
Jésus marche sur les eaux
Les apôtres sont très excités: hier le Maître a multiplié des
pains et des poissons. Hier, le Maître a nourri une foule nombreuse: quatre
mille hommes, sans compter les femmes et les enfants... Hier la foule était
enthousiaste et nombreux étaient ceux qui voulaient Le faire Roi: vraiment, le
Messie, c’est Lui. Jésus est vraiment le Messie que tous les juifs attendent,
celui qui délivrera le peuple de toutes ses humiliations. Oui, Jésus est celui
qui chassera enfin les Romains...
Les apôtres sont très excités et terriblement déçus: pourquoi
Jésus s’est-Il caché dans la montagne juste au moment où on allait Le faire
Roi? Et aujourd’hui, où est-Il? Que fait-Il? Et eux, que doivent-ils faire?
Oui, les apôtres sont très excités. Chacun émet une hypothèse, donne un avis,
mais le temps passe et aucune décision ne peut être prise. Cependant la faim
commence à se faire sentir, et les apôtres, restés seuls depuis douze heures
sont bien aises d’avoir du pain et des poissons à manger: douze corbeilles du
bon pain de Jésus, et des poissons délicieux; tout ce qui restait du miracle de
la veille.
Les apôtres se sont restaurés et ils ont fait une longue
sieste.
– Il faut partir, maintenant, dit Pierre, et aller de l’autre
côté du Lac. Il nous a demandé d’y aller: peut-être nous rejoindra-t-Il bientôt?
La journée se passe calmement, et la nuit les surprend alors
qu’ils sont encore sur l’eau... Le temps était si calme, et l’ambiance si
reposante que les apôtres ne sentent plus aucune fatigue. On pourrait presque
passer la nuit dans les barques: un seul vigile suffirait bien.
C’est maintenant le tour de Pierre d’être de quart.
Consciencieux, il essaie de ne pas s’endormir, mais tout est si calme...
– Tiens, que se passe-t-il là-bas? se demande Pierre,
soudain. Je n’ai jamais vu çà! On dirait une silhouette qui se dirige vers nous.
Mais, c’est un homme, un homme qui marche sur les eaux!... Oh! moi, les
fantômes, je n’aime pas du tout çà.
Terrifié, Pierre réveille tous les autres. Non, il ne rêvait
pas, il y a bien quelqu’un qui marche sur les eaux, qui se dirige vers eux. Et
maintenant la mer s’agite. Et ils sont encore loin du rivage!
– Vite, il faut partir d’ici et rejoindre le rivage au plus
vite car la tempête se lève.
Mais les vents sont contraires, et les hommes s’affolent. Et
le fantôme est maintenant tout près, et les apôtres ont peur... Pourtant, on
dirait...
– Oui, c’est Moi, dit Jésus, n’ayez donc pas peur.
Curieusement, sans que l’on sache comment, les barques ont
atteint le rivage: elles accostent. Les apôtres descendent des barques, et Jésus
leur demande de cuire quelques poissons, de ceux qui restent encore d’hier.
Personne n’ose prendre la parole, sauf Judas qui demande:
– Est-ce maintenant que Tu va rétablir le Royaume d’Israël?
Nous sommes tous prêts.
– Oui, ajoute Pierre, moi, je donnerais ma vie pour Toi.
Jésus soupire, mais ne répond pas; Il invite au contraire ses
apôtres à nettoyer la plage, à bien arrimer les barques, et à venir avec Lui,
pour louer le Père du ciel. La journée s’annonce belle, les apôtres sont
reposés, et plein d’enthousiasme et d’espoirs trop humains. Ils doivent se
recueillir et faire silence en eux. Alors Jésus entonne des psaumes que ses
compagnons reprennent à pleine voix. Les apôtres chantent, mais ne comprennent
pas toujours le sens de certains versets. Ainsi, du psaume 38 (37) :
2-Seigneur, ne me punis pas avec emportement, ne me
reprends pas si tu es en colère.
3-Car tes flèches m’ont atteint, tu fais peser ta main sur moi.
4-Ta colère n’a rien laissé d’intact en ma chair, rien n’est sain dans mes os:
c’est le prix de ma faute.
– Seigneur, de qui parle le psaume, demande Simon le Zélote?
Qu’a bien pu faire cet homme pour recevoir une telle punition? S’agit-il de
David, à cause de son péché? Ou de Salomon ?
– Non, ce serait plutôt Job! affirme Matthieu.
