1-Les bases
de la spiritualité
de saint Paul de la Croix
1-1-Les trois
piliers de sa spiritualité
Pour Paul de la
Croix, il faut tout d'abord désirer Dieu et contempler Jésus pendant
sa Passion: contemplation de l'Amour de Dieu qui nous brûle de son
Amour, pour conduire à la connaissance du Christ,
les
hommes de tous les temps. De cela naît une joie profonde. Mais
pratiquement? Pour répondre à cette question, Paul de la Croix
propose trois piliers qu'il rappelle fréquemment: oraison,
solitude et pauvreté. Cela conduit à un dépouillement volontaire
en vue de Dieu. Mais comment aller jusqu'à la sainteté?
Par l'oraison
qui mène à l'épanchement du cœur et à l'union à Dieu. Oui, mais
comment faire oraison? Paul de la Croix répond: c'est grâce à la
solitude et au silence que nous pouvons recevoir le don
d'oraison; la solitude est un lieu de feu où l'esprit du monde et
ses préoccupations sont chassés. Paul veut fuir le monde corrompu.
Il écrit:
"Les paroles divines ne s'entendent pas avec les oreilles; elles
sont des impressions divine, inexplicables... En cette divine
solitude, il faut s'anéantir entièrement, aimer et se taire... Oh!
Silence sacré de foi et de saint amour! Ici je me perds et ne sais
plus que dire. Jésus vous enseignera..." D'où la caractéristique
érémitique, donc de grande pauvreté, de la spiritualité de
Paul. Et à cause de cela, vient dans les cœurs un grand désir
d'apostolat.
Les
trois piliers de la spiritualité de saint Paul de la Croix:
l'oraison, la solitude et la pauvreté furent les marques
essentielles de sa vie.
1-2-L'oraison
et l'adoration
1-2-1-L'admiration
des beautés de la nature
La vie des
saints, et plus particulièrement des passionistes, doit être "en
Dieu" et en adoration permanente. Paul de la Croix fut amoureux, dès
son enfance, des beautés de la nature, et il estimait que la
contemplation de la nature et de ses beautés devait constamment
conduire à Dieu. Il se souvenait qu'au paradis, Adam et Ève
"entendaient le pas de Dieu qui se promenait dans le jardin à la
brise du jour." En conséquence, la beauté de la nature doit être
contemplée souvent et amoureusement: c'est le but de la promenade
solitaire et quotidienne inscrite dans la première Règle des
passionistes, rédigée en 1736 par le fondateur. Dans le règlement
commun de 1755, il est écrit: "À l'heure prévue, tous font la
promenade solitaire, afin de prendre l'air pour se décharger la
tête, en vue d'être plus aptes et disposés au recueillement
intérieur..." En effet, "il faut se divertir de la
distraction qu'offre le spectacle des fleurs, des champs, du ciel et
du soleil, d'où se déduisent la grandeur, la beauté et la majesté de
notre Dieu..." Cela est
"une méditation non pas intellectuelle, mais affective."
1-2-2-La
méditation
Conformément à la
pensée de saint François de Sales, Paul de la Croix estime que la
méditation prépare à l'oraison qui seule est mère de l’amour et de
la contemplation; en effet, l’amour dépasse la connaissance qui est
cependant indispensable, car on ne peut aimer que ce que l'on
connaît. L’intelligence (la méditation) montre le chemin et prépare
l’oraison. La méditation raisonne; l'oraison aboutit à la
contemplation, ce repos bienheureux de l’épouse qui a trouvé son
bien-aimé. Mais qu'est-ce que l'oraison?
1-2-3-L'oraison
L'oraison et la
contemplation de Dieu ou de tout ce qui mène à Lui, sont des temps
de totale gratuité, destinés à respirer l'amour divin, et à aimer le
Créateur plus que tout. Il ne faut pas oublier d'inciter
l'intelligence à la contemplation, car il vaut mieux "faire
l'intime expérience de Dieu que d'avoir des idées sur Dieu." Se
référant à l'enfance spirituelle, Paul de la Croix conseille à ses
religieux, s'ils sentent
"quelque nuage de tristesse... de s'agenouiller immédiatement devant
un crucifix."
La contemplation
est une amoureuse attention de l’esprit aux choses de Dieu, à sa
bonté et à sa beauté. Cette attention amoureuse réclame donc de
notre part un abandon confiant de notre volonté et l’âme peut alors
sortir d’elle-même pour se perdre en Dieu. Mais quand l’âme revient
sur la terre, plus rien de ce qui n’est pas Dieu ne lui fait envie.
On est proche de la blessure d’amour, véritable douleur et pourtant
grand bonheur. Et le désir devient appel au service de Dieu et des
hommes.
Paul de la Croix
a bien connu ce genre d'expérience qu'il appelle "envol de
l'esprit". Il s'exprime dans son Journal du 1er
janvier 1721: "Élevé très haut par l’infinie charité de notre
Dieu si doux, j'ai éprouvé un grand recueillement et des larmes en
abondance. Il me semblait alors être liquéfié en Dieu... Je reçus
aussi la connaissance que l’âme peut être à la fois unie
amoureusement à l’humanité de Jésus, et en même temps liquéfiée et
élevée à la connaissance haute et sensible de sa divinité... Jésus
étant Dieu et homme, l’âme peut être effectivement unie par amour
très saint à la sainte humanité, et en même temps être liquéfiée et
élevée jusqu’à la contemplation très haute et très intense de la
divinité. Cette étonnante et très grande merveille ne peut se
communiquer ni s’expliquer, pas même par qui l’éprouve. Cela est
impossible: Dieu le veut ainsi." Dans d'autres circonstances, et
nous le verrons plus loin, Paul résumera cette impossibilité en
disant: "Ne rien savoir, ne rien vouloir, ne rien pouvoir."
