

Jésus a vingt ans
Le jour de sa majorité, Jésus resta avec les docteurs du
Temple, répondant à leurs questions et les interrogeant. La scène est bien
connue... et l’Évangile nous dit que Jésus, ensuite, retourna à Nazareth avec
ses parents, et qu’Il leur était soumis. Mais, même si l’Évangile ne nous en
parle pas, il est certain que Jésus retourna souvent au Temple, au moment des
grandes fêtes: c’était la coutume chez les juifs. L’Évangile ne nous raconte pas
ces déplacements de Jésus, mais rien ne nous empêche de Le suivre dans un de ses
pèlerinages.
Nous sommes à Jérusalem. Jésus a vingt ans environ. Marie est
restée avec un groupe de femmes pour aller faire des emplettes. Joseph a
rejoint, en ville, des membres de sa famille. Jésus est donc seul, mais cette
fois, toujours soumis, Il a prévenu ses parents qu’ils pourraient Le rejoindre
au Temple où Il désire prier...
Jésus, discrètement, pénètre dans le Temple. Un groupe de
fidèles entoure plusieurs scribes et des docteurs venus là pour enseigner. Jésus
s’approche du groupe et écoute, attentif. Un docteur parle de l’Amour du
Seigneur pour son Peuple, et uniquement pour le peuple juif. Un pharisien lance
même quelques paroles de haine à l’encontre des Romains et des Samaritains. Tout
le monde semble approuver. Mais Jésus qui sait qu’Il est venu pour sauver tous
les hommes, absolument tous, tous les hommes, de toutes races et de toutes les
nations, émet quelques objections. Une discussion s’engage, par moments âpre et
tendue. Jésus sent déjà naître chez certains des prêtres et des docteurs de la
Loi, une hostilité sourde, quoique encore retenue. Et Jésus ressent
douloureusement cette hostilité haineuse qui éclatera quelques années plus tard,
pendant sa vie publique.
Jésus est aux affaires de son Père, mais ce n’est pas son
Heure. Au milieu des docteurs on reconnaît le sage Gamaliel. Soudain perplexe,
le sage Gamaliel semble se retirer de la discussion et se rapprocher de Jésus.
Il ne dit rien, mais on dirait qu’il se souvient de quelque chose. Ce jeune
homme lui rappelle un enfant, alors âgé de douze ans, qui tenait des propos
comparables. C’était il y a déjà si longtemps! Gamaliel s’éloigne, pensif: “Ce
jeune homme ne serait-il pas l’enfant qu’il rencontra et admira il y a huit ou
dix ans, au même endroit? Ce jeune homme ne serait-il pas le Messie attendu?
Gamaliel, dans son cœur, revit la scène d’autrefois. Ici même
se tenait, parmi les docteurs, un groupe à la tête duquel il se trouvait avec un
autre savant, un ami âgé et presque aveugle: le grand Hillel, que lui, Gamaliel
conduisait et soutenait. Gamaliel se souvient aussi de la présence d’un autre
groupe, dirigé par un certain Sciammaï qui manifestait une intransigeance
haineuse envers tous les non-juifs. Oui, maintenant Gamaliel se souvient, comme
si c’était hier, de l’événement qui l’avait tellement impressionné.
Hillel, le maître, conduisait les débats. Un tout jeune
homme, encore presque un enfant, prit part à la discussion. Il affirmait que le
Messie était déjà né, et Il faisait allusion à certains événements passés, dont
l’apparition d’une étoile et la visite de plusieurs savants venus de l’Orient.
Et l’enfant affirmait: “Le Christ vit, et Il est parmi vous, et quand sera
venue son heure, Il se manifestera dans sa puissance.” Oui, maintenant
Gamaliel est sûr de lui, et il revit dans son cœur la longue discussion qui se
poursuivit alors.
