet illustre patriarche, et les faveurs signalées qu’en
ont reçues tous ceux qui l’ont honoré et qui l’ont invoqué dans leurs nécessités
spirituelles et temporelles. Il se plaît surtout à se faire le guide des
personnes pieuses dans l’oraison et les exercices de la vie intérieure. Si Dieu
honore tant les autres saints parce qu’ils l’ont servi et honoré en ce monde, de
quelle considération et de quelle puissance ne doit pas jouir auprès de lui ce
très humble et très glorieux patriarche qu’il a honoré lui-même sur la terre
jusqu’à vouloir se soumettre à lui et lui obéir comme un fils obéit à son père.
CHAPITRE LI
Des diverses affections que nous pouvons
tirer de la Passion de Jésus-Christ
Ce que j’ai dit plus haut touchant la Passion du Sauveur
avait pour but de vous enseigner à prier et à méditer par voie de demande ; nous
allons voir maintenant de quelle manière nous pouvons tirer du même sujet
diverses affections pieuses. Vous vous proposez, je suppose, de méditer sur le
crucifiement. Vous pouvez, entre autres circonstances de ce mystère, considérer
celles qui suivent. Premièrement, comment les bourreaux arrivés au sommet du
Calvaire dépouillèrent violemment le divin Sauveur et mirent en lambeaux sa
chair virginale que le sang des blessures avait collée à ses vêtements.
Secondement, comme on lui ôta sa couronne d’épines et comment, en la replaçant
sur sa tête, on lui fit de nouvelles blessures. Troisièmement, comment on
l’attacha à la croix à coups de marteaux, avec d’énormes clous. Quatrièmement,
comment ces bourreaux cruels, voyant que les mains et les pieds n’arrivaient pas
aux ouvertures destinées à recevoir les clous, les tirèrent si violemment que
ses os disjoints pouvaient se compter un à un. Cinquièmement, comment, élevé sur
cette croix où il n’était soutenu que par les clous, le Sauveur sentit ses
plaies sacrées s’élargir avec d’incroyables tourments sous le poids de son
corps. Si vous voulez par ces considérations, ou d’autres semblables, exciter
des sentiments d’amour en votre cœur, efforcez-vous d’arriver par la méditation
à une connaissance de plus en plus parfaite de la bonté infinie de votre
Sauveur, et de l’amour qu’il vous a témoigné en voulant endurer pour vous de si
cruelles souffrances ; car plus cette connaissance se perfectionnera en vous,
plus aussi s’accroîtra votre amour. De la connaissance de la bonté et de l’amour
infini que Jésus vous a témoignés, vous arriverez sans peine à concevoir une
douleur profonde d’avoir si souvent et si indignement offensé un Dieu abreuvé
d’outrages et de tortures en expiation de vos iniquités. Pour vous exciter à
l’espérance, considérez que le Maître souverain de toutes choses a été réduit à
cet excès de misère pour détruire le péché, vous délivrer des pièges du démon et
expier vos fautes personnelles ; qu’il a voulu par là vous rendre propice son
Père éternel et vous encourager à recourir à lui dans tous vos besoins. Votre
douleur se convertira en joie si des souffrances du divin Sauveur vous passez à
la considération des effets qu’elles ont produits, si vous songez que par sa
Passion il a effacé les péchés du monde, apaisé le courroux de son Père,
confondu le prince des ténèbres, détruit la mort et rempli les places laissées
vides par les anges prévaricateurs. Votre bonheur s’accroîtra encor au souvenir
de la joie que la Rédemption causa à la Sainte Trinité, à la Sainte Vierge, à
l’Église triomphante et à l’Église militante. Pour vous exciter à la haine du
péché, concentrez tous les points de votre méditation sur cette pensée unique
que le Sauveur n’a tant souffert que pour vous faire haïr vos mauvaises
inclinations, et principalement celle qui domine en vous et qui déplaît le plus
à sa divine bonté. Pour éveiller en vous des sentiments d’admiration, considérez
s’il est un prodige plus étonnant que de voir le Créateur de l’univers, l’auteur
de la vie, persécuté jusqu’à la mort par ses créatures, de voir la majesté
suprême avilie et foulée au pieds, la justice condamnée, la beauté suprême
souillée de crachats, l’amour du Père céleste devenu un objet de haine, la
lumière incréée et inaccessible tombée au pouvoir des ténèbres, la gloire et la
félicité même regardée comme l’opprobre du genre humain et plongée dans un abîme
de misères. Pour compatir aux douleurs de votre divin Maître, ne vous contentez
pas de méditer ses souffrances corporelles mais scrutez par la pensée les peines
incomparablement plus grandes qu’il a endurées dans son âme. Que si les
premières vous touchent, comment les autres pourraient-elles ne pas vous fendre
le cœur ? L’âme de Jésus-Christ voyait la divine essence comme elle la voit
maintenant dans le ciel ; il la savait donc souverainement digne d’être honorée
et servie ; et il désirait de toute l’ardeur de son amour pour elle voir toutes
les créatures se consacrer sans réserve à son service. La voyant au contraire
indignement outragée par les crimes sans hommes, il sentait son cœur transpercé
de douleurs aiguës ; et ces tortures étaient d’autant plus atroces que son amour
était plus grand, et plus ardent son désir de voir une si haute majesté honorée
et servie par toutes les créatures. Et comme la grandeur de cet amour et de ce
désir surpasse toute conception, personne ne parviendra jamais à comprendre
combien furent cruelles et accablantes les souffrances intérieures de Jésus
crucifié. De plus, comme il aimait tous les hommes plus qu’on ne saurait le
dire, les péchés qui devaient les séparer de lui, lui causaient une douleur
incroyable. Il voyait tous les péchés commis ou à commettre par tous les hommes
qui ont été ou qui seront jamais, et à chaque péché qui passait sous ses yeux,
il se sentait arracher une âme unie à la sienne par les liens de la charité.
Cette séparation lui causait une douleur bien supérieure à celle que le corps
ressent lorsqu’on disjoint ses membres, attendu que l’âme, étant un pur esprit,
est d’une nature plus noble et plus parfaite que le corps, et partant plus
susceptible de douleur. Parmi toutes les souffrances du Sauveur, il en est une
qui lui fut particulièrement cruelle, c’est la souffrance qu’il éprouva en
voyant les péchés des damnés et les tortures qu’ils auraient à souffrir
éternellement pour s’être irrémédiablement séparés de lui. Si la vue de votre
bien-aimé Jésus attendrit votre âme, pénétrez plus avant dans son cœur et
considérez, pour vous exciter davantage encore à la compassion, les douleurs
extrêmes qu’il a endurées non seulement pour les péchés qui ont été réellement
commis, mais même pour ceux qui ne le furent jamais ; car il est hors de doute
qu’il ne nous a préservé des uns, comme il n’a obtenu le pardon des autres,
qu’au prix de ses précieuses souffrances. Vous trouverez, âme chrétienne, pour
vous exciter à compatir aux douleurs de Jésus crucifié, bien d’autres
considérations encore ; car, parmi toutes les souffrances qu’ait jamais endurées
et qu’endurera jamais créature raisonnable, il n’en est aucune que le Sauveur
n’ait éprouvée en lui-même. Injures, tentations, opprobres, austérités
volontaires, angoisses et tourments de tout genre, Jésus-Christ a tout ressenti
dans son âme, et plus vivement même que les hommes qui sont subi ces épreuves.
Toutes les afflictions, grandes et petites spirituelles et corporelles, jusqu’au
moindre mal de tête et à la moindre piqûre d’épingle, ce Maître charitable les a
connues distinctement, et il a voulu, dans sa tendresse infinie, y compatir et
les graver dans son cœur. Mais qui pourra jamais exprimer combien furent
poignantes pour son Cœur les douleurs de sa très Sainte Mère ? Toutes les
peines, toutes les tortures que le Sauveur endura, Marie les ressentit de la
même manière et dans les mêmes vues ; et quoique ses tourments n’égalassent pas
ceux de son Fils, ils étaient pour la Vierge d’une cruauté inouïe. Or, les
douleurs de la Mère renouvelèrent les blessures intérieures du Fils et, comme
autant de flèches embrasées, elles demeurèrent fixées dans ce cœur affectueux.
