PREMIÈRE PARTIE

Méditations sur la Passion de Jésus
pendant sa vie privée

15
Gamaliel

Jésus a vingt ans

 

Le jour de sa majorité, Jésus resta avec les docteurs du Temple, répondant à leurs questions et les interrogeant. La scène est bien connue... et l’Évangile nous dit que Jésus, ensuite, retourna à Nazareth avec ses parents, et qu’Il leur était soumis. Mais, même si l’Évangile ne nous en parle pas, il est certain que Jésus retourna souvent au Temple, au moment des grandes fêtes: c’était la coutume chez les juifs. L’Évangile ne nous raconte pas ces déplacements de Jésus, mais rien ne nous empêche de Le suivre dans un de ses pèlerinages.

Nous sommes à Jérusalem. Jésus a vingt ans environ. Marie est restée avec un groupe de femmes pour aller faire des emplettes. Joseph a rejoint, en ville, des membres de sa famille. Jésus est donc seul, mais cette fois, toujours soumis, Il a prévenu ses parents qu’ils pourraient Le rejoindre au Temple où Il désire prier...

Jésus, discrètement, pénètre dans le Temple. Un groupe de fidèles entoure plusieurs scribes et des docteurs venus là pour enseigner. Jésus s’approche du groupe et écoute, attentif. Un docteur parle de l’Amour du Seigneur pour son Peuple, et uniquement pour le peuple juif. Un pharisien lance même quelques paroles de haine à l’encontre des Romains et des Samaritains. Tout le monde semble approuver. Mais Jésus qui sait qu’Il est venu pour sauver tous les hommes, absolument tous, tous les hommes, de toutes races et de toutes les nations, émet quelques objections. Une discussion s’engage, par moments âpre et tendue. Jésus sent déjà naître chez certains des prêtres et des docteurs de la Loi, une hostilité sourde, quoique encore retenue. Et Jésus ressent douloureusement cette hostilité haineuse qui éclatera quelques années plus tard, pendant sa vie publique.

Jésus est aux affaires de son Père, mais ce n’est pas son Heure. Au milieu des docteurs on reconnaît le sage Gamaliel. Soudain perplexe,  le sage Gamaliel semble se retirer de la discussion et se rapprocher de Jésus. Il ne dit rien, mais on dirait qu’il se souvient de quelque chose. Ce jeune homme lui rappelle un enfant, alors âgé de douze ans, qui tenait des propos comparables. C’était il y a déjà si longtemps! Gamaliel s’éloigne, pensif: “Ce jeune homme ne serait-il pas l’enfant qu’il rencontra et admira il y a huit ou dix ans, au même endroit? Ce jeune homme ne serait-il pas le Messie attendu?

Gamaliel, dans son cœur, revit la scène d’autrefois. Ici même se tenait, parmi les docteurs, un groupe à la tête duquel il se trouvait avec un autre savant, un ami âgé et presque aveugle: le grand Hillel, que lui, Gamaliel conduisait et soutenait. Gamaliel se souvient aussi de la présence d’un autre groupe, dirigé par un certain Sciammaï qui manifestait une intransigeance haineuse envers tous les non-juifs. Oui, maintenant Gamaliel se souvient, comme si c’était hier, de l’événement qui l’avait tellement impressionné.

Hillel, le maître, conduisait les débats. Un tout jeune homme, encore presque un enfant, prit part à la discussion. Il affirmait que le Messie était déjà né, et Il faisait allusion à certains événements passés, dont l’apparition d’une étoile et la visite de plusieurs savants venus de l’Orient. Et l’enfant affirmait: “Le Christ vit, et Il est parmi vous, et quand sera venue son heure, Il se manifestera dans sa puissance.” Oui, maintenant Gamaliel est sûr de lui, et il revit dans son cœur la longue discussion qui se poursuivit alors.

