Dom Vital LEHODEY
Ancien Abbé de Notre-Dame de Grâce
1857-1948


 

CHAPITRE VII
L'EXEMPLE DE NOTRE-SEIGNEUR

Qu'une âme soit éprise de l'amour de Notre-Seigneur, rien ne la porte à l'abandon, comme l'exemple de son Maître bien-aimé: il lui plaît souverainement, elle veut lui plaire uniquement, et, par suite, elle, s'efforce de l’imiter en toutes choses. Or sa vie entière n'a été qu'obéissance et abandon.

Il fait son entrée dans le monde. « D'abord il vient pour son Père, dit Mgr Gay. C'est ce Père qui est l'objet de toute sa religion et le terme de son sacrifice. Il lui parle donc et il dit: « Me voici, je viens « pour faire votre volonté ». Quoi pourtant ! ne vient-il pas prêcher, travailler, souffrir, mourir, vaincre l'enfer, fonder l'Église, et sauver le monde par sa croix ? Il est vrai, c'est bien là sa tâche. Il le sait : en s'ouvrant, ses yeux ont tout vu, son cœur l'a immédiatement embrassé. Il veut tout accomplir, jusqu'à un iota. Ille veut d'un vouloir plein de sincérité, d'amour et d'efficace. Mais, s'il veut tout cela, c'est que telle est l'éternelle volonté de son Père. C'est cette volonté seule qui le touche et le décide. Voyant tout le reste, c'est elle seule pourtant qu'il regarde; c'est d'elle seule qu'il parle, et d'elle seule qu'il prétend dépendre. Principe, fin, raison, lumière, appui, demeure, aliment, récompense, cette volonté divine lui est tout. Il s'y pose donc, il s'y réduit, il s'y enferme; et faisant plus tard tant de choses, des choses si relevées, si inouïes, si surhumaines, il ne fera jamais que cette chose très, simple, en laquelle nos petits enfants sont capables de l'imiter; il fera la volonté du Père céleste; il s'y livrera sans réserve et y vivra tout abandonné » .

Cette obéissance et cet abandon ont leur source dans son amour pour son Père; c'est une plénitude d'abandon, parce que c'est une plénitude d'amour : amour filial, confiant, désintéressé, généreux, sans réserve; amour débordant de reconnaissance pour tous les biens qu'il a reçus dans sa sainte Humanité ; amour plein de zèle, de dévouement et d'humilité; Victime chargée des péchés du monde entier, il estime que tous les châtiments lui sont dus, qu'aucune souffrance n'est de trop, pour réparer la gloire de son Père et lui ramener ses enfants égarés, et pourtant si tendrement chéris.

Amour filial, et même toujours amour d'enfant. « Eh quoi ! dit Mgr Gay, Jésus notre Seigneur, Jésus Fils éternel de Dieu, vrai Dieu comme son Père, Jésus selon son humanité n'a jamais été qu'un enfant. Même à nos yeux, c'est le premier état où il ait voulu paraître; mais pour son Père, mais aux yeux de la Divinité, de sa propre divinité, il n'a jamais cessé, il ne cessera jamais d'être un petit enfant. Elle mène tout, cette humanité, les séraphins lui baisent les pieds, et le monde entier la salue, à bon droit, comme sa maîtresse et sa souveraine : les rois sont ses sujets, les peuples sa propriété, les anges ses messagers... Elle est reine comme Dieu même est roi; et cependant, je vous le dis, elle n'est définitivement qu'un enfant, un enfant d'un jour et d'une heure, n'ayant, d'elle-même et toute seule, ni pensée, ni parole, ni mouvement, ni vie; un petit enfant caché dans le sein, porté sur les bras, livré aux droits, aux volontés, aux bons plaisirs, aux usages, aux sourires ineffables, aux caresses sans pareil, à l'amour infini de la Divinité qui est son père et sa mère. C'est ce qu'imite l'âme abandonnée. Du moment que c'est Dieu qui est notre Père, quels sont vis-à-vis de lui notre âge, notre taille et notre attitude ? Quand nous serions saint, Pierre ou saint Paul ou qui que ce soit des géants de la sainteté, serions-nous jamais grands devant Dieu »  ?

Si nous pouvions suivre la vie de Notre-Seigneur jusque dans ses moindres détails, nous y trouverions partout l'amour, la confiance, la docilité, l'abandon du petit enfant. Citons seulement quelques exemples, que nous emprunterons à saint François de Sales.

« Voyez le pauvre petit Jésus en la crèche : il reçoit la pauvreté, la nudité, la compagnie des animaux, toutes les injures du temps, le froid, et tout ce que son Père permet lui arriver. Il n'est pas écrit qu'il étendit jamais ses mains pour avoir le sein de sa Mère; mais il ne refusait pas les petits soulagements qu'elle lui donnait. Il recevait les services de saint Joseph, les adorations des rois et des bergers, et le tout avec une égale indifférence. Ainsi nous ne devons rien désirer, ni rien refuser, mais souffrir et recevoir également tout ce que la Providence de Dieu permettra nous arriver » .