Tant de tourments, et une infinité d’autres que nous ignorons, ne vous
autorisent-ils pas à appeler ce cœur un enfer volontaire allumé par l’amour,
selon l’énergique expression d’une âme dévote ? Si vous recherchez, âme
chrétienne, la cause des souffrances sans bornes de Jésus crucifié, votre Maître
et votre Rédempteur, vous n’en trouverez point d’autre que le péché. Concluez de
là que la véritable compassion et la principale reconnaissance que le Sauveur
demande de nous et que nous lui devons à tant de titres, c’est un regret sincère
de nos fautes inspiré uniquement par notre amour pour lui, une horreur
souveraine du péché et une généreuse ardeur à combattre nos ennemis et nos
mauvaises inclinations afin que, dépouillés du vieil homme et de ses œuvres,
nous nous revêtions de l’homme nouveau et ornions notre âme des vertus
évangéliques.
CHAPITRE LII
Des fruits que nous pouvons retirer de la
méditation de Jésus crucifié,
et de l’imitation de ses vertus
Cette sainte méditation procure de grands et nombreux
avantages. Le premier fruit que vous en retirerez sera de regretter vos péchés
passés et de vous affliger de voir vivre toujours dans votre cœur les passions
déréglées qui ont attaché votre divin Maître à la croix. Le second, de lui
demander le pardon de vos fautes et la grâce de vous haïr vous-même afin de
mettre un terme à vos offenses et, en reconnaissance de tant de tourments
endurés pour nous, ce que vous ne sauriez faire si vous n’êtes animé de cette
haine salutaire. Le troisième, de vous mettre à l’œuvre tout de bon et de
poursuivre à outrance jusqu’à vos moindres passions. Le quatrième, de vous
efforcer d’imiter le plus parfaitement possible les vertus de notre divin
Sauveur. S’il a tant souffert, ce n’est pas seulement pour nous racheter et
expier nos iniquités, mais encore pour nous engager à marcher sur ses traces.
Voici une matière de méditer qui vous sera à cet égard d’une grande utilité. Si,
par exemple, vous voulez, pour imiter votre divin Maître, acquérir la vertu de
patience, considérez les points suivants : Premièrement, ce que l’âme de Jésus
souffrant fait pour Dieu ; deuxièmement, ce que Dieu fait pour l’âme de
Jésus-Christ ; troisièmement, ce que l’âme de Jésus-Christ fait pour elle-même
et pour son corps ; quatrièmement, ce que Jésus-Christ fait pour nous ;
cinquièmement, ce que nous devons faire pour Jésus-Christ. Considérez donc
premièrement comment l’âme de Jésus-Christ tout absorbée en Dieu contemple cette
majesté infinie et incompressibilité devant laquelle toutes les choses créées ne
sont que néant et demeure saisie d'étonnement en en la voyant s’abaisser, sans
rien perdre néanmoins de sa gloire essentielle, jusqu’à souffrir les plus
indignes traitements pour des hommes ingrats et rebelles ; et comment, à cette
vue, elle adore et remercie Dieu et se dévoue sans réserve à son service.
Deuxièmement, voyez ce que Dieu a fait à l’égard de l’âme de Jésus-Christ, avec
quelles instances il la presse de souffrir pour nous les soufflets, les
crachats, les blasphèmes, les fouets, les épines et la croix, en lui
représentant combien il se plaît à la voir ainsi surchargée d’opprobres et
d’afflictions. Troisièmement, revenez à l’âme de Jésus-Christ et considérez
comment cette âme douée d’une intelligence toute de lumière qui lui découvre le
plaisir extrême que Dieu prend à son sacrifice, et d’un amour tout de feu qui la
porte à aimer sans mesure sa majesté souveraine, tant à cause de ses infinies
perfections que pour les bienfaits immenses dont elle lui est redevable ;
considérez, dis-je, comment cette âme accepte avec joie l’invitation que le
Seigneur lui fait de souffrir pour notre amour et notre exemple, et comment elle
s’empresse d’obéir à sa volonté sainte. Qui pourra jamais pénétrer la profondeur
des désirs de cette âme si pure et si aimante ? Perdue comme dans un labyrinthe
de souffrances, elle cherche des voies nouvelles, de nouveaux moyens de souffrir
; et, ne trouvant pas ce qu’elle cherche, elle s’abandonne librement elle-même
avec sa chair innocente à la merci des hommes cruels et des esprits infernaux.
Quatrièmement, représentez-vous votre divin Sauveur tournant vers vous un regard
de miséricorde et vous adressant ces paroles : Vois, mon enfant, l’état
déplorable auquel tu m’as réduit pour n’avoir pas su te faire un peu de violence
à toi-même et à tes passions déréglées. Vois combien je souffre, et avec quelle
joie je le fais par amour pour toi et pour te donner l’exemple de la patience. Ô
mon enfant, je te conjure au nom de mes douleurs de porter de bon cœur cette
croix, ou tout autre qu’il me plaira de t’envoyer, et de t’abandonner
entièrement aux mains des persécuteurs, quel que soit leur acharnement à flétrir
ton honneur et à tourmenter ton corps. Oh ! si tu savais la consolation que me
donnera ta patience ! Juges-en par ces plaies que j’ai reçues comme autant de
pierres précieuses, afin d’enrichir de vertus ta pauvre âme que j’aime
infiniment plus que tu ne saurais le concevoir. Et si j’ai voulu pour toi être
réduit à cette extrémité, pourquoi, ô mon épouse bien-aimée, ne voudrais-tu pas
souffrir un peu pour contenter mon cœur et adoucir les plaies que m’a causées
ton impatience, qui est pour moi un tourment plus amer encore que mes plaies
elles-mêmes. Cinquièmement, considérez quel est celui qui vous parle de la
sorte, et vous reconnaîtrez en lui le Roi de gloire, Jésus-Christ vrai Dieu et
vrai homme. Examinez la grandeur de ses tourments et de ses opprobres : ils sont
tels qu’on n’oserait les infliger au plus infâme des voleurs. Voyez-le calme et
immobile, que dis-je ? rayonnant de joie au milieu des souffrances comme l’époux
au festin nuptial. Et comme quelques gouttes d’eau jetées sur un brasier rendent
la flamme plus ardente, ainsi l’excès de ses tourments, trop légers toujours au
gré de sa surabondante charité, ne faisait qu’accroître son bonheur et la soif
insatiable de souffrances qui le consumait. Considérez que ce bon Maître a tout
fait et tout souffert non par contrainte ou par intérêt mais, ainsi qu’il l’a
déclaré lui-même, par amour pour nous et afin de vous apprendre, par son
exemple, à pratiquer la vertu de patience. Vous pénétrant alors de sa volonté à
votre égard et du plaisir qu’il prendra à vous voir pratiquer cette vertu,
excitez en vous un désir ardent de supporter avec résignation et même avec joie
la croix plus lourdes encore, afin de mieux imiter votre Dieu et de procurer
plus consolations à son cœur. Jésus en croix, voilà le livre que je vous
conseille de lire : vous y trouverez l’image fidèle de toutes les vertus. C’est
le véritable livre de vie destiné non seulement à éclairer l’intelligence par
ses enseignements, mais à enflammer la volonté par les exemples vivants qu’il
met sous nos yeux. Le monde est rempli de livres, mais tous ces livres ensemble
ne valent pas, pour enseigner la pratique de la vertu, un regard jeté sur le
crucifix. Sachez-le bien, âme chrétienne, ceux qui emploient des heures entières
à pleurer sur la Passion de Notre Seigneur et à admirer sa patience, et qui,
dans les afflictions qui leur surviennent, sont aussi impatients que s’ils
avaient, dans leur oraison, pensé à tout autre chose, ressemblent à des soldats
qui, avant la bataille, sous la tente où ils sont assis, se promettent
d’accomplir les plus brillants exploits et qui, à la vue de l’ennemi, jettent
les armes et prennent la fuite. Qu’y a-t-il de plus insensé et de plus pitoyable
à voir que ces chrétiens qui, après avoir contemplé comme dans un miroir
éclatant les vertus du Sauveur, après les avoir aimées et admirées, les oublient
ou n’en font plus aucune estime quand l’occasion se présente de les mettre en
pratique?
