Troisième partie

Méditations sur la Passion de Jésus pendant sa vie publique
La Cène et l’Agonie

2
L’Heure du doute

Premier Jeudi-Saint. C’est environ la neuvième heure. Jésus est seul. Il a vu tous ceux à qui Il voulait faire ses adieux et donner ses dernières recommandations. Il fait chaud et lourd. Le soleil orageux et voilé crée une lumière blanchâtre, difficile à supporter, presque aveuglante, et une atmosphère étrange.

Jésus marche dans les rues de Jérusalem. Ses apôtres préparent la salle pour la fête qui sera sa dernière Pâque sur la terre... Jésus s’éloigne des ruelles étouffantes et bruyantes de la ville, et se réfugie dans l’accueillant jardin des Oliviers. Dans le calme bienfaisant Jésus s’assoit: l’heure Lui est propice pour se recueillir et retrouver le Père.

Jésus prie, mais curieusement le Père n’est pas au rendez-vous. Jésus appelle le Père, mais ce sont des pensées de doute qui viennent à son esprit, les pensées du vieux Sage, tourmenté et affligé. Dans son Cœur, Jésus entend les paroles que le Tentateur lui avait déjà dites, autrefois, dans le Désert de la Grande Tentation: 1-À partir de raisonnements faux, les impies (serait-ce les grands-prêtres du Temple?) tirent ces conclusions: “Notre vie est courte et pleine de déceptions, nous aurons une fin et ce sera sans remède: on n’a jamais vu que quelqu’un soit remonté du monde des morts.

Que fais-Tu ici? susurre une voix malsaine. Va chercher ta Mère et pars: Tu en as grandement le temps. À quoi bon attendre la mort, une mort que Tu sais être terrible, et qui ne servira à rien! 2-Un hasard nous a fait naître; arrivés au bout ce sera comme si nous n’avions pas été. Notre souffle vital n’est que la vapeur de notre haleine, notre pensée jaillit comme une étincelle du battement de notre cœur! 3-Qu’elle vienne à s’éteindre, le corps tombera en poussière, et l’esprit se dispersera comme une bouffée d’air.

– Va-t-en vite, poursuit la voix. Va-t-en vite, Tu as le temps. Pourquoi faire souffrir ta Mère inutilement? Si Tu n’as pas pitié de Toi, aies au moins pitié d’elle. Et puis, Tu es encore jeune, Tu es loin d’avoir terminé ta mission: si Tu pars maintenant, que restera-t-il de Toi et de tes enseignements? Dans quelques semaines plus personne ne se souviendra de Toi, ni de tes paroles...  Comme il disait juste le vieux Sage: 4-Avec le printemps notre nom s’oubliera, personne ne pensera plus à ce que nous avons fait; notre vie passe comme l’ombre d’un nuage, elle s’évanouira comme le brouillard aux rayons du soleil. 5-Notre vie n’est que le passage d’une ombre, la fin arrive et c’est sans retour: les scellés sont mis et nul ne revient.

– Tu entends? C’était un sage qui parlait. On dit même que c’est Dieu qui l’inspirait: rejetterais-Tu la parole de Dieu? Non, bien sûr, surtout pas Toi qui Te dis Fils de Dieu... Mais, au juste, l’es-Tu vraiment, Fils de Dieu? En es-Tu toujours aussi sûr? Allons, pars d’ici, Tu es jeune, viens cueillir la vie, et ensemble, Toi et moi, nous serons heureux... 6-Viens, jouissons des biens présents, profitons des créatures, allons-y: c’est la jeunesse! 7-Vite, du vin et des parfums. 8-Ne laissons pas se faner les roses, qu’elles s’ajoutent à notre couronne! 9-Qu’aucun d’entre nous ne manque à nos orgies; nous laisserons partout des souvenirs de nos fêtes, puisque c’est là notre part et notre lot.

– Viens! Que crains-Tu? Le mépris de quelques bien-pensants? Mais ce ne sont que des insignifiants sans consistance, des êtres sans intérêt, bons seulement à nous servir... Viens, 10-Nous en ferons voir aux pauvres bien corrects, et ce sera pareil pour les veuves; pas de respect pour les vieillards aux cheveux blancs! 11-La force justifiera notre bon droit: la faiblesse est la preuve qu’on ne sert à rien. 12-Faisons la guerre à celui qui nous ennuie avec sa Loi: il critique notre conduite, il nous reproche de violer la loi et nous fait honte de notre éducation.