C’est la remise totale de soi-même à Dieu, à la seule volonté
divine.
Paul de la Croix,
apôtre, estimait qu'on ne pouvait rien faire sans l'oraison préparée
par la méditation. Dieu réalise ensuite l’attention amoureuse. Aussi
la Règle des Passionistes exige-t-elle trois heures quotidiennes
d'oraison, "car pour eux,
tout bien dépend d'elle. Par elle le Seigneur dirige et déverse sur
eux ses grâces. Je vous avertis que le premier et même l'unique but
du démon, consiste à ôter de la main des religieux l'arme très
puissante de la sainte oraison, afin de les vaincre, de les abattre,
et de les faire tomber dans le mal profond de la tiédeur. Qu'ainsi,
sous aucun prétexte, ils n'aient jamais l'audace de la délaisser.."
1-2-4-La
prière de Paul de la Croix
Écrivant à Colomba Gandolfi, Paul de
la Croix semble résumer ce qu'il vit lui-même intensément. Il lui
recommandait d'abord la solitude intérieure, "y persévérant jour
et nuit,... et une haute abstraction et mort mystique envers toute
chose qui n'est pas Dieu... Ne rien avoir, ne rien pouvoir, ne rien
savoir." Le feu de la divine charité devra toujours être
maintenu "dans le sachet de myrrhe... des peines très saintes de
Jésus et des douleurs de Marie. Mais que tout cela se fasse sans
image, en haute abstraction, et en un instant, parce que l'amour
enseigne tout... Paul lui enseigne le repos en foi nue et en pur
amour, dans le sein de Dieu, "toute vêtue de Jésus crucifiée..."
Dès lors, il est temps d'aller vers les besoins du pauvre monde:
"Cela se fait sans parole,
et si vous êtes humble, le saint-Amour vous enseignera tout... Dans
le même instant on crie, on prie, on supplie, sans exclamation ni
prière explicite; mais l'amour très pur enseigne à supplier et le
Seigneur nous exauce infailliblement..."
Souvent Paul de la Croix implorait la prière de ses religieux pour
obtenir les grâces qu'il jugeait indispensables pour sa
congrégation. Aussi, pour que sa congrégation puisse obtenir les
vœux solennels, écrivit-il, en 1751, à ses religieux: "Vous
devez, mes chers fils, tous unis en un véritable amour, crier dans
l'oraison, nuit et jour, afin que Sa divine Majesté nous accorde une
telle grâce...." Paul n'obtint pas cette grâce des vœux
solennels, mais avec humilité, il comprit la Sagesse de l'Église
soucieuse de préserver la ferveur du plus grand nombre des
religieux, quand la tiédeur envahit certains membres; ce qui ne
manqua pas d'arriver.
Paul de la Croix méditait chaque jour
les saintes Écritures. Il avait une haute idée de la liberté
humaine, même en matière d'oraison, et il estimait qu'il ne fallait
pas imposer les méthodes d'oraison, mais les proposer puis laisser
les âmes suivre les impulsions que Dieu donne. À Cherubina Bresciani
il conseilla, dans sa lettre du 9 août 1740:
"Je veux que vous fassiez oraison
vingt quatre heures sur vingt quatre... Demandez à Jésus la
permission d'entrer dans son divin Cœur... Volez en esprit dans ce
beau Cœur, et là, placez-vous comme victime sur cet autel divin dans
lequel brûle toujours le feu du saint Amour."
Mais que contient la prière
personnelle de Paul? Il écrit dans son Journal des quarante jours,
le 1er janvier 1721:
"Je racontais... à mon Jésus mes
misères. Je lui disais les scrupules que j'éprouvais à cause du vœu
que j'ai fait de priver mon corps de tous les plaisirs superflus.
Or, je lui confiais le plaisir que j'éprouvais, quand j'avais faim,
à manger même le pain sec. Et je l'entendais suavement me répondre
intérieurement: 'Mais cela est nécessaire'."
1-2-5-Comment
faire oraison
Paul de la Croix
estime que les prières vocales, toujours très simples, doivent
préparer l'oraison quotidienne, d'au moins une demi-heure, pour les
adultes, même laïcs. Car l'oraison, c'est le cœur à Cœur avec Dieu,
sans trop d'efforts de concentration, sans grands soupirs affectifs,
mais aussi sans oisiveté ni apathie morales. "Le Seigneur désire
que nous ayons grande confiance en Lui et que nous vivions comme des
enfants au sein de sa miséricorde." Paul de la Croix rejoint ici
le grand mystique flamand, Ruysbrœck, qui eut tellement à lutter
contre la secte du Libre esprit, dont les adeptes, peu à peu,
sombraient dans une oisiveté telle qu'elle les détournait des œuvres
et du service à rendre à leur prochain. Au contraire, et la vie de
Paul en est la meilleure preuve, l'oraison doit toujours, sous la
conduite et l'inspiration de l'Esprit-Saint, mener vers les œuvres
et l'amour du prochain. Paul de la Croix écrit à l'une de ses
correspondantes, Teresa Palozzi: "Il est nécessaire que l'âme
s'envole là où l'Esprit-Saint l'emporte." Mais Paul
précise qu'il faut savoir également présenter ses préoccupations à
Dieu, et ne pas hésiter à demander ses "grâces, à supplier pour
le prochain", à condition de rester toujours dans la volonté de
Dieu.