CHAPITRE LIII
De l’adorable Sacrement de l’Eucharistie
Si vous vous en souvenez, j’ai travaillé jusqu’ici à vous
munir des quatre armes nécessaires pour triompher de vos ennemis et à vous
apprendre la manière de vous en servir. Il me reste maintenant à vous en
proposer une autre, et c’est le très Saint Sacrement de l’Eucharistie. De même
que cet adorable Sacrement surpasse en dignité tous les autres sacrements, de
même aussi l’arme qu’il vous présente l’emporte en efficacité sur toutes les
autres armes. Les quatre premières empruntent leur force aux mérites de
Jésus-Christ et à la grâce qu’il nous a acquise au prix de son sang ; mais cette
dernière, c’est le sang même du Sauveur, c’est son âme, c’est sa divinité. Avec
celles-là nous luttons contre nos ennemis par la vertu de Jésus-Christ ; avec
celle-ci nous les combattons en compagnie de Jésus-Christ, et Jésus-Christ les
combat avec nous, puisque « celui qui mange la chair de Jésus-Christ et boit son
sang, demeure en Jésus-Christ et Jésus-Christ en lui » (Jean, VI, 57). Et
puisque l’on peut recevoir cet adorable Sacrement et se servir de cette arme de
deux façons, sacramentellement une fois le jour, et spirituellement à toute
heure, vous devrez faire la communion spirituelle le plus souvent possible, et
recevoir la communion sacramentelle toutes fois que vous en aurez la permission.
CHAPITRE LIV
De la manière de recevoir le très Saint
Sacrement de l’Eucharistie
Nous pouvons nous approcher de ce divin Sacrement pour
plusieurs fins ; et pour arriver à ces fins, nous avons plusieurs choses à
observer : avant la communion, au moment de la communion, après la communion.
Avant de communier, quel que soit le motif qui nous engage à le faire, nous
devons, si nous ne sommes pas en état de grâce, recourir au sacrement de
pénitence, afin de laver et de purifier notre âme de la souillure du péché
mortel. Nous devons ensuite nous offrir de tout cœur et sans réserve à
Jésus-Christ, et lui consacrer notre âme avec toutes ses forces et ses
puissances, puisqu’il nous donne lui-même en cet adorable Sacrement son sang, sa
chair, son âme, sa divinité et ses mérites ; et comme ce que nous lui offrons
est peu de chose et pour ainsi dire rien en comparaison de ce qu’il nous donne,
nous devons souhaiter d’avoir tout ce que les créatures du ciel et de la terre
lui ont jamais offert de plus agréable, afin d’en faire présent à sa divine
majesté. Si vous voulez communier en vue de vaincre et de réduire à néant nos
ennemis et les siens, commencez dès la veille au soir, ou le plus tôt que vous
pourrez, à considérer le désir qu’a le Fils de Dieu d’entrer, par ce Sacrement,
dans le sanctuaire de votre cœur, afin de s’unir à vous et de vous aider à
dompter vos passions mauvaises. Ce désir est si grand, si ardent en Notre
Seigneur, qu’aucune intelligence créée ne le saurait comprendre. Pour vous en
former une idée, gravez profondément ces deux choses dans votre âme. L’une est
le plaisir ineffable que ce Dieu si bon prend à demeurer avec nous ; ce sont là
ses délices, nous dit-il lui-même au livre des Proverbes. L’autre est la haine
infinie que Dieu porte au péché, tant à cause de l’obstacle qu’il met à l’union
qu’il désire si ardemment contracter avec nous, qu’à cause de son opposition
directe avec ses divines perfections. Étant lui-même un bien infini, une lumière
toute pure, une beauté sans tache, il ne peut pas s’empêcher de haïr et de
détester souverainement le péché qui n’est que ténèbres, malice et affreuse
corruption. Cette haine est si ardente que toutes les œuvres opérées par Dieu
dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, et particulièrement la Passion de
son Fils bien-aimé, n’ont eu en vue que la destruction du péché. C’est au point
que les serviteurs de Dieu les plus éclairés assurent que le Sauveur serait prêt
encore à souffrir mille morts, si c’était nécessaire, pour effacer la moindre
trace du péché dans notre âme. Quand ces deux considérations vous auront fait
comprendre, quoique imparfaitement encore, combien Notre Seigneur désire entrer
dans votre cœur pour en chasser ses ennemis et les vôtres, et les exterminer à
jamais, vous exciterez en vous, dans le même but, un désir ardent de le
recevoir. Sentant alors votre âme animée d’un saint zèle et fortifiée par
l’espérance de la venue de votre céleste capitaine, provoquez coup sur coup au
combat la passion que vous avez entreprise de vaincre, et réprimez-la par des
mouvements réitérés de haine et des actes fréquents de la vertu contraire. Que
ce soit là votre principale occupation la veille au soir, et le matin du jour où
vous devez communier. Quand vous verrez approcher le moment de la communion,
jetez un regard rapide sur les fautes dont vous vous êtes rendu coupable depuis
la communion précédente, sur ces fautes que vous avez commises avec autant de
liberté que si Dieu n’existait pas et n’avait pas enduré pour vous les tourments
effroyables de sa Passion. Songez que vous avez préféré votre plaisir et vos
caprices à la volonté et à l’honneur de Dieu, et pénétrez-vous des sentiments
d’une confusion profonde et d’un saint effroi à la vue de votre ingratitude et
de votre indignité. Venant ensuite à considérer que l’abîme immense de la bonté
de votre Dieu appelle l’abîme de votre ingratitude et de votre infidélité,
approchez-vous de lui avec confiance et ouvrez-lui bien large votre cœur, afin
qu’il s’en rende le maître absolu. Pour lui faire une large place dans votre
cœur, vous en bannirez toute affection terrestre, et puis vous le fermerez avec
soin pour que rien n’y puisse entrer que votre divin Maître. Après la sainte
communion, retirez-vous promptement dans le secret de votre cœur et, après avoir
humblement adoré Notre Seigneur, dites-lui intérieurement : Vous soyez, ô mon
unique bien, l’inclination violente que j’ai au péché, l’empire que cette
passion exerce sur moi, et l’impuissance où je suis de lui résister. C’est donc
à vous qu’il appartient de la combattre ; je dois sans doute combattre avec
vous, mais c’est de vous que j’attends la victoire. Puis, vous adressant au Père
éternel, offrez-lui en actions de grâces et pour obtenir la victoire sur
vous-même, son Fils bien-aimé, qu’il vous a donné et que vous possédez au-dedans
de vous ; prenez alors la résolution de lutter généreusement contre l’ennemi qui
vous poursuit, et attendez la victoire avec la conviction que Dieu vous
l’accordera infailliblement tôt ou tard si, de votre côté, vous faites ce qui
est en votre pouvoir pour l’obtenir.
CHAPITRE LV
Comment nous devons nous préparer à la
communion,
si nous voulons qu’elle nous excite à l’amour de Dieu
Si vous voulez que la sainte Eucharistie embrase votre cœur
du feu de l’amour divin, pensez à l’amour que Dieu vous a témoigné. Dès la
veille au soir, considérez que ce Seigneur si grand et si puissant ne s’est pas
contenté de vous créer à son image et à sa ressemble et d’envoyer son Fils
unique sur la terre afin qu’il y souffrît durant trente-trois ans en expiation
de vos iniquités et qu’il endurât, pour votre salut, des tourments inouïes et la
mort cruelle de la croix, mais que de plus il a voulu vous le laisser pour être
votre nourriture et votre soutien dans le très saint Sacrement de l’autel.