« Si on eût demandé au doux Enfant-Jésus, porté dans les bras de sa Mère, où il allait, n'eût-il pas eu, raison de répondre : Je ne vais pas, c'est ma mère qui va pour moi ? et qui lui eût demandé : Mais au moins n'allez-vous pas avec votre mère ? n'eût-il pas eu raison de dire : Non, je ne vais nullement; ou si je vais là par où ma mère me porte, je n'y vais point par mes propres pas, j'y vais par les pas de ma mère. Comme ma bonne Mère marche pour moi aussi elle veut pour moi; je lui laisse également le soin et d'aller et de vouloir. Sa volonté suffit pour elle et pour moi, sans que je fasse aucun vouloir pour ce qui est d'aller ou de venir; je ne prends point garde si elle va vite ou bellement, si elle va d'un côté ou d'un autre, je ne m'enquiers nullement où elle veut aller, me contentant d'être, toujours entre ses bras et de me tenir bien attaché à son cou très aimable » .

Dans sa fuite en Égypte, Notre-Seigneur, qui est la Sagesse éternelle; et qui jouissait du parfait usage de sa raison, n'avertit pas saint Joseph ou sa très douce Mère de tout ce qui devait leur arriver. Il ne voulut rien entreprendre sur la charge de l'Archange Gabriel, qui avait été commis par le Père Éternel pour annoncer le mystère de l'Incarnation, pour être dès lors comme l'économe général de la Sainte Famille, pour en avoir soin dans les événements divers. Cet enfant tout-puissant, mais doux et humble de cœur, se laissait porter où l'on voulait, par qui l'on voulait; il s'abandonnait docilement entre les mains de l'Ange, quoique celui-ci n'eût point de science ni de sapience, pour entrer en comparaison avec sa divine Majesté .

« Quelques contemplatifs ont pensé que Notre-Seigneur, en Égypte, dans la boutique de saint Joseph et durant les trente ans de son adorable vie cachée, s'occupait quelquefois à faire des croix », et qu'il en offrait à ses amis (sa méthode n'a pas varié). Dévoré par le zèle pour son Père, pour son Eglise et pour les âmes, « il eut mille et mille langueurs amoureuses : il voyait l'heure d'être baptisé dans son sang, et il languissait jusqu'à ce qu'il le fût, afin de nous voir délivrés par sa mort de la mort éternelle ». Et cependant, lorsqu'il entre au Jardin des 0lives, il se livre aux plus terribles assauts de la crainte et des répugnances, « il les ressent volontairement pour l'amour de nous, s'en pouvant exempter, La douleur lui donne horreur de la mort, l'amour lui en donne un extrême désir, en sorte qu’un très âpre combat, une cruelle agonie se fait entre le désir et l'horreur de la mort, jusque à grande effusion de son sang, qui coule comme d'une source, ruisselant jusque à terre ». Mais il ne cesse de redire, avec un amoureux abandon : « Mon Père, que votre volonté soit faite, et non pas la mienne ». En conséquence, « il se laisse prendre, manier et mener au gré de ceux qui vont le crucifier, avec un abandonnement admirable de son corps et de sa vie entre leurs mains. De même, il va remettre son âme et sa volonté, par une indifférence très parfaite, aux mains de son Père éternel ».

Mais auparavant, une suprême douleur, la plus terrible de toutes, l'attendait « sur la croix, lorsqu'ayant tout quitté pour l'amour et l'obéissance de son Père, il fut comme quitté et laissé de lui; et, le torrent de passions emportant sa barque à la désolation, à peine sentait-il l'aiguille, qui non seulement regardait son Père, mais lui était inséparablement unie; mais la partie inférieure n'en savait ni apercevait rien : essai que jamais la divine bonté n'a fait ni ne fera en aucune autre âme, car elle ne le saurait supporter ». Pour nous montrer ce que nous pouvons et ce que nous devons faire, quand nos peines sont arrivées à leur comble, il se plaint filialement à son Père : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné »? Mais il se hâte d'ajouter de toutes ses forces et avec la plus amoureuse soumission : « Mon Père, je remets mon âme entre vos mains ». Il nous donne ainsi, à son Père et à nous, le suprême témoignage de son amour, « mourant en l'amour, par l'amour, pour l'amour et d'amour ». En même temps il nous apprend, « quand nos ennuis sont en leur extrémité, lorsque les convulsions des peines spirituelles nous ôtent toute autre sorte d'allégements et de moyens de résister, à remettre notre esprit entre les mains de Celui qui est notre, vrai père, et, baissant la tête de notre acquiescement à son bon plaisir, à lui consigner toute notre volonté » .

Ce continuel abandon de petit enfant, Notre-Seigneur a daigné l'étendre à toutes sortes d'épreuves. Car « il fut affligé incomparablement en sa vie civile, condamné comme criminel de lèse-majesté divine et humaine, battu, fouetté, bafoué et tourmenté avec une ignominie extraordinaire; en sa vie naturelle, mourant entre les plus cruels et sensibles tourments que l'on puisse imaginer; en sa vie spirituelle, souffrant des tristesses, craintes, épouvantements, angoisses, délaissements et oppressions intérieures, qui n'en eurent et n'en auront jamais de pareilles ». Et cela très volontairement. « Car encore que la suprême portion de son âme fût souverainement jouissante de la gloire éternelle, l'amour empêchait cette gloire de répandre ses délices ni ès sentiments, ni en l'imagination, ni en la raison inférieure, laissant ainsi tout le cœur exposé à la merci de la tristesse et angoisse » .

Il nous donne ainsi l'exemple d'accepter de grand cœur, et sans jamais nous rebuter, ces nille et mille épreuves, de l'ordre naturel ou spirituel, dont il nous reste à donner un rapide exposé.

   

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