On peut aussi
éprouver des sécheresses dans l'oraison, mais il ne faut pas s'en
inquiéter. Il faut seulement veiller à ce qu'elles ne conduisent pas
vers la tiédeur. D'ailleurs, affirme Paul: "l'aridité est un
excellent signe, et par le moyen de cette souffrance... Dieu purifie
l'âme comme l'or dans le feu, afin de la rendre pure et belle à ses
yeux divins." Car c'est toujours Dieu que l'âme doit rechercher
dans ses profondeurs, durant l'oraison, et il ne faut pas avoir peur
de recourir à des mouvements affectifs, par des oraisons
jaculatoires. Paul conseille, dans une de ses lettres:
"Lorsque l'esprit s'enfuit et que
viennent les distractions, ravivez doucement la foi par quelque élan
amoureux en Dieu, et par quelque doux colloque intérieur sur la
Passion."
Paul de la Croix
recommande aussi la dévotion envers les anges, surtout les anges
gardiens qui nous préparent à l'oraison
"en nous aidant à discerner les
esprits, à nous concentrer en Dieu et à faire jaillir du cœur les
élans qui nous font nous précipiter dans le Cœur de Jésus."
Une leçon d'oraison
Paul de la Croix affirme que de
nombreuses grâces exceptionnelles proviennent de la miséricorde de
Dieu, et elles doivent être reçues avec beaucoup d'humilité et une
gratitude amoureuse. Lorsque l'élévation de l'esprit est en Dieu,
elle est plus secrète et cachée à la partie inférieure qui demeure
dans la nudité et la pauvreté; l'esprit, au contraire, reçoit plus
purement les divines impressions. L'âme doit demeurer dans sa nudité
et sa pauvreté, et ne s'occuper que du souverain Bien, comme une
épouse fidèle et aimante.
"Dans l'oraison, faites toujours ce qui vous concerne d'une foi vive
envers l'immense majesté de Dieu, selon la manière dont Il veut
procéder, et toujours avec la connaissance de votre horrible néant.
Et sentant la brise amoureuse et attractive de l'Esprit Saint qui
absorbe l'âme dans sa félicité, laissez alors disparaître votre
néant très hideux dans la félicité de votre Seigneur..."
Ce type d'oraison, permet de recevoir
la divine opération de façon passive. Et tout est don dans l'oraison
passive. Le Père Paul précise que "recevoir de façon passive"
ne supprime pas l'attention amoureuse de notre esprit "à la
divine opération du Souverain Bien, en silence sacré de foi et de
saint Amour. Mais c'est assez: en cette matière, plus on en dit,
moins on en sait dire..." D'une manière générale, Paul de la
Croix recommande toujours la fidélité envers Dieu, et la solitude de
corps. Alors on peut "fuir
en Dieu, se cacher dans l'abîme de sa Divinité, et là, reposer en
solitude, hors du temps, dans l'éternité. En Dieu, il n'y a pas de
temps, tout est éternel."
1-2-6-Importance
de l'oraison
Paul de la Croix affirmera que
"l'âme qui fait oraison est comme un rocher, parce que Dieu la tient
dans son infinie Charité. L'oraison, c'est le cœur à Cœur avec
Jésus, c'est un dialogue avec le Sauveur lui-même. L'oraison permet
d'acquérir une stabilité qui n'est pas de ce monde; elle nous met en
relation avec le Cœur de Dieu." Et elle nous éclaire. C'est
pourquoi Paul de la Croix fait oraison avant d'écrire à la marquise
Marianne dal Pozzo, en décembre 1721:
"J'ai fait oraison avant d'écrire ces lignes... Notre très doux
Jésus, par des aridités, purifie et prépare votre cœur afin de vous
transformer dans son très saint Amour. Il vous accordera ainsi... le
don d'oraison... Vivez en fonction de votre état, selon la prudence
et la mesure qu'enseignera à votre cœur l'infinie Bonté...
N'abandonnez sous aucun prétexte l'oraison, sauf pour une nécessité
urgente. De même soyez fidèle à la lecture spirituelle, à l'exercice
des vertus, surtout la sainte obéissance, l'humilité et la
mansuétude... Si vous vous trouvez au milieu des aridités... prenez
le crucifix entre vos bras. Avec tout votre amour embrassez ses
saintes plaies..."
On sait, en effet, par ses écrits, et
nous l'avons déjà mentionné, que très tôt Paul de la Croix vécut
puis proposa à ses correspondants la célèbre phrase de Thérèse
d'Avila: "Ou souffrir, ou mourir." Le thème de la Croix et de
sa folie, fut en effet, toujours très présent dans la vie
spirituelle de saint Paul de la Croix.
1-3-La
spiritualité de la Passion
On peut affirmer,
en toute certitude que Paul de la Croix fut profondément blessé en
son cœur par la Passion de Jésus. Dès le 27 novembre 1720 il écrit,
dans son Journal: "Tes peines, cher Dieu, sont les gages de ton
amour...." Et aussi, élevé en Dieu, il s'afflige à cause de ses
péchés, parle à Jésus de sa Passion et s'écrie: "Ô mon cher
Époux, combien vous affligeait la vue de mes péchés!" La vue des
plaies de Jésus pendant sa Passion le blesse profondément. L’amour
rend pauvre car il fait quitter les biens terrestres pour les biens
du ciel, donc de Dieu. Mais le Bien-aimé « est un bouquet de
myrrhe », d’où l’amour de la croix, et l’union des vouloirs de
Dieu et de l’âme amoureuse. Cette union nécessite des purifications,
et celles que Jésus opère dans nos cœurs sont de grands combats
spirituels. Ces nuits des sens et de l'esprit, sont la participation
aux souffrances du Christ, de Gethsémani à la mort sur la Croix.
C'est ce que Paul de la Croix appelle la blessure d'amour.