Examinez attentivement, en cet amour, les qualités éminentes qui le rendent à
tous égards parfait et sans égal. Premièrement, si vous considérez sa durée,
vous y reconnaîtrez un amour perpétuel, un amour sans commencement. Comme Dieu
est éternel en sa divinité, ainsi l’est-il en son amour. C’est cet amour qui lui
a fait prendre en lui-même, avant tous les siècles, la résolution de nous donner
son Fils unique d’une manière si admirable. À cette pensée, vous vous écrierez
dans les transports d’une sainte allégresse : Il est donc vrai qu’en cet abîme
de l’éternité, ma bassesse était si chérie et si estimée de ce grand Dieu qu’il
pensait à moi et désirait dans son ineffable charité me donner son Fils unique
en nourriture ! Deuxièmement, tous les autres amours, si ardents qu’ils soient,
ont des bornes qu’ils ne peuvent dépasser ; l’amour de Dieu seul est sans
mesure. C’est pour satisfaire pleinement cet amour qu’il nous a donné son propre
Fils, ce Fils unique qui l’égale en majesté et en perfection, qui a la même
substance et nature que lui. Ainsi l’amour est aussi grand que le don, et le don
aussi grand que l’amour, et l’un et l’autre sont tels qu’ils surpassent tout ce
que l’intelligence peut imaginer de plus sublime. Troisièmement, Dieu dans son
amour pour nous n’a cédé à aucune nécessité, à aucune contrainte ; c’est à sa
bonté naturelle uniquement que nous devons ce gage ineffable de son affection
pour nous. Quatrièmement, aucune œuvre, aucun mérite de notre part n’a pu
engager ce Maître souverain à honorer notre bassesse d’un tel excès d’amour ;
c’est par pure libéralité qu’il s’est donné à de pauvres créatures telles que
nous. Cinquièmement, si vous examinez la pureté de cet amour, vous n’y verrez
pas ce mélange d’intérêt qui se rencontre dans les amitiés mondaines. Le
Seigneur n’a que faire de nos biens, puisqu’il jouit en lui-même et
indépendamment de nous d’un bonheur et d’une gloire sans bornes ; et si, dans sa
bonté et sa charité ineffables, il s’est abaissé vers nous, c’est notre avantage
et non le sien qu’il a recherché. À cette pensée, vous vous direz en vous-même :
Comment se peut-il qu’un Dieu infiniment grand mette son affection dans une si
abjecte créature ? Que voulez-vous, ô Roi de gloire, qu’attendez-vous de moi qui
ne suis qu’un peu de poussière ? Je vois parfaitement, ô mon Dieu, dans les
splendeurs de votre ardente charité, que vous n’avez qu’un seul dessein, et
cette vue me découvre plus clairement que jamais la pureté de votre amour : vous
voulez, en vous donnant à moi en nourriture, me transformer en vous, non que
vous ayez besoin de moi, mais parce que vous désirez que, vivant en vous, et
vous en moi, je devienne par cette union amoureuse un autre vous-même, et que
mon cœur si vil et si attaché aux choses de la terre ne fasse plus avec le vôtre
qu’un cœur céleste et divin. Pénétré d’étonnement et de joie à la vue de
l’estime et de l’amour dont Dieu vous honore, et persuadé que son amour
tout-puissant n’a d’autre dessein, d’autre volonté que d’attirer à lui votre
amour, en le détachant d’abord de toutes les créatures, et ensuite de vous-même
qui êtes aussi une créature, offrez-vous tout entier en holocauste au Seigneur,
afin que son amour seul et le désir de lui plaire dirigent votre entendement,
votre volonté et votre mémoire, et règlent désormais l’usage de vos sens.
Considérant ensuite que rien n’est capable de produire en vous ces fruits
divins, comme la digne réception du très Saint Sacrement de l'autel, ouvrez au
Seigneur le chemin de votre âme par les oraisons jaculatoires et les amoureuses
aspirations qui suivent : Ô nourriture plus que céleste, quand viendra l'heure
où, embrasé des seules flammes de votre amour, je me sacrifierai tout entier à
vous ? Quand donc viendra cette heure, quand viendra-t-elle, ô amour incréé ? Ô
manne céleste, quand sera-ce que, dégoûté de tout aliment terrestre, je ne
soupirerai plus qu'après vous, je ne me nourrirai plus que de vous ? Quand
sera-ce, ô douceur de mon âme, ô mon unique bien ? Je vous en conjure, ô mon
très aimant et très puissant Seigneur, dégagez dès maintenant ce misérable cœur
de toute attache, de toute passion coupable, et ornez-le de vos admirables
vertus et de cette intention pure qui ne cherche en toute chose que votre bon
plaisir ; alors je vous ouvrirai mon cœur, je vous inviterai, j'userai d'une
douce violence pour vous contraindre d'y entrer ; et vous, Seigneur, vous
opérerez en moi, sans rencontrer de résistance, les effets que vous avez
toujours désiré y produire. Ce sont là les sentiments d'amour que vous
entretiendrez dans votre âme le soir et le matin, afin de vous préparer à la
communion. Quand approche le temps de communier, considérez quel est celui que
vous allez recevoir. C'est le Fils de Dieu, celui dont la majesté souveraine
fait trembler les cieux et toutes les vertus des cieux. C'est le Saint des
saints, le miroir sans tache, la pureté incompréhensible, en comparaison de
laquelle toute créature est souillée. C'est celui qui, devenu semblable à un ver
de terre et confondu avec la lie du peuple, a voulu par amour pour vous être
rebuté, foulé aux pieds, tourné en dérision, couvert de crachats et attaché à la
croix par la malignité et l'injustice du monde. Vous allez, dis-je, recevoir ce
Dieu qui tient dans sa main la vie et la mort de l'univers entier. Considérez
d'un autre côté que de vous-même vous n'êtes rien, et que par le péché, vous
vous êtes volontairement ravalé au-dessous des êtres les plus vils et les plus
immondes, et rendu digne d'être à jamais l'opprobre et le jouet des esprits
infernaux. Qu'au lieu de témoigner à Dieu votre reconnaissance pour les immenses
et innombrables bienfaits qu'ils vous a accordés, vous avez, en suivant vos
caprices et vos passions, méprisé ce Maître si grand et si plein d'amour, et
foulé aux pieds son sang précieux. Que dans sa charité persévérante et son
immuable bonté, il vous invite néanmoins à vous approcher de sa Table sainte,
qu'il vous y oblige même sous peine de mort. Il ne vous refuse point l'accès de
sa miséricorde, il ne se détourne point de vous, bien que par nature vous soyez
couvert de lèpre, boiteux, hydropique, aveugle, possédé du démon, et que vous
vous soyez livré à toutes les débauches. Tout ce qu'il demande de vous, c'est :
Premièrement, que vous vous repentiez de l'avoir offensé. Deuxièmement, que vous
haïssiez par-dessus toute chose le péché, mortel et véniel.` Troisièmement, que
vous vous teniez étroitement uni à sa volonté sainte, par l'affection toujours,
et par les effets quand il vous intimera ses ordres. Quatrièmement enfin, que
vous espériez avec une ferme confiance qu'il vous pardonnera vos offenses,
effacera vos souillures et vous défendra contre tous vos ennemis. Ainsi fortifié
par la pensée de l'amour ineffable que vous porte votre divin Sauveur, vous vous
approcherez de la Table sainte avec un respect mêlé de crainte et d'amour.
Seigneur, lui direz-vous, je ne suis pas digne de vous recevoir, parce que je
vous ai si souvent et si grièvement offensé, et que je n'ai pas encore pleuré
mes fautes comme je dois le faire. Seigneur, je ne suis pas digne de vous
recevoir, parce que je ne suis pas pur de toute attache au péché véniel.
Seigneur, je ne suis pas digne de vous recevoir, parce que je ne me suis pas
encore donné sincèrement à votre amour, à votre volonté, et à l'entier
accomplissement de vos ordres. Ô Dieu tout-puissant et infiniment bon, je vous
en conjure au nom de votre bonté et de vos promesses, rendez-moi digne de vous
recevoir avec foi et amour. Aussitôt après la communion, recueillez-vous dans le
secret de votre cœur et, oubliant toute chose créée, entretenez-vous avec votre
divin Sauveur en ces termes, ou autres semblables. Ô Roi du ciel, qui donc vous
a fait descendre en moi qui ne suis qu'une créature misérable, pauvre, aveugle
et dénuée de tout ? Et il vous répondra : C'est l'amour. Et vous lui répliquerez
: Ô amour incréé, ô amour plein de charmes, que voulez-vous de moi ? Rien,
dira-t-il, sinon l'amour. Je ne veux voir d'autre feu brûler sur l'autel de ton
cœur, dans tes sacrifices et dans toutes tes œuvres, que le feu de mon amour ;
qu'il consume en toi tout amour terrestre et toute volonté propre, et fasse
monter jusqu'à moi le plus suave des parfums. C'est là ce que j'ai toujours
demandé et que je demande encore, car mon désir est que je sois tout à toi, et
que tu sois toi-même tout à moi ; et ce désir restera sans accomplissement aussi
longtemps que, faute d'avoir fait cet acte de renoncement à toi-même qui m'est
si agréable, tu demeureras attaché à ton amour-propre, à ton jugement, à tes
volontés et au désir que tu as d'être estimé des hommes. Je demande de toi la
haine de toi-même pour te donner mon amour, ton cœur pour l'unir à mon cœur qui
a été ouvert sur la croix pour recevoir le tien ; je te requiers tout entier
pour me donner tout entier à toi. Tu sais que je vaux incomparablement plus que
toi, et néanmoins je consens dans ma bonté à ne pas m'estimer plus haut que toi.
