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Dom
Vital LEHODEY
CHAPITRE VI Dans cette voie de l'amour et de l’abandon, Notre-Seigneur possède une attraction singulière pour captiver les volontés en ravissant les cœurs. Dieu comme le Père et le Saint-Esprit, il s'est fait homme comme nous : c'est Dieu devenu notre frère, notre ami, l'époux de nos âmes, Dieu merveilleusement mis à notre portée, Dieu revêtu pour nous d'un charme incomparable. La sainte Humanité est la porte : qui nous convenait pour entrer dans les secrets de la Divinité : elle offre à notre pensée un précieux appui, à notre cœur un délicieux attrait; à notre volonté un modèle proportionné. Jésus est le Sauveur auquel nous devons tout, le Chef qui nous communique la vie, la voie qu'Il faut suivre, le guide qui marche devant nous, le viatique qui soutient nos forces, le terme que nous devons atteindre, l'unique récompense que nous ambitionnons. Il est pour nous l'Alpha et l'Oméga, le principe et la fin. Sauf les attraits de grâce qu'il faut toujours respecter, on ne saurait trop conseiller aux âmes pieuses de ne rien préférer à Notre-Seigneur dans leurs dévotions, de lui faire une place prépondérante. La pratique la plus recommandée par les Maîtres de la piété est de le suivre principalement au Calvaire et à l'Autel. Beaucoup cependant préfèrent honorer son Sacré-Cœur ou sa très sainte Enfance. L'essentiel est qu'on ait très souvent Jésus sous les yeux pour le contempler, dans le cœur pour l'aimer, dans la volonté pour lui obéir et l'imiter. Après cela, que chacun suive son attrait, et cherche le bon Maître où il le trouve- plus facilement. Dans n'importe lequel de ses mystères, il a tout ce qu'il faut pour satisfaire aux aspirations et aux besoins les plus variés; c'est toujours la victime volontaire qui marche au sacrifice, l'Époux de sang qui nous invite à la souffrance, sa vie entière n'a été qu'une croix et un martyre. Jésus-Enfant, pour ne parler que de lui, a la main aussi ferme que douce, il est trop sage pour gâter ses amis. Un jour, «pendant la sainte Messe, il se présente à une religieuse avec une quantité de croix dans ses mains. Il y en avait de toutes les grandeurs, surtout des petites. Elles étaient si nombreuses qu'il pouvait à peine les tenir, et il lui dit gracieusement : Veux-tu de moi avec tout mon cortège ? Son cortège, c'étaient les croix. Oh! oui, gracieux et aimable Enfant, lui dit-elle, je vous veux avec tout votre cortège. Venez, je veux vous bien accueillir ».
Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus s'était offerte à son doux Ami « pour être son
petit jouet, le priant de ne pas s'en servir comme d'un jouet de prix, que les
enfants se contentent de regarder sans oser y toucher; mais comme d'une petite
balle de nulle valeur, qu'il pouvait jeter à terre, pousser du pied, percer,
laisser dans un coin, ou bien presser sur son cœur, si cela lui faisait plaisir.
En un mot, elle voulait amuser le petit Jésus et se livrer à ses caprices
enfantins. Il exauça sa prière, et ne se fit pas faute de percer son petit
jouet, voulant voir sans doute ce qu'il y avait dedans » . On ne saurait décrire
en termes plus gracieux un rude crucifiement, une vraie mort à soi-même, et la
douce main du petit Jésus suffit a cette forte besogne. Un jour, Notre-Seigneur montre à Gemma Galgani ses cinq plaies béantes, et lui dit : « Regarde, ma fille, et apprends comment on aime. Vois-tu cette croix, ces épines et ces clous, ces chairs livides, ces meurtrissures, ces plaies ? Tout est l’œuvre de l'amour, et de l'amour infini. Voilà jusqu'à quel point je t'ai aimée. Veux-tu m'aimer vraiment ? Apprends d'abord à souffrir; la souffrance apprend à aimer ». Cette vue du Rédempteur tout couvert de sang avait enflammé dans le cœur de la servante de Dieu le sentiment de l'amour jusqu'au sacrifice, et le vif désir de souffrir quelque chose pour Celui qui souffrait tant pour elle. Elle dépose tous ses bijoux : « Les seuls bijoux qui embellissent l'épouse d'un roi crucifié sont les épines et la croix ». Elle aime à souffrir, pour ressembler à son Bien-Aimé : « Je veux souffrir avec Jésus, s'écrie-t-elle; je veux être semblable à Jésus, toujours souffrir tant que je vivrai ». Son Ange gardien lui présente à choisir une couronne d'épines ou une couronne de lis : « Je veux celle de Jésus, elle seule me plaît », répond-elle; puis, avec une hâte ardente, elle prend la couronne d'épines, la couvre de baisers, la presse sur son cœur. « Toutes les consolations de Jésus, dit-elle aussi, je ne les veux pas. Jésus est l'homme des douleurs, je veux être la fille des douleurs ». Au cours d'une longue tribulation, elle dit à Notre-Seigneur : « Avec vous, il fait si bon souffrir » . Une autre généreuse enfant, Sœur Élisabeth de la Trinité, se déclare «toute heureuse de suivre la route du Calvaire, comme une épouse à côté du divin Crucifié » . -Une religieuse croit entendre Notre-Seigneur lui dire : « Veux-tu m'aimer dans la souffrance, l'immolation, le mépris » ? Elle accepte de grand cœur; mais, quand la douleur vient sous une forme ou l'aube, le premier mouvement