Gamaliel, qui s’était progressivement éloigné revient vers le groupe de plus en animé. Il entend le jeune homme parler du Messie. Cette fois, Gamaliel est sûr de lui: ce jeune homme, c’est l’enfant qu’il a rencontré autrefois. Il tient des propos comparables, étonnants; il a des phrases qui ne trompent pas sur la connaissance qu’il a de son avenir... Ainsi: “Quand le sacrifice du Christ sera accompli, la paix viendra chez tous les israélites sans malice. Bientôt le Messie se manifestera, mais le peuple juif méconnaîtra son Roi, le Juste, le Sauveur. Le peuple ne l’aimera pas, parce que le Christ prêchera la vraie justice, tout ce qui ne plaît pas aux peuples et surtout à leurs dirigeants trop nantis et trop égoïstes.”

Jésus sourit à Gamaliel, mais à Sciammaï Il déclare:

– Le Christ, quand Il viendra, ouvrira beaucoup d’yeux et beaucoup d’oreilles. Mais toi et tes semblables vous fermerez votre cœur et vous Lui donnerez la mort en échange de la Vie qu’Il vous apportera. Et Jésus ajoute, dramatiquement:

– Mon heure n’est pas encore venue... Attendez-moi à mon heure. Ces pierres (celles du Temple) trembleront et frémiront à ma dernière parole [1].

Plusieurs pharisiens et docteurs haussent les épaules. Gamaliel paraît terrifié tandis que Jésus s’en va. Jésus s’éloigne, seul. Il arrive dans un jardin solitaire et s’assied, pensif. Jésus, est devenu triste, triste à en mourir. Des larmes coulent le long de ses joues, et des paroles s’échappent de ses lèvres: “Ces pauvres savants ne pourront-ils donc jamais comprendre? Ne voudront-ils jamais  accueillir la vérité de la parole de mon Père? Resteront-ils toujours sourds et aveugles?”

La tristesse de Jésus est poignante. Jésus, a-t-Il une nouvelle vision de l’avenir ? Vit-Il déjà, dans ton Cœur et dans son Esprit une phase de sa grande Passion?  Contemple-t-Il le pauvre Gamaliel gémissant au pied de sa Croix, mais trop tard, après sa mort ? Sa Passion et celle du sage d’Israël viennent-elles de se rencontrer dans son Cœur ?

Maria Valtorta, raconte, dans ses écrits, comment elle revit Gamaliel durant la Passion de Jésus [2]. Selon elle, ce sage ne voulut pas participer à l’indigne et illégal procès mené par le Sanhédrin contre Jésus. Parfois même, il semblait très troublé, mais ce n’est qu’au moment du tremblement de terre qui accompagna la mort de Jésus sur la Croix, et lorsqu’il vit le voile du Temple se déchirer, qu’il comprit que Jésus était vraiment le Messie. 

Stupéfié, effondré, Gamaliel se précipita vers le Calvaire, pour supplier Jésus et obtenir son pardon. Rencontrant Joseph d’Arimathie et Nicodème il s’écria:

– Chose terrible! J’étais dans le Temple ! Le signe ! Le Temple tout ouvert ! Le rideau pourpre et jacinthe pend, déchiré ! Le Saint des Saints est découvert! Anathème sur nous !...

Nicodème et Joseph le regardent s’éloigner. Puis ils se regardent et disent ensemble :

– Ces pierres frémiront à mes dernières paroles! Jésus le lui avait promis !...

Gamaliel poursuit sa course et arrive au Calvaire, hors d’haleine. C’était trop tard: Jésus venait de mourir. Épuisé Il se jette par terre et gémit : “Le signe ! Le signe ! Dis-moi que Tu me pardonnes ! Un gémissement, même un seul gémissement, pour me dire que Tu me pardonnes.” C’est à ce moment que Gamaliel voit que Jésus est déjà mort: Mort ? Tu es mort ? Oh !...”

Le désespoir de Gamaliel est dramatique, et il ne cesse d’implorer la clémence de Jésus. Mais soudain, il s’apaise et dit : “J’ai le signe demandé... Mais des siècles et des siècles de cécité spirituelle restent sur ma vue intérieure, et contre ma volonté de maintenant se dresse la voix de mon orgueilleuse pensée d’hier... Pitié pour moi!... Je suis le vieux juif fidèle à ce qu’il croyait justice et qui était erreur.”