Achète-moi donc maintenant, ô âme bien-aimée, en te donnant à moi. Je veux que
tu arrives à ne rien vouloir, ne rien penser, ne rien entendre, ne rien voir en
dehors de moi et de ma volonté, afin qu'en toi ce soit moi qui veuille, pense,
entende et voie ; et que ton néant ainsi absorbé dans l'abîme de ma grandeur
infinie se convertisse en elle. De cette façon, tu seras pleinement heureuse en
moi, et moi-même pleinement heureux en toi. Enfin, vous présenterez au Père
éternel son Fils bien-aimé, pour le remercier du don qu'Il vous a fait et pour
solliciter de sa bonté les grâces que vous désirez obtenir pour vous-même, pour
la sainte Église, pour vos parents, pour vos bienfaiteurs et pour les âmes du
purgatoire. Cette offrande, vous l'unirez à celle que Jésus-Christ fit de
lui-même sur la croix, lorsqu'il s'offrit tout sanglant à son Père céleste. Vous
pourrez lui offrir de même toutes les messes qui se célèbreront ce jours-là dans
la sainte Église romaine.
CHAPITRE LVI
De la communion spirituelle
Bien qu'on ne puisse recevoir sacramentellement notre divin
Sauveur plus d'une fois le jour, on peut, comme je l'ai dit, le recevoir
spirituellement à chaque heure, à chaque instant ; cet avantage, rien ne peut
nous le ravir, sinon votre négligence ou une faute quelconque dépendant de notre
volonté. Il arrivera parfois que cette communion sera plus fructueuse et plus
agréable à Dieu que ne le sont, faute de dispositions convenables, bon nombre de
communions sacramentelles. Lors donc que vous serez disposé à faire la communion
spirituelle, vous trouverez toujours le Fils de Dieu prêt à se donner à vous de
ses propres mains, pour être la nourriture de votre âme. Pour vous y préparer,
tournez votre pensée vers le Seigneur et, après avoir jeté un regard rapide sur
vos fautes, exprimez-lui la douleur que vous en ressentez, et priez-le avec foi
et humilité de daigner descendre dans votre pauvre âme pour la guérir et la
fortifier contre ses ennemis. Quand vous vous ferez violence à vous-même pour
mortifier une passion ou pratiquer un acte de vertu, faites-le dans le but de
préparer votre cœur à Notre Seigneur qui vous le demande sans cesse. Vous
tournant ensuite vers lui, conjurez-le instamment de venir avec sa grâce vous
guérir de vos blessures et vous délivrer de vos ennemis, afin que désormais il
soit seul à posséder votre cœur. Ou bien, rappelant à votre souvenir votre
dernière communion sacramentelle, dites-lui avec un cœur embrasé : Quand donc,
Seigneur, quand pourrai-je vous recevoir encore ? Cet heureux jour, quand
viendra-t-il ? Si vous voulez faire la communion spirituelle avec plus de
dévotion, disposez-vous-y dès le soir précédent en offrant à Dieu dans ce but
toutes vos mortifications, tous vos actes de vertu, toutes vos bonnes œuvres. Et
le matin de bonne heure, considérez quel avantage et quel bonheur c'est pour une
âme de recevoir dignement le Saint Sacrement de l'autel, puisque par là elle
recouvre les vertus perdues, reprend sa beauté première et participe aux fruits
et aux mérites de la Passion du Fils de Dieu ; songez combien Dieu lui-même
désire que nous le recevions et que nous possédions tous ces biens ; et
efforcez-vous d'allumer en votre cœur un grand désir de le recevoir, pour vous
rendre agréable à ses yeux. Enflammé de ce désir, tournez-vous vers lui et
dites-lui : Puisqu'il ne m'est pas donné de vous recevoir aujourd'hui
sacramentellement, faites, ô bonté, ô puissance infinie, que purifie de mes
fautes et guéri de mes blessures, je vous reçoive spirituellement maintenant,
chaque jour et à chaque heure du jour, et que j'obtienne ainsi des grâces et des
forces nouvelles pour triompher de tous mes ennemis, de celui surtout que je
combats actuellement en vue de vous plaire.
CHAPITRE LVII
De l'action de grâces
Puisque tout ce que nous avons et faisons de bien est à Dieu
et vient de Dieu, nous sommes tenus de le remercier de toutes les vertus que
nous pratiquons, de toutes les victoires que nous remportons sur nous-mêmes et
de tous les bienfaits, soit généraux soit particuliers, que nous recevons de sa
main miséricordieuse. Pour nous acquitter convenablement de ce devoir nous
devons considérer la fin que Dieu se propose en nous communiquant ses dons.
Cette considération nous apprendra la manière dont le Seigneur veut être
remercié. Comme, dans tous les bienfaits qu'il accorde, Dieu a principalement en
vue d'accroître sa gloire et de nous attirer à son amour et à son service,
faites d'abord cette réflexion en vous-même : Quelle preuve de la puissance, de
la sagesse et de la bonté de Dieu, que ce bienfait qu'il m'a accordé, cette
grâce qu'il m'a faite ! Puis, voyant que de vous-même vous n'avez rien qui
mérite les faveurs de Dieu, et qu'en vous au contraire tout est démérite et
ingratitude, vous direz à Dieu avec une humilité profonde : Comment daignez-vous
regarder et combler de vos bienfaits une créature aussi vile que moi ? Que votre
nom soit béni dans les siècles des siècles ! Considérant enfin que Dieu vous
accorde ces bienfaits pour vous exciter à l'aimer et à le servir, allumez en
votre âme un ardent amour pour ce Dieu si aimant, et un désir sincère de le
servir en tout conformément à sa sainte volonté. Vous ferez alors une entière
offrande de vous-même au Seigneur, de la manière que nous allons dire.
CHAPITRE LVIII
De l'offrande de soi-même à Dieu
Pour que cette offrande soit entièrement agréable à Dieu,
nous avons deux choses à faire : la première, unir cette offrande à celle que
Jésus-Christ a faite à son Père ; la seconde dégager notre volonté de toute
attache aux créature. Pour la première, vous devez savoir que le Fils de Dieu,
lorsqu'il vivait en cette vallée de larmes, ne se contentait pas de s'offrir
lui-même avec ses œuvres à son Père céleste, mais qu'il lui offrait en même
temps notre personne et nos œuvres. Notre offrande doit donc se faire en union
avec la sienne et s'appuyer entièrement sur elle. Pour la seconde, voyez, avant
de vous offrir au Seigneur, si votre volonté est entièrement détachée des
créatures : et, si elle ne l'est pas, débarrassez-la d'abord de ses liens ; pour
cela, recourez à Dieu et demandez-lui de briser lui-même vos entraves, afin que
vous puissiez vous offrir à se divine majesté, dégagé et libre de toute
affection terrestre. Ce point mérite toute votre attention ; car lorsque vous
offrez à Dieu un cœur attaché aux créatures, ce n'est pas votre bien que vous
offrez à Dieu, mais le bien des autres, puisque ce n'est plus à vous-même que
vous appartenez, mais bien aux créatures à qui vous avez attaché votre volonté.