– Ou encore Jonas dans le ventre du poisson, déclare
Philippe.
– Moi, dit Jean, il y a tant de choses que je ne comprends
pas dans les psaumes, tant de souffrances exprimées !
Jésus ne répond pas, mais fait signe de continuer.
11-Mon cœur défaille, mes forces m’abandonnent, même la
lumière de mes yeux me fait défaut.
12-Mes plaies tiennent à distance amis et compagnons, mes familiers se gardent
d’approcher.
– C’est sûr, c’est de Job qu’il s’agit, murmure Barthélemy.
13-Ceux qui désirent ma mort font déjà des projets, jusque
dans leurs paroles ils cherchent mon malheur, tout le long du jour ils arrangent
leurs mensonges.
– Pourtant, personne ne voulait la mort de Job. Ses amis
essayaient de lui prouver qu’il avait péché, mais ils ne voulaient pas sa mort,
ajoute Thomas.
Chez les juifs, à cette époque, on n’interrompait pas une
prière commune. Aussi Jésus continue-t-Il, seul :
22-Mes ennemis sont puissants et beaucoup me détestent
sans raison.
21-Ils me rendent le mal pour le bien, me persécutent parce que je veux leur
bien.
22-Ne m’abandonne pas, Seigneur, pourquoi rester si loin de moi, mon Dieu?
23-Hâte-toi de venir à mon aide, Seigneur, mon Sauveur. Psaume 38 (37)
– Mais enfin! Seigneur, de qui s’agit-il? s’écrie Pierre.
Comment peut-on persécuter celui qui fait le bien?
Jésus se tait toujours. Il sourit, mais de son sourire triste
émane un tel amour que les apôtres poursuivent:
3-Je m’enfermais dans le silence, je me taisais...
4-Mon cœur bouillait en moi, le scandale entretenait le feu, il fallut que je
parle.
– Bien sûr! Comment se taire devant un tel scandale? Comment
se taire quand tout se révolte en soi ? explose Pierre.
10-Je vais me taire, je n’ouvre plus la bouche, puisque
c’est Toi qui agis.
– Alors, il se tait, ou il parle? lance Judas.
– Comment pourrait-il se plaindre puisque c’est Dieu qui
agit ? répond Thaddée.
11-Détourne de moi tes coups, ta main m’a frappé jusqu’à
m’achever. (Ps. 39 [38])
– Maître, dit maintenant Jacques, c’est la première fois que
je réalise ce que contient cette prière. Pourquoi un tel acharnement sur un
homme qui ne fait pas le mal? Quel est son péché pour susciter une telle
punition? Pourquoi Yahvé permet-Il qu’il soit frappé à mort? N’y a-t-il pas des
incohérences dans tout ceci? Jésus, dis-nous ce que David a voulu nous
enseigner à travers son chant.
– Mes amis, ajoute Jésus, écoutez aussi la plainte de
Jérémie:
19-Dire que j’étais comme l’agneau qui se laisse gentiment
conduire à la boucherie... “Faisons-lui absorber assez d’épreuves, disaient-ils,
pour qu’il disparaisse de la terre des vivants, et plus personne ne prononcera
son nom.” (Jr. X)
-Et encore :
22-Ils ont creusé un piège pour me prendre, ils ont caché
des filets sous mes pas.
23-Tu le sais, Yahvé, ce qu’ils veulent, c’est ma mort ! (Jr. XVIII)
Les apôtres se taisent maintenant. Le silence est devenu
pesant; une certaine inquiétude semble avoir envahi le groupe tout à l’heure si
joyeux. Jésus laisse les siens méditer pendant quelques instants, puis,
solennel, Il déclare:
– C’est de moi que les prophètes ont parlé? Vous ne pouvez
pas encore comprendre tout le sens de ces paroles inspirées: vous les
comprendrez plus tard. Sachez seulement que le monde Me hait comme il a haï,
lapidé et tué les prophètes. Le Fils de l’Homme est déjà condamné dans le cœur
de ceux qui devaient L’accueillir. Le Fils de l’Homme sera livré aux mains des
méchants qui Le crucifieront. Mais ne craignez pas, petit troupeau, le troisième
jour Je ressusciterai. Avez-vous compris?
– Non! Maître, avoue Jean, pas très bien.
– Tu comprendras plus tard. Vous aussi, mes amis, vous
comprendrez lorsqu’il en sera temps. Allons, maintenant, nous devons continuer
et poursuivre notre tâche.


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