Troisième partie

Méditations sur la Passion de Jésus pendant sa vie publique
La Cène et l’Agonie

11-1
Les Tentations de Gethsémani

Méditation 1

Gethsémani : combat titanesque entre Jésus soumis à la volonté du Père, et Satan, le Grand Ennemi des hommes.

Gethsémani : combat monstrueux entre le Bien et le mal.

Gethsémani : la Rédemption est maintenant imminente, et Satan ne veut pas que l’Homme soit sauvé. S’il réussit à vaincre Jésus, il sera le grand vainqueur, et jamais il n’aura à se soumettre au Verbe de Dieu Incarné.

Gethsémani : pour vaincre, Satan doit accabler Jésus des plus grandes et plus subtiles tentations. A quoi bon son sacrifice ? Pourquoi et pour qui tant de souffrances ? De toutes façons ces malheureux hommes ne comprendront rien... Ils continueront à pécher, à blasphémer, à s’entretuer... Jésus trouvera-t-Il encore la foi sur la terre quand Il reviendra ? Et si les jours de malheur spirituel n’étaient abrégés, les élus eux-mêmes ne se soutiendraient pas... Mais seront-ils abrégés ?

Jésus est accablé de tentations et Jésus supplie le Père d’éloigner de Lui ce calice. Tant d’âmes continueront à se perdre malgré sa Passion qui vient, sa Passion qui arrive vite, car c’est l’Heure. Et Jésus repense aux premières tentations, après son long jeûne de quarante jours. Il allait commencer sa vie publique. Il connaissait ses pouvoirs, Il pourrait faire de nombreux et extraordinaires miracles... Il pourrait devenir un chef puissant et respecté, ce Messie guerrier que son peuple attendait... Ah ! comme Il aurait été bien reçu alors.

Il aurait pu aussi apparaître sur les nuées du ciel et convaincre tout le monde! Il aurait pu être un maître puissant et vénéré, un gourou incontesté capable de montrer qu’Il était le vrai Fils de Dieu. Fils de Dieu ! Oui, Jésus l’est, et Il aurait pu le prouver, faire usage de ce titre, déployer sa puissance, mais...

Mais Dieu est humble, Dieu est pauvre, et le Fils, le Verbe ne pouvait être que pauvre et humble. Et Dieu qui a créé la terre, qui a fait la nature et qui l’a trouvée bonne, Dieu ne pouvait aller contre les lois parfaites de cette nature merveilleuse. Alors Jésus a renoncé aux grandes actions d’éclat. Jésus a choisi l’humilité de Dieu, Jésus a choisi la pauvreté, cette richesse du coeur qui conquiert les coeurs ouverts, les cœurs de ceux qui peuvent comprendre les Béatitudes : heureux les pauvres de cœur !

Jésus est devenu péché à cause de nous, et le Père ne veut plus de Lui qui, pour nous sauver, s’est fait péché quoique Innocent. Parce qu’Il a obéi au Père, à toutes ses volontés, le Père semble Le rejeter, ce Jésus, doux, humble et pauvre de cœur !

Oui, au moment le plus dramatique de la vie du Rédempteur, Satan renouvelait auprès de Jésus les grandes tentations qu’il avait déjà essayées au désert, après le long jeûne de Celui qu’il ne connaissait pas encore. Satan, en effet, ne savait pas alors qui était vraiment cet homme exceptionnel, lequel pourtant l’inquiétait déjà. Aujourd’hui, c’est l’Heure décisive, et, coûte que coûte, Satan doit faire le maximum pour que Jésus renonce à sa mission, celle pour laquelle Il était venu chez nous. Et, au lieu de soutenir son Fils, le Père se taisait !... Le Père abandonnait son Verbe, le Père rejetait le Fils.