Un semblable présent est plutôt une moquerie et elle ne peut que déplaire au
Seigneur. De là vient que l'offrande que nous faisons de nous-mêmes au Seigneur
ne produit en nous aucun fruit de vertu, et même qu'elle nous fait tomber en
beaucoup d'imperfections et de fautes. Nous pouvons, il est vrai, nous offrir à
Dieu alors même que nous sommes attachés aux créatures, mais c'est à la
condition de demander à Dieu qu'il daigne briser nos liens, pour que nous
puissions ensuite nous dévouer tout entiers au service de sa divine majesté ; ce
qu'il faut faire souvent et avec beaucoup de ferveur. Que votre offrande soit
donc pure de toute affection étrangère et de tout attachement à votre volonté
propre. Ne considérez ni les biens de la terre, ni ceux du Ciel ; n'envisagez
que la volonté et la Providence de Dieu, à laquelle vous devez vous soumettre
sans réserve et vous sacrifier en perpétuel holocauste ; et oubliant toutes les
choses créées, dites-lui : Voici, ô mon Dieu et mon Créateur, que je remets ma
personne et ma volonté tout entière entre les mains de votre éternelle
Providence ; faites de moi tout ce qui vous plaira durant ma vie, la mort et
après ma mort, dans le temps et dans l'éternité. Si en parlant ainsi, vous
parlez sincèrement (et vous vous en apercevrez au temps de l'adversité), de
terrestre que vous êtes vous deviendrez tout spirituel, et vous ferez avec Dieu
un échange à jamais heureux : vous serez à Dieu et Dieu sera à vous, car il est
toujours à ceux qui se détachent des créatures et d'eux-mêmes pour se donner à
lui et se sacrifier à sa divine majesté. Vous voyez donc, âme chrétienne, un
moyen très puissant de vaincre tous vos ennemis ; car si par l'offrande de
vous-même à Dieu vous vous unissez à lui de manière à être tout à lui de manière
à être tout à lui et lui tout à vous, quel ennemi sera capable de vous nuire ?
Et lorsque vous voudrez lui offrir des jeûnes, des oraisons, des actes de
patience et autres bonnes œuvres, rappelez-vous les jeûnes, les oraisons et
toutes les actions que Jésus-Christ offrait à son Père, mettez votre confiance
en leur mérite et leur vertu, et offrez-lui ensuite les vôtres. Si vous voulez
offrir au Père céleste les actions de Jésus-Christ en satisfaction de vos
offenses, voici la méthode que je conseille de suivre. Faites une revue
générale, et parfois même détaillée, des égarements de votre vie et, convaincu
que de vous-même vous ne pouvez apaiser la colère de Dieu, ni satisfaire à sa
justice, recourez à la vie et à la Passion de son Fils. Considérez-le dans une
circonstance quelconque de sa vie. Voyez-le, par exemple, prier et jeûner,
souffrir et répandre son sang, afin de vous réconcilier avec lui et de payer la
dette contractée par vos péchés. Ô Père éternel, dit-il, voilà que, pour être
fidèle à vos ordres, je satisfais surabondamment à votre justice pour les péchés
et les dettes de N... Que votre divine majesté daigne lui pardonner et
l'admettre au nombre des élus. Présentez alors pour vous-même au Père céleste
l'offrande et les prières de son divin Fils, et conjurez-le, par leur mérite, de
vous remettre vos offenses. Vous pourrez suivre cette méthode, que vous passiez
d'un mystère à l'autre ou que vous parcouriez les différentes circonstances d'un
même mystère ; que vous priiez pour vous-même ou que vous priiez pour d'autres.
CHAPITRE LIX
La dévotion sensible et la sécheresse
spirituelle
La dévotion sensible procède tantôt de la nature, tantôt du
démon, tantôt de la grâce. Vous en reconnaîtrez l'origine aux fruits qu'elle
produira. Si elle ne rend pas votre vie meilleure, vous avez sujet de craindre
qu'elle ne vienne du démon ou de la nature ; et cette crainte sera d'autant plus
fondée que vous prendrez plus de goût et de plaisir à cette dévotion, que vous
vous y attachez davantage et qu'elle vous donnera une plus grande estime de
vous-même. Lorsque vous sentirez les consolations spirituelles abonder en votre
âme, ne vous amusez point à examiner quel en peut être le principe ; gardez-vous
de mettre en elles votre confiance et de perdre de vue la connaissance de votre
néant ; mais, redoublant de vigilance et de haine à l'égard de vous-même,
efforcez-vous vous de tenir votre cœur libre de tout attachement, même
spirituel, et de ne désirer que Dieu seul et son bon plaisir. De cette manière,
la douceur que vous ressentez, dût-elle son origine à l'action de la nature ou
du démon, deviendra un effet de la grâce. La sécheresse spirituelle peut
procéder pareillement des trois principes que nous venons de mentionner : - Du
démon qui espère par là nous porter au relâchement et nous faire abandonner les
exercices spirituels pour les amusements et les plaisirs du monde ; - De
nous-mêmes, qui y donnons lieu par nos fautes, notre attachement aux choses de
la terre et notre négligence ; - De l’Esprit Saint, qui nous envoie cette
épreuve, soit pour nous avertir d'être plus diligents à nous détacher de tout ce
qui n'est pas Dieu ou qui ne tend pas à lui ; soit pour nous convaincre, par
notre propre expérience, que tout ce qu'il y a de bien en nous vient de Dieu ;
soit pour nous faire estimer davantage les dons du Ciel et nous les faire garder
avec plus d'humilité et de vigilance ; soit pour nous unir plus étroitement à sa
divine majesté, en nous faisant renoncer à tout, même aux délices spirituelles,
de peur que les aimant trop nous ne leur donnions une part de ce cœur que le
Seigneur veut tout entier pour lui ; soit enfin parce qu'il se plaît, pour notre
bien, à nous voir combattre de toutes nos forces et mettre sa grâce à profit.
Lors donc que vous sentirez cette sécheresse spirituelle, rentrez en vous-même,
examinez quel est le défaut qui vous a fait perdre, non pour recouvrer les
consolations de la grâce, mais pour bannir de votre âme tout ce qui déplaît aux
yeux de Dieu. Si vous ne découvrez pas en vous ce défaut, efforcez-vous
d'acquérir, au lieu de la dévotion sensible, la dévotion véritable qui consiste
dans une prompte résignation à la volonté de Dieu. Gardez-vous bien surtout
d'abandonner vos exercices spirituels ; employez au contraire toute votre
énergie à les continuer, quelque infructueux et insipides qu'ils vous
paraissent, et acceptez de bon cœur le calice d'amertume que vous présente
l'amoureuse volonté de Dieu. Et si la sécheresse est accompagnée de tant et de
si épaisses ténèbres spirituelles que vous ne sachiez où vous tourner, ni quel
parti prendre, ne vous découragez moins pour cela, mais demeurez fermement
attaché à la croix, ne recherchez point les consolations terrestres,
repoussez-les même, si le monde et les créatures venaient vous les offrir. Que
tous ignorent vos peines, hormis votre père spirituel à qui vous les
découvrirez, non pour les alléger, mais pour apprendre de lui le moyen de les
supporter conformément au bon plaisir de Dieu. Ne faites point vos communions,
vos prières et vos exercices spirituels pour obtenir de Dieu qu'il vous détache
de la croix, mais bien pour acquérir la force dont vous avez besoin pour la
porter à la plus grande gloire de Jésus crucifié. Que si le trouble de votre âme
vous empêche de méditer et de prier comme vous le souhaiteriez, méditez le moins
mal que vous pourrez. Ce que vous ne pouvez faire par l'intelligence,
efforcez-vous de le faire par la volonté ; servez-vous de la prière, vous
adressant tantôt à vous-même, tantôt à votre divin Maître. Vous en retirerez des
fruits merveilleux ; et votre cœur pourra respirer et reprendre des forces.
Dites à votre âme : Pourquoi es-tu triste, ô mon âme, et pourquoi troubles-tu ?