Paul reçut
beaucoup de lumière à propos de cette blessure d'amour. Il l'écrit
lui-même dans son Journal du 8 décembre 1720: "Beaucoup de
lumière à propos des tourments de la Passion de Jésus, au point de
désirer d’être uni à Dieu à la perfection, au point de vouloir
sentir totalement ses tourments et être mis en croix avec lui."
Paul écrit également: "En faisant l’offrande des tourments qu’a
soufferts mon Jésus, je me suis senti ému jusqu’aux larmes, et de
même en priant pour les souffrances de mon prochain… Parfois l’âme a
l’intelligence de toutes les douleurs de l’Époux; alors elle demeure
ainsi en Dieu, dans cette vue amoureuse et douloureuse. C’est très
difficile à expliquer..." Méditant un jour sur les tourments de
Jésus, Paul alla jusqu'à
"demander à Jésus de le foudroyer de douleur."
Incontestablement
l'oraison de Paul de la Croix était essentiellement orientée vers la
contemplation de la Croix de Jésus. Il désirait aussi que cette
orientation soit donnée à tous ceux qui se convertiraient grâce aux
missions des passionistes. Cela lui semblait tellement important
qu'il en fit, à côté des devoirs de la charité et de la prédication,
le véritable but de sa Congrégation. Il écrit dans la Règle de 1736:
"Les frères de cette congrégation... devront apprendre de vive voix
aux gens à méditer sur les divins mystères de la très sainte Vie,
Passion et Mort de Jésus, notre bien véritable."
Quelques-unes de ses pensées, relevées
ici ou là, montrent bien la vénération de Paul de la Croix pour la
Passion de Jésus. "Les jours
de la Passion sont des jours où les pierres elles-mêmes pleurent. Eh
quoi! le souverain Prêtre est mort, et l’on ne pleurerait point? Il
faudrait avoir perdu la foi, ô mon Dieu!
Quand on pense au jour du vendredi, il y a des choses capables de
faire mourir celui qui aime véritablement. N’est-ce pas, en effet,
nommer le jour où mon Dieu incarné a souffert pour moi, jusqu’à
immoler sa sainte vie sur le gibet infâme de la croix?
Portons toujours le deuil en mémoire de la Passion et de la mort de
Jésus-Christ. Nous ne devons jamais oublier d’en conserver un
continuel et douloureux souvenir. Que chacun de nous s’applique à
insinuer à tous ceux qu’il pourra, la pieuse méditation des
souffrances de notre très doux Jésus."
1-3-1-Pourquoi
une telle dévotion?
Oui, pourquoi une telle dévotion? Paul
s'explique: "Supposez que
vous soyez tombé dans une profonde rivière et qu’une personne
charitable se soit jetée à la nage pour vous sauver: que diriez-vous
d’une telle bonté? Ce n’est pas assez. Supposez de plus qu’à peine
tiré de l’eau, vous ayez été attaqué par des assassins, et que cette
même personne, par amour pour vous, se soit mise entre deux et
qu’elle ait reçu des coups et des blessures pour vous sauver la vie.
Que feriez-vous en retour d’un si grand amour? Il est certain que
vous regarderiez ses douleurs comme les vôtres, que vous vous
empresseriez de lui témoigner votre compassion, de guérir ses
plaies, etc. Ainsi devons-nous agir à l’égard de Jésus souffrant: il
faut le contempler abîmé dans un océan de douleurs pour nous tirer
de l’abîme éternel, le considérer tout couvert de plaies et de
blessures pour nous donner la vie et le salut, puis nous approprier
ses peines par amour, compatir à ses douleurs et lui consacrer
toutes nos affections."
Nous avons vu
ci-dessus, que la méditation du mystère de la Passion, porte
d'entrée du Cœur à cœur de l'oraison, devait aussi, selon la Règle
passioniste, être enseignée aux âmes: "les religieux passionistes
apprendront aux âmes à méditer sur les mystères des souffrances et
de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ." Le mystère de la
Passion fut considéré comme un scandale pour les uns, comme une
folie pour les autres. Pourtant, la Croix, c'est la Sagesse de
Dieu. En fait, la Passion ne se comprend pas; elle se contemple.
Face à ce mystère, l'intelligence se tait; seul le cœur qui s'ouvre
à l'amour peut entrer dans ce mystère divin, ce mystère choisi et
voulu par la Sainte Trinité pour anéantir le mystère du mal,
incompréhensible, lui aussi, car non voulu par Dieu. Et plus
mystérieux encore: le mystère du mal est aussi le mystère de la
liberté laissée d'abord aux anges, puis à chaque homme. Et cela,
seule l'oraison peut en faire prendre conscience.
Méditer la
Passion de Jésus, ce n'est pas la comprendre; contempler la Passion
c'est contempler le Fils de Dieu crucifié qui, sur sa Croix, sauve
le monde en le délivrant du péché. Méditer la Passion, c'est
découvrir l'immensité que le mal et le péché sont pour l'homme, et,
par voie de conséquence, entrer dans l'Amour qu'est Dieu. C'est
aussi vouloir intensément "imiter" le Christ, et aller vers le monde
pour prêcher la Bonne Nouvelle. C'est pourquoi la prédication est un
des principaux devoirs des Passionistes. Paul écrit, le 17 août
1751, à Lucie Burdini:
"Offrez Jésus souffrant au Père. Dites-lui que si le monde ne mérite
pas une telle visite de miséricorde, Jésus la mérite, Lui;
dites-lui... que le monde est oublieux des peines de Jésus qui sont
le miracle des miracles de l'amour de Dieu. Qu'il envoie ses
serviteurs, les membres de cette congrégation (les passionistes),
sonner la trompette de la prédication, pour réveiller le monde si
endormi."