est un mouvement de répulsion; et le divin Maître ajoute : « Laisse-toi écorcher, immoler... Épouse d'un Dieu crucifié, il faut que tu souffres... Enfant, buvons au même calice, au calice de la tristesse, de l'angoisse, de la douleur ». Après les faveurs les plus élevées, elle pense être moins que jamais exempte de la souffrance : « Plus que jamais, le Christ et moi devons boire au même calice, parcourir le même chemin, mourir sur la même croix ». Mais le bon Maître lui enseigne « qu'on aime dans la mesure où l'on est généreux », il lui apprend « à sourire sans cesse à la douleur »; elle accepte de n' être point consolée pour consoler le divin et grand Affligé ». « Je vous aimerai, vous le grand Abandonné; mais je vous aimerai dans la souffrance, dans l'oubli de moi-même et des créatures. Comment puis-je encore penser à moi »? Aussi ne veut-elle plus jouir auprès de son Bien-Aimé, mais souffrir afin qu'il trouve ses délices auprès des âmes religieuses et sacerdotales, mourir afin qu'il vive dans tous les cœurs. Jésus est, en effet, le Sauveur du monde. Il suscite des cœurs généreux; il y 'allume un zèle ardent pour les âmes qui se perdent, pour leur Bien-Aimé qui est si mal servi et tant offensé. Il les associe à son œuvre de rédemption, par suite à son sacrifice. Il se plaint à Gemma Galgani de la malice, de l'ingratitude, de l'indifférence générale : il est oublié comme s'il n'avait jamais aimé, comme s'il n'avait jamais souffert, comme s'il était pour tous un inconnu. Les pécheurs s'obstinent dans le mal, les tièdes ne se font pas violence, les affligés tombent dans l'abattement. On le laisse presque seul dans ses églises, son cœur est continuellement abreuvé de tristesse : Il lui faut une expiation immense, particulièrement pour les péchés et les sacrilèges dont il se voit outragé par les âmes qu'il a choisies entre mille. Et de grand cœur Gemma accepte son rôle, d'amour et d'expiation : « Je suis la victime, dit-elle, et Jésus est le sacrificateur. Souffrir, souffrir, mais sans aucune consolation, sans le moindre soulagement, souffrir par seul amour. Il me suffit d'être la victime de Jésus, pour expier mes innombrables péchés, et, s'il se peut, ceux du monde entier » . Ainsi parle cette innocente enfant. Toutes les grandes âmes que l'auguste Victime associe d'une façon spéciale a son œuvre de Rédemption, Il les marque du sceau de la croix. Selon l'heureuse expression de Sœur Élisabeth de la Trinité, il s'en fait « comme une humanité de surcroît; dans laquelle il puisse encore souffrir pour la gloire de son Père et les besoins de son Église, perpétuer ici-bas sa vie de réparation, de sacrifice, de louange et d'adoration » . Non moins belles, ces paroles d'une âme avide de voir Dieu; mais, « en ce temps de persécution, dit-elle, à l'heure où les Épouses de Jésus sont convoquées au Calvaire, mourir n'est pas mon rêve. je veux aller au Golgotha avec Jésus, je veux souffrir avec lui et pour lui; et, quand l'heure de son triomphe sera venue, oh! oui, je serai heureuse de m'unir à lui. Pour toi, mon Jésus, je veux souffrir; pour toi, mon, Jésus, je veux mourir, mourir sans consolation aucune. Mais auparavant, pour toi, mon Jésus, je veux vivre cachée et ignorée, méprisée. Pour te consoler, mon Jésus, et pour te gagner des âmes, je veux m’oublier, me renoncer, m'immoler. Je n'aime pas la souffrance, ô Jésus, tu le sais bien; quand elle se présente, la nature se révolte bien souvent; mais, au fond, je suis contente de souffrir quelque chose pour toi. Jésus, mon cœur est trop petit pour t'aimer, donne- moi les cœurs de tous les hommes qui ne t'aiment pas, je les consacrerai au pur amour ». L'angélique Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus voudrait être prêtre pour porter Jésus dans ses mains et le donner aux âmes. Elle voudrait éclairer le monde comme les docteurs, annoncer l'Évangile à la terre entière et dans tous les temps. Elle voudrait surtout le martyre, mais le martyre avec tous les genres de supplices. « Comme vous, mon époux adoré, je voudrais être flagellée, crucifiée. Je voudrais mourir dépouillée comme saint Barthélemy; comme saint Jean, je voudrais être plongée dans l'huile bouillante; je désire; comme saint Ignace d'Antioche, être broyée par la dent des bêtes, afin de devenir un pain digne de Dieu. Avec sainte Agnès et sainte Cécile, je voudrais présenter mon cou au glaive du bourreau, et, comme Jeanne d'Arc, sur un bûcher ardent, murmurer le nom de Jésus» ! Mais, puisque Dieu en a disposé autrement, sa vocation sera l'amour; et elle prouvera son amour en jetant des fleurs, c'est-à-dire en ne laissant échapper aucun petit sacrifice, aucun regard, aucune parole, profitant des moindres actions et les faisant par amour, souffrant et même jouissant par amour . Dieu veuille que des sentiments aussi élevés nous guident toujours dans la pratique du saint abandon ! Les grandes âmes que nous aimons à citer s'étaient offertes en victimes et demandaient parfois fa souffrance; nous avons dit précédemment ce que nous pensons de cette manière de faire.
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