Mets en Dieu, ton espérance, car je le louerai encore : il est le salut de mon
visage, il est mon Dieu (Ps., XLI, 8). Pourquoi, Seigneur, vous êtes-vous retiré
de moi, et dédaignez-vous de me regarder au temps de ma détresse et de ma
tribulation ? (Ps.,X, Heb., I). Ne m’abandonnez pas pour toujours (Ps., CXVIII,
8). Rappelez-vous la doctrine consolante que Dieu révéla à Sara, femme de Tobie,
au temps de sa tribulation ; mettrez-la à profit et dites de vive voix avec
cette servante bien-aimée du Seigneur : Quiconque vous honore à la certitude que
si sa vie est éprouvée, elle sera couronnée ; que si elle est dans la
tribulations, elle en sera délivrée ; que si elle est châtiée, elle obtiendra
miséricorde. Car vous ne prenez point plaisir à nos tribulations ; mais après la
tempête, vous rendez le calme, et après les larmes et les soupirs, vous répandez
l’allégresse. Ô Dieu d’Israël, que votre nom soit béni dans tous les siècles
(Tobie, III, 21, 22, 23). Rappelez-vous à quel excès de douleur Jésus se vit
abandonné, dans le jardin et sur la croix, par son Père céleste lui-même ; et
portant votre croix a son exemple, vous direz de tout cœur : Que votre volonté
soit faite. Si vous agissez de la sorte, la patience et l’oraison élèveront la
flamme de votre sacrifice jusqu’au trône de Dieu, et vous acquerrez la vraie
dévotion. Cette dévotion, comme je l’ai dit plus haut, consiste à avoir la ferme
volonté de suivre, sans hésiter et la croix sur les épaules, notre divin
Sauveur, en quelque lieu qu’il nous appelle et nous conduise ; elle consiste à
aimer Dieu pour lui-même, et parfois aussi à quitter Dieu pour Dieu. Si les
personnes qui font profession de piété, et les femmes principalement, mesuraient
leurs progrès à leur résignation plutôt qu’à leur dévotion sensible, elles ne
seraient pas victimes de leurs illusions et des artifices du démon ; elles ne se
ingratitude, du bienfait signalé que le Seigneur leur accorde et elles
s’appliqueraient avec plus de ferveur à servir sa divine majesté qui dispose ou
permet tout ce qui nous arrive pour sa gloire et notre avantage. Voici encore
une illusion commune chez les personnes du sexe, chez celles mêmes qui
s’éloignent avec crainte et prudence des occasions dangereuses. Parce qu’elles
sont tourmentées de pensées impures et horribles, parfois, perdent courage et se
croient abandonnées et repoussées de Dieu ; il leur semble impossible que
l’Esprit Saint demeure dans une âme remplie de semblables pensées. Leur
abattement devient tel parfois qu’elles sont sur le point de se laisser aller au
désespoir et d’abandonner leurs exercices spirituels pour retourner en la terre
d’Egypte. Elles ne savent pas apprécier le don Seigneur et comprendre que, si
Dieu permet qu’elles soient assaillies de ces horribles fantômes, c’est afin de
les ramener à la connaissance d’elles-mêmes et de les forcer, par le sentiment
de leur impuissance, à s’approcher de lui. Faute de comprendre les vues de Dieu
à leur égard, elles se plaignent amèrement de ce qui devrait être pour elles
l’objet d’une reconnaissance sans bornes envers la bonté infinie du Seigneur. Ce
que vous avez à faire en ces occasions, c’est de considérer attentivement les
inclinations perverses de votre nature. Dieu veut, dans votre intérêt, que vous
sachiez combien ces inclinations sont promptes à vous entraîner au mal, et dans
quel abîme elles vous précipiteraient, s’il ne venait à votre secours.
Excitez-vous ensuite à la confiance en Dieu ; persuadez-vous bien que, s’il vous
découvre le péril, c’est qu’il est prêt à vous venir en aide ; que son désir est
de vous attirer et de vous unir plus étroitement à lui par la prière et
l’invocation de son nom ; que, partant, vous lui devez d’humbles actions de
grâces. Tenez pour assuré que ces tentations et ces pensées mauvaises se
dissipent mieux par la souffrance paisible de la peine qu’elles vous causent et
par une adroite fuite, que par une résistance pleine d’inquiétudes.
CHAPITRE LX
De l’examen de conscience
Dans l’examen de conscience, il y a trois choses à considérer
: les fautes commises pendant la journée, leur cause, le courage et l’ardeur que
vous apportez à les combattre et à acquérir les vertus contraires. Quant aux
fautes commises, vous ferez ce que j’ai dit au chapitre XXVI, où j’ai parlé de
ce qu’il y a faire, lorsqu’on se sent blessé. Pour ce qui est de la cause de vos
chutes, vous tâcherez de l’abattre et de la réduire à néant. Pour arriver à ce
but, et tout ensemble pour acquérir les vertus chrétiennes, vous fortifierez
votre volonté par la défiance de vous-même, par la confiance en Dieu, par
l’oraison, par une application soutenue à vous exciter à la haine du vice et au
désir de la vertu contraire. Tenez pour suspectes les victoires que vous avez
gagnées et les bonnes œuvres que vous avez accomplies. Je vous conseille même de
ne pas trop y arrêter votre pensée, pour ne pas vous exposer au danger presque
inévitable de vous laisser entraîner à un secret mouvement de vaine gloire et
d’orgueil. Abandonnez-les plutôt entre les mains de la divine miséricorde, et
oubliant ce qui est derrière vous, tournez votre regard vers le chemin beaucoup
plus long qui vous reste à parcourir. Quant aux actions de grâces à rendre au
Seigneur pour les dons et les faveurs qu’il vous a accordés durant le jour,
reconnaissez qu’il est accordés durant le jour, reconnaissez qu’il est l’auteur
de tout bien ; remerciez-le de vous avoir délivré de tant d’ennemis visibles et
invisibles ; et de vous avoir donné des pensées salutaires, des occasions de
pratiquer la vertu et tant d’autres bienfaits que vous ne connaissez point.
CHAPITRE LXI
Comment nous devons persévérer dans la lutte
et combattre jusqu’à la mort
Entre les conditions requises pour réussir en ce combat, il
faut ranger la persévérance. Nous devons nous attacher à mortifier sans relâche
nos passions déréglées, parce qu’elles ne meurent jamais, tant que nous sommes
sur la terre, et qu’elles germent incessamment comme de mauvaises herbes. C’est
en vain qu’on voudrait fuir le combat : il ne finit qu’avec la vie, et quiconque
refuse la lutte est nécessairement fait prisonnier ou mis à mort. De plus, nous
avons affaire à des ennemis qui nous portent une haine implacable ; nous ne
pouvons en espérer ni paix ni trêve, car ils sont d’autant plus acharnés à notre
perte que nous recherchons davantage leur amitié. Vous ne devez pourtant vous
épouvanter ni de leur puissance, ni de leur nombre : car, en ce combat, n’est
vaincu que celui qui veut l’être. Toute la force de nos ennemis est entre les
mains du divin capitaine pour l’honneur duquel nous combattons. Non seulement il
ne permettra pas que vous tombiez entre leurs mains, mais il prendra lui-même
les armes ; et comme il est plus puissant que tous vos adversaires, il vous
mettra la victoire entre les mains, pourvu toutefois que vous combattiez
courageusement à ses côtés, et que vous mettiez votre confiance, non en
vous-même, mais en sa puissance et en sa bonté. Et si le Seigneur tarde à vous
donner la victoire, ne perdez pas courage. Songez, pour vous animer au combat,
que les obstacles que vous rencontrerez, que toutes les circonstances les plus
défavorables et les plus désastreuses en apparence, il les fera tourner à votre
profit et à votre avantage, du moment que vous vous comportez en soldat fidèle
et généreux. Marchez donc à la suite de votre céleste capitaine qui a vaincu le
monde et a été mis à mort pour vous ; soutenez la lutte avec un cœur magnanime,
et poursuivez-la jusqu’à l’entière destruction de vos ennemis ; car si vous en
laissiez vivre un seul, ce serait là pour vous comme une paille dans l’œil ou
comme une lance au côté qui vous empêcherait de courir à une si glorieuse
victoire.
CHAPITRE LXII
De la résistance à opposer aux ennemis qui
nous attaquent,
au moment de la mort
Quoique toute notre vie soit ici-bas une guerre continuelle,
la journée la plus importante et la plus périlleuse est celle où il nous faudra
faire le grand passage du monde à l’éternité. Celui qui tombe en ce moment ne se
relève plus. Le moyen à prendre pour vous trouver à cette heure dans de bonnes
dispositions, c’est d’employer le temps que Dieu vous accorde à combattre
vaillamment. Celui, en effet, qui combat bien durant la vie se prépare, par
l’habitude acquise de la victoire, un triomphe facile à l’heure de la mort. De
plus, pensez souvent à la mort, considérez-la d’un œil attentif ; c’est le moyen
de la craindre moins, lorsqu’elle se présentera, et d’avoir alors l’esprit libre
et prêt au combat. Les gens du monde évitent cette pensée pour ne pas
interrompre le plaisir qu’ils prennent aux choses de la terre : attachés de
devoir les quitter un jour serait un tourment pour eux. C’est ainsi que leur
affection désordonnée, bien loin de diminuer, va toujours croissant ; et lorsque
arrive pour eux le moment de dire adieu à cette vie et à tant d’objets chers à
leur cœur, ils sont en proie à un tourment incroyable et d’autant plus horrible
qu’ils ont joui plus longtemps des biens qu’ils vont quitter. Parfois aussi pour
mieux vous préparer à ce moment terrible, représentez-vous seul et sans secours
parmi les douleurs de la mort, et considérez les choses que je vais dire et qui
pourraient alors vous tourmenter. Puis vous entretiendrez votre pensée des
remèdes que je vais vous proposer, afin de vous mettre à même de mieux vous en
servir à cette heure de suprême angoisse ; car il faut nécessairement apprendre
à bien faire une chose qu’on ne peut faire qu’une fois, de peur de commettre une
faute à jamais irréparable.
