
11-2
La terre de l’Agonie
Méditation 2
Il est des jours où le Jardin des Oliviers, le Jardin de
l’Agonie du Seigneur semble s’étendre à la terre entière. Devant notre
regard épouvanté défilent toutes les horreurs qui ont jalonné tous les
siècles de l’histoire des hommes, et qui semblent avoir atteint de nos
jours, un paroxysme inimaginable, véritablement insupportable, intenable.
C’est alors que nous comprenons mieux le cri du
Seigneur : “S’il est possible, que cette coupe passe loin de moi...”
C’est quand nous sommes plongés dans l’horreur de la souffrance humaine que
nous pouvons appréhender l’inhumaine et immense douleur de Jésus, et que,
souvent nous sommes infiniment dépassés par l’obéissance de Jésus :
“Père, que ta volonté soit faite.” L’obéissance de Jésus à son oeuvre de
notre Rédemption a, en effet, quelque chose de si atroce et tellement lié
aux détresses humaines, que c’est nous qui avons envie de crier :
“Assez !... Père, nous n’en pouvons plus !... Seigneur, faites quelque
chose, Seigneur, sauvez-nous de cette heure, éloignez de nous ce
calice !...”
Il y a aussi la multiplication des sacrilèges contre
l’Eucharistie, sacrilèges devenus tellement banals qu’ils ne nous
préoccupent même plus. Pourtant ces sacrilèges, ces froideurs envers le
Sacrement de l’Amour, sont aussi une inconcevable blessure envers le Cœur de
Jésus qui s’en plaint amèrement, comme le rapporte Padre Pio à son Père
spirituel :
“Écoutez, mon Père, les justes lamentations de notre
très doux Jésus : ils me laissent seul de nuit et de jour dans les églises.
Ils ne s’occupent plus du sacrement de l’autel ; on ne parle jamais de ce
sacrement d’amour ; et même ceux qui en parlent, hélas ! c’est avec quelle
indifférence, avec quelle froideur.” Quand on pense que Padre Pio a
écrit ceci avant 1922, on ne peut s’empêcher de frémir ! Mais Padre Pio
continue :
“Mon Cœur, dit Jésus, est oublié. Personne ne s’occupe
plus de mon amour. Je suis toujours attristé. Ma maison est devenue pour
beaucoup un théâtre de divertissement; mes ministres eux-mêmes, que j’ai
toujours regardés avec prédilection, que j’ai aimés comme la pupille de mes
yeux, devraient réconforter mon cœur plein d’amertume, ils devraient m’aider
dans la rédemption des âmes; au contraire, qui le croirait ? je dois
recevoir d’eux ingratitude et méconnaissance. Je vois, mon fils, beaucoup de
ceux qui... (ici il se tut, les sanglots lui serrèrent la gorge, il pleura
en secret) qui sous une apparence hypocrite me trahissent par des communions
sacrilèges, foulant aux pieds les lumières et les forces que je leur donne
continuellement...”
Il est impossible de ne pas voir que ces blessures contre
son Cœur Eucharistique, répondant par l’indifférence à son Amour brûlant,
ont participé aux angoisses de l’Agonie de Jésus à Gethsémani. Impossible
également, de ne pas penser que les pires ignominies qui se commettent de
nos jours aient été présentes au jardin des Oliviers. L’Ennemi se faisait
triomphant en étalant devant Lui tout ce qui détruisait son œuvre.
Oui, Jésus, Vous avez supporté à Gethsémani, le poids
énorme de nos péchés, de nos laideurs, de nos infirmités ? Et nous avons
parfois l’impression que votre Agonie a prit une ampleur infinie,
insoutenable, même pour nous qui ne sommes que des contemplatifs de votre
Agonie. C’est comme si votre Agonie avait couvert le monde entier et que
votre Jardin, celui des Oliviers, était devenu la terre entière. Jésus !
c’est Vous qui souffrez, et c’est nous qui défaillons, c’est nous qui n’en
pouvons plus, et c’est nous qui nous écrions : “Assez ! Cela suffit !”
Contemplons Jésus dans son Agonie si difficile à
comprendre. L’infini de sa souffrance nous dépasse, l’horreur de sa détresse
nous épouvante, l’abandon et le dégoût du Père pour Celui qui répare nos
erreurs et tous nos péchés dont Il est innocent, l’abandon et le dégoût du
Père nous terrifient, nous épouvantent. Soudain nous étouffons. Jésus !
Nous Vous contemplons, muets, sans pensée, sans sentiment. Avec Vous nous
devenons douleur, une douleur inexprimable qui nous envahit, nous submerge,
et pourtant ne nous empêche pas de vivre...
Et cependant Jésus, il n’y a pas de révolte en Vous,
juste un acquiescement extraordinaire à la volonté du Père et à votre désir
de réaliser la Rédemption de tous les hommes. Même là, dans votre terrible
Agonie Vous êtes toujours Amour. Jésus ! Il nous faut garder le silence.
Tout cela nous dépasse, nous écrase...
Jésus ! Vous auriez pu, au moins, Vous éviter l’angoisse
mortelle de la vision des siècles apostats, des civilisations de mort. Vous
auriez ainsi allégé quelque peu l’horreur de votre Agonie qui n’aurait plus
été qu’une agonie à taille humaine... Non, il Vous fallait aller jusqu’au
bout de l’horrible et constater l’apparente inutilité de votre Sacrifice.
Inutilité seulement apparente car nous ignorons tout de ce qui se passe au
fond des coeurs et nous ignorons encore bien davantage ce qui remplissait
votre Cœur à Gethsémani. Et peut-être que, comme nous, sur votre chemin de
la Croix durant lequel le Père se cachait, semblait Vous abandonner, et ne
Vous révélait pas l’immense efficacité de votre Sacrifice, Vous, comme nous,
Vous pensiez peut-être à l’inutilité de votre Passion.
Mais le Père Vous envoya la Coupe de consolation...


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