La Passion de
Jésus était devenue la passion de Paul, sa raison de vivre, le
glaive de l'amour qui le transfigurait, le purifiait, et le faisait
participer à toute la souffrance du monde. C'était le secret de
Paul, l'amour qui le transformait en joie, car "les peines de son
cher Dieu étaient les gages de son amour." Paul n'hésite pas à
écrire: "La méditation de la
Passion de Jésus Christ est un baume si précieux, et révèle tant de
vertus, qu'elle est capable d'adoucir toute douleur."
1-3-2-Comment
annoncer la Passion de Jésus?
Paul de la Croix
voulait répandre "en tous lieux le parfum de la connaissance de
Jésus." Il voulait réveiller les hommes endormis et les faire
renaître en regardant le Crucifié. Paul recommandait pour cela
"durant les missions,... qu'on fasse la méditation sur la Passion de
Jésus-Christ... enseignant aux gens la façon de s'y exercer le plus
facilement possible..." À ceux qui disaient: "Moi, dans la
prière, je ne sens rien," Paul répondait: "Méditez la Passion, et
vous sentirez quelque chose." C'est par le cœur, en effet, que
l'on doit se tenir au pied de la Croix. Par le cœur, on se sent
concerné par la contemplation du mystère divin.
Nous l'avons déjà
signalé plus haut: la fréquente méditation du mystère de la Passion,
et la révélation que c'étaient ses propres péchés, à lui aussi, qui
en étaient la cause, incitaient toujours davantage Paul de la Croix,
à réparer. Mais il devait également appeler les pécheurs à se
convertir, à revenir à Dieu. Dans un de ses sermons il s'écrie:
"Oh! Quel grand mal que le
péché! Quel monstre hideux qui oblige ainsi Jésus-Christ à souffrir
pour le détruire! Ô pécheur, lis, lis dans ces peines de Jésus la
gravité de tes délits, de tes mensonges... Crie et pleure: ah! Mon
Sauveur, maintenant, je sais!"
1-3-3-La
lumière de la Passion
Tous les
mystiques, hommes et femmes, qui ont été, d'une façon ou d'une
autre, associés à la Passion de Jésus, ont tous été, malgré leurs
souffrances, des gens heureux; et leur bonheur intérieur était comme
une lumière irradiant tous ceux qui les rencontraient. Il en fut de
même pour saint Paul de la Croix. Ce dernier confia un jour à l'une
de ses correspondantes "qu'un Vendredi Saint, tandis qu'il
méditait les mystères de la Passion, tous les instruments de la
Passion lui furent gravés dans le cœur... Avec sa Passion, Jésus
imprima aussi dans son cœur les douleurs de Sa Sainte Mère. Oh!
quelle douleur elle éprouva! Oh! quel amour! Un mélange d'extrême
douleur et d'amour excessif!" Paul poursuit sa confidence en
indiquant que cette douloureuse mais amoureuse impression de la
Passion le faisait gémir à partir du jeudi soir jusqu'au dimanche,
chaque semaine. Pourtant son bonheur était alors très grand et il
avoue qu'un jour, ne pouvant plus cacher extérieurement sa douleur
il pria devant un crucifix qui détacha les bras de la Croix
"et le serra très fort, très fort,
en le plaçant dans son Très Saint Côté. Il l'y maintint durant trois
heures, et il lui sembla être positivement au Paradis."
Paul pleura
beaucoup dans sa vie, des larmes soudaines jaillies de son cœur:
"Ces larmes, mouvements du cœur sont des moments où l'on sent son
cœur percé" par la souffrance de Jésus." Ces larmes
"sont comme des caresses, ou mieux, un
baiser que le Seigneur donne à l'âme... une suavité mêlée de
larmes."
La Passion de
Jésus, c'est la manifestation de l'Amour brûlant de Dieu pour ses
enfants, les hommes. La Croix est le mystère du dépouillement de
Jésus qui se donne totalement pour notre salut, mais c'est aussi
"un feu dévorant qui imprime en nos cœurs le désir d'être crucifié."
Le feu qui embrasait Paul embrasait aussi ses premiers
compagnons dont les cœurs brûlaient de la même flamme. C'est une
ardeur d'amour qui purifie et brille au milieu des ténèbres du monde
pécheur pour redonner un sens à la vie des hommes éloignés de Dieu,
des hommes qui offensent Dieu. Paul considère que
"pour Dieu, être offensé, c'est être
crucifié par le non-amour des hommes."
Certains
témoignages, notamment venant de son frère Antoine, laissent
entendre que Paul aurait eu une ou plusieurs visions de l'enfer.
Antoine rapporte: "Une nuit,
il fut transporté par la main des anges en enfer où il vit les
peines des damnés, comme plus tard lui-même le confirma. Et, en
effet, durant tout le temps où j'ai été son compagnon, je l'ai
entendu dans les prédications qu'il faisait de l'enfer, représenter
avec une telle énergie ces peines, et les mettre en relief avec tant
de zèle, qu'il démontrait bien en pratique les avoir vues."
Force nous est, à
nous hommes du XXIème siècle, de constater l'incroyable actualité du
message de saint Paul de la Croix, message qu'il a transmis à tous
ses religieux.
