SAINT PAUL DE LA CROIX
 1694-1775

 SA VIE ET SA SPIRITUALITÉ

4
Les épreuves

 

4-1-Les défections

Nous avons déjà remarqué les pénitences extraordinaires et surprenantes que pratiquaient les deux frères, fondateurs des Passionistes. Ce genre de vie était un parfait holocauste d'eux-mêmes. Pour s'y maintenir avec persévérance, que de victoires ne durent-ils pas remporter sur la nature? Mais d'autres épreuves, encore plus douloureuses, les attendaient. Aux pénitences courantes: les jeûnes, les veilles, le pénible repos pris sur la terre nue ou sur des planches, les cilices et les disciplines, les voyages à pieds nus, il faut ajouter que beaucoup des premiers compagnons firent défection, ne pouvant supporter une vie si mortifiée. "Plusieurs sujets de la Congrégation, après avoir été formés avec tant de soin et promus au sacerdoce, se dégoûtèrent de la vie solitaire et pénitente et tournèrent le dos au bon Père..."

Quelle douleur pour le pauvre Père! Mais Paul ne se découragea pas. Il écrivit à un ami: "Les œuvres de Dieu sont toujours combattues, afin que la divine magnificence éclate davantage. Quand les choses paraissent le plus près de leur ruine, c'est alors qu'on les voit se relever... Le serviteur de Dieu ne fut pas déçu dans son attente, car le Seigneur envoya d'autres compagnons dont le Père Fulgence de Jésus..." En même temps un frère lai, frère Joseph de Sainte-Marie, natif de Sicile, véritable saint, vint rejoindre les compagnons. [1]

4-2-Démêlés avec les ordres mendiants

Nous avons indiqué plus haut que lors de l'ouverture de la Retraite du mont Argentario en 1748-1750, plusieurs ordres mendiants s'étaient coalisés contre la Congrégation passioniste. Un procès s'était ouvert à Rome et les passionistes eurent gain de cause. Ce ne furent pas les seules épreuves que Paul de la Croix eut à soutenir, et force est de constater que, parmi ceux qui auraient dû soutenir l'action de Paul et des passionistes, beaucoup furent souvent très hostiles.

Si les oppositions furent nombreuses et les tempêtes violentes, il y eut encore plus douloureux: les calomnies insupportables. Ainsi, quelques personnes, notamment plusieurs appartenant à l'ordre des franciscains, se mirent à décrier la conduite du Père Paul et de ses religieux. Elles écrivirent au pape: On constate "un désordre très grand, très important, capable non seulement de troubler les communautés religieuses, en y jetant des germes d'insubordination et d'indépendance, mais encore, ce qui est bien pis, de causer un grave scandale dans tout le monde catholique et de discréditer la hiérarchie ecclésiastique. Saint-Père, il est grandement à craindre que certains hommes, (les pères missionnaires de la Passion de Jésus-Christ), ne soient de cette trempe..."

On croit rêver en lisant de telles choses. Heureusement, le pape, face à ces calomnies, "voulut qu'on examinât cette affaire et qu'on lui rendît un compte exact du caractère et du genre de vie des Pères de la Passion. Le résultat fut de le confirmer dans l'opinion qu'il avait déjà conçue, que l'esprit de la nouvelle congrégation était d'une simplicité tout évangélique, et son genre de vie, pénitent, exemplaire, et entièrement conforme à l'évangile..."

Cependant la tempête ne se calmait pas rapidement et Paul en souffrait beaucoup, tout en s'en réjouissant. Il écrivit à ses religieux: "Il arrive souvent que la foudre éclate et qu'en frappant le sommet dépouillé d'une montagne, elle découvre une mine d'or. Vous verrez que le coup de foudre découvrira cette mine pour nous. Le Seigneur fera sortir un grand bien de cette épreuve."

Et au Père Fulgence: "Nos affaires vont à l'ordinaire, la tempête gronde toujours, mais nous aurons la victoire par Jésus-Christ. Ce ne sera cependant pas sans souffrir de grandes disgrâces, ni sans avoir vu de nos yeux tout culbuter pour ainsi dire. Continuons à prier... Sachez, mon très cher Père, que déjà les monitoires ont été présentés, avec ordre de renverser les constructions de la Retraite de Ceccano, et avec interdiction des autres Retraites de ce pays. On a obtenu tout cela de la sacrée Congrégation... Je me trouve au milieu d'une mer agitée par la tempête, je vous le dis en secret, cœur à cœur: je suis désolé au dedans et au dehors, foulé aux pieds d'une manière horrible par les démons, au point qu'il me semble ne plus avoir ni foi, ni espérance, ni charité. Oh! Dans quel état je me trouve! Mais personne ne le sait, ni ne s'en aperçoit." (Vie du bienheureux Paul de la Croix, Chapitre 33)

Le 19 août 1753 il écrira à Colomba Gandolfo, une de ses dirigées: "Oh! Si vous saviez comment j'ai passé la nuit dernière... vous vous épouvanteriez totalement. Et cela est l'ordinaire! Ô Dieu, que deviendra ce misérable pécheur? Ah! Priez afin que je ne perde pas mon Dieu! Ceci est ma grande peur..."