Jésus, nous Vous contemplons. Durant toute votre vie terrestre, la deuxième Personne de la Trinité, celle qui mystérieusement était en Vous, votre nature divine demeurait sans cesse en union intime avec le Père avec qui Vous n’étiez qu’un. Et maintenant, en cette Heure dramatique, votre Heure, votre nature divine semble délaisser l’Être Jésus Dieu-et-Homme, pour ne laisser que la nature humaine souffrir l’angoisse et la souffrance. C’est comme si votre nature humaine était soudain seule, livrée à elle-même, car c’est l’Homme en Vous qui devait racheter le monde. C’est l’Homme Jésus qui devait souffrir la Passion car l’homme devait être sauvé par l’Homme.

Jésus, en cette Heure dramatique de votre Agonie, nous Vous contemplons Homme. Et Vous êtes l’Homme seul, car le Père se tait, car le Père se cache. Vous êtes seul Jésus, et le Père ne répond pas à vos appels, le Père semble ignorer votre détresse. Vous criez vers Lui, mais Il se tait, et même, Il semble Vous dédaigner, Jésus, Vous qui, par amour pour les pécheurs Vous êtes fait péché. Jésus, Satan rit de Vous et le Père Vous méprise, et votre âme est seule, et votre Coeur ne comprend pas... Et votre Coeur ne voit plus que les méchants, ceux qui continueront à refuser votre Amour, ceux qui ne veulent pas être sauvés. Jésus, votre Père se tait, votre Père Vous délaisse, votre Coeur est seul et aride, votre Cœur ne connaît même plus la douleur apaisante des larmes. Votre Coeur est sec car Satan Vous persécute.

Jésus à Gethsémani Vous avez, comme nous, connu la sécheresse du Coeur, l’aridité de l’esprit, la détresse totale de l’esprit qui erre et ne peut plus connaître Dieu. Alors, dans un sublime effort, un effort héroïque et inhumain, Vous Vous tournez cependant vers le Père, vers le Père qui se tait, et Vous Lui murmurez : “Père, que ce calice s’éloigne de Moi. Cependant Père, non pas ma volonté, mais la Tienne.”

Jésus, Vous avez voulu connaître toutes nos souffrances. Vous avez voulu aussi prendre toutes nos misères spirituelles. Vous avez voulu connaître nos sécheresses et nos aridités, Vous avez voulu connaître la détresse des coeurs qui ne trouvent plus Dieu, parce que Dieu se cache, parce que Dieu se tait. Vous avez voulu nous apprendre l’humilité en nous faisant connaître nos impuissances, nos impossibilités de prier Dieu autrement qu’en acceptant sa Volonté même quand nous n’en voulons pas. Pour cela, il Vous fallait vivre, Vous aussi Jésus, la détresse infinie du Cœur le plus parfait puisqu’Il est Coeur de Dieu et coeur d’Homme; il Vous fallait connaître la détresse infinie du Coeur humain quand le Père se tait.

Vous voilà à Gethsémani, et Satan Vous tente. Car il fallait Jésus, que Vous subissiez toutes les tentations pour nous, pour que, plus tard, nous puissions ne pas succomber aux attaques du Malin. Satan Vous tente pour Vous amener à renoncer à votre tâche essentielle de l’oeuvre de la Rédemption, la Passion et la mort sur la Croix : “A quoi bon un tel sacrifice ? Les hommes ne le méritent vraiment pas. D’ailleurs si peu le comprendront, si peu se convertiront. Regarde, ils pervertiront complètement ton enseignement. Ils bafoueront la Loi de Dieu. Quant à ta loi d’Amour, ils n’en ont vraiment rien à faire. D’ailleurs, Tu n’as qu’à regarder: vois toutes ces guerres, ces massacres, ces violences, ces tortures. Ils ne respectent plus rien, pas même leurs enfants...”