1-3-4-Gethsémani
On ne peut
séparer Gethsémani de la Croix. C’est pourquoi ceux qui vivent la
Croix du Christ sont également amenés à vivre son agonie à
Gethsémani. Pour de nombreux mystiques, et pour Paul de la Croix en
particulier, cette agonie se manifestait sous la forme d’une
certaine mélancolie, d'une tristesse à la vue de ses péchés et d'une
immense souffrance face aux péchés du monde. La méditation de la
Passion suscite l’humilité et prépare à la compassion. Paul écrira à
Agnès Grazi, une de ses dirigées :
"Les serviteurs de Dieu meurent à
toutes les consolations. Oh! Quelles désolations il faut endurer,
que d’angoisses au-dedans et au dehors, quelles batailles
intérieures et extérieures! Quelle aridité, quelle mélancolie!
Quelle obscurité dans l’esprit! Que de craintes d’illusions! Que
d’inquiétudes pour les abandons, car il semble à l’âme qu’elle a
perdu Dieu… mais il y a encore plus, et je ne sais ni le dire ni
l’expliquer..."
Paul a conscience
de son propre péché qui est aussi cause de la Passion du Christ; il
demandera souvent des prières à son intention car il se sentait "toujours
plus enseveli dans la colère de Dieu et sous son redoutable fouet,
juste châtiment de ses grands péchés…"
1-3-5-Le
combat spirituel et les nuits des sens et de l'esprit
(voir annexe 5)
Paul de la Croix
décrit l'un de ses combats: "Combat pénible entre la chair et
l’esprit. Les passions s’agitent, de concert avec les afflictions
véhémentes du cœur qui bondissait et me faisait trembler de la tête
aux pieds, à tel point que les os me faisaient mal. Tout semblait me
faire violence pour m’inciter à partir. Tentations horribles contre
Dieu, alors prière à Marie. L’âme se croit abandonnée et dans une
grande misère. Mais ces tentations contre Dieu disparaissent en un
éclair…. Le démon en reste confus et s’enfuit…" Étrange: Paul
désire ces épreuves afin de souffrir et craint qu’elles
disparaissent. Mais "cette
peur provient du désir de l’âme de suivre Jésus dans les
souffrances.
Je voudrais
que tout le monde puisse comprendre la grande grâce que Dieu fait
par sa miséricorde, quand Il envoie la souffrance, et surtout quand
la souffrance est sans soulagement. L’âme est alors purifiée comme
l’or dans le feu… Elle se tient uniquement fixée à la volonté très
sainte de son Époux chéri Jésus, désirant être crucifiée avec Lui,
parce que cela est plus conforme à son Bien-aimé Dieu, lequel dans
toute sa très sainte vie n’a fait autre choix que de souffrir."
Pour Paul de la
Croix, les tempêtes de la nature étaient un peu comme l'image du
combat spirituel et de la nuit des sens. Ce combat spirituel,
"cette lutte, est très profitable à l'âme; par la souffrance du
combat, elle se purifie à la manière du rocher qui, un peu encrassé
avant la tempête, devient plus propre après la bourrasque, ayant été
nettoyée par le mouvement des vagues. Il est vrai cependant qu'il
faut toujours veiller à demeurer en Dieu, sans tenir compte des
tempêtes d'inquiétudes des pensées qui nous assaillent; constatant
qu'il n'en tire rien, et qu'avec l'aide de Dieu on ne craint rien,
l'ennemi s'enfuit, confus..." (Journal spirituel – le 23
décembre 1720)
1-3-6-Confidences
de Paul de la Croix
Parfois, pensant aux épreuves
rencontrées par sa congrégation, Paul livrait quelques confidences à
ceux en qui il avait particulièrement confiance. Ainsi, à Sœur
Gandolfi, en 1723, il avoue: "Oh! Quelle colère éprouve le diable
envers cette œuvre!... J'espère faire la volonté de Dieu, mais je
demeure toujours sur mes gardes: priez fort!" Et plus tard:
"Le Seigneur me fait
cheminer au travers des tonnerres, des tempêtes, des neiges... Je
n'ai d'autre désir que de faire avec perfection la très sainte
Volonté de Dieu dans la vie, dans la mort, dans le temps et dans
l'éternité
Et aussi:
"Celui qui est uni à l'intérieur avec
le Fils du Dieu Vivant en porte l'image aussi à l'extérieur par un
exercice continuel de vertus héroïques, et surtout d'une souffrance
vertueuse qui ne se lamente ni à l'intérieur, ni à l'extérieur..."
1-3-7-Ou
pâtir, ou mourir
Paul de la Croix reprend souvent des
expressions de Thérèse d'Avila, puis il les développe. Ainsi
s'associant au cri de Thérèse: "Ou souffrir ou mourir!" Paul
développe, pour un correspondant, une pensée difficile:
"Notre doux Jésus a poussé de plus
profondes racines dans votre cœur, si bien que vous direz désormais:
Souffrir et non mourir!... Ou bien: Ou souffrir ou mourir!... Ou
mieux encore: Ni souffrir ni mourir, mais une transformation totale
dans le bon plaisir de Dieu… L’amour a une vertu unitive et fait
siennes les souffrances du Bien-Aimé. Si vous vous sentez tout
pénétré au dedans et au dehors des souffrances de l’Époux divin,
réjouissez-vous; mais je puis dire que cette joie ne se trouve que
dans la fournaise de l’amour divin, car le feu qui pénètre jusqu’à
la moelle des os, transforme l’âme aimante en celui qu’elle aime; et
comme l’amour s’y mêle d’une façon sublime à la douleur, et la
douleur à l’amour, il en résulte un mélange amoureux et douloureux,
mais si parfait qu’on ne distingue plus l’amour de la douleur, ni la
douleur de l’amour, d’autant plus que l’âme aimante jouit dans sa
douleur et trouve du bonheur dans son amour douloureux.