Gamaliel, qui s’était progressivement éloigné revient vers le
groupe de plus en animé. Il entend le jeune homme parler du Messie. Cette fois,
Gamaliel est sûr de lui: ce jeune homme, c’est l’enfant qu’il a rencontré
autrefois. Il tient des propos comparables, étonnants; il a des phrases qui ne
trompent pas sur la connaissance qu’il a de son avenir... Ainsi: “Quand le
sacrifice du Christ sera accompli, la paix viendra chez tous les israélites sans
malice. Bientôt le Messie se manifestera, mais le peuple juif méconnaîtra son
Roi, le Juste, le Sauveur. Le peuple ne l’aimera pas, parce que le Christ
prêchera la vraie justice, tout ce qui ne plaît pas aux peuples et surtout à
leurs dirigeants trop nantis et trop égoïstes.”
Jésus sourit à Gamaliel, mais à Sciammaï Il déclare:
– Le Christ, quand Il viendra, ouvrira beaucoup d’yeux et
beaucoup d’oreilles. Mais toi et tes semblables vous fermerez votre cœur et vous
Lui donnerez la mort en échange de la Vie qu’Il vous apportera. Et Jésus ajoute,
dramatiquement:
– Mon heure n’est pas encore venue... Attendez-moi à mon
heure. Ces pierres (celles du Temple) trembleront et frémiront à ma dernière
parole
.
Plusieurs pharisiens et docteurs haussent les épaules.
Gamaliel paraît terrifié tandis que Jésus s’en va. Jésus s’éloigne, seul. Il
arrive dans un jardin solitaire et s’assied, pensif. Jésus, est devenu triste,
triste à en mourir. Des larmes coulent le long de ses joues, et des paroles
s’échappent de ses lèvres: “Ces pauvres savants ne pourront-ils donc jamais
comprendre? Ne voudront-ils jamais accueillir la vérité de la parole de mon
Père? Resteront-ils toujours sourds et aveugles?”
La tristesse de Jésus est poignante. Jésus, a-t-Il une
nouvelle vision de l’avenir ? Vit-Il déjà, dans ton Cœur et dans son Esprit une
phase de sa grande Passion? Contemple-t-Il le pauvre Gamaliel gémissant au pied
de sa Croix, mais trop tard, après sa mort ? Sa Passion et celle du sage
d’Israël viennent-elles de se rencontrer dans son Cœur ?
Maria Valtorta, raconte, dans ses écrits, comment elle revit
Gamaliel durant la Passion de Jésus
.
Selon elle, ce sage ne voulut pas participer à l’indigne et illégal procès mené
par le Sanhédrin contre Jésus. Parfois même, il semblait très troublé, mais ce
n’est qu’au moment du tremblement de terre qui accompagna la mort de Jésus sur
la Croix, et lorsqu’il vit le voile du Temple se déchirer, qu’il comprit que
Jésus était vraiment le Messie.
Stupéfié, effondré, Gamaliel se précipita vers le Calvaire,
pour supplier Jésus et obtenir son pardon. Rencontrant Joseph d’Arimathie et
Nicodème il s’écria:
– Chose terrible! J’étais dans le Temple ! Le signe ! Le
Temple tout ouvert ! Le rideau pourpre et jacinthe pend, déchiré ! Le Saint des
Saints est découvert! Anathème sur nous !...
Nicodème et Joseph le regardent s’éloigner. Puis ils se
regardent et disent ensemble :
– Ces pierres frémiront à mes dernières paroles! Jésus le
lui avait promis !...
Gamaliel poursuit sa course et arrive au Calvaire, hors
d’haleine. C’était trop tard: Jésus venait de mourir. Épuisé Il se jette par
terre et gémit : “Le signe ! Le signe ! Dis-moi que Tu me pardonnes ! Un
gémissement, même un seul gémissement, pour me dire que Tu me pardonnes.”
C’est à ce moment que Gamaliel voit que Jésus est déjà mort: Mort ? Tu es
mort ? Oh !...”
Le désespoir de Gamaliel est dramatique, et il ne cesse
d’implorer la clémence de Jésus. Mais soudain, il s’apaise et dit : “J’ai le
signe demandé... Mais des siècles et des siècles de cécité spirituelle restent
sur ma vue intérieure, et contre ma volonté de maintenant se dresse la voix de
mon orgueilleuse pensée d’hier... Pitié pour moi!... Je suis le vieux juif
fidèle à ce qu’il croyait justice et qui était erreur.”