Jésus chasse ces idées tentatrices, mais c’est la suite du cantique qui ricane et s’impose à son esprit: 13-Il se vante de connaître Dieu et se proclame un enfant du Seigneur. 14-Sa seule présence contredit nos idées, et rien que de le voir nous irrite! 15-Car il ne vit pas comme les autres, et son comportement est bizarre. 16-Il nous considère comme des dégénérés, il croirait se souiller s’il faisait comme nous. Il parle de bonheur pour les justes tout à la fin, et il se vante d’avoir Dieu pour Père.

Jésus se lève:

– Arrière Satan! Je connais bien tes méthodes perverses. Oui, Je connais Dieu, Je connais le Père. Oui, Je suis l’enfant du Seigneur. Mon comportement n’est pas bizarre, il est seulement conforme à la Loi de Dieu. Oui, Je suis, Je suis, et suis avec le Père, Je suis le Verbe de Dieu, la Parole bien-aimée du Père. Et Je donne du bonheur aux justes, aux pauvres et aux petits, à tous ceux que l’on prend pour des dégénérés, mais qui sont tes victimes, les blessés de ta  méchanceté.

Jésus était devenu soudain majestueux, lumineux, presque terrible. Satan, prudemment, s’était tenu éloigné pendant quelques instants. Mais voici qu’il revient, menaçant:

17-Voyons donc si ce qu’il dit est vrai et faisons l’expérience: comment s’en tirera-t-il? 18-Si le juste est fils de Dieu, Dieu lui viendra en aide et le délivrera de ses adversaires. 19-Essayons sur lui les humiliations et la torture, voyons comment il les accepte, éprouvons sa patience. 20-Et puis condamnons-le à une mort infamante puisque, d’après lui, quelqu’un interviendra.

Maintenant c’est Jésus que se fait menaçant:

– Arrière, Satan, tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu !

L’invective est si forte que Satan s’éloigne pour de bon.

Jésus semble épuisé par la lutte terrible qu’Il vient de mener contre les puissances du mal. La sueur imbibe ses vêtements, et de grosses gouttes glissent le long de ses joues. Jésus s’agenouille et de nouveau supplie le Père:

21-Oui, c’est ainsi qu’ils raisonnent, mais ils sont dans l’erreur. Leur méchanceté les aveugle, 22-de sorte qu’ils ne connaissent pas les secrets de Dieu. Ils n’attendent pas la récompense d’une vie sainte, ils ne croient pas que les âmes pures auront leur salaire.

Pourtant 23-Dieu a créé l’homme pour qu’il échappe à la corruption, il l’a créé à l’image de ce qui en lui est invisible. Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance, l’homme est appelé à l’amour et au bonheur. L’homme est appelé à construire mon Corps, le Corps du Fils de Dieu, le Corps qui sera mon Église, l’Église triomphante, Corps mystique du Christ, Pont mystérieux qui réunira tous les hommes de toutes races et de toutes nations. L’homme est appelé à un bonheur parfait dans l’Amour de son Seigneur. L’Homme est appelé à construire le Corps du Fils de Dieu!

Maintenant Jésus se tait. De nouveau Il est seul, uni au Père dans la Trinité de l’Esprit-Saint. Jésus rayonne d’amour quand Il est avec le Père, quand Il parle au Père. On ne peut distinguer que quelques paroles, mais elles parlent d’amour, elles parlent d’action de grâces, de Sacrifice saint et perpétuel...

– Oui Père, ta volonté sera faite: tout sera accompli.

Jésus se lève, rasséréné; Il s’apprête à quitter le jardin paisible  mais une ombre de tristesse envahit soudain son visage. Jésus murmure: – Mais 24-la jalousie du diable a introduit la mort dans le monde, et c’est quand on prend son parti qu’on en fait l’expérience. (Livre de la Sg, chap. 2) Ô Père, pitié pour les hommes mes frères, pitié pour l’Homme que nous avons créé pour notre joie, pitié pour l’Homme que nous aimons. Pitié pour l’Homme qui fera nos délices. Père délivre tes enfants de l’Ennemi malfaisant...

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