Persistez dans la connaissance de votre néant, et soyez fidèle à
pratiquer les vertus, surtout à imiter le doux Sauveur dans sa
patience, car c’est là le point capital du pur amour. Vous ne devez
jamais négliger de vous offrir vous-même en holocauste à la Bonté
infinie de Dieu; ce sacrifice doit se faire dans le feu de la divine
charité; allumez-le avec un bouquet de myrrhe, je veux dire, au
moyen des souffrances du sauveur. Tout cela veut être fait à portes
closes, c’est-à-dire dans l’éloignement de tout ce qui est sensible,
dans la foi pure et simple."
Paul de la Croix
comprend que "l'oraison de souffrance est un grand don que Dieu
fait à l'âme... Il ne faut pas fuir l'oraison pendant ces temps si
douloureux, parce que la souffrance ne diminuerait pas, au
contraire, l'âme s'affligerait sans profit... L'âme que Dieu veut
attirer à une sainte union avec Lui doit passer par ce chemin du
pâtir..." D'où la nécessité de la souffrance dans l'oraison.
D'où la primauté de la prière sur les œuvres, car "les dons de
Dieu ne sont donnés et reçus que dans le Cœur à cœur avec Lui."
On ne donne à son prochain que ce que l'on a reçu de Dieu dans
l'oraison.
Paul de la Croix
avance dans l'oraison de souffrance: il pâtit sans consolation, mais
il ne désire pas de soulagement. Il continue à se tenir mystiquement
sur le Calvaire, et il écrit des réflexions qui peuvent nous
déconcerter: "je voudrais
que tout le monde puisse comprendre la grande grâce que Dieu nous
fait par sa miséricorde quand il envoie la souffrance, et surtout
quand la souffrance est sans soulagement. L'âme est alors purifiée
comme l'or dans le feu... L'âme se tient alors uniquement fixée à la
volonté très sainte de son Époux chéri, désirant être crucifiée avec
lui, parce que cela est plus conforme à son bien-aimé Dieu..."
1-4-La
contemplation mystique
1-4-1-Les
expériences mystiques
Parfois, Paul de
la Croix, dans une très haute lumière de foi, voyait son âme
s'immerger dans l’amour infini de Dieu, et désirer se séparer du
corps. Il lui venait alors "beaucoup de lumière à propos des
tourments de la Passion de Jésus, au point de désirer d’être uni à
Dieu à la perfection, au point de vouloir sentir totalement ses
tourments et être mis en croix avec lui." Ou bien il entrait
dans un "grand recueillement et une grande ferveur mêlée de
larmes... et recevait une grande connaissance de lui-même et de ses
misères... ainsi que la douleur de voir 'son Cher Dieu' offensé.."
Ce grand recueillement
"consistait en de grandes affections et des entretiens amoureux avec
l’Époux. Puis dans sa grande pauvreté, s’entremêlaient la douleur et
l’amour, avec grandes larmes et suavité."
Dans la mystique
et la spiritualité de Paul de la Croix, la Passion de Jésus rejoint
inévitablement son Sacré-Cœur. En effet, l’évocation des souffrances
de Jésus engendre une immense reconnaissance envers son Sacré-Cœur.
Paul fit des expériences mystiques qu'on
"ne peut comprendre qu’en Dieu… L’âme
est fascinée par ce qu’elle ressent… On sent une grande douleur que
ne viennent apaiser ni consolations spirituelles, ni rien d’autre…
Je dis alors à mon Jésus que ses croix sont la joie de mon cœur…
mais aussi de la crainte d’amour, la crainte de blesser l’amour."
Tout ceci
débouche sur l’Eucharistie qui conduit à la connaissance des secrets
du Sacré Cœur de Jésus d'où découlent des sources d’eau vive. Paul
recevait souvent, dans la prière, le don des larmes de joie et de
tendresse quand son cœur devenait lui aussi "source d’eau vive".
L'Eucharistie c'est Jésus Lui-même, et Paul n'hésitait pas à
affirmer que "les mouvements
de tendresse (envers notre prochain) naissaient des affections
amoureuses envers l'Eucharistie."
1-4-2-La
perception de l'infini de Dieu
Paul de la Croix donne les trois
degrés de la contemplation mystique: l'appel de Dieu et la
conversion, la nuit des sens, l'entrée dans le Cœur de Dieu. C'est
la perte de soi dans la mer immense du feu de l'Amour, le sein de
Dieu,
"ce feu qui pénètre jusqu'à la moelle
des os et transforme celui qui aime en l'aimé... et, mélangeant
selon un mode très haut l'amour avec la douleur, la douleur avec
l'amour, il se fait un mélange amoureux et douloureux, mais si uni,
qu'on ne distingue ni l'amour de la douleur, ni la douleur de
l'amour, au point que l'âme, aimant, jouit dans sa souffrance et
fait la fête dans son amour douloureux."
Cette perception de l'infini de Dieu peut conduire l'âme à "la
connaissance de son horrible néant..." qui pourrait être très
déstabilisant si cet anéantissement n'était pas, dans l'Infini Tout,
"la divine solitude
intérieure dans laquelle on apprend tout... L'âme alors se complaît
en ce que Dieu soit ce Bien Infini qu'Il est: une mer immense de
perfection... Mais s'anéantissant toute avec une haute stupeur
amoureuse dans cette grande mer, là elle adore, se tait, aime, est
stupéfiée..."
Paul de la Croix a connu dans sa
jeunesse, cette stupeur amoureuse
"expérience très
douce et au-dessus des plus hautes merveilles que l'Immense lui fait
comprendre; mais l'exprimer est tout simplement impossible."