Jésus ! Depuis des années Tu vis, heureux, à Nazareth, avec Marie et Joseph le Charpentier. Ta vie se passe sans histoire, et l’Évangile ne nous dit rien de Toi. Tu as vécu comme les autres enfants et adolescents de ton peuple, et Marie, qui avait été élevée au Temple T’enseignait la Loi de Dieu, et tout ce qu’un juif pieux doit savoir. Tu étais un élève docile et aimant, toujours attentif, toujours studieux. Tu étais la joie de tes parents, et Toi, quoique sérieux, Tu semblais toujours joyeux. Rien ne semblait troubler la paix de ton âme et de ton cœur, et pourtant, déjà, Tu avais commencé ton Chemin vers la Croix, et Tu le savais, et Tu vivais avec, sans cesse dans ta pensée, la vision du rejet de ton peuple et de ta condamnation au supplice de la Croix.

Jésus, nous ne savons pas ce qui se passait dans ta conscience d’enfant puis d’adolescent, fils d’une femme, Marie, mais aussi, Fils de Dieu. Nous ne savons pas si la perspective de la Croix hantait constamment ta pensée, mais il y a des épisodes de l’Écriture sainte qui nous laissent deviner que certainement Tu savais et que déjà Tu souffrais.

Oui, tu savais, et la conversation que Tu eus au Temple, avec les docteurs de la Loi, alors que Tu n’étais encore qu’un tout jeune adolescent, le prouve. Certes, les révélations privées ne sont pas articles de foi. Mais lorsqu’elles rejoignent les affirmations de l’Écriture, on aurait certainement tort de les rejeter en bloc. Et dans le cas qui nous occupe, l’attitude de Gamaliel semble plus que plausible. Un peu plus tard, comme cela est raconté dans les Actes des apôtres, Gamaliel aura, envers ses collègues juifs, une attitude pleine de bon sens et de mansuétude pour sauver les apôtres. Tout cela peut justifier notre méditation. Oui Jésus, à l’âge de douze ans, Tu savais. Tu savais que ton peuple Te rejetterait, Tu savais que Tu serais condamné, et Tu savais que Tu serais élevé de terre, c’est-à-dire crucifié.

Jésus, ta présence au milieu des docteurs, pour être aux affaires de ton Père, était véritablement une des douloureuses stations de ton chemin de Croix. Aujourd’hui nous Te contemplons de nouveau parmi les docteurs. Tu sais que ton heure n’est pas encore venue, mais Tu dois, dès le premier jour de ta majorité, donner les premiers éléments de ta réalité messianique, afin que, plus tard, ceux qui auront su garder leur cœur ouvert, puissent te reconnaître. Hillel a certainement compris, et Gamaliel aussi. Mais pas les autres, trop encombrés dans leurs durs préjugés et leurs idées préconçues...

Jésus, nous Te contemplons parmi les docteurs. Tu es encore un enfant, mais déjà Tu déranges ceux qui ont un cœur de pierre. L’hostilité que Tu rencontreras plus tard, hostilité toujours grandissante à mesure que Tu Te rapprocheras du terme, l’hostilité est déjà là. À peine as-Tu ouvert la bouche pour ouvrir les yeux et les oreilles des hommes qui disent T’attendre, que tout se ferme en eux, pour ne pas entendre, pour ne pas voir, pour ne pas ouvrir leur esprit et leur cœur.

Jésus, Tu n’es encore qu’un jeune adulte. Ton heure n’est pas encore venue, mais Tu dois être aux affaires de ton Père afin d’ouvrir l’esprit et le cœur des tiens. Tu dois être aux affaires de ton Père, afin que, lorsque ton heure sera venue, ils se souviennent de tes paroles et Te reconnaissent...

Jésus Tu dois partir maintenant pour continuer ton Chemin vers ta Croix. Et pour donner la paix à tes parents à qui Tu es toujours soumis.

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