La tentation atroce continue, et, devant les yeux horrifiés de votre Cœur, Jésus, Satan fait défiler des images terribles, des images de petits enfants dont on tue les âmes. C’est vraiment trop et Vous ne pouvez plus supporter cela. Alors vous criez, Jésus : “Non ! Père, pas cela !” Et nous qui ne sommes rien, qui sommes seulement près de Vous durant votre Agonie, nous qui n’avons aucun courage, nous qui cependant contemplons tout ce que l’on fait subir aux petits que Vous aimez tant, nous qui sommes obligés de vivre l’horreur de nos sociétés dépravées, nous crions avec Vous Jésus : “Non ! pas çà !”

Jésus, Vous êtes à Gethsémani. Il n’y a que deux ou trois heures que Vous venez d’inventer l’Eucharistie et de Vous livrer totalement, chair, sang et âme à vos apôtres. Pour la première fois, ils ont goûté l’ineffable bonheur de Vous posséder en eux, dans leur coeur. Mais pour l’instant, fatigués et inquiets, ils dorment, car c’est l’heure de la Puissance des ténèbres. Et même, dans quelques instants, ils fuiront, complètement déboussolés... Même Pierre Vous reniera! Cela, Jésus, Vous le savez, Vous le voyez. Mais vous voyez aussi bien d’autres défections, tant d’autres reniements... Vous voyez tous les siècles du monde, les siècles à venir, Jésus Vous les voyez, Vous les vivez, et ce n’est pas très beau. C’est même terrible ! Comme si votre Sacrifice n’avait pas eu lieu.

Vous voyez tous les siècles, Jésus, ou plutôt Satan Vous présente tous les siècles, et il insiste particulièrement sur ce terrible XXe siècle. Tout y passe, les guerres, les tueries, les trahisons, les athéismes de toutes sortes, et nos indifférences, et nos lâchetés... Parmi toutes ces douleurs il en est une qui est particulièrement sensible à votre Coeur broyé et meurtri. Votre Saint-Sacrement, votre Corps et votre Sang, présents sous les apparences du pain et du vin, votre Saint-Sacrement qu’on adora pendant longtemps dans vos églises et devant lequel on se prosternait pour Vous rendre grâce, votre Saint-Sacrement n’est plus honoré. Parfois même on Vous relègue, car l’Eucharistie, c’est Vous Jésus, mais on ne le sait plus, on Vous relègue dans un coin caché de vos églises en voie de sécularisation. Votre Pain Eucharistique est souvent reçu sans dignité, voire en état de péché grave. Et surtout on n’adore plus, on ne Vous adore plus.

Une autre phrase résonne sur la Croix : “Père, pourquoi m’as-Tu abandonné ?” Jésus, le Rédempteur du monde, est-il condamné à être abandonné de tous ? Du Père Céleste et des hommes ? Votre Agonie Jésus, continue donc encore ? Jusqu’à la fin du monde ?

Jésus, pourquoi faut-il que tous Vous abandonnent ? Pourquoi faut-il que même le Père, en cet instant dramatique de votre mort sur la Croix, cet instant suprême de la Rédemption, cet instant de l’éternel présent de Dieu, pourquoi faut-il que le Père semble Vous abandonner, Vous, son Fils Bien-Aimé, son unique ? Vous la deuxième Personne de la Trinité Sainte ? Vous, chargé des péchés du monde que Vous êtes venu sauver ? Vous qui Vous êtes fait péché pour nous délivrer de nos péchés ?

L’amour est douleur, l’Amour porte la Croix, l’Amour pleure de n’être pas aimé. Ton Amour, ô mon Dieu est un Amour de joie souvent baigné de larmes. Ton Amour, ô Jésus, est bonheur et douleur. Il est paix dans les peines et les bourrasques. Il est joie et il est  tristesse. Il est calme dans les tempêtes. Nos coeurs saignent, ô Seigneur, dans l’Amour de ton Cœur car Tu n’es pas aimé. Car Tu es incompris des hommes trop pécheurs, des hommes désespérés qui ont perdu l’espoir, qui ne peuvent plus accepter ton espérance, l’espérance que Tu apportes quand ton cri de détresse traverse les siècles et les mondes: “Père! pourquoi m’as-Tu abandonné ?...”