CHAPITRE LXIII
Des quatre assauts que nos ennemis nous
livrent à l’heure de la mort,
et premièrement de la tentation contre la foi et de la manière d’y résister
Parmi les assauts que nos ennemis nous livrent à l’article de
la mort, il y en a quatre qui sont particulièrement dangereux. Ce sont : la
tentation contre la foi le désespoir, la vaine gloire, et enfin les diverses
illusions dont ces esprits de ténèbres, transfigurés en anges de lumière, se
servent pour nous tromper. Pour ce qui regarde le premier assaut, si l’ennemi
emploie pour vous tenter des raisonnements faux et captieux, laissez là votre
intelligence, et recourez à la volonté, en disant : Retire-toi, Satan, père du
mensonge ; je ne veux pas même t’écouter : il me suffit de croire ce que croit
la sainte Église romaine. Fermez, autant que possible, l’entrée de votre âme à
toute considération sur la foi, vous semblât-elle de nature à fortifier en vous
cette vertu ; regardez-la comme un moyen dont le démon se sert pour engager la
discussion. Si vous n’êtes plus en état de vous défaire de ces pensées, demeurez
ferme et ne croyez rien aux raisons que l’ennemi vous allèguera, non plus qu’aux
textes de la sainte Écriture qu’il apportera à l’appui de ses insinuations :
quelque clairs et décisifs que ces textes vous paraissent, soyez certain qu’ils
sont tous tronqués, mal cités et mal interprétés. Et si le serpent rusé vous
demande ce que croit la sainte Église, ne répondez pas ; mais, sachant qu’il
veut vous surprendre et abuser de vos paroles, contentez-vous de faire
intérieurement un acte de foi vive ; ou, si vous voulez le faire dépiter
davantage, répondez-lui que la sainte Église romaine croit la vérité. Et s’il
vous demande quelle est cette vérité, répliquez-lui : C’est précisément ce que
croit l’Église. Par-dessus tout, tenez votre cœur attaché à Jésus crucifié et
dites-lui : Ô mon Dieu, mon Créateur et mon Sauveur, venez promptement à mon
secours et ne vous éloignez pas de moi, afin que je ne m’écarte pas de la vérité
de la foi catholique ; et puisque vous m’avez accordé la grâce de naître dans
cette foi sainte, faites que j’y finisse mes jours pour votre plus grande
gloire.
CHAPITRE LXIV
De l’assaut du désespoir et de la manière de s’en défendre
Le second assaut au moyen duquel le malin esprit cherche à
nous abattre sans retour, c’est l’épouvante qu’il suscite en nous au souvenir de
nos péchés, afin de nous précipiter dans l’abîme du désespoir. Dans ce danger,
prenez pour règle infaillible que la pensée de vos péchés vient de la grâce et
qu’elle vous est accordée pour votre salut, lorsqu’elle produit en vous des
sentiments d’humilité, de repentir de vos péchés et de confiance en la bonté
divine. Mais lorsque cette pensée vous jette dans l’inquiétude, la défiance et
la pusillanimité, portât-elle sur des choses vraies et capables de faire croire
que vous êtes damné et qu’il n’y a plus pour vous de salut à espérer,
regardez-la comme un artifice du démon, humiliez-vous et redoublez de confiance
en Dieu. C’est le moyen de vaincre votre ennemi avec ses propres armes et de
rendre gloire à Dieu. Excitez-vous, je le veux bien, au repentir de vos péchés
toutes les fois qu’ils vous reviendront à la mémoire, mais que ce soit pour en
demander pardon au Seigneur avec une confiance sans bornes dans les mérites de
sa Passion. Je suppose même que vous croyiez entendre Dieu vous dire au fond du
cœur que vous n’êtes point du nombre de ses élus, ce n’est pas une raison pour
rien perdre de votre confiance en lui. Dites-lui plutôt avec un sentiment
profond d’humilité : Vous avez bien sujet de me réprouver à cause de mes péchés,
mais j’ai plus de sujet encore d’espérer que votre miséricorde me les
pardonnera. J’espère donc le salut d’une misérable créature vouée à la damnation
par sa propre malice, mais aussi rachetée au prix de votre sang adorable. Je
veux me sauver pour votre gloire, ô mon Rédempteur, et confiant en votre
miséricorde infinie, je m’abandonne entre vos mains. Faites de moi ce qu’il vous
plaira, pourvu que vous soyez mon unique maître : quand vous me tueriez, je ne
laisserais pas d’avoir en vous une inébranlable confiance.
CHAPITRE LXV
De l’assaut de la vaine gloire
Le troisième assaut, c’est celui de la vaine gloire et de la
présomption. Sous ce rapport, veillez à ne pas vous laisser entraîner, sous
quelque prétexte que ce soit, au moindre mouvement de complaisance en vous-même
ou en vos actions ; glorifiez-vous uniquement dans le Seigneur, dans sa
miséricorde, dans les mérites de sa vie et de sa Passion. Humiliez-vous de plus
en plus à vos propres yeux jusqu’à votre dernier soupir ; et si vos bonnes
œuvres vous reviennent à la mémoire, reconnaissez que c’est Dieu qui en est
l’auteur. Implorez son secours, mais ne l’attendez point de vos mérites, si
nombreuses et si éclatantes qu’aient été vos victoires. Tenez-vous toujours dans
une crainte salutaire, et confessant ingénument que toutes vos œuvres seraient
inutiles si Dieu ne vous recueillait à l’ombre de ses ailes, vous vous confierez
uniquement en sa protection. Si vous suivez fidèlement ces avis, vos ennemis ne
pourront prévaloir contre vous ; et vous vous ouvrirez ainsi le chemin pour
passer joyeusement à la Jérusalem céleste.
CHAPITRE LXVI
De l’assaut des illusions et des fausses apparences, à
l’article de la mort
Si l’ennemi qui s’acharne à notre perte avec une activité que
rien ne lasse se transforme en ange de lumière pour vous assaillir de vaines
illusions, demeurez ferme et immobile dans la connaissance de votre néant, et
dites-lui hardiment : Retourne, malheureux, dans les ténèbres d’où tu es sorti ;
je ne mérite pas d’être favorisé de visions célestes ; je n’ai besoin que de la
miséricorde de mon Jésus et des prières de la Vierge Marie, de Saint Joseph et
des autres saints. Eussiez-vous les meilleurs motifs de croire que ces visions
vous viennent du Ciel, gardez-vous d’y ajouter foi ; rejetez-les bien loin de
vous. Cette résistance fondée sur le sentiment de votre indignité ne saurait
déplaire au Seigneur. Si c’est lui qui agit en vous, il saura bien rendre son
action évidente à vos yeux ; et vous n’y perdrez rien, car celui qui donne sa
grâce aux humbles ne la retire point, quelques actes d’humilité qu’ils posent.
Voilà les armes dont notre ennemi se sert généralement contre nous, à ce moment
suprême. En outre, il nous tente chacun en particulier d’après les inclinations
auxquelles il sait que nous sommes plus sujets. C’est pourquoi nous devons,
avant l’approche du grand combat, nous armer et lutter vaillamment contre les
passions qui nous attaquent avec plus de violence et qui exercent sur nous un
plus grand empire, afin de remporter plus facilement la victoire à ce moment
suprême qui ne laisse plus d’autre moment après lui, pour le pouvoir faire
encore. « Vous combattrez contre eux jusqu’à leur complète destruction » (I
Rois, XIV, 18).
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Lorenzo Scupoli (1530 - 1610).
Né à Otrante (Italie).
Théatin. – Le Combat spirituel (livre recommandé à la lecture par Saint
François de Sales).



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