Le temps passait... Les persécutions, ouvertes ou cachées, continuaient. Paul se résignait, dans la paix et la confiance. Mais parfois le Seigneur venait consoler son serviteur: et "il obtint enfin la possession paisible de la Retraite de Ceccano, avec la faculté de poursuivre les fondations de Paillano et de Terracine, nonobstant toute opposition." Mais les épreuves n'étaient pas terminées.

Paul de la Croix était toujours submergé par le travail et les épreuves de toutes sortes. Il implorait ses amis de prier pour lui. En 1755 il supplia Sœur Colomba Gandolfi: "J'ai toujours plus besoin d'oraisons pour ma pauvre âme et pour cette pauvre fille qu'est la Congrégation. Faites-moi la charité de prier, de crier, surtout durant la sainte Communion, offrant au Père divin le Cœur très pur de Jésus, avec ses souffrances et les douleurs de Marie..." Paul gémissait même: "... moi qui n'ai pas un moment de répit! À droite et à gauche, à l'intérieur et à l'extérieur de moi, batailles, terreurs, peines, angoisses, au point que jamais je ne pourrai les exprimer, tandis que je me trouve dans l'enfer inférieur..."

Et encore: "Maintenant se présentent de nouvelles fatigues et de nouvelles croix... Criez vers le Seigneur, mais faites-le de tout cœur... rapportez au Père  Éternel son très doux Fils Sacrement, et criez fort." Enfin: "Je me trouve dans un état déplorable et dans un abandon qui fait craindre à l'intérieur et à l'extérieur. Et en un état aussi terrible je suis chargé de beaucoup d'affaires pour le service de Dieu, du prochain et de la Congrégation[2]..."

Parfois le Père Paul n'hésitait pas à avouer: "Je me trouve dans un état que je ne puis vous expliquer: je crains les jugements divins. Je vous prie... par pure charité, de crier vers le Seigneur pour moi, afin que Dieu ait miséricorde et sauve mon âme..." Pourtant il ajoute presqu'aussitôt: "... moi, je n'aspire à rien d'autre qu'à faire la volonté de Dieu."[3]

4-3-Épreuves inattendues

Pendant ses derniers voyages, le Père Paul eut à souffrir un tourment pour le moins inattendu: la renommée de ses vertus.  Sa sainteté étant connue dans les pays partout  où il passait, "on le traitait avec beaucoup d'honneur et de distinction... et ces démonstrations lui étaient insupportables." En effet, le Seigneur, pour glorifier son serviteur, lui avait donné l'esprit de prophétie; ainsi Paul prédit une foule d'événements dont il ne pouvait avoir, humainement connaissance. De plus, "au don de prophétie, le Seigneur joignit celui de guérir les maladies. Le serviteur de Dieu en guérit un grand nombre, au moyen d'une eau qu'il bénissait.." C'est vrai, plus les serviteurs de Dieu cherchent l'obscurité, plus on les estime. Et cela peut être parfois très éprouvant. Mais Dieu en dispose ainsi et c'est ce qui eut lieu pour le Père Paul.

4-4-La fatigue et les maladies

Nous avons été étonnés, tout au long de ces pages, en découvrant les rudes pénitences auxquelles Paul de la Croix se soumettait. Spontanément nous nous posons une question: était-ce bien raisonnable? Tout aussi spontanément nous répondons: non! Mais la réponse du Seigneur, nous ne la connaîtrons qu'au ciel. Nous pouvons seulement constater que Dieu acceptait les offrandes de son cher fils, et qu'il bénissait toutes ses œuvres, liées à la gloire de Dieu, au salut des pécheurs et à la conversion de tous ceux qu'il rencontrait. Par contre, sur le plan humain, nous sommes obligés de constater aussi qu'il s'était ruiné la santé, tout comme son frère Jean-Baptiste. Paul fut souvent malade, il souffrit beaucoup dans son corps, comme dans son âme. Parfois on le crut mourant, mais Dieu n'en disposait pas ainsi. Nous donnons tout de suite deux exemples.