Vous êtes là Jésus, à Gethsémani, suppliant le Père de Vous épargner ce Calice de votre plus grande douleur, la perte de tant d’âmes. Satan est là aussi : il les étale devant Vous, ces âmes malheureuses qui se sont données à lui, le Menteur. Et il insiste méchamment sur l’inutilité de votre Sacrifice, de vos souffrances, de vos angoisses. Et Vous tremblez, Jésus, et Vous cherchez des consolateurs, et Vous n’en trouvez pas...

Vous êtes là, Jésus, et Vous suez le sang, et Vous appelez le Père qui toujours se tait... Le Père se tait, mais Il a tellement pitié de son Fils qu’Il adoucit un peu sa rigueur, une rigueur nécessaire car elle est rédemptrice, et Il Vous fait envoyer la Coupe de Consolation... la Coupe de Consolation dans laquelle il y des petits foyers d’amour, de chaleur, de lumière, des petits foyers d’amour dont le Père a permis que Vous deviniez la présence : les Permanents de Gethsémani, c’est-à-dire toutes les âmes sauvées par Vous et qui, tant qu’elles sont sur la terre, restent auprès de Vous, pour votre consolation et le salut de leurs frères.

Et Vous reprenez vie, Jésus, et Vous Vous redressez car Satan est vaincu. Vous pouvez aller vers vos ennemis, et commencer le Chemin de la Croix...

Parfois nous méditons à propos des déboires de Job et de ses découragements : pourquoi, oui, pourquoi est-il né ? N’aurait-il pas mieux valu pour lui qu’il mourût dès le sein de sa mère ?... Paroles nées de la souffrance. Découragements que la plupart des hommes expérimentent. C’est la situation de l’homme depuis le péché originel, depuis qu’il s’est volontairement séparé de Dieu. Et la séparation d’avec Dieu, c’est l’Enfer. Quand Jésus a pris sur Lui le péché du monde, quand Il s’est fait péché pour nous libérer du péché, Jésus a connu aussi ce découragement horrible et destructeur : “Père, pourquoi m’as-Tu abandonné ?”

Jésus, à Gethsémani et à l’heure de votre mort, sur la Croix, Vous connaissez la détresse profonde des âmes privées de Dieu, Vous vivez le vertige le plus atroce qu’un être humain puisse subir: l’absence de Dieu, ou pire, l’impression de l’inexistence de Dieu quand la vie entière a été appuyée sur Dieu et vécue en fonction de Dieu, mais d’un dieu devenu hypothétique, absent, inexistant, irréel. C‘est l’écroulement total, l’entrée abominable dans l’abîme du vide et de l’inexistence. C’est le néant absolu soudain vécu, jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de faire cesser l’épreuve.

Jésus, à Gethsémani : votre douleur est au paroxysme du supportable pour un être humain, même fort. Vous souffrez la peine des pauvres hommes qui ont rejeté Dieu, alors que votre Amour et toute votre volonté sont tendus vers le Père, pour faire sa volonté. Vous faîtes la volonté du Père qui Vous punit et Vous rejette à notre place et à cause de nous.

Jésus, votre souffrance humaine est incommensurable, mais Dieu qui est en Vous, Dieu qui est Vous se réjouit maintenant: les hommes que Vous aimez pourront se réconcilier avec Dieu, s’ils le veulent, et beaucoup le voudront. Alors, Jésus, une joie étonnante commence à sourdre de votre Coeur, de votre Coeur à l’Agonie. Votre Coeur, crucifié avant votre Corps mais déjà ressuscité, votre Coeur Jésus, devient le Sacré-Coeur. Vous êtes glorieux, Jésus, Vous êtes vraiment le Pont qui nous relie à Dieu... Oui, mais votre Croix aussi est là, juste derrière, car c’est de sa Gloire que votre Église naît.

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