Jésus ! Depuis des années Tu vis, heureux, à Nazareth, avec
Marie et Joseph le Charpentier. Ta vie se passe sans histoire, et l’Évangile ne
nous dit rien de Toi. Tu as vécu comme les autres enfants et adolescents de ton
peuple, et Marie, qui avait été élevée au Temple T’enseignait la Loi de Dieu, et
tout ce qu’un juif pieux doit savoir. Tu étais un élève docile et aimant,
toujours attentif, toujours studieux. Tu étais la joie de tes parents, et Toi,
quoique sérieux, Tu semblais toujours joyeux. Rien ne semblait troubler la paix
de ton âme et de ton cœur, et pourtant, déjà, Tu avais commencé ton Chemin vers
la Croix, et Tu le savais, et Tu vivais avec, sans cesse dans ta pensée, la
vision du rejet de ton peuple et de ta condamnation au supplice de la Croix.
Jésus, nous ne savons pas ce qui se passait dans ta
conscience d’enfant puis d’adolescent, fils d’une femme, Marie, mais aussi, Fils
de Dieu. Nous ne savons pas si la perspective de la Croix hantait constamment ta
pensée, mais il y a des épisodes de l’Écriture sainte qui nous laissent deviner
que certainement Tu savais et que déjà Tu souffrais.
Oui, tu savais, et la conversation que Tu eus au Temple, avec
les docteurs de la Loi, alors que Tu n’étais encore qu’un tout jeune adolescent,
le prouve. Certes, les révélations privées ne sont pas articles de foi. Mais
lorsqu’elles rejoignent les affirmations de l’Écriture, on aurait certainement
tort de les rejeter en bloc. Et dans le cas qui nous occupe, l’attitude de
Gamaliel semble plus que plausible. Un peu plus tard, comme cela est raconté
dans les Actes des apôtres, Gamaliel aura, envers ses collègues juifs, une
attitude pleine de bon sens et de mansuétude pour sauver les apôtres. Tout cela
peut justifier notre méditation. Oui Jésus, à l’âge de douze ans, Tu savais. Tu
savais que ton peuple Te rejetterait, Tu savais que Tu serais condamné, et Tu
savais que Tu serais élevé de terre, c’est-à-dire crucifié.
Jésus, ta présence au milieu des docteurs, pour être aux
affaires de ton Père, était véritablement une des douloureuses stations de ton
chemin de Croix. Aujourd’hui nous Te contemplons de nouveau parmi les docteurs.
Tu sais que ton heure n’est pas encore venue, mais Tu dois, dès le premier jour
de ta majorité, donner les premiers éléments de ta réalité messianique, afin
que, plus tard, ceux qui auront su garder leur cœur ouvert, puissent te
reconnaître. Hillel a certainement compris, et Gamaliel aussi. Mais pas les
autres, trop encombrés dans leurs durs préjugés et leurs idées préconçues...
Jésus, nous Te contemplons parmi les docteurs. Tu es encore
un enfant, mais déjà Tu déranges ceux qui ont un cœur de pierre. L’hostilité que
Tu rencontreras plus tard, hostilité toujours grandissante à mesure que Tu Te
rapprocheras du terme, l’hostilité est déjà là. À peine as-Tu ouvert la bouche
pour ouvrir les yeux et les oreilles des hommes qui disent T’attendre, que tout
se ferme en eux, pour ne pas entendre, pour ne pas voir, pour ne pas ouvrir leur
esprit et leur cœur.
Jésus, Tu n’es encore qu’un jeune adulte. Ton heure n’est pas
encore venue, mais Tu dois être aux affaires de ton Père afin d’ouvrir l’esprit
et le cœur des tiens. Tu dois être aux affaires de ton Père, afin que, lorsque
ton heure sera venue, ils se souviennent de tes paroles et Te reconnaissent...
Jésus Tu dois partir maintenant pour continuer ton Chemin
vers ta Croix. Et pour donner la paix à tes parents à qui Tu es toujours soumis.


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