Ainsi, en 1766, "le Seigneur semblait parfois le laisser dans un douloureux abandon. Aux peines d'esprit se joignaient les maux du corps qui devenaient de plus en plus violents, et enfin les attaques des démons qui le maltraitaient avec plus de fureur que jamais." En 1769, après être passé par Rome, le Père Paul retourna à la retraite de Saint-Ange où il tomba gravement malade, ce qui accrut "ses douleurs habituelles souffertes avec une grande patience et une humble soumission à la volonté divine en vrai serviteur de Dieu. On crut qu'il allait mourir, mais il plut à Dieu de lui rendre la santé pour achever de consolider la Congrégation..."

Rétabli de sa maladie, mais grandement affaibli et toujours physiquement douloureux, il dut le 9 mai 1769, accepter de nouveau la charge de supérieur général et le gouvernement de la congrégation. (Chapitre 36) Bientôt il entreprendra sa dernière visite à ses frères des Retraites, tout en prêchant la bonté de Dieu à ceux qui étaient avec lui, souvent retardés comme lui dans les péripéties des voyages. En juillet 1770 il fut reçu par le Pape avec une extrême bienveillance.  Sur le plan spirituel, "il se voyait toujours pauvre et dénué de tout bien; se tournant alors vers le Sauveur crucifié, il s'appropriait ses souffrances par l'amour, et s'en revêtant en esprit, il se présentait au Père céleste, orné des mérites infinis de son Fils unique et se reposait dans son sein paternel."

Les démons l'attaquaient souvent et très violemment, le rendant très malade. Mais ce n'était qu'une épreuve; l'heure de son départ n'était pas encore venue et il devait poursuivre l'œuvre commencée: gouverner sa congrégation et achever la fondation du monastère des Religieuses de la Passion, dans la ville de Corneto.

4-5-Les nuits spirituelles

Outre les épreuves extérieures liées à ses activités, Paul de la Croix, grand mystique fut également soumis à de lourdes souffrances spirituelles. Nous en avons déjà cité quelques-unes liées aux calomnies, démêlés avec les franciscains, etc... Ici, nous nous arrêterons quelques instants sur ses combats et angoisses spirituelles. Parfois il insiste auprès de ses correspondants: "Persistez à prier beaucoup, parce que les tempêtes continuent d'être toujours plus horribles, et les tourments croissent de toutes parts et de toutes les façons..."[4]

4-6-Enfin quelques rayons de soleil

     4-6-1-Le monastère des religieuses de la Passion va s'ouvrir

 

Nous avons vu que, dès 1749, Paul de la Croix savait qu'il lui faudrait fonder un monastère féminin dédié à la Passion de Jésus. Nous avons vu plus haut les épreuves, nombreuses, qui retardèrent la création de ce monastère. Mais en 1770, "le serviteur de Dieu eut une révélation qui lui fit mieux connaître la volonté divine touchant l'érection du monastère et du nouvel institut pour les religieuses. Le Père Paul savait que pour donner un solide fondement à cette œuvre, il était nécessaire d'obtenir l'assentiment du Souverain Pontife." Ce qui fut fait le 3 septembre 1770. "Les jeunes personnes destinées pour le nouveau monastère, se rendirent à Corneto, au nombre de dix... Mais un nouvel obstacle survint inopinément, de sorte qu'il fallut retarder leur entrée." Enfin, en juillet 1772, le monastère put ouvrir. Cela avait demandé 34 ans!

     4-6-2-Du petit hospice à la maison des saints Jean-et-Paul

"Le 9 décembre 1773, après les premières vêpres de la translation de la Sainte Maison de Lorette, vers la vingt-et-unième heure du jour, les Pères passionistes prirent possession de la maison des Saints-Jean-et-Paul. Le Père Paul avec ses religieux passèrent du pauvre petit hospice à la basilique de ces saints martyrs... et ils habitèrent la maison qui y est jointe." Enfin les passionistes avaient une Retraite à Rome!


[1] Vie du bienheureux Paul de la Croix, par Saint Vincent-Marie Strambi – Chapitre 33.
[2] Il convient de rappeler ici que Paul de la Croix avait de gros problèmes de santé: ses jambes le portaient à peine et ses oreilles déclinaient. Sa correspondance était considérable et les litiges avec les ordres mendiants lui demandaient une dépense d'énergie considérable... Sans compter les campagnes de calomnies.
[3] Lettre du 13 juillet 1756, à sœur Gandolfi.
[4] Lettre du 27 juillet 1756, à Sœur Gandolfi

   

  

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