Heureusement Dieu se fait connaître à travers l'humanité de son
Fils, Jésus-Christ, notamment à travers sa Passion, œuvre d'amour
par excellence. Pour Paul de la Croix, c'est la méditation de la
Croix qui permet à l'homme "de passer hors du temps et de se
perdre dans l'éternité." Paul de la Croix n'hésitait pas à
affirmer: "L'oraison ou
recueillement intérieur nous permet de sortir du temps et de se
perdre dans l'éternité. En Dieu il n'y a rien de temporel, mais tout
est éternel..."
Et il n'hésitera pas à écrire à sa
correspondante:
"Les communications que vous
recevez dans l'oraison, de l'Ineffable Divine Bonté, ne seraient pas
de Dieu si vous pouviez les expliquer ou les comprendre.. On
comprend sans comprendre; on pense sans penser... Recevez avec
action de grâces l'intelligence que Notre Seigneur vous donne de
votre néant et de vos malveillances; mais immédiatement, comme un
enfant qui a peur, fuyez et cachez-vous dans l'abîme de la divinité,
et là reposez sans crainte ni trouble. La crainte de Dieu, qui est
un don du Saint-Esprit ne trouble pas; au contraire elle produit une
paix plus grande..."
Paul de la Croix précisera plus tard. Il expliquera que le néant
dont parlent les spirituels est "un sommeil que viennent rompre
les touches amoureuses de Dieu... mort mystique qui détache l'âme de
tout ce qui n'est pas Dieu." En effet, quand on aime, on ne voit
plus que l'Aimé. L'Amour est une vertu unitive qui fait siennes les
peines de l'Aimé, et cela se vit dans la fournaise du divin Amour
qui aime et transforme celui qui aime en l'aimé.
Mais attention!
Paul insistera souvent sur
l'impossibilité pour une âme contemplative de rapporter et
d'expliquer ses expériences mystiques. Il écrira:
"On comprend sans comprendre, on pense
sans penser les extraordinaires merveilles d'amour que Dieu opère...
Les âmes les plus élevées bien que comprenant, ne peuvent formuler
ce qu'elles comprennent..."
Le 19 mars 1754 le Père Paul, tout en
reconnaissant son impuissance à s'exprimer correctement, confiait
cependant à Sœur Gandolfi:
"Priez en silence d'amour pour les hommes, selon le mode ineffable
qu'Il vous enseigne, sans quitter le désert sacré ni le repos
amoureux. Oh! Que dis-je, moi pauvre homme! Si je consommais toute
l'encre du monde, je ne pourrais jamais écrire une des plus petites
des divines opérations que Dieu fait dans l'âme..."
1-4-3-Les
sécheresses
L'oraison n'est pas toujours facile, mais il faut tenir bon et
"ne pas la fuir, car l’âme que Dieu veut unir à Lui doit passer par
le chemin du pâtir. Là où l’âme ne sait plus où elle en est."
Il ne faut jamais oublier
que l’âme qui se tient en oraison est
comme un rocher, parce que Dieu la tient dans son infinie charité:
le démon jaloux, cherche à la troubler avec des tentations. Mais le
bien aimé est là, même si on n’en a pas conscience. Cette lutte est
très profitable... Et l’ennemi s’enfuit."
Paul veut que, dans les sécheresses,
les âmes se consolent dans la Passion de Jésus. Il écrit:
"Dans les sécheresses éveillez
doucement votre esprit par des actes d’amour; puis reposez-vous en
Dieu sans aucun sentiment ni jouissance; c’est alors que l’âme
témoigne le mieux sa fidélité. Faites-vous un bouquet des
souffrances de Jésus, et tenez-le sur le sein de votre âme, comme je
vous ai dit. Vous pourrez, de temps en temps, en faire mémoire avec
amour et douleur, et dire doucement au Sauveur: Ô bon Jésus, comment
vois-je votre face gonflée, livide, couverte de crachats! Ô mon
amour, comment se fait-il que vous soyez tout plaies! Ô ma Douceur,
pourquoi vois-je vos os décharnés? Ah! quelles souffrances! Ah!
quelles douleurs! Ô mon doux Amour! pourquoi n’êtes-vous plus qu’une
plaie? Ah! souffrances chéries! Ah! Plaies chéries! je veux vous
garder toujours dans mon cœur."
1-4-4-La
réparation
Paul de la Croix
souffre beaucoup de la situation de l'Église en Angleterre. Il prie
beaucoup pour la conversion de ce pays,
"afin que s'y dresse l'étendard de la sainte foi, afin que
s'étendent la dévotion... et l'amour, ainsi que les fréquentes
adorations au très Saint Sacrement... Le désir ne me quitta pas de
mourir martyr, surtout pour le Très Saint Sacrement, là où l'on n'y
croit plus." Paul ajoute: "Le soir... je me suis senti incité
à réparer les irrévérences, surtout celles de l'Église, me sentant
poussé à réparer celles-ci par des corrections, comme avec la grâce
de Dieu je m'attache à le faire." D'une manière générale on doit
constater le zèle de Paul de la Croix pour
"réparer les irrévérences envers ce
sublime Sacrement du Cœur de Jésus."
Voici ce qui
pourrait s'adresser directement aux chrétiens de ce début du XXIe
siècle. Selon des témoins autorisés, parmi ces irrévérences, Paul de
la Croix pensait surtout souillures des animaux entrant dans les
églises laissées sans surveillance, aux femmes en tenues négligées
ou indécentes, aux personnes discutant avec leurs voisins pendant la
messe, mais également "aux
hommes d'église, religieux et religieuses, qui répondent à tant
d'amour par l'ingratitude et les sacrilèges. Pour réparer tant
d'outrages, l'âme aimante doit s'offrir en victime, toute réduite en
cendres dans le feu du saint amour..."
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